Chapitre II. Reliefs
p. 35-54
Texte intégral
LE VOLCAN LATIAL
1La physionomie d’une région, c’est d’abord celle que lui donne son relief. Pour décrire le processus géomorphologique qui a conduit à la formation de celui-ci, on recourra au saisissant raccourci brossé par Jules Sion dans le volume de la Géographie universelle de Vidal de La Blache consacré à l’Italie1 : « Le Latium comprend l’un des plus vastes districts volcaniques de l’Europe. À la fin du Pliocène, un golfe venait d’être remblayé par les argiles et les sables qui affleurent sous les tufs au Vatican et au Janicule ; parmi des lagunes et des lacs se dressa une sorte d’archipel volcanique dont les hommes de la pierre taillée virent les dernières éruptions. Les dépressions furent comblées par les coulées, comme celle que longe la via Appia sur près de dix kilomètres, çà et là par des travertins analogues à ceux qui barrèrent l’Anio à Tivoli, surtout par des produits de projections, deux cents fois plus répandus que les laves. Ainsi les monts Albains, qui formèrent toute la Campagne romaine à l’Est du Tibre, la recouvrirent d’abord de cendres, agglomérées en un tuf jaunâtre et peu résistant ; l’érosion y a sculpté les Sept Collines, et il fut aisé d’y creuser les catacombes. Puis ils vomirent cette pouzzolane brune dont est fait l’indestructible mortier romain, et le dur piperno utilisé pour de nombreux monuments. Partout on reconnaît sans peine les cratères, les coulées ; le sol est généralement imperméable, mais de fécondité très différente selon que la roche est plus ou moins décomposée, le drainage plus ou moins régulier ». Historiquement infondée, nous l’avons vu, la comparaison avec le Vésuve reste justifiée du point de vue géomorphologique2 : « Deux fois plus vastes que le Vésuve, les monts Albains se composent, comme lui, d’un ancien volcan dont le haut a sauté, et d’un cône qui s’édifia dans la cavité ainsi formée. Mais ici l’enceinte externe, ébréchée vers l’Ouest, est presque aussi haute que le cratère terminal ; deux lacs profonds sont nés, soit par effondrement soit par intersection de cratères [...] » ; « surtout vers l’Ouest, ce massif surbaissé a depuis longtemps attiré la culture, par sa fertilité, ses sources abondantes, ses acropoles [...] ». Tableau géographique que clôture une touche plus littéraire : « On évoque aisément l’Énéide dans les fraîches vallées par où descendaient les pâtres des monts Albains jusqu’au rivage où ils rencontraient les marchands de l’Orient ».
2L’homme a-t-il été témoin des éruptions des monts Albains ? À cette question trop simple posée par le xixe siècle et résolue pendant un temps sur la base d’une assimilation inadéquate entre Albe et Pompéi, la réponse ne peut qu’être complexe : la science moderne3, en effet, a montré que le surgissement puis l’activité de cet ensemble qu’elle appelle le Volcan Latial (c’est-à-dire les monts Albains pris dans la totalité de leur extension), loin de pouvoir être conçus comme une seule catastrophe, unique, définitive, irrémédiable, résultaient en réalité d’un très long processus qui, s’il doit être tout entier placé dans l’ère quaternaire, n’en aurait pas moins duré plusieurs centaines de milliers d’années, s’achevant seulement environ trois mille ans avant notre ère. La relative simplicité d’aspect du massif albain, qui, vu de haut, ressemble à un grand entonnoir échancré dans sa partie occidentale, est donc illusoire, comme l’est également la régularité de l’ovale que forme le lac Albain, non pas, ainsi qu’on pourrait le croire, trace d’un cratère unique, mais produit de l’effondrement de deux cratères antérieurs. Oui, il y a bien, en définitive, des traces de présence humaine situées au-dessous d’émanations du Volcan Latial, et conséquemment antérieures à celles-ci, mais elles se trouvent près d’Anagni et non près du lac Albain, et, datant de près de 700 000 ans avant notre ère, elles échappent à l’histoire et même à la protohistoire : il s’agit des gisements d’Anagni-Colli Marino, d’Arce, de Fontanatiori et du Castro dei Volsci, de part et d’autre de l’axe fondamental des vallées du Sacco et du Liri4. Mais les êtres qui virent le surgissement du massif Albain doivent être qualifiés d’hominidés, car ils appartenaient, non pas au type actuel de l’espèce, mais à celui dit Homo erectus, dont l’existence se situe au Pleistocène moyen et dont la « culture » appartient au paléolithique inférieur : il s’agit alors de très petits groupes de chasseurscueilleurs dont les déplacements dépendent de ceux des animaux (éléphants, rhinocéros, hippopotames, bisons) qui leur fournissent leur subsistance. Les traces repérées près d’Anagni marquent sans doute une des premières apparitions de l’homme sur le sol du Latium ; bien loin, déjà, dans le temps, mais dans un lieu tout proche dans l’espace, peuvent être cités les vestiges de Fontana Ranuccio, dans un site remontant à près de 458 000 années5. Quant aux bancs de « tuf lithoïde » mis au jour au lieu-dit Rebibbia-Casal de’Pazzi, dans ce qui n’est maintenant qu’un quartier suburbain de Rome6, ils témoignent d’une vigoureuse phase d’activité du volcan albain qu’on peut dater de -300 000 ans, et qui aboutira à donner au cours du Tibre son tracé actuel, en le repoussant vers le nord7 : vu sa chronologie, ce phénomène volcanique a eu le même genre de spectateurs que les manifestations précédentes. Humbles, innombrables et silencieux témoins d’une vie fragile, disparue dans la nuit des siècles, des outils bifaces, en pierre le plus souvent, en os parfois, gardent la trace de leur fugitive présence.
3Il est cependant loisible d’affirmer que des êtres appartenant à l’espèce humaine moderne ont assisté aux dernières manifestations de l’activité volcanique latiale, puisque des relevés effectués sur les bords du lac Albain et accompagnés de datations8 au carbone 14 ont permis de situer à -29 500 et même à -19 000 ans la dernière phase de vie éruptive du massif albain9, fixée même, désormais, à -3000 ans. Or c’est, comme on le sait, entre -40 000 et -35 000 ans que l’homme de Néanderthal, identifiable dans le Latium par les crânes de Saccopastore et par les trouvailles de la grotte Guattari au promontoire du Circée10, laisse la place, selon des modalités et pour des causes sur lesquelles les spécialistes ne s’accordent pas, à l’Homo sapiens sapiens (qui apparaîtrait aujourd’hui non pas comme le descendant du précédent, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, mais plutôt comme son « cousin »)11.
4Dans un climat devenu plus froid, et sous les yeux des premiers représentants de l’humanité, les bouches du Volcan Latial jettent alors leurs derniers fleuves de feu et de lave, concluant ainsi un long processus d’orogenèse dont les vestiges, bien que soumis ensuite à une puissante érosion, se laissent reconnaître dans toute la plaine latiale. Ce n’est pas seulement une simple concomitance chronologique qui peut faire penser que des hommes ont ainsi assisté aux derniers feux du Volcan Latial, ce sont, un peu partout épars dans la Campagne romaine, et jusqu’au pied des pentes du massif, les traces, ténues mais nombreuses, d’une activité humaine attribuable au Paléolithique supérieur et datable du Pleistocène supérieur (glaciation de Würm) : à l’ouest de la via Nomentana par exemple (notamment à Torre Nova, le long de la via Casilina), des sites qui, pour la plupart, n’ont été que récemment identifiés12, prouvent l’existence de ces premiers spectateurs, conférant ainsi aux romantiques évocations13 chères aux voyageurs du xixe siècle une précision à laquelle elles ne pouvaient prétendre.
5De son émergence à sa stabilisation définitive, le Volcan Latial aura ainsi accompagné l’apparition puis l’affirmation de l’espèce humaine en Italie centrale : lorsqu’il surgit, l’Homo sapiens sapiens n’existe pas encore, et seuls quelques hominidés errent aux alentours ; lorsqu’il s’éteint, de nombreux sites, notamment dans les plaines pontines, abritent déjà de petits groupes d’individus, qui, dans un climat devenu plus rigoureux, cherchent volontiers l’abri qu’offrent les cavernes du Circée (grotte du Fossellone), chassent au moyen d’outils de pierre et d’os, et enterrent leurs morts suivant des rites codifiés14.
6Au total, le relief albain, qui résulte donc d’une activité éruptive où les géologues ont discerné les traces de cinq explosions majeures, séparées par de grandes périodes de repos qui ont, à chaque fois, permis le développement de longs stades d’érosion, présente à l’observateur une structure d’une complexe simplicité. Les phases successives de formation de cet ensemble se donnent en effet à voir dans un véritable palimpseste géomorphologique que plus de deux siècles d’effort scientifique ininterrompu15 permettent de déchiffrer de la manière suivante : le grand rehaut circulaire, largement échancré dans sa partie occidentale, qui se laisse si facilement reconnaître sur la carte, n’est pas, malgré les apparences, la trace monumentale de l’explosion initiale, dont le centre devait se situer, en réalité, au nord-ouest du massif actuel, mais n’est plus visible sur le terrain ; il faut y reconnaître une caldeira16 de subsidence produite par l’effondrement d’un grand volcan, allant des hauteurs actuelles du Tusculum à celles de l’Artemisio, et qui avait lui-même succédé à un système antérieur, caractérisé par une gigantesque cheminée centrale transformée ensuite en une caldeira de près de quinze kilomètres de diamètre, complètement effacée dans les bouleversements successifs du massif ; au sein de cette seconde enceinte, qui marque le tour de l’ensemble actuel, les forces éruptives ont ensuite fait surgir le massif des monts Faete, Cavo et Jano, qui, effondré à son tour, a lui-même donné naissance à une seconde caldeira (en réalité la troisième) aisément reconnaissable, d’un diamètre d’à peu près trois kilomètres et qui forme comme le cœur des monts Albains des époques historiques. Ainsi, la structure actuelle de l’édifice volcanique que forment les Colli Albani se caractérise par « l’emboîtement de trois caldeiras successives, dont seules les deux dernières ont laissé d’importantes traces dans la morphologie »17. Subsidiairement, l’activité éruptive qui se manifestait aux marges du cône central de la Faete a produit plusieurs cratères d’explosion, dont le site a été ensuite occupé par l’eau, comme c’est le cas pour le lac Albain lui-même, pour celui de Nemi, et pour celui qui occupait (nous y reviendrons) la dépression connue sous le nom de Vallericia.
7Volcan plusieurs fois renaissant de ses cendres, le massif latial, malgré son altitude modeste, est ainsi, à l’échelle des temps géologiques, un relief jeune, très jeune même18, dont la formation a ici entièrement fait disparaître les sédiments préexistants du Pliocène. Autour de lui, ses laves ont remodelé les terrains sur une large superficie, jusqu’à Anagni à l’est, tandis qu’au nord-ouest, en direction de Rome, leur coulée en pente douce a tracé jusqu’au site où s’élève le tombeau de Cecilia Metella dont la frise ornée de bucranes a donné son nom au lieu-dit Capo di Bove, une véritable chaussée que les ingénieurs romains n’auront qu’à suivre lorsqu’ils lanceront la via Appia à la conquête du sud de la péninsule.
8Elevant leur masse isolée au milieu de la plaine, à quelques heures de marche à peine du Tibre, les monts Albains offrent au Latium comme une forteresse géologique, dont les crêtes, qui vont de Frascati au mont Artemisio (925 m), en passant par Rocca Priora et les monts Fiore (723 m) et Ceraso (766 m), formeraient l’enceinte extérieure, et le cône des monts Cavo (949 m), Jano (938 m) et Faete (956 m), le donjon. Entre ces deux remparts, une « vallée annulaire »19, l’Atrio della Molara, à l’altitude moyenne de 500 m, joue le rôle d’une cour intérieure pour ce château fort naturel dont le pourtour dépasse les 56 km à sa base20 : l’ensemble apparaît donc comme une exceptionnelle place forte géographique, et l’histoire n’a cessé de montrer que son occupation ouvrait à celui qui en avait la maîtrise, la porte des plaines du littoral. Qui tient les monts Albains tient Rome et qui veut tenir Rome doit tenir les monts Albains. Citons certains épisodes où cette véritable loi géohistorique semble vérifiée : à l’époque archaïque, c’est dans les monts Albains que les Tarquins déchus vinrent chercher un refuge21 et, certainement aussi, l’espoir d’une revanche, et toute l’histoire de leur dynastie semble bien montrer qu’ils avaient fait du massif albain un véritable poste avancé auquel était confiée la mission de surveiller la Ville et ses turbulences. De même, dans les années troubles et obscures qui suivirent la prise de Rome par les Gaulois, c’est sur les contreforts des monts Albains qu’on retrouve ces derniers22, qui, apparemment, n’avaient pas alors renoncé à renouveler leur assaut victorieux, en poussant les Latins à la défection. Inversement, lorsque la marche d’Hannibal, en 211, semble viser directement Rome, c’est sur le mont Albain que le Sénat place des troupes destinées à prévenir cette attaque : Praesidia [...] in monte etiam Albano ponuntur23. Et lorsque, plus tard, le Sénat et le consul Octavius voudront délivrer Rome de l’étau que resserrent implacablement autour de l’Vrbs les troupes de Marius, c’est aussi sur les monts Albains que, dans une ultime tentative, ils viendront chercher une bataille décisive, à laquelle leurs propres troupes se déroberont d’ailleurs24. Quant à Sylla, une fois vainqueur, il établira ses vétérans tout autour du massif albain, à Aricie, Bovillae, Castrimoenium (au nom parlant), Gabies et Tusculum, afin de mieux contrôler l’Vrbs25. Tout au long des siècles, on ne peut qu’être frappé par la pérennité géohistorique que révèlent de tels faits, qu’on pourrait facilement enrichir d’autres exemples, tant anciens que modernes. N’en citons qu’un de plus : l’installation, sur le territoire de l’Albanum, par un empereur soucieux d’affermir son pouvoir à Rome, d’une troupe qui fut « placée là pour réprimer les écarts toujours possibles des cohortes du Viminal »26. Il s’agit, bien entendu, des Albani – en réalité des Illyriens pour la plu-part, comme l’indiquent, en accord avec les sources littéraires, leurs épitaphes funéraires trouvées nombreuses sur place – de la IIda Parthica, installée en 202 par Septime Sévère dans un casernement qui, après son abandon par la troupe, fournira le noyau de la future bourgade d’Albano.
TREMBLEMENTS DE TERRE
9Nous voudrions maintenant étudier un type de phénomènes largement attesté à l’époque moderne dans l’aire des Colli Albani, et dont la prise en considération peut conduire, pensons-nous, à une meilleure intelligence de certaines des légendes albaines des primordia, qui trop souvent n’ont pas reçu jusqu’ici, de ce point de vue, l’attention qu’elles nous semblent mériter. Il s’agit des tremblements de terre, dont des exemples récents éclairent assurément les données transmises par les sources antiques pour les périodes républicaine et impériale ; à son tour, cette comparaison autorisera peut-être quelques déductions concernant les phases plus anciennes de la civilisation latiale. Système volcanique, le massif albain signale, en tant que tel, un point faible de l’écorce terrestre. C’est en effet l’existence d’une série de failles, dont les principales sont orientées N.E.-S.O. et surtout N.O.-S.E., qui a déterminé l’emplacement du volcan, et qui, à l’époque moderne encore, a provoqué plusieurs tremblements de terre, en conséquence directe de l’instabilité tectonique qu’elles créent dans l’ensemble de cette zone du Latium. De 1980 à 1995 a été observée une activité sismique dans le massif albain, qui a conduit à une relance des recherches dans les domaines de la géomorphologie et de la vulcanologie (comme on peut s’en rendre compte en consultant les sites concernés sur Internet, par ex. à la rubrique « Colli Albani »). On peut ainsi mieux comprendre comment les secousses qui endommagèrent assez gravement Rocca di Papa le 24 août 1806, tout comme celles de 1829, 1892, 1897, et surtout 1899, et encore en 1986, en 1989 (cette dernière provoquant la fermeture temporaire du Musée archéologique d’Albano), et les 12 et 13 juin 1995, lorsque Rome fut atteinte par une secousse sismique de l’ordre de 3,9 sur l’échelle de Richter, rentrent dans un ordre de phénomènes attesté pour l’Antiquité27. Il est probable en effet, comme l’ont dit les antiquaires dès les xviie et xviiie siècles, que les traditions évoquant le mouvement des « lances de Mars », hastae Martiae, dans la Regia-– ce qui était considéré comme un présage annonçant l’imminence d’une guerre –, reposent sur des faits réels dus à ces mêmes causes telluriques28. Contrairement à ce qu’on dit souvent, il y a aussi des indices d’une tradition du même genre pour les ancilia29, dont il y avait sans doute des exemplaires dans la Regia même, et non seulement sur le Palatin, dans la curia Saliorum30. Quoiqu’il en soit, il est sans doute possible de retrouver ainsi la trace de tremblements de terre qui, dans l’Antiquité, ont pu affecter la zone des monts Albains.
10Bien sûr, l’imprécision des sources, qui s’explique par leur romanocentrisme, est telle que, la plupart du temps, elles se sont contentées de noter ce qui, dans les phénomènes sismiques, concernait directement l’Vrbs. Et comme l’activité sismique dont la Ville peut ressentir les effets est susceptible d’interprétations diverses, il serait de bien mauvaise méthode de conclure que toute manifestation d’un bouleversement sismique observé sur le territoire de Rome avait son épicentre dans les monts Albains, ni même qu’elle ait obligatoirement affecté ces derniers : les exemples ne manquent pas, en effet, de secousses ressenties à Rome, et ignorées dans les monts Albains pourtant si proches, comme ce fut le cas en 181231. C’est que, selon les observations des spécialistes modernes, les mouvements telluriques observables à Rome peuvent dépendre de facteurs strictement locaux ou, plus fréquemment, d’impulsions venues, non pas des Colli, mais du système des Apennins. Il reste que des études récentes32 viennent d’établir que la sismicité actuelle du massif albain serait due à la présence d’une chambre magmatique encore chaude, située à une profondeur de quatre à six kilomètres, à 500 m au sud du lac de Castel Gandolfo.
11La proximité des monts Albains étant donc l’une des causes de la sismicité du sol romain33, on peut en déduire que, des événements sismiques dont les annalistes ont conservé la mémoire pour l’Vrbs, certains, au moins, avaient (s’ils n’y avaient pas leur origine) affecté aussi, bien que les textes ne le précisent pas, la zone des monts Albains. On peut même penser que, pour les périodes antérieures à la grande expansion de l’Vrbs dans la péninsule, c’est-à-dire à un moment où, avant la sujétion des Latins que marquera la paix de 338 av. J.-C., la mer voisine, le Tibre et les monts Albains formaient à eux seuls l’horizon des Romains, toutes les notations, même d’apparence très générale, faisant état de tremblements de terre, ont chance de se rapporter à des phénomènes constatés dans les environs immédiats de Rome, et notamment dans ceux qui sont, par leur nature géomorphologique, les plus sujets à des mouvements tectoniques, autrement dit les monts Albains.
12Ce raisonnement s’applique notamment au premier tremblement de terre dont les sources anciennes fassent mention pour l’Italie34 : en 461 av. J.-C., en effet, selon Tite-Live (3, 10, 6), terra ingenti concussa motu est, tandis que le texte correspondant de Denys d’Halicarnasse souligne l’importance du séisme35, ce qui implique à notre avis que la Ville même fut touchée, sans qu’il soit exclu non plus que ses environs l’aient été aussi ; au contraire, il nous paraît, contrairement à ce qui a pu être dit à ce propos36, que l’imprécision topographique qui se constate tant chez Tite-Live que chez Denys peut s’expliquer par la multiplicité des phénomènes alors observés et la localisation d’une partie d’entre eux en dehors de Rome.
13La même déduction peut être faite, pour une manifestation sismique que Tite-Live place en 436 av. n. è. et qu’il localise, sans plus de précision, dans les campagnes : Crebris motibus terrae ruere in agris muntiabantur tecta (4, 21, 5). Un texte d’Orose, qui ne dépend peut-être pas directement de Tite-Live, mentionne à propos de ce qui semble être le même épisode, avec une datation différente mais qui pourrait résulter d’une erreur de comput, un grand nombre de destructions, parlant d’innumeris quassationibus ac ruinis uillarum oppidorumque (Hist., 2, 13, 8), avec une formule qui, à moins qu’elle ne témoigne de l’imagination du disciple maladroit d’Augustin, reflète peut-être une source intermédiaire et perdue37. En s’en tenant prudemment à Tite-Live, en tout cas, on peut néanmoins penser que la formule in agris, qui sert simplement à désigner ici un espace autre que celui de l’Vrbs – et de toute façon, il y avait des champs dans les monts Albains –, peut être appliquée au territoire albain, étant donné la date haute à laquelle se situe cette notice : une fois encore, l’origine annalistique est plus que probable, fût-ce évidemment par le biais d’une source intermédiaire (Valerius Antias ou un autre), une des premières fonctions des archives de la Cité étant précisément de faire le plus exactement possible le compte de tous les prodiges qui exigeaient une expiation (procuratio) publique, afin que Rome pût continuer à bénéficier de la bienveillance des dieux38.
14Tite-Live a également conservé la mémoire de plusieurs autres tremblements de terre, qui furent ressentis à Rome, et dont certains au moins durent concerner aussi les monts Albains ; c’est le cas de ceux : de janvier 193 av. n. è., qui semble avoir affecté une grande partie de l’Italie39 ; de 192, sans doute la continuation du cycle sismique commencé un an plus tôt, et qui, cette fois, paraît avoir touché Rome directement, ce qui rend possible une implication albaine40 ; de 118 av. n. è., connu seulement par la compilation d’Obsequens41 ; de 83 av. n. è., pendant la guerre civile42.
15Mais il y eut aussi d’autres mouvements de terrain, de nature peut-être sismique, pour lesquels une incidence directe sur la région des monts Albains est sûre. Il s’agit d’abord du phénomène qui se manifesta sur le territoire de Velletri en 202 av. J.-C., juste avant que n’arrive à Rome la nouvelle de la victoire de Zama, à un moment où on croyait que la guerre allait reprendre43. Or Tite-Live rapporte que, cette année-là, In Veliterno agro terra ingentibus cauernis consedit, arboresque haustae (30, 38, 8), sans qu’on puisse déterminer s’il s’agissait du résultat d’une secousse sismique, ou d’un vaste glissement de terrain provoqué par les violents orages mentionnés juste après (30, 38, 9 : Ariciae forum et circa tabernae [...] de caelo tacta) ; même chose, même lieu, quelques années plus tard, en 198 av. J.-C., avec des orages dans tout le Latium (Véies, Lanuvium, Ardée), mais aussi à Arezzo et à Capoue : Terra Uelitris trium iugerum spatio cauerna ingenti desederat (32, 9, 3)44.
16Il y a plus : il existe au moins un cas qui prouve, sans doute possible, et la sismicité du territoire albain dans l’Antiquité – ce que, du reste, suffisaient à démontrer les tremblements de terre qui y ont été observés à l’époque moderne, compte tenu de l’ampleur, à l’échelle humaine, du rythme des temps géologiques –, et l’imprécision ordinaire des notices antiques sur les phénomènes sismiques dès qu’ils n’affectaient pas directement le sol de Rome, imprécision qui était à la base de nos déductions précédentes. En 56 avant notre ère, à un moment où les incertitudes nées de la crise du régime rendaient les esprits particulièrement sensibles à tout ce qui semblait un signe envoyé par les dieux, Cicéron rapporte, dans un discours qui marque l’un des épisodes de son long combat contre Clodius45, un prodige dont il n’hésite pas à voir la cause dans l’impiété de son adversaire : « Réfléchissez, dit-il en s’adressant aux sénateurs, à la nature du bruit que les habitants du Latium ont annoncé, rappelez-vous ce fait même qui n’a pas encore donné lieu à un rapport, l’annonce d’un tremblement de terre épouvantable survenu à peu près au même moment dans le Picenum, à Potentia, avec un grand nombre de phénomènes terribles »46. L’importance qu’il donne à ce présage l’avait auparavant amené à le mettre au premier rang des sacrilèges dont il rendait Clodius responsable, avec une formule empruntée au collège des haruspices : « Vu que dans le territoire latin un grondement s’est fait entendre avec un bruit d’armes »47 ; citation que l’Orateur reprend aussitôt pour la paraphraser et, on le notera, en lui ôtant sa relative précision topographique : « On a entendu dans la campagne proche, suburbaine un grondement sourd et un horrible bruit d’armes »48.
17Or il se trouve, une fois n’est pas coutume, qu’une autre source ancienne permet de situer plus précisément sur le territoire albain une manifestation et peut-être même l’épicentre de l’activité sismique dont parle Cicéron. À cette occasion, en effet, un monument « albain » fut atteint par le séisme. Dion Cassius, dans son récit de l’année 56, rapporte en effet que « sur le territoire d’Albe, un petit temple d’Héra, reposant sur une base orientée à l’est, se trouva retourné du côté du nord », prenant soin d’ajouter explicitement qu’« un tremblement de terre se produisit »49, ce qui pourrait indiquer que des effets en furent ressentis à Rome même. Il est clair, en tout cas, que c’est la valeur religieuse de ce présage qui lui a valu d’être enregistré si exactement par les sources de Dion. Nous laisserons ici de côté la question de savoir s’il s’agissait du même séisme que celui qui affecta, à peu près au même moment, selon Cicéron, la ville de Potenza dans le Picenum, ainsi que le problème (sur lequel nous reviendrons) de l’identification du temple décrit par l’auteur de l’Histoire romaine, pour retenir seulement, avec E. Guidoboni, que : « Il fenomeno della rotazione del tempietto ricordato da Cassio Dione fu probabilmente un effetto dovuto a una scossa locale originata nei colli Albani. Il fragore inteso nel territorio laziale, ricordato sia da Cicerone, sia da Cassio Dione, va probabilmente posto in relazione con quest’ultimo fenomeno sismico »50.
18Tel que nous pouvons l’appréhender par le biais de ces deux témoignages (Cicéron et Dion) qui se complètent heureusement, le tremblement de terre de 56 n’est pas, nous semble-t-il, sans offrir quelque analogie avec celui qui, lui aussi, affecta la zone des monts Albains le 19 juillet 1899 : les mouvements du sol qui, deux mille ans plus tôt, avaient « désorienté » un petit sanctuaire, aboutirent, ce jour-là, à l’écroulement des murs d’une petite chapelle située sur le territoire de Monte Porzio Catone51 ; le territoire de Frascati fut en effet la zone la plus touchée, tandis qu’à Rome plusieurs édifices subirent quelques dommages, assez légers au demeurant. La précision des informations disponibles a permis aux spécialistes actuels d’évaluer assez exactement le séisme de 189952 : c’est pourquoi l’analogie entre les deux événements, du point de vue de leurs effets comme de leur localisation dans les monts Albains, permet, nous semble-t-il, de supposer, pour la secousse de 56, une intensité du même ordre. La sismologie et la vulcanologie étant deux disciplines sœurs, on voit par là qu’en supposant, certes à tort, nous l’avons vu, que les urnes-cabanes trouvées sur les pentes albaines à partir de 1816 prouvaient qu’il avait existé une ville d’Albe, qui, à l’instar de Pompéi, aurait été, à l’aube de l’histoire, ensevelie sous les laves, Michele Stefano De Rossi, qui reste « l’une des figures les plus prestigieuses de la sismologie italienne »53, et auquel la connaissance des phénomènes sismiques constatés dans le Latium à l’époque moderne doit beaucoup, pouvait s’autoriser de bonnes raisons pour passer ainsi de la géologie à l’histoire. Le même De Rossi voulait voir par ailleurs dans l’activité sismique latiale la cause – rien moins que cela ! – de la décadence romaine, étendant ainsi à l’Antiquité tardive des conclusions aventurées forgées dans l’étude des premières réalités archéologiques latiales.
19Pour en revenir au tremblement de terre de 56, la description de Cicéron contient une formule qui n’est pas sans éveiller quelques échos : dans le grondement souterrain entendu par les Latins et qui a exigé une consultation des haruspices, l’Orateur invite ses auditeurs à reconnaître « la voix même des dieux immortels », uox ipsa deorum immortalium54 ; et au début de son discours, il voit dans ce séisme le prodige « peut-être le plus grave qui ait été déféré à l’ordre sénatorial, depuis bien des années », y reconnaissant « la voix même de Jupiter »55. Il faut prendre garde aux mots mêmes dont se sert Cicéron, car, dans un discours destiné à témoigner de sa piété et de son sens religieux, il aura évidemment eu soin de recourir scrupuleusement aux formules rituelles et aux expressions consacrées56. Or, parmi celles-ci, il en est une qui se rencontre dans un tout autre contexte, certes, mais à propos du même territoire albain : décrivant la fin du règne du roi Tullus Hostilius, après « la destruction d’Albe » et une défaite des Sabins, Tite-Live rapporte un prodige censé avoir eu lieu sur le mont Albain. Aux délégués romains venus vérifier sur place la réalité d’un prodige précédemment annoncé, qui consistait en une pluie de pierres57, se fait entendre « une grande voix venue du bois sacré qui se trouve au sommet de la montagne », uocem ingentem ex summi cacuminis luco58. Entre l’expression de Cicéron en 56 et celle de Tite-Live – ou plutôt sa source qui sera vraisemblablement, par la médiation d’un annaliste, les archives du collège des haruspices que l’historien dit avoir été, comme il se devait, consultés à cette occasion59 –, l’identité d’expression peut-elle être attribuée au hasard ? Il faut, pour répondre à cette question, se souvenir que le terme utilisé par les deux auteurs (uox) évoque très précisément le vocabulaire employé par les Romains pour décrire des tremblements de terre60. Or, étant donné qu’il est ici attribuable à un lieu qui est, dans les deux cas, le mont Albain (Cicéron ne parle que du territoire latin, mais Dion est plus précis, et le temple dont il parle se situe sur le Monte Cavo)61, le mot uox nous paraît désigner vraisemblablement, dans les deux cas, un type de phénomènes sismiques qui se constate à plusieurs reprises tout au long de l’histoire, tant ancienne que moderne, de la région albaine. C’est pourquoi nous serions enclin, pour notre part, à reconnaître dans cette ingentem uocem qui se manifeste sur le mont Albain62, la désignation, la transposition sur le plan religieux d’un tremblement de terre analogue à celui qui, bien plus tard, bouleversa au même endroit le site d’un temple de Junon. Quant aux paroles prétendument prononcées par cette voix et à l’injonction faite par elle aux Albains « de sacrifier selon leurs rites nationaux », il est clair qu’elles ne font que mettre sur le même plan un phénomène naturel, interprété comme prodige, et le rituel élaboré pour en conjurer les effets. Nous ne prétendons point par là que la scène livienne doive être référée, dans la réalité géo-historique, à un unique tremblement de terre, dont, pour ces époques reculées de la protohistoire, seul le rite aurait gardé la mémoire, un rite ensuite repris par la mythe-histoire des primordia ; il est tout aussi vraisemblable, et sans doute plus satisfaisant méthodologiquement, de penser qu’il s’agit là d’une manière d’hypostase ritualisée d’un type d’événement qui s’est produit à plusieurs reprises.
20Une autre particularité, qui incline l’interprétation dans le même sens, doit être relevée : nous voyons que Cicéron, pour l’expiation du prodige de 56, se réfère avec insistance à la divinité jupitérienne. C’est, dit-il, « la voix même de Jupiter » (5, 10) qui a été entendue. Là encore, il nous paraît qu’il fait preuve du même souci de précision et d’observance religieuse63que dans le reste de son discours. Le mons Albanus n’est-il pas la montagne sacrée du Jupiter Latial ? En d’autres termes, il se pourrait bien, à notre avis, que le récit élaboré par Tite-Live laissât apparaître qu’une activité sismique réelle est à la base de l’étiologie en cours chez les Anciens pour le rituel des Féries Latines ainsi que pour l’institution, de la part des haruspices, haruspicum monitu, des jours novemdiaux. Sans aucun doute, que la hauteur la plus imposante du pays latin ait été le théâtre de phénomènes telluriques n’a pu que favoriser, dès les temps lointains de la protohistoire et peut-être même de la préhistoire, sa transformation en lieu saint par excellence du nomen Latinum.
21On pourrait, certes, être tenté de banaliser l’interprétation du prodige rapporté par Tite-Live en le référant à un type d’événements naturels autrement plus courant que les tremblements de terre, à savoir les orages, qui atteignent souvent sur le mont Albain une grande violence. Mais c’est précisément leur caractère tout à fait habituel qui s’oppose ici à ce qu’ils aient pu fournir au rite des Féries son étiologie sous la forme d’un prodige fondateur et unique. De plus, ce serait oublier que la liaison que nous soulignons entre mouvement sismique et Jupiter n’est pas le fait de Cicéron, mais qu’elle ressort de la réponse même des haruspices dont il a transcrit fidèlement le texte64 : elle est donc un fait rituel, indiscutablement authentique. Il est vrai qu’il s’agit là d’une particularité de la théologie du dieu, qui n’a pas été mise en lumière : on a traditionnellement65 insisté sur le rapport de Jupiter et de la foudre, puis Georges Dumézil, dans un souci, légitime d’ailleurs, de dégager la figure du dieu d’une vision exclusivement « primitiviste » et naturaliste, a centré son analyse sur la fonction de souveraineté66. Sans entrer dans ce débat, nous nous contenterons de rappeler que l’épisode livien, complété par les indications de Cicéron, se situe plutôt à l’aube d’une histoire et d’une théologie dont le cours s’étend sur plusieurs siècles, et que la présence, à ce stade, d’éléments « naturalistes », difficilement récusables, n’implique évidemment pas qu’ils suffisent à eux seuls à rendre compte de l’évolution nécessairement complexe que connaît par la suite le plus grand des dieux du peuple-roi. De toute façon, les tremblements de terre s’accompagnent ordinairement de fortes perturbations atmosphériques67, ce qui n’a pu que renforcer, si cela ne l’explique pas, la « compétence sismique », si je puis dire, de Jupiter.
22Arrivés à ce point, l’on ne peut que se tourner vers un texte, auquel son statut un peu incertain et son anonymat ont valu longtemps un grand discrédit, mais que les études récentes, et notamment celles d’A. Momigliano et de J.-C. Richard68, ont réhabilité décisivement. N’est-il pas question, en effet, dans l’Origo Gentis Romanae, de « miracles » albains, dont on a peut-être trop facilement jusqu’ici négligé l’intérêt ? Relu à la lumière des parallèles qui précèdent, l’un d’entre eux retrouve, nous semble-t-il, une certaine valeur, au moins à titre d’hypothèse. Passant en revue les rois de la dynastie albaine, l’anonyme compilateur, qui s’efforce d’attacher à chacun d’eux quelque détail significatif, s’attarde quelque peu sur le nom d’Aremulus Silvius. Après avoir rapporté en détail la version la plus courante à propos de la mort de ce roi impie, qui passait pour avoir été foudroyé et précipité dans le lac d’Albe, il prend soin d’ajouter une variante de la tradition attribuant cette mort, non à la foudre, mais plutôt à un tremblement de terre : Aufidius sane in Epitomis et Domitius libro primo non fulmine ictum, sed terrae motu prolapsam simul cum eo regiam in Albanum lacum tradunt69.
23Le caractère exceptionnel de cette variante, non attestée dans les nombreuses autres versions de la légende70, qui parlent simplement de foudre, ne nous semble pas un élément négligeable. N’y aurait-il eu, comme il arrive souvent, qu’un seul auteur cité par l’anonyme à l’appui de cette tradition hétérodoxe, il eût été alors presque inévitable d’y voir une simple variation libre née de la fantaisie d’un seul érudit, qu’on pourrait supposer avoir été influencé par l’exemple d’un tremblement de terre réel. Mais la mention d’un séisme se retrouvant, en l’occurrence, chez deux auteurs différents71, l’existence d’une tradition distincte, plus rare et, partant – suivant le principe de la lectio difficilior –, sans doute meilleure, n’est peut-être pas à rejeter. Il n’est donc pas impossible que nous ayons là, sous forme fragmentaire et résiduelle, un reste d’une authentique légende albaine, c’est-à-dire latine, fondée sur le souvenir d’un ou de plusieurs phénomènes naturels dont la trace s’était conservée dans la mémoire mythique. Sur ces seuls indices philo-logiques, il serait évidemment fort hasardeux d’authentifier une telle tradition en la référant à un tremblement de terre, dont deux vulcanologues72 du xixe siècle proposèrent même de fixer la date vers 900 av. n. è. Mais il se trouve que des recherches de géomorphologie73 encore en cours viennent de révéler qu’entre environ -6 000 et -3 000 (et peut-être après), le lac Albain fut le théâtre de plusieurs explosions majeures : la première, survenue à l’époque néolithique, ne saurait être prise en compte ; mais les dernières se produisirent durant le Bronze moyen, c’est-à-dire à une période où, en Latium, et particulièrement autour du lac Albain74 et sur le site romain, apparaissent les premiers habitats stables. Or il s’agit de cataclysmes gigantesques, qui vidèrent le lac et projetèrent loin vers l’ouest de très puissantes coulées de boue, dites lahars, qui allaient former la plaine (24 km2) de Ciampino. Nul doute, donc, que ces événements paroxystiques n’aient très fortement bouleversé les populations de type apenninique vivant sur place. C’est pourquoi, plutôt que de voir dans la légende d’Aremulus, avec G. Dumézil75 (auquel cependant l’intérêt de cette tradition n’avait pas échappé), un mythe d’origine indo-européenne, nous proposons d’y reconnaître la trace de ces catastrophes naturelles majeures, survenues à l’aube de la protohistoire latiale. À sa manière, la tradition antique, en plaçant cette légende aux temps des rois d’Albe et avant la fondation de Rome, indiquerait que cette catastrophe s’était produite avant les temps de la cité et de l’histoire. Nous avons bien conscience que cette interprétation, qui n’est pas la seule possible, pourra paraître imprudente, ou naïve. C’est qu’on oublie trop souvent que le massif albain est, du point de vue vulcanologique, une formation très récente : les recherches en cours révèlent désormais que son activité s’étend jusqu’aux temps historiques, même si ce n’est pas de la manière qu’imaginait l’ancienne érudition. Notre interprétation n’a pas d’autre objectif que de prendre en compte les faits totalement nouveaux qu’apportent les sciences de la terre. La vraie imprudence, désormais, ne serait-elle pas d’écarter a priori ces résultats et les hypothèses auxquelles ils conduisent pour ainsi dire nécessairement ?
Notes de bas de page
1 Géographie universelle, sous la direction de P. Vidal de La Blache et de L. Gallois, t. 7, 2de partie, Italie-Pays balkaniques, par J. Sion et Y. Chataigneau, Paris, 1934, p. 339-340.
2 À l’ouest du Tibre, le Volcan des monts Sabatini a joué un rôle notable dans la formation des reliefs : cf. par ex. A. M. Bietti Sestieri, Preistoria e Protostoria..., p. 25 et p. 34. Sur l’assimilation Volcan Latial = Vésuve, cf. le Mémoire de Ponzi cité supra, à la n. 20 du chap. I : notons cependant qu’à l’inverse de nombre de ses contemporains (De Rossi, Reclus, cités supra, ib. n. 20), Ponzi s’en tient à un point de vue rigoureusement géomorphologique, s’abstenant de toute extrapolation historique. Paradoxalement, c’est le sérieux même de ce genre de travaux qui incitera historiens et archéologues à développer une comparaison, devenant alors inadéquate, avec le cas de Pompéi.
3 Les travaux anciens de V. Sabatini, I Vulcani dell’Italia centrale e i loro prodotti, 1, Vulcano Laziale, in Memorie descrittive della carta geologica d’Italia, vol. 15, 1900, dont on verra aussi le rapport de synthèse, « De l’état actuel des recherches sur les volcans d’Italie centrale », présenté au Congrès Intern. de Géologie, 9e section, Vienne 1903, édition 1904, p. 663-684 ; d’E. Clerici, « Sulla stratigrafia del Vulcano Laziale », in Rend. Acc. Lincei, s. V, vol. 13, 1904, p. 614-618 ; de P. Moderni, « Alcune osservazioni geologiche sul Vulcano Laziale e specialmente sul Monte Cavo », ib., vol. 15, 1906, p. 462-469, ont été remplacés par la monographie de M. Fornaseri, V. Ventriglia, A. Scherillo, La regione vulcanica dei Colli Albani, Rome, 1963 (sur laquelle on lira la recension détaillée de G. Kieffer, in Annales de Géographie, 75, 1966, p. 728-731) qu’on complètera par les travaux suivants : C. Caputo et alii, « Geomorphological features of the Latian Volcano, Alban Hills, Italy », in Geol. Romana, 13, 1974, p. 157-201 ; G. Civitelli, R. Funiciello, M. Parotto, « Caratteri deposizionali dei prodotti del vulcanismo fretico nei Colli Albani », in Geol. Rom., 14, 1975, p. 1-28 ; R. Funiciello, M. Parotto, « Il substrato sedimentario nell’area dei Colli Albani : considerazioni geodinamiche e paleografiche sul margine tirrenico dell’Appennino centrale », ib., 17, 1978, p. 233-287. Ces recherches ont abouti à la Carta archeologica del complesso vulcanico dei Colli Albani, publiée par D. De Rita, R. Funiciello, M. Parotto, Rome, 1988. Voir maintenant R. Trigila éd., The Volcano of Alban Hills, Rome, 1995.
4 Voir la très utile synthèse de A. P. Anzidei et alii, Roma e il Lazio..., p. 17 et p. 19, avec une précision à -706 000 pour les sites considérés. A noter cependant que G. Kieffer (o.c. supra n. 3) semble faire état (p. 729) d’une chronologie volcanique plus resserrée.
5 Vestiges recouverts à leur tour par des émissions volcaniques datant de 400 000 ans : cf. Roma e il Lazio..., p. 20. C’est la première apparition de pierres bifaces (Acheuléen) en Latium.
6 Cf. o.c. supra n. 2, p. 31 ; au-dessus de ce niveau de tuf, se déposera ensuite un limon, entamé par le cours d’un ancien bras de l’Anio le long duquel ont été retrouvés à partir de 1981 des restes de faune et d’activité humaine datables du Pleistocène (-200 000 ans).
7 Cf. Il Tevere e le altre vie d’acqua... (cité supra n. 7, chap. I), p. 11 ; l’étude la plus complète sur la paléohydrographie de la région dans sa liaison avec le volcanisme est de D. De Rita, R. Funiciello et C. Rosa, « Volcanic activity a. drainage network evolution of the Alban Hills area », in Acta Vulcanologica, Marinelli Volume, t. 2, 1992, p. 185-198.
8 Sur l’utilisation de ce procédé en géologie et paléontologie, cf. G. Gohau, Histoire de la géologie, Paris, 1987, p. 184.
9 Cf. G. Kieffer (o.c. supra n. 3) : « Une datation au carbone 14, effectuée sur un morceau de bois prélevé dans les formations pyroclastiques du cratère d’Albano, considéré comme un des volcans de l’ultime phase d’activité, a donné le chiffre de 29 500 ans ». Une autre datation a donné le chiffre de 29 858 ± 315 années : l’objet peut être vu au musée d’Albano (cf. P. Chiarucci et T. Gizzi, Guida al Museo Civico Albano, Albano Laziale, 1996, p. 58). Une datation récente par thermoluminescence a donné le chiffre de 19 000 ; cf. supra n. 7, et infra p. 54 pour les dates encore plus récentes du lahar albain.
10 Sur tout ceci, cf. l’ouvrage Roma e il Lazio..., p. 31 et p. 40.
11 On pourra se référer à l’ouvrage de synthèse publié par Y. Coppens et P. Picq, Aux origines de l’humanité. Le propre de l’homme, Paris, 2001.
12 Le bilan en est fourni par l’ouvrage collectif, publié sous la direction d’A. M. Bietti Sestieri, Preistoria e Protostoria... : cf. p. 47 et s. (p. 50).
13 Cf. par ex. Bonstetten, Voyage..., p. 366-367 : « Quel magnifique tableau pour la pensée que cette vaste étendue de roches fondues, bouillonnant sous les eaux de la mer, et élevant peu à peu hors de la surface liquide le théâtre des plus grands événements de l’histoire du monde ! » ou encore Marie Graham, Séjour..., p. 93 : « L’aspect de la campagne de Rome ou du mont Albano, lorsque ces dix volcans, entourés par la mer, étaient en action, doit avoir été un spectacle encore plus magnifique que celui des îles Éoliennes, vues de l’Etna ». Souvent, les auteurs se sont plu à mettre en contraste l’origine volcanique des monts Albains et la douceur du paysage qui s’offrait à leurs yeux ; voir, par ex., la même M. Graham : « Quelque spectacle effrayant qu’aient présenté les montagnes d’Albe, lors-qu’elles étaient revêtues de laves et de scories, et qu’elles vomissaient des flammes et de la fumée, rien ne peut égaler leur beauté actuelle, couvertes, comme elles le sont, de bois, et ornées par les villes blanches et les villas qui s’élèvent sur leurs sommets rocailleux » (o.c., p. 94) ; voir encore C. Didier, auteur d’une intéressante Campagne de Rome, Paris, 1842, parlant des monts Albains vus de nuit : « Les ténèbres règnent sur ces crêtes qu’illuminaient les volcans ; mollement bercés sur la mousse et les fleurs, les lacs dorment au sein de ces cratères béants, d’où jaillissaient en d’autres âges des rochers en flammes ; et là où jadis bouillonnaient des torrents de lave ardente, de sombres forêts ondoient aux vents parfumés des nuits ». Cette opposition, devenue un véritable lieu commun, se retrouve résumée d’une formule par Ampère : « De ce qui a été un effroi, la nature et le temps ont fait un charme » (o.c., p. 10).
14 Pour tout ceci, voir Roma e il Lazio..., p. 44 et p. 49.
15 Puisque la première identification de l’origine volcanique des Colli Albani serait due au médecin romain Giovanni Girolamo Lapi, auteur d’un Mémoire intitulé Dei due vulcani, oggi laghi Albano e Nemorese publié à Rome en 1758 (Academia Quirina, 2e éd. 1780). À noter cependant que cette priorité lui est refusée par Giovanni Antonio Riccy, dans ses Memorie Storiche dell’Antichissima città di Alba Longa e dell’Albano moderno, Rome, 1787, p. 5, au profit de « Monsieur La Condamine » ; mais il est vrai que Riccy était lui-même d’origine française...
Pour la bibliographie postérieure, cf. supra n. 3. Les anciennes descriptions (E. Reclus, o.c. supra p. 21, t. 1, 1876, p. 440 ; T. Fischer, Penisola..., 1902, p. 275), bien qu’utiles, sont périmées en ce qu’elles considèrent le massif latial comme un seul et même volcan.
16 Pour la définition du phénomène des caldeiras, cf. l’ouvrage classique d’E. de Martonne, Traité de Géographie physique, 2, Paris, 1926 : « Quand la pression de gaz est devenue trop forte, le bouchon de laves saute, et l’explosion peut pulvériser une grande partie de la montagne. Tantôt elle enlève seulement la pointe du cône, tantôt elle l’ouvre de haut en bas, ne laissant subsister qu’une moitié de la couronne du cratère, qui peut avoir jusqu’à 10 km de diamètre » (p. 734). « Presque toujours, on voit après l’explosion s’édifier un ou plusieurs petits cônes au centre de la caldeira » (p. 735).
17 G. Kieffer, o.c. supra n. 3, p. 731.
18 A titre d’exemple, on pourra faire la comparaison avec la géomorphologie du site de Delphes, telle que l’a analysée P. Y. Péchoux : « L’histoire du Parnasse comme montagne commence au plus tard voilà 100 ou 120 millions d’années », « le dispositif structural étant acquis [...] à l’orée de l’ère quaternaire » (entre 1,8 et un million d’années) ; cf. « Aux origines des paysages de Delphes », in Delphes. Centenaire de la « grande fouille » réalisée par l’Ecole française d’Athènes (1892-1903), Actes du colloque P. Perdrizet, Strasbourg, nov. 1991, éd. par J. F. Bommelaer, 1992, p. 13-38 (ici p. 14 et p. 21).
19 L’expression est de R. de La Blanchère dans son Mémoire de 1893 (cf. infra p. 100), p. 103 et s.) et a été reprise par M. Migliorini dans son Lazio, publié dans la Collana di Bibliografie Geografiche delle Regioni Italiane, Naples, 1959.
20 Surpassant donc les dimensions du Vésuve dont le sommet, pourtant bien plus élevé, prend appui sur une base moins large : cf. T. Fischer, o.c., p. 275.
21 Liv., 1, 60, 2 : Sex. Tarquinius Gabios, tanquam in suum regnum, profectus... ; comme on sait, l’historien précise un peu plus loin (ib., 2, 15, 6) que le roi avait un gendre, Mamilius Octavius, originaire de Tusculum, sur le territoire de laquelle aura lieu la bataille décisive du lac Régille (ib., 19,3 : ad lacum Regillum, in agro tusculano). A lui seul, c’est-à-dire indépendamment de Tite-Live, le nom de Tusculum suggère un peuplement étrusque. Pour un exemple de l’importance stratégique de cette ville, cf. l’épisode de la guerre latine en -377 (Liv., 6, 33). Sur le site de Tusculum, cf. infra p. 206.
22 Liv., 7, 11, 3 pour l’an 360-359 av. J.-C. : Foedae populationes in Labicano Tusculanoque et Albano agro... ; ib., 24, 8 pour l’an 350-349 : les Gaulois, mis en fuite par les Romains, quod editissimum inter aequales tumulos occurrebat oculis, arcem Albanam petunt (sur le sens de l’expression arc. Alb., cf. infra p. 462) ; ib., 25, 3.
23 Liv., 26, 9, 9. Pour la localisation exacte de l’emplacement ainsi désigné, cf. infra p. 466.
24 Sur cet épisode, daté de 87 av. J.-C., cf. Appien, BC, 1, 69, 313 et Diod., 38, 2.
25 Cf. Lib. col., 231 et CIL, 14, p. 230.
26 Ces mots sont ceux de M. Durry dans son étude sur Les Cohortes prétoriennes, Paris, 1938, p. 385 ; cf. ib., p. 34-35. A noter que la contradiction entre les indications sur la situation du casernement des Albani, situé p. 35 « à une douzaine de km [de Rome] sur le rebord du lac d’Albano » et p. 385 « à 20 km de Rome, à Albano », doit être résolue au profit de la seconde. Albano est à vingt-cinq km de l’Vrbs. Pour l’étude des vestiges du camp, voir E. Tortorici, Castra Albana, Rome, 1975, et G. Ghini, « Castra Albana : recenti scoperte in via del Castro Pretorio », in Arch. Laz., 6, 1984, p. 274-281. Pour l’étude des sépultures des prétoriens retrouvées à Albano, cf. P. Chiarucci, « Le necropoli della II Legione Partica in Albano », in Gli Imperatori Severi : storia, archeologia, religione, E. dal Covolo et G. Rinaldi éd., Rome, 1999, p. 69-116.
27 Voir l’ouvrage publié sous la direction d’E. Guidoboni, I terremoti prima del Mille in Italia e nell’area mediterranea, Bologne, 1989, qui parle (p. 585) des Colli Albani comme d’une « area caratterizzata da periodi sismici di non elevata intensità, ma sensibili a Roma ». Pour les périodes postérieures à l’an mille, on se référera, plutôt qu’aux travaux anciens de M. Baratta (I terremoti d’Italia, 1901 ; I terr. in It., Rome, 1936), au catalogue raisonné établi sous la direction de D. Postpischl, Catalogo dei terremoti italiani dall’anno 1000 al 1980, Rome, 1985. A noter que le tremblement de terre de 1806 est absent de la liste établie par D. Molin et E. Guidoboni (o.c. supra, cette note, p. 194-210, partic. p. 208) : il faut recourir à G. Tomassetti, C.R., 4, p. 491 et p. 498. Pour celui de 1892, cf. M. Baratta, in Bull. Soc. Geol. Ital., 11, « Il terremoto laziale del 22 gennaio 1892 » ; pour 1897, cf. G. Agamemnone, in Bull. Soc. Sismologica Ital., 3, Modène, 1897, p. 133-147 ; pour 1899, cf. E. Guidoboni, o.c., p. 210 et p. 212. L’exemple de la périodicité rapprochée de ces épisodes, qui sont bien avérés, incite à authentifier ou, du moins, à ne pas rejeter systématiquement les cas où des notices d’origine annalistique concernant des tremblements de terre se répètent d’une année sur l’autre, ou à des intervalles resserrés, exemple de ces répétitions souvent interprétées comme des doublets artificiels.
28 Voir, en ce sens, la contribution d’A. Palumbo in E. Guidoboni, o.c. « L’oscillazione nelle lance di Marte : metafora o rudimentale rilevatore di scosse ? » (p. 122 et s.). Les sources principales mentionnant les mouvements des lances sacrées sont les suivantes : Liv., 40, 19 ; Gell., 4, 6, 1 (pour un épisode de 99 av. J.-C.) ; Iul. Obs., 60, 96, 104, 107 et 110 ; cf. pour une tradition analogue concernant Faléries : Liv., 22, 1, 11 ; et Préneste : id., 24, 10, 10. On ne doit pas penser cependant, comme le voulait R. Lanciani, que les lances étaient volontairement disposées pour constituer un dispositif de prévention sismique ! Il s’agit, bien évidemment, d’un fait rituel, susceptible a posteriori d’une lecture géodésique.
29 Il est en effet faux de dire, comme le fait A. Palumbo (o.c. supra, n. 105), que « per quanto riguarda gli ancilia tale interpretazione non è in alcun modo documentabile e pertanto va considerata un ipotesi di fantasia » (p. 123), ne serait-ce que sur la base d’une notation du traité de Julius Obsequens, la plupart du temps ignorée : ancilia cum crepitu sua sponte mota (Prodig., 44 [104], texte non cité, par ex., in R.E., 1, 1894, s.v. Ancile, col. 21122113, Habel). Rapprochée d’autres textes qui semblent bien reposer sur l’existence de boucliers sacrés dans la Regia (D.H., 2, 71, 2 ; Ovide, Fast., 3, 373 et Serv., ad Aen., 8, 3), cette indication invalide l’opinion qui voudrait que dans la Regia, « Mars n’y avait ni statue, ni boucliers » (J. A. Hild, in Daremberg-Saglio, Dict. des Ant. gr. et rom., 4, t. 2, 1909, p. 1017). Une anecdote concernant César va dans le même sens : si les armes de Mars – ὅπλ ‘Άρεια, dit Dion Cassius qui rapporte l’épisode dans des lignes (44, 17) que ne cite pas l’ouvrage de Guidoboni (p. 591) – ont pu faire du bruit au point de réveiller le dictateur et Grand Pontife, n’est-ce point parce qu’il s’agissait aussi de boucliers peut-être heurtés par les lances ? Quant à la vision de César qui voit au même moment les portes de sa chambre s’ouvrir d’elles-mêmes (cf. aussi Suét., Caes., 1, 17), elle traduit un phénomène fréquemment observé dans les secousses sismiques. On peut penser, cela dit, que les boucliers de la Regia aient été d’un type plus « moderne » que ceux qui étaient conservés au Palatin, comme le suggère d’ailleurs G. Colonna in Arch. Class., 44, 1991, p. 55-122, sur la base de l’étude d’un bas-relief provenant, précisément, de la Regia (ib., p. 92, fig. 30). À noter que ce texte de Dion Cassius semble impliquer une contiguïté entre la Regia et la résidence du Grand Pontife.
30 Cf. A. Grandazzi, in REL, 70, 1993, p. 31-33.
31 Cf. E. Guidoboni, o.c., p. 210.
32 Cf. B. Chiarabba, A. Amato et P. T. Delaney, « Crustal structure, evolution, and volcanic unrest of the Alban Hills », in Bull. Volcanol., 59, 1997, p. 161-170 (avec bibl.). Plutôt que d’un volcan éteint, il est donc plus exact de parler d’un volcan dormant...
33 Cf. in I terremoti prima del Mille..., l’étude de D. Molin et E. Guidoboni, « effetto fonti effetto monumenti a Roma : i terremoti dall’antichità a oggi », p. 194-223 : lactivité « habituelle » du massif albain n’a pas d’incidence à Rome ; seules des secousses – assez rares – dont l’épicentre est à 15 km de profondeur environ, sont susceptibles de causer des destructions, légères, à Rome, comme ce fut le cas le 19/07/1899 (o.c., p. 215-216).
34 Il est ainsi en tête du catalogue qui figure dans l’ouvrage d’E. Guidoboni cité plus haut (p. 574-717).
35 Introduisant la liste variée des prodiges qui marquèrent cette année-là, l’historien grec précise en effet : Kαὶ τα θεῖα δείματα προσγενόμενα, ὧν ἔνια οὔτ’ ἐν δημοσίαις εὐρίσκετο γρφαῖς οὔτε κατ’ ἄλλην φυλαττόμενα μνήμην οὐδεμίαν (A.R., 10, 2, 2). Quant au tremblement de terre, il est décrit ainsi : γῆς τε μυκήματα καὶ τρόμοι συνεχεῖς ἐγίνοντο (ib., 10, 2, 3).
36 Cf. E. Guidoboni, o.c., arguant que « la data, comunque, escluderebbe una localizzazione in area italica o anche latina, poiché in quel periodo il territorio che riguardava la tradizione degli auguri era limitato a Roma e al suo entroterra immediato ». En réalité, la célèbre classification augurale rapportée par Varron (LL, 5, 33) ne permet pas une interprétation si restrictive, soit qu’on donne, avec Mommsen, à Gabinus, un sens générique, ce qui semble peu vraisemblable, soit qu’on fasse rentrer l’ager des différentes cités latines dans la catégorie « peregrinus » : sur tout cela, cf. P. Catalano, in ANRW, 1978, 2, 16, 1, « Aspetti spaziali del sistema giuridico-religioso romano », p. 492 et s., partic. p. 508-509. De toute façon, même pris dans un sens restreint, l’ager Gabinus incluait partie des pentes nord-est du massif albain.
37 Cf. A. Lippold (éd.), Paolo Orosio. Le storie contro i pagani, Milan, 1976, p. XXXVI et p. 406. A propos de cette datation, M. P. Arnaud-Lindet, dans son éd. des Hist., préfère parler de « pure fantaisie » d’Orose (Paris, 1990, p. 111, n. 4).
38 Cf. par ex. Liv., 32, 2, 13 et Gell., NA, 2, 28 pour le rôle du collège pontifical dans ces cas. Reste évidemment le problème posé par la date de ces tremblements de terre, antérieurs à l’invasion gauloise : si on ne veut pas dire, comme on a tendance à le faire aujourd’hui (à juste titre, je crois), que de telles notices prouvent, précisément, que tous les documents de la Ville n’avaient pas disparu dans ces circonstances, argument qui, d’un point de vue étroitement logique, n’est, il est vrai, pas recevable, on pensera que, dans les lieux extérieurs à Rome où des secousses s’étaient produites, entraînant des destructions, les monuments restaurés devaient s’orner d’inscriptions qui, après le départ des Gaulois, auront été d’un précieux secours.
39 Liv., 34, 55, 1 à 5 ; cf. catalogue in E. Guidoboni, o.c., p. 584-585.
40 Liv., 35, 40, 7; cf. cat. E. Guidoboni, o.c., p. 585.
41 Prod., 35 (95) : terra cum mugitu tremuit ; cat. E. Guidoboni, o.c., p. 586 : « si può ipotizzare una localizzazione a Roma ». En fait, une localisation albaine est tout aussi plausible.
42 Cf. Appien, Bell. civ., 1, 83; cat. E. Guidoboni, o.c., p. 590. Le tremblement de terre de 72 ou 70 av. J.-C. semble plus centré sur Rome (Phleg. in F. Gr. Hist., 257 F 12 [Phot., Bib., 2, 97], cf. E. Guidoboni, p. 590). Autres exemples de tremblements de terre constatés à Rome, pour lesquels une incidence ou même une origine albaine est possible sans être toutefois démontrable (après la date, est indiquée la référence au catalogue qui figure in E. Guidoboni, o.c.) : en 49 et en 47 av. J.-C. (p. 592) ; en 5 et en 15 ap. J.-C. (p. 593) ; en 51 (p. 594) ; en 223 et 262 (p. 604-605) ; en 408 (p. 608) ; 618 (p. 610) ; 847 (p. 613).
43 Absent du catalogue dressé par E. Guidoboni, alors qu’un événement strictement équivalent constaté en -133 à Luni se trouve rapporté p. 586.
44 Événement également non répertorié dans E. Guidoboni, o.c.
45 Sur tout ceci, cf. P. Grimal, Cicéron, Paris, 1986, p. 220-222.
46 De Haruspicum responsis, 28, 62 (trad. P. Wuilleumier, Paris, 1966, p. 76) : Cogitate genus sonitus eius quem Latinienses nuntiarunt, recordamini illud etiam quod nondum est relatum, quod eodem fere tempore factus in agro Piceno Potentiae nuntiatur terrae motus horribilis cum quibusdam multis metuendisque rebus ; ib., 63 : Agri et terrae motu quodam nouo contremescunt et inusitato aliquid sono incredibilique praedicunt.
47 Ib., 10, 20 : [...] ad haruspicum uocem admouete : Quod in agro Latiniensi auditus est strepitus cum fremitu. Sur la dénomination in agro Latiniensi, rapprochée de Cass. Dio, 39, 20, voir infra n. 50, et F. Coarelli in LTUR, Suburbium, Rome, 3, 2005, n. 459.
48 Ib. : Exauditus in agro propinquo et suburbano est strepitus quidam reconditus et horribilis fremitus armorum.
49 Cass. Dio, 39, 20 : ἔν τε γὰρ τῷ Ἀλβανῷ νεὼς ῞Hρας βρα
9
ὺς ἐπὶ τραπέζης τινὸς πρὸς ἀνατολῶν ἱδρυμένος πρὸς τὴν ἄρκτον μετεστράφη. La suite du passage montre clairement qu’il s’agit d’un séisme : καὶ λαμπὰς ἀπὸ τῆς μεσημβρίας ὁρμηθεῖσα πρὸς βορέαν διῇ20
ε, λύκος τε ἐς τὴν πόλιν ἐσῆλθε, καὶ σεισμὸς ἐγένετο, τῶν τε πολιτῶν τινες κεραυνοῖς ἐφθάρησαν, καὶ θόρυβος ἐν τῷ Λατίνῳ ὑπò γῆς ἐ20
ηκούσθη ; seule la dernière précision correspond littéralement à l’information transmise par Cicéron, qui n’a pas donné les autres détails ; mais son silence sur la mésaventure du temple albain de Junon, non mentionnée par les haruspices comme dédicataire des procurations décidées à cette occasion, peut s’expliquer par sa volonté d’établir avant tout un lien direct entre la réponse du collège et la personne de Clodius en concentrant son attaque sur les cérémonies en l’honneur de la Magna Mater et notamment les jeux Mégalésiens célébrés durant l’édilité de son adversaire. Quant à son silence sur les effets possibles du séisme à Rome même, il n’en prouve pas l’inexistence, l’exemple du tremblement de terre de 1899 montrant que pour un phénomène d’ampleur comparable (cf. la suite de notre démonstration, dans le texte), les dégâts se limitèrent à Rome à la chute de quelques pierres.50 O.c., p. 592. Si l’on considère que la dualité des lieux nommés par Cicéron et Dion Cassius à propos d’une même secousse pose un problème, on pourrait en réduire la portée, soit en considérant que l’ager Latiniensis de Cic. n’est qu’un synonyme, selon un usage attesté par Pline l’Ancien, d’ager Latinus, soit qu’il est à situer plus près des monts Albains (voir A. Carandini, La Nascita di Roma. Dei, Lari, eroi e uomini all’alba di una civiltà, Turin, 1997, p. 242-243 pour ces hypothèses) ; mais cela ne nous paraît pas nécessaire.
51 Ce tremblement de terre semble, sauf erreur de notre part, avoir été omis par Tomassetti, C.R., 4, 1926 : ni les notices sur Frascati, ni celles sur Monte Porzio Catone n’en font mention (cf. p. 417 et p. 459-468). Pour une photographie de l’église de Monte Porzio après la catastrophe, cf. E. Guidoboni, o.c., p. 211, fig. 71.
52 D. Molin et E. Guidoboni, in o.c.
53 D. Molin et E. Guidoboni, in o.c., p. 196, à propos de sa conférence « I terremoti nella città di Roma. Dissertazione letta al Club alpino di Roma l’8 marzo 1896 », publiée dans le Bullettino del Vulcanismo Italiano (18-20, 1897, p. 9-21), autrement dit dans le même organe, on le remarquera, où avaient déjà paru plusieurs de ses contributions « albaines ».
54 Cic., Har. resp., 28, 62 et 63 : « En effet, c’est la voix des dieux immortels, c’est presque leur discours qu’il faut reconnaître, quand le monde lui-même, quand les campagnes et les terres sont ébranlées d’un mouvement extraordinaire et annoncent quelque événement par un bruit insolite et incroyable » (Trad. P. Wuilleumier, 1966, p. 76-77).
55 Ib., 5, 10 : Gaudeo mihi de toto hoc ostento, quod haud scio an gravissimum multis his annis huic ordini nuntiatum sit... ; Reperietis enim ex hoc toto prodigio atque responso nos [...] prope iam uoce Iouis Optimi Maximi praemoneri.
56 Cf. P. Wuilleumier, éd. cit., introduction, p. 22.
57 Sur ce type de prodiges, cf. infra p. 160 et s.
58 Liv., 1, 31, 3 : ...uoce caelesti ex Albano monte missa.
59 Après un phénomène comme un tremblement de terre, il appartient au Sénat de consulter les haruspices afin de décider des cérémonies expiatoires à accomplir et des divinités dédicataires de ces solennités : cf. Wissowa, Religion u. Kultus der Römer, Munich, 19122 (désormais abrégé RKR2), p. 543 et s. ; K. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 159.
60 Cf. G. Traina, « Terremoti e società romana. Problemi di mentalità e uso delle informazioni », in ANSP, 15, 1985, p. 867-887 (p. 873).
61 Cf. infra p. 275 et s.
62 On ajoutera donc ce texte aux occurrences analysées par D. Briquel : « Les voix oraculaires », in Les Bois Sacrés, colloque (1989), Centre Jean Bérard de Naples, 1993, p. 77-92.
63 À propos de la réponse des haruspices, prescrivant réparation, « Ioui, Saturno, Neptuno, Telluri, dis caelestibus », selon un ordre qui place Jupiter au premier rang, John O. Lenaghan a cru pouvoir écrire (A Commentary on Cicero’s Oration De Haruspicum Responso, La Hague/Paris, 1969, p. 111) : « There may be no particular significance in this list of gods ». Nous ne partageons pas cette opinion : la présence de Tellus va de soi à propos d’un tremblement de terre, et celle de Neptune se comprend peut-être mieux si l’on pense à son équivalent grec, ce « Poséidon ébranleur du sol », qualificatif que R. Bloch avait proposé de mettre en relation avec les phénomènes sismiques où s’associent souvent tremblement de terre et raz-de-marée (« Quelques remarques sur Poséidon, Neptune et Nethuns », p. 125 et s. du recueil collectif qu’il a publié sous le titre D’Héraklès à Poséidon. Mythologie et Protohistoire, Genève-Paris, 1985). Reste Saturne, le seul à poser quelques problèmes, qui n’en sont peut-être pas s’il est vrai que cette divinité est marquée par un caractère chtonien : cf. Wissowa, RKR2, p. 204-208 (voir l’éd. du Har. resp. par P. Wuilleumier, p. 15, n. 2, pour une explication différente). Quant à l’antécédence de Jupiter, Lenaghan (o.c., p. 78-79) l’explique par la ressemblance avec la réponse donnée par ces mêmes haruspices en -65 et le désir de Cicéron de souligner l’analogie avec les circonstances de la conjuration de Catilina : mais l’argument ne vaut pas, puisque cette antécédence est un fait non pas rhétorique, dû à Cicéron, mais rituel et « objectif ». Signalons ici un fait qui, bien que tardif, pourrait confirmer la « compétence sismique » de Jupiter : la consécration d’un autel à Torre del Greco en Campanie, datant des iie-iiie s. ap. J.-C. et portant témoignage de la dédicace d’un lucus à Jupiter, après 79 : cf. M. Pagano, « Un lucus di Giove alle radici del Vesuvio », in Bois Sacrés, p. 53-55.
64 Har. resp., 5, 10.
65 Cf. par ex. G. Wissowa, RKR2, p. 113-129; K. Latte, Röm. Rel., p. 79-83.
66 La Religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 180-207.
67 C’est par ex. le cas de celui de 56 : cf. Cass. Dio, 39, 20.
68 A. Momigliano, in Athenaeum, 36, 1958, p. 348-359 et in JRS, 48, 1958, p. 56-73, maintenant in Roma arcaica, Florence, 1989, p. 409 et s. ; J.-C. Richard, Pseudo-Aurélius Victor. Les origines du peuple romain, éd. et commentaire, Paris, 1983 (désormais abrégé OGR). Bref état de la question et bibliographie in Restauration u. Erneuerung. Die lateinische Literatur von 284 bis 374 N. Chr., sous la direction de R. Herzog, Munich, 1989, p. 184-187.
69 « Aufidius il est vrai dans son Abrégé ainsi que Domitius dans son livre premier rapportent qu’il ne fut pas frappé par la foudre, mais qu’un tremblement de terre entraîna son palais et sa personne dans le lac d’Albe ». OGR, trad. J.-C. Richard, 18, 4, p. 97.
70 Il s’agit de : Liv., 1, 3, 9 ; D. H., A.R., 1, 71, 3 ; Ov., Met., 14, 617-618, et Fast., 4, 50 ; des textes inspirés de Diodore 7, fig. 3a et 4, à savoir Eusèbe, Chron., 1, 274 et 287-289 Sch. ; Hier., Chron., p. 79H ; Oros., Hist., 1, 20, 5 ; Paul Diacre, Hist. Rom., 1, 1a, p. 9 Criv. ; Zonaras, Chron., 7, 1. Cf. aussi infra p. 806 ets.
71 Pour l’identification d’Aufidius avec le Cn. Auf. préteur en 107, cf. J.-C. Richard, OGR, p. 169, et pour celle de Domitius avec le Domitius Calvinus cité par Pline l’Ancien dans les Indices de ses livres 12 et 18, ib., p. 147.
72 Il s’agit de John et Robert Mallet dans leur catalogue publié en 1858 : réf. in E. Guidoboni, o.c., p. 120 (G. Traina).
73 Voir, pour l’instant, A. Arnoldus-Huyzendveld, « Il paesaggio e l’ambiente della Campagna Romana nella preistoria recente », in Atti XL Riunione sc. I.P.P., Florence 2007, 2, p. 569-573.
74 Cf. infra p. 316.
75 Mythe et Épopée, 3, Paris, 1973, p. 67-69.
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