Les rémunérations composites de la cour pontificale au début du Grand Schisme d’Occident
p. 449-495
Texte intégral
1La question de l’économie des offices est bien plus complexe qu’elle peut le paraître au premier regard : la simple description des types de revenus affectés au curialiste de la fin du xive siècle recèle de redoutables problèmes si l’on désire s’abstraire de l’anecdote. Bien qu’ils posent à eux seuls de nombreuses questions encore irrésolues, il est en effet insuffisant de se limiter aux seuls gages ordinaires. Pour estimer le niveau de vie des curialistes du xive siècle, il est impératif de repérer, de décrire et de chiffrer l’ensemble des revenus obtenus, que ce soit sous forme de cadeau, de dons divers ou de bénéfices ecclésiastiques ; et encore c’est oublier là l’épineuse question des cumuls, qu’ils soient internes (demeurant dans les offices de la maison pontificale, chambrier et chapelain par exemple) ou externes (obtenant des charges pontificales et servant parallèlement des cardinaux, voire des princes temporels)1.
2Lorsque se précisait le projet d’étude de la cour de Clément VII, la question de la rémunération des officiers y trouvait une place naturelle : comment prétendre comprendre son organisation sans réserver une réflexion à cette question ? L’analyse de cet aspect du fonctionnement de la cour est pourtant demeurée assez nettement en deçà des espoirs qui avaient alors été placés en elle. Dans le projet initial, il s’agissait de proposer une tabelle des revenus totaux des curialistes en fonction de l’office auquel ils sont rattachés. Les difficultés rencontrées ont condamné la tentative à se limiter à une liste des sources de revenus auxquels ont accès, plus ou moins épisodiquement, les membres de la communauté curiale, non sans quelques efforts de pondération chiffrée. Considérée alors du point de vue de la cour et tentant de systématiser le système du revenu vu d’en haut, la question de la rémunération mérite d’être aussi abordée du point de vue de l’officier.
3Dans une relation de travail (pour adopter une terminologie moderne), il y a nécessairement deux partenaires, l’employé et l’employeur, et une monnaie d’échange, le salaire. Dans le cas qui nous occupe, le problème provient de ce dernier, qui ne se limite pas au seul versement d’une somme périodique d’argent mais intègre plusieurs modes de gratifications, pour l’heure insuffisamment connus. Il faut ainsi se défier de l’amalgame qui identifierait le salaire – on pourrait préférer « rémunération » – aux gages2. Dans le présent texte, nous allons proposer une liste, la plus exhaustive possible, des sources de revenus de l’officier pontifical à la fin du système avignonnais, tentant de les chiffrer chaque fois que cela s’avère possible. À terme, on peut espérer parvenir à une meilleure compréhension du système des rémunérations et décrypter les fonctionnements administratifs sous jacents : qui décide de l’attribution de la rémunération, sur quelles bases, avec quelle marge de manœuvre3 ?
4En abordant ainsi la question de la rémunération et en débarrassant nos esprits de la notion contemporaine d’un salaire, régulier dans le temps voire mathématiquement progressif, on éviterait de plaquer abusivement notre vision d’une relation de travail sur la réalité du Moyen Âge. Dès lors, on ne s’étonnerait plus de ce que les documents d’administration parvenus jusqu’à nous, présentent de moins organisé, de plus « brouillon », selon nos standards. On éviterait aussi de se joindre au sentiment de F. Autrand lorsque, considérant les comptes de l’hôtel du duc de Berry, elle constate :
Souci pour le trésorier, les gages tournent au casse-tête pour l’historien. La première question qui se pose est celle de leur montant. Il n’est pas facile d’y répondre, tant les sources s’avèrent décevantes. Ainsi le compte de 1398 mêle gages, forge et bourrellerie quand ce n’est pas la fourniture de foin. Quant aux comptes du maître de la Chambre aux deniers, ils donnent de fausses espérances avec leurs chapitres Gages (§ 1) et Pensions (§ 2) des dépenses extraordinaires. N’y figurent, en effet, que certains versements faits aux principaux conseillers et officiers du prince, juste de quoi attirer l’attention sur certains rouages du paiement des gages et confirmer la progression des dépenses ducales4.
5Ce genre de constatation nous semble découler du hiatus conceptuel qui nous sépare des hommes du Moyen Âge, davantage que de la désorganisation des services domestiques du duc de Berry.
6Appuyés sur ces prémisses, nous considérerons ici la composition de la rémunération des curialistes avignonnais, en accordant certes leur place aux gages ordinaires, mais en insistant surtout sur les autres modes de gratifications, parcourant ainsi le spectre très large offert à l’étude : fournitures diverses (nourriture, logement, éclairage, provisions de bouche), grâces et revenus de prestige, pensions, cadeaux. Nous nous sommes essayés à quantifier les différentes sources de revenus, réduisant les chiffres obtenus en sous avignonnais. Cette apparente précision doit s’accompagner d’un avertissement : il est rare que les résultats numériques puissent être considérés comme parfaitement assurés, ils ne sont souvent que des ordres de grandeur obtenus au prix de certaines extrapolations, de certaines gesticulations arithmétiques5. Malgré ses limites, il a néanmoins semblé que l’exercice méritait d’être réalisé pour permettre la comparaison entre gages et autres sources de revenus. À titre d’ordre de grandeur, souvenons-nous encore que les revenus moyens enregistrés annuellement par la trésorerie pontificale sous Clément VII sont d’environ cent vingt mille florins de la Chambre, soit trois millions de sous6.
LES GAGES
7Nous commençons par les gages ordinaires (vadia ordinaria dans les livres de comptes de la trésorerie), pour présenter un document important du début de la période avignonnaise et quelques résultats concernant le règlement des gages en faveur des officiers de Clément VII. Malgré d’évidentes difficultés, le paiement des gages ordinaires demeure la portion de la rémunération la plus aisément systématisable – ils permettent par exemple le calcul d’un revenu annuel ou l’établissement d’une échelle des revenus calquée sur l’importance des charges assumées – et la moins choquante pour nos habitudes modernes, puisqu’ils s’apparentent à un salaire.
Le liber distributionum
8A l’issue d’un calendrier des fêtes liturgiques (fol. 1-8), le liber distributionum7 propose une double liste, dans un ordre globalement hiérarchique des officiers gagés – il débute en effet avec le cardinal vice-chancelier (fol. 9r et 13v) et s’achève avec les écuyers du pape (fol. 11v et 22r) – et prévoit entre les deux listes quelques paragraphes qui fournissent des renseignements pratiques comme, par exemple, la durée de la paye (cinquante-six jours de travail) ou les monnaies réelles versées aux curialistes (fol. 12v-13v). Le liber indique pour chaque office les gages quotidiens et offre une table de multiplication qui donne le montant correspondant à une paye et à ses principales fractions. La table est parfois entièrement développée, donnant la liste des cinquante-six multiplicateurs possibles. C’est le cas pour certains collèges d’officiers dont le montant des gages dépend de la présence effective au palais au moment de la fermeture des portes par le maître de l’hôtel : courriers, sergents d’armes, huissiers et écuyers, officiers appelés à accomplir parfois une partie de leurs tâches à l’extérieur de la cour et qui voient leur temps d’absence défalqué de leur salaire. Ils varient alors de mode de rémunération, échangeant un salaire basé sur le temps de service pour un autre, lié à la tâche accomplie8. Ils reçoivent ainsi une somme forfaitaire, pro expensis faciendis, qui ne les oblige pas à puiser dans leurs économies et s’avère en général plus importante que leurs gages ordinaires. Une pratique doublement logique : premièrement parce que les frais de l’officier en mission sont effectivement plus élevés que ceux qu’il encourt en Avignon ; deuxièmement parce que la délégation de responsabilité à l’extérieur du milieu curial est un signe de confiance et d’honneur qui mérite salaire.
9Dans la première partie du liber distributionum, les sommes payées sont indiquées en gros tournois, ou en livres, sous et deniers viennois ; dans la seconde, rédigée plus tard9, les gages sont exprimés en florins de Florence, sous et deniers viennois, avec un nombre plus élevé de tables de cinquante-six lignes et avec une qualité d’écriture un peu moins bonne. Avant d’aborder les rémunérations elles-mêmes, accordons quelque attention aux trois pages centrales du livret, aux précisions qu’elles jugent utile d’apporter. Celles-ci adressent neuf préoccupations : outre les questions des monnaies versées, des arrondis et de la durée d’une paye, retenues ici, celles des règles de change, le mode de calcul des gages pour les collèges d’officiers dont la rémunération dépend de la présence effective à la cour, les tarifs des quittances, la répartition des sommes versées lors des consécrations épiscopales et des bénédictions abbatiales, la récapitulation des montants payés sous Benoît XII aux membres de la cour du maréchal de justice et le rapport de change entre sous viennois et avignonnais.
1. Monnaies versées
10La monnaie réellement versée aux curialistes est habituellement de la monnaie viennoise10. Les membres de la cour sont donc payés en argent, ce qui introduit les difficultés habituelles de change de l’or à l’argent quand les gages sont exprimés dans les comptes de la caisse centrale en francs, florins de la Chambre ou florins courants. Par ailleurs, nous savons que pour les pensions et les salaires des principaux personnages, on recourt plus volontiers à l’or. Le 10 juillet 1392, en effet, George de Marle, alors à Naples avec Louis II d’Anjou, demande à la Chambre de bien vouloir lui verser sa pension en argent, et non en or comme c’est habituel, de façon à être en mesure d’utiliser le métal pour frapper des carleni, les pièces communes du royaume de Sicile, qui font cruellement défaut ; et la trésorerie obtempère pour contenter le chevalier genevois11.
2. Arrondis
11Il est pratiqué un arrondi au moment où l’on calcule le nombre de livres à partir des sous. Le document est libellé ainsi : Item fine cuiuslibet compoti singularum pro quolibet solido qui remanet post summam librarum additur unus denarus. Vide si remanet unus solidus additur unus denarus. Si duo, duo et sic deinceps12. Ainsi, vingt-trois sous doivent faire une livre, trois sous et trois deniers ; vingt-sept sous doivent équivaloir à une livre, sept sous et sept deniers, et ainsi de suite. Voilà qui pourrait expliquer certaines « erreurs » que nous croyons déceler parfois dans les calculs des scribes.
12On s’attendrait à ce que le liber applique la règle ainsi définie ; hélas, ce n’est curieusement pas le cas et les tables qu’il fournit ne portent aucune trace d’un tel arrondi. Prenons deux exemples tirés de la seconde moitié du document, les tableaux qui correspondent aux payes des pénitenciers mineurs et des écuyers, tous deux commençant avec neuf sous et neuf deniers viennois pour une journée de gages. Les résultats obtenus pour les pénitenciers mineurs sont, d’un point de vue arithmétique, parfaitement réguliers. Dans les tableaux qui suivent, on a ajouté une colonne intitulée « valeur » où est fournie pour chaque ligne l’équivalent en sous et en fractions de sous viennois13.
13La colonne de rémunérations des écuyers, exprimée en livres, sous et deniers, pose davantage de questions : progression irrégulière, non-conformité avec les résultats obtenus dans le tableau des pénitenciers et non-conformité avec les informations fournies par le texte du liber. Pour le comprendre, il faut considérer les différences entre jours maigres (gagés neuf sous et neuf deniers viennois) et les jours gras (gagés onze sous et quatre deniers obole). On compte trois jours maigres par semaine (mercredi, vendredi et samedi) et quatre jours gras. Le tableau des payes commence avec un samedi et se poursuit régulièrement jusqu’à la fin des cinquante-six journées considérées, s’achevant avec un vendredi. Il serait intéressant de voir si les comptables tiennent compte individuellement des jours véritablement vécus à la cour par chacun des curialistes ou s’ils appliquent le tableau de calcul sans se référer à la réalité. Les différences resteraient de toute façon modestes, puisque chaque semaine complète rapporte trois livres, quatorze sous et neuf deniers, quel que soit le jour par lequel on la commence. Il nous semble que l’établissement même de ces tableaux répond à la question et que les scribes de la trésorerie en appliquent probablement les résultats tels qu’ils y apparaissent.
14On ne trouve ainsi aucune trace de l’arrondi dont il est question dans la portion centrale du liber. Pourtant, une mention dans la seconde moitié du volume rappelle de façon semblable cette pratique :
Item in fine cuiuslibet compoti singularum pro quolibet solido solidi qui remanet post summam librarum redditarum in florenis additur unus denarus. Unde si remanet unus solidus additur unus denarus. Si duo duo et sic deinceps14.
15En conséquence, on peut supposer que cet arrondi prend place au moment de la remise des pièces aux curialistes, pour tenir compte des complications du bimétallisme ou des rapports de change, subtilités qui, hélas, nous échappent.
3. Paye
16Tous les mois sont comptés à vingt-huit jours. Cela signifie que la paye de cinquante-six jours, retenue comme base de calcul, couvre en fait deux mois complets, et qu’il y a de ce fait six payes par an. Ce système semble mal appliqué au début du schisme. Le 19 octobre 1380 par exemple, le règlement des gages dus à un chantre de la chapelle pontificale pour la période allant du premier août, jour de sa réception, au 10 septembre est compté comme quarante jours soldés15. Selon le système défini dans le liber, on devrait n’en compter que trente-huit.
DISTRIBUTIONS DES GAGES DANS LES DOCUMENTS COMPTABLES DU SCHISME
17Il convient à présent de relier le liber distributionum aux documents comptables de la période du schisme qui se distinguent par l’absence de tout enregistrement systématique des gages payés, à l’inverse de ce que l’on trouve, par exemple, dans les grands livres de Jean XXII. Cette apparente spécificité de la curie clémentine est probablement due à la conservation des seuls journaux : s’ils précisent en marge à quelle catégorie de dépenses correspond chaque décaissement, ils ne proposent que très rarement une image d’ensemble des curialistes ainsi rémunérés. Il y a peu de doute, pourtant, que le système avignonnais de distribution des gages ordinaires fonctionne toujours durant le pontificat de Clément VII et que ce sont des causes archivistiques qui nous rendent plus difficile sa systématisation. Pour le faire apparaître, il est nécessaire de compiler les renseignements fournis, et de vérifier ensuite leur conformité avec les indications du liber distributionum. Comme nous allons le voir au travers de l’exemple des clercs de la Chambre, la correspondance est loin d’être aisée à établir.
Gages des clercs de la Chambre apostolique
18Grands personnages, les clercs de la Chambre sont généreusement soldés : neuf gros in die carnum et huit in die piscum16. Le montant de leur paye s’établit donc à trente-neuf livres, soit trente-cinq florins de Florence et dix sous viennois (soit sept cent quatrevingts sous par paye). Ce montant est apparemment revu à la hausse durant le règne de Clément VII, puisque Pierre Girard, le futur cardinal du Puy, reçoit l’équivalent de neuf cent quatre-vingt-dix sous par paye le premier avril 137917, soit une augmentation de 25 %. Une somme confirmée par le paiement effectué au même personnage quelques mois plus tard, en janvier 1380, qui prévoit un peu plus de quarante et un florins de la Chambre pour soixante-six jours18. Comment le comprendre ?
19Les premiers chiffres indiqués par le liber libellent les montants en gros tournois, ou en livres, sous et deniers viennois. Il est par la suite prévu une traduction en florins de Florence, sous et deniers viennois, qui occupe la seconde moitié du document. Au début du schisme, les sommes payées sont souvent inchangées, si on considère le nombre de florins, de sous et de deniers, mais la monnaie n’est plus la même. On est passé du florin de Florence (valant vingt-deux sous viennois, soit vingt-trois sous avignonnais et huit dixièmes à treize avignonnais pour douze viennois19) au florin caméral (compté à vingt-huit sous avignonnais), soit une augmentation nominale de 17.6 %. Il faudrait donc compter, pour les clercs de la Chambre, non pas sept cent quatre-vingts mais bien huit cent quarante-cinq sous pour la première section du liber. Il faut pourtant considérer les variations du sou avignonnais et de la monnaie d’or pour estimer la valeur réelle de cette réévaluation.
20Quittons l’aspect purement arithmétique de la question et cherchons à percer ce que cache cette augmentation, à identifier dans quel contexte de change elle s’inscrit. La complexité de la question monétaire à la fin du Moyen Âge n’étant plus à démontrer, nous nous contenterons de quelques éléments. À la consultation des taux de change compilés par K. H. Schäfer20, on constate un affaiblissement de la monnaie viennoise, en particulier du sou, par rapport au florin de Florence dans la première moitié du xive siècle. Celui-ci est compté dix-huit sous viennois en 1316, vingt-deux sous en 1324 et, après un pic à vingt-six sous et demi en juillet 1327, vingt-quatre sous en 1349. Parallèlement, le sou avignonnais se renforce, valorisé sans doute par l’installation des papes dans la ville des bords du Rhône : s’il est compté durant les années 1320 à treize pour douze viennois comme l’indique le liber distributionum, il rejoint rapidement la valeur de ce dernier et lui est parfaitement équivalent du point de vue du change en florin de Florence dès 134921. Par ailleurs, si l’on regarde la variation des cours du marc des deux métaux précieux monnayables entre 1320 et 1390, on constate sur le long terme une tendance assez nette à l’augmentation de la valeur du marc d’argent face au sou tournoi, et une tendance moins nette mais concurrente du marc d’or face à la livre tournois. Dans les deux cas, on obtient donc moins de métal précieux avec la même quantité nominale de monnaie. C’est ce qui apparaît dans les graphiques suivants. La première courbe retrace le destin du marc d’argent22, la seconde celui du marc d’or23, des courbes de tendance ont été ajoutées sur chacun des graphiques :
21Contentons-nous à présent d’un bilan rapide sur les bases qui viennent d’être posées. Les curialistes sont passés d’une rémunération en viennois à une autre en monnaie avignonnaise. On a vu que les deux espèces se rejoignent en 1349 et, puisque K. H. Schäfer nous prive d’informations pour la seconde moitié du xive siècle, nous faisons le pari de leur assimilation pure et simple, ou plutôt de l’absorption de la première par la seconde – un phénomène bien connu qui voit les monnayages moins forts être peu à peu fondus dans leurs voisins plus favorablement estimés. Pour les rémunérations des officiers de la cour, il y a donc une stabilité du sou, et il est légitime de considérer un sou viennois de 1320 comme valant – nominalement tout au moins – un sou avignonnais en 1380.
22Qu’en est-il alors des florins ? Peut-on considérer que les salaires nominaux augmentent de quelque 25 % durant cette période ? Quand le florin de la Chambre est frappé pour la première fois en 1355, il équivaut au florin de Florence et est compté à vingt-deux sous « avignono-viennois ». Sa valeur en sous locaux n’augmentera que par la suite pour atteindre vingt-six sous en 1364 et vingt-huit sous dès 137024. À partir du mois de mai 1393, les documents le comptabilisent même pour trente sous25. Il y a donc un renforcement de la monnaie d’or pontificale exprimée en sous d’argent d’Avignon entre 1355 et 1380.
23Prenons à titre d’exemple un clerc de la Chambre, gagé trente-cinq florins de Florence et dix sous (soit sept cent quatre-vingts sous viennois) en 1320. Il obtient le même nombre de sous avignonnais en 1355 sous la forme de florins de la Chambre (les deux monnaies d’or étant équivalentes, les deux monnaies d’argent assimilées), un salaire qui équivaut à un quart de plus en 1380 quand le florin caméral est compté à vingt-huit sous avignonnais. Sa puissance d’achat a donc progressé de six sous par florin, soit de 25 %. Il lui est compté désormais neuf cent quatre-vingt-dix sous par paye.
24Du côté de la Chambre et de l’administration, il n’y a pourtant aucune volonté d’augmenter les salaires en monnaie des officiers : c’est la simple adaptation aux monnaies d’or les plus répandues et les modifications des rapports de celles-ci à la monnaie locale qui expliquent le bonus conséquent dont profitent les curialistes du schisme. Ce bonus est-il réel ou les prix à la consommation augmentent-ils eux aussi d’un quart durant cette période ? Il est difficile de se prononcer. En conclusion, nous pouvons affirmer qu’il y a bien conformité entre l’échelle proposée par le liber distributionum et les sommes versées un demi-siècle après sa première rédaction : ce document peut donc servir de base à une étude des gages au début du schisme.
Évolution du rapport des rémunérations au sein de la cour clémentine
25Ayant établi que l’augmentation nominale des rémunérations reçues à titre de gages ordinaires ne provient pas d’une volonté consciente des administrateurs de la cour, il convient à présent de considérer un dernier élément : le rapport entre les différentes rémunérations a-t-il varié entre 1320 et 1378 ? A-t-on modifié certains salaires ? A-t-on favorisé, ou au contraire pénalisé certains collèges d’officiers ? Considérons le tableau général des gages :
26Dans la première colonne, on nomme l’officier ou le groupe d’officiers considéré. Le salaire affiché ici est toujours celui d’un seul individu, même quand le titre de la fonction est indiqué au pluriel.
27Dans les seconde et troisième colonnes, on indique les revenus, d’abord en tournois quotidiens, ensuite en sous par paye, faisant alors la distinction entre les renseignements obtenus par la lecture du liber distributionum, avec des sous viennois, et les informations tirées de nos dépouillements et datées du début du grand schisme, en sous avignonnais. Dans la quatrième colonne, pour finir, on trouve les variations en pourcentage des gages nominaux entre le liber et les documents consultés. Il faut alors considérer, pour les raisons que nous venons de détailler, qu’une augmentation nominale d’environ 25 % est la norme. Nous faisons apparaître en capitales les titres des officiers et collèges d’officiers qui échappent à cette norme. On a indiqué en italique les valeurs calculées sans preuve documentaire formelle : nous manquons par exemple d’informations fiables sur la rémunération du maréchal de la cour de justice, pour lequel les documents du schisme ne proposent jamais d’entrée simple établissant un rapport entre un versement pour gages et une période comptable explicite.
28Quatre groupes d’officiers voient à coup sûr leurs gages non revalorisés de 25 % : les sergents du maréchal (+32,1 %) et leur capitaine (+41 %), les damoiseaux et maître-huissiers du pape (+10,3 %). À ceux-ci, il convient probablement d’ajouter l’auditeur des contredites, cité en leur compagnie dans la première moitié du liber, mais absent de la seconde.
29On le constate, l’essentiel des modifications touche des membres laïcs de la cour, qu’ils soient en contact avec le pape ou que leurs responsabilités visent au maintien de l’ordre en curie. On peut penser qu’une telle focalisation réside dans la volonté d’harmoniser les échelles de gages entre les différents corps d’officiers chargés du lustre de la cour pontificale et de la sécurité du souverain pontife27. Les damoiseaux et les maître-huissiers verraient ainsi leur rémunération être alignée sur celle des écuyers, avec qui ils partagent une commune origine noble, tous désormais gagés à hauteur de sept cent soixante sous par paye. La gradation des collèges laïcs de la cour s’établit donc ainsi, suivant une progression logique, réservant les meilleures rémunérations aux plus proches collaborateurs du pape et aux groupes dont la densité de sang bleu est la plus importante :
30Si les gages ne forment qu’une partie des avantages matériels que sont en droit d’attendre les officiers pontificaux à la fin du xive siècle, leur aspect éminemment moderne, la régularité de leurs versements et la forme qu’ils prennent dans les documents qui nous sont parvenus expliquent la place centrale qu’ils occupent dans la réflexion historique. Ils offrent l’avantage supplémentaire de se prêter à des projections statistiques, à l’établissement de tableaux, de moyennes, de graphiques. Ils se donnent à comprendre et à appréhender de la façon attendue de rémunérations, c’est-à-dire chiffrée, quantifiable, analysable avec des outils comptables.
31Penchons-nous désormais sur d’autres formes de rémunérations, moins aisément saisissables, moins clairement compréhensibles, en commençant par les fournitures en nature que le pape offre à ceux qui le servent.
FOURNITURES REÇUES À TITRE DE RÉMUNÉRATION
32Nous avons réparti le matériel en cinq portions consacrées aux repas, aux fournitures de biens de consommation, aux vêtements et livrées, au logement et finalement à l’éclairage. L’ensemble des nécessités de base de la vie quotidienne médiévale se trouve ainsi couvert par la générosité du pape envers ceux qui le servent. Nous proposons ici une approche en deux temps, présentant d’abord ce que nous avons pu décrypter de l’activité de la cour, offrant ensuite une approche chiffrée pour chacune des fournitures reçues par les curialistes.
Repas gratuits
33Survivance d’un passé révolu, la possibilité de profiter de la table du pape est un privilège aussi soigneusement contrôlé que particulièrement recherché : outre l’avantage concret de se trouver défrayé des achats de vivres, elle offre en effet celui de côtoyer le pape et ses invités, d’être connu d’eux et d’espérer ainsi attirer leur attention et, pourquoi pas, leur patronage. À un niveau plus psychologique, la possibilité de prendre ses repas en présence du souverain pontife valorise ceux qui peuvent en profiter par le faste entourant cette cérémonie princière deux fois quotidienne28.
34Manifestement une question réglée par l’usage, les traces de ce privilège sont exceptionnelles dans la documentation que les siècles nous ont préservée : le « vivre » est rarement abordé. Pour le début du schisme, nous pouvons néanmoins nous appuyer, outre quelques mentions des livres de comptes de la caisse centrale29, sur un compte détaillé de la cuisine30 et sur un coutumier de la maison pontificale, rédigé en 1409 par François de Conzié à l’avantage et à la demande31 du pape de Pise Alexandre V. Ce document contient les seuls renseignements systématiques à ce propos : dans la description qu’il propose des responsabilités des différents membres de la maison du pape, le camérier précise en effet si l’officier considéré profite du « vivre » et d’un logement au palais32. Ce document, précieux entre tous pour son aspect synthétique, pose néanmoins quelques problèmes : rédigé par le camérier en faveur d’un pape extérieur, étranger aux us et coutumes de la cour avignonnaise, n’en déforme-t-il pas la réalité pour la faire correspondre à l’image que s’en fait le grand argentier ? Ce qui est certain, c’est la limitation des préoccupations de François de Conzié aux seuls officiers de la maison du pape, au détriment du reste de la cour : pas de scribes, pas de clercs de la Chambre dans son texte. Les traces comptables précédemment citées acquièrent de ce fait une très grande importance pour combler ce manque, même si elles sont forcément fragmentaires et peu systématiques.
35Il convient encore de relever le côté redondant d’un tel avantage quand il profite à des officiers par ailleurs gagés. On le sait, les gages proviennent de la traduction des vidandae, c’est-à-dire des rations alimentaires, en monnaie. De ce fait, recevoir des gages et profiter de la table du pape est en principe incompatible. Mais c’est sans compter sur le passage des décennies et sur les réalités du service : le droit de prendre ses repas aux frais et en compagnie du pape est bien souvent réservé aux serviteurs les plus assidus, aux officiers les plus fortement astreints à une présence constante au palais. De plus, les vidandae profitant non seulement à l’officier nommément destinataire, mais aussi à son propre personnel, quasiment indétectable dans les sources conservées (scribes et secrétaires personnels, domestiques, etc.), défrayer l’officier des repas de ces derniers demeure à l’ordre du jour des préoccupations de la Chambre, même si celui-ci profite par ailleurs de repas gratuits au palais.
36Quoi qu’il en soit de ce dernier argument, il apparaît que la question n’était pas inconnue des administrateurs avignonnais. Considérons à titre d’exemple le cas du barbier de Clément VII, Jacques de Montléry33. Homme modeste, apparemment content d’un bénéfice obtenu tardivement, Jacques ne reçoit pas de gages mais le vivre et un petit pécule, compté à deux sous et quatre deniers par jour (soit seulement 131 sous par paye), et exprimé comme étant alloué pro expensis, malgré un titre de sergent d’armes qui lui est attribué dès les débuts du pontificat. Ce titre lui permet probablement de profiter des distributions de livrées faites aux services de garde et d’honneur34 et lui confère le prestige requis pour figurer en bonne place dans les processions pontificales, de la façon dont le camérier le décrit dans son coutumier, portant la mitre et la valise rouge au devant du pape. Dans les dernières années du pontificat, Jacques profite pourtant d’une promotion : alors qu’il reçoit toujours ses modestes gages entre novembre 1390 et juin 139135, il perçoit dès le mois de juillet les revenus d’un sergent d’armes, faisant enfin correspondre titre et rémunération36. L’exitus concerné précise dûment qu’il s’agit d’un ordre exprès du pape37. Cette revalorisation des versements en monnaie s’accompagne de la suppression du vivre : dès lors, on ne trouve plus dans les exitus le concernant la mention ultra panem, jusque là systématique. Il semblerait donc que les administrateurs avignonnais n’avaient pas entièrement perdu de vue le lien entre gages et fourniture de nourriture.
37Essayons à présent de proposer une liste, aussi précise que possible, des officiers qui profitent du vivre. À la lecture du coutumier de François de Conzié, on constate que les officiers les plus présents sont ceux dont l’astreinte quotidienne au service du pape est particulièrement importante : chambriers non-prélats, maître de l’hôtel, médecin en titre, palefreniers, confesseur, membres et avant tout responsables des quatre services domestiques, barbier, etc. Les listes provenant des registres de comptes de la caisse centrale permettent de mettre la présentation camérale à l’épreuve des faits. C’est ainsi qu’en avril 1381, on paie diverses personnes qui comedere solebant in palatio38. On y trouve deux peintres, deux serviteurs de la paneterie, de la bouteillerie et de l’office de la vaisselle, le chapelain et le serviteur de l’office de la folraria, le clerc du maître de la cire, le clerc de l’acheteur de la cuisine, le sonneur, le balayeur des appartements du pape, le jardinier, trois serviteurs de l’office de l’eau, trois marmitons et le prisonnier retenu au palais et confié à la garde de Gérald Dujardin, courrier pontifical. Avons-nous là un tableau complet des « privilégiés » ? Probablement pas, puisqu’il manque une bonne partie des gens que nous pouvons citer sur la base du texte du camérier. Il n’en reste pas moins que la logique ressortant de ces épaves comptables est conforme à celle qui nait de l’analyse du coutumier : profitent du vivre ceux qui passent une part prépondérante de leur temps de travail au palais.
38Avant de conclure sur cette question, chiffrons la « tablée » couramment réunie autour du souverain pontife. En ne considérant que les gens en « interne » selon la liste précédente, on obtient un chiffre de vingt-deux, auquel nous ajoutons six chambriers, le confesseur, le maître de l’hôtel, le barbier, le tailleur39, l’aumônier, un médecin, six palefreniers, deux panetiers, deux bouteillers, le maître de la cuisine, le maîtres des écuries, six cuisiniers, peut-être le maître de la cire, celui de l’eau, le fourrier, le gardien de la vaisselle et son serviteur, le gardien des vivres, l’acheteur de la cuisine et leurs serviteurs – en tout une bonne quarantaine de personnes, ce qui amène le total « curial » à environ soixante couverts. Pour les invités extérieurs, nous ne possédons malheureusement d’informations que pour les premiers mois du pontificat, c’est-à-dire pour la période italienne que l’on ne peut considérer comme typique des pratiques du nouveau pape en la matière, tant sa position est alors instable. Par défaut, c’est pourtant là que nous prenons appui pour conclure cette question. Le 14 avril 1379, un jeudi, on reçoit les ambassadeurs des ducs de Berry et de Bourgogne, ainsi que ceux du seigneur de Milan, un vicomte « des galées » non identifié, le seigneur Mathieu de Humières, deux évêques en visite, ainsi que les gens de Gérard de Neufchâtel et quarante-six autres40. En tout une bonne soixantaine d’invités pour former des tablées qui dépassent la centaine de convives41. Connaît-on une telle affluence en Avignon après le retour de Clément VII sur les bords du Rhône ? Ce n’est pas exclu, mais l’absence de tout renseignement précis doit nous inciter à la prudence.
Biens de consommation
39En explorant la documentation conservée, on découvre, de façon plus ou moins disparate, des attributions dites de provisione, prévoyant la fourniture en quantités considérables de biens de consommation à certains membres de la cour : vin, céréales panifiables ou fourragères, bois de chauffe, légumes, lard, voire cordes, ustensiles de cuisine, etc. Contrairement à l’opinion de S. Weiss42, il nous apparaît qu’il ne s’agit pas là seulement d’exemptions de droits de douane, mais bien de dons, ou plutôt d’une forme de rémunération que le service du pape permet d’espérer. Un assez grand nombre de lettres de provisione sont rassemblées dans un unique volume de la série des Obligationes et Solutiones43. Ainsi Baudouin Duchêne, secrétaire du pape, profite-t-il le 15 septembre 1380 de vingt saumées de céréales, d’autant d’avoine, d’une saumée de légumes, de dix tonneaux de vin et de deux morceaux de lard44. Autre exemple : un groupe de vingt-quatre huissiers de la porte de fer qui reçoit le 10 août 1383 huit tonneaux de vin, dix saumées de céréales, cinq d’avoine et une de légumes, ainsi que deux cents saumées de bois à brûler45. Enfin, le cardinal Jean de Cros, évêque de Palestrina, est gratifié, le 13 août 1383, de trente tonneaux de vin bourguignon de qualité, de quatre-vingts tonneaux de vin courant, de deux cents saumées de céréales et de huit mille quintaux (soit presque quatre tonnes) de bois à brûler46.
40Ces trois exemples illustrent non seulement l’ampleur et la variété des largesses et de leurs destinataires : un membre de la maison pontificale, un collège d’officiers considéré dans son ensemble et un cardinal. Il apparaît donc passablement ardu de comprendre la logique sous-tendant ces dons. Pourquoi se voit-on conférer des provisions aux frais de la Chambre ? Quelle est la fréquence de ces dons ? Il est bien difficile de répondre à ces questions, et il nous faut pour l’heure nous contenter d’établir la liste des destinataires. Ceux-ci appartiennent principalement à trois catégories de personnes : d’abord les cardinaux, les plus visibles car les plus nombreux et les plus favorisés au niveau des quantités ; ensuite les membres de l’entourage du pape, chambriers en tête ; enfin les officiers des compagnies de garde et d’honneur. On a cité ci-dessus les huissiers de la porte de fer, mais on trouve aussi un groupe de quatre sergents d’armes et un maître-huissier47.
Livrées et fourrures
41Autre attribution : la fourniture de vêtements, qui représente encore 3 % des dépenses enregistrées sous Jean XXII48. Mais Clément VI, sous le pontificat duquel elle atteint des sommets, la supprime dans sa réalité en décidant de remplacer la fourniture de ces biens par une indemnité en monnaie qui s’ajoute aux gages49. Dès lors, il était communément admis50 que la fourniture réelle de livrées et vêtements avait entièrement disparu.
42La lecture attentive des sources comptables du schisme amène à nuancer cette reconstruction : si Clément VII ne remet pas fondamentalement en cause la décision de son prédécesseur, il accorde à un certain nombre d’officiers des livrées et des fourrures taillées pour eux aux frais de la Chambre apostolique, et non des sommes forfaitaires destinées à leur garde-robe.
43Outre des mentions comptables pas si rares dans les registres de la caisse centrale de l’Église, un document récapitulatif des liens entretenus entre la Chambre et le marchand lucquois Giovanni Caransoni, daté de la fin des années 1380, permet d’apprécier l’action des services administratifs de la papauté dans ce domaine. C’est ainsi que l’on trouve, au milieu des achats à vocation diplomatique (pour dons au duc de Berry, au ministre général de l’ordre des ermites de Saint-Augustin, au viguier d’Avignon, par exemple), des fournitures aux curialistes, du moins à certains de ceux qui servent en livrée. Le 24 octobre 1387, par exemple, on achète dix pièces de satin noir et gris pour les écuyers d’honneur et cinq pièces en faveur des maîtres-huissiers. Chaque pièce étant comptée à douze francs, la somme est conséquente : presque deux cents florins de la Chambre51. Le 10 mars 1388, on paie quarante-huit francs deux pièces de damas à l’intention du maître de l’hôtel. Trois jours plus tard, on note l’achat de divers tissus de prix pour la confection de vêtements en faveur du diacre et du sous-diacre52. Le 18 mars, c’est au tour du maréchal de la cour de se voir offrir une pièce de satin valant douze francs. En 1389, on note le 4 septembre un don de trois cannes de tissu rouge à Marc de Mari, le maître des bombardes ; le 15 novembre, du tissu (sans précision) pour dix florins et cinq gros à l’avantage de Jean de Nef, écuyer et maître de la maréchalerie. Les occurrences de dons à des curialistes ne sont donc pas rares, mais le manque de régularité, l’absence du motif du paiement dans l’énoncé des achats (contrairement à l’usage de la caisse centrale) et le fait que l’écrasante majorité de ceux-ci concerne soit des dons pour des alliés et grands personnages (les comtes de Genève et de Caserte, divers cardinaux, le seigneur Humbert de Villars, etc.), soit des achats de luxe (pour parer la chambre attribuée au roi de France, décorer les appartements du pape ou encore la chapelle), interdisent apparemment de considérer ces éléments comme autre chose que des dons irréguliers.
44Il semble pourtant qu’il faille renoncer à juger ainsi de cette question. La relative rareté des achats à destination des curialistes pourrait en effet fragiliser l’hypothèse qui verrait Clément VII fournir à nouveau des livrées et des fourrures aux gens de son entourage. Or il faut considérer ces éléments comme des indices d’une pratique en plein renouveau puisque le camérier lui-même, dans le coutumier de la maison pontificale, affirme l’existence de telles fournitures dans le cas des écuyers pontificaux : Item semel, vel bis in an-no, camera tamen abundante, debent eisdem vestes tempori congruentes, per dominum nostrum dari53.
45Tout bien pesé, il semble assuré que certains curialistes reçoivent, à partir de 1385 environ54, des livrées et des tissus. Qui ? Quand ? Selon quelles modalités ? Demeurent pourtant des questions auxquelles il est bien difficile de répondre dans l’état actuel de la recherche. Considérons, à titre d’illustration, le tableau suivant, qui note des dépenses enregistrées55 durant la douzième année du pontificat de Clément VII (1er novembre 1388 – 30 octobre 1389)56 :
46On constate que les collèges les plus favorisés des compagnies de garde et d’honneur profitent de l’essentiel des attributions de fourrures et de livrées, alors que les « petites mains » de la cour – serviteurs des offices domestiques, palefreniers – bénéficient pour leur part de la fourniture de vestes de travail. À l’analyse des coûts engendrés, les sommes laissent planer un doute : s’agit-il d’achats réels ou de la fourniture de sommes forfaitaires ? Il semble difficile de trancher, les deux modes de fonctionnement étant apparemment retenus, le montant forfaitaire dans le cas des serviteurs de la bouteillerie, par exemple, l’achat réel dans celui du serviteur du gardien de la vaisselle ou dans celui du barbier du pape. La question méritera assurément une enquête plus approfondie et plus large.
47Si l’on admet, toutefois, qu’une partie au moins de ces dépenses se solde par la fourniture réelle de vêtements, fourrures et livrées, il reste à en comprendre la raison. Qu’est-ce qui amène Clément VII (ou François de Conzié) à revenir sur la décision de Clément VI et à se préoccuper à nouveau de la fourniture de vêtements et fourrures ? Nous ne pouvons proposer que des hypothèses : les curialistes se seraient-ils montrés négligents dans le renouvellement de leur livrée, atteignant ainsi la dignité pontificale par des tenues inappropriées ? Clément VII a-t-il voulu, dans les temps de contestation maximale de la dignité pontificale qu’induisait le schisme, souligner l’unité de la cour en assumant à nouveau cette charge ? Etait-ce un moyen, autant psychologique que matériel, de renforcer la cohésion et l’image de la curie, en interne comme vis-à-vis des visiteurs ? Là encore, la question demeure ouverte.
Logement
48Le logement est un aspect complexe de la rémunération des curialistes, car il est nécessaire de le jauger sous deux angles différents au moins, du fait des traces documentaires à notre disposition : on peut, d’un côté, considérer les affirmations du Camérier dans le coutumier déjà cité, attribuant de droit à certains des membres de la maison pontificale une « chambre au palais » ; mais on doit aussi, de l’autre, faire une place aux dévolutions de logement – à Avignon et ailleurs, mais non au palais – telles qu’elles apparaissent dans les lettres de la Chancellerie. On retrouve la même difficulté méthodologique que plus haut lorsqu’il était question du droit d’être nourri aux frais du pape : concilier un document synthétique dont l’application pratique pose problème et des documents épars dont la réalité ne fait pas de doute mais qui rendent toute systématisation extrêmement difficile. À ceci s’ajoute l’absence de toute documentation concernant la location, aux frais de la Chambre, d’hospitia en faveur des curialistes, telle qu’elle existe pour les pontificats précédents le schisme57. Le croisement des regards permet néanmoins de considérer la question.
49Dans son coutumier, François de Conzié attribue une chambre in palatio apostolico aux membres suivants de la maison du pape : les chambriers non-prélats, l’un des référendaires, le maître de l’hôtel, le maître de l’eau (mais ni les panetiers, ni les bouteillers), le maître de la cire, celui de la folraria, les gardiens de la vaisselle et des vivres, l’acheteur de la cuisine, le confesseur et le principal médecin. Notons qu’il n’y a pas de rapport évident entre le fait de disposer d’une chambre au palais et celui de profiter du vivre, à l’image des balayeurs, par exemple, nourris mais non logés.
50L’analyse des lettres permet de compléter l’image ainsi obtenue en ajoutant ceux qui, sans être logés au palais, se voient gratifiés du don d’un logement58, le plus souvent intra muros. Pour le pontificat de Clément VII, nous avons retrouvé soixante-neuf occurrences de tels dons, concernant seulement cinquante-sept bénéficiaires, puisque dix d’entre eux sont favorisés à plus d’une reprise59. Ce groupe partage des caractéristiques communes qui permettent de préciser l’image ressortant de la liste de François de Conzié : ce sont des hommes d’armes, ou au moins des laïcs60, de sang noble61, bien documentés dans les sources administratives pontificales62 – ce qui atteste d’une présence soutenue à la cour – et originaires, soit de la région avignonnaise ou plus largement du sud-est de la France actuelle, soit de la région genevoise63.
51L’ensemble des éléments récoltés met hors de doute le fait que ces dévolutions ont un but pratique : ce n’est pas pour les honorer que l’administration accorde à ces hommes un lieu d’habitation à une portée de flèche du palais pontifical, c’est bien pour pouvoir disposer de leurs compétences. Ceux d’entre eux qui se trouvent profiter de plus d’un logement commencent d’ailleurs le plus souvent par un don situé en Avignon, avant de se voir gratifiés d’un autre pied-àterre en « banlieue », dans le Comtat ou au-delà.
52Incarnons ces éléments au travers de quelques exemples. Le premier est Gérald de Rollencourt, damoiseau du diocèse d’Amiens, qui cumule divers offices d’armes à la cour. Il partage en août 1380, avec deux collègues, une propriété confisquée pour adhésion à Urbain VI et reçoit, huit ans plus tard, un logement à Narbonne64 : d’abord un logement à la cour, puis un autre à l’extérieur d’Avignon. Le second est Pierre de Monthouz, tour à tour écuyer, sergent d’armes et huissier du pape, originaire des contrées du Genevois, qui se voit fournir un logement le 1er septembre 1379 dans la paroisse Saint-Didier et un autre avec jardin, quatre ans plus tard, près des murs de la cité65. Apparemment différent est le cas de Nicod de Hauteville, damoiseau du diocèse de Genève, un homme important à la cour clémentine, au sein de laquelle il assume des responsabilités militaires et territoriales. Il est ainsi capitaine de la ville d’Avignon et capitaine général du Comtat Venaissin à partir de 1379. Le premier logement reçu du pape durant la septième année est situé dans le diocèse de Cavaillon ; le second, dont l’assignation est datée du 8 janvier 139066, est située en Avignon même, dans la paroisse de Saint-Étienne. On peut penser qu’il s’agit là d’un logement de qualité puisqu’il appartenait à Pierre de Vernols, trésorier du pape. De façon atypique donc, mais parfaitement cohérente au vu de ses responsabilités territoriales dans le Comtat, Nicod reçoit d’abord un logement hors de la capitale pontificale avant d’y recevoir, cinq ans plus tard, un lieu de villégiature adapté à son rang.
Éclairage et cire
53Autre fourniture importante, car coûteuse et absolument nécessaire à un certain confort, celle de la cire est assez facile à retracer, non grâce aux comptes de la caisse centrale de l’Église, qui se contentent de relever de façon globale les dépenses consenties – quelque trois mille cinq cents florins annuels entre 1386 et 1394 – mais grâce à quelques comptes particuliers de l’office, correspondant à des récapitulations internes67. On y apprend ainsi que les appartements du pape sont pourvus, l’année durant, d’une torche quotidienne de trois livres de cire, que la grande chapelle profite de torches deux fois plus lourdes, ce qui n’est pas un luxe au vu de sa taille, etc.
54Ces épaves comptables contiennent aussi diverses listes portant le nom de ceux que l’office de la cire est amené à éclairer, listes qui se concentrent bien naturellement davantage sur les dépenses exceptionnelles dues à la présence de princes et de cardinaux – qu’il convient de noter dûment – que sur les avantages consentis en ce domaine aux curialistes. C’est ainsi que, pour le mois de mars 138668, on a fourni de la cire aux cardinaux Jean de Murol et Jean de Brogny, au comte Jean de Boulogne, à Nicolas le Diseur, protonotaire, à Georges de Marle, maître de l’hôtel, à Humbert de Villars, cousin du pape et futur comte de Genève, à Girard de Ternier, capitaine d’origine genevoise, à Nicod de Hauteville, alors viguier de l’Isle sur la Sorgue, à Antoine de Louvier, clerc de la Chambre, à Guillaume Bie, chambrier, à Bernard de la Côte, médecin, etc69.
55Parmi ces hommes, seuls le maître de l’hôtel et Guillaume Bie ont de droit, selon le coutumier, un logement au palais. À nouveau, comme c’est le cas pour le lien vivre-logement, il est difficile de percevoir la logique de ces attributions et les liens entre les deux éléments. Il demeure néanmoins possible, dans le cas de la cire, que les habitués du palais soient compris dans le « etc. », dans la mesure où le nombre de torches distribuées, entre cent quatre-vingts et deux cents par mois, excède largement le nombre de bénéficiaires nommément cités.
Valeur des fournitures reçues à titre de rémunération
56En guise de bilan, après l’énoncé des différentes fournitures auxquelles un office curial peut donner accès, il convient de tenter de chiffrer l’ensemble des avantages ainsi concédés par rapport aux gages payés par la Chambre apostolique.
1. Gages et repas gratuits
57Par définition, les gages sont versés à la place de la nourriture : ils remplacent la fourniture du vivre. Profiter de celle-ci en plus des gages représente donc un doublement de ces derniers. Un panetier, un cuisinier, à la fois gagés – tous deux à hauteur de quatre cent soixante et un sous par paye – et nourris, reçoivent ainsi deux fois leurs gages (+100 %).
2. Gages et provisions
58Il est bien difficile de chiffrer la valeur des biens reçus à titre de provisiones. Prenons en guise d’exemple le cas de deux huissiers, le second étant le neveu du premier, Robert et Jean de Bailh qui reçoivent en juillet 1380 et en juillet 1381 des biens de consommation de la part des services caméraux. Pour une fois, les clercs enregistrent quelques indications chiffrées, bien utiles à notre recherche.
59Le 4 juillet 1380, les deux huissiers sont les destinataires d’un achat de trois cents saumées de bois, à un sou et neuf deniers le quintal et à quatre quintaux la saumée. Le cadeau se monte ainsi à quelque deux mille cent sous, que l’on considérera comme annuels, dans la mesure où la fourniture suivante intervient une année plus tard, le 2 juillet 1381. Or, deux mille cent sous divisés par six donnent environ trois cent cinquante sous par paye, qu’il faut comparer avec les gages d’un maître-huissier, qui s’élèvent à sept cent soixante sous par paye.
60Le don de bois à brûler équivaut donc au quart de la rémunération en monnaie des deux huissiers considérés (+25 %).
61Il faut de plus noter que la fourniture de 1380 est plus modeste que celle de 1381, laquelle comprend, outre les trois cents saumeés de bois, dix saumeés de céréales, douze d’avoines, une de légumes et douze gros tonneaux de vin commun pour une valeur globale évidemment supérieure revenant presque à la moitié du montant versé à titre de gages (+50 %).
3. Gages et livrées
62Pour proposer une approximation de la valeur des vestes, fourrures et livrées reçues par les curialistes, nous reprenons le tableau précédemment considéré concernant les achats de la douzième année du pontificat de Clément VII70. Nous lui ajoutons trois colonnes : la première réduit la somme dépensée à titre de fourniture de vêtement en un nombre de sous ; la seconde rappelle le total des gages payés annuellement au curialiste bénéficiaire de la largesse enregistrée ; la dernière offre, en pourcentage, le rapport de celle-là à ceux-ci :
63Sans être une source prépondérante de revenus, le cadeau que représente de la fourrure pour une livrée ou une veste de travail n’est pas anecdotique : il s’apparente assez bien, en valeur, à un treizième salaire (correspondant à une augmentation de 8,3 % du salaire annuel). La fourniture d’une belle veste au barbier et des fourrures de livrées aux écuyers et écuyers d’honneur dépasse même assez largement ce cadre, dans la mesure où elle correspond à une augmentation respectivement de 12 et de 16 % de leur rémunération à titre de gages.
4. Gages et logement
64La valeur des logements est rarement fournie explicitement par les sources. Pour tenter de proposer quelques chiffres, nous sommes contraints de nous reposer sur des indications éparses provenant du dépouillement des registres de lettres de Chancellerie. Voici les quelques chiffres assurés que nous sommes en mesure de fournir : les brodeurs du pape payent leur maison mille cinq cents florins ; le logement qui échoit au pénitencier Étienne de Tegula est estimé à cent florins ; celui rendu à François François a été vendu lors du départ de Grégoire XI pour la somme de deux cent soixante-dix florins ; le pénitencier Guillaume Gothi achète le sien cent trente florins, et celui de Jean de Verbouz vaut au plus quarante florins. Ajoutons deux chiffres : le juriste de la seconde maison d’Anjou, Raymond Bernard Flameng, achète deux logements en Avignon pour mille cinq cents florins en avril 1382 (dans les dernières semaines de la préparation de l’expédition de son maître71), alors que la Chambre attribue à Gérald de la Roche un hospitium d’une valeur de trois cent quarante florins en déduction d’une dette de huit cent vingt-deux de ces pièces, contractée pour financer son service d’armes en Italie72.
65Il est malaisé de conclure sur la base de si disparates informations : quoi de commun entre la maison achetée par les brodeurs du pape pour mille cinq cents florins et le logement du chambrier Jean de Verbouz estimée à quelque quarante florins ? On se retrouve ici confronté au terme même d’hospitium qui recouvre une variété de biens immeubles très considérable. Il est de ce fait difficile d’estimer la valeur du cadeau reçu par les uns et par les autres. Gageons toutefois que le logement offert à Nicod de Hauteville se situe dans le haut de la fourchette des prix, par exemple !
5. Gages et éclairage
66Grâce à une mention du compte de la cire déjà cité73, on sait que le quintal de cire est compté aux environs de six florins courants (soit cent quarante-quatre sous) en mai 1385. La livre de cire équivaut donc à environ un sou et demi à ce moment. L’éclairage des appartements pontificaux revient ainsi à quatre sous et demi par jour, soit deux cent cinquante-deux sous par paye. Si on réduit ce chiffre pour tenir compte de ce que l’on pourrait nommer une « hiérarchie de la lumière », on pourrait tenter une somme de deux sous par jour (cent douze sous par paye) ou de trois sous par jour (cent soixante-huit sous par paye) pour les bénéficiaires de la cour, palefreniers, maîtres d’office ou écuyers, qui sont très probablement en position de profiter d’un tel avantage. Dans le tableau suivant, on a répertorié le pourcentage de la paye que représenterait un tel défraiement, selon que l’on retient l’une ou l’autre des hypothèses chiffrées :
67L’avantage, on le constate, est tout à fait considérable, même pour un écuyer qui fait partie des officiers les plus favorablement gagés.
6. Conclusion
68Les reconstructions chiffrées présentées dans les pages qui précèdent demeurent fragiles, il faut en convenir. Il nous semble toutefois qu’elles prouvent au minimum que les fournitures ne sont pas des appoints anecdotiques et, donc, que les gages ne constituent pas l’apport essentiel du niveau de vie d’un curialiste pontifical à la fin du xive siècle.
69Cela est d’autant plus vrai que d’autres sources de revenus s’ajoutent à celles que nous venons de considérer. Parmi elles, considérons à présent celle qui provient du contrôle d’un ou de plusieurs bénéfices ecclésiastiques, la plus considérable en valeur pour l’ensemble du personnel clérical du siège apostolique.
BÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES
70Forme normale de la rémunération des services cléricaux (aussi bien en Avignon qu’à Paris, Prague ou Naples), le bénéfice ecclésiastique offre à l’ » employeur » l’avantage de laisser son dépendant se payer, qui plus est sur des revenus qui n’émargent pas à son budget. Il est intéressant, dans ce contexte, de poser la question de l’intérêt du bénéficiaire lui-même : quel est l’avantage qu’il puise à profiter d’un revenu instable, partiellement garanti et lié à la fourniture – par un vicaire, certes – d’un service en sus de celui qu’il rend à son « employeur » direct ? A n’en pas douter, la valeur du revenu bénéficial est l’élément central de la satisfaction des clercs ainsi privilégiés, même s’il ne faut pas négliger un autre aspect qui n’est pas essentiel ici : le fait que la dévolution d’un bénéfice est en principe viagère. Ainsi, l’administrateur clérical se retrouve à l’abri d’un revers de fortune, d’une disgrâce ou des conséquences de la disparition de son bienfaiteur. Rappelons en effet qu’à la cour d’Avignon, certaines charges – chambriers, écuyers, chantres de la chapelle, par exemple – sont caduques et qu’elles cessent de facto lors du décès du pape. Il peut donc être rassurant pour les fidèles serviteurs de ce dernier de savoir leur train de vie n’être pas dépendant de la bonne volonté de celui qui succède à leur maître défunt.
71En toute logique, nous nous concentrons sur les montants que les clercs bénéficiés obtiennent ou espèrent obtenir des charges ecclésiastiques dont ils profitent. Pour des raisons de place et de problématique, nous négligeons ici complètement la question du cumul des charges et des nécessités de dispense qui lui sont accolées, ainsi que celle du système d’attribution des bénéfices, rendu passablement opaque à la fin du xive siècle par l’abus des expectatives.
72Les seuls répertoires systématiques de la valeur des bénéfices ecclésiastiques que nous avons sont ceux qui concernent les taxes des bénéfices supérieurs, évêchés et abbayes74. Pour le reste de la pyramide bénéficiale, les instruments de recherche manquent. Ce trou béant est peu à peu comblé, diocèse par diocèse, par les publications du groupe des Fasti Ecclesiae Gallicanae75, qui offrent des éléments d’estimation et des références pour les prébendes cathédrales. Mais qu’en est-il des églises paroissiales, des prieurés, réguliers et séculiers ? Le seul élément certain est l’extraordinaire diversité des situations : des évêchés eux-mêmes dont la taxe varie de trente-trois florins un tiers, pour les misérables diocèses d’Italie du Sud, par exemple, aux douze mille florins de Rouen, soit une variation de un à quatre cents, des prébendes cathédrales, même au sein d’un unique chapitre76 ; des paroisses elles-mêmes dont les revenus varient, dans le diocèse de Rouen, entre vingt et quarante livres tournois, voire davantage77.
73Quelle hiérarchie peut-on déduire de ces éléments disparates ? Comment estimer le revenu d’un curialiste une fois déterminés les bénéfices possédés ? Dans l’état de la recherche, il n’y a aucun moyen simple pour procéder. Le seul élément qu’il apparaisse souhaitable de préciser a priori est le fait que le revenu bénéficial apparaît considérable vis-à-vis des gages distribués à la cour, eux qui servent d’étalon de comparaison pour les différentes sources de revenus que nous considérons dans le présent article. Un évêché « moyen », taxé à hauteur de deux mille florins annuels78, correspond ainsi à des gages de plus de neuf mille trois cents sous par paye. La taxe de l’archidiacre de Ponthieu, du chapitre cathédral d’Amiens79, rapporte quelque cent soixante florins courants annuels, soit six cent quarante sous par paye – des gages supérieurs à ceux des maîtres d’office et proches de ceux d’un écuyer ou d’un maître-huissier. Une riche paroisse normande offre quant à elle à son heureux curé un peu moins de soixante florins courants annuels80, soit deux cent quarante sous par paye – les gages d’un notaire de la Chambre ou du gardien des vivres.
74Quelques documents isolés permettent d’approcher plus précisément la situation d’un curialiste à un moment donné de sa carrière, offrant du même coup à l’observateur un moyen d’estimer sans trop d’approximation les revenus que celui-là peut tirer du marché bénéficial. Nous n’avons pas cherché à illustrer le cas d’un « champion » du cumul, mais plutôt à traiter celui d’un curialiste de niveau intermédiaire, raisonnablement favorisé par le pape. Pour ce faire, nous nous intéresserons à un maître d’office domestique, le panetier Raymond Donadieu, au service de Clément VII entre 1378 et 139181, sur la base d’une lettre camérale de février 139282. Cette dernière, adressée au sous-collecteur Pierre Merle, responsable des diocèses d’Aix, de Sisteron et de Toulon, apure les comptes et récapitule l’évolution des paiements concernant les bénéfices de l’ancien panetier dans l’aire d’action du sous-collecteur. Elle est précieuse pour la précision des informations qu’elle offre à notre connaissance.
75Raymond y apparaît comme chanoine d’Aix et de Sisteron, recteur d’une église paroissiale et d’une prébende collégiale au diocèse d’Aix, et prieur d’un prieuré séculier au diocèse de Toulon. À cela, il convient très probablement d’ajouter une autre prébende cathédrale, à Marseille, obtenue par collation pontificale en 139183, mais dont l’absence est parfaitement explicable puisque le diocèse de Marseille ne fait pas partie de l’aire d’action de Pierre Merle. En regard de chacun des bénéfices cités, le camérier indique les sommes dues pour arrérages, c’est-à-dire pour impôts non payés. On trouve ainsi, par exemple, que le canonicat de Beaumont au diocèse d’Aix est grevé d’un restant d’annates de treize florins84 et un gros85 ; d’un reste de décime non payé remontant au pontificat d’Urbain V86 (d’une valeur de six livres tournois et deux sous) ; d’un autre reste de décime remontant au même pontificat pour seize sous ; de divers manquements de paiements concernant neuf décimes successives et demi pour vingt-huit livres, dix-neuf sous et six deniers, remontant probablement au pontificat de Grégoire XI ; finalement de nouveaux vacants pour trente livres tournois et dix sous. Il est en outre précisé de façon explicite la valeur de la décime pour ce bénéfice : soixante et un sous87 ; il n’est par contre pas proposé de total pour la simple raison qu’à l’issue de l’énumération, le camérier ordonne que l’ensemble soit effacé des tabelles et que Raymond puisse profiter sans impôt aucun de l’ensemble des bénéfices reçus du pape.
76L’énumération elle-même est éclairante en ce qui concerne le fonctionnement administratif de la Chambre : on ne s’expliquerait pas ce passage dans l’énumération, des vacants à la décime et à nouveau aux vacants si on n’admet pas que le camérier adopte un ordre chronologique et qu’il dispose donc d’une fiche récapitulative concernant le bénéfice considéré. La précision et la masse de documentation comptable disponible ne peuvent qu’impressionner.
77Sous forme de tableau, retenons quelques éléments chiffrés pour chacun des bénéfices dont profite l’ancien panetier, de façon à pouvoir estimer leur rendement annuel :
78Pour compléter l’enquête, il faut ajouter la valeur du canonicat qu’il possède à la cathédrale de Marseille, absent de la lettre que nous utilisons ici. Ce dernier exercice n’est pas évident, puisqu’on ne peut pas se baser sur la valeur de la taxe due par l’évêque pour déterminer une hiérarchie relative des revenus des chapitres cathédraux : le canonicat de Sisteron, siège épiscopal taxé huit cents florins, rapporte nettement plus à Raymond que celui d’Aix, siège épiscopal pourtant estimé à mille deux cents florins (cf. tableau précédent : deux cent huit sous contre cent soixante-deux). Pour ne pas risquer de gonfler artificiellement les revenus de l’ancien maître de la paneterie, nous compterons pour le canonicat marseillais90 une décime à cent soixante-deux sous avignonnais, soit la valeur de la moins rémunératrice des prébendes cathédrales attestées. Ajoutés aux neuf mille cent sous obtenus dans le tableau ci-dessus, ces mille six cent vingt sous permettent d’arrondir le revenu de Raymond à quelque dix mille sept cent vingt sous annuels91, soit près de quatre fois le revenu de ses gages lorsqu’il œuvrait au service de Clément VII92.
79Est-ce là une confortable pension de néo-retraité ? N’est-ce pas plutôt une approximation de la valeur réelle de sa rémunération de maître d’office, comptant en plus des gages les autres avantages consentis ? Il est malheureusement impossible de répondre pour l’heure à cette question : il faudrait pour cela collecter de nombreux autres exemples. Ajoutons toutefois que le revenu des bénéfices concédés n’est pas le seul avantage du curialiste qu’est Donadieu : le pape lui remet en effet l’ensemble des arrérages dus, lui garantissant de pouvoir confortablement profiter des revenus ainsi dévolus. La somme est considérable : non moins de mille florins courants, soit le revenu cumulé de quatre années ! Les membres de la cour pontificale sont ainsi des clercs qui, non contents de cumuler et de profiter d’un droit de préséance pour l’accès aux expectatives, non contents de se voir remettre les frais administratifs de réalisation des lettres de chancellerie93, échappent en plus à l’impôt et à sa plus redoutable forme, les arrérages. La plus-value de l’ensemble de ces avantages vis-à-vis du revenu « normal » des charges ecclésiastiques administrées est tout à fait remarquable.
80Fidèle à notre approche, nous nous contentons de cet exemple pour aborder la vaste question de la rémunération des curialistes clercs par la dévolution de charges ecclésiastiques. Nous voudrions néanmoins appeler à des recherches plus poussées et plus systématiques, de façon à parvenir à trancher avec plus de précision la question du niveau de vie des clercs médiévaux sur la base des bénéfices dont ils parviennent à s’assurer l’administration. Il convient toutefois d’ajouter au panorama esquissé quelques dernières sources de revenus.
AUTRES REVENUS DES CURIALISTES CLÉMENTINS
81Après avoir traité des « revenus systématisables » dont le niveau de vie des curialistes dépend, penchons-nous à présent sur les autres sources possibles de rémunération, sans prétendre les chiffrer. Certaines drainent des sommes encore considérables. Il s’agit ici d’illustrer la variété et de proposer, quand c’est possible, quelques chiffres. C’est pourquoi nous procéderons en dressant une liste :
- Pendant laïc au cumul des bénéfices ecclésiastiques, il faut retenir l’importance du cumul des charges laïques : il permet à certains curialistes – selon des modalités qu’il conviendrait de préciser, et c’est peu de le dire – de servir plusieurs maîtres et d’en retirer des avantages concrets.
- Les cadeaux ponctuels échappent à l’évidence à l’analyse, mais la fréquentation des puissants augmente pour chaque membre de la cour la probabilité d’en profiter.
- Certains dons traditionnels, héritages de la cour patriarcale, continuent à apparaître dans les documents comptables du schisme.
- Apports modestes au niveau de vie des curialistes, ils n’en méritent pas moins d’être cités ici, qu’il s’agisse des porcs et des lapins dont profitent les cardinaux à chaque anniversaire du pontificat94, des poules offertes aux scribes au même moment95 ou encore du lit offert à chacun des chambriers non-prélats au moment de leur entrée en fonction quoique dans ce dernier cas l’apport soit bien plus considérable, atteignant les quarante florins de la Chambre96.
- La cour prend en outre soin de ses officiers, dans les accidents et les joies de leurs vies, d’une manière qui anticipe, si on aime la provocation, les prestations d’un État-Providence moderne. C’est ainsi qu’on attribue avec régularité aux officiers malades de petites sommes pour faire face aux frais qu’implique leur état97, ou que l’on offre mensuellement, durant plusieurs années, quelques florins à un sergent d’armes aveugle pour ses dépenses quotidiennes98. De même, on a connaissance d’une « assurance vieillesse » officielle, qui dépasse le devoir de charité et concerne l’ensemble des palefreniers99. D’autres actions sont ponctuellement connues : prime pour mariage ; paiement des frais engagés en faveur d’un chirurgien pour une blessure encourue au service du souverain pontife, dans la cuisine commune ; compensations pour les mutilations subies par les courageux défenseurs du château Saint-Ange de Rome100. Cet ensemble d’action est payé en monnaie sonnante et trébuchante, et non en action caritative : on fournit bel et bien au sergent d’armes aveugle de quoi subvenir à ses besoins, on ne l’invite pas à partager la table du pape.
- Après avoir tenté d’aborder l’ensemble des rémunérations directes, il convient au moins de citer les rémunérations indirectes, soit les charges auxquelles les curialistes ne sont pas soumis. S’inscrivant comme des dépenses en moins, elles font partie des avantages du service pontifical. Nous nous contentons de quelques exemples. L’ensemble de la cour est exempté de la gabelle du sel et du vin101, des péages qui renchérissent les déplacements (dans le Comtat ou aux portes d’Avignon102), de la taxe foncière qui grève en principe les propriétés dans la capitale pontificale103, mais aussi des frais liés à la réalisation des lettres gracieuses, qu’il s’agisse d’accès aux bénéfices ou de grâces personnelles (dispenses, absolutions, avantages spéciaux, etc.)104.
- Autre type de revenu indirect, s’inscrivant cette fois-ci en recette dans les comptes personnels des officiers, mais ne découlant pas directement de la bienveillance du pontife : les produits provenant de l’activité officielle au service de la cour. Pour l’illustrer, nous avons retenu trois exemples issus de trois niveaux hiérarchiques significativement différents.
82On ne rechigne pas à ce genre de gain dans les très hautes sphères de l’administration : le cardinal grand pénitencier lui-même reçoit en effet quelques sous pour chacune des lettres que la Pénitencerie produit à la demande des nombreux impétrants qui se pressent devant elle. C’est ainsi que ce prince de l’Église reçoit un à deux gros105 par supplique enregistrée, si cette dernière est taxée au moins à douze gros. De plus, il perçoit des scribes douze tournois106 par cent lettres envoyées à titre de paiement pour la mise à disposition de son sceau et, finalement, trois florins lors de la nomination de chaque nouveau procureur107. Le grand pénitencier est ainsi, pour cette part de son activité, un officier payé à la tâche, là où le vice-chancelier est un officier gagé.
83Lorsque la papauté admet des prélats à la consécration, elle n’est pas la seule à en profiter – sous la forme d’une promesse de paiement, voire d’un premier versement, des communs services – nombre d’officiers sont eux aussi bénéficiaires de la décision : la moitié des sommes versées par les nouveaux évêques et abbés va en effet aux sergents d’armes, présents pour donner faste et sécurité à la cérémonie, l’autre moitié étant répartie en trois parts égales qui profitent pour un tiers aux clercs de la Chambre et pour deux tiers au camérier. Nous n’avons malheureusement pas trouvé trace des montants que nécessitent de telles cérémonies, mais nous ne doutons pas qu’ils soient assez élevés.
84La conservation d’une note de frais pour l’établissement d’une lettre de dévolution bénéficiale donne à connaître le coût de cette dernière pour celui qui l’a obtenue du pape108. Réduites en sous, voici les sommes nécessaires pour s’assurer l’envoi de la précieuse missive : deux cent quarante sous pour la minute, trois cents pour la grosse, cinquante-huit pour la réécriture, dix pour le parchemin, quatre cent cinquante pour la bulle, trois cents pour l’enregistrement, cent vingt de droit d’enregistrement, qui font 1.378 sous pour l’objet-bulle, sans qu’il soit possible de connaître quelle part de ce total est une surtaxe payant le travail des officiers, et quelle part est une simple compensation des ressources physiques impliquées dans la réalisation du document. Il n’y a par contre, pas de doute que les soixante sous comptabilisés en sus pour l’achat de vin en faveur des clercs, abréviateurs et grossateurs, ni que les trente sous pour le bouteiller soient destinés à arroser les officiers eux-mêmes. Ces quatre-vingt-dix sous ne représentent en effet que six pour cent du total, mais la somme doit être multipliée par la production annuelle des services de plume de la papauté – estimée à plusieurs dizaines de milliers de missives par an. L’incidence économique d’une telle somme ne saurait être négligée par l’historien et ne l’était assurément pas par ses bénéficiaires directs.
85À ces trois exemples, on pourrait rattacher ceux des officiers qui demeurent partiellement à leur compte, comme les notaires, et qui, à n’en pas douter, augmentent leur clientèle grâce à leur activité à la cour : qui hésiterait à se rendre aux compétences d’un homme qui a convaincu le pape de sa qualité ?
86– Achevons notre tour d’horizon par des avantages impossibles à estimer, mais qui comptent assurément dans la satisfaction des officiers et l’aura de leur activité, c’est-à-dire les récompenses de nature non matérielle : prestige du service pontifical, facilités pour l’obtention de grâces spirituelles, capacité de patronage permettant à des proches de pénétrer à leur tour dans l’orbite des puissants princes de l’Église, par exemple.
LES CURIALISTES SONT-ILS RICHES ?
87La longue énumération à laquelle nous nous sommes livré illustre le fait que les rémunérations médiévales sont protéiformes et qu’elles ne se limitent pas à un salaire. Nous souhaitons être parvenu à emporter l’adhésion et à persuader l’historien de la cour pontificale de la nécessité de prendre en compte l’ensemble des revenus pour estimer la richesse relative d’un officier pontifical à la fin du Moyen Âge.
88Avant de conclure, une autre approche semble féconde pour rendre compte des moyens d’un officier clémentin au début du grand schisme : ce que l’on pourrait nommer les signes extérieurs de richesse. Cet angle de vue permet de souligner que les liens financiers ne sont pas à sens unique et que les flux monétaires qui lient officiers et administration sont plus complexes qu’ils peuvent le sembler de prime abord. Trois approches seront nos guides, reposant presque exclusivement sur les informations des registres comptables de la caisse centrale de l’Église. Chemin faisant, comparant les sommes mises en branle par les membres de la cour et les gages qui sont les leurs, on ne pourra que se persuader de l’importance numérique des sources de revenus qui ont fait l’objet des pages précédentes.
Prêts consentis à la Chambre
89Les registres de recettes ne manquent pas de mettre en évidence le rôle de créanciers que jouent les officiers de la cour vis-à-vis d’une caisse toujours en manque de liquidités. Si les grands responsables, camérier en tête, mais aussi cardinaux, soutiennent de leur fortune personnelle les fragiles finances de leur pape, les officiers plus modestes sont loin de se montrer des « fils » ingrats, comme les chiffres suivants le prouvent. Notons que la précision des inscriptions comptables et la variété des montants enregistrés assurent sans doute possible la réalité des paiements, tout autant que leur aspect « volontaire ».
90Dans le tableau qui suit, on a indiqué l’officier prêteur, son office curial au moment du prêt, la somme prêtée, le montant annuel de ses gages (chiffres tous deux réduits en sous avignonnais) et le nombre de mois de salaire que représente le prêt concerné (indiqué comme « quotient en mois » dans le tableau qui suit). Il faut encore ajouter que les demandes de créance demeurent soutenues et que le même officier est appelé à participer aux difficultés de trésorerie de la Chambre plusieurs fois par an. Là encore, pour des raisons de place et de temps de mise en œuvre, nous renonçons à toute prétention de nature statistique au profit de ces quelques illustrations qui ont été choisies, pour leur représentativité vis-à-vis du phénomène considéré109.
91Le mois de mars 1382 présente toutefois une originalité qu’il est nécessaire de souligner d’emblée : il précède de peu le départ de l’expédition emmenée en Italie par le duc d’Anjou dans le but d’assurer à Clément VII le trône pontifical et de chasser Charles de Duras de Naples. Le pape avignonnais a donc, à ce moment, cruellement besoin d’argent frais : l’abondance de dons et de prêts répond à point nommé à la « fringale » de la trésorerie.
92Les officiers considérés font ainsi des dons qui correspondent en moyenne, d’après les résultats du tableau précédent, à seize mois de leurs gages. Il serait difficilement admissible qu’ils puissent se montrer aussi généreux si ces derniers constituaient leur seul revenu. On pourrait bien sûr arguer du fait que certains d’entre eux, provenant de riches familles, puissent puiser dans les coffres paternels ou maternels afin de contenter leur maître, le pape. Ce n’est évidemment pas exclu dans certains cas, mais il nous semble très artificiel de penser que cette hypothèse permette de résoudre la question : la multitude des sources de rémunérations, la nécessité de faire corps avec le pape, en particulier dans la situation extrême du schisme, nous apparaissent une meilleure explication.
Paiement retardé des gages
93Toujours à cours de numéraire – on vient d’en voir une des conséquences dans les appels de crédit qu’elle adresse à ses dépendants –, la Chambre multiplie les mesures dilatoires en ce qui concerne le paiement des gages. Si elle finit toujours par verser ce qu’elle doit, elle paye tard… parfois même très tard !
94C’est ainsi qu’Étienne de Miremont, lieutenant du maréchal de la cour de justice, reçoit le 3 décembre 1384 la bagatelle de sept cent vingt-deux florins de la Chambre110, soit au moins sept mois de gages, s’ils sont équivalents à ceux du maréchal lui-même, ce qui est très improbable puisque c’est pour économiser sur les gages que la cour clémentine multiplie les lieutenances et les remplacements de longue durée111. Pour sa part, Alric Clusellus, le maître de la folraria, perçoit en janvier 1393 une somme de cent quatre florins112, soit presque deux ans de gages ordinaires.
95On pourrait aisément multiplier les exemples mais, à moins d’imaginer un complexe système de crédits bancaires à la consommation, régulièrement contractés par l’essentiel des officiers gagés de la cour, on doit bien admettre que ces gens ne comptaient pas sur leurs gages pour survivre ! De plus, il ne faut pas négliger le fait que de nombreux paiements en retard ne sont pas honorés en monnaie comme ce fut le cas des deux exemples que nous venons de considérer. La Chambre use souvent d’expédients, assignant bien souvent les sommes dues sur les recettes des collecteurs ou sur la levée d’un impôt récemment ordonné, et laissant du même coup le curialiste lésé se faire justice lui-même sur les contribuables réticents d’Avignon. Pire encore, le pape décide parfois de payer les curialistes avec de bonnes paroles, leur remettant généreusement certains impôts, sur leurs bénéfices par exemple, impôts que ces derniers n’avaient probablement pas l’intention de payer à ce moment précis, ou qu’ils espéraient bien ne jamais devoir régler, profitant de leur position privilégiée, au cœur de l’Église. La question des flux de numéraires au sein même de l’administration avignonnaise et de leurs traces documentaires mérite aussi un détour auquel nous sacrifierons en conclusion.
Capacité financière avérée
96En plus des prêts faits à la Chambre dont il a précédemment été fait mention, les curialistes ont laissé diverses traces de leur capacité financière. C’est le troisième volet, et le dernier, de ce rapide survol du niveau de vie des membres de la cour de Clément VII. Ces traces sont bien souvent peu précises et difficiles à interpréter. Heureusement, le hasard nous a conservé un certain nombre de documents exploitables, et parmi ceux-ci quelques testaments113.
97En ce qui concerne le pontificat de Clément VII, Antoine Garnier, notaire avignonnais, acte le 28 janvier 1387 en faveur de Mermet Sengle (ou Cingas), laïc d’un diocèse inconnu qui pourrait bien être Genève. Le document, assez bien détaillé, donne connaissance de la fortune d’un curialiste ordinaire et ouvre ainsi une fenêtre pour répondre enfin à la question : les curialistes sont-ils riches ?
98Un petit détour méthodologique avant d’aborder le contenu de ce document. Il est bien entendu possible que l’ensemble des biens que possède l’huissier au moment de son trépas lui proviennent d’héritages, de legs, de dons divers sans lien direct avec le service du pape, mais au contraire dus à la richesse de sa famille de sang et aux alliances de ses parents. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’Église n’est pas une assemblée de nobles de haut rang ou de princes temporels, et nombreux sont les curialistes, des échelons les plus humbles aux plus élevés (pensons à Jean de Brogny, cardinal de 1385 à 1421, fils d’un pauvre chevalier du diocèse de Genève114) qui doivent l’essentiel de leur position sociale – et pour ce qui nous concerne de leurs ressources – au pape régnant. Le fait de considérer ici le cas d’un laïc ne nous empêche pas d’ajouter que la règle est encore plus vraie pour les clercs, eux qui ont plus de difficultés à aller chercher en dehors du service ecclésial des patrons en mesure de les enrichir115.
99Le testament de Mermet Sengle est un document assez classique dans sa forme et dans la piété qu’il exprime116. Il est intéressant dans la mesure où il n’est pas trop ardu à chiffrer. L’huissier prévoit quatre livres de cire pour ses funérailles, un anniversaire, assis sur un capital de trente florins courants, pour le salut de son âme, remet à ses héritiers une maison à Avignon d’une valeur qui excède trois cents florins courants, une somme de dix florins courants en faveur de son frère, et des biens immobiliers sans précision de valeur à partager en trois parts. Il reconnaît de plus cinq créanciers pour des valeurs de quatre-vingt-quatre florins courants117 et un sixième sans précision de valeur. Résumons cela dans le tableau suivant :
100Comment estimer la valeur des « divers biens immeubles » de Mermet Sengle ? La seule méthode qui nous paraisse possible est de nous appuyer sur l’article cité de J. Favier : il se préoccupe d’un sous-collecteur qui n’a que des dettes à léguer à ses héritiers. En pratiquant la liquidation de ses actifs, la Chambre obtient quatre cent vingt et une livres tournois, soit près de six cents florins courants118. Il semble assez peu probable qu’un homme comme Mermet Sengle, heureux propriétaire d’une maison d’une valeur de plus de trois cents florins à Avignon, possède des biens pour une valeur inférieure à ce chiffre. On compte donc six cents florins courants pour les « divers biens immobiliers », ce qui amène le total de la fortune de Mermet Sengle aux environs des neuf cents florins courants.
101Comparons cette somme – qui nous apparaît comme étant le minimum possible des biens de l’huissier pontifical – avec le revenu de ses gages durant les dix années de son service curial :
102Si l’on compare les biens recensés dans le testament du curialiste et la somme des gages qu’il a perçus, il faudrait ainsi admettre qu’il s’est trouvé en mesure de thésauriser les trois quarts de son revenu pour parvenir à sa relative aisance de 1387. On conviendra que la proposition est peu crédible.
103À l’issue du présent travail, nous devons conclure par un constat marqué d’insuffisance : insuffisance d’études, d’outils chiffrés, de répertoires systématiques. Les quelques pages qui précèdent ne veulent être qu’une borne visant à soulever les différentes questions qui méritent l’attention des chercheurs. Nous proposons en guise de conclusion deux mises en garde méthodologiques, en complément de cet appel à recherches.
104S’il est assuré que nous ne pouvons plus nous laisser obséder par les gages ordinaires quand il s’agit de traiter de la rémunération des curialistes avignonnais, il reste à préciser le répertoire des différentes ressources à leur disposition – et, si possible, à le chiffrer –, que ces dernières renvoient à l’administration pontificale elle-même ou aux nombreux autres maîtres que servent les curialistes. Pour ce faire, il est important de bien comprendre la complexe structure comptable médiévale119. Il apparaît en effet peu prudent d’additionner sans autre précaution les différentes formes de rémunérations passées en revue dans les pages qui précèdent. En effet, il est certain que plusieurs d’entre elles compensent, partiellement ou totalement, les défauts de paiement de gages d’un organe financier presque toujours en manque de liquidités. Il est ainsi précisé, à la fin de la lettre de remise d’impôts de Raymond Donadieu120, l’ancien panetier, que le pape lui montre cette générosité comme remerciement de son fidèle service, mais aussi en guise de rattrapage sur des gages non encore payés par la trésorerie. Ce ne sera donc que grâce à une soigneuse reconstruction des sommes perçues, une sorte de « prosopographie des salaires », que l’on progressera sur cette question, une nécessité aussi ardue que contraignante à cause de la fragilité des supports documentaires et de leur éclatement.
105Les sources annexes de revenu doivent aussi être précisées pour elles-mêmes, en dehors de toute problématique, grâce à l’établissement de répertoires ambitieux et aussi complets que possible : échelle des prix à la consommation pour les légumes, le vin courant, etc. ; tabelle des revenus bénéficiaux (à défaut de comptes permettant de connaître le revenu réel moyen de chacun, l’établissement d’une liste de taxes serait le minimum souhaitable), par exemple. Le chantier est considérable et la nécessité d’y travailler, indiscutable si l’on veut parvenir à comprendre et à décrire la rémunération des officiers à la fin du Moyen Âge, à la cour du pape comme ailleurs.
Notes de bas de page
1 Pour de plus amples développements, cf. P. Genequand, Carrières immobiles à la cour de Clément VII d’Avignon (1378-1394), dans A. Jamme et O. Poncet (dir.), Offices et Papauté (xive-xviie siècle) : charges, hommes, destins, Rome, 2005 (Collection de l’École française de Rome, 334), p. 761-782 et les pages consacrées à la question dans ma thèse, encore inédite (L’organisation et la politique de la cour pontificale d’Avignon sous Clément VII (1378-1394), d’après les documents comptables et les lettres, Genève, 2003, p. 516-534).
2 A la lumière des recherches entreprises, dont celle de A.-M. Hayez dans le présent volume, il apparaît que les vadia ordinaria sont une transcription monétaire des rations de nourriture fournies à ses serviteurs par la cour pontificale avant les réformes du début du xive siècle. Ces rations, les vidandae, permettaient d’assurer la nourriture de l’officier destinataire, mais aussi celle de l’entourage proche que l’administration lui reconnaissait comme légitime pour assumer ses tâches. C’est ainsi qu’un maître d’office se voit gager à un niveau supérieur à celui d’un palefrenier, non parce que la qualité de la nourriture de celui-là excède de beaucoup celle de celui-ci, mais parce que la somme nourrit davantage de bouches.
3 Il semble dès l’abord légitime de se demander si une telle systématisation est vraisemblable dans le contexte de la cour pontificale à l’orée du grand schisme d’Occident : quid si le montant et la forme des rémunérations étaient dus au hasard, ou plutôt à l’usage des pouvoirs discrétionnaires du pape, des cardinaux et des principaux chefs de l’administration ? Quid si les rémunérations ne répondaient à aucune logique « moderne », étant distribuées exclusivement en tant que faveurs personnelles et non en tant que rouages d’un système global de gratification ? Dans ce cas, nos efforts seraient voués à l’échec. Ce n’est pas impossible, mais nous pensons que le niveau d’évolution administrative de la cour pontificale, décrite comme l’un des premiers systèmes modernes de gouvernement, autorise à penser que la question de la rémunération des serviteurs pontificaux répond, sinon à des tabelles de répartition parfaitement ordonnées, du moins à une logique globale plus ou moins organisée qui permet de régler par voie administrative une partie des procédures utiles. Il demeure par contre certain, et nous le verrons à de multiples reprises, que la grâce des puissants et la faveur personnelle jouent un rôle important dans le niveau de gratification des uns et des autres.
4 F. Autrand, Le duc de Berry, un maître qui paye bien ?, dans Les niveaux de vie au Moyen Âge, Louvain, 1999, p. 39.
5 A chaque fois que des chiffres sont proposés sans être parfaitement assurés, il sera précisé la manière dont ils ont été obtenus.
6 Nous ne revenons pas ici sur les questions nombreuses et complexes que pose l’analyse du budget pontifical, nous permettant de renvoyer à l’article que nous avons consacré à la question et à sa bibliographie (P. Genequand, Les recettes et les dépenses de la caisse centrale de la papauté d’Avignon sous Clément VII (1378-1394). Édition des résultats comptables et analyses, dans Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, 114, 2002, p. 391-524, plus particulièrement p. 457-481).
7 Le document est conservé aux archives vaticanes sous la cote ASV, Camera Apostolica, Collectoriae 376 (cf. aussi J. de Loye, Les archives de la Chambre apostolique au xive siècle, 1899, p. 160). Désormais, on omet la mention aux archives vaticanes puisque c’est de là que provient l’ensemble de la documentation de cet article. C’est l’occasion pour nous de marquer notre très sincère reconnaissance envers les autorités et le personnel des archives vaticanes, qui nous ont toujours accueillis avec compétence et bienveillance.
8 B. Guillemain, La cour pontificale d’Avignon (1309-1376), Paris, 1962,p. 489. Voir aussi les mentions marginales du Liber officialium (Collect. 457) indiquant les départs et les retours des membres de ces groupes d’officiers. Il est par exemple indiqué au folio 4r que Jean de Rœria, un écuyer honoraire, quitte la cour le 28 juin et y retourne le 27 septembre 1372. Il n’est alors plus considéré comme actif du point de vue des gages ordinaires et se voit privé du montant correspondant à ses jours d’absence (en l’espèce, une paye et demie), émargeant durant cette période à la rubrique des Divers (nous traduisons ainsi le extraordinaria des livres de comptes, puisque ce dossier de dépenses compte souvent plus de la moitié du total des débours).
9 Nous la datons, quant à nous, du pontificat d’Urbain V (P. Genequand, L’organisation… cit., p. 556).
10 Collect. 376, fol. 12v.
11 Le 4 avril 1392, fuerunt soluti Rodeto Vigueti, secretario et nomine domini Georgii de Marlio senescalli provincie existenti tunc et nunc in servicio regis Ludovici Secundi Neapoli videlicet in deductionem certe pensionis quam ipse dominus noster papa dicto senescallo singulis annis dari vult videlicet in certis marchis argenti fini pro faciendo carlinos, suivent les indications de change (Intr. et Ex. 369, fol. 120v).
12 Collect. 376, fol. 12v.
13 On a abrégé les monnaies de façon usuelle (fl. = florin ; £. = livre ; s. = sou ; d. = denier ; o. = obole).
14 Collect. 376, fol. 23r.
15 Intr. et Ex. 353, fol. 52v.
16 Collect. 376, fol. 10r. Dans l’édition de K. H. Schäfer (Die Ausgaben der apostolischen Kammer unter Johann XXII, nebst den Jahrenbilanzen von 1316-1376, Padeborn, 1911, p. 550), on trouve l’étonnante attribution de neuf gros pour les jours gras, mais de seulement sept pour les jours maigres. Probablement une erreur, du scribe ou de l’éditeur.
17 Intr. et Ex. 350, fol. 62r.
18 Soit la nouvelle valeur de 990 sous par paye (Intr. et Ex. 352, fol. 41r).
19 Ces équivalences de change sont fournies par le liber lui-même (Collect. 376, fol. 12v).
20 K. H. Schäfer, Die Ausgaben… cit., p. 47* et s.
21 Ibid., p. 73*-74* et 128*-129* pour, respectivement, les monnaies d’argent avignonnaises et viennoises.
22 M. Bompaire, F. Dumas, Numismatique médiévale : monnaies et documents d’origine française, Turnhout, 2000 (Atelier du médiéviste, 7), p. 615-623.
23 Ibidem, p. 629-631.
24 K.-H. Schäfer, Die Ausgaben… cit., p. 58*-59*.
25 P. Genequand, Les recettes… cit., p. 441.
26 Une première revalorisation prend place entre les deux rédactions du liber.
27 L’affirmation paraît étrange : comment justifier une telle préoccupation dans un Moyen Âge finissant ? Bien qu’elle ne soit pas exprimée ainsi, elle peut être lue de cette façon en filigrane dans certaines des explications fournies par les scribes, lorsqu’ils détaillent les paiements effectués en faveur des différents officiers des cuisines (P. Genequand, L’organisation… cit., p. 292-315).
28 Le coutumier de la maison pontificale, rédigé par le camérier pour Alexandre V en 1409 et dont nous dirons davantage infra, souligne à l’envi l’importance des repas auxquels sont consacrés de nombreux paragraphes, à propos des activités du maître de l’hôtel, des responsables des offices domestiques ou des compagnies de garde et d’honneur, par exemple (voir l’édition qu’en donne M. Dykmans, Le cérémonial papal de la fin du Moyen Âge à la Renaissance. III. Les textes avignonnais jusqu’à la fin du Grand Schisme d’Occident, Bruxelles-Rome, 1983, p. 115-129 et 420-445).
29 Intr. et Ex. 354, fol. 95v et 96r.
30 Collect. 453. Dû au travail de Guillaume Pollier, l’acheteur de la cuisine, ce document couvre la période qui va de l’élection de Fondi au mois d’avril 1379. Il offre une vitrine exceptionnelle des alliances et des efforts diplomatiques de Clément VII durant la première phase du schisme. Chaque journée y est répertoriée avec la récapitulation de l’ensemble des achats de victuailles effectués pour la date donnée et, détail extrêmement précieux, avec la liste et le nombre des personnes reçues à la table pontificale. Relevons toutefois que l’acheteur s’autorise à ne citer que ceux qui lui paraissent d’une importance suffisante, concluant sa liste avec la simple mention multi alii extranei. Un choix frustrant pour l’historien qui aurait souhaité disposer de listes complètes ! C’est bien évidemment le nombre de convives qui interdit à Guillaume Pollier de tous les nommer.
31 M. Dykmans, Le cérémonial… cit., p. 115.
32 Dans le cas des médecins pontificaux, par exemple, on trouve la mention suivante : Consuetum tamen est quod in palatio apostolico unum semper habeat, cui camera debet assignari, et sibi pro se et pro uno servitore de victu provideri debet (ibid., p. 442).
33 Ce dernier, connu presque exclusivement par les comptes – une seule lettre le concerne, lui attribuant le contrôle d’une léproserie au diocèse de Paris (Reg. Aven. 266, fol. 505r ; 23 décembre 1390) – est attesté à la cour entre le début de l’année 1381 (Intr. et Ex. 354, fol. 57r) et le mois d’avril 1394 (Intr. et Ex. 371, fol. 70v). A part un statut clérical et le fait qu’il profite de l’évidente confiance du souverain pontife qui lui offre régulièrement son cou, nous ne savons rien sur Jacques.
34 Une veste lui est ainsi accordée, par exemple, en juillet 1391 (Intr. et Ex. 367, fol. 98v).
35 Intr. et Ex. 367, fol. 60r, 73r, 89r, 100v, 113r, 131r, 147v et 156v.
36 Intr. et Ex. 367, fol. 183v, 194v, 208v, 211v.
37 La formule est très explicite : Cui [Jacobo] dictus dominus noster papa or dinavit solvi vadia unius servientis armorum (ibid., fol. 170r).
38 Intr. et Ex. 354, fol. 96r.
39 Ce dernier n’apparaît pas dans le coutumier de François de Conzié, mais comme l’ensemble du mode de gratification s’avère semblable à celui du barbier, il est probable qu’il reçoive le vivre.
40 Collect. 453, fol. 106r.
41 La question des invités du pape et des relations de celui-ci avec les cardinaux trouve une très intéressante approche (concernant principalement le début du xive siècle) chez S. Weiss, Die Versorgung des päpstlichen Hofes in Avignon mit Lebensmitteln (1316-1378), Berlin, 2002, p. 226-264. Voir aussi dans le même ouvrage une compilation de citations des comptes centraux offrant une liste d’invités prestigieux des papes de 1316 à 1361, à partir de l’édition de K. H. Schäfer (ibidem, p. 449-515).
42 Die Versorgung… cit., p. 424-435.
43 Oblig. et Sol. 44. Les registres des Obligationes et Solutiones recueillent en principe les promesses des prélats (évêques et abbés) en vue du paiement des services communs dus au siège apostolique et au collège des cardinaux, le répertoire des paiements effectivement versés à la trésorerie, mais aussi les relevés des biens des prélats décédés (en vertu du droit de dépouilles). Documents fiscaux, ils accueillent aussi en leur sein quelques exceptions difficiles à expliquer, comme le volume qui nous est ici profitable.
44 Ibid., fol. 32v.
45 Ibid., fol. 36r.
46 Ibid., fol. 36v.
47 Ibid., fol. 36r.
48 K. H. Schäfer, Die Ausgaben… cit., p. 25*.
49 Attention, il est tout à fait impossible d’y déceler la raison de l’augmentation des gages précédemment exposée. En effet, les clercs de la trésorerie indiquent toujours très clairement lorsque un versement est fait pro raubis.
50 Par exemple, par R. Delort : « En quelques occasions, certes, nous voyons renaître les indemnités-vêtements et, en particulier, les indemnités-fourrures ; au début de l’installation en Avignon, quand Clément VII reconstitue sa garde et dans la mesure où il aide, de ses moyens financiers encore faibles, ses écuyers dans l’achat de leur livrée ; en 1390, dans l’attente de la visite du roi de France, toute la Maison militaire renouvelle sa livrée (librata) et la pare de précieuses fourrures ; de même en 1391, et on pourrait penser qu’il y a là une très nette tentative de rétablir les usages antérieurs. […] Mais on peut aussi remarquer que ces dépenses sont faites au titre des extraordinaires (Extraordinaria) et donc relèvent beaucoup plus des cadeaux ou de la générosité du pontife que des livrées qui n’ont droit à cette qualification que si elles sont régulières » (Le commerce des fourrures en Occident à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Rome, 1978 (BEFAR, 236), p. 590).
51 Instr. Misc. 5272, fol. 37r. Les informations suivantes proviennent toutes de ce document.
52 Le prix total atteint cent quatre francs et vingt-quatre sous.
53 M. Dykmans, Le cérémonial… cit., p. 426.
54 Mais il est aussi possible de trouver des exemples beaucoup plus tôt dans le règne, comme cet achat extrêmement considérable pro raubis, réglé au changeur Antonio del Ponte le 2 janvier 1380 et concernant la Toussaint précédente. Ce ne sont pas moins de cent quatorze sergents d’armes, vingt-sept maîtres-huissiers et vingt-sept écuyers d’honneurs qui sont alors privilégiés, pour une somme qui dépasse les mille florins de la Chambre (Intr. et Ex. 352, fol. 36r).
55 S’entend pour chaque officier cité. Quand l’indication donnée par les comptes est globale et qu’il n’est pas possible de déterminer le nombre de curialistes concernés, on a ajouté un astérisque.
56 L’ensemble des références provient du volume Intr. et Ex. 365. On a omis la répétition de cette information pour alléger le tableau.
57 Tel, par exemple, le Collect. 387 qui remonte au pontificat d’Urbain V et aux années 1365-1367.
58 Le terme latin d’hospitium est tout à fait ambigu : s’agit-il d’une maison, d’un appartement, d’une simple chambre ? Nous verrons infra que toutes les acceptions du terme paraissent possibles au vu des valeurs annoncées de quelques-uns de ces biens immeubles.
59 Sept reçoivent deux logements, alors que trois, se trouvent être triplement récompensés.
60 Pas moins de trente et un sur cinquante-sept, soit 55 % : courriers, huissiers mineurs, maîtres-huissiers, écuyers et écuyers d’honneur, sergents d’armes. Les vingt-six autres officiers privilégiés occupent les charges suivantes : chapelains (6), chambriers (3), scribes (3), pénitenciers mineurs (2), acolyte (1), avocat au palais (1), balayeur (1), clerc de la chambre (1), familier (1), médecin (1), panetier (1), procureurs fiscaux (3) ou tailleur (1). La dernière personne enregistrée n’exerce aucune charge à la curie mais se trouve être la veuve d’un ancien curialiste.
61 Au moins dix-sept sont attestés comme des nobles, soit 30 %. Il est probable que le taux de sang bleu soit bien plus élevé que les documents ne permettent de le prouver.
62 Seuls huit ne sont connus que par le document qui leur vaut de figurer ici. Tous les autres sont attestés à un office curial, ou à plusieurs, durant des périodes prolongées.
63 Outre les onze Genevois (parmi lesquels on trouve cinq personnes recevant plus d’un don de ce type, soit la moitié de ceux qui se voient ainsi favorisés), on compte des personnes des diocèses suivants : Limoges (3), Aix (1), Amiens (1), Arles (1), Asti (1), Avignon (4), Clermont (1), Constance en Allemagne (1), Langres (1), Lyon (1), Placentia en Espagne (1), Poitiers (1), Prague (1), Rennes (1), Rodez (1), Sarlat (1), Thérouanne (1), Vabres (1), Vence (1) et vingt-deux personnes dont le diocèse d’origine demeure inconnu. L’attention du pape pour ses serviteurs venus de la même région que lui est ici particulièrement visible, d’autant qu’en nombre de dons (si on tient compte des doublets et des triplets donc), on compte dix-neuf logements pour des Genevois, presque la moitié de l’ensemble, exception faite des curialistes dont le diocèse d’origine n’a pas pu être identifié.
64 Reg. Aven. 224, fol. 513r, 29 août 1380 et Reg. Aven. 253, fol. 498r, 28 avril 1388.
65 Reg. Aven. 224, fol. 427v, 1er septembre 1379 et Reg. Aven. 236, fol. 510v, 31 août 1384.
66 Reg. Aven. 242, lettre connue seulement par les rubriques du début du volume et Reg. Vat. 301, fol. 9v.
67 Collect. 454 et Instr. Misc. 3334.
68 Collect. 454, fol. 34r.
69 C’est le document qui coupe ainsi.
70 Cf. supra, p. 472.
71 Reg. Aven. 229, fol. 201v.
72 Reg. Aven. 226, fol. 212r.
73 Collect. 454, fol. 10r.
74 K. Eubel, Hierarchia catholica medii aevi, Münster, 1913 ; H. Hoberg, Taxae pro communibus servitiis : ex libri obligationum ab anno 1295 usque ad annum 1455 confectis, Città del Vaticano, 1949 (Studi et Testi, 144). La source essentielle qui fonde ces travaux est la série des Obligationes et Solutiones, qui recueille l’ensemble des paiements de services communs promis et effectués en faveur de la caisse centrale de l’Église (pour la période clémentine les reg. 43 à 47, 49, 50 et 53 ainsi que l’essentiel du volume 279 des Reg. Aven., aux folios 13v à 229v).
75 H. Millet (dir.), Fasti Ecclesiae Gallicanae : répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines de France de 1200 à 1500, Turnhout, 1996 –, 7 volumes parus, dans l’ordre de parution : Amiens, Rouen, Reims, Agen, Besançon, Rodez, Angers et Mende.
76 A Amiens, par exemple, la taxe du chantre (quarante-sept livres parisis) équivaut au sixième de celle du chancelier (trois cents livres parisis) et au quart de celle de l’archidiacre de Ponthieu (deux cents livres parisis). Voir P. Desportes, H. Millet, Le diocèse d’Amiens, Turnhout, 1996, p. 9.
77 V. Tabbagh [et alii], Le diocèse de Rouen, Turnhout, 1998, p. 5.
78 Rappelons que la taxe correspond en théorie au revenu net de l’évêché, y compris l’entretien du prélat, le revenu brut s’établissant à une hauteur trois fois plus considérable. Dans cet ordre de grandeur, citons par exemple les diocèses d’Embrun, de Rodez ou de Naples.
79 Fixée pour la période qui nous intéresse, comme vu supra, à 200 livres parisis et comptée pour les besoins de ce calcul à 25 sous parisis pour un florin courant avignonnais (K. H. Schäfer, Die Ausgaben… cit., p. 106*-107*).
80 En comptant qu’un florin courant vaut 14 sous tournois (ibidem, p. 124*125*).
81 Raymond Donadieu est panetier en compagnie d’un Genevois, Boson de Ballayson, durant près de quatorze ans. Nous ignorons son origine et son état clérical. Comme c’est le cas pour de nombreux autres maîtres d’office, les comptes offrent à son sujet fort peu de renseignements exploitables, se contentant de la litanie des paiements pro expensis faciendis. On peut néanmoins noter que Raymond tombe gravement malade en 1383, et qu’on lui verse seize francs sur les sommes que la Chambre lui doit à titre de salaire pour le soutenir (Intr. et Ex. 356, fol. 118v). C’est à peine plus d’une paye qu’on lui « avance » là. Mais apparemment, l’homme est de bonne constitution car on le retrouve les années suivantes, fidèle au poste, avant qu’il ne disparaisse de nos sources après le 21 mai 1391 (dernière mention : Intr. et Ex. 367, fol. 151r). Par la suite, c’est un certain Jean Roy qui est cité comme panetier dès le 24 mai (ibid., fol. 152v°). Parallèlement à sa carrière administrative, Raymond fait une carrière bénéficiale de bon aloi et reçoit diverses lettres de grâce le 9 mars 1391, deux mois avant sa sortie de charge, alors qu’il se sent peut-être vieux et las : absolution plénière, libre choix de son confesseur, autel portatif avec la possibilité de célébrer dans les lieux frappés d’interdit, dispense de résidence et confirmation de son statut de familier commensal perpétuel (Reg. Aven. 265, fol. 62v et Reg. Aven. 268, fol. 398r). Quelques mois plus tard, retiré du service actif du pape, il reçoit du camérier la lettre qui fonde notre présent intérêt pour sa carrière.
82 Collect. 368, fol. 47r-48r.
83 Reg. Aven. 257, fol. 177v.
84 Sans doute des florins courants, comptés à vingt-quatre sous d’Avignon par les clercs de la trésorerie.
85 Pièce réelle comptée deux sous d’Avignon dans les registres de comptes pontificaux.
86 On rappelle que la fiscalité pontificale repose sur les bénéfices et non sur les bénéficiaires. De ce fait, elle n’est pas prescriptible et continue à peser jusqu’à extinction sur les lieux concernés. La seule façon de s’y soustraire, outre la technique de l’autruche consistant à atermoyer jusqu’à son décès ou jusqu’à la résignation du bénéfice considéré, est d’avoir recours à la grâce pontificale.
87 Item ratione dicte prebende de Bellomonte que taxata est in decima unius anni ad LXI sol. (Collect. 368, fol. 47v).
88 Obtenu par calcul en divisant par dix la valeur annoncée des annates.
89 Obtenue par calcul en multipliant par dix la valeur de la décime de chacun des bénéfices signalés.
90 La taxe épiscopale atteint 700 florins (K. Eubel, Hierarchia… cit., p. 329).
91 C’est-à-dire plus de 380 florins de la Chambre.
92 Les gages d’un maître d’office s’établissent à 461 sous par paye, soit 2.766 sous annuels.
93 Et ceux-ci peuvent être importants. Cf. infra, p. 488.
94 Par exemple : Intr. et Ex. 365, fol. 59r.
95 Par exemple : Intr. et Ex. 362, fol. 52r ou 365, fol. 48r.
96 Par exemple : Intr. et Ex. 354, fol. 24r ou 360, fol. 72r.
97 A l’image, par exemple, des quatre florins courants remis le 19 février 1386 au chef balayeur des appartements du pape, Jean Dufour pro expensis in sua infirmitate faciendis (Intr. et Ex. 360, fol. 79r).
98 Par exemple : Intr. et Ex. 338, fol. 68v, 359, fol. 123r, 366, fol. 55v, etc.
99 Ideo istorum non est numerus determinatus, sed si et qui ad officium fuerit recepti, perpetui vocantur, in tantum quod secundum antiquas obsevantias summus pontifex debet eisdem, quantumcumque propter debilitatem, antiquitatem seu alias servire non possent, de victu et vestitu quamdiu vixerint providere. Item est sciendum quod isti palafrenarii habent stipendia contenta in libris camere, ultra que de palatio nichil recipiunt nisi vestes semel in anno (M. Dykmans, Le cérémonial… cit., p. 444).
100 Intr. et Ex. 362, fol. 127v ; 365, fol. 96v ; 352, fol. 70r ; 354, fol. 63v.
101 A plusieurs reprises au fil du temps : par exemple en août 1390 (Reg. Aven. 262, fol. 183v) ou en août 1393 (Collect. 368, fol. 262v).
102 Comme l’est le boucher Bérenger Milhac, reçu familier du pape et par conséquent exempt de certains impôts sur sa marchandise (Reg. Aven. 220, fol. 333r).
103 Voilà un avantage offert à l’évêque de Saint-Pons-de-Thomières, Jean de Rochechouart, en novembre 1381 (Reg. Aven. 229, fol. 190r) ou, quelques jours plus tard, à Raymond-Bernard Flameng, juriste des angevins et fidèle serviteur de Clément VII (Reg. Aven. 230, fol. 116v).
104 Les registres de lettres portent, en haut à droite de la copie d’un document mention de la taxe à payer par le destinataire. Les officiers du pape profitent systématiquement de la gratuité : gratis pro scriptore, gratis pro socio, etc. (voir l’étude de J. Serra-Estelles, Los registros de suplicas y letras pontificias de Clemente VII de Aviñon (1378-1394). Estudio diplomatico, Roma 1988).
105 Soit deux à quatre sous d’Avignon.
106 Soit dix-neuf sous et six deniers d’Avignon.
107 Si l’on considère qu’aux quelque cent mille suppliques bénéficiales enregistrées sous Clément VII, correspondent autant de demandes à la Pénitencerie, on en arrive à une somme plutôt confortable : 150.000 gros pour l’enregistrement des suppliques, soit 300.000 sous, auxquels s’ajoutent 12.000 tournois, soit 19.500 sous supplémentaires pour le sceau cardinalice. Le total, réduit en florins de la Chambre s’établit donc à 11.400 florins de la Chambre pour l’ensemble du pontificat, soit 950 par an (ce qui revient à attribuer environ 4.500 florins à Jean de Cros, 3.500 florins à Pierre Ameilh, 1.000 florins à Jean de Brogny et, 2.500 florins à Pierre Girard). Une somme à laquelle s’ajoute encore le prix demandé pour la réception des procureurs. Cette paye annuelle équivaut à environ 50 % (sans les procureurs) de celle qui est allouée par la Chambre à titre de gages au vice-chancelier. Il serait intéressant d’affiner les traits rapidement tracés ici en estimant avec précision le pourcentage de lettres taxées, donc le revenu réel du grand pénitencier.
108 P. Genequand, L’organisation… cit., p. 767, citant un document trouvé par M. Maillard-Luypaert, Papauté, clercs et laïcs : le diocèse de Cambrai à l’épreuve du Grand Schisme (1378-1417), Bruxelles, 2001, p. 185.
109 L’ensemble des exemples provient du registre 355 des Intr. et Ex., fol. 17r-22r (mars 1382).
110 Pour comparaison, précisons que cela correspond à plus de vingt mille sous avignonnais.
111 P. Genequand, L’organisation… cit., p. 440-441.
112 Presque trois mille sous d’Avignon.
113 L’un d’entre eux a été exploité par J. Favier, Le niveau de vie d’un collecteur et d’un sous-collecteur apostoliques à la fin du xive siècle, dans Annales du Midi, 75 (1963), p. 31-48. Ici, nous recourons à un document inédit des archives avignonnaises (AD-Vaucluse, 3 E 9(1) / 1175).
114 L. Duhamel, Le cardinal de Brogny : son origine, sa famille, ses alliances, dans Revue savoisienne, 41, 1900, p. 327-338.
115 En plus de notre article déjà cité, on renvoie le lecteur à A. Jamme, « Garsabal ». Voyages, carrière et fortune d’un officier pontifical, dans G. Audisio, R. Bertrand, M. Ferrières, Y. Grava (dir.), Identités juives et chrétiennes en France méridionale (xive-xixe siècle). Études offertes à René Moulinas, Aix-en-Provence, 2003, p. 7-29.
116 On trouve des leçons essentielles à ce sujet dans J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà : Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge, Rome, 1980 (Collection de l’École française de Rome, 47).
117 Une dette principale de soixante-huit florins et quatre dettes nettement plus modestes comptées à neuf, quatre, un et deux florins courants.
118 Selon le change précédemment utilisé qui voit le florin courant être compté à quatorze sous tournois.
119 L’argument vaut assurément pour l’ensemble de la comptabilité médiévale, mais nous nous restreignons au domaine qui est le nôtre, celui de la Chambre apostolique.
120 Voir supra, p. 480-485.
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