Hippocrate inventeur de la clinique et les médecins clinicoi
Damocrate, Magnos et les autres
p. 341-362
Résumés
Ce chapitre a pour but d’attirer l’attention sur un paradoxe : alors qu’Hippocrate est universellement reconnu comme le père de la médecine clinique basée sur l’observation de signes cliniques et sur des conclusions rationnelles, on ne trouve nulle part dans tout le Corpus hippocratique l’adjectif grec clinicos. De fait, la première occurrence de ce mot se trouve en latin, chez Pline l’Ancien, où l’adjectif clinice sert précisément à qualifier la médecine dite clinique inventée par Hippocrate. L’étude se concentre d’abord sur les deux seuls médecins qualifiés de clinicoi dans le Corpus galénique, Damocrate et Magnos, en s’attachant ensuite à définir l’activité exacte de ces médecins et, pour finir, ce que les médecins de l’époque impériale entendaient par médecine clinique.
This chapter aims to draw attention on a paradox: while Hippocrates is universally recognized as the father of clinical medicine based on observation of clinical signs and rational conclusions, one cannot find the Greek adjective clinicos anywhere in the entire Corpus Hippocraticum. Actually, the first recorded use of this word is the Latin adjective clinice found in the work of Plinius the Elder to describe the “so-called clinical medicine” invented by Hippocrates. This study will first focus on the only two Greek physicians described as clinicoi in the entire Corpus Galenicum, Damocrates and Magnos, it will then provide an overview of the “so-called clinical medicine” in the Roman period and finally it will try to offer a definition of the clinical physician.
Entrées d’index
Mots-clés : Médecine clinique, Hippocrate, Damocrate, Galien, Pline l’Ancien
Keywords : Clinical medicine, Hippocrates, Damocrates, Galen, Pliny the Elder
Texte intégral
1Les Modernes sont nombreux à faire d’Hippocrate l’inventeur de la clinique. Dès la fin du XVIe siècle, Guillaume de Baillou (1538-1616), médecin d'Henri IV, s’appuie sur les écrits hippocratiques, en particulier le Pronostic et les Épidémies pour remettre en honneur une médecine basée sur l’observation. Au XVIIe siècle Thomas Sydenham (1624-1689), surnommé l’ « Hippocrate anglais », puis au XVIIIe siècle, des médecins comme Giorgio Baglivi en Italie et Herman Boerhaave à Leyde, avant même René Laënnec (1781-1826) ou Émile Littré (1801-1881) identifient dans les écrits hippocratiques les fondements de la nouvelle médecine d’observation, à l’origine de la clinique qu’eux-mêmes cherchent alors à promouvoir1. Mais Michel Foucault, dans La Naissance de la clinique2, a également bien montré comment cette pratique naissante au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, où « le médecin-instructeur, au chevet des patients, indique à ses élèves les principales pathologies à observer »3, relevait en réalité d’une mythologie, celle d’un Hippocrate inventeur et maître de l’observation clinique, forgée par une certaine histoire moderne de la médecine voulant trouver son origine chez les Grecs. Encore convient-il évidemment de s’entendre sur ce que l’on entend par « clinique », les équivoques entraînées par la terminologie du grec κλινικός /clinicos semblant en partie donner raison à Foucault. Car, et ce n’est pas la moindre des surprises, clinicos ne se rencontre nulle part dans le corpus hippocratique, le terme étant également absent de l'index des mots français placé à la fin de la biographie que J. Jouanna a consacrée à Hippocrate4. De fait, d’emploi tardif, clinicos n’apparaît dans la littérature mais aussi dans l’épigraphie qu’à partir de la période impériale, en grec comme en latin, où clinicus est d’ailleurs un peu plus fréquent que clinicos.
2Cette étude se propose donc d’explorer le paradoxe suivant : comment expliquer, alors que la clinique constitue aujourd'hui encore un des aspects les plus actuels et pourrait-on dire les plus modernes de la médecine hippocratique, que le mot n’apparaisse employé qu’à partir de l’époque impériale ? Et peut-on préciser quel sens exact revêt alors le mot clinicos lors de son émergence, à quelle réalité il s’applique à l'époque romaine et quels liens il entretient avec une pratique médicale dont la majorité des historiens s’accorde pour situer la naissance cinq siècles plus tôt au sein de la médecine hippocratique ?
Origines du grec clinicos et du latin clinicus
3Selon le Dictionnaire étymologique de la langue grecque (DELG) de Pierre Chantraine, l’adjectif κλῑνικός (litt. « qui concerne le lit » κλίνη), d’emploi tardif, est formé sur une racine indo-européenne *klin, que l’on retrouve dans κλίνω, κλίνειν (avec ῑ) « faire pencher, incliner, appuyer, coucher »5. En français, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), l’adjectif « clinique » est utilisé pour qualifier ce « qui s’opère au chevet du malade » (analyse, observation, description, traité, médecine) ; comme substantif, le mot ne s’emploie qu’au féminin (la clinique), d’abord pour désigner l’« enseignement médical pratiqué au chevet des malades », puis par métonymie « la méthode de diagnostic par l’observation directe », et enfin « le local où est donné cet enseignement, où est pratiquée cette méthode ». De fait, le substantif masculin, équivalent au grec κλινικός n’existe pas, le français employant en ce sens le terme « clinicien ».
4En grec cependant, le mot reste rare et, on l’a dit, n’apparaît pas dans la littérature avant le IIe siècle de notre ère. Un siècle plus tôt, on le trouve pourtant déjà attesté en latin, chez Pline, qui au début du livre 29, 4 de son Histoire naturelle, retrace ainsi l'histoire de la naissance de la médecine :
La suite de son histoire (i.e. l’histoire de la médecine après la guerre de Troie et les exploits de Machaon et Podalire), chose étonnante, disparaît dans la nuit la plus épaisse jusqu’à la guerre du Péloponnèse. C’est alors que cet art fut remis en lumière par Hippocrate, né dans l’île de Cos, île des plus célèbres, des plus puissantes et consacrée à Esculape. C’était alors l’usage, pour les malades guéris, d’inscrire dans le temple de ce dieu le traitement qui les avait soulagés (quid auxiliatum esset), afin qu’on pût ensuite en profiter dans des cas semblables ; Hippocrate aurait, dit-on, relevé ces inscriptions (exscripsisse ea) et, selon l’opinion accréditée chez nous par Varron, après avoir incendié le temple, il aurait à l'aide de ces documents institué cette sorte de médecine dite clinique (is instituisse medicinam hanc quae clinice uocatur)6.
5Inutile de commenter cette légende d’un Hippocrate voleur et pyromane inspirée aux Romains par une évidente médisance7. Ce qu’il convient de souligner ici, c’est que l’adjectif grec féminin κλινική, équivalent du latin clinice, n’est pas attesté en grec, pas plus que les expressions τέχνη κλινική (art de la clinique) uel ἰατρικὴ κλινική (médecine clinique)8. La clinique, au sens de médecine clinique, de nom et d’origine grecque, n’est donc attestée qu’en latin !
6Il en va en revanche différemment du masculin κλινικός dont, un siècle plus tard, on relève deux seuls emplois en grec, chez Galien, dans le traité des Médicaments composés selon les lieux. L’adjectif κλινικός y est employé à propos de deux médecins, respectivement du nom de Damocrate et de Magnos. Qui sont ces médecins et peut-on, à partir de ces deux exemples, tenter de brosser un portrait du clinicien et de ses liens avec la médecine hippocratique ? Et est-il ainsi possible de mesurer l’étendue et l’influence de l’héritage hippocratique à l’époque impériale ?
Damocrate et Magnos médecins clinicoi
7Le premier de ces médecins, Damocrate, dont on peut situer l’activité au temps de Néron et Vespasien, est surtout connu par les fragments que nous a conservés Galien et dont une partie a été éditée par W. Studemund9. Galien mentionne Damocrate comme l’auteur d’un livre intitulé Κλινικός (pour lequel il faut restituer une majuscule dans Kühn) rédigé en vers iambiques, comme le reste de sa production10. Galien donne ce renseignement à propos d’une recette contre la goutte sciatique (ou maladie de la hanche), et précise que Damocrate, dans son Κλινικός, traitait de trois médicaments différents : le premier à base d’une plante appelée ibèris, le deuxième à base d’une graine qui calme la douleur et le troisième un purgatif appelé hiéra :
[Ἡ ὑπὸ Δαμοκράτους γεγραμμένη θεραπεία τῶν ἰσχιαδικῶν διὰ τῆς Ἰβηρίδος] Ἐπιγράφεται βιβλίον Δαμοκράτους κλινικός, ἐν ᾧ διὰ μέτρων ἰαμβικῶν, ὡς εἴωθε, περὶ τῶν τριῶν διαλέγεται φαρμάκων, πρώτου μὲν τοῦ διὰ τῆς βοτάνης, ἣν καὶ αὐτὸς Ἰβηρίδα καλεῖ, τοῦ δευτέρου δὲ τοῦ διὰ σπέρματος ἀνωδύνου, τρίτου δὲ τοῦ καθαρτικοῦ καλουμένου ὑπ’ αὐτοῦ ἱερᾶς.
Le traitement des malades de la hanche consigné par Damocrate, à base d’ibèris. Il existe un livre intitulé De Damocrate, Clinicos, dans lequel, en vers iambiques comme il est habituel, il est question de trois médicaments : le premier à base de la plante que lui-même (sc. Damocrate) appelle ibèris, le deuxième à base d’une graine qui calme la douleur et le troisième le purgatif appelé par lui hiéra11.
8À propos de la plante ibèris (une sorte de cresson) qui seule intéresse ici Galien, Damocrate donnait les renseignements suivants : un de ses amis médecins avait été soigné en Espagne par cette plante, et c’est pour cette raison que Damocrate l’avait nommée ibèris, étant donné qu’après l’avoir lui-même directement observée (μαθὼν μὲν αὐτοπτικῶς τὴν βοτάνην), il n’avait pu trouver personne connaissant son nom, pas même celui qui la lui avait enseignée. Toutefois, ajoute Galien, d’après la description donnée par Damocrate, il semble s’agir de la plante que les Grecs appellent lepidium iberis, d’après le nom du pays où l’ami de Damocrate a été soigné12. Galien retranscrit ensuite juste après les 18 vers de la recette de Damocrate consacrés à la description de l’ibèris, avant de citer 29 autres vers consacrés à la manière de la préparer et de l’appliquer sur la partie malade13. Enfin, conclut Galien, Archigène lui aussi parle de l’ibèris dans le livre 2 de son traité sur les médicaments selon les genres14.
9Le Clinicos était donc un ouvrage de pharmacologie consacré à trois fleurons, trois innovations de Damocrate en matière de médicament dont deux d’entre eux (l’ibèris et l’hiéra) lui devaient même leur nom. En effet, la plante appelée ibèris n’est pas la seule à avoir ainsi reçu son nom de Damocrate. Ce dernier avait également baptisé du nom d’hiéra, un purgatif dont, toujours selon Galien, il existait deux types à base de coloquinte ou à base d’aloës15. Or, comme l’a également déjà expliqué Galien un peu plus haut dans le même traité sur les Médicaments selon les lieux, depuis le temps de Damocrate, la terminologie avait évolué :
καθάπερ ἐπὶ τῆς προκειμένης ἱερᾶς, ἣν οἱ νῦν ἰατρεύοντες ἐν Ῥώμῃ σχεδὸν ἅπαντες ὀνομάζουσι πικράν, ἐπειδὴ τὸ τῆς ἱερᾶς ὄνομα τῷ διὰ τῆς κολοκυνθίδος ἐπιφέρειν ἐδικαίωσαν. οἱ δὲ πρὸ ἡμῶν ἰατρεύσαντες ἐν Ῥώμῃ τὰς δύο καλοῦντες ἱερὰς προσέθεσαν αὐταῖς ἕνεκα διαστολῆς, τῇ μὲν ἑτέρᾳ τὸ διὰ κολοκυνθίδος, τῇ δ’ ἑτέρᾳ τὸ δι’ ἀλόης, οὕτω γράφοντες ἱερὰ ἡ διὰ κολοκυνθίδος, ἱερὰ ἡ δι’ ἀλόης.
Presque tous les médecins actuels à Rome nomment l’hiéra, picra (le médicament amer), vu qu’ils ont jugé bon de conférer le nom d’hiéra au (seul) médicament à base de coloquinte. Cependant les médecins qui nous ont précédés à Rome, du fait qu’ils appelaient les deux sortes (i.e. celui à base de coloquinte et celui à base d’aloës) hiéra leur ont adjoint, pour les distinguer, à l’un la mention « à base de coloquinte » et à l’autre ‘à base d’aloës’, en écrivant ainsi : ‘hiéra à base de coloquinte’ et ‘hiéra à base d’aloës’16.
10D’après ces explications, Damocrate était donc à l’origine, sous le règne de Néron, du purgatif hiéra que l’on pouvait préparer soit à base de coloquinte, soit à base d’aloës et qui était encore utilisé un siècle plus tard, à l’époque de Galien. Si le contenu de ce traité de Damocrate, que Galien qualifie de « petit livre » (ἐν τῷ βιβλιδίῳ), se dessine donc à présent un peu plus clairement, quel sens exact peut-on donner à ce titre de Clinicos par lequel il était désigné ?
11On peut rapprocher le Clinicos de deux autres livres attribués par Galien à Damocrate, tous deux également écrits en vers et respectivement intitulés : le Φιλίατρος ou L'Amoureux de la médecine où il était question d’un médicament à base de têtes de pavot17 ; et le Πυθικός ou Pythien du nom de celui qui avait donné à Damocrate les remèdes pour la bouche auxquels était consacré cet opuscule18. Mentionnons également pour mémoire que Damocrate avait encore écrit deux autres traités sur les cataplasmes et sur la préparation des antidotes19.
12De cette production littéraire de Damocrate, il ressort que le Kλινικός, tout comme le Φιλίατρος et le Πυθικός, désigne une personne, un « clinicien ». Or ce que nous savons de la production littéraire de Damocrate, indique que celui-ci s’était avant tout illustré comme pharmacologue. De fait, Galien cite son nom aux côtés de ceux d’Asclépiade, Andromaque, Héras de Cappadoce, Mantias, Héraclide de Tarente, Archigène, Philippe, Soranos, Ménécrate et Criton, à propos d’un remède pour cicatriser les nerfs blessés dont le médecin de Pergame déclare ignorer l’origine puisqu’il n’a pu le trouver chez aucun des grands médecins dont il avait lu les livres20. Et Galien attribue à Damocrate un grand nombre de recettes de médicaments, en particulier de nombreux emplâtres, sans oublier plusieurs recettes d’antidotes, et aussi un collyre nommé διάσμυρνον (à base de myrrhe)21. Mais ce n’est pas tout, car un médecin grec de peu postérieur à Galien, l’auteur de la Thériaque à Pison, mentionne également un certain nombre de modifications apportées par Damocrate à la recette de la thériaque d’Andromaque22. Tout cela concourt donc à dessiner de Damocrate le portrait d’un pharmacologue réputé, entouré de disciples et exerçant sous le règne de Néron23.
13Or, Damocrate rédige son Clinicos pratiquement au moment même où l’on trouve la première attestation du féminin clinice chez Pline. Mais ce n’est pas tout car Pline connaît également notre Damocrate qu’il nomme Servilius Damocrates, et qu’il cite parmi ses sources du livre 29 au nombre des medici. Dans le livre 25, il lui attribue même la découverte de la fameuse plante ibèris :
Inuenit nuper et Seruilius Democrates (lege Damocrates) e primis medentium quam appellauit hiberida, quamquam ficto nomini inuentione eius adsignata carmine.
Tout récemment, Servilius Damocrate, un des premiers médecins, a aussi trouvé une plante qu’il a nommée ibèris, bien qu’il attribue dans un poème sa découverte à une personne imaginaire24.
14Puis Pline donne ensuite une description extrêmement précise de l’ibèris, directement tirée du poème de Damocrate, comme on peut aisément le constater en comparant la paraphrase donnée par l’auteur latin avec le texte grec du poème cité par Galien. Certes, à aucun moment Pline ne qualifie Damocrate de clinicus, mais il précise qu’il faisait partie « des premiers des médecins » (e primis medentium)25. Pline rapporte en revanche que Damocrate s’était illustré à Rome pour avoir guéri une certaine Considia, fille du consul M. Seruilius Nonianus, à l’aide de lait de chèvres nourries de lentisques :
15Scio Democratem (lege Damocratem) medicum in ualetudine Considiae, M. Seruili consularis filiae, omnem curationem austeram recusantis diu efficaciter usum lacte caprarum quas lentisco pascebat.
Je sais que le médecin Damocrate, dans la maladie de Considia, la fille du consulaire M. Servilius, qui se refusait à tout traitement sévère, la mit avec succès à l’usage prolongé du lait de chèvres qu’il nourrissait de lentisques26.
16Mieux encore, il est possible d’enrichir un peu plus ce dossier concernant Damocrate grâce à l’épigraphie. Un fragment d’une base pour deux statues retrouvé à Blaundus, en Lydie, nous a en effet conservé une inscription honorifique, publiée pour la première fois par A. Körte en 190227, mais sur laquelle on doit à C. Cichorius, vingt ans plus tard en 1922, d’avoir attiré l’attention28. Cette inscription mentionne en effet un Servilius Damocrate que Cichorius propose d’identifier avec notre médecin. Voici cette inscription d’après la retranscription qu’en a donnée E. Samama en 2003 :
col. B.1 | Σερουείλιον [- - Κλαυ]- |
δία Δαμοκρά[την ἰατρὸν aut ἀρχιατρὸν τῶν] | |
Σεβαστῶν ἄνδ[ρα ἀγαθὸν - - ἐκ προ]- | |
γόνων πολλὰ[ - - - τῇ] | |
5 | πατρίδι τι. |
(En hommage à) Servilius Damocratès de la gens Claudia [médecin ou archiatros] des empereurs, [homme de bien depuis] des générations (ayant rendu) bien des services à sa patrie29.
17Selon Cichorius qui a restitué ἰατρὸν à la ligne 2 (là où Körte avait restitué ἱερέα), le médecin grec Damocrate aurait pris le nom de Servilius après avoir reçu la citoyenneté romaine, vraisemblablement à la suite de la cure réussie de Considia, fille d’un Marcus Servilius, consul en 35 apr. J.-C.30. Les noms Servilius et Damocrates sont en effet suffisamment rares, a fortiori rassemblés, pour permetttre l’identification. Et si la restitution d’ἀρχιατρὸν (archiatre) que peut justifier la mention de Σεβαστῶν (empereurs) à la ligne 3 est correcte, l’inscription ferait même de Damocrate un archiatre, c’est-à-dire un médecin au service des empereurs (Caligula, Claude ou Néron).
18L’auteur du Clinicos, d’après ces différents témoignages, était donc un médecin et pharmacologue grec, originaire de Lydie et venu exercer à Rome où, précise Pline, il aurait pris le nom de Seruilius Damocrates, vraisemblablement après avoir reçu la citoyenneté romaine pour sa cure réussie de la fille du consul M. Seruilius Nonianus31.
19Sur le second médecin qualifié de κλινικός par Galien, nous sommes un peu moins bien renseignés. Une recette contre « les éruptions en forme de figues sur le menton » (Πρὸς τὰς ἐπὶ τοῦ γενείου συκώδεις ἐπαναστάσεις) est en effet citée par Galien sous le nom d’un Magnos κλινικός32. Bien que placée entre crochets droits dans l’édition de Kühn, cette mention d’un Μάγνου κλινικοῦ figure bien dans le manuscrit ancien, le Laurentianus Plut. 75.17 du XIIe siècle copié par Iohannikios. Si le texte est relativement sûr, le problème est que Galien connaît plusieurs Magnos : un Magnos (tout court) spécialiste de sphygmologie dont le nom intervient plusieurs fois dans les traités sur le pouls (notamment à propos d’une controverse avec Archigène), un Magnos Philadelphe, un Magnos de Tarse, un Magnos periodeutès, et enfin un Magnos archiatre. Il est donc difficile d’y voir clair. Il est cependant possible d’aller un peu plus loin en remarquant qu’un Magnos est mentionné, précisément aux côtés de Damocrate, dans la Thériaque à Pison. Dans ce traité où Damocrate est qualifié d’excellent médecin, Magnos est pour sa part explicitement qualifié d’archiatros33.
20Toujours d’après la Thériaque à Pison, Magnos était l’auteur d’un ouvrage sur la thériaque lu par Pison au début du traité qui lui est dédicacé. On apprend également que ce pharmacologue, présenté comme l’un des plus grands de son temps, était originaire de Crète. À ce titre, il avait été élevé à la responsabilité d’archiatre, chargé de préparer la thériaque pour les empereurs :
ἤκουον δὲ καὶ αὐτός, οὐκ ἀμελῶς γὰρ ἦν τὸ σύγγραμμα συντεταγμένον ὑπό τινος ἀνδρος Μάγνου καλουμένου, ἐντελῶς πεπαιδευμένου τὴν τέχνην καὶ μὴ μόνον τῇ πείρᾳ τῶν ἔργων, ἀλλὰ καὶ τῷ λόγῷ τῶν ἐπ’ αὐτοῖς λογισμῶν ἀκριβῶς ἠσκημένου. τὸ γοῦν ἄρχειν ἡμῶν διὰ τὴν ἐν τούτοις ὑπεροχὴν ὑπὸ τῶν κατ’ ἐκεῖνον <τὸν> καιρὸν βασιλέων ἦν πεπιστευμένος, ὡς ἔμοιγε δοκεῖ, τάχα τι καὶ τῆς πατρίδος αὐτῷ εἰς τὸ ἀκριβῶς ἐκμαθεῖν τὴν ἰατρικὴν συναραμένης. Κρὴς γὰρ τὸ γένος ἦν, καὶ εἰκὸς ἦν τὴν Κρήτην, ὡς ἄλλα πολλὰ τῶν βοτανῶν, οὕτως καὶ ὥς τι φάρμακον ἀγαθὸν τοῖς ἀνθρώποις ἐνεγκεῖν τὸν τοιοῦτον ἄνδρα.
Je me mis donc à écouter, car l’ouvrage n’avait pas été composé sans un certain soin par un homme appelé Magnos qui avait reçu une formation accomplie dans son art et qui y était exactement exercé non seulement grâce à l’expérience des faits, mais aussi grâce au raisonnement tiré des déductions logiques appliquées à ceux-ci. Sa supériorité en ces matières lui valut, du moins à ce qu’il me semble, de se voir confier par les empereurs de ce temps-là la responsabilité de nous diriger, sa patrie également ayant sans doute contribué à sa parfaite connaissance de la médecine. En effet, il était crétois d’origine et il fallait s’attendre à ce que ce fût la Crète qui, de même qu’elle avait produit beaucoup d’autres plantes, produisît également un tel homme, en guise en quelque sorte de médicament bénéfique à l’humanité34.
21Magnos apparaît donc ici comme le pharmacologue par excellence et, ni plus ni moins, comme une sorte d’homme médicament ! Le Pseudo-Galien, qui emprunte manifestement une grande partie de ses informations à l’écrit (τὸ σύγγραμμα) perdu de Magnos sur la thériaque, cite son nom non seulement aux côtés de Damocrate mais aussi de deux autres pharmacologues, Xénocrate et Démétrios, parmi ceux qui modifièrent le poids de certains ingrédients entrant dans la recette de la thériaque mise au point par Andromaque, l’archiatre de Néron35. Le Pseudo-Galien précise que Magnos avait en particulier fixé la quantité de vin à ajouter au mélange thériaque, quantité qu’Andromaque avait omis de préciser :
προστίθησι δὲ καὶ τῷ μιγνυμένῳ οἴνῳ ὁ Μάγνος τὸ μέτρον. Δύο γὰρ ξέστας τοῦ βαλλομένου εἶναι βούλεται, τῶν ἄλλων, ὡς εἰκὸς πρὸς τὴν χρείαν, ὁπόσῳ μέτρῳ τοῦ οἴνου χρωμένων.
Magnos précise également la quantité de vin à ajouter au mélange : il recommande en effet d’en verser deux xestes, alors que les autres, selon l’usage qui en est fait, adaptent la quantité de vin utilisé36.
22Magnos, toujours selon le Pseudo-Galien, était également l’auteur de la meilleure recette d’hèduchroon, cette pâte parfumée incorporée à la thériaque37.
23Il semble donc bien que le Magnos clinicos de Galien et le Magnos archiatre du Pseudo-Galien ne fassent qu’un. On peut en outre situer son floruit sous les empereurs Marc Aurèle (161-180) et Lucius Vérus (161-169)38, c’est-à-dire près d’un siècle après celui de Damocrate (c. 65 à plus ou moins dix ans près) sous les règnes de Néron (54-68) et de Vespasien (69-79). Ces deux médecins clinicoi ont en effet en commun d'être des pharmacologues renommés et d’être les auteurs d’ouvrages sur la question. Tous deux ont en outre été chargés de la préparation de la thériaque impériale, signe de leur supériorité dans leur art. Quand le mot κλινικός apparaît en grec, au milieu du 1er siècle de notre ère, il qualifie donc l’activité d’excellents médecins, évoluant dans les plus hauts cercles de la société impériale, et avant tout spécialistes de pharmacologie.
24L’émergence, à l’époque impériale, d’une clinique en lien étroit avec la pharmacologie pourra peut-être surprendre des modernes d’ordinaire plus enclins à faire remonter ses origines aux capacités exceptionnelles d’observation du médecin hippocratique, telles que décrites dans les Épidémies ou le Pronostic. Pour autant, le témoignage du corpus galénique, tout comme celui de Pline cité plus haut qui reliait déjà l’origine de la clinique à la faculté d’Hippocrate de recueillir et consigner les recettes des traitements gravés sur les murs du temple, vont exactement dans le même sens, c’est-à-dire celui d’un lien étroit entretenu, dès l’origine, entre clinique et pharmacologie. De même, le récit déjà cité plus haut de la guérison de Considia, la fille du consul M. Servilius, par le clinicus Damocrate, va lui aussi dans ce sens. Pline attribue en effet le succès de la cure au fait que le médecin connaissait bien cette patiente qui se refusait à tout traitement sévère et qu’il a su adapter le remède à base de lait de chèvres à ses vœux et à sa nature, deux caractéristiques que Pline relie à une authentique médecine clinique qui, bien que basée sur d’indispensables qualités d’observation, semble reléguer celles-ci au second plan pour privilégier la mise au point du traitement. Enfin, même quand il la critique, Pline ne manque pas de rappeler le lien étroit unissant médecine clinique et pharmacologie39. Et c’est précisément parce qu’elle est impuissante à procurer des remèdes contre les fièvres quartes que Pline va être obligé de mentionner ceux des mages40.
Le témoignage de l’épigraphie et de la poésie
25Le témoignage de l’épigraphie serait-il de nature à modifier ce tableau que nous venons de dresser d’un médecin clinicos plus pharmacologue que clinicien (au sens moderne du terme) ? L’épigraphie grecque n’offre qu’un seul et unique témoignage : une épitaphe originaire de Kotor en Dalmatie, datée de la fin du IIe siècle apr. J.-C. et mentionnant un médecin du nom de Lucius Luscus Eucarpos, qualifié à la fois d’archiatros et de cleinicos (ἀρχιατρὸς κλεινικός) :
Λούκιος Λοῦσ[κος]
Εὔκαρπος ἀρχι[ατρὸς]
κλεινικός γεν-
ναῖος ἐργ(άσατο).
Lucius Luscus Eucarpos, noble archiatros,
clinicos, a fait édifier (ce monument) 41.
26Cette inscription, si elle est authentique42, représente l’unique attestation épigraphique d’un ἀρχιατρὸς κλινικός, et va donc dans le sens de ce que nous avons déjà observé à propos de Magnos et de Damocrate, à savoir qu’un seul homme, dans le cas de Damocrate, pouvait cumuler les titres de médecin (iatros uel medicus) et de clinicos, et dans le cas de Magnos, de clinicos et d’archiatros. La remarque est importante car elle signifie que le terme de clinicos ne se confond pas avec celui de médecin (iatros), bien que cette traduction ne reste pas rare dans les textes.
27Tel est le cas dans l’Anthologie grecque où on rencontre deux fois le terme clinicos à chaque fois abusivement traduit par « médecin » dans l’édition de la CUF. Les deux exemples en question se trouvent au livre XI à l’intérieur d’un groupe d’épigrammes satiriques (σκωπτικά) mises sous le nom de Lucillius, un poète de langue grecque actif à Naples sous les Antonins et qui a inspiré Martial43. Dans le premier passage, le poète recourt à un jeu de mots entre les morts que l’on porte au bûcher et les statues que l’on porte en procession, pour dénoncer un certain Marcos clinicos accusé de faire passer de vie à trépas ceux qu’il a touchés de sa main (ἥψατο) :
Τοῦ λιθίνου Διὸς ἐχθὲς ὁ κλινικὸς ἥψατο Μάρκος
καὶ λίθος ὢν καὶ Ζεύς, σήμερον ἐκφέρεται.
La statue de pierre de Zeus, hier, le clinicos Marcos l’a touchée,
qui bien que marbre et bien que Zeus, aujourd’hui, a été emportée !44
28Il n’est pas impossible de voir ici une allusion inversée à la fameuse formule d’Hérophile, pour qui « les médicaments sont la main des dieux », c’est-à-dire tirent leur pouvoir miraculeux des dieux eux-mêmes dont la main touche les hommes pour les aider45. Dans le cas de Marcos cependant, le clinicos touche ses patients non pour les sauver, mais pour les tuer. Reste que ce témoignage nous permet d’ajouter un nouveau trait à notre portrait du clinicos : il est celui qui touche. La seconde épigramme n’ajoute rien à ce que nous savons déjà, sinon qu’il pouvait y avoir des clinicoi forts dangereux. Aussi, selon le poète, Eurysthée mérite-t-il davantage le nom de clinicos que le médecin Ménophanès, car au moins, celui qu’il envoya aux Enfers (Héraclès) en revint, ce qui n’est pas le cas des victimes du clinicos :
Εἰς Ἄϊδος κατέπεμψε πάλαι ποτέ, δέσποτα Καῖσαρ,
ὡς λόγος, Εὐρυσθεὺς τὸν μέγαν Ἡρακλέα
νῦν δ’ ἐμὲ Μηνοφάνης ὁ κλινικός· ὥστε λεγέσθω
κλινικὸς Εὐρυσθεύς, μηκέτι Μηνοφάνης.
Vers l’Hadès, il y a bien longtemps, ô César notre maître
selon la légende, Eurysthée envoya le grand Héraclès.
Mais ce jour, c’est moi qu’y expédie Ménophanès, le clinicos. Alors, qu’on appelle
clinicos Eurysthée, et non plus Ménophanès46.
29Martial lui-même, dont on a dit qu’il avait été inspiré par Lucillius, ne tarit pas non plus d’invectives contre ces clinici qu’il accuse de tuer leurs patients, à l’exemple du chirurgien Diaulus reconverti en croque-mort :
Chirurgus fuerat, nunc est uispillo Diaulus :
coepit quo poterat clinicus esse modo.
Diaulus était chirurgien ; il est maintenant croque-mort.
Il a continué comme il a pu à être clinicien47.
30Et il ne se prive pas non plus de dénoncer la cupidité de ceux qui, tel cet Hérode, profitent de leur présence au chevet du malade pour le dépouiller :
Clinicus Herodes trullam subduxerat aegro:
deprensus dixit ‘Stulte, quid ergo bibis?
Le clinicien Hérode vola le gobelet d’un de ses malades ;
pris sur le fait : « Imbécile, dit-il, pourquoi veux-tu boire48 ?
31Toutefois, si dans la satire, le terme de clinicus revêt un sens péjoratif, il n’en va pas de même dans l’épigraphie latine où il est, semble-t-il, toujours pris en bonne part. Les quatre attestations que j’ai relevées, toutes datées de l’époque impériale, mentionnent à chaque fois le titre de medicus à côté de celui de clinicus. L’épigraphie latine permet donc de confirmer que le clinicus, comme nous l’avions déjà noté à propos des clinicoi Damocrate et Magnos, ne se confond pas avec le simple médecin, ni avec le simple chirurgien ou oculiste. Le clinicus possède en réalité une spécialité que ne possèdent ni tous les médecins ni même peut-être tous les archiatres.
32L’une de ces inscriptions, une inscription funéraire du 1er siècle de notre ère, trouvée à Assise, qualifie ainsi le medicus P. Decimius Eros Merula non seulement de clinicus, mais également de chirurgus et d’ocularius49. Le texte de l’inscription précise que ce médecin acheta sa liberté 50 000 sesterces, paya 20 000 sesterces pour devenir sevir augustalis, c’est-à-dire occuper des fonctions religieuses au niveau municipal, 30 000 sesterces pour une statue dans le temple d’Hercule de sa cité et 37 000 pour paver les routes, et qu’il laissa une fortune de 800 000 sesterces50. R. Jackson n’hésite d’ailleurs pas à en conclure que Merula aurait amassé cette fortune en pratiquant plusieurs spécialités, dont celle de clinicus51.
33Et lorsque le fabuliste Hygin, au début de notre ère, attribue la découverte de la chirurgie au centaure Chiron, celle de l’ophtalmologie à Apollon, et celle de la clinique à Asclépios, il va exactement dans le même sens d’un partage des spécialités :
Quis quid inuenerit ?
Chiron centaurus Saturni filius artem medicinam chirurgicam ex herbis primus instituit ; Apollo artem oculariam52 medicinam primus fecit ; tertio autem loco Asclepius Apollinis filius clinicen repperit.
Qui a inventé quoi ?
Le centaure Chiron fils de Saturne fonda l’art de la médecine chirurgicale, à partir de plantes, Apollon créa le premier l’art de la médecine oculaire.Troisièmement, Asclépius fils d’Apollon inventa la clinique53.
34Quant à Pline, si, comme nous l’avons vu, il fait remonter la clinique (clinicen) à Hippocrate, il attribue l’art des massages (iatralipticen) à son disciple Prodicus (en réalité Herodicus)54. Celse établit de même une distinction entre le médecin (medicus) et le masseur (iatroalipta) au sein d’une médecine impériale de plus en plus partagée entre différentes spécialités55.
35Mais à cet égard, le témoignage le plus intéressant en grec est celui d’Asclépios dit de Tralles dans son commentaire à la Métaphysique d’Aristote composé au VIe siècle apr. J.-C. Asclépios, pour expliquer le passage difficile de la Métaphysique (1007b l. 2) où il est dit qu’« il n’y a même jamais plus de deux accidents liés l’un à l’autre » (οὐδὲ γὰρ πλείω συμπλέκεται δυοῖν), cite l’exemple d’Hippocrate pour introduire la distinction qu’il cherche à établir entre la substance et l’accident et le fait qu’il ne saurait y avoir « un accident d’accident », et cela à l’infini. Or, selon Asclépios, le philosophe Alexandre qui explique que « plus de deux accidents ne pouvaient être affirmés à propos d’une substance » a mal compris le passage. En effet, poursuit Asclépios, « plus de deux accidents peuvent être affirmés à propos d’une substance […] comme par exemple si je dis qu’Hippocrate est un médecin chirurgien excellent, ou bien un médecin diététicien excellent, ou bien un (médecin) clinicien (excellent), et à l’infini. Car quand l’un relève du genre (i.e. le fait d’être médecin) et l’autre de l’espèce (i.e. le fait d’être excellent chirurgien, diététicien, clinicien), c’est un seul (accident) qui est affirmé, comme si je dis qu’Hippocrate est un médecin excellent (car l’un, médecin, relève du genre, et l’autre, excellent, relève de l’espèce, de sorte qu’une seule chose est affirmée) »56. Pour ce commentateur d’Aristote et pour le médecin par excellence qu’est Hippocrate, être médecin relève donc du genre et le reste, c’est-à-dire ses différentes spécialités dans lesquelles il excelle (chirurgien, diététicien, clinicien), relève de l’espèce. D’après ce témoignage, le médecin du VIe siècle était donc susceptible d’exercer plusieurs spécialités, parmi lesquelles la chirurgie, la diététique ou la clinique.
Conclusion
36Les mots clinicos et clinicus, quand ils commencent à être attestés, à partir de l’époque impériale, restent d’un emploi relativement peu fréquent en grec comme en latin. Un fait qui doit cependant amener à relativiser la rareté constatée dans les textes est la présence du terme dans les catalogues des notes tironiennes57.
37Quoi qu’il en soit, lorsque le grec clinicos et le latin clinicus font leur apparition à la fois dans la littérature médicale et dans l’épigraphie, ils qualifient des médecins évoluant dans le cercle des empereurs et réputés à la fois pour leur savoir pharmacologique et leur pratique au chevet de malades qu’ils n’hésitent pas à toucher et qu’ils connaissent assez étroitement pour pouvoir adapter leur traitement (dans le cas par exemple de Considia). Toutefois, à la différence du latin où, dès le IIIe siècle, clinicus en vient à désigner « le malade alité », sens qui l’emportera au IVe siècle et triomphera au Moyen âge, en grec, en revanche, le clinicos désigne exclusivement le médecin exerçant au chevet du malade58. Et au VIe siècle, comme l’atteste le commentaire à la Métaphysique d’Aristote, si le clinicos est devenu un spécialiste au même titre que le chirugien, l’oculiste, le diététicien ou le masseur, il reste d’abord un médecin, en référence au premier d’entre eux, Hippocrate. Au terme de cette enquête, près de dix siècles après l’écriture des Épidémies et du Pronostic, et au terme d’une évolution remontant à l’époque impériale, la clinique apparaît donc à l’origine comme inséparable de la pharmacologie, avant d’être bientôt érigée au rang de spécialité, au mépris total de l’enseignement hippocratique définissant la médecine comme un tout59.
38Depuis sa naissance que Pline fait remonter à Hippocrate, à une époque où elle n'a pas encore de nom, jusqu’aux clinicoi de l’époque impériale qui lui font gagner ses lettres de noblesse, et jusque dans la médecine contemporaine où elle continue d’imprimer sa marque, la clinique n’a donc cessé de faire l'objet de plusieurs lectures. Mais depuis l’origine, fût-ce au prix de nombreuses évolutions, elle n’a jamais cessé, en référence à Hippocrate, d’être toujours tenue dans la plus haute estime, demeurant l’apanage des meilleurs médecins et des archiatres les plus réputés60.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Ouvrages à caractère de source
Edelstein 1998 = E.J. Edelstein and L. Edelstein, Asclepius : Collection and Interpretation of the Testimonies, Volume 1, Baltimore-Londres, The Johns Hopkins University Press, 1998 (1re éd. 1945).
10.56021/9780801857690 :Hayduck 1888 = Phil. M. Hayduck (éd.), In Aristotelis metaphysicorum libros A-Z commentaria. Asclepii in Aristotelis metaphysicorum libros A-Z commentaria [Commentaria in Aristotelem Graeca 6.2], Berlin, Typis et impensis Georgii Reimeri, 1888.
Körte 1902 = A. Körte, Inscriptiones Bureschianae, Greifswald, Druck von Julius Abel, 1902, p. 37.
Samama 2003 = É. Samama, Les médecins dans le monde grec. Sources épigraphiques sur la naissance d’un corps médical, Genève, Droz, 2003.
Studemund 1888 = W. Studemund, Servilii Damocratis poetae medici fragmenta in Galeni libris περὶ συνθέσεως φαρμάκων τῶν κατὰ τόπους servata, dans Index lectionum in Universitate litterarum Vratislaviensi per hiemem anni 1888-1889 a die XV. mensis octobris, Wroclaw, Typis officinae universitatis (W. Friedrich), 1888, p. 3-33.
von Staden 1989 = H. von Staden, Herophilus, The art of medicine in early Alexandria, Edition, translation and essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
Études secondaires
Célis 2006 = R. Célis, L′éthique médicale à l′épreuve de la sagesse hippocratique : Deuxième partie : l′actualité de la clinique d’Hippocrate, dans Éthique & Santé, vol. 3, mai 2006, p. 88-94.
Cichorius 1922 = C. Cichorius, Der Mediziner Servilius Damocrates, dans Römische Studien, Historisches, Epigraphisches, Literargeschichtliches aus vier Jahrhunderten Roms, Leipzig, 1922, p. 432-433.
Craik 2006 = E. Craik, Horizontal Transmission in the Hippocratic Tradition, dans Mnemosyne, Fourth Series, 9-3, 2006, p. 334-347.
10.1163/156852506778132365 :Fischer 2012 = K.-D. Fischer, Die spätlateinische Übersetzung von Galen, ad Glauconem (Kühn XI 1-146), dans Galenos, 6, 2012, p. 103-116.
Foucault 1972 = M. Foucault, La Naissance de la clinique, Paris, 1972.
Ganszyniec 1923 = R. Ganszyniec, Apollon als Heilgott, dans Archiv für Geschichte der Medizin Bd. 15, Karl Sudhoff zum 70. Geburtstage, November 1923, p. 33-42.
Gibello 2011 = B. Gibello, La méthode clinique et les présentations de cinq grands cliniciens : Hippocrate, Galien, Avicenne, Freud et Piaget, dans Psychologie clinique, 31-1, 2011, p. 42-49.
Goulon 1973 = A. Goulon, Un jeu de mots chez Lactance (Divinae Institutiones, III, 8, 10), dans Revue d’Études augustiniennes et Patristiques, 19, 1973, p. 39-55.
Hœrni – Bénézech 1996 = B. Hœrni et M. Bénézech, Les aléas de l’examen clinique, dans Histoire des sciences médicales, XXX, 2, 1996, p. 205-214.
Jackson 1995 = R. Jackson, Doctors and diseases in the Roman Empire, Londres, 1995 (1re éd. 1988).
Jouanna 1993 = J. Jouanna, La main des dieux qui touche. Remarques sur l’emploi d’une maxime et sur le sens de συνάπτεσθαι dans la tragédie grecque : Eschyle, Perses v. 742 et 724 ; Euripide, Hélène v. 1444 ; Sophocle Fragm. 874 (Radt), dans REG, 106, Janvier-juin 1993, p. 181-194.
Jouanna 2017 = J. Jouanna, Hippocrate, Paris, 2017 (1re éd. 1992).
10.3917/flam.bruns.2021.01.0770 :Longhi 2018 = V. Longhi, Hippocrate a-t-il inventé la médecine d’observation ?, dans Cahiers « Mondes anciens » 11, 2018, consulté le 5 octobre 2018, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/mondesanciens/2127.
10.4000/mondesanciens.2127 :Marone 2012 = F. Marone, La clinique, d’Hippocrate à Lacan, dans L’en-je lacanien, 19, 2012/2, p. 121-139.
Mayer 1931/32 = A. Mayer, Nastavni Vjesnik, 40, 32, 1931, p. 189.
Millin 1803 = A.-L. Millin, Apollon médecin. Dissertation sur les attributs, les surnoms d’Apollon médecin, et les monumens qui le représentent, dans Mémoires de la société médicale d’émulation, vol. 5, 1803, p. 342-357.
Nutton 1988 = V. Nutton, From Democedes to Harvey, Londres, 1988.
Nutton 2016 = V. Nutton, La médecine antique, traduit de l’anglais par A. Hasnaoui, Paris, 2016.
Robert 1975 = F. Robert, La prognose hippocratique dans les livres V et VII des Épidémies, dans Mélanges Claire Préaux, Bruxelles, 1975, p. 257-270.
Schmitz 1893 = G. Schmitz, Commentarii Notarum Tironiarum, Leipzig, 1893.
Vogt 2005 = S. Vogt, ‘… er schrieb in Versen, und er tat recht daran.’ Lehrdichtung im Urteil Galens, dans Th. Fögen (éd.), Antike Fachtexte. Ancient Technical Texts, Berlin-New York, 2005, p. 51–78.
Vogt 2008 = S. Vogt, Damokrates, Seruilius (ca 70-80), dans P.T. Keyser and G.I. Irby-Massie (dir.), The Encyclopedia of ancient natural scientists: the Greek tradition and its many heirs, Londres-New-York, 2008.
Wellmann 1901 = M. Wellmann, Damokrates 8, dans RE IV, 2, 1901, col. 2069-2070.
Notes de bas de page
1 On rappellera notamment le jugement de Robert 1975, à propos des Épidémies (p. 269) : « Quelle joie pour l’esprit que de découvrir dans ce livre VII si décrié et si oublié (allusion au fait que les Anciens jugeaient ce livre VII des Épidémies comme le moins hippocratique de tous) jusqu’au temps où Littré notamment commença à le mettre en honneur, et dans VII plus encore que dans V parce que VII nous a conservé beaucoup plus de détails... ce foisonnement d’observations presque ramenées à l’état pur et libérées de presque toute pensée théorique, où le clinicien moderne peut mettre sa pensée au travail à peu près comme dans un hôpital d’aujourd’hui. » Voir également les notices des dictionnaires ou encyclopédies présentant Hippocrate comme l’« initiateur d’une méthode d’observation clinique » (Wikipedia) ; ou rappelant dès les premières lignes que « Certaines observations cliniques sont restées justement célèbres, comme le ‘faciès hippocratique’ » (Encyclopaedia Universalis, art. Hippocrate de Cos ; ou encore que « On doit avant tout à Hippocrate le principe de la recherche des causes des maladies, après l’établissement d’un diagnostic fondé sur un ensemble de signes cliniques » (Encyclopédie Larousse en ligne). Voir enfin plusieurs articles récents au titre évocateur comme celui d’Hœrni – Bénézech 1996 qui notent (p. 205) : « L’enseignement et l’apprentissage de la séméiologie portent sur les signes découlant de l’examen clinique […] Depuis Hippocrate, cet examen a connu des éclipses, certaines très prolongées. » ; voir aussi Célis 2006 ; Gibello 2011 et Marone 2012.
2 Foucault 1972, p. 53-62.
3 Définition donnée par Longhi 2018.
4 Jouanna 2017.
5 Le DELG, s.v. κλίνω indique que « la nasale, qui représente un suffixe de présent, est étendue au fut. et à l’aor. actifs, et dans une certaine mesure à l’aor. passif » ; et il distingue, parmi les nombreux dérivés, entre les thèmes sans nasale et ceux avec nasale apparemment issue du thème de présent, comme κλινικός. À noter qu’à la différence du français « clinique », employé comme adjectif et comme substantif féminin, Chantraine ne signale en grec qu’un emploi adjectival.
6 Plin., Hist. Nat. 29, 4 (éd. A. Ernout 1962, p. 21).
7 Sur cette légende, voir Jouanna 2017, p. 492.
8 Comparer avec Plin., Hist. Nat. 1, 29 (éd. J. Beaujeu 1950, p. 136) et le descriptif du contenu du livre 29 : I- De origine medicinae ; II- De Hippocrate. Quando primum clinice. Quando primum iatraliptice […] IV- De empirice ; V- De Herophilo etc. ; « I- De l’origine de la médecine ; II- D'Hippocrate. Apparition de la médecine clinique ; premier emploi des massages […] ; IV- De la médecine empirique ; V- D’Hérophile etc. ».
9 Voir Studemund 1888, p. 3-33 où seuls sont édités les fragments de Damocrate contenus dans le De compositione medicamentorum secundum locos de Galien, à l’exclusion de ceux contenus dans le De antidotis ; voir aussi Fabricius 1972, p. 189-190 et Vogt 2008, p. 226 qui indique préparer une édition des fragments de Damocrate dans le Corpus Medicorum Graecorum.
10 Voir Vogt 2005 (p. 66-68 sur Damocrate).
11 Gal., De comp. med. sec. loc. X, 2 (Kühn XIII, 349,14 = Studemund 1888, p. 21-25).
12 Ibid. (Kühn XIII, 350, 7-9) : ἔοικε τὴν ὑπὸ τῶν Ἑλλήνων ὀνομαζομένην λεπίδιον Ἰβηρίδα καλεῖν, ἀπὸ τῆς χώρας ἐν ᾗ θεραπευθεὶς ἔτυχεν ὁ φίλος αὐτοῦ.
13 Ibid. (Kühn XIII, 351-353).
14 Tout ce passage sur l’ibèris, comme l’a bien noté Studemund 1888, p. 22, a également été cité par Aétius d’Amide au VIe siècle dans le livre XII, c. 2, inédit en grec mais disponible dans l’édition latine de Cornarius (Bâle, 1542).
15 Sur l‘hiéra à base de coloquinte, voir Gal., De comp. med. sec. loc. I, 2 (Kühn XII, 382, 18) : ἡ διὰ τῆς κολοκυνθίδος ἱερὰ καθαίρειν πέφυκεν ; et sur celle à base d’aloës, voir Ibid. II, 1 (Kühn XII, 539, 10) : τὴν διὰ τῆς ἀλόης ἱεράν.
16 Ibid. VIII, 2 (Kühn XIII, 129, 10).
17 Ibid. VII, 2 (Kühn XIII, 40, 7 = Studemund 1888, p. 19-21) : [Ἡ διὰ κωδυῶν, ὡς Δαμοκράτης.] Ἐσκευάσθη δὲ τὸ φάρμακον τοῦτο, ὡς Δαμοκράτης φησίν, ὑπὸ Θεμίσωνος πρώτου, γράφων οὕτως ἐν τῷ βιβλίῳ τῷ ἐπιγραφομένῳ, Δαμοκράτους Φιλίατρος· ἴσμεν δ’ ὅτι διὰ στίχων γέγραπται. L’adjectif Φιλίατρος, à rapprocher de φιλιατρ-έω « être médecin amateur » (sens donné dans le dictionnaire LSJ), désigne « l’ami de l’art de la médecine ». On le trouve employé chez Galien, notamment dans le De sanitate tuenda IV, 5 (Kühn VI, 269, 10) où le médecin distingue les « vrais » médecins pour lesquels il a écrit le De methodo medendi des médecins « amateurs » (sans aucun sens péjoratif) auxquels il destine le De sanitate tuenda et qu’il définit comme des gens qui possèdent les connaissances premières et fondamentales pour exercer leur jugement : ἐν ἐκείνῃ μὲν γὰρ αὐτοῖς μόνοις διαλέγομαι τοῖς ἰατροῖς, ἐνταυθοῖ δὲ καὶ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν, οὓς ὀνόματι κοινῷ προσαγορεύουσιν ἔνιοι φιλιάτρους, ἐν τοῖς πρώτοις δηλονότι μαθήμασι γεγονότας, ὡς γεγυμνάσθαι τὴν διάνοιαν. Voir aussi De comp. med. sec. gen. III, 7 (Kühn XIII, 636, 2-3) : ἀνὴρ φιλοφάρμακός τε καὶ φιλίατρος.
18 Gal., De comp. med. sec. loc. V, 5 (Kühn XII, 889, 13 = Studemund 1888, p. 17-19) : [Τὸ Δαμοκράτους ἐγγραφόμενον ὀδοντότριμμα.] Πυθικοῦ (lege Πυθικὸν ?) λεγόμενόν τι βιβλίδιον εἶναι μικρόν, ὁ Δαμοκράτης ἐπέγραψε Πυθικόν, ἀπὸ τοῦ δόντος αὐτῷ τὰς τῶν στοματικῶν φαρμάκων συνθέσεις ὀνομάσας οὕτω, ἐν ᾧ κατὰ τὸ τέλος καὶ ταῦτα γέγραπται. Alexandre de Tralles (éd. Puschmann, I, Vienne 1878, p. 569) rapporte que Damocrate l’Athénien (que Puschmann identifie dans une note avec le médecin pharmacologue inventeur de l’ibèris), s’était rendu dans sa jeunesse à Delphes à la recherche d’un remède contre l’épilepsie dont il souffrait : Δημοκράτην δὲ τὸν Ἀθηναῖον λέγεται νεανίσκον ὄντα καὶ ἐπιληπτιζόμενον παραγενέσθαι εἰς Δελφούς. Si le texte est sûr (certains manuscrits ont Τιμοκράτην à la place de Δημοκράτην) c’est donc vraisemblablement au cours de ce séjour que Damocrate aurait rassemblé les remèdes consignés dans le Pythicos.
19 Sur les cataplasmes, voir Gal., De comp. med. sec. loc. VIII, 10 (Kühn XIII, 220, 11 = Studemund 1888, p. 25-31) : Τὰ ὑπὸ Δαμοκράτους μαλάγματα γεγραμμένα ; sur les antidotes, voir [Ps.-]Gal., De ther. ad Pis. c. 12 (Kühn XIV, 260, 15 = éd. V. Boudon-Millot 2016, p. 61) : ὁ δὲ Δαμοκράτης, ἄριστος ἰατρὸς καὶ αὐτὸς γενόμενος καὶ ὅλον βιβλίον φιλοτίμως συντάξας καὶ αὐτὸς ἔπεσι περὶ τῆς τῶν ἀντιδότων σκευασίας. Voir aussi De antid. I, 15 (Kühn XIV, 89, 17) : ἄρχεται τοίνυν ὁ Δαμοκράτης ἐν τῷ βιβλίῳ καθ’ ὃ τὰς ἀντιδότους γράφει κτλ. ; et ibid. II, 2 (Kühn XIV, 115,11) : τὰς ὑπὸ Δαμοκράτους συγγεγραμμένας ἀξιολόγους ἀντιδότους.
20 Gal., De comp. med. sec. gen. III, 9 (Kühn XIII, 642) : τοῦτο τὸ φάρμακον οὐκ οἶδα τίς ὁ συνθήκας ἐστίν. οὔτε γὰρ παρ’ Ἀσκληπιάδῃ τῷ φαρμακίωνι τὴν γραφὴν εὗρον οὔτε παρὰ Πετρωνᾷ οὔτε παρ’ Ἀνδρομάχῳ, καίτοι πάντων τῶν πρεσβυτέρων ἰατρῶν ἄριστα φάρμακα γραψάντων. εὔδηλον δ’ ὅτι μήτε παρὰ Ἥρᾳ τῷ Καππαδόκι, μηδὲ Μαντίᾳ, μηδὲ Ἡρακλείδῃ τῷ Ταραντίνῳ, πολλὴν ἐμπειρίαν φαρμάκων ἐσχηκόσιν· ἀλλ’ οὐδὲ τοῖς περὶ τὸν Ἀρχιγένην, Φίλιππον ἤ τινα τῶν μαθητῶν αὐτοῦ. καὶ Σωρανῷ δὲ τὰ περὶ φαρμάκων γεγραμμένα ἀναγνοὺς ἅπαντα καὶ Μενεκράτει καὶ Κρίτωνι καὶ Δαμοκράτει καὶ τοῖς ἄλλοις ὅσοι δόξαν ἴσχουσιν ἐπὶ τῇ γνώσει τῶν φαρμάκων παρ’ οὐδενὶ τουτὶ τὸ γεγραμμένον ἄρτι φάρμακον εὗρον.
21 Gal., De simpl. med. fac. X, 3 (Kühn XII, 257, 8) : τὸ Δαμοκράτους ὀνομαζόμενον διάσμυρνον et aussi 609, 2 ; voir aussi De comp. med. sec. loc. I, 7 (Kühn XII, 486, 3) à propos d'une composition Damocratéenne contre les croûtes humides et chroniques (Δαμοκράτειος πρὸς ἀχῶρας καθύγρους καὶ χρονίους).
22 Sur ce traité très tôt versé dans le corpus galénique, mais qui n'est pas de Galien, voir mon édition dans la CUF, Paris, 2016, p. LII-LXXX où sont exposés les arguments contre l'authenticité.
23 Voir par exemple Gal., De ant. II, 10 (Kühn XIV, 167, 15-16) : οἱ περὶ τὸν Ἀσκληπιάδην τε καὶ Δαμοκράτην.
24 Plin., Hist. nat. 25, 87 (éd. J. André 1974, p. 58-59).
25 Plin., Hist. nat. 24, 43 (éd. J. André 1972, p. 41) : Scio Democratem medicum ; et ibid. 25, 87 (André, p. 58) : Servilius Democrates e primis medentium. Le nom Democrates est donné par la majorité des manuscrits latins, mais Damocrates est donné par les plus fiables. La forme Damocrates est en outre attestée à la fois par Galien et par l’épigraphie (voir infra).
26 Plin., Hist. nat. 24, 43 (André, p. 41). On ignore de quoi souffrait exactement Considia. Pline mentionne juste avant les « parties meurtries » (attritis partibus), mais énumère aussi bien d’autres affections dans ce chapitre consacré aux vertus de la lentisque
27 Körte 1902, p. 37.
28 Cichorius 1922.
29 Samama 2003, p. 362, n° 244.
30 Cichorius 1922 note qu’il existe deux consuls du nom de Marcus Servilius, le père (consul en 3 apr. J.-C.) et le fils (consul en 35 apr. J.-C.). Wellmann 1901 avait conclu en faveur du père. Il faisait également de Damocrate un affranchi de M. Servilius. J. André dans son édition de Pline semble hésiter entre les deux Servilii père et fils : dans une note au livre XXV, 87 (p. 130 n. 1), il mentionne un M. Servilius Nonianus consul en 3 apr. J.-C., mais dans une autre note au livre XXIV, 43 (p. 109 n. 5), il mentionne le M. Servilius Nonianus, orateur et historien, consul en 35 apr. J.-C. Cependant, et comme le remarque encore Cichorius, pour des raisons chronologiques, il ne peut s’agir que du fils. De même, toujours selon Cichorius, Damocrate était né libre et ne fut donc pas affranchi par M. Servilius, mais obtint la citoyenneté romaine, vraisemblablement grâce à lui. Reste une difficulté : pour expliquer que Damocrate, bien qu’originaire de Lydie, soit désigné par Alexandre de Tralles (voir supra n. 18) comme athénien, Cichorius émet l’hypothèse soit qu’il s’agit de deux personnages différents, soit que Damocrate Servilius aurait reçu postérieurement le droit de cité athénien.
31 Plin., Hist. nat. 24, 43 (André, p. 41).
32 Gal., De comp. med. sec. loc. V, 3 (Kühn XII, 829, 8) : [Μάγνου κλινικοῦ.] ♃ Στυπτηρίας σχιστῆς, ἰοῦ Κορινθίου, μίλτου σινώπιδος, χαλκίτεως, κόλλης τεκτονικῆς κτλ.
33 À noter que seul Magnos est explicitement qualifié d’archiatros dans le De ther. ad Pis. c. 12. 20 (Kühn XIV, 261, 5 = Boudon-Millot, p. 62, 4) : Μάγνος δέ, ὁ καθ’ ἡμᾶς ἀρχίατρος γενόμενος. Damocrate est, quant à lui, qualifié de médecin à la fois dans le De ther. ad Pis. c. 12. 19 (Kühn XIV, 260, 15 = Boudon-Millot, p. 61, 10) : ὁ δὲ Δαμοκράτης, ἄριστος ἰατρὸς καὶ αὐτὸς γενόμενος et dans le De comp. med. sec. loc. X, 2 (Kühn XIII, 354, 2) : Δαμοκράτης ὁ ἰατρός.
34 [Ps.-]Gal., De ther. ad Pis. c. 1. 3-4 (Kühn XIV, 211-212 = Boudon-Millot, p. 2-3).
35 Sur Xénocrate et Démétrios, voir De ther. ad Pis. c. 12. 18 et 22 (Kühn XIV, 260-261 = Boudon-Millot, p. 61-62).
36 [Ps.-]Gal., De ther. ad Pis. c. 12. 21 (Kühn XIV, 261 = Boudon-Millot, p. 62, 15-18).
37 Ibid. 13. 1 (Künn XIV, 262 = Boudon-Millot, p. 63, 11-12) : ἔστιν οὖν ἡ ἀρίστη σκευασία ἡ παρὰ Μάγνῳ, ἧς ἡ γραφὴ αὕτη (La meilleure préparation se trouve chez Magnos et en voici la recette).
38 On peut le déduire du début du De ther. ad Pis. où Magnos est présenté comme un contemporain des deux empereurs, voir mon édition dans la CUF, p. XXXIV.
39 Sur Hippocrate présenté à la fois comme fondateur de la médecine et comme autorité dans le domaine de la pharmacologie, voir Plin., Hist. nat. 26, 10 (éd. A. Ernout 1957, p. 21) : Hippocratis certe, qui primus medendi praecepta clarissime condidit, referta herbarum mentione inuenimus uolumina ; voir aussi dans ce volume la communication de D. Fausti, « L’eredità di Ippocrate nella farmacologia : il diverso approccio di Dioscoride, Plino il Vecchio, Sorano, Galeno ».
40 Voir Plin., Hist. nat. 30, 98 (éd. A. Ernout 1963, p. 58) : In quartanis medicina clinice propemodum nihil pollet quam ob rem plura eorum remedia ponemus (Dans la fièvre quarte, la médecine clinique est à peu près impuissante. C'est pourquoi nous rapporterons plusieurs remèdes des mages etc.). Sur l’échec de la médecine rationnelle hippocratique en la matière, voir l’important développement que Celse consacre aux fièvres (III, 3-6 = Loeb, p. 226-263) et en particulier aux fièvres quartes. Celse s’y montre très critique envers Hippocrate et ses successeurs (parmi lesquels Hérophile, Érasistrate et Héraclide de Tarente) dont il dénonce les erreurs et les contradictions. Aussi, n’hésite-t-il pas à conclure qu’on ne peut rien trouver de rationnel sur le sujet chez cette autorité (sc. Hippocrate) : nihil rationis sub illo quidem auctore reperiri (III, 4, 15 = Loeb, p. 241).
41 Sur ce document (SEG 53:580 = ILJug [1986] 1855A) publié pour la première fois par Mayer 1931/32, p. 189 et communiqué à É. Samama par M.D. Grmek, voir Samama 2003, p. 182.
42 L'authenticité de cette inscription a été mise en doute par Nutton 1988, VI p. 37 n. 33 (the wording on the stone may indicate a forgery) et Addenda et corrigenda, p. 1 n. V, p. 226 (if this is genuine).
43 Sur Lucillius, voir l’Appendice sur Lucillius dans l'Anthologie grecque livre XI (éd. R. Aubreton 1972, p. 61-64) ; voir aussi p. 34 n. 4 ; p. 45 ; 55 ; 242 (note à la page 98) ; et p. 243.
44 Anth. XI, 113 (Aubreton, p. 113).
45 von Staden 1989, p. 416-417, frg. 248a, b, c. Sur le sens de cette expression, voir Jouanna 1993.
46 Anth. XI, 116 (Aubreton, p. 114-115).
47 Mart., Epigr. I, 30, 2. Martial joue manifestement ici sur le double sens de κλίνη en grec, à la fois lit du malade et bière dans laquelle on dépose le mort.
48 Mart., Epigr. IX, 96, 1 ; et ibid. IV, 9, 1 où Martial étend cette fois sa réprobation à la fille du clinicus Sota :
Sotae filia clinici, Labulla,
deserto sequeris Clytum marito,
et donas et amas: echeis asotos (ἔχεις ἀσώτως).
« Fille du clinicus Sota, Fabulla, tu quittes ton mari pour suivre Clitus ; tu lui prodigues et les présents et ton amour ; tu te ruines. » Sur l’expression grecque echeis asotos (ἔχεις ἀσώτως) qui peut ici signifier « tu es indigne de Sota » ou « tu agis avec prodigalité », c’est-à-dire en débauchée, voir Goulon 1973, p. 49 n. 56.
49 CIL XI, 5400 : medicus clinicus chirurgus ocularius. Voir aussi CIL VI, 3355 Rome (entre 54 et 100 apr. J.-C.) : medico clinico ; CIL VI, 2532 Rome (?) : medicus clinicus ; Inscriptiones Italiae I.1 23 (Bracco, Vittorio, 1981), Salerne (entre 71 et 120 apr. JC) : medico clinico.
50 Sur ce médecin, voir Nutton 2016, p. 291.
51 Jackson 1995, p. 83.
52 La leçon oculariam, éditée à la fois par H.I. Rose (1967 editio tertia) et Jean-Yves Boriaud (Paris, CUF, 1997, p. 168), est donnée par tous les manuscrits latins. Dès le début du XIXe siècle, il a cependant été proposé de corriger oculariam en oraculariam (voir A.-L. Millin 1803, p. 350 n. 1 : « Quelques savans (sic) au lieu de medicinam oculariam ont proposé de lire oraculariam). Cette correction a de nouveau été proposée, de façon indépendante, par Ganszyniec 1923, p. 38 ; elle a également été proposée, toujours de façon indépendante, par Craik 2006, p. 344, ainsi que dans d’autres de ses publications. Le parallèle avec l’inscription CIL XI, 5400 citée supra n. 49 où le medicus clinicus est associé d’une part au chirurgus et d’autre part à l’ocularius, exactement comme dans le texte d’Hygin, invite cependant à conserver le texte des manuscrits latins (oculariam) sans le corriger. Sur Apollon « médecin des yeux », voir notamment Aristophane, Oiseaux, v. 582-584 :
οἱ δ’ αὖ κόρακες τῶν ζευγαρίων, οἷσιν τὴν γῆν καταροῦσιν,
καὶ τῶν προβάτων τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐκκοψάντων ἐπὶ πείρᾳ·
εἶθ’ Ἁπόλλων ἰατρός <γ’> ὢν ἰάσθω·
« Que les corbeaux d’autre part aux attelages qui labourent la terre et à leurs brebis, aillent crever les yeux, comme échantillon. Et qu'ensuite Apollon, puisqu’il est médecin, les guérisse. » (traduction H. van Daele, Paris, CUF, 20002, p. 52).
53 Hyg., Fab. 274.9 ; voir Edelstein 1998, p. 186 n° 360.
54 Sur cette erreur de Pline, voir Hist. nat. XXIX, CUF, p. 72, § 4, n. 2. Sur ces distinctions, voir le contenu du livre 29 cité n. 8 (Hist. Nat. 1, 29, CUF, p. 136).
55 Cels., I, 1, 1 à propos de l’homme en bonne santé qui n’a besoin ni du médecin ni du masseur-médecin : ac neque medico neque iatroalipta egere.
56 Ascl. Trall., In Aristotelis metaphysicorum libros (Hayduck 1888, p. 265) : οἷον ἐὰν εἴπω οὕτως ὁ Ἱπποκράτης ἰατρὸς χειρουργὸς ἄριστός ἐστιν, ἤγουν ἰατρὸς διαιτητικὸς ἄριστός ἐστιν, ἤγουν κλινικὸς καὶ ἄλλα μυρία. ἄλλως τε δὴ ἡνίκα τὸ μέν ἐστι γένος τὸ δὲ εἶδος, τὸ ἓν κατηγορεῖται, οἷον ἐὰν εἴπω ὅτι ὁ Ἱπποκράτης ἰατρὸς ἄριστός ἐστιν (ἔστι γὰρ τὸ μὲν ἰατρὸς γένος, τὸ δὲ ἄριστος εἶδος, ὥστε ὡς ἕν τι κατηγορεῖται).
57 Voir Schmitz, 1893, Tab. 57, 90 et 66, 77.
58 Goulon 1973, p. 52-53 remarque qu’Ausone, au IVe siècle, lorsqu'il imite Nicarque (en réalité Lucillius auquel, on l’a vu, l’édition de la CUF attribue tout ce groupe d’épigrammes), traduit κλινικός par medicus, car « le mot clinicus, pour un latin de la fin du quatrième siècle, n’avait plus guère que le sens de ‘malade alité’ ». Et il précise que le seul emploi de κλεινικός au sens de « grabataire » qui se trouve également chez Ausone (Ep., VIII, 34 : Peiper, p. 234) résulte d’un jeu littéraire consistant « à faire alterner au sein d’un poème hexamétrique la langue latine et la langue grecque ». Je remercie cependant K.-D. Fischer de m’avoir signalé que, dans la traduction latine (c. Ve siècle) du Ad Glauconem de methodo medendi imprimée dans l’édition de D. Bonardus (Venise, 1490) sous le titre De febribus ad Glauconem, le latin clinicus désigne encore manifestement le médecin, voir deux emplois dans le c. 2 : maxime die<te>ticos id est clinicos conuenit nosse et intelligere ergo manifestissime clinicus debet pulsum uenarum et indicia urinarum pernoscere etc. Malheureusement cette traduction est bien trop éloignée du texte grec (l’original utilisé par le traducteur est manifestement différent et peut-être plus authentique que celui utilisé pour l’édition Kühn) pour que l’on puisse identifier quel mot grec a ici été rendu par clinicus. Sur la tradition particulièrement complexe du Ad Glauconem, voir Fischer 2012.
59 Sur la médecine hippocratique qui est une médecine généraliste aux antipodes de la division en spécialités pratiquée dans la médecine égyptienne, voir Hérodote II, 84.
60 Il est cependant piquant de noter que c’est précisément au moment où la clinique est enfin nommée qu’elle sombre aussi dans les pires travers. À l’époque impériale, elle aura en effet de plus en plus de mal à échapper aux fourvoiements dans lesquels l'entraînent les polémiques entre écoles médicales rivales, polémiques souvent livrées au chevet même des malades qui deviennent ainsi les otages de ces querelles entre médecins. Voir par exemple le De methodo medendi X, 3 (Kühn X, 676) où Galien rapporte comment les proches d'un jeune homme sur le point de succomber à une forte fièvre convoquèrent ensemble tous les médecins et menacèrent de les tailler en pièces s'ils ne cessaient pas immédiatement leurs disputes entre tenants du jeûne de trois jours et ceux qui, comme Galien, étaient partisans d’alimenter le malade.
Auteur
CNRS – Sorbonne Université - veronique.boudon-millot@cnrs.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002