Chapitre 3 - “Le vin et l’argent”
p. 101-132
Texte intégral
L’activité de prêt sur gage des bastioni et des osterie
Les osti et les taverniers de cette ville ont la licence, et la liberté de prendre, et de recevoir des gages de ceux qui auront mangé et bu dans leurs osterie et tavernes, en pouvant aussi leur prendre le manteau, et plus encore1.
Entre crédit et consommation
1Bortolo Bodai était un orfèvre de Mestre qui vivait depuis environ 30 ans dans la calle de la Pietà, dans le sestiere vénitien de Cannaregio. À quelques pas de sa maison, dans l’actuel Rio Terà dei Biri, se trouvait le bastione dei Biri, où il se rendait régulièrement pour acheter du vin et passer quelques soirées entre amis. Bortolo n’avait pas beaucoup d’argent et manquait souvent de liquidités : il avait donc engagé, au cours des deux derniers ans et demi, six ou sept objets, une stratégie qui lui avait permis de maintenir ses niveaux de consommation. Il avait ainsi pu faire face à une série de petites dépenses, principalement liées à la consommation de nourriture et de vin dans le bastione et également à l’achat de vin destiné à la consommation domestique. De plus, il avait perdu de l’argent en jouant aux cartes avec Iseppo Dal Prà, chef de ce bastione, qui lui avait également prêté 50 livres vénitiennes en espèces. Au total, sa dette s’élevait à environ 160 livres vénitiennes2. Il ne s’agit pas d’une somme importante, surtout si l’on considère qu’elle s’était accumulée sur une période relativement longue3.
2Cette histoire nous est parvenue car, à cause de ses difficultés économiques, cet homme avait dû trouver un moyen de survivre et s’était montré capable d’exploiter de façon créative les compétences associées à sa profession. Plus précisément, Bortolo avait engagé en garantie de ses prêts deux cuillères, deux fourchettes, deux manches de couteaux et quelques barres qu’il prétendait être d’argent, mais qui en réalité étaient « en pur métal » et ne couvraient même pas un dixième de la dette totale. Iseppo Dal Prà avait été convaincu de l’authenticité des objets parce qu’ils portaient tous la marque attestant qu’ils étaient en argent véritable (« le signe de l’échelle ou bien de la scie »), qui avait probablement été gravée par Bodai lui-même. Son expédient, cependant, n’avait pas duré longtemps, parce que le 20 mars 1760, Domenico Bettini, capitalista et investisseur du bastion de Biri, se présenta devant le notaire et l’Inquisiteur de la Giustizia Nuova dénonçant l’orfèvre pour fraude. Les magistrats, ayant constaté le délit, estimèrent sa dette résiduelle à 140 livres vénitiennes et, étant donné que Bodai n’avait aucune possibilité de la rembourser immédiatement, ils établirent qu’il devrait la payer par tranches de 2 livres par semaine.
3Au-delà des aspects spécifiques liés au procès, cette source est particulièrement intéressante pour comprendre la nature des relations qui existaient entre la population pauvre vénitienne et les osterie et les bastioni de la ville. Ces derniers jouaient un rôle clé dans la société en fournissant un service de crédit à la consommation qui pouvait parfois prendre la forme d’un troc. La particularité et la force de ce circuit résidaient dans sa nature “mixte” : l’on y engageait des objets pour acheter du vin et de la nourriture, pour avoir de l’argent ou pour payer des dettes d’un autre type, comme l’argent que Bortolo avait perdu en jouant aux cartes. Dans aucun autre circuit du crédit, l’argent et les produits de base n’étaient unis par un lien aussi étroit et avantageux. De cette façon, osti et bastioneri devinrent des figures centrales dans l’ensemble de l’économie de la ville, à la fois prêteurs et fournisseurs de produits de première nécessité. Ils établissaient des relations humaines et commerciales stables et continues avec leurs clients (généralement les habitants de la paroisse où se trouvait le bastione ou l’osteria) selon une logique de compte toujours ouvert (ou paiement à l’ardoise), au sein desquelles les deux actions de crédit et de consommation se mêlaient en une. De plus, ils constituaient un point de référence également si l’on avait besoin d’argent liquide pour d’autres nécessités.
4Dans cette histoire, le rôle principal a sans doute été joué par les bastioni car, tandis que les osterie étaient regroupées dans les “îles” de San Marco et Rialto, ils étaient répartis dans les différentes paroisses de la ville, formant un véritable réseau de centres de micro-crédit. Les bastioni, à l’instar des puits et des boulangeries, étaient des établissements constitutifs de la vie de chaque paroisse, au centre de la routine quotidienne4. Ce n’était pas simplement de “petits” mont-de-piété ou des banques juives, puisqu’ils offraient un éventail de services différents qui pouvaient satisfaire la plupart des besoins de base de la population vénitienne. En plus du besoin d’argent, nous devons considérer que dans ce contexte – on l’a déjà vu dans les premiers chapitres – le vin était un produit de première nécessité soumis à une demande inélastique (qui ne varie pas en fonction des conditions du marché), un élément fondamental de l’alimentation quotidienne et particulièrement demandé par les couches pauvres5. Le fait qu’osti et bastioneri jouaient à la fois le rôle de prêteurs et de fournisseurs de biens de base était d’une importance fondamentale, un élément qui doit être pris en compte dans l’analyse de ce circuit du crédit, surtout si l’on se concentre sur les aspects les plus “techniques”, tels que le taux d’intérêt requis sur les prêts ou celui du volume total du crédit accordé. Mais commençons par le début.
Origines et mécanismes
5Alors que les villes devenaient des centres économiques qui commençaient à attirer de plus en plus les gens de la campagne, un besoin croissant de crédit à bon marché chez une nouvelle classe pauvre se heurtait à une société dans laquelle l’argent circulait en quantités relativement faibles. Ceux qui avaient des réserves d’argent liquide préféraient habituellement les investir dans des transactions où le risque était compensé par une rentabilité élevée, plutôt que de tenter leur chance en s’engageant dans une série infinie de petites transactions aléatoires. Avant les institutions publiques, ce sont les particuliers qui ont répondu à ce besoin de crédit, précisement ceux qui, même s’ils n’avaient que de petites réserves de liquidités, avaient des contacts quotidiens avec la classe pauvre en raison de leur profession, comme les osti, les commerçants et les aubergistes. Ils étaient devenus les premiers fournisseurs de petits crédits à la consommation6.
6Dans les communautés rurales, l’oste a toujours été l’une des figures de référence en raison de la centralité de son magasin dans la vie communautaire et du fait que, grâce à son activité, il pouvait souvent se vanter de figurer parmi les hommes les plus riches du village. Pour répondre aux besoins les plus pressants ou pour de petits prêts, il était normal de s’y rendre pour mettre en gage des objets de faible valeur et d’usage quotidien7. Ce n’est donc pas un hasard si le centre de ce circuit de crédit était précisément les osterie et, seulement ensuite, les bastioni : le caractère extraordinaire du cas vénitien, cependant, tient à ce que le gouvernement de la ville avait décidé de réglementer et de placer cette activité au sein d’un cadre institutionnel plutôt que de la réprimer ou simplement de la tolérer avec indifférence. Il n’est toutefois pas facile d’établir quelles en étaient les raisons.
7La loi citée à l’ouverture du chapitre, rapportée dans les statuts (la mariegola) du consortium des bastioneri, est probablement la première référence à l’activité de crédit des osterie. Malheureusement, comme pour tout mystère qui se respecte, la clé ne nous est pas donnée, car aucune date n’est indiquée. En bas, on trouve une référence à un parchemin – bergamina en vénitien – probablement perdu, mais le type de support est en soi indicatif de son ancienneté.
8La première référence datée se trouve dans une loi du 29 avril 1368, dans laquelle les Giustizieri Nuovi établissaient que « aliqui hospes, sive tabernarius de cetero non possit, nec debeat facere credentia de vino alicui persone a soldis centum supra sine pignore ». Les osti étaient donc obligés de demander un gage aux clients qui achetaient plus de 100 sous de vin à crédit8. Cependant, la première indication explicite concernant la garde des objets engagés et les règles à respecter pour leur vente aux enchères remonte à quelques années plus tard, précisément au 2 avril 1388. Cette norme établissait qu’aucun oste ou tavernier ne pouvait vendre les objets engagés avant de les avoir présentés à l’officio (la magistrature) de la Giustizia Nuova. De plus, ils étaient obligés de déclarer tous les objets qu’ils détenaient dans leurs entrepôts à ce moment-là. Il était également précisé qu’au moment de la vente des objets, tout revenu excédant la valeur de l’estimation – donc le montant déboursé sur les prêts – devrait être restitué aux débiteurs, en tant que propriétaires initiaux des biens vendus9.
9Le contenu de cette dernière règle est très important, car il confirme qu’à cette époque les osterie étaient déjà officiellement prêteurs sur gage (dans ce cas, il est probable que le tavernier n’était pas le propriétaire d’une taverne mais simplement celui qui s’occupait de la cave d’une osteria). Nous savons donc avec certitude qu’à l’époque, il existait une réglementation relative à ce circuit du crédit, qui le plaçait au sein d’une structure organisée et contrôlée par la République. En effet, il ne s’agissait pas de règles qui concernaient simplement le fait que les osti puissent ou non demander une garantie sur le vin vendu à crédit ou sur l’argent prêté, mais d’interventions qui réglementaient un système déjà structuré, prévoyant une garde correcte des objets et leur vente à travers des enchères publiques. Cela est encore plus étonnant si l’on considère que la première condotta qui avait autorisé le prêt sur gage à Venise avait été stipulée seulement six ans plus tôt (1382) et que le premier mont-de-piété naîtrait à Pérouse plus de 70 ans après (1462)10.
10Au fil du temps, d’autres règles ont été établies pour rendre le système plus efficace et pour assurer l’intérêt des pauvres qui utilisaient ce circuit de crédit. Entre 1442 et 1443, par exemple, il a été décidé que les osti devraient déclarer chaque mois les stocks de gages dans leurs entrepôts et, au cours du XVIe siècle, de nouvelles normes ont été introduites afin de régir leur bonne conservation. Entre 1502 et 1511, diverses interventions ont été effectuées dans le but d’élargir le cadre réglementaire concernant l’organisation des enchères publiques, passant d’un à deux incanti – mot vénitien qui indique en général des ventes publiques – chaque mois (3 jours au milieu et 3 jours à la fin)11.
11Le fonctionnement de ce circuit de crédit était très simple, tout à fait comparable à ce qui se passait dans une banque de prêt sur gage – juive ou chrétienne – et, quelques années plus tard, dans un mont-de-piété. Ceux qui voulaient obtenir de l’argent à crédit allaient dans une osteria ou un bastione et y déposaient un objet, dont la valeur constituait la base pour déterminer le montant total de la transaction. Après cela, le débiteur disposait d’un certain délai pendant lequel il pouvait restituer l’argent avec les intérêts et racheter son objet : dans le cas contraire, ce dernier était vendu aux enchères afin que le créancier puisse récupérer le montant qu’il avait investi dans l’opération. Naturellement, pour se protéger, le créancier accordait un prêt d’une valeur inférieure à celle du gage (habituellement environ la moitié ou les deux-tiers), de manière à disposer d’une marge suffisante pour couvrir d’éventuels erreurs d’évaluation et amortir les dommages dus à l’usure. Il faut considérer, en effet, que plus d’un an pouvait passer entre la date d’engagement et la vente aux enchères, et certains objets – en particulier les textiles – pouvaient donc se détériorer en partie.
12Plusieurs raisons ont conduit la République à autoriser et à réglementer le rôle de prêteurs des osti – et, plus tard, des bastioneri – dont certaines apparaissent dans une loi émise par le Collegio dei Sette Savi le 26 octobre 1531. Celle-ci précisait qu’il fallait prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les clients puissent continuer à se rendre dans les osterie pour leur consommation. Une activité de crédit “traditionnelle” avait probablement été officialisée également dans le but de stimuler la consommation d’une boisson – « les bastioneri et les osti reçoivent les gages des pauvres pour faciliter la vente de leur vin » – dont dépendait un important afflux d’argent dans les caisses publiques12.
13Ce fut cette raison qui incita les magistrats vénitiens à produire un important cadre réglementaire pour protéger à la fois les débiteurs et leurs objets. La crainte de ne pas pouvoir reprendre possession de leurs biens était, selon les Savi, l’une des principales raisons qui, par le passé, avait découragé les potentiels clients de mettre en gage leurs biens dans les osterie. Ils avaient donc veillé à ce que les débiteurs aient la certitude de pouvoir racheter leurs biens et, surtout, de les retrouver dans le même état qu’au moment où les avaient mis en gage. L’objectif était d’éliminer le sentiment d’incertitude qui avait dissuadé les particuliers d’utiliser ce service, provoquant une contraction de la consommation de vin et une réduction des revenus publics. Il était donc absolument interdit aux osti et aux bastioneri d’utiliser les gages ou de les vendre en privé ; à cet égard les Savi avaient été clairs en précisant que si un objet n’était pas retrouvé ou était abimé, la responsabilité leur en incomberait entièrement. Dans ce cas, les créanciers devraient non seulement indemniser le débiteur de la valeur réelle de l’objet – qui serait établie à partir d’une simple attestation sur l’honneur du propriétaire d’origine – mais ils devraient aussi payer une amende de valeur égale, dont la moitié serait versée au débiteur et l’autre moitié au Collegio dei Sette Savi lui-même13.
14Si les raisons de l’activité de prêt sur gage étaient principalement économiques, il faut considérer aussi l’existence de certains aspects sociaux liés au soutien de la population pauvre. Citant directement le Collegio dei Sette Savi, « de la clémence publique a été ... tolérée la mise en gage d’objets dans les bastioni et les osterie dans le seul but que les pauvres puissent faire face à leurs misères quotidiennes »14. Ou encore, de l’aveu même du Maggior Consiglio, « la très importante question des gages, qui pour les aider dans leurs malheurs quotidiens sont engagés par les pauvres dans les bastioni et osterie ... a toujours été un des objectifs plus important de la charité [publique] » et donc, comme il ressort clairement et à plusieurs reprises des sources, les pouvoirs publics essayaient toujours d’intervenir « avec les lois les plus sacrées afin que les pauvres ne fussent jamais frustrés de leurs misérables avoirs »15.
15Au fil du temps, les Savi intervinrent plus profondément encore sur le cadre réglementaire régissant l’activité de prêt. En effet, ils réalisèrent que les “anciennes” règles n’étaient plus suffisantes pour gérer et assurer le bon fonctionnement de ce qui était probablement devenu une activité beaucoup plus importante qu’au siècle précédent16. La loi du 21 mars 1603, établit l’obligation de tenir un registre dans lequel le numéro de chaque gage devait être enregistré avec une brève description de l’objet, le nom et prénom du débiteur, la date à laquelle l’opération avait eu lieu et la somme d’argent prêtée17. En même temps, il fallait remplir un bulletin qui devait être attaché aux gages afin d’éviter que les objets ne soient échangés, de rendre leur identification plus rapide et de pouvoir organiser les entrepôts de façon plus efficace. À partir du 26 septembre 1630, un deuxième bulletin fut introduit, utilisé comme un reçu par le débiteur lorsqu’il voulait racheter ses objets ou toucher les surplus provenant de leur vente aux enchères18. Les bulletins étaient des tickets pré-imprimés « avec l’image de Saint Marc » (donc des documents publics) que la Giustizia Nuova donnait aux osti et aux bastioneri, et qui devaient contenir les mêmes informations que celles indiquées dans le registre. La procédure de rachat des gages prévoyait qu’une fois la dette payée, les deux billets – celui du débiteur et celui attaché au gage – devaient être couplés et remis au moment des enchères au masser, un des officiers de la Giustizia Nuova, de sorte qu’il soit possible d’effectuer des vérifications croisées. En plus de ceux-ci, les osti et les bastioneri devaient également livrer leurs registres, afin que le masser puisse les mettre à jour en indiquant les gages effectivement vendus pendant les enchères.
16Il s’agissait donc d’un système qui, au fil des siècles, tendait à devenir de plus en plus complexe. Cette bureaucratisation croissante était le résultat d’un processus mis en œuvre par la Giustizia Nuova et les Sette Savi, visant à contrôler plus efficacement chaque phase de l’activité de crédit de bastioneri et des osti, afin d’éviter les fraudes contre les citoyens et la République.
Le revers de la médaille : les enchères publiques
17Les objets qui n’étaient pas rachetés par leurs propriétaires, comme on l’a vu, étaient vendus aux enchères publiques. Pour pouvoir y participer, osti et bastioneri devaient obtenir une licence auprès de la Giustizia Nuova, qui donnait l’autorisation de procéder aux cride19. Il fallait pour cela se rendre dans l’église de la paroisse où était situé leur magasin et, avant la messe, faire savoir à toutes les personnes qui y étaient réunies que, dans un mois à compter de ce jour, tous les gages qui n’auraient pas été rachetés d’ici là seraient vendus. La même opération devait être effectuée devant le bastione ou l’osteria et, enfin, huit jours avant la vente aux enchères, il fallait placer au-dessus de la porte d’entrée une planche en bois qui précisait le temps restant avant l’enchère20. Les débiteurs avaient au moins trois mois pour reprendre possession de leurs objets (deux mois avant et un après la crida), mais les osti et les bastioneri étaient tenus d’organiser au moins une vente aux enchères tous les six mois (théoriquement, le temps disponible pour le rachat des gages était donc plus long)21.
18Au fil du temps, les Sette Savi avaient également essayé d’organiser plus efficacement le déroulement des enchères publiques et de définir les fonctions de chaque membre de la Giustizia Nuova qui devait y participer. Le masser, personnage clé et responsable dans ce domaine, était chargé de superviser l’ensemble de l’activité, assisté d’un caissier responsable de gérer l’argent découlant des ventes et d’un scribe qui enregistrait chaque transaction en indiquant le nom et prénom de l’ancien propriétaire du gage et de l’acheteur, une brève description de l’objet, la valeur du crédit déboursés pour celui-ci et le montant obtenu de sa vente. Il y avait aussi un comandador, qui peut être considéré comme l’équivalent du commissaire-priseur moderne, s’occupait directement de la vente des objets en les montrant au public et en recevant les offres. À la fin des enchères, il devait également noter et communiquer au notaire de la Giustizia Nuova les bastioni et les osterie ayant participé aux enchères et ceux qui avaient postulé pour pouvoir effectuer les cride.
19Les enchères commençaient à l’heure de tierce (9 heures du matin) et se poursuivaient jusqu’à midi, signalé par le son de la cloche de l’église de San Giacomo di Rialto, d’abord 3 jours au milieu et 3 jours à la fin de chaque mois. Plus tard, cependant, en raison du grand nombre de gages, elles furent organisées quotidiennement, à l’exception des jours fériés et des 3 jours par mois qui étaient réservés à la vente des objets des banques du Ghetto22. Si un objet recevait une offre inférieure au prix payé par le créancier, il devait être remis aux enchères un autre jour et le masser devait en prendre note23. Tous les articles devaient être vendus individuellement, même s’ils appartenaient à la même personne. Toutefois, dans ce cas, si un gage avait été vendu à une valeur inférieure à celle du prêt, la différence pouvait être compensée par l’éventuel surplus dérivé de la vente d’un autre objet24.
20Le scribe devait également enregistrer le montant du surplus provenant des ventes, qui restait entre les mains du masser afin qu’il le rendît aux propriétaires légitimes, fonction pour laquelle il devait être disponible chaque lundi, mercredi et vendredi, avant d’aller aux enchères25. Bien que la valeur moyenne des prêts fût faible, l’argent provenant du surplus qui revenait au masser atteignait des montants considérables, en raison du nombre extrêmement élevé de gages qui étaient vendus quotidiennement et du fait que, de l’aveu des magistrats eux-mêmes, de nombreux débiteurs mouraient sans testament, d’autres fuyaient Venise, d’autres encore n’avaient pas pris soin de récupérer leur argent ou ne savaient pas qu’ils y avaient droit. Pour donner un ordre de grandeur, un rapport de décembre 1740 indique que le montant total des surplus à restituer s’élevait à plus de 3 000 ducats, que la Giustizia Nuova avait décidé de déposer à la zecca (hôtel de la monnaie), compte tenu de l’importance de la somme et du risque que le masser lui-même pût la voler26. Les magistrats puisèrent dans ce fonds à plusieurs reprises pour diverses raisons, telles que la maintenance et la réparation de l’estrade sur laquelle avaient lieu les enchères publiques ou pour l’achat d’équipement (principalement de la papeterie) et d’autres dépenses diverses27.
21Tous les officiers étaient payés par la Giustizia Nuova. À partir de 1603, le caissier gagnait deux sous par article vendu à moins d’une livre et quatre sous pour ceux qui étaient vendus à plus d’une livre. Le Masser et le comandador, cependant, gagnaient respectivement six et deux sous pour chaque livre obtenue des ventes (depuis 1739 le masser avait aussi droit à deux sous pour chaque livre de surplus)28.
22Afin de vérifier l’exactitude des comptes et de pouvoir disposer d’une trace sur laquelle baser un contrôle général de l’activité des officiers de la Giustizia Nuova, à partir de 1739 le masser fut obligé de compiler chaque mois des actes jurés qui contenaient un résumé du déroulement des ventes pendant la période (nombre de gages vendus, revenu total, etc.)29. Ces actes se sont révélés fondamentaux pour l’étude du développement des enchères et l’estimation du volume global du crédit.
23Malgré la définition de règles de plus en plus strictes et précises, les magistrats se plaignaient constamment des fautes des bastioneri et des osti, qui pouvaient nuire aux intérêts des pauvres qui utilisaient leurs services. Après une activité frénétique aux XVIe et XVIIe siècles, à partir des années 1730 la production de normes ralentit et, bien qu’on puisse trouver de nombreuses lois au cours de cette période, elles ne font rien de plus qu’en rappeler de précédentes, parfois en n’apportant que quelques changements complètement marginaux. En tout état de cause, celles-ci n’ont pas réussi à empêcher la poursuite des escroqueries, même si dans la majorité des cas il s’agissait de simples épisodes de vol d’un bulletin ou d’un chef de bastione qui, pour une raison ou une autre, refusait de restituer un gage30. La situation était beaucoup plus grave lorsque les escroqueries étaient commises par des membres de la Giustizia Nuova, en particulier les masseri. En effet, certains d’entre eux, qui géraient des fonds importants (découlant surtout des surplus), décidèrent de s’enfuir avec tout l’argent sur lequel ils avaient réussi à mettre la main.
24En réaction à cette situation, la Giustizia Nuova décida qu’avant de commencer leur activité, les masseri devraient payer une somme devant être déposée sur un fonds de garantie à utiliser en cas de problèmes liés à la mauvaise exécution de leurs fonctions. Parallèlement, à partir de 1702, une série de réviseurs externes, dits ragionati, furent nommés avec pour mission de passer en revue tous les six mois l’activité liée aux enchères, en vérifiant l’absence de vols ou d’épisodes d’appropriation illicite. Les contrôles étaient particulièrement stricts, surtout en ce qui concerne les surplus, considérés comme « de l’argent sacré, parce que propriété de gens misérables et malheureux »31. C’est ainsi qu’en mars 1760, on découvrit que le masser Carlo Paris était débiteur d’une valeur d’environ 750 ducats en raison de surplus impayés. Toutes les précautions mises en place par la Giustizia Nuova fonctionnèrent car, une fois que le ragionato découvrit la dette, les magistrats prélevèrent immédiatement la somme due sur le capital de 1 500 ducats que M. Paris avait dû déposer à la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista.
25Il s’agit finalement d’un circuit du crédit plutôt ancien, qui semble s’être développé au moins parallèlement aux banques juives à la fin du XIVe siècle. La nature particulière des lieux où les échanges se produisaient et la relation si étroite entre l’argent et le vin rendaient ce système particulièrement adapté dans le cas du petit crédit à la consommation, visant bien souvent à l’achat des denrées alimentaires. C’est précisément pour cette raison que dans la plupart des cas il s’agissait d’opérations très fréquentes mais dont les montants étaient très faibles. Les osterie et les bastioni constituaient un point de référence pour la population, une étape nécessaire dans la routine quotidienne : grâce aux centaines de prêts stipulés chaque jour, ils constituaient les fondations sur lesquelles reposait une économie de précarité, aussi fragile que fondamentale pour la survie de la population pauvre de la ville.
Taux d’intérêt et coûts fixes
Cassa fabriche et dazio grammatici
26Jusqu’à présent, nous avons abordé la question du point de vue de la République, en décrivant ses intentions et ses préoccupations principales. Dans cette section, nous renverserons la perspective en se plaçant du côté des osti et des bastioneri : si pour les pouvoirs publics les principaux objectifs étaient de soutenir la pauvreté et d’augmenter les ventes de vin, quels étaient les avantages pour ceux qui investissaient leur argent dans cette activité ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par déterminer les coûts fixes et surtout le taux d’intérêt appliqué sur chaque prêt. C’est une question plus compliquée qu’il n’y paraît, car la documentation normative ne mentionne jamais le taux d’intérêt exigé sur les prêts par les créanciers. Il ne faut pas penser qu’ils étaient gratuits, bien sûr, mais contrairement à ce qui se passait dans le cas des monts-de-piété et des banques des Juifs, la République n’est jamais intervenue pour préciser ou atténuer le coût du capital. Nous ne disposons que d’une seule référence à un « débours » générique qui devait être fait par les débiteurs, mais sans aucune autre indication plus spécifique32.
27De plus, dans les registres comptables, le montant que les débiteurs devaient restituer semblait toujours être le même que celui qu’ils avaient reçu. Heureusement, d’autres sources nous aident à résoudre cette énigme, notamment un texte intitulé « Delle istituzioni di beneficienza nella città e provincia di Venezia » (Institutions de bienfaisance de la ville et de la province de Venise) écrit en 1859 par le comte Pier Luigi Bembo (Podestà de Venise entre 1860-1866, membre de la Camera dei Deputati del Regno d’Italia)33. Avec cet ouvrage, l’auteur voulait rendre hommage à la politique sociale de prévention et de soutien de la population pauvre élaborée par Venise au fil des années, en mettant l’accent sur les forces et les faiblesses des institutions nées à la fois sous la domination de la Serenissima et après. Le livre se compose de trois parties, dont les deux premières sont consacrées aux origines de la charité et des institutions vénitiennes de soutien à la population pauvre, traitant d’abord de ce que l’auteur lui-même appelle les institutions “préventives”, c’est-à-dire celles qui visaient à éviter la pauvreté, et ensuite celles de “subvention”, qui fournissaient une aide transitoire et entièrement temporaire à ceux qui se trouvaient déjà dans un état de pauvreté34.
28Le 17e chapitre est entièrement consacré au mont-de-piété de Venise, qui est analysé dans un but de célébration, souvent en l’opposant à ce qui existait auparavant, principalement les prêteurs juifs dans le Ghetto et l’activité des bastioni et des osterie. En décrivant le fonctionnement de ce dernier, le comte Bembo s’arrête sur la présence de deux impôts qu’il déclare être à charge des débiteurs, c’est-à-dire les taxes dites d’un “sou par livre” et d’un “sou par bulletin”, que nous trouvons mentionnés aussi dans les documents fiscaux produits par le masser de la Giustizia Nuova à l’occasion des ventes aux enchères des objets non rachetés35. Le masser devait en effet collecter un sou par bulletin – c’est-à-dire un sou pour chaque gage – qui devait ensuite être versé dans la caisse dite fabriche de la magistrature des Provveditori di Comun36. En outre, il prélevait un soldo per lira – un impôt proportionnel également nommé dazio gramatici – c’est-à-dire un sou pour chaque livre obtenue de la vente des gages aux enchères, qui devait être payé dans la caisse homonyme au magistrat des Governatori alle entrate37.
29Il n’est pas certain, cependant, que la taxe du “sou par livre” mentionnée par Bembo coïncide avec celle des gramatici, simplement parce que ce dernier soutenait qu’elle était demandée par les bastioneri et les osti à tous ceux qui engageaient un objet, tandis que la seconde était calculée par le masser sur la base des gages effectivement vendus aux enchères. La première hypothèse est donc qu’il s’agit de deux impôts différents, le premier à charge des débiteurs et le second prélevé uniquement si l’objet n’était pas racheté, au moment de l’enchère. Dans ce dernier cas, nous devrions trouver trace des paiements aux caisses publiques, mais il n’y en a pas, tout comme il n’existe aucune indication dans les sources normatives (mais le fait qu’il n’y ait pas de documents aujourd’hui, bien entendu, ne signifie pas qu’il n’y en ait jamais eu). Le comte Bembo, cependant, pouvait aussi s’être trompé ou, pour exagérer l’injustice perpétrée contre les pauvres par ce circuit du crédit, avoir attribué aux débiteurs une taxe qu’en fait ils ne payaient pas.
30Antonio Somatti, marchand de vin interrogé en 1701 par la Giustizia Nuova sur les actes du masser Tommaso Brusa pendant les enchères, déclarait que « si le gage est vendu pour vingt sous, l’acheteur doit payer un sou pour la taxe gramatici ... et si le gage vaut quarante [sous], il doit en payer deux » : il semble donc que le “sou pour livre” n’était pas payé par les débiteurs ni par les créanciers, mais par les acheteurs, donc ceux qui achetaient les gages aux enchères (et en fonction du montant qu’ils ou elles payaient)38. En outre, il s’agissait d’un impôt variable qui dépendait du produit d’une vente et, par conséquent, étant donné qu’il ne pouvait pas être prévu au moment de l’engagement, il est impensable qu’il ait pu être imputé au débiteur. Finalement, il semble probable que les débiteurs aient été obligés de payer un sou chaque fois qu’ils engageaient un objet et seulement celui-ci. La taxe gramatici, en revanche, était payée par ceux qui achetaient un gage, tandis que les bastioneri et les osti devaient couvrir les frais nécessaires à l’organisation des ventes aux enchères39.
31Si ces informations sont particulièrement intéressantes en ce qui concerne la présence de coûts fixes, elles ne répondent pas à la question de l’existence ou non d’un taux d’intérêt. Il est bon de rappeler une fois de plus qu’en donnant la possibilité à ceux qui n’avaient pas d’argent d’acheter du vin et de la nourriture, c’était le système lui-même qui favorisait indirectement l’activité des osti et des bastioneri en augmentant le volume de leurs ventes (il s’agissait d’une économie d’envergure ou de gamme). Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas d’autres possibilités de réaliser un profit. Dans son travail, Pierluigi Bembo affirme qu’au moins un tiers du montant prêté était payé en vin, selon le prix imposé chaque mois par la République40. Dans son intention de célébrer la toute récente fondation du mont-de-piété de Venise, il a beaucoup insisté sur ce point, soulignant que le vin était d’une qualité si basse qu’il générait une perte exagérée par rapport à la valeur du prix plafonné. À son avis, cette situation, combinée à la courte durée des prêts et à la présence de coûts fixes, rendait ce circuit du crédit particulièrement désavantageux pour les pauvres emprunteurs41. Au-delà de la critique excessive et presque “romancée” – il parle d’un vin contaminé capable de générer d’horribles maladies – les informations que Bembo nous rapporte dans son travail sont extrêmement utiles pour bien comprendre le fonctionnement de l’activité de crédit et, surtout, elles nous fournissent des éléments suffisants pour estimer, au moins à titre indicatif, le taux d’intérêt demandé sur chaque prêt42.
32Étant donné qu’au moins un tiers du crédit était payé en vin, le gain résidait dans la différence entre le prix d’achat et le prix de vente du produit (par conséquent, la qualité du vin lui-même était un élément crucial). Si l’on veut calculer la somme d’argent qui allait dans les poches d’un bastionere ou d’un oste pour chaque livre prêtée, il faut donc d’abord avoir une idée suffisamment précise de ce qu’était le gain net – ou plutôt, le “plus net possible” – dérivé de la vente de vin. Il s’agit d’une opération complexe et nécessairement soumise à plusieurs simplifications. Qu’on le veuille ou non, il est pratiquement impossible d’avoir une connaissance complète de l’offre de vin disponible sur la terre ferme vénitienne, les seuls qui pouvaient être vendus dans les bastioni. En plus, il est également impossible d’estimer avec précision l’ensemble des coûts associés aux différentes étapes entre l’achat et la vente du produit, depuis les frais liés au transport, à la manutention des tonneaux, jusqu’au bois nécessaire pour chauffer les locaux pendant les mois d’hiver. Aussi inexact que soit le résultat de cette estimation, celle-ci permet en tout cas d’avoir une idée de ce que pouvait rapporter l’activité de prêt.
Prix du vin et taux d’intérêt
33Le point de départ de cette analyse est le prix payé pour acheter du vin dans les diverses régions de la terre ferme de la Vénétie. Les données ne sont pas nombreuses et il ne s’agit souvent que d’un seul échantillon par an : même si elles ne tiennent pas compte des grandes fluctuations saisonnières des prix, il est toutefois possible de prendre des instantanés de la situation à certains moments précis.
34Le 27 août 1781, un mastello de vin – environ 75 litres – chez un marchand de Padoue coûtait 19 livres, c’est-à-dire environ 5,05 sous par litre43. Ces informations proviennent d’un registre relatif au bilan d’un bastione inconnu, car la source ne contient malheureusement pas le nom du magasin ni celui du bastionere. En tout cas, à cette occasion, l’acquéreur anonyme avait acheté 120 mastelli de vin chez M. Marco de Ca’ Bembo, pour un total de 2 280 livres vénitiennes. À la même occasion, le bastionere avait payé 26 livres pour le droit de Padoue, 68 livres pour le transport jusqu’à Venise et 36 livres pour d’autres frais non spécifiés. Quelques jours plus tard, le 7 septembre 1781, on trouve enregistrés trois autres achats, pour un total de 217 mastelli, payés 3 518 livres, plus 165 livres de transport (4,32 sous/litre). Finalement, le dernier achat noté dans l’année remonte au 2 octobre, 169 mastelli payés au total 2 284 livres, dont 32 en raison du droit de Padoue et 100 pour le transport (4,34 sous/litre).
35En un peu plus d’un mois, il avait donc acheté 506 mastelli de vin, soit environ 37 950 litres, pour lesquels il avait dû payer 4 094 livres supplémentaires en raison du droit que la République imposait pour l’importation de la boisson dans la capitale (975 livres pour la première expédition, 1 624 pour la deuxième et 1 495 pour la troisième)44.
36Comme l’achat suivant date de janvier 1782, on peut supposer que cette quantité de vin a été suffisante pour couvrir toutes les ventes au moins jusqu’à la fin de l’année 1781. Comme on peut le voir dans le tableau 12, le prix de vente du vin entre septembre et décembre se situait entre 18 et 22 sous la lira (2,68 litres) : en supposant une vente homogène et en divisant ensuite par quatre le montant total, le gain pour le bastionere issu de la vente de l’intégralité du vin était d’environ 15 167 livres vénitiennes, contre une dépense de 12 471 livres. Cela représente une majoration de 1,42 sous par litre vendu, ce qui, selon les quantités figurant au bilan, nous amène à une moyenne totale de 674 livres par mois. C’est peu, surtout si l’on considère que le loyer d’un bastione coûtait entre 130 et 250 livres par mois – selon la taille du bâtiment – et que dans chacun d’entre eux étaient employées en moyenne 4 personnes (le chef, deux employés et un apprenti), pour lesquels il fallait payer des salaires d’environ 200 livres par mois45.
Tab. 12 – Prix du vin établis par la République, 1781 (sous/lira, 2,68 litres). Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 8.
Mois | Sous/lira | Mois | Sous/lira |
Janvier | 17 | Juillet | 18 |
Février | 18 | Aout | 18 |
Mars | 18 | Septembre | 18 |
Avril | 18 | Octobre | 20 |
Mai | 18 | Novembre | 20 |
Juin | 18 | Décembre | 22 |
37Ainsi, considérant que chaque prêt était payé pour au moins 1/3 en vin, si en août 1781 notre bastionere avait prêté 10 livres, quel aurait été son profit ? Pendant cette période, 3,33 livres de vin correspondaient à environ 10 litres et, avec une marge de 1,42 sous par litre, son gain aurait été de 14,2 sous : en pourcentage, la marge sur une opération de ce montant – bien qu’en partie “brute”, puisqu’elle ne tient pas compte du coût du loyer et du personnel – aurait été de 7,1 %.
38Si, comme il était prévu par la réglementation, la durée des prêts avait effectivement été d’un maximum de trois mois (comme il a été dit auparavant, à l’issue de cette période il était possible pour les créanciers de vendre les objets non rachetés), les 7,1 % représentaient l’intérêt trimestriel, ce qui équivaudrait à 28,4 % sur une base annuelle, sans considérer la taxe d’un sou pour gage. Ce dernier était un coût variable, qui dépendait de la valeur du crédit obtenu et donc de l’objet engagé lui-même ; il faut d’abord connaître la valeur moyenne des transactions pour estimer dans quelle mesure il affectait le total de l’opération, ce qui fait justement l’objet de la section suivante.
39De plus, la qualité du vin jouait un rôle primordial pour établir le gain effectif pour le créancier : si le célèbre vin da pegni (vin des gages) était vraiment aussi atroce que ce que décrivent les auteurs du XIXe siècle, sa valeur réelle ne serait même pas comparable à celle mentionnée dans les documents utilisés dans cette analyse et les marges pour les créanciers auraient donc été beaucoup plus élevées. Bembo, en effet, n’est pas le seul à se référer au mauvais goût du vin vénitien et à la pratique particulièrement répandue de le mélanger avec d’autres de qualité inférieure, ou même avec des liquides d’autres origines. Dans un grand nombre de leurs rapports, les voyageurs étrangers à Venise conseillent fortement de ne pas boire le vin local, « détestable boisson qui répugne aux étrangers », nourrissant aussi quelques légendes sur la “coutume” vénitienne. En effet, de nombreux voyageurs affirmaient qu’en plus de son goût particulièrement mauvais, le vin était également nocif parce que « frelaté avec une espèce de vin qui vient en abondance de Dalmatie, et dont l’usage est dangereux » ou encore parce que « les marins en boivent pendant les trajets, et le remplacent par de l’eau de la lagune, insalubre », même si l’auteur reconnait ensuite que cette dernière « ne manque pas d’agrément et ait un petit gout d’eau de seltz »46 !
40De manière générale, le fait même qu’un tiers d’un prêt était accordé en vin est un élément d’un grand intérêt, car il caractérise ce circuit de crédit. Il était davantage la référence dans le cadre des petites transactions de crédit quotidiennes, de quasi-subsistance et strictement liées à la consommation : en même temps, il était absolument désavantageux dans le cas de gros montants. Par exemple, il faut considérer que si en août 1781 quelqu’un s’était tourné vers notre chef de bastione pour un prêt de 100 ducats, il aurait éprouvé de grandes difficultés pour simplement sortir du bastione avec son prêt de 66 ducats et environ une anfora de vin (presque 600 litres) ! En tout cas, on ne peut pas croire que des opérations comme celle qu’on vient de décrire se soient réellement déroulées dans les bastioni ou les osterie, qui étaient au centre d’un autre type de crédit, plus petit et principalement lié à la consommation.
La valeur moyenne des prêts
41Dans cette section, l’objectif est de calculer la valeur moyenne des prêts accordés, une opération qui permet de mieux comprendre la qualité des opérations de crédit et qui constitue un indice essentiel pour identifier à la fois la nature des échanges et la cible vers laquelle cette offre était principalement orientée.
42Pour ce faire, il faut s’appuyer sur différents types de sources, tels que les inventaires des gages conservés dans les entrepôts des bastioni et des osterie, les rapports des ragionati et ceux des masseri. Il est important de souligner que la valeur des objets que nous trouvons indiqués dans les inventaires correspond directement à la quantité d’argent – vin et éventuellement nourriture – qui était prêtée au cours de cette opération spécifique. Lorsqu’un bastionere ou un officier de la Giustizia Nuova dressait un inventaire, l’information était transcrite directement à partir des bulletins qui, dès le début du XVIIe siècle, étaient attachés aux objets pour les identifier et qui contenaient les mêmes informations que celles du registre des gages des bastioni ou des osterie47.
43Après avoir identifié un certain nombre d’inventaires et documents comptables conservés dans le fonds de la Giustizia Nuova et des Governatori delle entrate, un long processus de transcription des sources a eu lieu. Cette opération m’a permis de créer une base de données particulièrement riche, qui comprend plus de 30 000 valeurs réparties sur l’ensemble du XVIIIe siècle. Si l’on considère toutes ces données, la valeur moyenne d’un prêt était égale à 3,32 livres décimales, bien qu’il faille noter une dispersion assez élevée des données (4,926, mais si l’on considère seulement les prêts de moins de 10 livres, soit 96 % du total, la dispersion tombe drastiquement à 1,94). Si la valeur moyenne d’un gage était de 3,32 livres vénitiennes décimales et le taux d’intérêt de 7,1 %, le gain pour chaque opération était d’environ 0,24 livre, c’est-à-dire un peu moins de 5 sous. Sur un prêt de cette valeur, la taxe d’un sou par gage augmentait le taux d’intérêt réel à environ 34,4 % sur une base annuelle.
44Comme on pouvait s’y attendre, le chiffre global présente des nuances d’une année à l’autre, qui sont également affectées par la consistance des sources : en effet, bien qu’il s’agisse d’un échantillon assez large, il y a évidemment des périodes où la densité des sources est plus importante, alors que pour d’autres nous n’avons presque rien. Le graphique ci-dessous (graphique 3) indique le montant moyen des prêts au cours des années pour lesquelles a été reconstitué un échantillon de données suffisamment large.
45Mais que signifiait dans la vie quotidienne de l’époque d’obtenir un prêt de 3,32 livres ? Que pouvait-on acheter avec une pareille somme ? En 1761, dans l’atelier d’un marchand d’occasion, on pouvait acheter avec cet argent une carpetta, un type particulier de longue jupe typique des femmes du peuple, ou une vestina, c’est-à-dire un justaucorps, ou encore deux paires de bas de coton48. Mais puisque, comme nous l’avons vu, un tiers du crédit était payé en vin, c’est avec ce produit que l’on peut faire la comparaison la plus logique et la plus immédiate. Le graphique 4 indique la quantité moyenne de vin que l’on pouvait acheter à crédit au cours du XVIIIe siècle. Afin d’estimer les prix annuels du vin, nous avons fait la moyenne des valeurs du plafond établi par la République chaque mois49.
46En observant le graphique, il est possible de distinguer au moins 3 phases : dans la première, qui va approximativement de 1704 à 1731, le vin était moins cher et donc en engageant un objet de valeur moyenne il était possible d’en obtenir en moyenne 12,28 litres ; cependant, dans la seconde, qui va de 1732 à 1756, on obtenait 11,04 litres et, enfin, entre 1767 et 1786 le vin coûtait plus cher et on pouvait donc en acheter seulement 9,68 litres.
47Entre 1718 et 1727, une moyenne de 66 764 anfore de vin par an ont été importées à Venise, soit plus de 40 millions de litres, qui répondaient à la demande d’une population composée d’environ 150 000 habitants50. Sur la base de ces données, nous pouvons estimer une consommation moyenne par habitant d’environ 0,78 litre par jour pour chaque homme, femme et enfant de la ville, une valeur qui serait certainement plus élevée si l’on pouvait inclure aussi l’incidence de la contrebande51. En considérant un chiffre moyen de 3,28 naissances pour chaque mariage, chaque ménage était composé en moyenne d’environ 5 individus, qui consommaient environ 3,9 litres de vin par jour52. Dans la première phase, entre 1704 et 1731, un prêt de 3,32 livres était suffisant pour répondre à la consommation de vin d’une famille pendant environ 3 jours. Au fil du temps, cependant, en raison de l’augmentation simultanée du taux de natalité – dans les années 1780 il y avait 4,6 naissances par mariage – et du prix du vin, la quantité moyenne que l’on pouvait obtenir diminua de manière significative, jusqu’à satisfaire les besoins d’une famille pour seulement 2/2,5 jours53.
48Afin de mettre en évidence certaines caractéristiques particulièrement intéressantes et pour mieux comprendre les données en notre possession, il est très utile de regrouper les montants des prêts et de les diviser en différentes fourchettes de valeurs. La base de données contient en effet des prêts qui varient d’un sou à plus de 200 livres, une très grande différence qui pourrait être trompeuse. Nous devons considérer, en effet, que plus de 96 % des prêts étaient d’un montant inférieur à 10 livres vénitiennes et dans 7 cas sur 10, de moins de 3 livres. Bien que les transactions supérieures à 10 livres ne représentent que 3,95 % des cas, elles “pesaient” beaucoup sur le volume total du crédit (24,29 %, graphiques 5 et 6).
49Comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous (graphique 7), la plupart des prêts se situaient entre 10 sous (0,5 livres) et 2 livres, soit 15 808 contrats, 52,14 % du total des prêts et 21,12 % du volume total des crédits accordés (21 253,8 livres vénitiennes décimales).
50De ce point de vue, il serait également nécessaire de réfléchir davantage à la valeur moyenne des engagements précédemment estimés, car les quelques prêts d’une valeur substantielle ont un impact trop important sur le total. La médiane est en réalité égale à 2 livres, une valeur inférieure de plus d’un tiers par rapport à la moyenne54.
51De manière générale, les données qui sont apparues au cours de cette section donnent une idée particulièrement claire de la faiblesse de la valeur des échanges. Cependant, elles montrent également à quel point leur nombre était élevé, compte tenu du volume des inventaires et de la documentation analysée. Sur la base de ces données, il est facile d’imaginer que la fréquence à laquelle de nouveaux objets étaient engagés était assez élevée, mais pour le démontrer il faut d’abord déterminer le taux de remboursement des gages, ce qui fait l’objet d’une section du prochain chapitre.
52En fin de compte, nous avons là une confirmation supplémentaire du fait qu’il s’agissait d’une source de crédit unique, l’une des rares qui, grâce aussi à sa nature “mixte” – presque à mi-chemin entre le crédit et le troc – visait réellement à soutenir les pauvres, trop souvent sous-représentés ou complètement absents des autres circuits de crédit.
L’économie du “mouchoir” : survivre à Venise, un objet à la fois
Survivre avec de petites choses
53Catterina Vesentina vivait dans la paroisse de San Giovanni in Bragora, dans le sestiere de Castello. Pendant un certain temps, elle fut enregistrée en tant que logeuse et, comme la loi l’exigeait, payait régulièrement les droits correspondants, dit le dazio albergarie. Elle cessa soudainement de verser les tranches et, craignant que la femme poursuivît frauduleusement son activité, la Giustizia Nuova décida en août 1668 d’ouvrir une enquête sur elle. Une série de témoins, pour la plupart des voisins, furent convoqués afin de reconstituer les activités et plus généralement la vie de Catterina55. Au cours du procès, les témoins fournirent une description très intéressante de la situation dans laquelle cette femme était forcée de vivre : il s’agit d’une histoire qui nous aide à comprendre quels étaient, au moins en partie, à la fois la typologie des débiteurs qui se tournaient vers l’offre de crédit des osterie et des bastioni et leurs gages. Dans ce cas spécifique, le crédit représentait un soutien absolument essentiel dans une logique de simple subsistance.
54En effet, Catterina était une pauvre femme qui ne logeait plus d’étrangers depuis environ quatre ans, depuis que son mari était parti avec l’armée pour combattre les Turcs à Candie (Crète). Pendant cette période, elle ne reçut aucun soutien financier de son mari et, de plus, n’exerça aucune profession : elle vivait par conséquent dans une situation de manque d’argent, à tel point qu’elle fut obligée de mettre en gage progressivement tous ses biens afin de subvenir à ses besoins de base et de payer le loyer. Catterina était « une pauvre femme qui n’a[vait] plus rien en ce monde » et vivait en envoyant quelqu’un « prendre du vin au bastione en engageant une serviette de table et d’autres choses qui lui appartenaient ». Ce cas représente exactement ce que l’on peut définir comme l’économie du “mouchoir”, au sein de laquelle la possession d’une série de petits objets, habituellement de très faible valeur, permettait d’avoir accès au moins à la part minimale des ressources nécessaires à sa survie. Il s’agissait simplement de survivre, dans le cas particulier de Catterina, une serviette de table à la fois.
55Bien qu’il y ait certainement des objets qui se prêtent mieux que d’autres à l’accumulation de valeur, le panorama des gages ne se limitait pas aux bijoux ou aux vêtements et tissus précieux, que nous trouvons au contraire en minorité absolue56. Dans les entrepôts des bastioni et des osterie du XVIIIe siècle, des centaines d’objets d’usage quotidien étaient déposés chaque jour. Il s’agissait de choses qui se trouvaient généralement dans les maisons de tous et dont la valeur était plutôt modeste : mouchoirs, chemises et pantalons, couvertures, oreillers, draps et matelas, etc.
56D’un point de vue normatif, les restrictions sur ce qui pouvait être engagé ou non n’étaient pas très pressantes et concernaient principalement la sphère du sacré, du public et de l’armée. En particulier, les chefs des bastioni et les osti ne pouvaient pas accepter en gage des ornements ecclésiastiques, des objets portant le symbole de « Saint Marc » – donc publics, produits par la République vénitienne – ou les armes à feu57. Même la garde et la vente des objets fragiles, en particulier les miroirs, suivaient des règles spécifiques, car la possibilité de les briser était trop élevée, ce qui aurait porté atteinte à la fois aux intérêts du débiteur et du créancier. En 1760, le Collegio dei Sette Savi décida que la vente des objets fragiles devait avoir lieu directement dans le bastione ou l’osteria où ils avaient été engagés, évidemment toujours en présence du masser de la Giustizia Nuova58.
57En 1767, à cause de l’augmentation du nombre de vols visant à mettre en gage les biens volés, la République tenta d’intervenir en interdisant aux osti et aux bastioneri de recevoir des objets destinés « à l’usage des personnes aisées et civiles », qui ne pouvaient évidemment pas appartenir à des individus indigents. Les magistrats voulaient rappeler encore une fois que c’était seulement pour le soutien des vrais pauvres que « la pratique des gages dans les bastioni et les osterie avait été introduite et était tolérée »59.
58De ce fait, un premier contrôle de la clientèle devait être effectué par les créanciers eux-mêmes qui, en cas de dépôt d’objets de provenance douteuse (si, « la qualité de l’objet manifeste clairement qu’il ne peut pas appartenir » à la personne qui le met en gage), avaient trois jours pour dénoncer à la Giustizia Nuova le nom et le prénom de celui qui l’avait engagé, afin que la justice puisse effectuer les contrôles nécessaires60.
59Afin de préserver les intérêts des pauvres, un ensemble de règles fut également établi pour garantir que l’évaluation des objets se fasse de la manière la plus objective possible. Dans le cas de certaines catégories spécifiques de gages, par exemple, la valeur pouvait être estimée de manière relativement précise : à cet égard, en 1788 la Giustizia Nuova introduisit l’obligation de peser tous les objets métalliques et de mesurer la longueur des tissus61. Cette règle, cependant, fit l’objet de nombreuses critiques, car elle avait un effet contraire à ce qui était attendu, en tournant à l’avantage des osti et des bastioneri. En effet, ils commencèrent à évaluer les objets précieux en se basant exclusivement sur leur poids, sans considérer leur valeur globale (par exemple, artistique)62.
60En 1747, les Savi décidèrent qu’il était nécessaire de fixer une limite à la somme d’argent qui pouvait être déboursée pour chaque opération, conformément à ce qui se passait depuis longtemps dans les banques juives. Les contrôles effectués par les ragionati sur les registres des osterie et bastioni avaient révélé la présence « d’objets considérables » engagés pour des sommes importantes, qui ne pouvaient certainement pas appartenir à la population pauvre de la ville. Cela constituait une violation évidente des principes qui sous-tendaient l’existence même de ce circuit du crédit, à savoir le soutien par rapport aux misères quotidiennes de la classe pauvre de la population, encore une fois « la seule raison de l’autorisation publique de ce type d’activité »63. Par conséquent, il était interdit de prêter plus de 10 ducats (soit 62 livres vénitiennes) par opération, une limite qui restait cependant beaucoup plus élevée par rapport à celle imposée aux banques du Ghetto, fixée à partir de 1573 à trois ducats64. En partant des données relatives à la valeur moyenne des prêts pour l’ensemble du XVIIIe siècle, seulement 0,1 % des opérations concernées étaient supérieures à 62 livres vénitiennes. Fondamentalement, on peut imaginer que les Savi savaient que dans la plupart des cas, les sommes impliquées étaient bien en-dessous de la limite imposée et cherchaient à empêcher les rares cas où les finalités d’un prêt étaient bien évidemment éloignées des principes à la base de cette offre de crédit. En outre, il est aussi très probable que les prêts d’un montant si élevé couvraient en réalité des relations usuraires entre individus privés.
61Tout bien considéré, il semble qu’encore une fois l’objectif de la République était de limiter et de mieux définir les destinataires de cette offre de crédit. Du point de vue des objets engageables, toutes les règles semblaient se rapporter à la protection des intérêts des pauvres, à la prévention du risque de trouver des biens volés parmi les gages et à la limitation de la possibilité d’accords et de prêts usuraires qui ne correspondaient évidemment pas aux principes qui avaient soutenu la création de ce circuit du crédit.
La richesse des pauvres
62Relever avec exactitude le nombre des gages en stock dans l’entrepôt d’un bastione ou d’un osteria était une opération habituellement exécutée sur ordre de la Giustizia Nuova, surtout dans les cas où il était nécessaire d’en connaître la valeur afin de couvrir les dettes qu’un bastionere ou un oste avait auprès de la République ou de l’un de ses collègues.
63L’inventoriage des gages était effectué principalement selon trois méthodes. La plus rapide et la plus utilisée consistait à enregistrer chaque objet selon le numéro indiqué sur son bulletin et sa valeur, sans se préoccuper d’ajouter d’autres détails. Dans certains cas, cependant, les officiers divisaient les objets en macro-catégories qui reflétaient probablement la manière dont ils étaient stockés dans les entrepôts, où ils étaient conservés sur des étagères (objets métalliques, outils), dans des coffres (or et argent) ou dans de grands sacs (objets textiles de différentes sortes). Enfin, dans certains cas, les officiers chargés de l’inventoriage – habituellement un groupe de 6 ou 7 personnes parmi lesquelles figuraient un notaire, un ragionato, le masser, un valet et au moins un porteur – ajoutaient au numéro et à la valeur des gages une description de ces derniers, en précisant parfois également le nom du propriétaire65.
64Les inventaires qui appartenaient au premier type – ceux dans lesquels on ne trouve que le numéro d’identification et la valeur des gage – sont précieux puisqu’ils nous donnent des informations intéressantes sur le nombre et la valeur des gages, mais peu ou pas utiles dans le cas d’une analyse de la qualité des objets engagés (bien que la valeur en soit en quelque sorte un indicateur).
65Contrairement à ceux-ci, comme nous pouvons le voir dans le riche inventaire du bastione “San Trovaso” (ou Sesta Posta Zattere) daté du 1er septembre 1750, les inventaires divisés en catégories révèlent plus de détails à cet égard. La Giustizia Nuova avait ordonné à ses officiers d’inventorier et de saisir tous les biens qu’ils trouveraient dans le bastione, y compris les gages, en raison de la dette que le chef avait accumulée à cause du défaut de paiement des bollette, les taxes dues pour l’importation du vin dans la ville. Il s’agit d’une liste assez riche, dans laquelle figurent plus de 1 200 objets divisés en 16 catégories différentes66. Les objets en or et en argent représentent un pourcentage minoritaire, seulement 4,5 % du total. Dans ce cas, nous trouvons principalement des vêtements (63,2 %), suivis des draps, mouchoirs et couvertures (13,3 %) et des “cuivres”, c’est-à-dire tous les produits en cuivre, étain et laiton (7,5 %). Malheureusement, une partie des objets n’a été classée que selon son emplacement au moment de l’inventaire (par exemple “dans le grenier” ou “articles en gage dans les boîtes”) sans ajouter aucun détail sur leur qualité mais en indiquant simplement l’élément le plus important pour les officiers, c’est-à-dire le prix (11,4 %). La valeur moyenne des gages est plutôt faible, égale à 3,32 livres vénitiennes décimales, totalement conforme aux données présentées à la section précédente. Les objets les plus nombreux dans l’inventaire sont les tabliers, les bas et les jupes, ainsi que les serviettes de table, les chemises et les draps.
66L’inventaire du bastione “Sant’Agnese”, daté du 1er août 1753, est rédigé de la même manière67. Il s’agit d’une liste plus complète que la précédente, dans laquelle figurent 1 678 objets répartis en 7 catégories, représentant une valeur totale d’environ 6 000 livres vénitiennes (tab. 13). Aussi intéressants soient-ils, ces inventaires ne permettent pas d’arriver à des conclusions claires sur le type d’objets engagés, car le système de catalogage et de subdivision des gages n’est pas toujours très rationnel.
Tab. 13 – Détail, inventaire des gages au bastione de Sant’Agnese. Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 16.
Catégories d’objets | Nb | Valeur (Livres vén. dec.) |
Chemises, tissus et mouchoirs | 462 | 1 340,55 |
Objets de cuivre et tabliers | 439 | 1 260,35 |
Manteaux, capes et justaucorps | 368 | 1 310,55 |
Draps, mouchoirs et bas | 264 | 639,55 |
Or et argent | 74 | 309,75 |
Non spécifiés | 47 | 920,5 |
Autres | 24 | 217,8 |
Totale | 1 678 | 5 999,05 |
67Comme on le voit dans le tableau 13, à côté de « or et argent », on trouve une catégorie composée de « draps, mouchoirs et bas » et même de « objets en cuivre et tabliers », des groupes hétérogènes, qui comprennent des objets qui ont très peu à voir les uns avec les autres, sauf probablement une proximité physique au moment de l’inventoriage.
68Lorsque des inventaires sont rédigés de façon plus précise en mettant en évidence la qualité de chaque objet, l’analyse est beaucoup plus riche. L’inventaire de l’osteria del Pellegrino, daté du 5 janvier 1789, en constitue un excellent exemple : il s’agit d’une liste de 159 gages pour une valeur totale de 717 livres et 17 sous (environ 115 ducats)68. Ce type d’inventoriage prenait beaucoup plus de temps et il ne faut donc pas s’étonner que le nombre d’objets soit beaucoup plus restreint que dans les deux cas précédents (1 300 et 1 600 objets contre 159). Comme c’est souvent le cas, les gages sont divisés en deux catégories : les “choses” (précisément les robbe) en argent, c’est-à-dire les bijoux et les objets précieux, qui sont inventoriés séparément des “choses” simples, c’est-à-dire les vêtements, les textiles en général et les outils. Bien que beaucoup moins nombreux, les “choses” en argent ont un impact plus important sur le total, car leur valeur était beaucoup plus élevée. En effet, les bijoux n’étaient pas soumis aux changements dû à l’usure et les prêteurs étaient pour cette raison tout à fait disposés à les payer proportionnellement plus cher, habituellement jusqu’à deux tiers de leur valeur réelle contre la moitié pour les textiles.
69Concernant les “choses” simples, elles sont constituées principalement de vêtements, parmi lesquels on compte 14 chemises, et des objets domestiques, essentiellement des mouchoirs. En tout cas, l’échantillon est évidemment trop petit pour pouvoir faire une analyse visant à mettre en évidence des tendances plus générales.
70Après un long travail de collecte, de transcription et de traitement des données, il a été possible de constituer une base de données de plus de 3 400 objets engagés entre 1689 et 1798, ce qui nous permet d’observer la situation de manière globale. Cette analyse permet aussi de découvrir quels étaient les objets le plus fréquemment possédés par la population pauvre de la ville : il est logique de s’attendre à ce que les objets que l’on trouve le plus souvent dans les inventaires soient aussi les plus communs dans les armoires et les coffres des Vénitiens. Il est également possible d’en savoir plus sur la façon dont les citoyens ordinaires s’habillaient, sur la mode, les couleurs et les tissus qui étaient davantage utilisés : une analyse de la culture matérielle basée sur un riche ensemble de données que personne n’avait pu utiliser auparavant.
71Tout d’abord, pour pouvoir traiter ces données il était nécessaire de les diviser en catégories, en différenciant d’abord les objets selon le matériau dans lequel ils étaient fabriqués. Il a donc été décidé de séparer les produits textiles des “non-textiles”. Ce premier “écrémage” sépare les bijoux et objets métalliques de différents types (ustensiles professionnels et d’usage domestique) des vêtements, textiles et autres produits tels que les draps, couvertures, etc. De façon globale, l’échantillon de 3 431 objets a été réparti en 2 763 objets textiles (84,83 %) et 668 “non-textiles” (15,17 %).
72Parmi les objets les plus courants, on trouve en premier lieu les mouchoirs (414), suivis des chemises et chemisiers (298), des bas (220) et des pourpoints (les velade, 210). Les vêtements, y compris les accessoires tels que mouchoirs, chapeaux, chaussures, etc., sont la catégorie la plus courante (2 246 articles, soit 67,46 %), suivis des tissus et textiles d’usage domestique (574, soit 16,72 %). Parmi les vêtements certainement féminins (355), il y a principalement des vestes (carpette, 173), des robes (99) et des chemises (26), tandis que parmi les vêtements masculins (558) figurent essentiellement des pantalons (160), des justaucorps (velade, 110), des chemises (72) et des capes (tabarri, 70). L’analyse des tissus et des couleurs est malheureusement basée sur un échantillon plutôt restreint, car il s’agissait d’une information secondaire qui n’a été rapportée que dans quelques cas. Cependant, nous trouvons surtout des textiles en laine (213), en soie (179) et en indienne (126), tandis que les couleurs prédominantes sont les “neutres” comme le blanc et le noir (66 et 46 respectivement), mais il y a aussi des tissus rouges (50), d’autres indiqués de manière générique comme “colorés” (26), rayés, verts et jaunes (8, 6, 5).
73En ce qui concerne les vêtements typiquement portés par les vénitiens et les vénitiennes appartenant aux couches pauvres au XVIIIe siècle, il est certainement possible avancer que, alors que les femmes préféraient – évidemment – les robes, associées à des chemises et couvertes par des vestes (carpette), les hommes portaient des pantalons, des chemises, des justaucorps (velade) et souvent des capes. Curieusement, les tissus étaient variés et pouvaient même être précieux comme de la soie, alors que les coloris avaient tendance à être neutres, principalement noirs et blancs, bien qu’il y eût plusieurs manteaux et capes colorés, souvent rouges69.
74L’analyse qualitative des objets engagés montre que dans la plupart des cas il s’agissait de vêtements et d’accessoires tels que des mouchoirs et des tabliers. Cette tendance peut être le résultat de deux exigences contradictoires, à savoir le choix ou l’obligation des débiteurs de se séparer de ce type d’objet. La richesse matérielle des familles, souvent en grande partie dérivée de la dot de la femme, était en effet principalement composée de vêtements et d’autres objets de la sphère domestique. Les femmes – surtout les veuves mais pas seulement – jouaient un rôle important de ce point de vue car, ayant la possibilité de gérer une réserve de valeur significative grâce à la composante matérielle de leur dot, elles eurent un rôle décisif dans l’augmentation de l’offre et de la demande de crédit de la ville70. En fin de compte, il semble qu’au XVIIIe siècle la richesse des pauvres ne fût pas fondée sur la qualité des objets possédés mais plutôt sur leur quantité : il est donc très important d’évaluer aussi la fréquence de l’engagement – objet d’une section spécifique dans le chapitre suivant – afin de confirmer (ou d’infirmer) cette hypothèse. En tout cas, il est nécessaire de réévaluer l’importance des objets, même les plus humbles et de faible valeur : il s’agissait de véritables réserves de valeur qui, en cas de besoin, pouvaient rapidement se “transformer” en argent71.
Notes de bas de page
1 ASVe, Arti, 405ter, f.o 1r ; dans ce cas-là, “tavernier” semble davantage être synonyme de canever, c’est-à-dire celui qui, à l’intérieur d’un osteria, s’occupait de la caneva, le lieu où étaient conservés les tonneaux de vin.
2 ASVe, Giustizia Nuova, b. 35, documents non numérotés, 20 septembre 1760.
3 Un ouvrier non spécialisé gagnait environ 24 livres par mois ; voir Zannini 1996.
4 Concina 1989, p. 168.
5 Bien entendu, il y avait les malvasie et autres vins précieux, qui n’étaient pas des produits de base et étaient donc plus sujets aux fluctuations du marché. Le vin vendu dans les bastioni, en revanche, était seulement du terraneo, c’est-à-dire qu’il venait de la terre ferme de la Vénétie et était destiné à la consommation des couches pauvres de la ville.
6 Milano 1951, p. 253.
7 Berengo 1956, p. 69-71.
8 « Aucun oste ou tavernier ne puisse désormais plus vendre du vin à crédit à qui que ce soit pour un montant supérieur à 100 sous sans demander un gage en échange » (traduit par l’auteur), ASVe, Giustizia Nuova, b. 2 reg. 3, f.o 143v.
9 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2 reg. 3, f.o 140v, texte intégral : « 1388 die 2 mis Aprilis. De pignoribus vendendis. Item statuerunt, et ordinaverunt D[omi]ni iustitiarii quod nullus hospes, sive tabernarius a modo in antea audeat vendere sive vendi facere aliqua pignora que essent sibi impegnata in eius taberna, sive hostaria, nisi primo presentet dictis iustitiariis, et dare eis in scriptis omne totum id quod dicta pignora essent sibi impignata quolibet pignus per se, et postea ipsa vendere secundum ordines offitii predicti, et quod omnes denarii qui extra essent de dictis pignoribus ultra illos quos predicti tabernarii, et hosterii habere debent de dictis pignoribus debeant presentare dictis dominis iusticiariis, ut ipsi domini valeant eos restituere cuilibet ipsa de iure pertinent, et spectant ».
10 A cet égard, voir les chapitres VI et VII.
11 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2 reg. 4, f.o 5r, 1er mars 1442 ; Giustizia Nuova, b. 2, reg. 3, f.o 161v, 1er mars 1443 ; ASVe, Compilazione delle leggi, b. 216, nb 452, 17 avril 1502 ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 2 reg. 4, f.o 17v, 20 mars 1511.
12 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2 reg. 4, f.o 191r, 6 juillet 1743. Par exemple, une estimation pour la décennie 1718-1727 parle d’une importation d’environ 65 900 amphores de vin par an (presque 39 600 000 litres) qui a produit pour l’état un revenu de 386 500 ducats par an grâce aux droits d’importation.
13 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 117v, 26 octobre 1531.
14 Ibid.
15 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, documents non numérotés, 9 mai 1738, italique ajoutée par l’auteur.
16 Ibid., f.os 35r-40v.
17 Au fil du temps, les pratiques devinrent de plus en plus précises. Au début, une simple description de l’objet suffisait, mais plus tard il est devenu nécessaire d’indiquer aussi le poids et la longueur (dans le cas d’objets métalliques ou de tissus), la qualité et finalement une présentation de l’état de conservation du gage au moment où il était engagé ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 225r ; Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 224v ; Giustizia Nuova, b. 10, reg. 25, documents non numérotés, 8 Juillet 1788.
18 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 73r.
19 Le mot Crida dérive du verbe vénitien Criar – c’est-à-dire crier – et est synonyme de strida, soit un acte d’information ou d’avertissement juridique à l’intention de ceux qui pouvaient être intéressés ; voir Boerio – Manin 1829, p. 208, entrée criar.
20 Il fallait « placer un message sur un tableau attaché au-dessus des portes de l’osteria ou du magazèn [bastione] avec des lettres majuscules, qui indiquait le contenu de la crida, et [il fallait] le maintenir au-dessus de ces portes pendant au moins huit jours de suite avant la fin du mois » ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 36v.
21 Des prorogations étaient prévues – habituellement de quelques jours – après autorisation de la part de la Giustizia Nuova. Voir par exemple ASVe, Giustizia Nuova, b. 7, f.o 222v « 12 janvier 1741. L’illustre et excellent Giacomo Cavalli, Sopra Provveditore Inquisiteur, a ordonné à Francesco Lambranzi, chef du bastione de l’Anzolo, que la vente des gages susmentionnés soit suspendue, acceptant par la charité de Son Excellence la prolongation de vingt jours pour les pauvres propriétaires de ces gages … » Voir aussi, Ibid., f.os 222v et 223r ; Les prorogations variaient entre 20 jours et un mois.
22 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.os 113r.
23 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 216v.
24 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 39v.
25 Ibid., f.o 100r, 31 mai 1702.
26 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 189r ; Ibid., f.o 63r ; ASVe, Compilazione delle Leggi, b. 374, Nb. 202, 31 octobre 1606 ; En 1790, la charge de travail liée uniquement à la restitution des surplus aux pauvres obligeait le masser à embaucher deux employés pour cette tâche spécifique ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 10, reg. 25, 5 juin 1790.
27 Réparation de l’estrade ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 227v ; liste de l’équipement et des frais payés avec l’argent provenant de surplus des pauvres entre 1708 et 1738, voir ASVe, Giustizia Nuova, b. 20, 15 décembre 1738, fichier « spese tutte state fate del dinaro de sopravanzi de pegni ». En ce qui concerne les préoccupations liées à la bonne conservation de l’argent apparaissant plusieurs fois dans les normes, voir par exemple ASVe, Compilazione delle Leggi, b. 374, Nb 202 (1606) ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 174v (1616) ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 176r (1617) ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 69r (1621).
28 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 290r, 6 mars 1766 ; Giustizia Nuova, b. 1, f.o 209r.
29 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 209r.
30 Voir ASVe, Giustizia Nuova, b. 28, documents non numérotés, plainte de Paola Lanari (23/02/1768), Giulia Fachi (22/11/1768), Antonio Malattini (20/12/1768).
31 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 206v, année 1702.
32 La restitution des gages devait être faite par les bastioneri et les osti « avec ponctualité sans aucun fardeau pour les pauvres, avec interdiction aux bastioneri et les osti d’ajouter sur les gages d’autres déboursements, en plus du premier déjà effectué » ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 203v.
33 Voir https://storia.camera.it/deputato/pier-luigi-bembo-salomon-18231216 (lien consulté en Mai 2020)
34 Bembo 1859, p. XVI.
35 Ibid., p. 136.
36 La fonction principale des Provveditori di Comun était la « surveillance et le soin du marché », donc aussi des ventes aux enchères. En effet, même les banques du Ghetto étaient soumises à la taxe du “sou par bulletin” sur chaque objet engagé ; Da Mosto 1937, t. I, p. 178) ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 425r.
37 Le droit gramatici consiste en une taxe qui devait être payée par « tous les acheteurs qui à tout moment achèteront à chaque magistrat de cette ville des biens aussi bien mobiliers, que des bâtiments, des charges, des loyers, des annuités, et plus encore » ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 44, fichier « Per il magistrato de’ provveditori alla giustizia nova contro il consorzio mercanti bastioneri », f.o 153.
38 ASVe, Giustizia Nuova, b. 33, documents non numérotés, 03/08/1701 ; 1 livre = 20 sous.
39 La Giustizia Nuova se souciait de préciser que « quand le pauvre reviendra pour racheter son gage, le chef du bastione ou l’oste devra noter sur son livre la restitution du gage ... devant faire ladite restitution avec ponctualité sans aucun fardeau pour les pauvres, avec interdiction aux bastioneri et osti d’ajouter sur les gages d’autres déboursements, en plus du premier déjà effectué » ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 203v.
40 Bembo 1859, p. 135 ; cette fois l’information semble plus certaine, car elle est également confirmée par d’autres sources telles que le Dizionario del dialetto veneto, qui précise que les bastioni « recevaient des effets en gage, pour lesquels il était possible d’obtenir les deux tiers de la valeur en argent, et un tiers en très mauvais vin, connu sous le nom de vin da pegni » ; Boerio – Manin 1829, terme Magazèn.
41 Bembo 1859, p. 136.
42 Ibid., p. 139.
43 ASVe, Giustizia Nuova, b. 14, reg. 42.
44 Les données sur le droit d’importation du vin à Venise ont été retrouvées dans ASVe, Giustizia Nuova, b. 44, fichier « tariffa per il dazio di vini di ogni genere dal 1746 », f.o 53, tarif appelé mercanti ; aucune donnée plus récente n’a été trouvée par rapport aux montants des droits.
45 En 1732, environ 172 livres par mois ; ASVe, Governatori alle entrate, b. 447, fichier « Costituti dei bastioneri sul numero degli uomini impiegati in ogni bastione, e loro salario ». Le salaire d’un chef de bastione en 1732 était d’environ 130-150 ducats par an, les employés gagnaient environ 90-110 ducats, tandis que les apprentis gagnaient entre 20 et 30 ducats.
46 Par ordre de citation, Curti 1802, p. 339 ; Lloyds 1861, p. 258 ; Houssaye 1850, p. 105.
47 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 73r.
48 Pour les définitions des objets voir Boerio – Manin 1829, p. 791 ; en ce qui concerne le prix, cependant, voir ASVe, Giustizia Nuova, b. 42, inventaire du bastione “San Stae”.
49 ASVe, Giustizia Nuova, b. 8, f.o 9.
50 Tucci 1987, p. 185, 202, 203.
51 Notre estimation est légèrement plus basse que les données fournies par la République elle-même en 1730, quand la consommation quotidienne d’un homme âgé de 18 à 50 ans était de 1,34 litre, tandis que celle d’une femme de la même classe d’âge était “seulement” de 0,69 litre. Ibid., p. 186.
52 Beltrami 1954, p. 186.
53 Cette donnée coïncide avec la déclaration du chef de bastione Pietro Bareggio, qui en 1730 déclarait à l’inquisiteur de la Giustizia Nuova que les bastioneri n’ont pas de registres généraux des gages où indiquer l’argent prêté à chaque débiteur car une fois un objet engagé, les débiteurs « au-delà d’un jour ou deux, viennent acheter d’autres choses » et il était donc plus pratique de l’écrire directement sur le bulletin ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 33, documents non numérotés, 30/07/1731.
54 Dans certains cas, nous avons aussi des informations sur la valeur initiale des objets mis aux enchères, ce qui nous donne une valeur moyenne de 2,93 livres vénitiennes décimales par gage (enchères entre 1745 et 1755). Cette légère différence de valeur pourrait nous amener à croire que les objets les plus chers étaient plus facilement rachetés, ce qui entraîne une diminution de la valeur moyenne globale d’environ 0,3 livre.
55 ASVe, Giustizia Nuova, b. 39, documents non numérotés, 1er août 1668.
56 À ce propos, voir Ago 2006, p. 11.
57 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 228r, 28/09/1751, « ainsi il est interdit à qui ce soit, aussi bien aux bastioneri qu’aux osti, de recevoir en gage sous n’importe quel prétexte tout vêtement ou objet utilisé comme ornement des temples sacrés, et en particulier ceux qui sont marqués par des signes [religieux] … ainsi, il reste absolument interdit d’accepter en gage n’importe quel effet portant la marque de Saint Marc … et en particulier des outils militaires, armes ou autres objets liés à l’arsenal ».
58 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 232v.
59 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 330r, 06/02/1767.
60 Ibid., f.o 338r, 15/05/1767.
61 ASVe, Giustizia Nuova, b.2, reg. 4, f.o 445r, 16/02/1788.
62 « Divers vêtements recherchés et joliment finis voient leur valeur dégradée [s’ils sont estimés selon] leur poids, puisque leur richesse principale consiste dans leur finition. Les chandeliers élégants, les outils en fer réservés aux divers usages des artisans, les cogome [cafetières], le moule à gâteaux, les étains travaillés, et autres, qui évalués uniquement par rapport à leur poids, génèrent pour les pauvres une perte bien évidente, engendrant donc de fréquentes lamentations [des pauvres], qui nous ont incitées à produire ces réflexions » ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 10, reg. 25, documents non numérotés, 21/04/1789.
63 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 4, f.o 205r.
64 ASVe, Inquisitori sopra l’Università degli Ebrei, b. 45, f.o 51v.
65 La procédure d’inventoriage des gages était également plutôt coûteuse, une dépense comprise entre 50 et 60 livres vénitiennes ; ASVe, Governatori alle entrate, b. 448, différents dossiers.
66 ASVe, Giustizia Nuova, b. 16, documents non numérotés, inventaire du bastione “San Trovaso”, 1er septembre 1750.
67 ASVe, Giustizia Nuova, b. 16, documents non numérotés, inventaire du bastione “Sant’Agnese”, 1er août 1753.
68 ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, fichier « Lista di pegni che si ritrovano nell’osteria “del Pellegrino” in S. Biasio » 5 janvier 1789.
69 En ce qui concerne l’habillement dans les sociétés d’Ancien Régime, Roche 1997, chapitre VIII « Vêtements et apparences » ; Roche 1981, chapitre VI « Le vêtement populaire » ; Ago 2006, chapitre IV « Le suppellettili e gli indumenti » ; Ago 2000, 2003 ; Belfanti – Giusberti 2000.
70 Zucca Micheletto 2014, p. 102-103. En ce qui concerne plus généralement la dote, voir Bellavitis 2008 ; Bellavitis – Chabot 2011 ; Bellavitis, Filippini – Plebani 2012 ; Cuccia 2014.
71 Ago 2006, p. 7 et suivants.
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