Chapitre I. Le bain en méditerranée avant l’hypocauste
p. 45-74
Texte intégral
1Il est bien évident que les hommes n’ont pas attendu la création d’édifices thermaux pour se nettoyer ou se baigner. On peut admettre que, depuis toujours, ils se lavent avec plus ou moins d’efficacité et d’envie. Cependant, nous ne prendrons pas en considération les pratiques de propreté et de plaisir du bain telles qu’elles ont pu être élaborées en Égypte pharaonique ou au Proche-Orient. Nous ne nous attarderons guère plus sur ce que les textes ou l’archéologie peuvent nous apprendre des pratiques balnéaires en Crète ou en Grèce même, au iie millénaire av. n.è. ou au début du ier. La salle de bain du palais de Pylos1, la scène du meurtre d’Agamemnon ou les bains d’Ulysse au pays des Phéaciens, tant en plein air qu’à l’intérieur du palais2, attestent de multiples formes de contact avec l’eau dans des buts d’hygiène et de bien-être. Toutefois, ces exemples ne concernent pas directement notre propos. En effet, il se produit une importante rupture entre ces vieilles civilisations et le monde de la cité classique où s’élabore un nouvel art du bain qui conditionne directement « l’explosion thermale » caractérisant la civilisation d’époque romaine. La mutation est particulièrement sensible en ce qui concerne le cadre architectural : certes, les instruments du bain sont, dans une certaine mesure, les héritiers d’une longue expérience, mais le contexte de leur utilisation change profondément.
2Si nous partons de la situation telle qu’elle se présente à l’époque classique et hellénistique, en éliminant les façons sommaires de se baigner et de se laver, nous pouvons ainsi repérer trois lieux essentiels qui sont dotés d’installations destinées à l’hygiène : les édifices balnéaires publics, les installations privées, les gymnases.
3Dans la conduite de l’analyse de ces monuments, l’identification des instruments servant au bain est essentielle. Il existe parfois un certain flottement dans le vocabulaire utilisé dans les publications. Mieux vaut donc préciser brièvement les termes utilisés ici, en les mettant en relation avec les pratiques balnéaires qu’ils impliquent3.
4Nous appelons vasque, ou cuvette, tous les récipients mobiles ou fixes (le terme labrum désigne commodément une vasque circulaire sur pied) dont le but est soit de servir de pédiluve, soit, le plus souvent, de permettre un nettoyage partiel ou complet du corps, le baigneur y puisant de l’eau sous forme d’aspersion. Aspersion, affusion, douche, tous ces procédés sont semblables, ou quasiment.
5La salle de bain peut contenir des instruments plus complexes. Nous réservons le terme de baignoire à un récipient assez long et assez profond pour permettre une immersion de tout le corps en position couchée. De tels appareils sont attestés depuis une époque très reculée4. Selon leurs dimensions, ils peuvent être l’objet d’une utilisation soit individuelle, soit collective.
6Au moins dès le viie siècle av. n.è., une innovation importante consiste en l’apparition d’installations caractérisées par une réduction notable de leurs dimensions : le baigneur ne peut plus s’y tenir qu’assis, toute la partie supérieure de son corps se trouvant hors de l’eau.
7Ce nouvel engin évolue rapidement. Modelé en terre cuite, creusé dans la pierre ou construit en maçonnerie, il recoit alors une forme très caractéristique (pl. III-2). Sa longueur diminue encore, si bien que l’utilisateur doit s’y installer non seulement assis, mais aussi les jambes pliées. Parallèlement, sa profondeur se restreint : fréquemment, les bords dessinent des accoudoirs à la partie postérieure, mais s’abaissent nettement à la partie antérieure. Un tel dispositif ne permet qu’à une fraction très restreinte du corps d’être plongée dans l’eau : le nettoyage s’effectue par affusion, le liquide étant versé sur le baigneur sous forme de douche dont l’action peut être complétée par des aspersions plus ponctuelles à partir de vasques fixes ou mobiles, du type bassine.
8En règle générale, le fond de cet instrument est en pente légère vers l’avant où il présente une dépression en forme de coupelle, destinée à recueillir les dernières gouttes de l’eau du bain et permettre une vidange complète lorsque celle-ci n’est pas facilitée par une évacuation directe.
9On a donné à ce type d’engin, évidemment destiné à ne recevoir qu’une seule personne à la fois, le nom de cuve plate5. Il est souvent muni d’un siège bas qui accroît encore la partie du corps qui reste hors de l’eau (pl. III-3). Bien que le terme soit souvent utilisé dans les publications, cela n’en fait pas des baignoires sabots. Dans une véritable baignoire sabot, le baigneur, malgré sa position assise, est presque complètement immergé grâce à la couverture de toute la partie antérieure du récipient dans laquelle il glisse ses jambes : l’eau peut ainsi monter jusqu’à un niveau important et couvrir l’essentiel du corps alors que, dans la cuve plate, elle déborde aussitôt. De tels instruments existent dès l’Antiquité et doivent être clairement distingués tant des baignoires classiques que des cuves plates6.
10Dans les salles d’eau où il ne reste aucun vestige de ces types d’installations, on peut penser que les opérations du bain s’effectuaient uniquement grâce à des vasques. L’étanchéité procurée au local par le revêtement de son sol et de ses murs, combinée avec un système d’évacuation des eaux, permettait au baigneur de se livrer à ses ablutions sans qu’un récipient en recueille les eaux. Cependant, il faut aussi envisager l’hypothèse selon laquelle ces salles d’eau auraient été équipées de baignoires ou cuves mobiles qui n’ont pas laissé de trace.
11Cette typologie sommaire des instruments utilisés par le baigneur ne relève pas du simple souci du détail. Elle révèle en fait une évolution profonde de la pratique balnéaire. L’affirmation de la cuve plate, à la place de ou préalablement à la baignoire, correspond en effet à une nouvelle conception du bain de propreté, désormais soigneusement distingué du bain de délassement par immersion. On ne se lave plus dans une eau stagnante : le corps est tenu à l’écart d’un liquide souillé et, dorénavant, on ne s’immerge qu’après s’être nettoyé. Il s’agit là d’une mutation importante pour l’évolution future des édifices balnéaires. Les textes enregistrent et justifient un tel changement de pratique7.
I – LES BAINS PUBLICS
12L’épithète ne concerne pas le mode de propriété, qui peut varier. Si ces bâtiments paraissent avoir été, à l’origine, essentiellement sinon exclusivement détenus par des particuliers, dont le nom sert fréquemment à désigner l’établissement, des bains possédés par des communautés sont attestés au moins dès l’époque hellénistique8. L’adjectif signale simplement l’ouverture de ces édifices à une large clientèle9. C’est en ce sens que l’expression est utilisée par les chercheurs, et elle correspond ainsi à la traduction du mot balanéion, terme bien attesté au moins dès le ve siècle av. n.è.10 et qui, sauf rare exception, désigne toujours un établissement public11.
A) Installations de l’époque classique
13Nous ne connaissons rien des premières constructions qui, d’après les sources écrites, dateraient au moins du vie siècle av. n.è.12. À partir du ve siècle, les témoignages littéraires se font plus nombreux et recoupent désormais les premiers vestiges retrouvés13.
14Étant donné les incertitudes qui pèsent sur la restitution des édifices de cette époque, il peut suffire à notre propos de dégager quelques traits caractéristiques de ces premières installations.
15Un premier point concerne la technique du bain, décelable à travers la forme du récipient recevant le baigneur. Les rares édifices du ve siècle que nous connaissons, montrent que la nouvelle manière de se nettoyer, à l’aide de cuves plates, était déjà bien ancrée dans les mœurs. Le premier bain d’Olympie, dit état II, attribué par les inventeurs au milieu du ve siècle, est organisé en fonction d’une pièce comportant sur deux de ses côtés une file de cuves qui, avec leur siège et leur petite cuvette antérieure, appartiennent indubitablement au nouveau type d’instrument balnéaire, même si leur état de conservation ne permet plus de connaître leur profondeur exacte (pl. IV-1). Les deuxièmes bains (état III), qui dateraient des environs de l’an 300 av. n.è., confirment ces choix : la superficie de la salle balnéaire y est accrue et le nombre de cuves augmenté (pl. IV-3).
16Cette remarque vaut pour les autres établissements contemporains, non seulement ceux de la partie orientale de la Méditerranée, mais aussi ceux de sa partie occidentale, souvent encore plus partiellement connus. Les recherches conduites par H. Eschebach sur les thermes de Stabies, à Pompéi, ont permis de restituer quelques aspects du premier édifice balnéaire, qui serait attribuable au ve siècle (pl. V-1). On note la présence d’un bain froid, ou loutron, séparé par un corridor d’une batterie de pièces contenant des cuves plates pour le bain chaud14, dispositif modifié et amplifié au iiie siècle15 (pl. V-2).
17Au-delà des incertitudes qui planent sur les rares vestiges de bains attribuables à l’époque classique, il demeure que l’évolution de l’aménagement des lieux balnéaires paraît parfaitement semblable dans toute la Méditerranée, du moins dans toutes ses parties hellénisées. Les thermes de Stabies attirent cependant notre attention sur un autre point. En effet, d’après les recherches d’H. Eschebach, ils sont, depuis l’origine, liés à une vaste palestre, et I. Nielsen a justement souligné l’intérêt de cette donnée16. Elle ne nous semble cependant pas en mesure de justifier des raisonnements fondés sur de profondes spécificités grecques d’une part, romaines de l’autre. D’abord, le terme de palestre utilisé par H. Eschebach ne doit pas nous abuser excessivement : nous en connaissons si peu de choses qu’il vaudrait bien mieux parler, plus simplement, d’un espace découvert, apparemment enclos et lié à l’édifice balnéaire17. Cette nécessaire prudence étant mise en avant, il n’en reste pas moins que cette association est intéressante. Nous ne pensons cependant pas qu’elle puisse fonder l’idée d’une juxtaposition prémonitoire, en Italie, d’une palestre-gymnase et d’un bain chaud, combinaison originale par rapport à tout ce qui se pratiquait alors dans le monde grec et qui aurait même été inconcevable dans ce milieu.
18En réalité, nous connaissons bien trop peu de choses des établissements de l’époque classique pour élaborer la théorie d’une voie italique originale du développement des bâtiments balnéaires. Le dossier actuellement disponible implique même que l’on privilégie une démarche absolument inverse. Ainsi, l’installation à Olympie d’un balanéion, parmi les plus anciens connus, à proximité immédiate d’un vaste complexe destiné aux athlètes, n’est certainement pas le fait du hasard. Bien plus, l’époque hellénistique peut nous fournir, sur cette question, un éclairage dont il est légitime de penser qu’il compense dans une large mesure notre méconnaissance de l’époque antérieure. Or, y compris dans les régions grecques et même à commencer par elles, il paraît alors bien aléatoire de vouloir dissocier balanéion et activités physiques que l’on réserverait à d’autres institutions. Nous revenons sur cette question ci-dessous, après avoir constitué le dossier des établissements d’époque hellénistique.
B) Installations de l’époque hellénistique
19C’est à partir de cette époque que les bains deviennent parfaitement usuels18 et que, parallèlement, nous disposons pour la première fois d’une documentation architecturale d’une certaine richesse.
20L’examen de quelques cas précis permet de mettre en évidence les caractéristiques de ces établissements.
1) Bains de Gortys
21La conception, l’état de conservation et les recherches dont ont bénéficié les bains de Gortys, en Arcadie, se combinent pour en faire une référence obligée des études concernant le balanéion grec (pl. VI).
22Un édifice à cour centrale est érigé sans doute au ive siècle. Il pourrait déjà s’agir d’un bain, mais cette hypothèse est très fragile même si la construction est, à un moment, dotée d’une installation où il faut probablement reconnaître un bassin (piscine ? Réservoir ?).
23Quoi qu’il en soit, les bains tels que nous les connaissons, et qui se nichent dans le bâtiment antérieur en le remodelant, sont datés, sur des bases archéologiques qui paraissent solides, du milieu du iiie siècle ou de la seconde moitié de ce dernier19, des remaniements intervenant ultérieurement.
24On accède au bâtiment par un vestibule d’entrée, 1, placé en avancée de façon à dessiner un porche hors-œuvre dont la façade est ornée de quatre colonnes engagées, probablement d’ordre ionique, encadrant la porte d’entrée20.
25La salle 2 est munie d’une abside. Elle est partiellement attiédie par un « hypocauste » situé à la partie terminale d’un circuit d’air chauffé. Sans doute faut-il y voir une salle d’attente et un vestiaire dont les capacités paraissent doublées par la présence de la pièce 3 qu’elle commande. De la salle 2, on peut également gagner l’espace 4 qui occupe une position centrale dans le bâtiment. Il se distingue par son plan, que l’on peut lire comme un cercle de 6 m de diamètre flanqué de deux absides et communiquant largement avec une pièce rectangulaire, 6.
26Cet espace 4 est équipé d’un banc situé de part et d’autre de la baie 4/2, d’une fontaine qu’il faut restituer dans l’abside occidentale et d’une petite cuve maçonnée (pédiluve ?) située immédiatement à l’Est de la baie 4/7. Il commande tous les locaux destinés aux opérations du bain. D’Est en Ouest, il s’agit d’abord de la pièce 5, installée sur un « hypocauste » de plan circulaire correspondant, selon toute probabilité, au dessin du volume utilisable par le baigneur : une paroi de briques dessinait une petite rotonde d’environ 1,20 m de diamètre. L’absence de tout dispositif hydraulique ainsi que le mode de chauffage, dont l’efficacité était accentuée par la minceur du sol, permettent d’y reconnaître une étuve sèche.
27On trouve ensuite la salle 6, séparée de 4 par une marche supportant deux piliers. Son sol, en équerre, dessine un rectangle d’environ 2,40 × 1,30 m : il était occupé par trois baignoires individuelles, placées sur le conduit de chaleur de l’unique foyer. Leurs dimensions (1,40 × 0,70 × 0,60 m de profondeur) permettaient aux baigneurs de pratiquer des bains chauds par immersion. La forte pente du sol assurait l’évacuation de l’eau débordant de ces baignoires vers le pavement de la salle 4, sur lequel débouchent aussi les conduits d’évacuation des trois récipients. Cette eau et celle provenant des installations du local 4, étaient évacuées par un conduit passant sous le banc Sud-Est et prolongé, en 2, par un petit caniveau longeant les murs de la partie orientale de cette pièce : elles pouvaient ainsi gagner l’égout qui longe la façade méridionale du bâtiment.
28Enfin, en montant une marche, on accède au local 7 : quoique équipé d’un banc, d’une fontaine et d’un sol de fragments de terre cuite, comme l’ensemble des pièces affectées aux baigneurs (éléments d’ailleurs tous mis en place lors d’un remaniement), sa fonction essentielle paraît avoir été de conduire à la rotonde 8.
29Cette dernière, mesurant 4,50 m de diamètre, abrite neuf cuves de terre cuite disposées à sa périphérie. Le baigneur, assis dans sa cuve individuelle, pouvait ainsi pratiquer un bain de propreté par affusion, grâce à une eau qui était chauffée par le dispositif installé dans la partie Sud-Est de la salle, à proximité du foyer. La pente du sol permettait l’évacuation de celle-ci en partie vers 7, puis, par une canalisation partant de l’angle Sud-Ouest de ce local, vers l’égout méridional, en partie vers 9-10, et, de là, vers l’Est.
30La rotonde 8 est le seul mode d’accès aux pièces 9 et 10 qui semblent n’avoir jamais possédé de dispositif balnéaire. Les autres locaux, groupés à l’Ouest de part et d’autre d’une citerne, étaient destinés au service.
31Ce bâtiment permet de mettre en évidence quelques traits caractéristiques de ce genre d’édifice. Il faut d’abord noter ses dimensions modestes : si R. Ginouvès utilise à plusieurs reprises l’adjectif « vaste » pour décrire une pièce ou l’ensemble de la construction, il faut, au contraire, souligner qu’elle n’occupe qu’à peine plus de 300 m2, s’inscrivant pour l’essentiel dans un carré de 17,70 × 16,50 m.
32Le soin apporté au traitement de l’entrée est remarquable, mais le trait architectural le plus frappant est sans doute la présence d’une salle centrale, la plus grande de toutes, autour de laquelle s’organisent le plan et les circulations.
33Les pièces directement destinées aux baigneurs sont au nombre de dix. La nature des sols aide à lire leur ventilation. Les locaux 1, 2, 9 et 10 sont pavés d’une mosaïque de petits galets blancs et gris ou gris bleu. La pièce 3, quoique pourvue uniquement d’un sol de terre battue et bien que ses murs soient dépourvus d’enduit, se rattache à ce système par la nature du seuil 2/3, lui aussi couvert de cailloux. Il s’agit là de locaux divers, vestiaires, lieux de repos et de réunion, dont la fonction était sans doute polyvalente. En revanche, les salles proprement balnéaires, 4-8, sont pavées de petits fragments de terre cuite constituant des sols mieux adaptés à l’eau.
34Ce secteur balnéaire se compose de trois éléments essentiels : une grande salle centrale, un bain de propreté et un bain de délassement21. Le bain de propreté est, topographiquement, éclaté en deux locaux, l’étuve 5 et la rotonde à cuves 8, situés relativement loin l’un de l’autre. Il s’agit là d’un défaut évident du plan puisqu’il sépare deux pièces aux fonctions complémentaires, l’étuve permettant une transpiration apte à débarrasser la peau de ses impuretés, le nettoiement du corps étant complété par le lavage à grande eau dans les cuves. L’inconvénient n’a cependant pas semblé majeur aux yeux des constructeurs, indice que les deux opérations de nettoyage étaient bien distinctes et pouvaient être séparées par un certain laps de temps. Les contraintes spatiales qu’imposaient tant la réutilisation d’un édifice antérieur que la présence d’un unique foyer, ont donc abouti à une dissociation du bain de propreté.
35Le bain de délassement, procuré par l’immersion du corps dans des baignoires d’eau chaude, ici individuelles, occupe en revanche une position privilégiée, sur le grand axe Nord-Sud du bâtiment et en liaison intime avec la salle centrale.
36Un autre intérêt de l’édifice est de nous faire connaître l’existence d’un procédé de chauffage fixe, déjà bien élaboré. Si, dans certaines pièces, on avait recours à des braseros, ceux-ci ne constituaient qu’un appoint. À Gortys, la source de chaleur est unique. Un foyer, accessible par l’Ouest, est situé sous le sol du local 7. Un embranchement septentrional, passant sous le secteur Sud-Est de la rotonde 8, devait chauffer un réservoir d’eau destinée aux utilisateurs des cuves. Le conduit de chaleur principal, large de 53 cm, se dirige vers l’Est, chauffant au passage les baignoires de la pièce 6 : il débouche sous le local 5 où il se dédouble pour créer une sorte de « couronne chauffante » précédant deux autres dispositifs semblables situés respectivement sous l’abside orientale 4 et celle de 2. Ces deux dernières salles n’étaient donc qu’attiédies par un air de moins en moins chaud et qui ne circulait que sous une partie restreinte de leur pavement. Il y avait peut-être une cheminée en 5 et en 4, une en tout cas en 2. En aucun de ces locaux les données disponibles ne permettent de parler de « mur chauffant »22.
37Il s’agit donc d’un système de chauffage encore sommaire, constitué d’un long canal de chauffe se dédoublant parfois en anneau, mais ne correspondant toujours qu’à une partie de la superficie des pavements sous lesquels il passe. R. Ginouvès utilise le terme d’hypocauste. De fait, le principe est le même et nous sommes, indubitablement, en présence de solutions techniques dont le perfectionnement donnera naissance au véritable hypocauste : il n’en constitue encore qu’une forme peu évoluée.
38Les bains de Gortys nous permettent ainsi d’identifier un type de bâtiment qui recourt à des techniques et à des instruments balnéaires anciens, mais qui présente une originalité certaine. Il s’agit, en effet, d’édifices qui échappent à la sphère du privé et qui offrent à un large public la combinaison savante d’un bain de propreté par affusion et d’un bain de délassement par immersion, les deux se pratiquant dans l’eau chaude.
39Les vestiges archéologiques ne permettent pas de cerner clairement cette pratique balnéaire complexe avant le iiie siècle, mais ils nous autorisent à penser que, du moins à l’époque hellénistique, il s’agit d’une véritable institution. De fait, de nombreuses installations du bassin oriental de la Méditerranée s’éclairent à la lumière des données que nous fournit Gortys23. Elles montrent que le bain de propreté dans des cuves plates, groupées le plus souvent dans des rotondes, est une solution courante. Surtout, même si l’état des vestiges est médiocre ou les publications insuffisantes, elles laissent aussi fortement penser que des installations permettant la pratique de l’immersion n’avaient rien d’exceptionnel24.
40Cette analyse doit désormais être élargie au bassin occidental de la Méditerranée. C’est ce que démontre un certain nombre d’études récentes qui ont largement contribué à nous faire mieux connaître les bains de cette région et à prouver que leur fonctionnement reposait également sur la juxtaposition des pratiques de propreté et de délassement. Cette découverte n’est pas sans intérêt : elle permet de lever les doutes que l’on pourrait avoir sur l’ampleur de la pratique de l’immersion à l’époque hellénistique25.
2) Bains de Géla
41De fait, l’Occident offre un certain nombre de constructions particulièrement significatives pour notre propos. Le plus ancien de ces édifices est celui de Géla, sans doute construit à la fin du ive siècle et en cours de restructuration en 282, lors de la destruction de la cité (pl. VII-1). Deux salles, dont une rotonde, sont équipées de cuves plates. À proximité, un espace de service dessert trois foyers, alimentant chacun un canal de chauffe. L’intérêt de ces bains est donc multiple. D’abord, il montre l’ancienneté de la diffusion en Occident de la technique du bain de propreté à l’aide de cuves plates individuelles. Ensuite, il révèle l’importance du système de chauffage fixe, système qu’il faut attribuer aux transformations en cours en 282 : si le réseau des canaux est moins complexe qu’à Gortys, la puissance de chauffe est bien supérieure. Enfin, il laisse soupçonner que les deux secteurs chauffés constituaient deux locaux spécifiques où H. Broise propose de reconnaître une étuve au Nord et une baignoire au Sud26. L’état des vestiges ne permet nullement de confirmer cette hypothèse, mais celle-ci est confortée par les comparaisons qu’il est possible de faire avec d’autres constructions occidentales.
3) Bains de Mégara Hyblaea
42Les bains de Mégara Hyblaea, forcément antérieurs à la destruction de la ville en 213, sont attribués au milieu du IIIe siècle av. n.è.27. La lecture du monument a été considérablement éclaircie par H. Broise (pl. VII-2). La pièce 1, équipée de bancs, était sans doute un vestiaire. Les deux vestibules d’entrée y débouchent et elle commande elle-même l’accès au secteur proprement balnéaire dont les sols sont en opus signinum.
43Ce secteur commence par la grande salle 2 qui occupe une position centrale : c’est en fonction d’elle que s’organisent les circulations. Au Sud est disposé le bain de propreté qui se compose de trois locaux : l’étuve 3, chauffée par le sol grâce à un foyer desservant un canal dont l’efficacité était accrue par de petites cavités latérales28 ; la rotonde 4 qui abritait des cuves plates individuelles ; enfin, à l’Ouest de cette dernière, la salle d’attente 5 équipée de bancs.
44À l’Est de la salle centrale 2 s’ouvre le bain de délassement. On y accède par la pièce 6 équipée d’une banquette d’attente au Nord et, peut-être, d’une vasque dont subsisterait le support en maçonnerie contre le mur Sud. Le local 7, au seuil bombé afin de retenir une nappe d’eau, est probablement un pédiluve précédant un petit bassin. La présence de ce dispositif s’explique parfaitement29 lorsque l’on comprend que l’espace 8, longtemps considéré comme une étuve, est en réalité une baignoire collective, installée sur un canal chauffé par un foyer situé au Sud et dont quelques indices laissent penser qu’il était surmonté d’une chaudière30. En effet, l’épais « mur » 6/8, dépourvu de toute baie de circulation, n’est en fait que la fondation de l’emmarchement du bassin, percée d’une canalisation permettant la vidange de ce dernier : l’eau courait sur le sol des salles jusque dans le vestiaire 1 d’où elle était évacuée vers un égout. Ce procédé, qui permettait le nettoyage de l’établissement en économisant l’eau, est tout à fait semblable à celui de Gortys et se retrouve dans nombre de bains hellénistiques, du moins lorsque l’état de conservation des vestiges permet de le repérer31.
45Les points communs entre les bains de Gortys et ceux de Mégara sont essentiels. Ils concernent de nombreux détails techniques. Surtout, dans les deux cas, nous sommes en présence d’installations permettant la pratique d’un art du bain tout à fait semblable, fondé sur la satisfaction de deux désirs complémentaires, la propreté et le plaisir. D’un point de vue architectural, la solution apportée aux problèmes de circulation nés de la juxtaposition, dans un même monument, de ces deux techniques balnéaires repose sur une grande salle centrale commandant les diverses parties du bâtiment.
46Les deux édifices ne sont cependant pas identiques, et le sicilien nous fournit quelques informations intéressantes. D’abord, les deux lieux essentiels où se réalise le nettoyage y sont regroupés en une unité cohérente qui rend le plan d’ensemble plus rationnel. La disposition architecturale ne permet cependant pas de savoir si un ordre s’imposait au baigneur dans l’utilisation de l’étuve et de la rotonde aux cuves plates. Ensuite, l’immersion ne se pratiquait pas dans des baignoires individuelles, comme à Gortys, mais dans un bassin dont les dimensions (près de 4,50 m de longueur) permettaient une pratique collective.
4) Bains de Syracuse
47Ce dossier est encore enrichi par les bains de Syracuse (pl. VIII). Ils sont datables du iiie siècle, probablement du milieu de ce siècle, c’est-à-dire qu’ils sont très sensiblement contemporains du bâtiment de Mégara. Ils étaient en cours de travaux lorsqu’ils furent abandonnés, événement qu’il est tentant de mettre en relation avec le siège qui aboutit à la prise de la ville en 21132.
48Nous ne connaissons qu’une partie de l’édifice, mais il s’agit des pièces essentielles pour la pratique du bain. Les similitudes avec le bâtiment de Mégara sont notables. On retrouve une salle centrale, 1, qui commande l’accès aux différents secteurs. Le bain de propreté est à l’Est. On reconnaît l’étuve 2, avec le même système de chauffage qu’à Mégara et d’où l’on passe dans la rotonde 3 flanquée ici aussi de la salle d’attente 4.
49Le bain de délassement est au Nord. Il s’agit de la grande salle 5, munie de banquettes et dont toute la paroi occidentale est occupée par deux bassins juxtaposés, 6 et 7, séparés par une légère cloison. Jusque dans les détails, on retrouve un système identique à celui de Mégara, avec un foyer desservant un canal de chauffe placé sous la baignoire et une vidange de celle-ci évacuant l’eau directement sur le sol de la salle 5. Là encore, cette installation, large de plus d’1,50 m et longue d’environ 4 m, permettait une pratique collective du bain par immersion (pl. VIII-3)33.
50Les espaces complémentaires du secteur proprement balnéaire prennent ici une forme particulièrement spectaculaire. De fait, à l’Est de la salle 1, s’ouvre une seconde rotonde, 8, très différente de la tholos 3. En effet, outre son diamètre légèrement supérieur, elle ne comporte aucun aménagement susceptible de nous éclairer sur son utilisation. En particulier, il est exclu d’y restituer des cuves et aucun indice ne permet d’y voir une étuve34. En revanche, son décor, et en particulier la façon dont elle a été intérieurement ornée de colonnes engagées, signale l’importance du lieu. Dans une large mesure, on peut même considérer qu’elle s’impose aux dépens de la salle centrale qui, dans des bâtiments similaires, présente une ampleur relative plus affirmée qu’à Syracuse. Il existe donc un bloc de pièces, 2-3-4 à Gortys, 1-2-9 à Mégara, 1-8 à Syracuse, dont les éléments doivent assumer les fonctions de vestiaire, de lieu central dans les circulations, mais doivent aussi autoriser d’autres activités. On peut envisager des salles destinées aux massages et onctions d’huile35. L’ampleur et le luxe de la rotonde 8 de Syracuse laissent soupçonner que, sans exclure d’y localiser certaines opérations directement liées au bain, des locaux de ce genre étaient aussi et avant tout des lieux de rencontre, de sociabilité : les textes contemporains démontrent qu’on ne venait pas dans les établissements balnéaires uniquement pour se baigner.
5) Conclusions sur les bains du iiie siècle
51Les textes disponibles sur la pratique balnéaire à l’époque hellénistique ne traitent de cette question que de façon allusive et ne sont pas toujours d’interprétation aisée36. Les données archéologiques doivent donc jouer un rôle privilégié. Le problème est qu’elles sont extrêmement lacunaires. Ces lacunes sont de natures multiples : les installations techniques sont en piteux état ; les vestiges sont mal conservés ; nous ne connaissons souvent qu’une partie du plan ; nous ne connaissons qu’encore plus exceptionnellement le contexte dans lequel ces bains s’insèrent.
52Néanmoins, cette documentation archéologique nous permet de saisir avec une relative précision une pratique balnéaire complexe, parfaitement constituée au iiie siècle et combinant bains de propreté et de délassement. Dans les établissements les plus structurés, et aussi les mieux connus, les constructeurs utilisent un plan caractéristique fondé sur une salle centrale commandant les circulations. À Gortys, les locaux destinés aux deux types de bain sont juxtaposés et même imbriqués. En revanche, à Mégara Hyblaea et Syracuse, ils sont clairement distingués et situés sur deux axes perpendiculaires. Cependant, on note partout le même choix de valoriser le bain de délassement. À Gortys ou Mégara, ce dernier constitue en effet le point d’aboutissement de l’axe principal du bâtiment passant par le vestiaire et la salle centrale. Dans tous les cas, les baignoires sont installées dans une vaste pièce : à Gortys, il s’agit même de la salle centrale37.
53Ce schéma vaut pour une large partie du monde méditerranéen. De fait, il doit être confronté à l’évolution des bains de Stabies, à Pompéi, évolution que nous avons déjà eu l’occasion de rappeler38. D’après les recherches d’H. Eschebach, lors de la période II (ive-iiie siècle), les cuves plates sont remplacées par des baignoires d’immersion. Sans doute faut-il alors penser que le bain de propreté s’effectuait en d’autres lieux. En tout cas, lors de la période III (seconde moitié du iiie siècle), au moins une salle est ajoutée à l’ensemble, salle rectangulaire où I. Nielsen a proposé, de façon convaincante, la restitution de cuves plates selon un parti bien attesté à Olympie (pl. IV). Nous retrouvons donc, hors du monde proprement grec, un balanéion tout à fait comparable à ceux construits ailleurs, en Méditerranée hellénique.
54Cette unité n’exclut évidemment pas des variations de nature fort diverse, qui peuvent tenir par exemple aux constructeurs ou aux traditions régionales. Cependant, nous ne pensons pas que nos connaissances permettent de privilégier cette approche, qui ne peut concerner que des points secondaires : fondamentalement, il existe, au iiie siècle, un art du bain profondément unitaire. Il est probable qu’il se met en place déjà à l’époque antérieure, mais nous n’en avons nul témoignage archéologique. Il est sûr qu’il se maintiendra bien après cette date : mais il ne s’agit alors que de la reproduction ou du maintien d’une structure mise au point auparavant.
55Par conséquent, il nous paraît nécessaire de renoncer à certaines approches fréquemment développées, et d’ailleurs souvent contradictoires, qui ont comme point commun de briser la cohérence unitaire de l’évolution du bain méditerranéen. De fait, il apparaît vain de chercher à mettre en évidence, pour cette époque, un processus architectural propre à l’Occident. Celui-ci fait partie du même ensemble culturel que l’Orient et travaille à l’élaboration de solutions qui répondent aux mêmes problèmes. Que ces dernières naissent ici ou là, ou ici et là, est de peu d’importance : ce qui est frappant, c’est l’homogénéité des choix, au-delà de variations que notre documentation ne nous permet pas de cerner, et encore moins d’expliquer.
56Tenter de privilégier des coupures verticales brisant l’unité du monde méditerranéen est une pratique courante que sa banalité ne suffit pas à justifier. En ce qui concerne l’activité balnéaire, nous l’avons déjà souligné à propos de la période classique pour laquelle le raisonnement reposait sur l’étrangeté qu’aurait dû constituer la juxtaposition d’un bain chaud et d’un lieu d’exercices. Nous ne pouvons que réitérer ce même jugement en ce qui concerne le iiie siècle. Dans ce cas, il nous semble erroné de vouloir construire une géographie de la pratique de l’immersion qui originaliserait l’Orient39, ou, inversement, qui distinguerait l’Occident au sein duquel les balaneia siciliens devraient être considérés comme les ancêtres du bain romain40. Chercher à ancrer dans le passé une architecture balnéaire spécifiquement « romaine » nous paraît une démarche vouée à l’échec. L’originalité « romaine » ne niche pas dans une vieille géographie des pratiques balnéaires, mais, bien plus profondément, dans des ruptures chronologiques qui correspondent à l’affirmation de réalités radicalement nouvelles.
6) Le cas de Kerkouane
57En Afrique, aucun bain hellénistique n’est connu dans le monde numide. En revanche, dans le domaine punique, la cité de Kerkouane, à l’extrémité du Cap Bon, fournit quelques éléments de réflexion.
58Le site est occupé dès le vie siècle, sans doute sous une forme urbaine au plus tard dès la seconde moitié de ce siècle. Il est définitivement abandonné vers le milieu du iiie siècle av. n.è., constatation, fondée sur l’étude du matériel, qu’il est tentant de mettre en relation avec l’épisode de la première guerre punique qui voit les troupes romaines de Regulus ravager cette région41.
59Nous aurons à revenir sur les salles de bain privées, mais, dans l’état actuel de la fouille du site, deux constructions attirent l’attention. Leur état de conservation est trop médiocre pour affirmer que nous sommes en présence de bains publics. Il s’agit cependant de la seule hypothèse qui permette de rendre compte des vestiges.
60La première construction s’ouvre au n° 6 de la « rue des artisans »42. Si nous comprenons bien la publication, l’ensemble, mesurant environ 11,50 × 6 m, se compose de quatre pièces aux sols couverts entièrement ou partiellement de béton de tuileau (pl. X-3 et 4). À partir de la rue, on accède à une salle (4,90 × 3,80 m) équipée d’une banquette. Dans cet espace, des parois dessinent un petit local destiné plus précisément aux opérations balnéaires. Par un petit escalier, on peut gagner une deuxième pièce qui commande elle-même deux autres locaux. L’ensemble des aménagements est en fort mauvais état, mais la fréquence des sols en opus signinum, la présence de canalisations destinées à évacuer les eaux vers la rue ainsi que l’existence d’une banquette et d’une vasque indiquent une probable fonction balnéaire de ces lieux. Il reste cependant impossible de restituer la façon dont ces bains fonctionnaient.
61La seconde construction se trouve dans le « quartier du boulevard »43. Ce secteur est fort incomplètement dégagé, mais on y remarque trois salles groupées donnant sur la petite cour d’un édifice qui pourrait avoir constitué un bain public. Il s’agit de pièces de plan rectangulaire, aux sols et murs couverts de béton de tuileau. Rien, d’après la publication, ne permet vraiment d’affirmer qu’il s’agit réellement de salles d’eau : le critère de l’opus signinum est insuffisant dans la mesure où l’on connaît nombre de demeures où des salles, clairement dénuées de toute fonction balnéaire, sont ainsi aménagées44. Il convient donc de rester prudent sur l’interprétation de ces vestiges.
62Il n’en reste pas moins que, dans ce cas peut-être, dans le précédent sans doute, il faut reconnaître des bains publics en usage au moment de la destruction de la cité, vers le milieu du iiie siècle av. n.è. Une telle conclusion ne peut pas réellement déconcerter. Dès sa fondation, la cité est largement ouverte aux importations grecques. On y connaît même un exemple de péristyle dans le cadre de l’architecture domestique, ce qui prouve l’introduction très rapide, à Kerkouane, de cette solution architecturale qui constitue aussi une véritable révolution idéologique.
63On ne peut donc être réellement surpris de constater que ce site, qui offre des possibilités d’observations remarquables dans la mesure où aucune occupation ne vint modifier son état du milieu du iiie siècle, suggère aussi fortement que cette cité punique possédait des balanéia.
64Le fonctionnement de ces derniers reste cependant difficile à reconstituer. Il n’existe aucune installation de chauffage fixe. Il faut donc supposer que l’on recourait essentiellement à des braseros et que les procédés servant à chauffer l’eau ont disparu, dans la mesure où il est difficile d’imaginer que nous sommes en présence uniquement de bains froids. Bien plus, nous ignorons totalement la façon dont on se baignait. Il ne subsiste aucun aménagement permettant le bain par immersion, mais aussi par affusion dont la pratique est, en revanche, largement attestée dans le cadre de l’architecture domestique. Faut-il penser que baignoires, si elles ont jamais existé, et cuves plates étaient amovibles et que leur installation n’a laissé aucune trace ? Ou que ces établissements ne permettaient qu’un nettoyage du corps grâce à des aspersions à partir de vasques ?
65Nous sommes donc réduit à conclure de façon fort prudente. L’existence de bains publics dans les régions puniques n’aurait rien qui puisse surprendre, et nous en connaissons peut-être quelques vestiges. Dans l’état actuel de la documentation, il nous est cependant impossible d’en restituer le mode de fonctionnement et de les rattacher avec précision aux autres bâtiments méditerranéens. Il n’est guère douteux que l’Afrique du Nord ait fait partie des régions extérieures au monde grec qui ont adopté les nouvelles pratiques balnéaires : les modalités précises de cette adoption restent cependant floues en ce qui concerne les édifices publics.
7) Évolution des bains hellénistiques au iie siècle
66Dans l’état actuel de la documentation, c’est en Italie centrale tyrrhénienne que l’on peut suivre l’évolution des bâtiments balnéaires au iie siècle. Le changement essentiel concerne un nouveau mode d’articulation entre bains de propreté et de délassement.
67Le dossier des bains pompéiens de Stabies est d’utilisation délicate. Durant le iie siècle av. n.è. (période IV), il ne subsiste plus, dans l’aile Nord de la palestre, que les baignoires pour l’immersion et le loutron, ou bain froid. En revanche, l’aile orientale est créée : y sont juxtaposés deux bains, destinés l’un aux hommes, l’autre aux femmes, et tous deux composés de trois pièces essentielles. La question est de savoir comment ces dernières étaient aménagées. H. Eschebach pense que certaines d’entre elles étaient déjà installées sur de véritables hypocaustes. Ce serait une innovation spectaculaire, mais aucun des arguments avancés ne paraît décisif. Inversement, I. Nielsen estime que, dans les deux cas, un vestiaire précède deux locaux équipés de cuves basses : le nouveau bâtiment continuerait donc à s’inscrire dans la lignée du modèle du iiie siècle45.
68En fait, et ce n’est sans doute là que le résultat du hasard des découvertes archéologiques, pour disposer de données solides et saisir les changements qui se produisent au iie siècle il faut se tourner vers des monuments situés plus au Nord. Nous discernons alors une mutation importante, dont le trait le plus frappant est une modification de la nature du bain de propreté.
69Dans la rare documentation disponible, un édifice occupe une position de choix à cause du soin apporté à sa fouille et de sa complète mise au jour ; il s’agit des bains de Musarna, dans les environs de Viterbe46 (pl. IX-1 et 2).
70La construction, qui réutilise un bâtiment antérieur, doit vraisemblablement être attribuée au dernier quart du iie siècle. Outre les espaces de service, elle comporte trois pièces. De la rue, on accède directement à la salle 1 qui devait servir de vestiaire. La pièce 2 est équipée de banquettes : il s’agit, selon toute probabilité, d’une étuve, qui ne pouvait être chauffée que par des braseros. La pièce 3 présente des aménagements remarquables. Le seuil 2/3, bombé, permettait de transformer son angle Nord-Est en pédiluve ; puis on trouve, due à un ajout au plan initial, une banquette dégagée des murs, ainsi qu’une vasque sur pied, c’est-à-dire un labrum dont ne subsiste que l’empreinte dans le sol, cernée d’un décor mosaïqué.
71Surtout, toute l’extrémité occidentale de la pièce était occupée par une baignoire collective destinée à permettre le bain chaud par immersion. Il n’en subsiste plus que le système de chauffe qui a subi des remaniements. Un canal de chauffe, pourvu d’une cheminée de tirage au Sud, était alimenté par un foyer situé au Nord. Sans doute dès le premier état, on peut restituer sur ce dernier une chaudière dont subsiste l’empreinte dans la maçonnerie. À l’Ouest, un second foyer paraît avoir été essentiellement destiné à la fabrication des braises nécessaires aux braseros. L’eau de la baignoire était vidangée directement sur le sol de la pièce et conduite ensuite jusqu’à une bouche d’égout située en 1, selon un procédé bien attesté dès la période précédente.
72La nature publique de ce petit édifice balnéaire est démontrée par son rapport avec la voirie et par la mosaïque centrale de la pièce 3 qui nous livre le nom des deux commanditaires, peut-être magistrats en charge au moment de la dédicace du bâtiment.
73Ces bains sont indubitablement les héritiers des réalisations du iiie siècle. De la grande baignoire chauffée par un four à son système d’évacuation des eaux permettant le nettoyage de tout l’édifice, on retrouve les mêmes choix valorisant les bains par immersion et les mêmes solutions techniques. Une profonde mutation est cependant intervenue, qui présente deux aspects essentiels et complémentaires.
74D’abord, la nature du bain de propreté a changé. On utilise toujours l’étuve, où l’exsudation facilite le nettoyage de la peau, mais le bain par affusion a disparu. Il n’y a plus de cuve plate. Le nettoiement complémentaire à l’aide de l’eau est désormais réalisé au labrum qui fournit un liquide dont on peut penser qu’il était chaud : cela expliquerait la position de la vasque placée, de façon quelque peu encombrante, à proximité de la baignoire, mais aussi de la chaudière. À notre avis, il s’agit d’une mutation des techniques du bain de propreté beaucoup plus que d’un affaiblissement de cette fonction dans les bains publics. Même s’il est vrai que les salles de bain privées se multiplient alors dans les maisons, ce phénomène ne concerne qu’une minorité de la population et ne saurait justifier la disparition, dans les balanéia, de la fonction de nettoyage47.
75Ensuite, les deux bains, celui de propreté et celui de délassement, ne sont plus séparés mais fusionnés au sein d’un même itinéraire qui transcrit dans l’architecture une évidente nécessité : avant de s’immerger dans la baignoire collective, il faut être propre. Les étapes de cet itinéraire, qui font se succéder le long d’un circuit rétrograde le souci de propreté et le plaisir du délassement, correspondent à cette nécessité.
76Ces changements importants restent très mal documentés. À notre connaissance, l’Orient ne nous fournit aucune donnée concernant cette question. À Pompéi, les bains de Stabies du iie siècle, qui paraissent multiplier leurs batteries de cuves, semblent rester bien conservateurs, comme nous venons de le voir.
77En revanche, il est très intéressant de constater que c’est à Rome que l’on trouve un exemple parallèle à celui de Musarna. Les bains de la via Sistina, datés du début du ier siècle sur des critères stylistiques, ne sont que très partiellement connus48. Leurs dimensions les désignent comme un édifice public (pl. IX-3 et 4). Le cœur en est constitué par la rotonde 3, pourvue de deux labra logés dans des absides et d’une baignoire. L’importance du lieu est soulignée par le décor mosaïqué et par les colonnes engagées qui ornent la paroi. Autour de cette rotonde, on est conduit à restituer le vestiaire 1 et l’espace de service 4 à partir duquel on devait desservir le foyer de la baignoire. La présence d’une étuve en 2, éventuellement desservie par un second foyer, reste entièrement hypothétique mais logique. En tout cas, la salle de bain est, quant à son organisation sinon quant à son plan (qui évoque en revanche de façon remarquable l’établissement de Gortys), tout à fait comparable à celle de Musarna. Nul doute que cela ne trahisse la même évolution de la pratique balnéaire.
78Le dossier archéologique reste donc d’ampleur limitée. Il n’en est pas moins significatif si l’on renonce à exploiter ses lacunes pour construire une artificielle histoire des particularités régionales. La conclusion d’ordre historique que l’on peut en tirer nous paraît de même nature que pour le siècle précédent. L’évolution que nous saisissons à Rome et en Étrurie est certainement un phénomène général. Il est savoureux de voir Rome fournir un des rares documents disponibles sur ce dernier. Ce fait montre que la Ville est loin d’être en retard sur ses voisins. Ce serait accorder à des textes antiques moralisants une signification historique qu’ils n’ont pas que de soutenir la thèse selon laquelle une certaine « mentalité romaine » n’y aurait longtemps laissé au bain qu’une place modeste49.
II – LES BAINS PRIVÉS
79Les demeures ont toujours été un lieu où l’on se nettoyait. Ce qui nous intéresse ici est la diffusion, dans des couches plus larges de la société que les milieux princiers ou aristocratiques, de techniques balnéaires parallèles à celles qui reçoivent désormais leur plein développement dans des bâtiments publics.
80Il ne s’agit donc pas de reprendre les témoignages, essentiellement littéraires et figurés, qui attestent l’existence, dans les demeures et aux époques archaïque et classique, de pratiques permettant des lavages partiels ou le bain complet50. Il suffit à notre propos de saisir la situation à la fin de l’époque classique et à l’époque hellénistique, lorsque de profonds changements surviennent ou se généralisent, et cela en privilégiant la documentation archéologique51.
A) Installations de la fin de l’époque classique : le cas d’Olynthe et le dossier du bassin oriental de la Méditerranée
81Les données dont nous pouvons partir nous sont fournies par Olynthe, en Chalcidique52. Le site présente plusieurs intérêts majeurs, et d’abord sa chronologie. En 432, la cité reçut un gros apport de population. Sa superficie fut alors considérablement accrue, ces nouveaux quartiers étant organisés selon un plan orthogonal qui guida un grand programme de construction pour lequel on eut souvent recours à un type de maison standardisé qui servit de base aux variations individuelles. L’autre dent de la fourchette chronologique nous est fournie par la date de 348, lorsque la ville fut rasée par Philippe II : le site ne fut plus alors l’objet que d’une occupation médiocre. Il nous fournit donc des exemples de demeures appartenant au dernier siècle de la période classique. Or les fouilles, qui ont été réalisées pendant plusieurs décennies, nous permettent de connaître une grande partie de la cité.
82Dans notre optique, l’apport le plus intéressant de ces recherches est la révélation de la fréquence des demeures dotées d’une salle de bain. Celle-ci est attestée sans aucun doute possible dans au moins un tiers des maisons, proportion qu’il faut accroître sans doute de façon notable pour prendre en considération les cas où ces installations ont été complètement détruites. Ailleurs, il faut penser que les ablutions réalisées dans le cadre domestique s’effectuaient à l’aide d’instruments mobiles53.
83Dans la plupart des cas, la salle de bain fait partie d’une des unités spécifiques qui composent les maisons et qui entretiennent fréquemment entre elles les mêmes relations d’un édifice à l’autre. L’unité qui nous intéresse ici a été appelée « oecus unit » par G. Mylonas54. Elle comprend trois pièces (pl. X-1 et 2). La première est vaste. Elle mesure au moins 5 × 4 m, soit 20 m2, et peut même couvrir plus de 40 m2. Il s’agit donc d’une des plus grandes salles de la demeure. Son organisation est caractéristique. Son sol est toujours de terre battue et elle est fréquemment dotée d’un foyer fixe, situé vers le centre du local. Les découvertes faites en ces lieux confirment qu’il ne s’agit ni d’une salle de réception ni d’une cuisine, mais d’un atelier abritant le travail féminin, lieu dénommé oecus par les chercheurs qui ont travaillé sur Olynthe55.
84Cette grande pièce donne sur la cour intérieure de la maison, directement ou, le plus souvent, par l’intermédiaire d’un portique. Elle est flanquée de deux autres locaux, une cuisine et une salle de bain, dont l’association forme un rectangle : le mur commun avec l’oecus paraît souvent être dû à un remaniement effectué aux dépens de ce dernier, ce qui semble indiquer que la généralisation de ce parti architectural n’est pas originelle56.
85La cuisine, du moins dans la plupart des cas, possède sa propre entrée tandis que la salle de bain est accessible à partir de l’oecus. Cette dernière mesure en moyenne 2,25 × 1,50 m. Les murs sont généralement enduits, le sol aménagé de façon diverse, de la terre battue au mortier ou au dallage de terre cuite. Chaque fois que l’installation balnéaire est conservée, on constate qu’il s’agit d’une cuve plate destinée à permettre le bain par affusion. Grâce au voisinage de la cuisine, la salle d’eau pouvait s’assurer une alimentation aisée en eau chaude et bénéficier d’une partie de la chaleur produite en ce lieu ainsi que dans l’oecus.
86Ce spectaculaire exemple de diffusion des installations balnéaires dans des milieux sociaux beaucoup plus larges qu’autrefois montre donc que ce mouvement s’accompagne de l’adoption des nouvelles techniques balnéaires qui caractérisent désormais les balanéia. Dans les deux cas, le bain de propreté est soigneusement distingué de l’immersion, qui ne semble pas avoir été pratiquée dans la sphère domestique.
87Cette généralisation du bain privé pourrait être liée à l’absence d’installations publiques dont aucun exemple n’a été retrouvé à Olynthe57. Notre connaissance de cette ville, et des autres sites en général, est cependant trop imparfaite pour qu’un tel rapport puisse être affirmé. Nous serions bien plus enclin à penser que des besoins croissants ont stimulé parallèlement la multiplication des aménagements tant privés que publics, d’ailleurs susceptibles d’apporter chacun des satisfactions qui ne se recoupent pas complètement.
88Quoi qu’il en soit, si le monde grec ne fournit pas d’autres exemples de construction de salles de bain privées aussi systématique qu’à Olynthe, les fouilles nous font connaître de plus en plus de cas de demeures ainsi équipées58. Dans ces bâtiments d’époque hellénistique on ne retrouve pas l’« oecus unit », mais l’association de la cuisine et du bain y reste, pour des raisons techniques évidentes, une solution privilégiée. De plus, il est légitime de penser que nombre de salles d’eau, plus simples et en particulier dénuées de cuves, n’ont pas toujours pu être identifiées : elles n’en permettaient pas moins, même sous des formes plus sommaires, un bain de propreté.
B) Installations de l’époque hellénistique : le cas de Kerkouane et le dossier du bassin occidental de la Méditerranée
89Le phénomène est tout à fait semblable à l’Ouest : une fois de plus, nous retrouvons une évolution profondément identique dans les deux bassins de la Méditerranée. On doit même constater que c’est l’Occident qui nous fournit la plus riche documentation concernant l’époque hellénistique, si bien que nous pouvons discerner une évolution dans l’aménagement des bains privés qui décalque dans une large mesure celle que nous avons pu mettre en évidence pour les bâtiments publics.
90On peut d’abord noter la diffusion de la cuve plate dans les maisons. Au fur et à mesure du développement des fouilles, de nouveaux exemples de telles installations sont découverts59. Mais l’exemple le plus spectaculaire de l’ampleur prise par cette pratique est africain : il nous est offert par la cité de Kerkouane. La situation archéologique est la même qu’à Olynthe (un site abandonné brusquement et assez largement exploré) et les conclusions sont sensiblement identiques, hormis un décalage chronologique d’un siècle : le dernier visage d’Olynthe tel que nous le découvrons date du milieu du ive siècle, celui de Kerkouane du milieu du iiie siècle.
91Presque toutes les habitations de la cité punique possèdent des bains, donnée qui atteste une diffusion encore bien plus exceptionnelle que dans le cas, déjà remarquable, d’Olynthe60. Dans l’insula I, le secteur dégagé a révélé huit demeures : sept d’entre elles ont une salle d’eau (pl. XI). La seule qui en soit dépourvue fait partie des maisons les moins étendues mais même ce critère, au demeurant logique, n’est pas suffisant : hors de cet îlot, des habitations de superficie fort modeste possèdent cependant une telle installation61.
92Pour l’essentiel, la pratique balnéaire est la même qu’à Olynthe, mais le riche dossier de Kerkouane permet de préciser quelques points essentiels :
Salle d’eau dépourvue de cuve : outre un local identifiable seulement de façon hypothétique, uniquement sur la base de son plan62, d’autres pièces sont reconnaissables grâce à leur sol fait d’un béton de tuileau, qui peut couvrir aussi les parois, et leur système d’évacuation des eaux63, parfois aussi grâce à la présence plus explicite d’une vasque surélevée64. Dans ces cas, il faut penser que le nettoyage du corps était uniquement assuré à l’aide d’ablutions à partir de vasques, à moins que des cuves mobiles aient disparu sans laisser de trace.
La très grande majorité des salles de bain est équipée d’une cuve plate. Lorsque celle-ci est en bon état de conservation, on constate qu’il s’agit indubitablement d’une installation de type classique, avec accoudoirs65, destinée au bain par affusion. Fondamentalement, l’instrument est donc le même qu’à Olynthe. Il en diffère cependant par quelques caractéristiques qui révèlent l’évolution intervenue en un siècle :
Aucune cuve n’est en terre cuite. Dans quelques cas, elle est taillée dans un bloc de grès66, mais presque tous les exemples conservés sont en maçonnerie, le plus souvent de moellons, parfois de briques crues protégées par l’habituel béton de tuileau.
Dans la quasi totalité des cas, et contrairement aux exemplaires trouvés à
Olynthe, ces cuves sont équipées d’un siège, ce qui confirme, si besoin était, la position assise du baigneur dont l’essentiel du corps se trouvait donc préservé du contact de l’eau stagnant dans le réceptacle.
Également dans la quasi-totalité des cas, on vidangeait les cuves non pas en écopant mais, beaucoup plus efficacement, grâce à un conduit d’évacuation, le plus souvent un tuyau de plomb qui traverse une des parois et donne sur une canalisation gagnant la rue67.
D’autres installations permettent de se faire une idée plus précise de la technique balnéaire pratiquée à Kerkouane. Fréquemment, une vasque, parfois maçonnée, parfois taillée dans un bloc de pierre, est installée sur une des parois de la cuve68. Une telle installation pouvait servir indépendamment de cette dernière. Sa position laisse cependant penser que le baigneur, installé dans celle-ci, disposait ainsi aisément d’une réserve d’eau pour s’asperger et compléter l’affusion sous forme de douche procurée à l’aide d’un récipient mobile69.
93Une salle d’eau mérite une attention particulière, dans la mesure où elle présente un dispositif tout à fait particulier, à savoir une baignoire dotée de deux sièges disposés de façon orthogonale et complétée par deux vasques70. Une telle organisation suppose qu’elle était destinée à permettre le nettoyage simultané de deux personnes. Parallèlement, certaines demeures offrent plusieurs cuves. Dans un cas, les installations sont jumelées71, dans un autre ce sont trois cuves qui sont placées en trois endroits séparés de la maison72.
Une demeure est tout à fait remarquable par la présence de deux salles de bain permettant une pratique balnéaire différente. On y trouve en effet une cuve plate classique et, à un autre endroit de la maison, une installation qui ne pouvait servir qu’à l’immersion. De fait, il s’agit d’une baignoire longue d’1,50 m et profonde de 0,80 m, dépourvue de siège73. Cette capacité d’installations privées à offrir une gamme de services comparable à celle des bains publics est exceptionnelle au iiie siècle. Sans doute, une fois de plus, les lacunes de nos informations contribuent-elles grandement à accentuer ce caractère extraordinaire. En effet, les exemples plus tardifs, et aussi le fait que cette baignoire d’immersion a été retrouvée dans une demeure que l’on ne peut qualifier de vraiment somptueuse, laissent penser qu’un tel parti devait connaître d’autres parallèles74.
Les salles de bain comprennent d’autres installations. En règle générale, la cuve est installée dans une pièce spécifique de dimensions restreintes mais cependant suffisantes tant pour isoler le lieu de nettoyage que pour servir de vestiaire et abriter les ustensiles divers nécessaires à l’utilisateur. Ce local qui précède la cuve est, dans de rares cas, équipé d’un banc maçonné. De plus, il est fréquent de trouver un foyer dont le but était de chauffer l’eau et, éventuellement, de fournir les braises nécessaires au brasero réchauffant l’espace balnéaire75. Ce foyer est systématiquement plaqué contre la cuve, qui pouvait ainsi bénéficier indirectement de sa chaleur.
La salle balnéaire apparaît ainsi autonome. On ne retrouve que rarement, à Kerkouane, le lien privilégié qui unit cuisine et bain dans la plupart des installations du monde grec. L’emplacement de la cuve est donc fort divers, même s’il apparaît qu’elle est volontiers placée à proximité du puits76.
94Le cas de Kerkouane éclaire les découvertes qui se multiplient dans le monde punique et qui prouvent, bien évidemment, la large diffusion des pratiques balnéaires de type méditerranéen. En particulier, l’apport des fouilles récentes de Carthage permet, en nous informant essentiellement sur un habitat domestique saisi un siècle après celui de Kerkouane, de confirmer les conclusions que l’on peut tirer de la cité du Cap Bon quant à la relative diversité des techniques balnéaires :
Salle d’eau dépourvue de cuves : ce type d’installations est également bien attesté à Carthage. Les fouilles françaises ont permis l’étude de tout un quartier punique installé sur la pente Sud de la colline de Byrsa. Ce dernier a été progressivement construit à partir du tout début du iie siècle, dans le cadre d’un urbanisme rationnel répondant à un plan directeur unitaire fondé sur un schéma orthogonal adapté aux données du relief. Les îlots ainsi tracés sont partagés en lots correspondant chacun à une demeure : leur superficie modeste, même si l’on tient compte de la probable existence d’étages, montre que cette opération immobilière visait essentiellement une clientèle dont on pourrait dire qu’elle appartenait aux classes moyennes.
95Dans ce contexte précis, tant social que chronologique, il est donc intéressant de noter que le rez-de-chaussée de plusieurs demeures comporte une salle d’eau77. Celle-ci est reconnaissable à son sol fait d’une mosaïque de petits cubes de céramique, d’un type qui pave fréquemment les locaux exposés à des ruissellements ; à des vestiges parfois d’adduction d’eau, toujours d’évacuation de celle-ci vers la rue ; aussi à des niches aménagées dans un mur et susceptibles d’accueillir vêtements et instruments de toilette.
96S’il n’y a guère de doute sur la nature de ces locaux, ce qui subsiste de leur aménagement ne permet pas de reconnaître sûrement la façon dont le bain était pratiqué. Comme à Kerkouane pour des pièces semblables, il faut sans doute penser que la toilette était effectuée par ablutions à partir de vasques. Des cuves mobiles ont aussi pu disparaître sans laisser de trace. Dans au moins un cas, l’exiguïté du local (1,10 × 0,80 m) incite à préférer la première solution. Toutefois, la découverte d’un fragment de cuve en terre cuite dans un remblai probablement consécutif à la destruction de 146 donne aussi quelque crédibilité à la seconde hypothèse78.
Toujours à Byrsa, mais cette fois sur le flanc Sud-Est de la colline, des salles d’eau ont été identifiées de facon convaincante dans l’habitat de l’actuelle rue Astarté79. Béton de tuileau sur les murs, pavements en opus figlinum en pente vers un égout, présence d’une banquette justifient une telle hypothèse. Dans chacune des deux pièces, qui communiquent entre elles par un seuil mosaïqué, des traces sur le sol pourraient correspondre à des cuves ou baignoire dont il ne reste rien.
En revanche, une fouille effectuée au Kram a mis au jour une cuve plate de terre cuite en place, confirmant ainsi l’utilisation de tels instruments à Carthage80.
Enfin, une découverte particulièrement intéressante, et qui renvoie avec précision à une des demeures de Kerkouane, est une villa rurale de Gammarth, construction suburbaine de Carthage malheureusement fort détruite et, de plus, sommairement publiée81. Un des secteurs les mieux préservés est cependant un bain privé où une pièce à banquette précède une salle d’eau comportant deux bassins. L’un d’eux semble devoir être considéré comme une cuve plate ; en revanche, le second est sans doute une baignoire d’immersion82. Selon toute probabilité, la villa est détruite lors de la prise de Carthage. Elle nous fournit donc un nouveau témoignage de la pratique du bain d’immersion dans des salles de bain privées puniques appartenant à la première moitié de la période hellénistique.
97Une autre donnée confirme la similitude des pratiques balnéaires africaines et méditerranéennes. Des tombes puniques, telles celles des nécropoles de Kerkouane ou Kélibia, ont livré des strigiles. On peut s’interroger sur la nature exacte de ces objets, productions locales ou importations ? La conclusion reste la même en ce qui concerne leur usage. Bien plus, la large diffusion de ces ustensiles est attestée par une inscription de Carthage mentionnant un PcL HMGDRM, un « fabricant de strigiles »83.
C) Évolution du bain privé au iie siècle
98Dans l’état actuel de la documentation archéologique, les textes étant imprécis et parfois anachroniques, c’est essentiellement dans la péninsule italique que nous pouvons suivre l’évolution de la nature du bain privé durant le iie siècle. Le trait essentiel en est la diffusion de l’association, le plus souvent sous forme de deux pièces, des bains de propreté et de délassement. Dans le cadre privé, au iiie siècle, nous n’en connaissons que des exemples africains, sous une forme dissociée et non coordonnée à Kerkouane, dans une seule et même pièce à Gammarth. Cette association, caractéristique des édifices publics, se généralise dans l’architecture domestique au cours du iie siècle, sous une forme beaucoup plus structurée que précédemment et dans un espace qui n’entretient plus de rapport avec la cuisine.
99À Monte Iato, en Sicile, une grande demeure à péristyle possède un bain installé dans un groupe de quatre pièces communiquant entre elles84. Dans deux cas seulement on peut reconnaître leur destination précise. Un local de service permet de desservir un four. Ce dernier alimente un vaste canal de chauffe situé dans la pièce voisine (2,90 × 2,80 m), sous une baignoire d’immersion. Une vasque paraît avoir complété les installations de cette salle. Il est possible que le bain de propreté ait été réalisé dans la pièce voisine dotée, elle aussi, d’un pavement en opus figlinum et dont les murs sont couverts par le même enduit rouge et blanc.
100Il faut probablement attribuer la création de ces bains au début du iie siècle. Il s’agirait alors du premier exemple connu, dans le cadre de l’architecture domestique, de baignoire chauffée, installation jusqu’alors réservée aux édifices publics. Un tel perfectionnement reste cependant exceptionnel durant tout le iie siècle. En revanche, dans les riches demeures, le bain devient de plus en plus complexe et permet souvent l’immersion.
101Nous n’en prendrons qu’un seul exemple, celui de la villa Prato, dans les environs de Sperlonga, à l’extrémité Sud du Latium85 : l’état de conservation des vestiges et le soin apporté à la fouille nous permettent en effet de disposer d’un dossier d’autant plus privilégié que l’abandon de l’édifice, vers le milieu du ier siècle av. n.è., l’a préservé de tout remaniement. La villa et son installation balnéaire sont datées du troisième quart du iie siècle. Cette dernière comprend deux pièces auxquelles on accède à partir d’un vaste espace de service comportant un puits et, sous un portique, un foyer (pl. XII-1).
102Le plan impose un itinéraire rétrograde. Le premier local est destiné au bain de propreté : il abrite une cuve plate et un labrum dont ne subsiste que l’empreinte sur le sol. Le second est consacré au bain de délassement : il contient, encastrées dans une paillasse mosaïquée, une baignoire d’immersion, longue d’1,55 m, et une cuve de terre cuite qui devait servir de pédiluve (pl. XII-2).
103Les services offerts par cette installation sont donc très complets, et l’enchaînement des deux types de bains n’est pas sans évoquer la disposition du petit édifice public de Musarna, sensiblement contemporain. On notera aussi le maintien de la pratique du nettoyage à l’aide d’une cuve plate, ainsi que l’absence de chauffage direct. L’eau chaude pouvait cependant être aisément fournie à l’aide du puits et du foyer voisins. On notera surtout la richesse du décor : sol d’opus figlinum de la première pièce, de mosaïque pour le seuil et le pavement de la seconde ; décor varié des bassins ; corniche de stuc marquant le départ des plafonds voûtés en berceau. Il est clair que le bain fait désormais partie des secteurs de prestige de la demeure86.
104Si les vestiges de cette époque sont rares, essentiellement parce que de telles installations ont été radicalement transformées lorsqu’elles furent devenues désuètes, les parallèles ne manquent cependant pas. Un des plus éminents est sans doute le bain de la maison du cryptoportique, à Vulci87. Le premier état, attribuable à la fin du iie siècle, comprend un nombre de salles remarquable (pl. XII-4). Un vestiaire, reconnaissable aux niches aménagées dans les murs, commande trois salles balnéaires, permettant ainsi des itinéraires divers. Un premier local a été presque complètement détruit par les aménagements ultérieurs : sans doute était-il destiné au bain de propreté. De là, on pouvait passer directement dans la deuxième pièce. Celle-ci, de plan circulaire complété par quatre absides dans lesquelles étaient installés des bancs, correspond, étant donné sa forme et ses aménagements, à une étuve. La troisième pièce présente une disposition très intéressante, puisqu’elle comprend une abside où se trouvait un labrum alimenté en eau chaude et froide, et, à son autre extrémité, une baignoire d’immersion aujourd’hui complètement détruite. Entre cette salle et le vestiaire, un seuil bombé créait un pédiluve destiné aux utilisateurs de la baignoire. Des hypocaustes ne furent installés qu’à la suite de remaniements qui durent intervenir au cours du ier siècle av. n.è.
105Quelques cas privilégiés, appartenant à des constructions ambitieuses, attestent donc la diffusion, dans le cadre de l’architecture domestique, des pratiques balnéaires proposées dans les édifices publics. La simple salle de bain est remplacée par des ensembles plus complexes, où des espaces différenciés assurent des fonctions diverses. Il ne faudrait cependant pas en conclure qu’il s’agit là d’une règle générale. Le plus souvent, les installations restent modestes et ne permettent guère qu’un bain de propreté. Une bonne illustration de cette réalité est offerte par la colonie latine de Cosa88. Longtemps, la salle d’eau et la cuisine se partagent le même grand local. Ce n’est qu’à partir du iie siècle que ces deux espaces se différencient, tout en restant intimement liés. Bien plus, cette évolution ne semble concerner que les plus vastes demeures et elle n’empêche pas les installations balnéaires de rester sommaires. Dans une pièce unique au sol de béton de tuileau, il faut restituer une ou des vasques, ainsi peut-être qu’un brasero. En revanche, il n’y a aucune trace de cuve ou de baignoire. Si l’on peut penser à des instruments mobiles, il n’en reste pas moins que le nettoyage devait se faire essentiellement par aspersion à partir de vasques.
III–LES BAINS DE GYMNASE
106Nous pouvons traiter plus brièvement cette question dans la mesure où le gymnase ne constitue pas un milieu où s’implante aisément le nouvel art balnéaire. L’idéologie conservatrice qui y règne est peu propice à la pratique d’un bain chaud considéré comme amollissant. Pourtant, il faut bien que l’athlète se nettoie après les exercices physiques, et les installations hygiéniques du gymnase ne peuvent ignorer complètement ce qui se fait hors de sa propre enceinte. De plus, ce dernier est le lieu par excellence des activités sportives, et son évolution concerne donc directement l’analyse des thermes d’époque romaine qui font une si large place à celles-ci89.
A) Gymnase et palestre
107Pour mieux comprendre les mutations architecturales du gymnase, il faut les replacer dans leur contexte historique. Si nous schématisons les résultats des principales études90, nous pouvons d’abord souligner le lien étroit qui unit l’avènement des armées civiques d’hoplites et la naissance du gymnase, lieu essentiel de la préparation militaire du citoyen. Il se présente alors sous la forme d’un enclos où les espaces naturels jouent un plus grand rôle que les aménagements construits, enclos toujours installé dans les faubourgs qui offrent des terrains disponibles.
108Le développement du mercenariat aux dépens du soldat-citoyen transforme le rôle du gymnase : dès la fin de l’époque classique sa fonction militaire est en plein déclin et finit par disparaître presque complètement durant la période hellénistique91. Les armées possèdent désormais leurs propres lieux d’entraînement. Dès lors, les activités physiques pratiquées dans le gymnase relèvent de ce que l’on peut appeler le sport : athlétisme, dont le programme décalque celui des grands concours panhelléniques, mais aussi exercices divers, en particulier des jeux de balle. En revanche, les pratiques destinées à répondre aux besoins militaires soit disparaissent, soit, pour certaines d’entre elles, sont maintenues essentiellement dans le souci de préserver l’esprit traditionaliste de l’institution.
109Cette évolution permet, techniquement, l’intégration du gymnase dans le cadre urbain. Cessant d’être un champ de manœuvres, il nécessite moins de place. Cette intégration est encore facilitée par le fait que se multiplient alors les palestres autonomes, version réduite du gymnase excluant les exercices dévoreurs d’espace, comme la course ou le lancer du javelot que ce dernier continue à accueillir92.
110Or, d’autres facteurs poussent également à l’urbanisation du gymnase. De fait, si ce dernier perd sa dimension militaire, il acquiert en revanche d’autres fonctions, en particulier intellectuelles. Cette activité universitaire est dispensée sous la forme de cours réservés aux membres de l’institution, mais aussi sous la forme de conférences ouvertes à un large public. La satisfaction des besoins de ces nouveaux usagers impose un emplacement d’accès aisé.
111Bien plus, cette urbanisation devient aussi politiquement logique. En effet, alors que les institutions municipales sont désormais subordonnées à des pouvoirs politiques qui les englobent, perdant ainsi de leur importance et de leur prestige, l’activité des citoyens se reporte partiellement sur des associations de type divers, au premier rang desquelles le gymnase, lieu d’autant plus privilégié que sa nouvelle dimension de centre d’enseignement concerne un secteur où la cité a conservé une grande autonomie. C’est dans ce cadre qu’il bénéficie d’un intérêt croissant de la part des citoyens riches qui trouvent, dans cette institution, un des principaux moyens d’exercer leur évergétisme.
112Dès lors, l’organisation du gymnase devient très caractéristique. Sur le plan interne, il décalque la structure municipale, avec son assemblée qui nomme commissions et trésoriers, prend des décrets, gère ses propres cultes. Sur le plan civique, il est devenu une composante essentielle de la cité, s’intégrant à ses fêtes auxquelles il participe en tant que tel mais, inversement, restant sous le contrôle des autorités institutionnelles.
113Cette évolution change profondément la nature du gymnase. De fondement essentiel de la cité des citoyens-soldats, concernant de larges strates de la population, il prend de plus en plus la forme d’une organisation destinée à une clientèle sélectionnée93. La conséquence est d’importance pour notre propos. Même en ce qui concerne les citoyens, le gymnase délaisse toute une partie de la population, ainsi conduite à se tourner vers d’autres institutions. Reste à se demander si, en plus, il offre à sa clientèle les services balnéaires que proposent les bains publics.
114L’abandon de certaines activités permet, à partir du ive siècle, la mise au point d’un plan type. L’organe central en est un espace hypèthre, cour ceinte partiellement ou totalement de portiques. Sous ces derniers s’ouvrent des annexes, salles dont la multiplication croissante est caractéristique de la diversification des fonctions du gymnase : aux pièces et vestiaires destinés aux athlètes s’ajoutent de plus en plus salles de cours et de conférences, bibliothèques, lieux de réunion et de culte.
115Cet ensemble constitue la palestre. Le gymnase comporte d’autres secteurs, en particulier des pistes destinées à la course. Il n’en reste pas moins que la palestre est, dans ce nouveau type d’édifice, l’élément le plus caractéristique, et c’est parmi ses annexes que se trouve l’installation qui nous intéresse, à savoir le bain.
116Une telle installation est indispensable pour permettre à l’athlète de se nettoyer. Dans les anciens gymnases, le bain s’effectuait en plein air, avec des aménagements longtemps sommaires94. Dans le nouveau gymnase, il est réalisé dans un local spécifique dont l’isolement est parfois accru par un vestibule servant de vestiaire95. Le vocabulaire sanctionne ces changements avec l’apparition du mot loutron, déjà courant au iiie siècle pour désigner le bain du gymnase96. L’équipement essentiel de ce bain consiste en des vasques, souvent rectangulaires, montées sur des piédroits, disposées en batteries le long des murs et directement alimentées en eau. Dans quelques cas, une piscine en plein air, permettant le bain collectif par immersion, complète le loutron : ce parti semble être resté exceptionnel mais les lacunes de nos informations incitent à la prudence97.
117Cependant, l’esprit conservateur qui fonde désormais les activités du gymnase conditionne aussi la nature de ces installations balnéaires. Il s’agit essentiellement d’un bain froid, par opposition au bain chaud qu’offrent les balanéia. Il semble cependant que la chaleur soit un luxe que le gymnase n’a pas toujours refusé. Les témoignages sur un local chauffé, dont l’organisation et le but exact restent flous, sont d’autant plus incertains que l’on remonte dans le temps98. Il est cependant probable que certains établissements ont été dotés d’étuves destinées à permettre un décrassage plus aisé des athlètes. Il semble pourtant clair que ce n’est pas dans ce cadre que se développent pleinement les capacités d’un bain chaud en cuve plate ou baignoire : il s’agit seulement de favoriser une exsudation apte à accroître l’efficacité du nettoyage.
118Dans l’état actuel de la documentation, l’institution gymnasiale n’est attestée en Afrique du Nord ni par les textes, ni par les vestiges. Il serait hasardeux d’en tirer la conclusion qu’elle y était totalement inconnue, encore plus que les activités sportives y étaient méprisées. Il suffit de rappeler la façon dont les souverains numides ne se contentent pas d’envoyer du blé aux cités grecques, des offrandes aux grands sanctuaires panhelléniques, mais encore participent à des jeux qui regroupent tous ceux qui prétendent appartenir au même monde. Ainsi, c’est une inscription grecque qui nous apprend la victoire remportée par des chevaux numides lors des Panathénées de 168 ou 164.
119Une fois de plus, le dossier reste fort léger et il serait dangereux de surinterpréter tant ses lacunes que les rares données qu’il nous livre. L’intérêt des Africains pour la compétition internationale excédait-il celui des épreuves où pouvait briller leur cavalerie dont la réputation n’était plus à faire ? Comment Puniques et Numides concevaient-ils et pratiquaient-ils les exercices physiques ? Nous ne pouvons répondre à ces questions. Les seuls témoignages précis touchant à l’activité athlétique et, plus précisément, aux gymnases concernent les cités grecques de la Libye, pays certes relativement voisin mais dont les réalités ne peuvent être transposées dans les contrées du Nord99.
B) Sport et bain
120Dans l’état actuel du dossier, le principal intérêt du gymnase pour notre propos consiste donc en l’association d’un bain, même si celui-ci reste d’ampleur modeste, et des installations nécessaires à la pratique sportive. Étant donné la place que celle-ci occupe par la suite dans les thermes romains, il était nécessaire de prendre en considération les bâtiments grecs qui ont, par excellence, abrité ce type d’activités. Contrairement à ce qui est souvent écrit, il ne nous apparaît cependant pas évident qu’il faille opposer strictement les balanéia aux gymnases ou palestres, les premiers développant un art du bain raffiné, les seconds accaparant l’essentiel des pratiques sportives.
121De fait, quelques indices laissent penser que les édifices balnéaires offraient aussi à leurs utilisateurs la possibilité de se livrer à une activité physique. Ainsi, un texte de Théophraste témoigne de la pratique de la lutte dans un bain public100. Surtout, on remarquera que nous connaissons fort peu de choses de l’environnement des rares édifices balnéaires mis au jour. Une exception est constituée par les bains de Mégara Hyblaea (pl. XIII-4). Or, au Sud du bâtiment et communiquant avec lui, s’étend une assez vaste cour sur laquelle donnent plusieurs pièces : l’hypothèse qui vient en premier à l’esprit est celle d’un lieu destiné aux exercices physiques. De plus, nous avons cette fois la chance de connaître la position de ces bains dans le tissu urbain, laquelle est remarquable puisqu’ils ouvrent directement sur l’agora. Un tel voisinage a déjà été souligné pour les gymnases, dont certains flanquent la grande place publique ou en sont peu éloignés101. Il n’en est que plus intéressant de constater que, à Méga-ra, c’est au balanéion que l’on attribue une position aussi centrale. Le prestige de l’emplacement traduit l’intérêt désormais porté à ce genre d’édifice. On peut aussi penser que l’agora pouvait offrir aux établissements installés à proximité les espaces nécessaires au déroulement de certaines de leurs activités102.
122Le dossier des rapports entre sport et balanéia reste donc maigre, mais il est à l’image de notre médiocre connaissance de ces bâtiments et, à notre avis, suffisant pour interdire une schématisation excessive. Il peut d’ailleurs être nourri par le résultat des recherches entreprises par H. Eschebach sur les bains de Stabies, à Pompéi. Dès la première période, datée du ve siècle, ils sont articulés avec un vaste espace découvert qui serait destiné aux exercices (pl. V-1). Ce lien ne disparaîtra jamais et cet espace, dont la superficie varie en fonction des aléas immobiliers de ce secteur, reçoit une expression architecturale dès la période III, à savoir la seconde moitié du iiie siècle pour laquelle on a des traces de colonnades qui en font une véritable palestre (pl. V-2).
123Dans cette optique, il nous paraît inexact de considérer les bains de Stabies comme le résultat de l’unification d’une palestre grecque et d’un balanéion grec, moment qui serait crucial dans la gestation des thermes romains103. En réalité, nous avons sans doute, avec ce bâtiment pompéien, une illustration de ce qu’étaient réellement nombre de balanéia, à savoir des constructions offrant plusieurs manières de se baigner, mais aussi constituant un lieu de réunion où l’on pouvait se livrer à diverses activités parmi lesquelles les exercices physiques avaient leur place. Nous ne sommes pas en présence d’un édifice profondément original, préfigurant les solutions romaines, mais, au contraire, d’une réalisation qui illustre une évolution beaucoup plus générale. Ce n’est pas un esprit romano-italique qui modifie les rapports entre bain et sport, c’est à l’échelle de toute la Méditerranée que ces rapports changent104.
124De fait, au sein même des gymnases, la conception des activités physiques se modifie et la place du bain s’accroît progressivement : il reste cependant confiné en une position subordonnée, demeurant avant tout la conséquence inévitable des exercices corporels. Mais c’est désormais ailleurs qu’il faut rechercher les nouvelles réalités, dans ces bains publics qui se multiplient partout et qui accueillent des couches beaucoup plus larges de la population. Ces gens ont envie d’exercer leur corps, ils n’ont pas celle de se soumettre à l’idéologie qui règne dans les gymnases, de se priver des raffinements des bains ou de subir la stricte discipline d’une conception du sport restée fondamentalement aristocratique. À notre avis, c’est dans ce balanéion méditerranéen, siège de nouvelles pratiques, que s’ancre le début de l’histoire qui donne naissance au bâtiment thermal d’époque romaine.
IV–CONCLUSION
125Le dossier du bain dans le monde méditerranéen aux époques classique et hellénistique reste très lacunaire. Les fouilles et publications sont insuffisantes en quantité, et souvent en qualité. Malgré cela, la réflexion sur ces périodes s’est poursuivie de façon fructueuse grâce à quelques dossiers solides qui jettent une lumière précieuse sur ces questions, grâce aussi à la façon pertinente dont des données anciennes ont été revisitées, permettant ainsi de compléter, et parfois nuancer sinon même corriger sur certains points les grandes synthèses actuellement disponibles qui restent le point de départ obligé de toute réflexion.
126En tentant de synthétiser quelques aspects de cette recherche vivante, mais souvent dispersée et parfois contradictoire, nous avons voulu essayer de dresser un tableau aussi cohérent que possible du bain dans cette période qui constitue une préface indispensable à la compréhension de l’époque romaine.
127Les principales conclusions sur lesquelles nous voulons revenir sont d’ailleurs d’ordre historique, et donc de grande portée pour la suite de notre analyse. Il nous semble se dégager de ce dossier une constatation majeure, à savoir l’unité fondamentale de la façon dont on pratique le bain dans toute la Méditerranée : c’est une illustration de la koinè culturelle sur laquelle nous avons insisté dans la première partie de cette étude.
128Autrement dit, il nous semble erroné de tirer des lacunes de notre information des conclusions excessives sur des disparités régionales. Dans l’état actuel de la documentation, il apparaît au contraire que ces documents épars doivent être combinés pour dresser un tableau d’ensemble. Chaque fois que nous disposons d’assez de données concernant diverses régions, le caractère unitaire de ces informations est évident, que l’on prenne en considération les solutions techniques de détail, les conceptions d’ensemble des bâtiments ou les évolutions qui se produisent.
129Il en résulte d’abord qu’il serait vain de chercher à décrire une divergence de la pratique balnéaire entre les deux bassins de la Méditerranée. Les bains de Gortys, Mégara Hyblaea et Syracuse, les seuls en réalité à pouvoir nous autoriser à raisonner sur des bases concrètes et cohérentes, permettent de constater que s’impose l’idée d’un art du bain méditerranéen bien attesté dans la première partie de l’époque hellénistique105.
130Il en résulte ensuite qu’il serait tout aussi vain de vouloir opposer le monde des cités grecques à celui des cultures périphériques. Toutes les régions développées sont concernées par les mêmes recherches. L’Italie centrale tyrrhénienne nous aide à combler les lacunes de nos informations et c’est elle qui nous permet de saisir, au moins partiellement, l’évolution qui est à l’œuvre au cours du iie siècle et qui, certainement, ne concerne pas que ce secteur géographique.
131Bien entendu, certaines contrées peuvent constituer des centres plus dynamiques que d’autres. À la haute époque hellénistique, il est fortement probable que cet art du bain doit l’essentiel des pratiques et des solutions techniques ou architecturales qui le définissent au monde grec, tant oriental qu’occidental. Cela n’est que le reflet de la profonde réalité que constitue l’existence d’une civilisation méditerranéenne dominée par le pôle hellénique. Mais ce serait un extraordinaire paradoxe si Rome, cœur politique, militaire et économique de l’entité italienne, devait être considérée, dans le domaine balnéaire, comme un secteur longtemps attardé. Les affirmations de certains auteurs romains ne doivent pas être prises au pied de la lettre. Caton ou Sénèque n’écrivent guère autre chose que Platon ou Aristophane, et il serait hasardeux d’envisager l’existence d’une « mentalité romaine » qui aurait longtemps empêché le développement des institutions thermales106.
132De même, il nous paraît tout aussi hasardeux de construire un véritable « mythe campanien », cette région devenant le lieu où s’élaboreraient des solutions innovatrices. Les conditions de préservation des vestiges en ce secteur ne doivent pas nous abuser quant à son rôle réel. Il ne fut certainement pas négligeable mais, d’un point de vue historique, il est difficile de saisir la forme d’autonomie que pourrait manifester cette région vis-à-vis des grandes cités grecques voisines et, surtout, vis-à-vis du système romain dont elle fait partie dès le ive siècle. Interpréter les bains de Stabies, associant palestre et bain, comme une innovation « inconcevable pour la mentalité grecque »107 ne correspond sans doute pas à ce qu’étaient réellement les balanéia. De même, penser que Rome ne découvre l’hellénisme qu’à la suite de son implantation politique et militaire en Campanie et Italie du Sud108 relève d’une conception à notre avis erronée de la nature des relations culturelles en Méditerranée : c’est tout simplement oublier que l’histoire de Rome est, depuis au moins le viiie siècle, incompréhensible si on ne prend pas en considération son articulation étroite avec les données grecques. Ce ne sont pas les armées romaines qui rapportent l’hellénisme à Rome. Ces considérations impliquent qu’il faut rester prudent et ne pas surinterpréter les lacunes de la documentation ou, inversement, ne pas surévaluer les conséquences archéologiques de l’activité du Vésuve.
133Jusqu’à ce point de notre raisonnement, nous n’avons pas utilisé de termes antiques, hormis ceux, très généraux, de balanéion et de loutron pour désigner, respectivement, le bain public et celui du gymnase. Les inscriptions et les textes permettent de pousser plus loin cette recherche du vocabulaire utilisé aux époques classique et hellénistique. C’est ainsi que le mot pyriatèrion a, selon toute probabilité, été utilisé pour désigner l’étuve109. Il ne nous paraît cependant pas nécessaire d’entrer dans le détail d’un vocabulaire qui soulève souvent des problèmes d’autant plus délicats qu’il évolue à travers les siècles. Ce qui nous importait était de mettre en place les principes architecturaux directeurs de bâtiments balnéaires qui sont fondamentaux pour la compréhension de l’évolution qui survient au ier siècle av. n.è. Évolution très profonde : la mise au point d’un système de chauffage beaucoup plus efficace non seulement aboutit à remodeler l’organisation du monument, mais encore signale l’émergence du système romain comme centre de gravité de la nouvelle Méditerranée.
Notes de bas de page
1 C. W. Blegen, M. Rawson, The Palace of Nestor at Pylos, I, The buildings and their contents, Princeton, 1966, pièce 43, p. 185-190. Le local mesure 6,34 × 2,56 m. Le sol de mortier est en pente vers un des angles de la salle, guidant l’eau vers un ou deux drains traversant le mur. Une baignoire, munie de poignées, est prise dans une maçonnerie d’argile de 178 × 78 cm (ce qui prouve que, dans ce cas, les poignées ne servaient qu’à faciliter la mise en place de l’instrument et n’en faisaient pas une installation mobile). Les aménagements sont complétés par une banquette d’argile, haute d’environ 85 cm, dans laquelle sont encastrées deux jarres qui pouvaient contenir de l’eau et/ ou de l’huile. Il ne reste aucun vestige d’un système destiné à chauffer l’eau (pl. III-1).
Pour une commode synthèse sur les palais et l’habitat minoëns, ainsi que sur ceux de l’époque mycénienne, cf. Greco, Torelli, Urbanistica. Mondo greco, p. 43-63 (cependant, contrairement à l’affirmation de la p. 46, les bains étaient aussi parfaitement connus des palais orientaux contemporains et même antérieurs : cf., par exemple, Ginouvès, Balaneutiké, p. 40-41, avec bibliographie).
On peut trouver des exemples précis d’installations balnéaires dans C. Tiré, H. van Effenterre, Guide des fouilles françaises en Crète, EFA, 1978, en particulier p. 31-32 (probable salle de bain ou d’ablutions du palais de Mallia) et p. 76-77 (sur, probablement, « un vrai cabinet de toilette » d’une demeure privée de la ville de Mallia). Dans ces deux cas, la baignoire ou la cuve, s’il y en eut jamais, est perdue. Les chroniques de fouilles du BCH fournissent aussi des exemples significatifs de la pratique balnéaire au IIe millénaire av. n.è. Ainsi, à Théra, cité ensevelie à la fin du xvie siècle, une cuve ronde à pieds, en terre cuite, ornée de dauphins (BCH, 104, 1980, p. 664 et 667, fig. 178) ; ou le bain de Tylissos, en Crète (BCH, 79, 1955, p. 299 et fig. 11) ; ou encore à Kition de Chypre, dans une richissime tombe (xiiie siècle ?), la présence d’une baignoire d’immersion miniature (environ 11 cm de longueur) à quatre anses, taillée dans l’ivoire (BCH, 88, 1964, p. 348 et 349, fig. 86).
Tous ces exemples montrent la diffusion du bain dans la sphère privée : palais, riches demeures et même habitat plus modeste dont le propriétaire possède des instruments mobiles destinés à faciliter les opérations de nettoyage du corps.
2 Homère, Odyssée, VI, 210 sq, et VIII, 425 sq.
3 Toute la première partie de la thèse de R. Ginouvès, Balaneutiké, est consacrée à l’étude des instruments du bain. Dans une large mesure, nous ne faisons que reprendre schématiquement son analyse.
4 Un exemple bien publié (voir aussi le commentaire de R. Ginouvès dans Balaneutiké, p. 32) en est la baignoire de la pièce 43 du palais de Pylos (pl. III-1). Elle est profonde de 43-45 cm, longue d’1,47 m. Malgré les inventeurs (Blegen, Rawson, p. 188 : cf. ici note 1), il est clair que ses dimensions permettaient une immersion totale en position allongée et qu’il ne s’agit nullement d’un « sitz-bad ».
5 Sur la création et la diffusion progressive de la cuve plate, peut-être avec des emprunts aux pratiques orientales, cf. Ginouvès, Balaneutiké, p. 32-44.
6 Sur ces baignoires sabots, cf. Ginouvès, Balaneutiké, p. 45, exemples auxquels on ajoutera celui du Monte Iato : H. P. Isler, Sicilia archeologica, 15, 1982, p. 17-18 et fig. 24-25.
7 Outre le sentiment de la contradiction qui résulte du fait de maintenir le corps dans une eau sale (cf. déjà Hippocrate, De Rat. Vict., 65 : cité dans Excavations at Olynthus, II, p. 47, note 26), s’ajoute le sentiment que l’immersion interdit la transpiration, considérée comme un des moyens majeurs de nettoyer la peau : cf. Athénée, I, 44 (24e), avec une citation extraite des Problèmes d’Aristote que l’on peut rapprocher, dans le texte que nous connaissons, de II, 2 (866b).
8 Ginouvès, Balaneutiké, p. 215-216.
9 Id., ibid., p. 216-224.
10 Id., ibid., p. 183 et note 5.
11 Id., ibid., p. 184.
12 Athénée mentionne les bains publics de Sybaris, cité détruite en 510 (XII, 518c et 519e : il s’agit de bains chauds). On notera une terre cuite du vie siècle provenant d’une tombe de la nécropole carthaginoise de Dermech. Longtemps interprétée comme un personnage dans une barque, elle représente en fait un baigneur assis dans une cuve plate à siège (Carthage-Kairouan, p. 56, n° 41). Ce document, dont on ignore s’il représente une scène relevant de la sphère publique ou privée, confirme de toute façon ce que nous soulignons ci-dessous, à savoir tant l’affirmation précoce des nouvelles techniques balnéaires que leur large diffusion dans le monde méditerranéen.
13 Il n’entre pas dans notre propos de nous livrer ici à une étude systématique des bains du ve-ive siècle. Parmi les constructions qui ont été fouillées, on notera plus particulièrement, en Grèce même, celles mises au jour sur les sites suivants :
– Olympie : E. Kunze et H. Schleif, IV. Bericht über die Ausgrabungen in Olympia 1940 und 1941, Berlin, 1944, p 32-39, 46-56 et 70-96 (cf. ci-dessous).
– Athènes, bains du Dipylon : K. Gebauer, H. Johannes, dans AA, 51, 1936, col. 211-212, et 52, 1937, col. 184-196. Les états successifs de cet établissement balnéaire appartiennent aux ve et ive siècles. Nous n’en connaissons guère qu’une tholos, qui devait abriter une couronne de cuves plates, une salle aux murs couverts de stuc rouge et des installations de chauffage situées au Sud-Ouest de ces deux locaux (pl. III-4).
– Corinthe, bains du centaure: C. K. Williams, Corinth 1975, dans Hesperia, 45, 1976, p. 109-115; Id., Corinth 1976, ibid., 46, 1977, p. 45-52. Ce monument, daté de la fin du ve siècle, est détruit vers la fin du ive siècle. Les cuves, si elles ont jamais existé, n’ont laissé aucune trace. Son décor mosaïqué constitue l’intérêt principal de cette construction.
– Colophon : ces bains attribués au ive siècle, et dont la fouille est inachevée, sont quasiment inédits : cf. BCH, 1922, p. 549. Cinq grandes salles, dotées d’aménagements hydrauliques, auraient été mises au jour. L’une, de plan rectangulaire, contient quatorze cuves plates (cf. Ginouvès, Balaneutiké, p. 186, note 7, avec mention de la maigre bibliographie, et p. 191).
En Occident, les cités grecques n’ont encore livré aucun édifice balnéaire attribuable à l’époque classique. En revanche, on remarquera avec intérêt que le site de Marzabotto, en Étrurie, a révélé l’existence d’un petit bain appartenant à un contexte qui ne serait pas domestique, mais artisanal. Il était en usage au ve siècle (Broise, Jolivet, Le bain en Étrurie, p. 80, avec bibliographie). De même, les bains de Stabies, à Pompéi, sur lesquels nous revenons ci-dessous, remontent à l’époque classique : H. Eschebach en place le premier état au ve siècle, le deuxième au ive-iiie.
14 H. Eschebach, Die stabianer Thermen in Pompeji, DAI, Berlin, 1979. Pour un commode résumé de ces importantes recherches et des questions qu’elles soulèvent, cf. Nielsen, Thermae, p. 26-28, en particulier sur le problème de savoir s’il faut attribuer le premier état au ve ou au ive siècle.
15 Nielsen, Considerazioni, p. 84-88, ou encore DeLaine, Observations, p. 117-119. Durant cette période III, la pièce II au moins, peut-être aussi la pièce III sont ajoutées au secteur balnéaire (pl. V-2). Comme le proposent ces deux auteurs, la présence de niches, murées par la suite, dans les parois de la pièce II permet d’y restituer une batterie de cuves plates. Dès la période II (ive-iiie siècle), les anciennes cuves (pl. V-1, n° 3) auraient été transformées en baignoires d’immersion. Le bain de propreté s’effectuait alors sans doute dans la pièce I, et il est possible que la création de la pièce II n’ait pas provoqué la destruction de ce dispositif, les nouvelles cuves s’ajoutant aux précédentes.
16 Nielsen, Considerazioni, p. 83-84.
17 Ce que souligne elle-même I. Nielsen dans sa publication ultérieure, Thermae, p. 26, note 6.
18 Une inscription, datant très probablement de la seconde moitié du ive siècle, témoigne à sa manière de ce phénomène : elle mentionne en effet un « garçon de bain » travaillant selon toute probabilité dans des bains publics et qui ne semble nullement être un esclave : cf. G. Masson, L’inscription relative aux condamnés à mort de Sardes, dans RÉG, 100, 1987, p. 222-239.
19 Ginouvès, Gortys, p. 145 (« vers le milieu du iiie siècle ») ; Id., Balaneutiké, p. 207, note 4 (« Il daterait (sic !) du milieu ou de la seconde moitié du iiie siècle »), mais, p. 185, note 5 (« ...datable du milieu du iiie siècle »).
20 Ce parti, relativement ambitieux, est probablement le fruit d’un remaniement appartenant sans doute au iie siècle, peut-être plus précisément à la fin de ce dernier (Ginouvès, Gortys, p. 108-111). La datation de cet embellissement contribue à rendre peu vraisemblable le fait que, au même moment, la tholos et toute la partie septentrionale du bâtiment seraient alors désaffectées : cf. ci-dessous, note 21.
21 J. DeLaine a émis l’hypothèse que, lors des remaniements effectués vers la fin du iie siècle, la tholos est désaffectée : les cuves seraient alors remplacées par les baignoires d’immersion, qui n’auraient pas existé auparavant (Observations, p. 122). En s’appuyant sur la publication des bains de Gortys due à R. Ginouvès, on est conduit inévitablement à objecter à cette démarche plusieurs données :
– Rien n’indique que les baignoires soient dues à un remaniement. Bien au contraire, si elles ne sont pas contemporaines de la création du foyer, il devient difficile de comprendre pourquoi l’étuve 5 n’a pas été placée plus près de ce dernier. De plus, les données archéologiques laissent penser que le pavement de 6, qui paraît cohérent avec les baignoires, appartient bien à l’état du iiie siècle (monnaie du ive-iiie siècle dans le mortier : p. 136).
– L’affirmation selon laquelle les cuves de la tholos seraient abandonnées lors du remaniement du foyer ne correspond en rien à la publication. Celle-ci affirme, au contraire, que la surélévation de la couverture du four ne rend pas la rotonde inaccessible, mais implique l’ouverture d’un nouvel accès (p. 65 et 70).
En fait, l’histoire architecturale des bains de Gortys proposée par J. DeLaine paraît avant tout fondée sur son désir de distinguer une manière occidentale originale de pratiquer le bain, l’immersion en étant la trait le plus caractéristique (Observations, p. 120). Dans cette optique, il lui importe d’abaisser la date de la construction des baignoires de Gortys.
22 L’état des vestiges rend leur interprétation délicate en ce qui concerne les parties hautes. En 5, la présence d’une « cheminée » reste hypothétique, encore bien plus celle d’« une chambre de chauffe verticale » (Ginouvès, Gortys, p. 73). En 4, le système de chauffe est en fort mauvais état dans sa partie orientale, et il est bien hasardeux de restituer à cet endroit une seconde « chambre de chauffe verticale » dont la présence serait d’ailleurs quelque peu contradictoire avec le désir d’imposer une circulation de l’air par l’Ouest (Gortys, p. 75-77). En revanche, un tirage en 2 apparaît indispensable. Il n’en subsiste rien si ce n’est, peut-être, un orifice triangulaire situé dans le couvrement du canal reliant 4 et 2, à son extrémité méridionale, et qui pourrait être un départ de cheminée. Cependant, comme le souligne R. Ginouvès lui-même, cette dernière serait alors bien curieusement placée, avant le dernier anneau de chauffage (Gortys, p. 77). Surtout rien ne permet d’affirmer que, par ce passage, les gaz remplissaient tout l’espace entourant l’abside.
Étant donné les informations disponibles, il nous paraît donc tout à fait excessif d’affirmer que l’étuve 5 était ceinturée sur presque toute sa circonférence par un « mur chauffant » (Ginouvès, Balaneutiké, p. 199), ou encore plus d’étendre ce principe aux trois « couronnes chauffantes » 5, 4 et 2 (p. 208).
23 Une liste des principaux vestiges, avec une courte notice, est donnée par R. Ginouvès dans Gortys, p. 157-162. Pour les découvertes postérieures, cf. par exemple Nielsen, Thermae, p. 6, note 7.
24 La recherche de R. Ginouvès citée à la note précédente permet de distinguer, parmi les établissements dotés de batteries de cuves plates, deux cas. Dans le premier, la pratique parallèle de l’immersion reste une hypothèse : Délos (bain de l’agora des Italiens), Qasr-Qarun, en Égypte, Érétrie (R. Ginouvès propose, à l’Est des deux rotondes équipées chacune de 21 cuves plates, la restitution d’une étuve et de baignoires d’immersion ; les exemples occidentaux étudiés ci-dessous invitent même à restituer une baignoire chaude collective ; cf. cependant P. Auberson, K. Schefold, Führer durch Eretria, Berne, 1972, p. 129, qui envisagent à cet endroit un bain froid, hypothèse que les éléments de comparaison disponibles rendent peu probable) et Oeniadae (d’après Yegül, Baths and bathing, p. 25 et bibliographie à la note 63, le bassin ne contenait peut-être que de l’eau froide, interprétation récusée par Ginouvès, Balaneutiké, p. 194, note 2).
Dans le second cas, les baignoires destinées à l’immersion sont encore en place, ainsi à Kôm en Negileh, Tell Atrib et Marsa-Matrouh, tous sites d’Égypte. Le bain de Cyrène doit être placé à part, dans la mesure où l’unique cuve longue semble due à un remaniement qui la substitua à deux cuves plates.
Il est clair que la place importante tenue dans cette liste par les bâtiments égyptiens est due et aux conditions de conservation des constructions et, sans doute, au long maintien de traditions balnéaires hellénistiques en ce pays.
25 Cf. même Ginouvès, Balaneutiké, p. 45-46 : « Les grandes baignoires ouvertes pour le bain par immersion sont, elles aussi, rares dans la période hellénistique... Après la période archaïque, le bain individuel par immersion semble n’avoir jamais été populaire dans le monde grec ». À Gortys, il souligne la disproportion numérique entre les neuf cuves plates et les trois baignoires profondes, ce qui est exact, et se demande si ces dernières ne témoignent pas de préoccupations médicales, supposition que rien ne fonde (p. 188).
26 Sur ces bains, cf. P. Orlandini, dans NSc, 1960, p. 181-202. Pour leur interprétation, cf. aussi et surtout Broise, Bain chaud, p. 23-24.
27 G. Vallet, F. Villard, P. Auberson, Mégara Hyblaea. Guide des fouilles, EFR, 1983, p. 49-60. Il faut désormais corriger et compléter cette description par les analyses d’H. Broise dans Bain chaud, p. 17-21.
28 Cette pièce est traditionnellement interprétée comme un local où était chauffée l’eau destinée aux cuves de la salle voisine : cf. Vallet et alii, ibid., p. 55-56, et encore De-Laine, Observations, p. 116 ou Nielsen, Thermae, fig. 3. À la suite d’H. Broise, il nous paraît nécessaire d’y reconnaître une étuve dont l’absence serait sinon surprenante : l’emplacement de la pièce et son rôle incontournable dans la circulation des baigneurs seraient en contradiction avec les caractéristiques d’un simple local de service. Reste que la rotonde devait être alimentée en eau chaude : peut-être cette fonction était-elle assumée par une chaudière placée sur le foyer de l’étuve.
29 De même, à Gortys, une petite cuve maçonnée, que R. Ginouvès interprète comme un pédiluve, est située à proximité immédiate des baignoires d’immersion.
30 Broise, Bain chaud, note 36.
31 L’identification de la piscine est solidement argumentée par H. Broise dans Bain chaud, p. 20. Il est intéressant de noter que J. DeLaine, tout comme pour l’établissement de Syracuse étudié ci-dessous, est parvenue de son côté à la même conclusion (Observations, p. 116).
32 G. Cultrera, Siracusa. Rovine di un antico stabilimento idraulico in contrada Zappalà, dans NSc, 1938, p. 261-301. Pour les données permettant une datation, cf. p. 298-301. Pour l’analyse du bâtiment, et en particulier l’identification de l’étuve et des piscines d’immersion, cf. Broise, Bain chaud, p. 21-23.
33 À titre de curiosité, et pour rester dans le cadre syracusain, on se rappellera l’anecdote de la découverte du principe fondamental de l’hydrostatique par Archimède à l’occasion d’un bain. Le récit le plus complet en est donné par Vitruve (IX, 9-12) : Tunc is, cum haberet eius rei curam, casu venit in balineum, ibique cum in solium descenderet, animadvertit quantum corporis sui in eo insideret, tantum aquae extra solium effluere (« Et le hasard fit que, avec ce souci en tête, celui-ci alla au bain, et là, descendant dans la baignoire, il remarqua qu’il s’en écoulait une quantité d’eau égale au volume de son corps, quand il s’y installait ». Traduction J. Soubiran, CUF, 1969).
Le contexte de l’épisode, puisque, tout à la joie de sa découverte, il bondit hors de la baignoire et nudens vadens domum, implique un bain par immersion dans un bâtiment public, ce que ne contredisent nullement les termes employés (balineum, solium). Cependant, cette opération doit-elle être placée dans une baignoire individuelle ou collective ? Contrairement à R. Rebuffat (Vocabulaire, p. 2, note 3), nous ne pensons pas que ce récit implique forcément la première solution : que l’on soit seul ou à plusieurs dans la baignoire, l’eau déborde de la même manière lorsque s’y plonge un nouveau baigneur, même si le phénomène est plus facile à observer dans le cadre d’une pratique solitaire.
L’anecdote est-elle apocryphe ? Rien ne le prouve. En tout cas, elle démontre au moins que, pour Vitruve, la pratique du bain par immersion au iiie siècle à Syracuse n’a rien qui puisse surprendre.
34 Cf. déjà les réflexions de R. Ginouvès dans Balaneutiké, p. 198-199 et p. 203-204.
35 Hypothèse avancée pour la rotonde 8 de Syracuse par H. Broise dans Bain chaud, p. 25.
36 Certains passages, mis en rapport avec l’étude des vestiges, confirment cependant l’association fondamentale du bain de propreté par affusion et du bain de délassement par immersion. Ainsi Polybe, XXX, 29, 2. Nous sommes au lendemain de la défaite de Persée à Pydna, en 168 ; Callicratès et Andronidas sont des partisans de Rome : « Le fait suivant montrera bien quelle aversion inspiraient Callicratès, Andronidas et toute leur faction. On célébrait à Sicyone la fête des Antigonies. Il y a dans tous les établissements de bain, outre les piscines communes, des baignoires particulières, dont se servent habituellement les élégants. Or, quand Andronidas ou Callicratès y étaient entrés, personne ne voulait y prendre leur place avant que le baigneur eût entièrement vidé la baignoire et l’eût de nouveau remplie d’eau propre ; on aurait cru se salir en se plongeant dans la même eau que ces gens-là » (trad. P. Waltz, Paris, 1921). Il semble donc bien que l’immersion se pratiquait, dans des baignoires collectives ou individuelles, après nettoyage du corps, opération qui n’est pas décrite par Polybe, soit qu’elle se fût effectuée auparavant dans un cadre privé, soit, plutôt, qu’elle l’eût été au sein même des bains publics, à l’aide de cuves plates individuelles dont la nature même n’intéressait pas le propos de Polybe. De fait, l’enchaînement nettoyage-immersion peut seule rendre compte de l’anecdote : l’injure faite aux partisans de Rome réside dans le fait que la succession des baigneurs dans une baignoire n’implique pas le renouvellement systématique de l’eau dans la mesure où l’utilisateur est propre. Ce document est commenté dans Ginouvès, Balaneutiké, p. 188, note 10 et p. 189, note 3.
Les textes confirment aussi une évidence, à savoir la diffusion des bains publics hors des cités proprement grecques, même si ce phénomène est encore mal connu archéologiquement. Ainsi, à Capoue, à la fin du iiie siècle, ces édifices sont attestés par la description des plaisirs qu’offre la cité et auxquels succombent les soldats d’Hannibal (Tite-Live, XXIII, 18 : balinea). Bien plus, lors de la défection de la ville, un épisode montre que ces bains pouvaient être fortement chauffés. En effet, des citoyens romains y sont enfermés et, du fait de la chaleur étouffante, y meurent de façon abominable : ubi (balneis), fervore atque aestu anima interclusa, foedum in modum exspirarent.
37 Cette structure des bains du iiie siècle nous paraît en mesure d’éclairer l’organisation de l’édifice balnéaire contemporain fouillé à Vélia : W. Johannowsky, Considerazioni sullo sviluppo urbano e la cultura materiale di Velia, dans La Parola del passato, 37, 1982, p. 243-246. Bien que les vestiges aient été largement entamés par l’érosion, on peut saisir la disposition d’ensemble du monument comportant, placés orthogonalement, d’une part un bain de propreté composé d’une tholos à cuves plates précédée par un local chauffé qu’il faut sans doute assimiler à une étuve, d’autre part une salle relativement ample (8 × 5,40 m), dotée d’un banc, d’une vasque et, surtout, d’une baignoire collective chauffée : on y reconnaîtra le bain de délassement.
38 Cf. ci-dessus, notes 14 et 15, et pl. V.
39 Contra Nielsen, Thermae, p. 8, pour laquelle l’immersion serait exceptionnelle en Occident.
40 Contra DeLaine, Observations, p. 120, pour laquelle l’identification de baignoires collectives chauffées par le sol dans les balanéia occidentaux montrerait que ces derniers sont le point de départ d’un développement autonome du bain grec en Sicile et Grande-Grèce aboutissant au « bain romain ». Inversement, tous les exemples orientaux seraient dépourvus d’« hypocauste » développé et de piscines d’immersion (p. 121).
41 J.-P. Morel, Kerkouane, ville punique du Cap Bon. Remarques archéologiques et historiques, dans MEFR, 81, 1969, p. 473-518, en particulier p. 494-517. Cf. aussi Fantar, Kerkouane, I, p. 63-79.
42 Fantar, Kerkouane, II, p. 326-329.
43 Fantar, Kerkouane, II, p. 336-337.
44 Fantar, Kerkouane, II, p. 116 ou 149.
45 Nielsen, Considerazioni, p. 89-94. J. DeLaine (Observations, p. 119-120) paraît admettre, dans ces nouvelles pièces, la présence d’hypocaustes dès le iie siècle, mais soit les associe à des cuves plates, deux données qu’il paraît difficile de combiner, soit envisage, pour le caldarium, des hypocaustes de type primitif, composés de canaux parallèles, chauffant des baignoires d’immersion. Tout ce raisonnement repose sur la théorie selon laquelle le bain « romain » s’ancre dans des réalités occidentales originales dès l’époque hellénistique, d’où le souci de démontrer que cet hypocauste pompéien, dont nous ne connaissons rien, dérive du modèle de Géla et non de celui de Gortys. Il n’existe strictement aucun argument susceptible d’étayer une telle démarche.
46 En attendant la prochaine publication, les informations essentielles sont données dans G. Barbieri, H. Broise, V. Jolivet, Musarna I. I bagni tardo repubblicani, dans BdA, 29, 1985, p. 29-38 ; Broise, Jolivet, Le bain en Étrurie, p. 89-92 ; Broise, Bain chaud, p. 29-31. Cet édifice peut éclairer l’organisation des bains de Crotone. Ces derniers, très mal connus, peuvent être datés du iie-ier siècle. On y retrouve, comme à Musarna, une pièce principale ornée d’une mosaïque nous donnant le nom des magistrats chargés de la construction. Cette pièce est équipée de banquettes, peut-être d’un labrum et, sans aucun doute, d’une baignoire d’immersion. Outre les locaux de service, les salles environnantes comprennent un vestibule et, probablement, un vestiaire et une étuve (NSc, VIII, supp. , 1911, p. 89-91).
47 Contra Broise, Bain chaud, p. 30. À Musarna même, on construit encore, au iie siècle, des bains de propreté de type traditionnel (cf. Broise, Jolivet, MEFRA 1993, p. 444 et 445, fig. 10 ; Id., ibid. 1994, p. 457 et 459, fig. 19). Dans un bâtiment interprété comme un marché, on a mis au jour un petit bain sans doute construit dans la seconde moitié du iie siècle et abandonné sous Auguste : il était soit public, soit, plutôt, réservé au personnel du marché. Le secteur proprement balnéaire se compose essentiellement de deux pièces. La première est dotée d’un foyer, qui devait fournir braises et eau chaude, et d’une aire pavée en béton de tuileau qui a pu servir à des opérations de nettoyage. La seconde, pavée d’un signinum et d’un spicatum, possède une cuve plate.
48 C. Fiorini, Edificio di età repubblicana in via Sistina, dans Quad. Top. Ant., 10, 1988, p. 45-57 ; Broise, Bain chaud, p. 28-29.
49 Contra Broise, Jolivet, Le bain en Étrurie, p. 79 et encore p. 94-95.
50 L’essentiel de la documentation concernant ces questions est réuni et analysé dans Ginouvès, Balaneutiké, p. 151-166.
51 Sur les représentations figurées de l’époque hellénistique, cf. Ginouvès, Balaneutiké, p. 166-174 ; sur les données archéologiques, p. 174-181.
52 Le site est présenté de façon synthétique dans R. Martin, L’urbanisme dans la Grèce antique, 2e éd., Paris, 1974, en particulier p. 110-113 et 227-231, ainsi que dans Greco, Torelli, Urbanistica. Il mondo greco, p. 262-267.
53 Dans les publications des fouilles, Excavations at Olynthus, sous la direction de D. Robinson, Baltimore, à partir de 1930, cf. en particulier II, 1930, p. 46-50 et fig. 136 ; VIII, 1938, p. 198-204.
54 G. Mylonas, The oecus unit of the Olynthian house, dans Excavations at Olynthus, XII, Baltimore, 1946, p. 369-398.
55 Le choix discutable de ce terme s’appuie essentiellement sur un passage de Vitruve décrivant la maison grecque (VI, 9, 2 : ... oeci magni, in quibus matres familia rum cum lanificiis habent sessionem) : cf. Mylonas, ibid., p. 385. R. Martin (op. cit. à la note 52) est donc imprécis lorsqu’il assimile l’oecus à l’ensemble cuisine et bain (p. 229, imprécision qui se retrouve p. 228, fig. 42).
56 Mylonas, ibid., p. 370 et 395.
57 Une remarque de ce genre, mais inversée, est faite à propos de Délos dans Excavations at Olynthus, VIII, p. 203 : la rareté des bains privés y est mise en relation avec l’existence d’édifices publics.
58 Aux parallèles cités dans les publications d’Olynthe (Priène, Délos), repris et complétés dans Ginouvès, Balaneutiké, p. 38-39 (Mycènes), on peut ajouter Delphes (R. Ginouvès, Une salle de bain hellénistique à Delphes, dans BCH, 76, 1952, p. 541-561), ainsi que des découvertes récentes, telles celles d’Érétrie où quatre grandes demeures possèdent un bain privé là aussi équipé d’une cuve plate et situé à proximité d’une cuisine (BCH, 94, 1970, p. 1105 ; ibid., 95, 1971, p. 1008 ; C. Dunant, Dossiers histoire et archéologie, 94, mai 1985, p. 58-64).
59 Un bel exemple d’une installation de ce genre est connu depuis longtemps à Sélinonte, dans le cadre de l’habitat de l’acropole (E. Gàbrici, Acropoli di Selinunte. Scavi e topografia, dans Monumenti antichi, 33, 1929, pl. XVIII, fig. 5). Toujours en Sicile, les maisons hellénistiques de Morgantina possèdent souvent une salle de bain dotée d’une cuve plate : cf. D. Crouch, The hellenistic water system of Morgantina, Sicily : contributions to the history of urbanisation, dans AJA, 88, 1984, p. 357.
Parmi les découvertes récentes, le site de Musarna a fourni, outre des bains publics, l’exemple d’une demeure de la fin du iiie ou du début du iie siècle (Broise, Jolivet, MEFRA 1992, p. 496) dotée d’une salle de bain équipée d’une cuve plate maçonnée (Id., MEFRA 1990, p. 477 et Le bain en Étrurie, p. 85).
60 Fantar, Kerkouane, II, p. 305-349. L’analyse qui suit est fondée sur les données fournies par ce dossier, auquel nous renvoyons en indiquant seulement la pagination.
61 La maison sise 9 rue de l’apotropaïon, dotée d’une cuve, ne couvre guère plus de 40 m2. Même si un escalier laisse penser qu’elle pouvait être munie d’un étage, il s’agit d’un habitat modeste.
62 2 rue des deux places (p. 323).
63 7 rue des artisans (p. 325) ; 4 rue du collecteur (p. 330) ; secteur de la porte Sud (p. 338).
64 21 rue de l’apotropaïon, p. 307.
65 Accoudoirs conservés au 43 rue de l’apotropaïon (p. 310), au 4 de la même rue (p. 312), au 2 de la rue du temple (p. 317), au 2 de la rue des artisans (p. 325), au 8 de la rue du collecteur (p. 330) et au 1 du quartier du boulevard (p. 335).
66 Cuves en grès : 12 rue de l’apotropaïon (p. 315), 5 rue des artisans (p. 324), 5 rue du collecteur (p. 329). Au 1 rue du verrier, un instrument de ce genre a été trouvé en remploi (p. 332 = Morel, MEFRA 1969, p. 480 et p. 481, fig. 8).
67 Absence de conduite de vidange : peut-être au 1 rue de l’apotropaïon (p. 306) ; apparemment aussi au 7, où une coupelle, aménagée classiquement à la partie antérieure de la cuve, facilitait la collecte des eaux (p. 307) ; probablement dans une des deux salles d’eau du 12 (p. 316) ainsi qu’au 5 de la rue du collecteur (p. 329). La présence d’une coupelle n’est pas un indice suffisant d’une vidange par écopage : ainsi, au 41 rue de l’apotropaïon où une canalisation traversant la paroi de la cuve part d’une écuelle de terre cuite encastrée dans le sol de celle-ci (p. 310).
68 Vasque : rue de l’apotropaïon, au 7 (p. 307), au 35 (p. 308), au 41 (p. 309), au 4 (p. 312), au 6 (p. 314) ; 3 rue des deux places (p. 321) ; 2 rue des artisans (p. 325) ; 1 rue du sphinx (p. 331).
69 Dans quatre cas (aux 4 et 7 rue de l’apotropaïon, au 2 rue des artisans et au 1 rue du sphinx), la vasque et la cuve sont reliées par une conduite de terre cuite ou un tuyau de plomb. Contrairement à l’hypothèse de M. Fantar (p. 312 ou encore p. 314 et 331), nous ne pensons pas que ce fait démontre que la vasque servait aussi à alimenter la cuve en eau propre. Dans le cadre d’un bain qui n’est pas d’immersion, cela présenterait peu d’intérêt. Sans doute ce dispositif n’a-t-il qu’un but purement technique, celui de permettre une vidange aisée de la vasque en utilisant pour ce faire l’évacuation de la cuve. Une forme de preuve nous paraît apportée par la salle d’eau du 6 rue de l’apotropaïon (p. 314-315), où, si nous comprenons bien la description, cuve et vasque, dotées chacune d’un tuyau de plomb, évacuent leurs eaux de vidange de façon autonome.
70 Cette salle de bain se trouve au 1 de la rue du sphinx (p. 331). A. Mahjoubi, L’architecture domestique à Kerkouane et la maison de « l’insula 1 », dans Africa, 5-6, 1978, p. 76-77, en propose une lecture différente puisqu’il assimile un des sièges à une cuvette. Les vestiges semblent plutôt imposer l’identification de deux sièges, placés à une hauteur différente.
71 6 rue de l’apotropaïon (p. 313).
72 4 rue du temple (p. 318 sq.). Les dimensions et l’organisation de la demeure ne sont pas telles que l’on puisse sûrement expliquer une telle situation par la coexistence de plusieurs familles (p. 339).
73 12 rue de l’apotropaïon (p. 315-316 et 342).
74 Il faut donc nuancer Broise, Bain chaud, p. 26 qui pense que le bain par immersion est l’apanage, au iiie siècle, des édifices publics et ne fait son apparition dans un cadre privé qu’au iie siècle, dans certaines riches demeures. L’exemple de Kerkouane montre que cette réalité est antérieure et ne concerne pas que des maisons luxueuses. Il est confirmé par le cas de la villa de Gammarth, dans les faubourgs de Carthage (cf. ci-dessous).
75 Foyer attesté rue de l’apotropaïon, aux 43 (p. 310), 45 (p. 311), 2 (p. 312), 6 (p. 314), sans doute au 10 (p. 315) ainsi qu’au 2 bis rue des deux places (p. 323).
76 Fantar, Kerkouane, II, p. 339-340. La cuisine, lors-qu’un local était réellement spécialisé dans cette fonction, apparaît d’ailleurs souvent difficile à identifier à Kerkouane. Dans de rares cas (1 et 10 rue de l’apotropaïon), on peut penser que le foyer situé contre la cuve se trouvait en fait dans la cuisine.
77 S. Lancel dir., Byrsa I, collection de l’EFR, 41, 1979, p. 228 et 233-235 ; Id. Byrsa II, 1982, p. 114-119. Sur ce quartier punique de Byrsa Sud, une commode synthèse a été rédigée par S. Lancel, La colline de Byrsa à l’époque punique, Paris, 1983.
78 Byrsa I, p. 142 et p. 141, fig. 47. Sur la couche d’où provient cet instrument, cf. p. 106 (couche 26). Pour une découverte antérieure du même genre, et au même endroit, cf. J. Ferron et M. Pinard, Les fouilles de Byrsa : 1953-1954, dans Cahiers de Byrsa, 5, 1955, n° 145 et pl. LXXVI : cuve plate avec siège et, semble-t-il, coupelle à l’avant, retrouvée dans la couche de destruction de la Carthage punique.
79 F. Chelbi, Découverte d’un habitat punique sur le flanc Sud-Est de la colline de Byrsa, dans CÉDAC, 3, 1980, p. 2939, en particulier p. 31-33 = Colloque AFN, I, p. 21-32.
80 Z. Ben Abdallah, M. K. Annabi, F. Chelbi, Découverte d’un quartier punique au Kram, dans CÉDAC, 3, 1980, p. 17-18 ; F. Chelbi, Quelques aspects de la civilisation carthaginoise à l’époque hellénistique, dans Cahiers des études anciennes, 16, 1984, p. 82 et fig. 8.
81 Situation soulignée par M. Fantar auquel nous devons les seules informations disponibles : À Gammarth avant la conquête romaine, dans Colloque AFN, I, en particulier p. 9-11 = Kerkouane, II, p. 17-19.
82 C’est la conclusion qui nous paraît découler des dimensions de l’installation, dénuée de siège, qui mesure 1,75 m de longueur, 0,90 m de largeur et 0,52 m de profondeur, cette dernière cote ne concernant sans doute que l’état de conservation des vestiges, et non la profondeur originelle.
83 CIS, 338. Cf. aussi M. Sznycer, Les sources épigraphiques sur l’artisanat punique, dans Colloque AFN, VI, p. 13-25, et en particulier p. 18 sur cette inscription, ou encore A. Ferjaoui, Fonctions et métiers de la Carthage punique à travers les inscriptions, dans Réppal, VI, 1991, p. 7186, en particulier p. 75. Des représentations de strigiles apparaissent peut-être sur des stèles de Carthage dès le iiie siècle av. n.è. : cf. C. Picard, Les représentations de sacrifice molk sur les stèles de Carthage, dans Karthago, 18, 19751976, p. 5-116, en particulier p. 8 et 91.
Sur la diffusion des strigiles dans un cadre comparable, à savoir l’Italie non grecque, et les questions parallèles qu’elle soulève, cf. le résumé de conclusions d’une table ronde par J.-P. Thuillier, Les strigiles de l’Italie antique, dans RA, 1989, p. 339-342.
84 Cf. les rapports de fouilles de H. P. Isler dans Sicilia archaeologica, en particulier 18, 1985, p. 19-21 ; 19, 1986, p. 39-46 ; 22, 1989, p. 17-19. Broise, Bain chaud, p. 26-27. Comme il est usuel, l’eau de la baignoire pouvait être directement vidangée sur le sol de la pièce.
85 Lafon, Bains privés, p. 102-112 ; Broise, Bain chaud, p. 27-28.
86 Le cas de la villa Prato n’est pas isolé. Ainsi, une baignoire, encore plus ample et aussi richement ornée, a été trouvée dans une villa de Ciampino, aux environs de Rome (pl. XII-3).
87 Cf. la notice d’H. Broise dans A. Carandini dir., La romanizzazione dell’Etruria : il territorio di Vulci, Milan, 1985, p. 64-70 ; Broise, Jolivet, Le bain en Étrurie, p. 85-88.
88 Cf. l’analyse de ce dossier dans Broise, Jolivet, Le bain en Étrurie, p. 81-83. De même, le recensement par E. Fabbricotti (Bagni, p. 35-39) des installations balnéaires sans hypocauste, attribuables au iie-ier siècle, montre la fréquente persistance d’un archaïsme, à savoir l’union de la cuisine et des bains.
89 Contrairement à certains chercheurs qui voudraient réserver le terme de sport à l’époque contemporaine, pour désigner des pratiques dans l’élaboration desquelles les Anglo-Saxons ont joué un grand rôle, nous n’hésiterons pas, comme bien d’autres auteurs, à l’utiliser pour l’Antiquité. En effet, pour un historien, il est évident que chaque époque présente ses spécificités et il n’y a donc guère d’inconvénient à utiliser les mêmes mots tant que les réalités ainsi désignées se recoupent suffisamment. Aristocrate, maison, temple, morceau de pain, tout cela diffère d’un contexte à l’autre mais l’emploi d’un même mot présente l’avantage de souligner que les réalités changeantes qu’il recouvre s’articulent cependant étroitement entre elles. Une rigueur excessive interdirait de parler de l’Antiquité gréco-romaine autrement qu’en grec ou en latin. Au demeurant, l’utilisation du terme « sport » pour le monde gré-co-romain attire utilement l’attention sur les remarquables point communs qui existent entre les pratiques antiques et contemporaines.
90 Pour l’analyse qui suit, nous empruntons largement, en les synthétisant d’une manière qui n’engage que notre responsabilité, aux ouvrages classiques d’H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, nelle éd., Paris, 1965, et de Delorme, Gymnasion.
91 Cette évolution n’est cependant pas aussi uniforme qu’on a pu le croire : cf. Ph. Gauthier, M. B. Hatzopoulos, La loi gymnasiarchique de Béroia, Melethmata, 16, Athènes, 1993, p. 173-176 : cette loi, datée du début du iie siècle av. n. è., atteste l’absence d’activités intellectuelles dans ce gymnase macédonien et, inversement, l’importance des disciplines athlétiques et militaires.
92 Sur la palestre, qui peut être soit une partie du gymnase, soit un édifice autonome n’accueillant que certaines activités sportives, cf. Delorme, Gymnasion, p. 253-271.
93 Marrou, ibid., p. 154-157 ; Ginouvès, Balaneutiké, p. 146.
94 Ginouvès, Balaneutiké, p. 124-129. L’athlète se nettoie directement à la fontaine ou, le plus souvent, grâce à des vasques : vasque ronde sur pied, cuvettes transportables. Un état évolué de ce type de bain en plein air est illustré par le gymnase de Delphes, dont la construction peut être placée autour de 330 (J.-F. Bommelaer, Guide de Delphes. Le site, EFA, 1991, p. 72-79). Il occupe pour l’essentiel deux terrasses superposées (pl. XIII-1). La terrasse supérieure comprend un xyste, portique de plus de 185 m de longueur abritant une piste de course longée par la paradromis, la piste à ciel ouvert. La terrasse inférieure comporte une palestre et ses annexes flanquées, au Nord, d’un bain en plein air (pl. XIII-2). Contre le mur de soutènement de la terrasse supérieure, dix vasques sont disposées sur des piédroits et alimentées en eau par une conduite. Ce dispositif est complété par une grande piscine circulaire cernée de gradins, de plus de 10 m de diamètre et d’au moins 1,90 m de profondeur.
95 Le gymnase de Délos permet de confronter des vestiges et des textes, en particulier des inventaires du milieu du iie siècle av. n.è. qui nous font connaître, entre autres salles, l’existence de deux vestiaires et d’un loutron équipé de trois cuves montées sur piédroits. L’articulation de ces données de nature diverse reste cependant délicate. La pl. XIII-3 résume les hypothèses de J. Audiat, Le gymnase de Délos et l’inventaire de Kallistratos, dans BCH, 54, 1930, p. 95-130. Elles sont commentées et confrontées aux recherches de R. Vallois dans Delorme, Gymnasion, p. 151-153. Les discussions ne sont évidemment pas closes : cf. en particulier J. Tréheux, Une nouvelle lecture de l’inventaire du gymnase à Délos, dans BCH, 112, 1988, p. 583-589 (qui propose par exemple d’intervertir exédrion et apodytérion) et les remarques de Ph. Bruneau, BCH, 114, 1990, p. 576-581.
Toutefois, ces débats ne concernent pas le bain que tous les auteurs s’accordent à placer dans le local, pavé de briques, de l’angle Nord-Ouest (cf. aussi Ph. Bruneau et J. Ducat, Guide de Délos, EFA, 1965, p. 127). L’inventaire de Kallistratos précise : « Dans le loutron, trois cuves surélevées... » (Audiat, ibid., p. 100).
96 Delorme, Gymnasion, p. 304-311 ; Ginouvès, Balaneutiké, p. 129-133. Dans certains cas, la salle de bain est équipée de pédiluves.
97 Sur ces piscines, outre l’exemple de Delphes, cf. Delorme, Gymnasion, p. 311-312 ; Ginouvès, Balaneutiké, p. 133-135.
98 Delorme, Gymnasion, p. 312-315, mais ni les textes ni les vestiges, s’ils attestent l’existence d’un chauffage, ne nous paraissent permettre d’en saisir la nature exacte, et en particulier de parler de « bain de vapeur ». Que certains locaux chauffés aient été humides est une chose, qu’il se soit agi de la technique du bain de vapeur en est une autre. Le local chauffé de la « palestre du lac », à Délos (p. 156159), au demeurant bien tardif, possède des aménagements qui n’impliquent pas obligatoirement la technique de la production de vapeur par jet d’eau sur des pierres chauffées, acte qui, de toute façon, ne suffit pas à caractériser un véritable bain de vapeur (nous revenons sur ce point essentiel ci-dessous). On notera d’ailleurs que, si les bains publics offrent des locaux qu’il faut très probablement considérer comme des étuves, les informations en notre possession laissent penser qu’elles étaient sèches.
Cette question des locaux balnéaires chauffés dans les gymnases est également traitée par R. Ginouvès (Balaneutiké, p. 135-144). Il souligne que de telles installations ne sont pas attestées avant le iiie siècle ; qu’elles sont souvent étroitement liées à l’onction d’huile, laquelle s’effectuait volontiers avec un produit chaud ; qu’elles sont aussi le moyen, par une transpiration intense, d’achever le nettoyage de la peau et d’améliorer la sensation de bien-être ; que les vestiges archéologiques ne permettent guère d’en reconnaître le fonctionnement.
Le gymnase d’Érétrie ne possédait initialement qu’un bain froid équipé de vasques. Lors de la reconstruction du IIe siècle av. n.è., ce loutron fut agrandi : il comportait dès lors trois pièces, des pédiluves complétant les vasques. Surtout, on construisit, à l’écart du bain froid, une tholos, très probablement voûtée, accessible par une porte étroite. Cette rotonde, d’environ 10 m de diamètre et chauffée de l’intérieur, doit être considérée comme une étuve (P. Auberson, K. Schefold, Führer durch Eretria, Berne, 1972, p. 99-104).
Le document exceptionnel que constitue la loi gymnasiarchique de Béroia fournit des informations sur l’existence d’un bain dans le gymnase (Gauthier, Hatzopoulos, op. cit. note 91, p. 128-129). Elles restent cependant fort sommaires. Sur la première face, la mention de « fourniture de bois » en un passage devenu indéchiffrable se rapporte peut-être au chauffage du bain. Sur la seconde face, il est précisé que « celui qui a acheté le revenu du gloios assurera le service de gardien de la palestre... ». Comme l’ont montré J. et L. Robert (Bull. ép., 1978, p. 434-435), le gloios est un « mélange d’huile et de sueur et crasse que l’on râclait avec le strigile », mélange susceptible d’utilisations diverses (les auteurs citent des textes attestant la vente de ces râclures d’huile, en particulier dans un but médical). Ce détail nous fait certes entrevoir l’existence d’un lieu de décrassage pour les athlètes, ce qui est la moindre des choses dans un gymnase. En revanche, il ne nous donne aucune indication précise sur la nature de ce bain. En particulier, et contrairement à ce qu’écrivent J. et L. Robert, il est totalement improbable que le gloios pouvait être recueilli alors qu’il « surnageait dans le bain » : une telle remarque suggère un bain d’immersion dont il est impensable, s’il avait jamais existé, qu’il eût été accessible à des athlètes encore sales.
99 M. Luni, Documenti per la storia della istituzione ginnasiale e dell’attività atletica in Cirenaica, in rapporto a quelle della Grecia, dans Quaderni di archeologia della Libia, 8, 1976, p. 223-284. On notera que chars et cavaliers de Cyrénaïque brillent, tout comme leurs collègues numides, dans les différentes compétitions (p. 272), mais les succès de cette région débordent cette spécialité et sont aussi attestés dans le domaine de l’athlétisme.
100 Théophraste, Caractères, XXVII, 14, cité par R. Ginouvès, Balaneutiké, p. 219. À notre avis, il faut aussi prendre en considération un passage d’Athénée (VIII, 348e) décrivant, dans les bains de Pella, des jeunes gens se livrant à des exercices. Ph. Gauthier et M. B. Hatzopoulos (op. cit. note 91, p. 159) considèrent comme évident qu’il s’agit du bain du gymnase. Le contexte de l’anecdote nous semble, au contraire, désigner des bains publics (cf. aussi Ginouvès, Balaneutiké, p. 201, note 4).
101 Delorme, Gymnasion, p. 445 et 457-458.
102 Il n’est pas exclu que des gymnases aient utilisé des espaces publics, de grandes artères pouvant par exemple servir de pistes de course. J. Delorme (Gymnasion, p. 450) signale un passage d’Aristote qui démontrerait clairement que la localisation de gymnases à proximité de l’agora aurait aussi eu pour but de fournir à ces établissements des espaces utiles pour les activités physiques. Le raisonnement pourrait également valoir pour les bains de Mégara. Malheureusement, l’interprétation du texte (Pol., VII, 12, 4-5 (1331a) et non VII, 11, 2) est visiblement forcée : il n’y est pas dit que l’installation de gymnases propres aux adultes près de l’agora permettra à ces derniers de s’y exercer mais seulement qu’un tel parti contribuerait à accentuer le charme d’une place dite « agora libre », par opposition à l’agora livrée aux activités économiques. Sans être exclue, l’interprétation de J. Delorme ne paraît donc pas réellement confortée par ce texte d’Aristote.
103 Contra Nielsen, Considerazioni, p. 82-84.
104 Théophraste nous confirme un aspect de ce nouveau type de sociabilité qui trouve son siège dans les bains publics lorsqu’il décrit « le nouvelliste » y provoquant un rassemblement de gens attirés par ce colporteur, et inventeur, de nouvelles (Caractères, VIII, 11). Une confirmation semblable se trouve indirectement dans Les nuées d’Aristophane où « le raisonnement injuste » glorifie les bains qui se remplissent de jeunes gens y venant bavarder, tandis que les palestres restent vides.
105 Cette unité est si forte qu’elle vaut aussi pour les bains privés, comme nous avons pu le constater en analysant Olynthe et Kerkouane ou l’évolution ultérieure de ces installations. La méconnaissance de cette réalité conduit à de curieuses analyses cherchant, faute de reconnaître la matrice unique, à démêler des jeux d’influences. Un exemple en est fourni par H. P. Isler (Sicilia archaeologica, 19, 1986, p. 44) qui, étudiant le bain de Monte Iato, repère une vraie salle de bain de tradition grecque empruntant des détails techniques appartenant au monde punique. Outre que ces détails techniques (à savoir une prétendue alimentation des cuves ou baignoires par l’intermédiaire de bassins) sont, à notre avis, l’objet d’une interprétation erronée, cette démarche consiste à méconnaître les points communs fondamentaux qui unissent les salles de bain grecques et puniques. La position de la Sicile, île politiquement gréco-punique, ne justifie pas une telle approche qui privilégie sans raison de prétendus particularismes régionaux.
106 L’exemple de Scipion l’Africain est révélateur. Romain s’il en est, ce haut personnage ne se contente pas de fréquenter les palestres grecques. Sa villa de Liternum est dotée d’un bain, et la description que Sénèque en fait (Lettres à Lucilius, XI, 86, 4-12) ne doit pas nous abuser. X. Lafon (Bains privés, p. 100) a raison, nous semble-t-il, de souligner qu’il ne faut pas en garder une impression purement négative. La modestie de ce balneolum n’est que relative : Sénèque ne la met en avant que pour stigmatiser la fugacité des modes et les errements de son époque. En revanche, on ne peut nullement en déduire que le bain de Scipion était rustique à son époque. Au contraire, tout comme l’ensemble de la villa, il représentait sans doute ce qui se faisait de mieux dans le domaine italique et occidental, à l’image de son propriétaire.
107 Nielsen, Considerazioni, p. 84.
108 Ead., ibid., p. 88.
109 Sur le pyriatèrion, cf. Delorme, Gymnasion, p. 312- 315 (mais aucune des données invoquées n’implique de façon contraignante l’idée d’« étuve à vapeur »). Sur le problème général du vocabulaire antique, cf. Nielsen, Thermae, p. 153 sq.
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