Hippocrate et les autres
La conception du climat
p. 13-14
Résumés
L’étude comprend trois parties : 1. La division du temps de l’année par les saisons : le problème du nombre des saisons et de l’existence de l’automne depuis Homère et Hésiode jusqu’à Hippocrate, en passant par le poète Alcman. 2. Les dénominations de l’automne dans la Collection hippocratique et les catégories de traités hippocratiques désignant l’automne de façon différente. 3. La division du temps de l’année par le mouvement apparent des astres et du soleil : continuités et innovations d’Homère et Hésiode à Hippocrate. L’innovation majeure dans la Collection hippocratique n’est pas la création de l'automne, mais la mise en pratique de l’équinoxe en utilisant une littérature technique perdue. Une partie du savoir des médecins hippocratiques, notamment sur le double lever des astres, ne se comprend véritablement que par référence à leurs prédécesseurs.
The study consists of three parts : 1. The division of the time of the year by the seasons : the problem of the number of seasons and the existence of autumn from Homer and Hesiod to Hippocrates, by way of the poet Alcman. 2. The names of autumn in the Hippocratic Collection and the categories of Hippocratic treatises designating autumn in different ways. 3. The division of the time of the year by the apparent movement of the stars and the sun : continuities and innovations from Homer and Hesiod to Hippocrates. The major innovation in the Hippocratic Collection is not the creation of autumn, but the putting into practice of the equinox using lost technical literature. Part of the knowledge of Hippocratic doctors, especially on the double rising of the stars, can be actually understood only by reference to their predecessors.
Entrées d’index
Mots-clés : Saisons, Dénomination des saisons, Année astronomique, Homère, Hésiode, Hippocrate
Keywords : Seasons, Names of seasons, Astronomical year, Homer, Hesiod, Hippocrates
Texte intégral
1L’expression « Les autres » dans le titre de ce volume peut s’entendre de deux façons, soit comme les successeurs, soit comme les prédécesseurs (et les contemporains). Malgré la tentation de donner de nouvelles informations sur la conception du climat chez ce que j’ai appelé « L’autre Hippocrate », j’ai préféré traiter, de façon plus innovante, de la conception du climat chez « Les autres », entendus comme les prédécesseurs.
2Une comparaison sur la conception du climat peut se faire de façon privilégiée parmi « les autres en amont » avec le poème d’Hésiode, Les travaux et les jours et parmi les traités d’Hippocrate avec le médecin d’Épidémies I/III, car ce sont les deux premiers grands textes où le climat d’un endroit précis de la Grèce est décrit : le climat rude de la Béotie à Ascra près de l’Hélicon chez Hésiode et le climat de l’île de Thasos chez l’auteur hippocratique d’Épidémies I/III. L’écart de plus de deux siècles entre ces deux textes devrait nous permettre de mesurer les continuités et les innovations dans la manière de concevoir le climat. Mais ces deux exemples privilégiés n’excluent pas du tout les autres prédécesseurs depuis Homère ni les autres traités hippocratiques.
3La question fondamentale est de situer les médecins de la Collection hippocratique par rapport à leurs prédécesseurs sur la conception du climat définie par la succession des saisons, par le lever et le coucher des astres et par les mouvements apparents du soleil (solstices et équinoxes). Quelles sont les continuités et s’il y a innovation, quelles sont les innovations ?
I. La division du temps de l’année par les saisons : le problème de l’automne
4Il est bien connu que le mot climat issu du grec clima/climatos par l’intermédiaire du latin clima/climatis n’existait pas encore chez Hippocrate au sens moderne de “conditions météorologiques moyennes”. Les divisions du temps, chez Hésiode, comme chez Hippocrate, sont l’année divisée en saisons. L’unité climatique est l’année désignée par deux mots grecs qui sont synonymes aussi bien chez Hippocrate que chez Hésiode : ἐνιαυτός et ἔτος1.
5Cette unité est inséparable de la notion de la révolution du temps. L’année correspond à une révolution. Cela est déjà clairement exprimé chez Hésiode dans une expression telle que « l’année accomplissant son cycle » (Op. 386 περιπλομένου ἐνιαυτοῦ). Cette représentation n’est pas abstraite ; elle naît de l’observation des astres qui se lèvent et se couchent et des mouvements apparents du soleil. Quand une année s’est achevée les saisons reviennent (Théogonie 58 : ἀλλ᾽ ὅτε δή ῥ᾽ ἐνιαυτὸς ἔην, περὶ δ᾽ ἔτραπον ὧραι). Chez Hésiode, c’est une année type qui sert de cadre climatique ; chez Hippocrate dans les Épidémies I/III, ce sont quatre années particulières qui sont envisagées successivement pour observer les variations des maladies en fonction de la variété du climat annuel2.
6Tout en formant une unité globale, l’année est divisée en saisons. Chez Hippocrate, à part le traité des Semaines dont nous reparlerons plus loin, ce sont les quatre saisons : printemps, été, automne, hiver3. Elles sont clairement présentées dans les tableaux climatiques des Épidémies I/III ; cependant le passage d’Hippocrate le plus commode pour illustrer ces quatre saisons est le Régime 68 :
Τὸν μὲν οὖν ἐνιαυτὸν ἐς τέσσερα μέρεα διαιρέω, ἅπερ μάλιστα γινώσκουσιν οἱ πολλοί, χειμῶνα, ἦρ, θέρος, φθινόπωρον· χειμῶνα μὲν ἀπὸ πληϊάδων δύσιος ἄχρι ἰσημερίης ἠαρινῆς, ἦρ δὲ ἀπὸ ἰσημερίης μέχρι πληϊάδων ἐπιτολῆς, θέρος δὲ ἀπὸ πληϊάδων μέχρι ἀρκτούρου ἐπιτολῆς, φθινόπωρον δὲ ἀπὸ ἀρκτούρου μέχρι πληϊάδων δύσιος,
« Eh bien donc, l’année je la divise en quatre parties, ce que pense surtout la plupart, hiver, printemps, été, automne ; l’hiver du coucher des Pléiades jusqu’à l’équinoxe de printemps, le printemps de l’équinoxe jusqu’au lever des Pléiades ».
7Nous reviendrons plus loin sur cette division. Mais on constatera dès l’abord que l’auteur du Régime, qui prend soin de dire qu’il expose une opinion générale, fait intervenir pour délimiter les quatre saisons à la fois les mouvements apparents du soleil, dont il mentionne l’équinoxe, et de deux autres astres les Pléiades et Arcturus dont il indique le lever ou le coucher.
8Qu’en est-il chez Hésiode ? L’opinion générale est qu’Hésiode ne connaissait que trois saisons, printemps, été, hiver, en ignorant l’automne, alors que les traités hippocratiques seraient les premiers à distinguer les quatre saisons. C’est en particulier ce que dit Germaine Aujac dans son introduction aux Phénomènes de Géminos (1er siècle avant J.-C.) parue dans la Collection des Universités de France en 1973. Elle déclare en effet : « En Grèce ancienne, on comptait trois saisons, printemps été hiver : on rencontre la première mention de l’automne dans des traités hippocratiques (c. 400 avant J.-C.) ». Si l’on en croit cette affirmation qui est un lieu commun, l’automne est une saison qui ne serait pas attestée avant Hippocrate. La comparaison entre Hésiode et Hippocrate est une occasion de réviser sérieusement cette interprétation. Car la position d’Hésiode est beaucoup plus complexe. Et pour le montrer il faut d’abord partir d’Homère.
9Chez Homère, en plus du printemps de l’été et de l’hiver, il y a une saison appelée ὀπώρη qui est distincte de l’été. Ainsi dans l’Odyssée XI, v. 192, le même vers présente sur le même plan les deux saisons : αὐτὰρ ἐπὴν ἔλθῃσι θέρος τεθαλυῖά τ᾽ ὀπώρη. Cette distinction entre les deux saisons est confirmée dans deux autres passages de l’Odyssée en XII, v. 76 οὔτ᾽ ἐν θέρει οὔτ᾽ ἐν ὀπώρη et Od. XIV, v. 384 ἢ ἐς θέρος ἢ ἐς ὀπώρην. Si l’on ne part pas d’idées préconçues, l’ὀπώρη dans l’Odyssée ne peut pas être une partie de l’été, mais la période qui suit l’été avant l’hiver. Et que peut être cette saison sinon l’automne ? Dans son édition de l’Odyssée, Victor Bérard traduit très correctement dans ces trois passages ὀπώρη par « l’automne »4. L’adjectif dérivé de ce substantif ὀπώρη, à savoir ὀπωρινός, est attesté aussi dans l’Odyssée V, v. 328 pour qualifier le vent appelé Borée (ὀπωρινὸς Βορέης), ce que Victor Bérard traduit par « le Borée de l’automne »5.
10Si l’on remonte à l’Iliade, il est déjà fait mention du climat saisonnier dans des comparaisons. Le substantif ὀπώρη se trouve dans l’Iliade XXII, v. 26-31 lorsqu’Achille, aperçu depuis le haut des remparts de Troie par Priam, « s’élance tout resplendissant en courant dans la plaine semblable à l’astre qui vient à l’ὀπώρη (ἀστέρ᾽ ... ὅς ῥά τ᾽ ὀπώρης εἶσιν) et dont les rayons très éclatants resplendissent parmi bien d’autres astres au cœur de la nuit ». Cet astre est appelé par Homère le Chien d’Orion. Selon Homère, l’astre apporte en cette saison beaucoup de fièvres aux malheureux humains. De même que le substantif, l’adjectif dérivé ὀπωρινός apparaît dans l’Iliade, déjà en V, v. 5, où c’est le même astre venant à l’ὀπώρη (ἀστέρ᾽ ὀπωρινῷ) auquel est déjà comparé un autre héros Diomède. Dans son édition de l’Iliade, Paul Mazon traduit ὀπώρη par « arrière-saison », alors que Bérard, comme nous l’avons vu, a traduit dans l’Odyssée par « automne ». Il y a là un décalage significatif pour le problème qui nous occupe. Alors que Victor Bérard considère explicitement qu’il y a déjà quatre saisons chez Homère, Mazon, lui, considère implicitement qu’il n’y en a que trois, la traduction de ὀπώρη par « arrière saison » pouvant s’interpréter comme étant la fin de l’été. Quel parti faut-il adopter ? Celui de Bérard ou celui de Mazon ? En relisant Homère sans idée préconçue, on est déjà tenté de suivre l’interprétation de Bérard, car la syntaxe de l’Odyssée est très claire et distingue très nettement la saison de l’ὀπώρη de celle de l’été6.
11Or l’interprétation de Bérard va trouver un appui de premier ordre chez le poète lyrique Alcman dans la deuxième moitié du VIIe siècle (Frag. 17 et 20 PMG Page). Athénée, dans les Deipnosophistes (X 416 D), cite deux passages d’Alcman qu’il a réunis pour montrer qu’Alcman se présente comme un gros mangeur : l’un est tiré du livre III (Frag. 17), l’autre du livre V (Frag. 20). Voici le second passage qui nous intéresse directement :
Frag. 20 PMG Page :
Κἀν τῶι ε´ δὲ ἐμφανίζει αὑτοῦ τὸ ἀδηφάγον λέγων οὕτως·
1 ὥρας δ᾽ἔσηκε τρεῖς, θέρος
καὶ χεῖμα κὠπώραν τρίταν
καὶ τέτρατον τὸ ϝῆρ, ὅκα
σάλλει μέν, ἐσθίην δ᾽ ἄδαν
5 οὐκ ἔστι7.
« Et dans le livre V il (sc. Alcman) montre sa gloutonnerie en disant ainsi :
Il a atteint trois saisons, l’été,
l’hiver, et l’automne en troisième
et en quatrième le printemps, saison où
(la végétation) pousse, mais où manger à satiété
n’est pas possible ».
12Le témoignage est très amusant. Car les saisons sont envisagées en fonction de ce que l’on peut y manger. C’est ainsi que l’été vient en tête, alors que le printemps est en dernière position, car manger à satiété en cette saison y devient impossible. Ce témoignage me paraît capital pour le problème qui nous occupe. Ce qui était implicite chez Homère est explicite chez Alcman : le temps appelé en ionien ὀπώρη chez Homère et en dorien ὀπώρα chez Alcman est bien considéré non comme une partie de l’été, mais comme une saison à part entière, la troisième saison sur quatre énumérées. On a donc une démonstration mathématique (grâce à un poète !) de l’existence de quatre saisons dont l’une est l’automne appelé ὀπώρη ou ὀπώρα selon les dialectes. Ainsi, contrairement à l’opinion générale énoncée au début, la division en quatre saisons n’est absolument pas une innovation de la médecine hippocratique. Elle était déjà implicite dès Homère dans l’Odyssée, au VIIIe siècle, et explicite chez Alcman, au VIIe siècle avant J.-C.
13Après ce détour on peut revenir à Hésiode. La situation est comparable, mais elle est encore plus complexe. Ce qui est comparable, c’est la mention de la saison automnale. Certes le substantif ὀπώρη n’y apparaît pas, mais la période de l’année qui y correspond n’est pas inconnue de lui, car Hésiode emploie par deux fois l’adjectif ὀπωρινός dérivant du substantif ὀπώρη dans un même passage concernant la fin de la période de la navigation, moment où il faut se hâter de revenir au plus vite sans attendre (Op. v. 674-677) :
μηδὲ μένειν οἶνόν τε νέον καὶ ὀπωρινὸν ὄμβρον
καὶ χειμῶν᾽ ἐπιόντα Νότοιό τε δεινὰς ἀήτας,
ὅς τ᾽ ὤρινε θάλασσαν ὁμαρτήσας Διὸς ὄμβρῳ
πολλῷ ὀπωρίνῳ, χαλεπὸν δέ τε πόντον ἔθηκεν
« et ne pas attendre le vin nouveau et la pluie d’automne
et l’hiver qui approche et les redoutables souffles du Notos
qui d’ordinaire soulève la mer accompagnant la pluie de Zeus
abondante en automne et rend la mer difficile ».
14Dans la traduction de ce passage où se trouve par deux fois l’adjectif ὀπωρινός, Paul Mazon traduit la première fois par « arrière-saison », suivant la traduction qu’il avait adoptée dans son édition de l’Iliade, et la seconde fois par « automne », rejoignant ainsi le choix de Victor Bérard qui est dorénavant confirmé après le témoignage d’Alcman.
15Mais ce qui apparaît pour la première fois chez Hésiode par rapport à Homère, c’est qu’il présente, en plus de l’adjectif ὀπωρινός, un nouveau composé μετοπωρινός (Op. v. 415) qui, comme sa formation l’indique, désigne la période venant immédiatement après l’ὀπώρα. Voici le passage où apparaît cette nouvelle dénomination (Op. v. 414-415) :
Ἦμος δὴ λήγει μένος ὀξέος ἠελίοιο
καύματος ἰδαλίμου, μετοπωρινὸν ὀμβρήσαντος
Ζηνὸς ἐρισθενέος κτλ.
« Quand la force du soleil aigu met fin
à sa chaleur qui provoque la sueur, alors que le tout-puissant
Zeus verse les pluies après l’automne etc ».
16Ce nouveau mot (μετοπωρινόν) suppose une richesse plus grande dans la division du temps que la division quaternaire. Chez Hésiode, entre l’été (θέρος) et l’hiver (χειμών ου χεῖμα), il y a donc, non pas une seule saison, mais deux saisons supposées par l’emploi conjoint de ὀπωρινός et de μετοπωρινός, l’une étant « l’automne », et l’autre « l’après-automne ». Ces traductions sont imposées par une division saisonnière plus affinée chez Hésiode que chez Homère.
17Sans cultiver le paradoxe, loin de ne connaître que trois saisons qui deviendraient quatre seulement à partir d’Hippocrate, Hésiode en connaît cinq. Et cette genèse de la division du temps annuel à l’époque archaïque va être une clef pour comprendre les diverses dénominations pour désigner l’automne chez les médecins de la Collection hippocratique.
II. Les dénominations de l’automne dans la Collection hippocratique : un critère sur la question des auteurs ?
18À l’intérieur de la Collection hippocratique, en effet, trois catégories de traités peuvent être distinguées suivant la manière dont l’automne est désigné dans le système des quatre saisons :
1. Une première catégorie
19Une première catégorie, la plus rare, est celle où apparaît encore le terme le plus ancien ὀπώρη pour désigner la saison de l’automne en continuité avec l’emploi chez Homère et chez Alcman. C’est d’une part le traité des Humeurs8 et d’autre part le traité des Affections internes9. Il n’y a qu’un seul emploi dans le traité des Humeurs, lorsque son auteur énonce au c. 16 les relations entre les saisons et le régime des individus. Le voici (c. 16, Overwien 174, 11-14 = Littré V, 498, 2-6) :
Καὶ ἐν τῇσιν ὥρῃσιν δίαιται καὶ σιτία καὶ ποτά· ὁ μὲν γὰρ χειμὼν ἀργὸς ἔργων καὶ πέπονα τὰ ἐσιόντα, ἁπλᾶ – μέγα γὰρ καὶ τοῦτο – , αἱ ὀπῶραι δ᾽ ἐργάσιμοι, ἡλιώσιες, τὰ πινόμενα πυκνά, ἀκατάστατα σιτία, οἶνοι, ἀκρόδρυα,
« Et à l’intérieur des saisons, les modes de vie, les aliments et les boissons : l’hiver est privé de labeurs, ce que l’on ingère est mûr, simple — cela aussi est important — tandis que les automnes sont laborieux, expositions au soleil, boissons fréquentes, aliments irréguliers, vins, fruits qui poussent à l’extrémité des branches ».
20Le pluriel αἱ ὀπῶραι δ᾽ désigne nécessairement ici une saison puisqu’il s’oppose à l’hiver (ὁ μὲν... χειμών). Littéralement il désigne « les automnes ». Le mode de vie en automne est opposé à celui de l’hiver dans les trois composantes du régime (activités, aliments et boissons).
21Les emplois sont un peu plus nombreux dans Affections internes, traité constitué par la description de maladies. Ils apparaissent principalement quand les maladies sont mises en rapport avec la saison où elles se produisent. On citera la première maladie qui se produit en automne : une variété d’hydropisie (c. 25 Potter VI, 154-156 = Littré VII, 230, 3-5) :
Ὅδε ὁ ὕδερος ἀπὸ τοῦ σπληνός· γίνεται δὲ ἀπὸ τῆσδε τῆς προφάσιος μάλιστα, ὁκόταν ὀπώρη ᾖ καὶ αὐτῆς φάγῃ πολλὴν σύκων χλωρῶν καὶ μήλων,
« Voici l’hydropisie venant de la rate. Elle provient à la suite de cette cause principalement : quand c’est l’automne et que l’on mange des fruits de la saison, en grande quantité, des figues vertes et des pommes ».
22L’emploi du substantif ὀπώρη est linguistiquement intéressant. Il désigne ici d’abord la saison de l’automne, mais dans sa reprise par le pronom de rappel αὐτῆς il prend, par métonymie, le sens de « fruits de la saison ». Cet élargissement fait que dans la majorité des cas où le mot est employé par les médecins hippocratiques il désigne non plus la saison, mais les fruits d’automne et plus largement les fruits quelle que soit la saison10.
23La survivance de cet emploi ancien dans ces deux traités n’exclut pas toutefois l’emploi des mots plus récents qui désignent l’automne, à savoir μετόπωρον et φθινόπωρον11.
2. Les traités où l’automne se dit μετόπωρον
24La régression du mot ὀπώρη en tant que saison a entraîné son remplacement par le composé qui dérive de lui : μετόπωρον. Ainsi, tout en étant un mot ancien déjà postulé pour l’époque d’Hésiode, le mot μετόπωρον apparaît dans son nouveau sens d’automne à l’époque classique chez une partie des traités d’Hippocrate. C’est particulièrement le cas dans Airs, eaux lieux ( = AEL) : l’automne est cité cinq fois et les cinq fois le terme employé est μετόπωρον (AEL, c. 2, 1 fois ; c. 10, 4 fois dans le pronostic sur les saisons de l’année). La cohérence vaut aussi pour l’adjectif « automnal », car les équinoxes d’automne dans Airs, eaux, lieux sont dites ἰσημερίαι μετοπωριναί (c. 11). Ce qui est remarquable dans ce traité, c’est la cohérence absolu dans la désignation de l’automne par μετόπωρον.
25D’autres traités se rangent dans cette classe par la prédominance de l’emploi de ce mot pour désigner l’automne : Maladies II, Maladies III, Affections internes, Régime dans les maladies aiguës (Appendice)12.
3. Les traités où l’automne se dit φθινόπωρον
26On parvient à la catégorie la plus importante, celle des traités qui désignent l’automne par φθινόπωρον. Cette dénomination, malgré sa fréquence dans la Collection hippocratique, pose un problème dont on ne prend véritablement conscience qu’à partir du moment où l’on compare avec les prédécesseurs. Car, du point de vue linguistique, le substantif composé φθινόπωρον et son dérivé sont des innovations de la période classique dont nous n’avons aucune trace ni chez Homère ni chez Hésiode. Le premier élément du composé φθιν- indique qu’il désigne au départ la période finissante de l’ ὀπώρα.
27Par un glissement de sens comparable à celui de μετόπωρον, cette nouvelle désignation a repris la fonction qu’occupait primitivement ὀπώρα avant sa régression. À quel moment s’est formé ce nouveau composé φθινόπωρον ? Il est impossible de le préciser. De toute manière cette appellation de l’automne s’est répandue à la période classique. Elle apparaît dans la prose ionienne d’un contemporain, l’historien Hérodote qui emploie deux fois φθινόπωρον (IV, 42, 3 et IX, 117), sans employer μετόπωρον13 et dans une majorité de traités hippocratiques. C’est dans ce groupe que se situent des traités importants pour la conception du climat, Épidémies I/III, la Nature de l’homme, également le Régime et les Aphorismes14.
28En bref, dans la Collection hippocratique, la manière de désigner l’automne établit une ligne de partage entre des traités où le climat joue un rôle primordial. Par son emploi régulier de μετόπωρον pour désigner l’automne Airs, eaux, lieux se détache de la majeure partie des autres traités portant sur le climat qui appartiennent au groupe des traités n’employant que φθινόπωρον15.
4. Le cas exceptionnel du traité des Semaines : un double héritage archaïque pour désigner l’automne
29Pour terminer cette comparaison entre Hippocrate et ses prédécesseurs sur la division du temps en saisons, il est indispensable d’examiner le traité hippocratique qui représente une singularité sur la répartition de l’année en saisons : c’est le traité des Semaines où la suprématie du chiffre 7 entraîne la division de l’année en sept saisons, de même qu’il y a sept âges de la vie. On sait que ce traité est très partiellement conservé en grec. Mais nous avons la chance d’avoir notamment sa division de l’année en sept saisons qui a été conservée dans un manuscrit de Paris, le Parisinus gr. 2142 (sigle H). Voici ce passage :
Semaines, c. 4 (éd. Roscher, p. 8 = Littré IX, 434 = West p. 369) :
<ὧ>ραι δ᾽ ἐνιαύσιοι ἑπτά· εἰσὶ δὲ αὗται· σπορητός (Index Hipp. West : -ρήτος Littré -ράτος H Roscher), χειμών, φυταλιά[ι], ἔαρ, θέρος, ὀπώρ<η>, μετόπωρον. αὗται ἀλληλέων διαφέρουσι διὰ τάδε· σπορητὸς (Index Hipp. West : -ρήτος Littré -ράτος H Roscher) ἐν θέρει οὐ γόνιμος, οὐδὲ φύτευσις ἐν μετοπώρῳ, οὐδὲ ἄνθησις ἐν χειμῶνι, οὐδὲ βλάστησις ἐν θέρει, οὐδὲ πέπανσις ἐν χειμῶνι.
« Les saisons annuelles sont au nombre de sept : la saison de l’ensemencement, l’hiver, la saison de la plantation, le printemps, l’été, l’automne, l’après-automne. Ces saisons diffèrent les unes des autres pour les raisons que voici : l’ensemencement n’est pas fécond en été, ni la plantation dans l’après-automne, ni la floraison en hiver, ni la germination en été, ni la maturation en hiver ».
30Ce qu’il y a de remarquable dans cette énumération, c’est qu’un noyau est un héritage ancien que l’on peut faire remonter jusqu’à Hésiode, comprenant cinq saisons : ἔαρ, θέρος, ὀπώρ<η>, μετόπωρον, χειμών. Ces cinq saisons que nous avons dégagées par l’analyse de l’œuvre d’Hésiode, où l’existence du substantif μετόπωρον a été postulé grâce à l’existence de l’adjectif μετοπωρινός, sont toutes rassemblées ici pour la première fois. Il en résulte que μετόπωρον venant immédiatement après ὀπώρη ne peut pas avoir le même sens que le μετόπωρον de l’époque classique qui a pris la place d’ ὀπώρη.
31Autrement dit, μετόπωρον dans les Semaines, comme μετοπωρινός chez Hésiode, a le sens conforme à la formation du composé, c’est-à-dire désigne la période qui vient après l’ ὀπώρ<η>. Et étant donné que l’ ὀπώρη désignait l’automne depuis Homère, le μετόπωρον ne peut désigner dans cet héritage ancien que l’ « après-automne ». Il est notable que la traduction latine ancienne des Semaines traduit correctement la séquence ὀπώρη, μετόπωρον par « autumnus, postautumnus »16.
32Mais à partir de cet héritage ancien, pour parvenir de cinq saisons à sept, l’auteur a ajouté deux saisons qui sont des innovations prises aux travaux des champs : l’une est σπορητός -οῦ (ὁ) qui signifie « l’ensemencement », et donc ici « la saison de l’ensemencement » ; l’autre φυταλιά (ἡ) qui signifie « la plantation », et donc ici la « saison de la plantation ». Alors que le mot φυταλιά est déjà présent chez Homère (Iliade VI, v. 195, XII v. 314 et XX v. 185), le substantif σπορητός n’est pas attesté avant Eschyle (Agamemnon v. 1392). De toute manière, la signification temporelle de ces deux mots désignant deux saisons à partir des travaux des champs est unique dans l’histoire du grec17.
33Pour conclure l’étude sur la genèse des mots désignant les saisons, on mesurera à quel point le lieu commun sur les trois saisons anciennes enrichies d’une quatrième à l’époque d’Hippocrate est éloigné de la réalité, et combien cette réalité est complexe et reconstituable seulement de façon partielle par suite du nombre incalculable d’œuvres perdues : en particulier le mot le plus fréquent à l’époque classique pour désigner l’automne (φθινόπωρον) a une origine qui nous échappe totalement entre Hésiode et Hippocrate.
III. La division du temps de l’année par le mouvement apparent des astres et du soleil : le problème de l’équinoxe
34En plus des mots désignant les saisons dont nous venons de voir qu’ils sont stables pour certains (printemps, été, hiver) et fluctuants pour désigner la saison de l’automne, les grandes divisions du temps de l’année reposent aussi, chez Hippocrate comme chez ses prédécesseurs, sur l’observation des mouvements apparents des astres et du soleil. Nous abordons ici un développement plus technique, mais nous allons nous en tenir à l’essentiel.
35Nous avons déjà posé ce thème en citant dès le début la division généralement admise des quatre saisons selon l’auteur du traité du Régime au c. 68. Sa division en quatre saisons repose à la fois sur le mouvement de deux astres, les Pléiades et Arcturus (dont sont observés les levers et les couchers) et sur les mouvements du soleil (équinoxe).
36On traitera d’abord des astres, et ensuite du soleil. Concernant les astres, c’est d’abord l’observation des Pléiades qui est importante. Chez Hésiode, le lever des Pléiades (vers le 8 mai selon M.L. West) marque le début de la moisson, tandis que leur coucher (début septembre) indique le temps des semailles (Op. v. 383-384). Ce sont les deux moments essentiels dont dépend la récolte des céréales, qui est le remède principal contre la faim. Chez le médecin hippocratique d’Épidémies I/III, les Pléiades sont aussi fréquemment citées dans trois années sur quatre (7 fois). Le lever des Pléiades marque la fin du printemps et le début de l’été, délimitation qui se retrouve dans le traité du Régime, c. 68.
37Les Pléiades sont visibles pendant tout l’automne et leur coucher correspond à la fin de l’automne et au début de l’hiver (c. 18, Jouanna 25, 8 sq.), délimitation qui se trouve également dans le traité du Régime, c. 68. Pour la délimitation des saisons, un second astre entre en ligne de compte ; c’est Arcturus dont le lever marque le début de l’automne aussi bien selon Épidémies I/III que selon Régime, c. 68. Arcturus est évidemment déjà bien présent chez Hésiode. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
38Il reste un troisième astre qui n’intervient pas dans la division des saisons, mais qui a une grande importance sur la santé selon les Anciens ; c’est la Canicule appelée Chien chez Hippocrate, ce qui correspond au Chien d’Orion chez Homère et à Sirius chez Hésiode. La Canicule n’intervient pas dans la division des saisons. En effet, son lever se fait en plein été et passait pour entraîner la partie la plus chaude de cette saison aussi bien chez Hésiode (Op. 587)18 que chez Hippocrate dans la description de la troisième année à Thasos dans Épidémies I/III (c. 13, éd. Jouanna 20, 10). Bien que son lever ne marque pas une limite entre les saisons, cet astre a une grande importance en médecine aux yeux de l’auteur des Airs eaux lieux dans son c. 11 qui est le passage le plus important de la Collection hippocratique sur les astres.
39Dès le début du traité, au c. 2, l’auteur déclare que « loin d’être négligeable, la contribution de l’astronomie (ἀστρονομίη) à la médecine est très importante » (éd. Jouanna 189, 11-13). Au c. 11, dans le droit fil de cette déclaration de principe, il en vient à dire sur les astres (ἄστρα) ce qui suit (éd. Jouanna 219, 3-8) :
Δεῖ δὲ καὶ τῶν ἄστρων τὰς ἐπιτολὰς φυλάσσεσθαι, καὶ μάλιστα τοῦ κυνός, ἔπειτα ἀρκτούρου, καὶ ἔτι πληϊάδων δύσιν. Τά τε γὰρ νοσεύματα μάλιστα ἐν ταύτησιν ἡμέρῃσι κρίνεται καὶ τὰ μὲν ἀποφθίνει, τὰ δὲ λήγει, τὰ δὲ ἄλλα πάντα μεθίσταται ἐς ἕτερον εἶδος καὶ ἑτέρην κατάστασιν,
« Il convient aussi de se garder du lever des astres, et surtout du lever de la Canicule, ensuite de celui d’Arcturus, et de plus du coucher des Pléiades. Car les maladies se jugent surtout en ces jours-là ; les unes font périr, les autres cessent, et toutes les autres évoluent en une autre forme et une autre constitution ».
40Cette conception de l’influence déterminante de l’astre de la Canicule sur la santé plonge ses racines dans une croyance qui est déjà attestée dès Homère dans l’Iliade XXII 26 sqq., que nous avons déjà cité, où Achille est comparé à l’astre de la Canicule qui en automne (v. 27 ὀπώρης) est l’astre le plus lumineux (v. 30), brillant la nuit parmi les étoiles, mais est aussi un signe funeste, car il apporte beaucoup de fièvre (v. 31 πολλὸν πυρετόν) parmi les malheureux mortels. Le rapprochement d’Hippocrate avec Homère est indispensable, car il montre que le lever de la Canicule considéré par l’auteur hippocratique comme étant le plus dangereux pour la santé est en parfait accord avec la croyance homérique. Mais la comparaison de ces deux passages soulève un problème sur ce qu’il faut entendre par le lever de la Canicule.
41Je suis obligé d’apporter ici un approfondissement qui rend l’exposé plus complexe et l’interprétation du texte hippocratique plus problématique. Quand on parle du lever d’un astre, on parle généralement de son lever du matin. En fait, il y a deux levers et cela est valable aussi bien pour la Canicule que pour Arcturus. Il y a le lever du matin, quand le soleil se lève, et le lever du soir quand le soleil se couche. Or ces deux levers ne se situent pas du tout au même moment de l’année. Nous avons vu que le lever de la Canicule, qui est en fait le lever du matin, avait lieu en plein été aussi bien chez Hésiode que chez l’auteur d’Épidémies I/III. Mais Hésiode revient sur cet astre plus tard dans l’année (Op. 417-419) quand l’astre chemine peu de temps au-dessus de la tête pendant le jour et prend une plus grande part de la nuit. C’est le moment de l’automne qui correspond à son lever du soir et où l’astre brille pendant la nuit. Quand on se reporte maintenant au passage d’Homère où le même astre brille pendant la nuit lors de la saison de l’ὀπώρη, il ne fait aucun doute qu’Homère fait allusion à la période du lever de l’astre non pas le matin, mais le soir. Dès lors, on peut revenir au passage d’Airs, eaux, lieux et se demander de quel lever de la Canicule il s’agit. L’auteur ne précise pas. On observera toutefois qu’il emploie le pluriel τῶν ἄστρων τὰς ἐπιτολάς. Le pluriel est ambigu. Il peut désigner pour chaque astre un seul lever, mais il peut désigner aussi les deux levers, celui du matin en été, et celui du soir en automne. Les deux levers marquaient pour les Anciens un changement dans le temps et une influence sur la santé : lors de son lever du matin en plein été, plus forte chaleur avec un assèchement intense du corps déjà noté par Hésiode, et lors de son lever du soir en automne affaiblissement de la chaleur mais plus grande humidité avec apparition des fièvres automnales déjà notées par Homère.
42La même question se pose pour le lever d’Arcturus mentionné aussi comme dangereux par l’auteur d’Airs, eaux, lieux après celui de la Canicule. Les deux levers sont également possibles. À nouveau le recours aux prédécesseurs est éclairant pour comprendre l’étendue du savoir des médecins qui, sans cela, échappe aux interprètes modernes. La difficulté dans les exposés climatiques vient en partie de ce que les Anciens ne précisaient pas toujours s’il s’agissait du lever du matin ou du soir des astres, quand ils estimaient que le contexte était clair. Nous disposons d’un très bel exemple dans le traité du Régime au c. 68.
43Nous avons vu comment dans son exposé initial sur les quatre saisons l’auteur du Régime fait commencer l’automne au moment du lever d’Arcturus, (c. 68 Joly CMG 196, 1) en employant l’expression ἀρκτούρου ἐπιτολῆς. Mais dans la suite de ce même chapitre où il détaille son régime pour la masse des gens, on rencontre à nouveau la même expression ἀρκτούρου ἐπιτολή (c. 68 Joly CMG 198, 6) dans un contexte temporel qui ne peut plus être le début de l’automne, car c’est aussi l’époque où l’hirondelle apparaît (Régime, c. 68 Joly CMG 198, 6) : εἶτα δὲ ἀρκτούρου ἐπιτολή, καὶ χελιδόνα ὥρη ἤδη φαίνεσθαι ; il s’agit donc du printemps. C’est bien encore le lever d’Arcturus, mais le lever du soir !
44L’auteur n’éprouve pas le besoin de le préciser, car le contexte suffit pour le déterminer. Voilà une de ces évidences qui échappent au lecteur moderne et qu’il conviendrait à un éditeur de lui signaler. Heureusement qu’Hésiode est là, parmi « les autres », pour nous avertir de l’existence de ces deux moments où il convient d’observer le lever d’Arcturus, le lever du soir au printemps qui était le moment où il fallait tailler la vigne (Op. 566-570) et le lever du matin à l’automne où il fallait vendanger (Op. 610). Ce qu’il y a de remarquable, chez Hésiode, c’est que la poésie fait clairement comprendre la différence entre le lever du soir et le lever du matin dans les passages suivants :
Lever du soir : Op. 564-567 :
Εὖτ᾽ ἂν δ᾽ ἑξήκοντα μετὰ τροπὰς ἠελίοιο
χειμέρι᾽ ἐκτελέσῃ Ζεὺς ἤματα, δή ῥα τότ᾽ ἀστὴρ
̓Αρκτοῦρος προλιπὼν ἱερὸν ῥόον ̓Ωκεανοῖο
πρῶτον παμφαίνων ἐπιτέλλεται ἀκροκνέφαιος·
τὸν δὲ μέτ᾽ ὀρθογόη Πανδιονὶς ὦρτο χελιδὼν
ἐς φάος ἀνθρώποις ἔαρος νέον ἱσταμένοιο
« Quand Zeus a achevé soixante jours
après le solstice d’hiver, alors l’astre
Arcturus quittant le cours sacré de l’Océan,
pour la première fois tout lumineux s’élève au commencement des ténèbres ;
après lui, la fille de Pandion ( = l’hirondelle) au gémissement aigu s’élance
à la lumière pour les hommes au commencement nouveau du printemps ».
Lever du matin : Op. 609-611 :
Εὖτ᾽ ἂν δ᾽ ̓Ωρίων καὶ Σείριος ἐς μέσον ἔλθῃ
οὐρανόν, ̓Αρκτοῦρον δὲ ἴδῃ ῥοδοδάκτυλος ̓Ηώς,
ὦ Πέρση, τότε πάντας ἀποδρέπεν οἴκαδε βότρυς
« Et quand Orion et Sirius parviennent au milieu
du ciel et qu’Aurore aux doigts de rose voit Arcturus,
ô Persès, alors cueille toutes les grappes pour les ramener à la maison ».
45Hésiode est, en fait, un magnifique commentateur, éclairant le traité du Régime, car non seulement il précise ce qu’est le lever du soir d’Arcturus opposé à celui du matin, mais il a établi déjà la corrélation entre le lever du soir et l’arrivée de l’hirondelle. Le poète ancien est plus explicite que le prosateur de l’époque classique. Le médecin se souvient-il d’Hésiode ?
46Voilà ce que l’on peut dire pour les continuités entre Hippocrate et les prédécesseurs sur le mouvement apparent des astres. Néanmoins, on assiste chez les médecins hippocratiques à une simplification de l’observation astrale par rapport à Hésiode. D’un côté, les astres sont moins souvent évoqués, car ils sont moins mis en rapport avec les activités des hommes que chez Hésiode19, et d’un autre côté, tout en conservant leurs noms traditionnels, les astres sont débarrassés chez les médecins de leur gangue mythologique et s’inscrivent dans un monde rationalisé20.
47Venons-en aux mouvements apparents du soleil. On prendra à nouveau pour point de départ, le passage du traité des Airs, eaux, lieux, c. 11. Car lorsque l’auteur invite le médecin à porter son attention sur le lever et le coucher des astres, c’est dans son esprit une observation complémentaire à une observation principale qu’il vient de faire sur l’importance des mouvements (apparents) du soleil. Voici ce qu’il en dit (c. 11, éd. Jouanna 218, 13-219, 3) :
Μέγισται δέ εἰσιν αἵδε καὶ ἐπικινδυνόταται· ἡλίου τροπαὶ ἀμφότεραι
καὶ μᾶλλον αἱ θεριναί, καὶ ἰσημερίαι νομιζόμεναι εἶναι ἀμφότεραι,
μᾶλλον δὲ αἱ μετοπωριναί,
« Voici quels sont (les changements) les plus
grands et les plus dangereux : les deux solstices, et davantage celui d’été ; les
deux moments dits équinoxes, et davantage celui d’automne ».
48Ce passage d’Hippocrate est très important du point de vue de la langue et de la connaissance des mouvements apparents du soleil. Car s’il est en continuité avec les prédécesseurs pour les solstices (ἡλίου τροπαί), il est le premier texte conservé à présenter les équinoxes (ἰσημερίαι). Voyons donc d’abord la continuité à propos des solstices, avant d’en venir à la nouveauté sur les équinoxes.
49Ce que nous appelons solstices à la suite des latins s’appelait en grec dès Hésiode τροπαί, plus de deux siècles avant Hippocrate. Ce que les latins ont retenu de l’observation, ce sont les deux points extrêmes où le soleil lors de ses différents levers, montant vers le nord ou descendant vers le sud, s’arrête dans sa progression avant de repartir dans le sens inverse ( = solstices). L’image retenue par les Grecs est celle d’un hippodrome où le soleil tourne à la manière d’un attelage à chaque extrémité ( = tropes). Le tournant ou le point le plus au nord-est représente le solstice d’été et correspond au jour de l’année le plus long, tandis que le tournant ou le point le plus au sud représente le solstice d’hiver quand le jour est le plus court.
50Chez Hésiode les solstices d’hiver sont mentionnés deux fois (Op. v. 479 et v. 564) et le solstice d’été une fois (Op. v. 663). Ils servent à calculer des dates. Ainsi soixante jours après le solstice d’hiver, c’est le lever du soir d’Arcturus et le début du printemps (Op. v. 564) ; et cinquante jours après le solstice d’été (Op. v. 663), c’est le commencement de la navigation.
51Chez Hippocrate, outre le texte d’Airs, eaux, lieux, que l’on vient de citer, les deux solstices sont mentionnés dans le climat de Thasos en Épidémies I/III (4 fois) ainsi que 11 fois dans le reste des Épidémies. Ils sont également cités trois fois dans le Régime c. 68 (éd. Joly CMG 198, 2 et 3 : solstice d’hiver ; et 200, 9 : solstice d’été). Cependant les solstices se produisent à l’intérieur des saisons (été ou hiver) et n’en marquent pas encore les limites, comme ce sera le cas plus tard dans l’année météorologique, chez Géminos (1er s. av. J.-C.) où le solstice d’été marque le début de l’été et le solstice d’hiver le début de l’hiver21.
52Après cette continuité entre Hésiode et Hippocrate dans l’existence des solstices qui étaient facilement repérables par la marche apparente du soleil, venons-en à l’innovation des équinoxes qui étaient plus difficiles à repérer, car ils ne sont pas marqués par un phénomène visible dans le mouvement du soleil ; ce qu’il faut calculer, c’est la position du soleil lorsqu’il est au milieu de sa progression entre les solstices pour trouver les équinoxes. En tous les cas, les équinoxes ne sont pas connus au temps d’Hésiode, alors qu’ils sont familiers aux médecins d’Hippocrate. Or ce sont les premiers textes conservés où ils sont attestés. Il faut insister sur ce fait de langue qui est capital et pourtant généralement ignoré, tant la littérature médicale est restée en marge des études sur la littérature classique et même de l’histoire des sciences et des techniques22.
53Les dictionnaires usuels du grec ancien ne donnent pas de renseignements suffisants. En général, ils font commencer les attestations sur le mot ἰσημερία23 avec Platon et Aristote, ce qui est le cas du Bailly et, sauf erreur de ma part, du dictionnaire de Franco Montanari. Certes le Liddell-Scott donne une attestation chez Hippocrate, Airs, eaux, lieux, c. 11. Mais cela ne donne pas une idée juste de l’importance de la notion dans l’ensemble du Corpus hippocratique où l’Index hippocratique de Hambourg donne 25 emplois : outre le passage d’Airs, eaux, lieux, surtout dans les Épidémies I/III (9 fois), les autres Épidémies (8 fois) et dans le Régime (7 fois). Et alors que les solstices ne servaient pas encore à marquer la frontière entre les saisons, les équinoxes servent déjà à délimiter des saisons. Dès le premier tableau climatique dans le traité des Épidémies I/III le mot équinoxe est employé pour marquer le début de l’automne (c. 1, éd. Jouanna 1, 1) et dans le second, l’équinoxe de printemps marque le début du printemps (c. 4, éd. Jouanna 8, 6). C’est donc une préfiguration de l’année astronomique où les deux équinoxes marquent le début du printemps et de l’automne24.
54Voilà donc la grande innovation des médecins hippocratiques par rapport aux prédécesseurs : l’apparition des équinoxes de printemps et d’automne. Cela ne signifie pas pour autant que les médecins hippocratiques soient les créateurs de cette notion astronomique. On attribue, en effet, la connaissance des équinoxes chez les premiers philosophes grecs dès la première moitié du VIe siècle avant J.-C., Thalès et Anaximène. Au Ve siècle, Démocrite, contemporain d’Hippocrate, avait calculé les distances entre solstices et équinoxes ; il en était de même d’Euctémon25. Les calculs de ces deux spécialistes du Ve siècle sont convergents à un ou deux jours près. Néanmoins les médecins hippocratiques sans être des créateurs sont des utilisateurs de première importance car ils sont les seuls à avoir conservé les connaissances des traités astronomiques grecs désormais perdus entre Hésiode et Hippocrate26.
Bibliographie
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Ouvrages à caractère de source
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Hippocrate, Du Régime, édité, traduit, et commenté par R. Joly avec la collaboration de S. Byl, deuxième édition anastatique augmentée et corrigée par S. Byl, CMG I 2, 4 Berlin, Akademie Verlag, 2003.
Hippocrate, VI.2, Du régime des maladies aiguës, Appendice, De l’aliment, De l’usage des liquides, texte établi et traduit par R. Joly, Paris, Les Belles Lettres, 1972.
Hippocrate, X.2, Maladies II, texte établi et traduit par J. Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 1983.
Hippocrate, IV.1, Épidémies I et III, texte établi, traduit et annoté par J. Jouanna, avec la collaboration de A. Anastassiou et A. Guardasole, Paris, Les Belles Lettres, 2016.
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Notes de bas de page
1 La distinction traditionnelle faite entre ἐνιαυτός désignant « une année révolue » et ἔτος désignant « l’année présente » (cf. P. Chantraine, DELG s.v.) ne se vérifie ni chez Hésiode, ni chez Hippocrate. Elle devrait donc être abandonnée.
2 Il est probable que ce ne sont pas quatre années qui se suivent au hasard, mais quatre années qui, tout en étant réelles, correspondent aux quatre types possibles d’années définies par les qualités élémentaires : 1. année chaude et sèche ; 2. année froide et humide ; 3. année froide et sèche ; 4. année chaude et humide.
3 La particularité est que l’année climatique dans Epid. I/III commence en automne.
4 Voir aussi Odyssée XII, v. 76 οὔτ᾽ ἐν θέρει οὔτ᾽ ἐν ὀπώρῃ et Od. XIV, v. 384 ἢ ἐς θέρος ἢ ἐς ὀπώρην.
5 L’adjectif ὀπωρινός est employé deux fois dans l’Iliade ; le second passage est en XXI, v. 346 où il qualifie le vent du Nord, le « Borée automnal » (ὀπωρινὸς Βορέης), avec la même expression que chez Hésiode.
6 Il s’agit de son lever du soir quand il brille surtout la nuit (cf. Hésiode, Op. v. 417-419 où l’astre est appelé Sirius). Ce lever du soir ne doit pas être confondu avec le lever héliaque du matin qui se produit au milieu de l’été (cf. Hésiode Op. 584-587). C’est probablement cette confusion qui a entraîné la conception plus tardive selon laquelle ὀπώρη désigne la seconde partie de l’été.
7 Voir Korzeniewski 1968, p. 101 pour l’analyse métrique de ce passage (rythme iambique).
8 Humeurs, c. 16, Overwien 174, 13 = Littré V, 498, 4.
9 Affections internes, c. 25 Potter VI, 156, 1 et 13 = Littré VII, 230, 3-5 ; c. 42 Potter VI, 210, 20 (bis) = Littré VII, 270, 7-8) ; c. 47 Potter VI, 230, 14 = Littré VII, 284, 5.
10 Alors qu’il n’y a que six passages chez Hippocrate où ὁπώρη désigne une saison (5 fois dans Humeurs, Affections internes et Semaines), il y a onze passages où le substantif désigne les « fruits » (dans Affections internes, Affections, Régime et Épidémies V et VII). La relation entre l’automne et les fruits de cette saison est manifeste dans Affections internes, c. 42 (à propos d’une variété de typhus) où il est dit (Potter VI, 210, 19-20 = Littré VII, 270, 7-8) : Ἄλλος τῦφος· γίνεται μὲν τό νόσημα ὁπώρης μάλιστα, ὅταν πλησθῇ παντοίης ὀπώρης, « Autre typhus. La maladie survient au moment de l’automne principalement, quand on s’est rempli de toute sorte de fruits de l’automne ». Le premier ὁπώρης signifie la saison de l’automne, le second ὁπώρης les fruits de l’automne. En revanche dans Epid. V, c. 29 (Jouanna/Grmek 18, 2 = Littré V, 228, 8) un habitant d’Omilos fut pris de fièvre après avoir mangé des fruits dans la saison la plus chaude ( ̓Εν δὲ θερμοτάτῃ ὥρῃ ἐσθίων ὀπώρην). Il s’agit donc de fruits en été. De même dans Régime, c. 68 (Joly CMG 200, 1 = Littré VI, 602, 13) lors de l’exposé sur le régime de l’été, ἡ δὲ ὀπώρη désigne les fruits de la saison, c’est-à-dire de l’été.
11 a) Dénomination μετόπωρον dans Affections internes : c. 27 Potter VI 164, 8 = Littré VII, 236, 9 (μετοπώρου M Littré : φθινοπώρου θ Potter) ; c. 34 Potter VI, 186, 10 = Littré, VII, 252, 6 (μετοπώρου) ; c. 46 Potter VI, 224, 16-17 = Littré VI, 280, 2 (μετοπώρου) ; c. 47 Potter VI 230, 14 = Littré VII, 284, 5 (μετοπώρου).
b) Dénomination φθινόπωρον dans Humeurs : c. 13, Overwien CMG I 3,1, p.172, 9 = Littré V, 494, 12 (φθινοπώρου) ; ce traité a aussi le dérivé φθινοπωρινός : c. 12, Overwien 170, 14 = Littré V, 492, 13 (φθινοπωρινά... τὰ νοσήματα) ; c. 13, Overwien 172, 3 = Littré V 494, 4 (φθινοπωρινόν M Ar. : om. A).
12 Autres traités appartenant à ce deuxième groupe :
– Maladies II : c. 55 Jouanna 194, 11 = Littré VII, 86, 14 (τοῦ μετοπώρου) et c. 64 Jouanna 203, 16 = Littré VII, 98, 21 (μετόπωρον) ; toutefois on rencontre une fois dans ce traité l’autre dénomination au c. 66 Jouanna 205, 10 = Littré VII 100, 21 (τὸ φθινόπωρον) ;
– Maladies III : c. 14 Potter VI, 28, 10 = Littré VII, 134, 15 (μετοπώρου) ;
– Affections internes (traité rangé dans la première catégorie avec appartenance secondaire à la deuxième catégorie) : pour les emplois de μετόπωρον dans le traité, voir supra, n. 11.
– Régime des maladies aiguës (App.), c. 10 Joly, CUF VI, 2, p. 72, 24 = c. 6 Littré 414, 2 (μετοπωρινῇ ὥρῃ) ; c. 29 Joly CUF VI, 2, p. 82, 5 = c. 10 Littré II, 450, 3-4 (μετοπωρινῆς ὥρης) ; c. 49 Joly CUF VI, 2, p. 90, 12 = c. 18 Littré II, 492, 5 (μετοπώρου).
13 Voir aussi ὀπώρη en IV, 199, 2 qui désigne la période des récoltes, qu’il s’agisse de moissons ou de vendanges : trois récoltes successives en Cyrénaïque ; la période des récoltes y durent ainsi huit mois.
14 Régime, c. 32, Joly CMG I 2, 4, p. 148, 23 = Littré VI, 508,17-18 (ἐν τῷ φθινοπώρῳ) ; c. 32 Joly 148, 29-30 = Littré VI, 510 3 et 4 (ἐν τῷ φθινοπώρῳ bis) ; c. 32 Joly 150, 5-6 = Littré VI, 510, 18 (ἐν τῷ φθινοπώρῳ) ; c. 68.
15 Dans Épidémies I et III, unique ouvrage rédigé par un seul et même auteur, l’automne, mentionné 10 fois, est exprimé uniquement par φθινόπωρον ; Nature de l’homme emploie 12 fois φθινόπωρον pour désigner l’automne et deux fois l’adjectif dérivé φθινοπωρινός (c. 8 : maladies automnales, c’est-à-dire nées en automne ; c. 13 : la saison automnale).
16 « Tempora autem annualia septem etherias partes habentia sunt haec : seminatio, hiems, plantatio, ver, aestus, autumnus, postautumnus ». Le texte latin est établi à partir de deux manuscrits : Ambrosianus lat. G 108 (Xe s.) et Parisinus lat. 7027 (Xe s.). L’édition de Roscher (p. 8) présente le texte de chacun des deux manuscrits face à face sur deux colonnes.
17 Cette division en sept saisons a été commentée par Galien dans son Commentaire à Épidémies I début avec mention du traité des Semaines attribué à Hippocrate (Kühn XVIIa, 17- 18 = Wenkebach CMG V 10, 1, p. 13, 1-11). Galien présente une explication du passage de quatre saisons à sept saisons, différente de celle qui est proposée ici, car il ne prend pas en considération la genèse des diverses appellations de la saison de l’automne. Galien considère que dans cette division des saisons en sept faite par l’auteur hippocratique, le printemps et l’automne restent ce qu’ils sont par rapport à la division des saisons en quatre, tandis que le temps de l’été est divisé en deux saisons (θέρος et ὀπώρη) et le temps de l’hiver en trois (σπορητός, χειμών, φυταλίη). Toutefois son développement sur l’inégalité des saisons dans le système des quatre saisons déterminées par les levers et couchers des astres ou du soleil est important : le printemps est la saison la plus courte (pas même deux mois entiers de l’équinoxe de printemps au lever des Pléiades), vient ensuite l’automne (deux mois entiers du lever d’Arcturus au coucher des Pléiades), l’été bien plus long (quatre mois du lever des Pléiades au lever d’Arcturus) et l’hiver encore plus long (plus de quatre mois du coucher des Pléiades à l’équinoxe de printemps).
18 De fait Hésiode dans les Travaux et les Jours dit que c’est dans la saison pénible de l’été (Op. 584 θέρεος καματώδεος ὥρῃ) que l’astre Sirius déssèche la tête et les genoux (Op. 587 ἐπεὶ κεφαλὴν καὶ γούνατα Σείριος ἄζει = 19 juillet chez Hésiode d’après M.L. West).
19 La constellation d’Orion chez Hésiode (dont fait partie l’étoile Sirius = Chien d’Orion d’Homère ou Canicule d’Hippocrate) est observée par les agriculteurs à son lever (Op. 598 : temps du battage), à son zénith (Op. 609 : temps des vendanges), à son coucher (Op. 619 : fin de la navigation). La simplification dans l’observation des constellations ou étoiles chez Hippocrate par rapport à Hésiode a, comme pour les saisons, une exception dans le traité des Semaines. Ainsi la constellation des Hyades mentionnée par Hésiode (Op. 615) est absente des traités hippocratiques en général, mais elle est présente dans le traité des Semaines où les astres sont au nombre de sept (éd. Roscher, p. 6, l. 78-79 : « les Pléiades suivent les Hyades »).
20 Au temps de Galien, les développements d’Hippocrate sur les étoiles et les constellations étaient jugés par les médecins à Rome de façon fort différente. Les médecins qui ne suivaient pas Hippocrate considéraient que l’astronomie n’était pas utile à la médecine. En revanche, ceux qui étaient des adeptes d’Hippocrate ont demandé à Galien de leur donner des explications à ce sujet. Galien a alors rédigé pour eux un ouvrage sur « Les étoiles d’Hippocrate et la science de la géométrie utile pour la science de la médecine ». C’est ce que dit Galien dans son Commentaire au traité hippocratique d’Airs, eaux, lieux, c. 11. Cet ouvrage rédigé par Galien sur les étoiles d’Hippocrate est perdu et n’a pas été mentionné dans ses deux écrits bio-bibliographiques. Voir Toomer 1985, p. 200 et 204.
21 Voir Géminos, Introduction aux Phénomènes, I, 9-10, éd. Aujac CUF, p. 2-4 : les quatre saisons sont déterminées par les mouvements apparents du soleil sans aucune mention des astres. Printemps : de l’équinoxe de printemps au solstice d’été ; été : du solstice d’été à l’équinoxe d’automne ; automne : de l’équinoxe d’automne au solstice d’hiver ; hiver : du solstice d’hiver à l’équinoxe de printemps
22 Il est significatif que les noms d’Hippocrate ou de Galien n’apparaissent même pas dans le dictionnaire final de L’Encyclopédie du ciel. Mythologie, astronomie, astrologie sous la direction d’Arnaud Zucker (Zucker 2016). La contribution des médecins à l’astronomie est encore ignorée. À l’intérieur des études hippocratiques, voir Phillips 1983 et Wenskus 1989.
23 Ici encore une différence de dénomination apparaît entre le grec et le latin. Alors que le latin parle d’égalité de la nuit avec le jour (aequinoctium, d’où dérive « équinoxe » en français), le grec parle d’égalité du jour avec la nuit (isémèriè).
24 De façon comparable dans le traité du Régime, l’équinoxe de printemps marque la fin de l’hiver et le début du printemps. En revanche, le début de l’automne est marqué chez l’auteur du Régime c. 68 par le lever (du matin) d’Arcturus, et non par l’équinoxe d’automne. On a l’impression d’une certaine fluctuation d’un auteur à l’autre et d’une certaine concurrence entre les limites des saisons déterminées soit par le mouvement des astres, soit par les mouvements apparents du soleil.
25 Démocrite : DK 68 B 14, 2 = Ars Astronomica [Spur.] col. 22, 24-26 (du solstice d’été à l’équinoxe d’automne pour Démocrite <x jours>) ; col. 22, 29-23, 6 (de l’équinoxe d’automne au solstice d’hiver pour Démocrite 91 jours ; col. 24, 9-12 (du solstice d’hiver à l’équinoxe de printemps pour Démocrite 91 jours). Euctémon : DK 68 B 14, 2 = col. 22, 24- 23, 1 (du solstice d’été à l’équinoxe d’automne pour Euctémon, 90 jours) ; col. 22, 29-23, 7 (de l’équinoxe d’automne au solstice d’hiver pour Euctémon 90 jours) ; col. 23, 9-13 (du solstice d’hiver à l’équinoxe de printemps pour Euctémon 92 jours).
26 Sur les solstices et les équinoxes chez les Présocratiques, voir Dicks 1966, p. 26-40 (avec une référence à Airs, eaux, lieux, c. 11, p. 33 et n. 38) et Dicks 1972, p. 175-177 (encore à propos d’Airs, eaux, lieux, c. 11, p. 175).
Auteur
Sorbonne Université - Académie des inscriptions et belles-lettres - jjouanna@orange.fr
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