Chapitre 2 - Osterie et bastioni dans le contexte socio-économique de la ville
p. 67-100
Texte intégral
La corporation des osti et le consortium des bastioneri
Solidarité et soutien : être ou non une corporation
1En 1355, la corporation des osti se réunit pour la première fois autour de l’autel de Saint Jean-Baptiste dans l’église San Matteo de Rialto. Dans la requête de fondation du corps de métier adressée au Conseil des X, il était demandé qu’ils soient « autorisés à créer légitimement ladite Scuola en l’honneur de Dieu et dudit Saint [Saint Jean-Baptiste] » et qu’ils soient soumis au contrôle des Giustizieri Nuovi, « les gouverneurs et exécuteurs des règles qui seront contenues dans la Mariegola »1. Environ 130 ans plus tard, le 16 juin 1488, la corporation envoya une nouvelle pétition au Conseil des X, demandant à pouvoir déplacer sa conférie dans la paroisse voisine de San Cassiano à cause des conditions désastreuses dans lesquelles se trouvait la paroisse de San Mattio, décrite comme un endroit « très peu honorable », sale et fréquenté par une multitude de prostituées, qui de ce fait s’adaptait mal aux services religieux des membres.
2Un élément intéressant qui ressort de cette deuxième requête est l’image que les osti donnaient de leur corps de métier qui, un peu plus d’un siècle après sa fondation, était déjà « la corporation ou la scuola ancienne, en ruines depuis plusieurs années »2. L’incapacité de la Giustizia Nuova à exercer un contrôle efficace sur la vente du vin dans la ville se répercutait sur l’activité des osterie, qui devaient rivaliser avec « une grande multitude de furatole, d’albergarie et de vendeurs de vin au détail [qui agissaient] sans aucun respect et sans craindre les sanctions prévues par nos lois »3. Au cours des mêmes années, on trouve dans le capitulaire de la Giustizia Nuova plusieurs références à la situation désastreuse du droit du vin, qui « est ruiné, et si des interventions opportunes ne sont pas effectuées, est certainement destiné à s’annihiler ». En février 1502, au moment de la création du Collegio dei Sette Savi, sur les 20 osterie autrefois en activité dans les “îles” de San Marco et Rialto, huit étaient fermées et beaucoup d’autres étaient sur le point de le faire4.
3La principale source pour reconstituer le fonctionnement du corps de métier des osti est sa Matricola (en vénitien, Mariegola), un registre officiel produit par la corporation elle-même qui contient toutes les règles et les lois qui régissent son activité. Elle a été amputée de quelques pages à cause de sa mauvaise conservation par les osti qui, pendant un certain temps, la laissèrent à la disposition de tous les membres : on peut imaginer que certains d’entre eux avaient décidé d’arracher les pages contenant des règles qu’ils n’aimaient pas ou qu’ils n’avaient pas vraiment envie de respecter5.
4D’un point de vue organisationnel, la corporation prévoyait la présence d’un gastaldo, d’un vicario, d’un scribe, de deux sindici et d’une banca (conseil d’administration) composée d’au moins six membres. Le gastaldo était un membre de la corporation nommé par les confrères comme responsable de la gestion administrative et représentant devant l’autorité publique. Il coordonnait les réunions de la banca, percevait les taxes, en proposait de nouvelles en cas de besoin et vérifiait que tous les membres respectaient les règles, y compris les procédures adaptées pour le déchargement du vin dans les entrepôts des osterie6. La charge de gastaldo ne semblait pas particulièrement attrayante, à tel point que, pendant un certain temps, beaucoup de membres refusèrent cette désignation en raison de l’ensemble d’inconvénients et de problèmes qu’elle comportait.
5En 1643, par exemple, la corporation avait dû supporter tant de dépenses pour payer les employés et les avocats qui les avaient assistés lors de plusieurs procès (« pour les nombreux et interminables litiges que nous avons dû porter devant les tribunaux, afin de préserver le droit du vin a spina et notre corporation, et qui sont malheureusement bien connus ») qu’elle s’était retrouvée extrêmement endettée7. Personne ne voulait accepter la gastaldia pour ne pas être continuellement tourmenté par les créanciers, qui insistaient pour récupérer leur argent : cette année-là, étant donné les difficultés pour désigner un représentant, il a été décidé qu’en cas de refus, le gastaldo élu devrait payer une amende ; en plus, une taxe temporaire de dix livres fut établie pour chaque anfora de vin déchargé dans les caves des osterie, afin de procéder dès que possible au remboursement des dettes.
6Les autres charges importantes au sein de la corporation étaient celle du vicario, qui assistait le gastaldo et le remplaçait en cas de besoin, du scribe, qui avait la fonction de secrétaire, et des sindici, qui étaient chargés de vérifier les comptes du corps de métier. Enfin, les six membres de la banca complétaient le conseil d’administration et avaient le droit de ballotar, c’est-à-dire de voter lors des assemblées. La matricola indiquait clairement que pour occuper l’une des positions de la corporation, il était nécessaire d’avoir été au moins une fois « propriétaire d’une osteria ou d’un caneva »8. Le gastaldo, le vicaire et le scribe étaient les seuls à recevoir un salaire pour leurs services et étaient payés en puisant dans un fonds commun, accumulé grâce à une taxe progressive sur le nombre d’anfore de vin importées dans la ville par les membres de la corporation9.
7La corporation des osti était certainement sui generis, en premier lieu parce qu’il s’agissait d’une profession “provisoire”. Une fois l’enchère gagnée, le contrat de gestion durait deux ou quatre ans, selon l’appel d’offres, et quand le mandat finissait il était de nouveau mis aux enchères et vendu au plus offrant (la même chose se produisait dans le cas des bastioni). De plus, le nombre des membres de la corporation pouvait théoriquement augmenter sans contrôle parce que tout le monde, à condition d’avoir été oste au moins une fois dans sa vie, avait le droit d’en faire partie et d’y occuper des postes prestigieux : cela signifie, aussi absurde que ce soit, que même le gastaldo pouvait ne plus être lié d’aucune façon à la profession et ne pas s’intéresser au bon fonctionnement de la corporation.
8Le consortium des bastioneri, ainsi nommé par ses membres, était quant à lui entièrement différent. Malheureusement, nous ne disposons pas des mêmes informations que pour les osterie et nous en savons très peu sur sa fondation. Nous disposons d’un registre datant de 1785 que l’on peut difficilement définir comme une matricola, car il s’agissait d’un simple recueil de lois et de règles concernant le consortium et non produites ou proposées par celui-ci. Les premières pages sont consacrées à la législation la plus ancienne, en particulier à l’importation et la vente du vin et à la structure administrative de la Giustizia Nuova. La première règle, plus spécifiquement de nature opérationnelle, date du 13 septembre 1515 et précise les modalités de la vente du vin à l’intérieur des bastioni. Il ne s’agissait pas d’un lieu de sociabilité et cela ne devait pas le devenir : il était donc strictement interdit de fournir des tables, bancs et tout autre type de “confort” aux clients. De plus, aucune nourriture ne pouvait être vendue – pas même par des membres d’autres professions de la ville, comme les tripperi, scaletteri, cai de’ latte, etc. – et il était interdit d’organiser des danses de groupe ou des jeux de quelque nature que ce soit10.
9Le Collegio dei Sette Savi avait explicitement déclaré qu’il était possible de vendre du vin au détail dans ces magasins parce que c’était un service offert aux pauvres, avec la « déclaration expresse, cependant, que ceux qui achètent de tels vins les boivent dans leurs maisons avec leurs familles »11. Ils rappelaient n’avoir jamais autorisé la consommation sur place, à cause de laquelle les bastioni avaient dégénéré et étaient devenus des lieux dangereux. En effet, on pouvait y trouver des individus de toutes sortes ; il y avait des épisodes de meurtres et – selon les autorités publiques – la population pauvre y passait ses journées entre immoralité, vices et blasphèmes.
10Les responsables de cette situation étaient les propriétaires des bastioni, « qui, ne se souciant que de leurs propres [intérêts], ont fait placer des bancs et des tables dressées [dans leurs bastioni], comme des osterie, et l’été ils installaient des frascade pour accueillir plus de monde »12. Des règles plus strictes ont donc été imposées pour tenter de limiter ce problème, comme, par exemple, l’interdiction totale d’avoir dans les bastioni des verres permettant la vente au détail sur place. Les bastioneri, en effet, ne devaient avoir que les contenants utilisés pour mesurer le vin à emporter, dans des formats spécifiques d’une demi-lira et d’une lira13. En cas d’infraction, les peines étaient très lourdes, tant pour le bastionere que pour ses clients : le Conseil des Dix décreta en 1571 que tous ceux qui se retrouveraient à manger, boire ou jouer dans un bastione, seraient condamnés à ramer aux galères « avec les fers aux pieds » pendant 18 mois, ou bannis de la ville pendant trois ans. Le bastionere et tous les autres employés concernés subiraient le même sort14.
11En juin 1517, les types de vins qui pouvaient être vendus dans les bastioni ont également été spécifiés, une autre différence fondamentale par rapport aux osterie : ces dernières, en effet, avaient l’obligation de vendre des vins de plusieurs types et la concurrence incitait l’oste à acheter des vins de qualité, tandis que les bastioneri ne pouvaient vendre que des vins moins chers et de moindre qualité, provenant exclusivement de la terre ferme vénitienne.
12D’un point de vue organisationnel, le consortium des bastioneri avait une structure interne légèrement différente par rapport à celui des osti et de la plupart des autres métiers. Au lieu d’un gastaldo, il y avait deux pressidenti (présidents), qui semblaient avoir à peu près les mêmes fonctions (contrôle et perception des impôts, règlementation à l’intérieur du consortium, etc.), et un pressidente cassier avec des fonctions comptables ; il y avait aussi des sindici – leur nombre n’est pas précisé – qui les assistaient dans leurs activités.
13Entre le consortium des bastioneri et la corporation des osti, une différence substantielle apparaît dans la façon dont les membres eux-mêmes étaient perçus. Les raisons de fonder une corporation de métier ou d’y adhérer étaient multiples et avaient une double nature économique et sociale, généralement bien soulignée dans la réglementation des corporations. En premier lieu, l’accès à une sphère de protection sociale offrait divers avantages, tels que le soutien en cas de maladie, la dotation des filles des membres pauvres afin qu’elles puissent se marier, la garantie d’un enterrement digne après la mort et la célébration de messes pour les défunts15.
14Dans la réglementation du consortium des bastioneri, cependant, tout ce système de soutien et d’aide mutuelle est entièrement absent. Les mots mêmes de « frères et sœurs », habituellement utilisés dans la matricola des corporations pour définir leurs membres, n’apparaissent qu’une seule fois dans une supplique (la seule existant dans le livre), dans laquelle il y avait donc tout intérêt à s’appuyer sur un certain sentiment d’union et d’appartenance commune16. Les osti, à l’instar de la plupart des autres corporations, organisaient des messes auxquelles tous les frères devaient se présenter, recueillaient des fonds pour garder une bougie allumée en permanence sur l’autel de leur saint patron (saint Jean-Baptiste), aidaient les membres malades, se réunissaient pour enterrer les morts, distribuaient pain et bougies durant la fête de leur saint. Les bastioneri, en revanche, n’avaient pas de cérémonies communes, n’aidaient pas leurs frères en difficulté – ou du moins pas officiellement – ils ne s’occupaient pas des funérailles et du soutien aux veuves. Il s’agissait d’un groupe de marchands qui partageaient le même commerce et étaient donc soumis aux mêmes règles et restrictions. À travers le consortium, ils essayaient simplement d’établir un canal de communication privilégié avec la République et en même temps d’augmenter leur pouvoir de négociation. En outre, ils pouvaient estimer et percevoir plus efficacement les impôts et les taxes et limiter l’évasion fiscale en vérifiant que chacun payait sa cotisation conformément aux règles. De l’autre côté, de cette façon la République pouvait mieux contrôler le marché du vin, de l’importation à la vente au détail.
15Finalement, le consortium des bastioneri n’était pas comparable à une corporation, du moins pas selon les définitions classiques, puisqu’il s’agissait d’une simple association professionnelle à but opportuniste qui ne prévoyait pas une véritable union de ses membres à travers un mécanisme de protection sociale. D’autre part, ce n’est pas par hasard s’ils avaient eux-mêmes soigneusement évité de se qualifier de corporation, ou de scuola (le mot utilisé habituellement à Venise pour indiquer les confréries), se limitant à la simple définition générique de consortium.
Oste et bastionere : deux métiers provisoires ?
16Comme nous l’avons vu, les osterie et les bastioni ne pouvaient être loués que pour une période de deux ans – parfois quatre – appelée condotta. Le droit d’être oste ou bastionere s’acquérait en participant à l’une des ventes aux enchères publiques – appelées incanti – au cours desquelles la Giustizia Nuova vendait au plus offrant le droit (privativa) d’exploiter une osteria, tandis que les Governatori alle Entrate faisaient la même chose pour les bastioni. À ce stade, il semble légitime de se demander s’il s’agissait de deux activités temporaires et presque de repli, ou si ces professions avaient tendance à s’étendre dans le temps et à caractériser l’ensemble de la vie professionnelle d’un individu. En fin de compte, on doit réfléchir au type de relation qu’un individu entretenait avec sa profession, comprendre s’il s’agissait de professions “pour la vie”, peut-être aussi marquées par un certain caractère héréditaire, ou non. Bien qu’il ait été dit, non sans raison, que les osti et les bastioneri n’étaient considérés comme des “frères” « que pour la période pendant laquelle ils étaient employés dans cette activité », il n’est pas si absurde de songer à une certaine continuité, car une fois que la condotta avait expiré il était possible de participer à une enchère publique pour en acheter une autre. D’ailleurs, certaines preuves à cet égard nous viennent de la législation. Comme presque toutes les corporations, les osti prévoyaient eux aussi le paiement d’une taxe d’inscription à la corporation, dite benintrada : elle était réduite pour les fils des osti qui décidaient de s’inscrire, ce qui suggère au moins une tentative de promouvoir une certaine continuité générationnelle17.
17Dans le fond de la Giustizia Nuova il y a aussi des rapports de réunions de la corporation des osti ou du consortium des bastioneri, qui se réunissaient parfois auprès de la magistrature – bien que de façon irrégulière – pour élire les charges internes aux deux groupes professionnels. Dans le cas des osti, il s’agit de 18 réunions tenues entre 1678 et 1691, une liste de 280 noms correspondant à seulement 92 individus différents. Sur ces 92 personnes, 26 avaient la gestion d’une osteria pour au moins deux condotte consécutives (28,26 %), 3 en avaient une dans tous les relevés compris entre 1678 et 1690 et seulement 1 entre 1678 et 1691. Les données relatives aux bastioneri, en revanche, comprennent 10 assemblées qui avaient eu lieu entre 1678-1681 et 1684-1685, où l’on compte 150 signatures appartenant à 47 individus différents. De manière générale, on observe une meilleure stabilité par rapport aux osti, puisque 19 noms reviennent au moins dans deux condotte consécutives (40,43 %), et que 7 d’entre eux ont géré un bastione pour toutes les années comprises entre 1678-1681 et 1684-1685 (voir tableaux 8 et 9).
18Il est important de noter qu’un seul individu pouvait décider de louer plusieurs bastioni à la fois, en déléguant la gestion à du personnel salarié. Cette situation était particulièrement répandue et dans plusieurs cas il y avait un décalage entre le conduttore (ou capitalista), c’est-à-dire le propriétaire effectif de la licence et membre du Consortium des bastioneri, et celui qui gérait effectivement le bastione, appelé génériquement capo, chef. Les conduttori agissaient comme des investisseurs et recevaient de temps en temps des relevés de comptes provisoires de la part des chefs des bastioni, qui rendaient compte de l’état de l’activité. Par conséquent, de façon absurde, l’existence du consortium n’était même pas véritablement liée à l’exercice de la profession, qui pouvait ne constituer que l’une des différentes activités dans lesquelles les marchands étaient impliqués.
Tab. 8 – Osti gérant au moins une osteria entre 1678 – 1683 et 1690-1691. ASVe, Giustizia Nuova, b. 7
Oste | 1678 | 1679 | 1680 | 1681 | 1682 | 1683 | 1690 | 1691 |
Domenico Berera | * | * | * | * | * | * | ||
Antonio Bottani | * | * | * | * | * | |||
Giovita Busi | * | * | * | * | ||||
Francesco Calvis | * | * | ||||||
Gio Batta Cornoldi | * | * | * | * | * | * | * | * |
Zuanne Dall’oglio | * | * | * | |||||
Iseppo De Ri | * | * | * | |||||
Zuanne De Ri | * | * | * | * | ||||
Giacinto Fraini | * | * | * | |||||
Stefano Freschi | * | * | * | * | * | * | ||
Santo Gipponi | * | * | * | * | * | * | ||
Pietro Gorio | * | * | ||||||
Iseppo Grazioli | * | * | ||||||
Domenico Lazzarin | * | * | ||||||
Stefano Mascaroni | * | * | * | |||||
Antonio Offredi | * | * | ||||||
Pietro Ponchin | * | * | * | |||||
Martin Ponchin | * | * | ||||||
Michiel Regazoni | * | * | * | * | * | * | ||
Agostin Regazoni | * | * | * | * | ||||
Antonio Regazoni | * | * | * | |||||
Bernardo Riosa | * | * | ||||||
Zuanne Robustelli | * | * | * | |||||
Ambroso Volpe | * | * | * | * | * | * | ||
Zan Batta Gorio | * | * | * | * | * | |||
Domenico Santi | * | * | * |
Tab. 9 – Nombre de bastioni gérés par chaque bastionere/conduttore entre 1678-1681 et 1684-1685. Source : ASVe, Giustizia Nuova, b 7.
Bastionere/Conduttore | 1678 | 1679 | 1680 | 1681 | 1684 | 1685 |
Piero Basegio | - | - | 3 | 2 | 3 | 2 |
Zuanne Bettini | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 |
Antonio Brusa | 1 | 1 | 2 | 1 | 2 | 2 |
Bortolo Coletti | - | - | 2 | 2 | 1 | - |
Cristofolo Gambirasi | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | - |
Giacomo Garatti | 1 | - | 1 | - | - | - |
Cristofolo Guarinoni | - | 2 | - | 1 | 6 | - |
Vincenzo Licini | 2 | 1 | 2 | 2 | 1 | 1 |
Vincenzo Lazari | 1 | - | 2 | 4 | 3 | - |
Zan Battista Malanotte | 1 | 1 | 3 | 1 | 2 | 1 |
Zan Battista Martinelli | 2 | 2 | 2 | 1 | 2 | 1 |
Francesco Mussitelli | - | - | 4 | 3 | 2 | - |
Antonio Regazzoni | 1 | - | 1 | 1 | 3 | 1 |
Baldissera Rossi | 2 | 4 | 5 | 2 | 2 | 3 |
Iseppo Rossi | 2 | - | - | 4 | - | - |
Bortolo Salvin | - | 1 | - | 2 | - | - |
Giacomo Testi | 1 | 2 | - | 5 | - | - |
Girolamo Trevisan | - | - | - | - | 5 | 5 |
Antonio Verdi | 1 | 2 | 3 | 3 | 1 | 4 |
19D’après les rapports des réunions que le consortium des marchands de vins bastioneri avait organisé auprès de la Giustizia Nuova, nous pouvons voir que de nombreux conduttori géraient jusqu’à quatre ou cinq bastioni en même temps. Cette situation ne semble pas se répéter avec la même fréquence dans le cas des osterie, où l’oste et l’acheteur du droit de gérer une osteria étaient habituellement le même individu : le contrat de location des bastioni était beaucoup plus proche du droit des banderole qui, comme nous l’avons dit dans le chapitre précèdent, était généralement acheté par la corporation des malvasiotti dans son ensemble et ensuite distribué à ses membres, dans le seul but de pouvoir vendre leur vin au détail.
20Finalement, nous ne pouvons pas dire avec certitude que les métiers de bastionere et d’oste étaient des professions pour la vie, car les résultats de l’analyse sont controversés. Dans certains cas, le nom d’un membre n’apparaît qu’une seule fois, alors que dans d’autres il y a une répétition qui s’étend sur plusieurs années : on retrouve souvent le même nom de famille avec des prénoms différents, ce qui suggère qu’il y avait des cas dans lesquels la profession était transmise de père en fils. En tout état de cause, cela n’est valable que pour les osti, puisque les bastioneri étaient très souvent de simples marchands, qui devenaient membres du consortium dans le seul but de vendre leur vin au détail : il faudrait vérifier ce qui se passait au niveau des chefs de bastioni, s’il s’agissait toujours des mêmes individus ou non, mais malheureusement les sources ne nous le permettent pas.
Gérer une osteria ou un bastione, bien plus que vendre du vin
21Le 14 mars 1782, Antonio Rovelli et Santo Mainetti déclarèrent la dissolution de la « société fiduciaire » par laquelle, depuis 1777, les deux hommes avaient partagé à parts égales les bénéfices et les pertes de la gestion d’une osteria, de deux bastioni et d’un burchio18. Santo Mainetti était originaire de Val Brembana, à proximité de Bergame, et en 1756 il avait épousé Lucietta Rovelli, fille d’Antonio, qui résidait à Venise. Mainetti avait consacré toute sa carrière professionnelle au travail dans les bastioni de la ville : en 1762, il était employé dans le bastione de la Pietà, entre 1774 et 1776 il était chef de celui des Birri et, après avoir fondé la société avec son beau-père, il était devenu copropriétaire de l’osteria à l’enseigne du Pellegrino, des bastioni de la Giudecca et de la Canevetta et d’un burchio qui vendait en gros sur la riva des Schiavoni, à San Marco.
22En 1777, après avoir pris la gestion de l’osteria et des bastioni, les deux associés se tournèrent vers Giovanni Torre, un marchand qui s’était montré disposé à les aider à démarrer leur entreprise. En effet, d’après les bilans, il semble qu’entre octobre 1777 et septembre 1780, Torre leur avait vendu des linges, des meubles et de l’argenterie ; il avait aussi payé quelques bolletta du droit du vin et prêté de l’argent, pour un montant total de plus de 115 000 livres vénitiennes. Après son intervention, « l’osteria avait des capitaux de toutes sortes qui lui permettaient non seulement de pouvoir subsister, mais aussi d’avancer [dans son activité] sans avoir besoin de subventions supplémentaires »19. De plus, en profitant de ses nombreuses connaissances, Torre les avait mis en rélation avec Francesco Zigiotto, un négociant de vins de Vicence. En échange de ses services, Torre demandait un intérêt de 6 % par an sur les emprunts et un pourcentage sur chaque tonneau de vin que les deux hommes achetaient par le biais de Zigiotto.
23Giovanni Torre a laissé de nombreuses traces de lui dans les archives, où nous le retrouvons impliqué dans diverses affaires, dont beaucoup aboutissaient dans les salles des tribunaux. En 1773, par exemple, il fut impliqué dans un procès pour la faillite d’une usine de rosoli (eaux-de-vie à faible teneur en alcool), et il avait été dénoncé pour cette raison à l’Avogaria di Comun20. Plus tard, en 1788, il déclara faillite à cause de ses nombreuses dettes impayées et, suite à la plainte d’un de ses créanciers, un inventaire de toutes les marchandises qui se trouvaient dans son entrepôt fut dressé : dans la liste apparaissent différents types de biens, notamment des produits alimentaires comme par exemple du café, du sucre de différentes qualités, du chocolat et de l’huile, dont beaucoup étaient déjà pourris21. Il était un homme d’affaires sans scrupules et plutôt imprudent, qui faisait directement du commerce et parallèlement spéculait en agissant comme intermédiaire pour d’autres transactions.
24En tout cas, au cours des premières années l’entreprise Rovelli-Mainetti semblait bien fonctionner, car les deux associés avaient réussi à rembourser sans délai toutes les premières tranches, pour un total de plus de 63 000 livres vénitiennes. Plus tard, cependant, quelque chose commença à mal tourner, notamment à cause du changement d’attitude de Torre envers les deux partenaires. Ses demandes, en effet, devinrent de plus en plus pressantes et, profitant de la confiance de Mainetti et Rovelli, il commença à omettre l’enregistrement de certains paiements et à ajouter des intérêts passifs pour des dépenses jamais effectuées. Débordés par les dettes et probablement désunis par des désaccords internes, les deux associés décidèrent de dissoudre la société et de partager actifs et passifs. La dotation de l’osteria, qui restait à Rovelli, avait coûté beaucoup plus cher que celle des bastioni et du burchio – qui eux étaient sous la gestion du Mainetti – et la dette fut donc divisée en 2/3 et 1/3 respectivement, avec toutefois l’obligation pour Mainetti de payer les intérêts négatifs encourus.
25Le procès, qui dura une dizaine d’années et qui impliqua dans un premier temps l’inquisiteur de la Giustizia Nuova puis l’Avogadore di Comun, se termina de façon assez inattendue. Lorsque Giovanni Torre fut contraint de remettre les livres de compte pour qu’ils soient examinés, il déclara que certaines pages étaient scellées pour des raisons de confidentialité, jurant qu’aucune d’elles ne contenait d’informations sur l’affaire Mainetti-Rovelli. À la demande des deux associés et sans faire entièrement confiance à la déclaration de Torre, l’Avogadore (en bref, le juge) décida d’enlever les sceaux et d’ouvrir les pages, découvrant une réalité bien différente de celle déclarée par le commerçant.
26Tout d’abord, il découvrit immédiatement toutes les “erreurs” comptables, représentant au total près de 8 000 livres : de plus, étant donné que Mainetti ne pouvait pas payer ses dettes, Torre avait pris possession des deux bastioni et du burchio, qu’il avait gérés directement pendant 4 ans. Ce furent des années difficiles pour la famille Mainetti, car son épouse Lucietta avait dû faire valoir son assurance de dot sur tous les biens qui se trouvaient dans leur maison afin de ne pas les perdre22. Cependant, les calculs de l’Avogadore révélèrent finalement que la dette avait été largement remboursée et qu’au contraire, les rôles de créancier et de débiteur devaient désormais être inversés. L’histoire finit mal pour Giovanni Torre qui, à son tour, fut impliqué dans un nouveau procès pour dettes envers Rovelli et Mainetti. Ce deuxième procès était toujours en cours en 1793 lorsque, après la mort de Giovanni, ses neveux furent impliqués en tant qu’héritiers directs23.
27Au-delà des aspects procéduraux, cet épisode est très intéressant car il révèle de nombreux aspects liés à la gestion des bastioni et des osterie. La pratique comptable affiche une flexibilité inattendue, notamment en ce qui concerne les paiements, qui n’étaient pas toujours réglés dans l’immédiat, mais étaient souvent retardés de trois ou quatre mois. En outre, en cas de dépassement de plusieurs délais ou lorsque les montants devenaient plus importants, il semblait courant de cumuler la dette et de la diviser en plusieurs tranches. Comme nous l’avons dit, Giovanni Torre avait mis les deux partenaires en contact avec un marchand de la région de Vicence, qui leur vendait régulièrement du vin pour leurs activités. Après les avoir « adressés et recommandés » à ce marchand, Torre leur avait demandé une récompense égale à un ducat pour chaque tonneau de vin qu’ils achetaient.
28Pour chaque prêt, cependant, il exigeait un taux d’intérêt de 0,5 % par mois, défini au stade du procès comme une charge « criminelle, nuisible et usuraire ». Giovanni Torre s’était consacré simultanément à l’intermédiation commerciale et au trafic de tous types de marchandises, sans distinction : serviettes et nappes, lits et placards, des produits alimentaires. À plusieurs reprises, il avait vendu directement du vin aux deux partenaires, les invitant dans son entrepôt pour le déguster avant chaque achat24.
29Les bilans de la société, dans lesquels étaient enregistrés les achats de vin, de différentes marchandises et toutes les opérations comptables, représentent une source particulièrement intéressante notamment pour reconstituer la manière dont les paiements étaient effectués. Outre les espèces, la méthode des cambiali (billets à ordre) semblait être particulièrement répandue. Il s’agissait d’un titre certifiant l’obligation pour le débiteur de payer à une date et un lieu donné.
30En ce qui concerne le droit du vin a spina, une fois le vin importé et estimé, deux reçus étaient produits par les fonctionnaires des stimarie (où le vin était mesuré et taxé) : l’un était délivré au marchand importateur et l’autre remis au comptable de la Giustizia Nuova, qui vérifiait qu’ils étaient payés au banco giro, la banque publique vénitienne. Dans le cas contraire, le bastionere ou l’oste débiteur recevait un avis de paiement et, en dernier recours, tous les biens trouvés dans son bastione ou osteria étaient saisis.
31Cet épisode montre que la dynamique qui sous-tend l’administration d’une osteria ou d’un bastione était assez complexe, certainement plus qu’on ne pouvait s’y attendre. La participation aux enchères pour acquérir les droits de gérer une osteria ou un bastione et leur simple administration quotidienne exigeaient de bonnes connaissances en comptabilité ; il fallait développer des relations sociales assez étendues pour créer un réseau de fournisseurs sur la terre ferme vénitienne et avoir la capacité de traiter avec des créanciers afin de retarder ou de “diluer” les paiements. De plus, comme on l’a vu dans le cas de Mainetti e Rovelli, l’activité de l’oste ou du bastionere était souvent répartie entre le comptoir et les salles des tribunaux, afin de régler les procès en instance avec à la fois des créanciers et des débiteurs.
32À Venise, la situation était compliquée encore par le fait que les osterie et les bastioni étaient aussi des centres de prêt sur gages. D’une part, il fallait donc savoir comment gérer l’argent, éviter d’investir trop dans l’activité de prêt pour ne pas courir le risque de ne pas avoir assez d’argent pour payer les fournisseurs, les taxes ou d’autres créanciers. D’autre part, pour gagner de l’argent il fallait savoir estimer correctement la valeur des objets qui étaient engagés, une compétence dont l’apprentissage nécessitait beaucoup de temps et de pratique. À ce propos, Santo Mainetti semblait avoir suivi un certain parcours à l’intérieur des bastioni : il avait quitté Bergame – une région d’où venaient de nombreux travailleurs de ce secteur – pour Venise, où il avait commencé à travailler d’abord comme simple employé et seulement plus tard – sur la base des sources dont nous disposons, environ 15 ans après – comme chef de bastione25. Il y avait donc peut-être réellement un parcours de formation dans ce contexte professionnel, bien que non réglementé ou formalisé, qui était probablement nécessaire. Comme nous l’avons vu, finalement, le métier d’oste ou de bastionere impliquait bien plus que la simple vente de vin.
À l’intérieur d’une osteria et d’un bastione
33L’hospitalité chrétienne typique du Moyen Âge, qui avait la caractéristique d’être gratuite, offerte à quiconque et limitée au simple hébergement, disparaît progressivement entre le XIe et le XIIIe siècle, au profit d’une organisation hôtelière rémunérée et laïque26. La professionnalisation du secteur s’est produite par la création des auberges, qui avaient l’avantage de concentrer en leur sein une variété de fonctions différentes. En effet, elles assuraient des services d’hébergement et de restauration, constituaient des lieux d’échange d’informations et servaient aussi parfois d’entrepôt où les marchands stockaient leurs produits. Elles se sont révélées plus aptes à répondre aux changements internes d’une société dans laquelle le commerce jouait un rôle de plus en plus important27.
34L’hospitalité et la restauration étaient deux secteurs d’importance stratégique dans le contexte vénitien, à tel point qu’une estimation portant sur l’année 1642 indique que 18,6 % des chefs de famille des couches populaires étaient employés dans ce domaine28. De plus, ils avaient acquis des connotations particulières, notamment en raison d’une conception différente de la sociabilité de la part de la population vénitienne : à cet égard, Goldoni soutenait dans ses mémoires qu’« à minuit à Venise, on peut trouver des produits comestibles exposés comme à midi, toutes les osterie ouvertes, les dîners préparés dans tous les hôtels et auberges » et cela parce qu’« à Venise les déjeuners et dîners ne sont pas communs, mais … les repas économiques unissent les compagnons les plus animés et libres »29.
35Après avoir analysé les osterie et bastioni dans le contexte public et avoir souligné les difficultés liées à leur gestion, cette section vise à clarifier la façon dont ils étaient structurés à l’intérieur. Les sources – en particulier les inventaires réalisés par les fonctionnaires de la Giustizia Nuova, mais pas seulement – nous permettent d’observer ces lieux d’une perspective privilégiée et de les étudier de l’intérieur dans le cadre d’une analyse de la culture matérielle. De cette façon, il est possible de commencer à faire quelques hypothèses sur leurs activités quotidiennes et sur la composition des clients qui s’y rendaient chaque jour pour leur consommation.
36Dans les osterie, il était possible de manger, boire et trouver un logement pour la nuit. Il est difficile de donner une description générale de la manière dont elles étaient structurées, car, même si elles étaient caractérisées par certains éléments communs, il existait une forte distinction hiérarchique en fonction de la qualité de l’offre et du service, qui variait considérablement d’un établissement à l’autre. Les meilleures d’entre elles étaient destinées à accueillir les hauts fonctionnaires et les membres des familles royales en visite à Venise ; d’autres, comme celle à l’enseigne de la luna, étaient qualifiées de « bons hôtels de classe moyenne » ; enfin certaines, situées tout en bas de ce classement, étaient d’un rang beaucoup plus modeste30.
37Plusieurs voyageurs, plus ou moins connus, ont donné leur avis sur leurs séjours dans les osterie et sur ce qui était considéré à l’époque offrir un service d’hébergement de qualité : Érasme de Rotterdam remarquait que, dans certains cas, les linges étaient lavés au maximum tous les six mois et que plusieurs personnes étaient entassées dans une même pièce, forcées à partager leur lit avec des étrangers, augmentant le risque de propagation de parasites et de transmission de maladies31. Un des passages les plus cités concernant la différence entre un bon et mauvais oste est sans doute celui de Tommaso Garzoni dans La piazza universale di tutte le professioni del mondo (La place universelle de toutes les professions du monde entier). Il oppose les règles de la bonne hospitalité classique et le travail digne d’éloges du bon oste, « qui a pour but d’accueillir les étrangers de passage », et les mauvaises, dignes du « blâme éternel »32. Il insiste sur les différentes caractéristiques des mauvaises osterie, telles que les plafonds noirs comme la brume, les murs tachés de mille « souillures et saletés », les tables sales et moisies, les nappes couvertes de vin et de bouillon et les serviettes déchirées et abîmées « plus que les voiles des marins » ; les cuillères moches, les couteaux qui ne coupent plus, les fourchettes sans pointes, les torchons usés « comme les toiles d’araignées », les draps rapiécés et sales, les lits durs, les coussins puants, les chevets pleins d’insectes : bref, une osteria qui « crie de tous côtés une misère extrême et infinie »33.
38Que dire plus spécifiquement des osterie vénitiennes et de la qualité de l’hospitalité à Venise au XVIIIe siècle ? Il existe de nombreux inventaires sur lesquels s’appuyer, du moins pour comprendre leur structure intérieure et la qualité de leur dotation. Ils étaient rédigés pour diverses raisons, notamment lorsque le propriétaire avait une dette envers l’autorité publique (généralement pour des bollette non payées) ou en raison du décès de l’oste au cours de sa gestion. Comme il ressort de l’affaire Mainetti et Rovelli mentionnée à la section précédente, les osterie étaient louées vides, sans mobilier. Cela signifie que la qualité de l’hébergement dépendait exclusivement de la volonté et de la disponibilité économique de l’oste et que, par conséquent, elle pouvait changer radicalement en quelques années, tout comme la réputation de l’osteria.
39Cependant, bien que différentes par leur taille et leur qualité, toutes les osterie possédaient toujours trois éléments communs, que l’on pourrait définir comme le cœur de leur activité, à savoir la cuisine, les chambres et la caneva (la cave). Cette dernière était l’espace public par excellence, où l’on vendait aussi de la nourriture et du vin à ceux qui ne séjournaient pas dans l’osteria : elle était donc équipée de tables, de bancs et de chaises pour accueillir les clients, ainsi que de luminaires et de tout le nécessaire pour rendre le lieu plus accueillant et utilisable. L’inventaire de l’osteria à l’enseigne du Pellegrino datant du 9 novembre 1778 (sous la gestion Rovelli-Mainetti) nous donne une idée assez claire de ce à quoi devait ressembler la caneva d’une osteria à cette époque. Juste devant l’entrée, il y avait une grande table qui pouvait accueillir jusqu’à sept personnes, tandis qu’à l’intérieur on trouvait quatre autres tables en noyer avec huit bancs.
40Le mobilier était assez simple : trois armoires dans lesquelles étaient rangés des verres et des lampes, un vaisselier de sapin et un poêle pour chauffer la pièce. Puis huit paravents sont répertoriés (une quantité assez importante), qui servaient peut-être à séparer les tables pour offrir plus d’intimité à ceux qui le souhaitaient, ou pour former des espaces réservés où les objets étaient entreposés ou encore où l’oste exerçait certaines de ses activités34. Habituellement, à côté de la caneva il y avait une canevina (petite cave), une sorte d’entrepôt dans lequel étaient stockés des tonneaux de vin, normalement au moins un tonneau d’eau potable, toute une série d’instruments utilisés pour les opérations de transvasement (seaux, petits verres pour la dégustation, etc.), d’autres objets comme des verres (les grosse), couverts, nappes et serviettes et également des tables et chaises (probablement en réserve).
41L’une des choses qui distinguait les osterie des autres lieux de l’hospitalité était la possibilité de cuisiner pour les clients et donc, d’un point de vue structurel, la présence d’une cuisine plus ou moins équipée. C’est dans cette pièce que l’on trouve dans les inventaires la plus forte concentration d’ustensiles et d’objets de différents types, qui étaient généralement décrits avec une certaine minutie par les officiers, probablement en raison de leur valeur. Dans l’inventaire de l’osteria à l’enseigne du Pellegrino mentionné ci-dessus, la cuisine était divisée en quatre sections : « fers », « cuivres », « étains » et meubles. La première comprenait tous les objets en fer (grilles, couteaux, brochettes, outils pour le feu, etc.), suivis de ceux en cuivre (casseroles, poêles, seaux) et en étain (autres casseroles). Parmi les meubles figuraient quatre armoires, plusieurs tables (petites et grandes), des étagères, des bassines, etc. Ce n’est pas hasard si la valeur totale des objets de la cuisine dépasse les 2 600 livres vénitiennes, la plus élevée de tout l’inventaire, suivie seulement par le mobilier de la chambre de la « croce di Malta » (croix de Malte, 2 500 livres), particulièrement riche (notamment des toiles, dont la valeur a été estimée à 1 000 livres vénitiennes)35.
42La véritable différence entre une osteria et une autre était cependant déterminée par la quantité et, surtout, la qualité des chambres qu’elles offraient à leurs clients. L’analyse d’une série d’inventaires montre que le nombre de pièces était très variable, allant de 5 à 17, tout comme la qualité du mobilier. Dans l’osteria du Pellegrino, il y avait au total 12 chambres, 9 pour les clients et 3 réservées à l’oste, à sa famille et aux employés. Comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-dessous (tab. 10), il existe une grande différence au niveau de la qualité, immédiatement visible à la fois à la valeur et à la quantité des fournitures.
Tab. 10 – Chambres disponibles à l’osteria à l’enseigne du Pellegrino (avec la valeur des fournitures, 1778). Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 40. Valeur en livres vénitiennes.
Chambre | Valeur globale du mobilier | Miroirs | Tables | Chaises | Serrures | Lits | Cheminées |
Croce di Malta | 2 500 | 2 | 2 | 24 | 1 | Literie complète | 1 |
Papa | 2 164 | 2 | 2 | 24 | 2 | Literie complète | 1 |
Giardino | 1 250 | 2 | 3 | 12 | 1 | Literie complète | 1 |
Moro | 637 | 2 | 6 | 12 | 1 | Literie complète | - |
Donzella | 593 | 2 | 2 | 12 | 1 | Literie complète | - |
Mondo | 281 | 1 | 2 | 8 | 1 | Literie de base | - |
Anguria | 226 | 1 | 3 | 10 | 1 | Literie de base | - |
Cavalletto | 198 | 1 | 1 | - | - | Pas de literie | - |
Lion | 155 | 1 | 1 | 10 | 1 | Literie de base | - |
Chambre (“casa”) | 82 | - | - | - | - | Non spécifié | - |
Chambre (“padrone”) | 18 | - | - | - | - | Non spécifié | - |
Galiner | 10 | - | 1 | 3 | - | Non spécifié | - |
43Le miroir, la table et les chaises sont des éléments toujours présents dans une chambre : ce qui change, c’est leur nombre – celui des chaises suggère aussi la taille des tables et donc indirectement des pièces – et leur qualité. En effet, dans les trois chambres les plus riches on ne trouvait pas de simples miroirs mais de coiffeuses, les chaises étaient rembourrées et en noyer (plus résistantes, belles et chères) et tous les détails étaient soignés : les plafonds étaient en stuc et en partie peints, le mobilier était sculpté et peint, la literie était en tissus précieux et il y avait des cheminées pour chauffer la pièce36. Bien que pourvus d’objets moins précieux, les quatre chambres suivantes (moro, donzella, mondo et anguria) possédaient tous les éléments de base, c’est-à-dire, des lits, miroirs, tables et chaises. Le fait que presque toutes les pièces comportaient des serrures suggère qu’elles étaient probablement conçues pour accueillir une seule personne ou un groupe (couple, famille, etc.). La chambre dite du cavalletto, cependant, était la seule sans chaises, literie et serrures : on peut donc imaginer qu’elle était la moins chère et que ses hôtes devaient probablement la partager avec d’autres personnes. Enfin, les chambres de l’oste et des employés étaient les plus pauvres et les moins bien meublées. À l’intérieur, il y a quelques objets de valeur modeste, dont quelques armoires et coffres, une table et quelques chaises.
44En plus de la caneva, de la cuisine et des pièces, une osteria disposait d’un certain nombre d’autres espaces dans lesquels étaient déposés les objets nécessaires aux diverses activités quotidiennes. Dans de nombreux inventaires, on trouve une pièce spécialement dédiée au stockage des gages – le camerin de’ pegni – mais, lorsque l’espace disponible était insuffisant, ils pouvaient même être stockés dans la chambre de l’oste. En outre, il y avait une infinité de rangements sous les escaliers, petites pièces et greniers, où étaient entreposés des meubles cassés ou inutilisés et différents types de linge, propre et sale37. Enfin, s’il y avait une cour, elle permettait d’étendre les limites de la caneva et l’on y installait souvent des tables et des bancs pour que les clients puissent s’y asseoir. Les inventaires des osterie sont une source particulièrement intéressante pour l’étude de la culture matérielle vénitienne entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, car ils énumèrent une quantité incroyable d’objets. Dans le cas de l’osteria à l’enseigne du Pellegrino, on trouve notamment plus de 1 230 serviettes, 400 verres, 170 nappes, 130 chaises, 120 tabliers, 37 tables, 60 chandeliers, 13 miroirs, etc.
45Cependant, en ce qui concerne les bastioni la situation est tout à fait différente. En raison de la nature même de leur activité et du fait qu’ils ne pouvaient pas proposer de nourriture ni de logement aux clients, les inventaires sont beaucoup moins riches en termes de quantité et de qualité des objets, et décrivent généralement des structures plus petites. Dans un inventaire de 1761, on voit que le bastione de San Gregorio était divisé seulement en trois pièces, la corsia, où le vin était conservé et vendu, une salle adjacente et la salle où les gages étaient déposés (le camerin de’ pegni). À l’intérieur il n’y avait que des tonneaux, des instruments pour mesurer et transvaser le vin, quelques tables et bancs38. Dans d’autres cas, cependant, on reconnaît dans le bastione la structure typique d’une osteria, caractérisée par la division des espaces en différentes pièces qui portaient encore parfois les noms classiques des chambres des auberges (comme par exemple Croce di Malta, Donzella, Mondo, etc., voir tab. 10). L’inventaire du bastione dit dei Cortellotti (ou terza poste Zattere) de 1771 en constitue un bon exemple. Il se trouvait dans un immeuble assez imposant qui, en plus de la corsia et du camerin de’ pegni, avait une caneva, une cour avec porche et 10 autres pièces, qui, à l’exception de celle habitée par le bastionere et les autres employés, étaient toutes équipées de tables et de chaises39.
46Le premier et le plus important constat qui ressort de l’analyse de ces inventaires, est que les bastioni possédaient parfois de nombreuses tables et bancs, bien que ce fût interdit par la loi. Ils étaient sans doute destinés à accueillir une clientèle qui s’y arrêtait pour boire en compagnie. À cet égard, la structure du bastione de Cortelotti est indicative, étant donné que s’il avait vraiment été destiné uniquement à la vente à emporter, il n’y aurait pas eu besoin de chambres, toutes meublées. En général toutefois, les inventaires s’avèrent moins utiles pour une analyse de la culture matérielle : c’est probablement dû au fait qu’il était absolument interdit aux bastioneri de conserver dans leur bastione toute sorte de récipient utilisé pour la vente du vin, ainsi que pour la cuisson ou la préparation de tout type de nourriture. Dans ce cas il suffisait de recourir aux services d’un luganegher et d’apporter avec soi les bouteilles ou les pichets nécessaires à la consommation du vin40.
Les clients des bastioni et des osterie
Pauvres VS riches ?
47Si l’on cherche une définition générique, il est facile d’identifier le type de clientèle qui se rendait dans les osterie et les bastioni. La tâche s’avère toutefois beaucoup plus complexe si l’on cherche à dépasser la simple opposition entre les catégories un peu creuses de pauvres et riches. La législation sépare clairement les bastioni des osterie, du fait que les premiers sont exclusivement réservés au service des personnes de statut modeste, tandis que les secondes s’adressent principalement aux étrangers et aux « premiers seigneurs, les chevaliers de rang », comme le disait Brighella à Ottavio dans la comédie La cameriera brillante de Goldoni41. De plus, les deux activités avaient des finalités bien différentes, puisque les bastioni ne vendaient techniquement que du vin à emporter, tandis que dans les osterie il était possible de le consommer sur place, souvent accompagné d’un repas complet.
48Des sources réglementaires confirment que la violence et les délits perpétrés par certains clients pouvaient faire des bastioni un lieu peu sûr même pour le bastionere et ses employés, qui se retrouvaient parfois à travailler dans des conditions dangereuses pour leur sécurité. En juillet 1627, des peines très sévères furent établies par l’autorité publique – jusqu’à 5 ans à ramer dans une galère, 20 ans de bannissement des territoires de la République ou 5 ans de prison – pour quiconque attaquait verbalement ou physiquement le chef du bastione ou l’un de ses hommes42. Il s’agissait d’un environnement très différent de celui des osterie, que, nous le rappelons, « l’esprit public ... [avait construit] pour le besoin des étrangers et pour le confort des gens morbinose (joyeuses) et riches »43.
49Malheureusement, dans les sources les références aux clients sont peu nombreuses. Sur une liste d’individus qui avaient engagé un objet dans l’un des bastioni de la ville en 1699, on trouve environ 1 900 noms auxquels sont associés seulement 334 métiers. Parmi eux 17,4 % étaient des domestiques, 7,4 % des tailleurs, et entre 4 et 4,5 % des charpentiers, tisserands, bateliers et cordonniers44. Le fait que le groupe le plus important soit composé de serviteurs soulève quelques doutes, tout d’abord quant à savoir s’ils s’étaient tournés vers le bastione pour demander un prêt pour eux-mêmes ou pour leurs maîtres. Les domestiques étaient en effet, du moins en théorie, payés à un rythme plus régulier par rapport aux autres professions, parce qu’il s’agissait d’un travail constant tout au long de l’année. Peut-être s’agissait-il de serviteurs dans une acception plus large du terme, de travailleurs employés par une famille noble en charge d’activités temporaires ou saisonnières. En tout cas, ils appartenaient en général aux couches moyennes ou basses de la ville, employés dans différents corps de métier. Il est malheureusement impossible d’effectuer une comparaison avec les osterie parce que nous ne disposons pas de la documentation nécessaire.
50La variété des devises utilisées pour payer les achats dans les osterie et les bastioni peut nous fournir des informations intéressantes sur l’origine des clients. Les osterie étaient conçues pour accueillir les étrangers, il est donc normal d’imaginer la présence de devises étrangères : Il n’est pas particulièrement surprenant, par exemple, d’apprendre que l’oste à l’enseigne du Pellegrino gardait dans sa chambre des ducats, des sequins, de la monnaie espagnole, des ongari romains, des thalers, des filippi et des monnaies dites papal45. Pour les bastioni au contraire, les choses étaient différentes, car ils étaient théoriquement destinés à répondre à la demande de la population vénitienne. Dans le cadre d’un procès impliquant un conduttore qui accusait de vol le chef d’un de ses bastioni, nous avons la chance de pouvoir consulter les rapports hebdomadaires de la caisse entre le 5 décembre 1736 et le 22 mai 1737 (tab. 11)46.
Tab. 11 – Fonds de caisse du bastione de San Trovaso entre le 05/12/1736 et le 22/05/1737. Source : ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 342.
Pièces | Nb de pièces | Valeur (Livres vén.) |
Zecchini | 37 | 814 |
Filippi | 267 | 2 937 |
Ducati | 168 | 1 346 |
Scudia | 17 | 209 |
Soldoni | 186 | |
Ongari | 3 | 63 |
Doppie | 1 | 37,5 |
Genuineb | 1 | 22,5 |
Rotti | 273,75 | |
a. Il s’agissait probablement de scudi de deux types différents, parce que le bilan indique deux valeurs différentes en lires vénitiennes. b. On ne sait pas de quel type de devise il s’agissait. |
51Plus précisément, il s’agissait du bastione de San Trovaso, situé dans la sestiere de Dorsoduro, l’un des plus pauvres de la ville. La caisse en question comprenait à la fois des monnaies vénitiennes, telles que des sequins, ducats et rotti (c’est-à-dire de pièces vénitiennes de différentes tailles) mais aussi des monnaies étrangères : on trouve par exemple des filippi et des scudi de Milan, des ongari, des doppie (nous n’en connaissons pas la provenance) et d’autres types de monnaie mal identifiés comme les Genuine. Cette variété peut s’expliquer par les différentes origines des clients, qui s’étaient peut-être récemment installés à Venise et devaient donc encore dépenser la monnaie de leur pays d’origine. Il semble beaucoup plus probable cependant, que du fait de la rareté monétaire, les clients payaient leurs achats avec tout ce qu’ils trouvaient, y compris des devises étrangères, qui circulaient en parallèle des monnaies “nationales”. Par conséquent, on peut imaginer que les bastioneri et les osti devaient avoir l’habitude de recevoir des devises étrangères et avaient une bonne connaissance des différents taux de change.
52Cette dernière hypothèse est également confirmée par le fait que l’on retrouve la même situation dans les sources relatives aux enchères de gages non rachetés et vendus par la Giustizia Nuova47. Un document intitulé « Soldi scossi sopra l’incanto » (« Argent perçu pendant l’enchère ») datant de mai 1793 témoigne en effet que les participants à la vente publique avaient payé leurs achats avec différents types de monnaie, tels que les tolars, les scudi et de la monnaie romaine48. On peut difficilement supposer que quelqu’un soit venu à Venise uniquement pour acheter un mouchoir ou un pantalon ; il est beaucoup plus vraisemblable d’imaginer que c’était de l’argent régulièrement utilisé dans la ville. À cet égard, il serait intéressant de savoir comment les osti et les bastioneri payaient les prêts qu’ils accordaient à leurs débiteurs (uniquement en monnaie vénitienne ou en mélangeant différentes devises), mais nous ne disposons malheureusement pas de la documentation nécessaire pour répondre à cette question.
53En fin de compte, il est particulièrement difficile d’identifier quels étaient les “véritables” clients des bastioni et des osterie, même s’il y avait probablement effectivement des différences qualitatives entre les deux lieux. Une autre tentative dans ce sens fait l’objet d’une section plus loin dans le texte, lorsque sont analysées plus spécifiquement les sources liées à leur activité de prêt sur gage.
La composante féminine
54La relation complexe entre femmes, osterie et boissons alcoolisées est au cœur d’un débat impliquant différentes réalités de l’Europe moderne. En effet, à cette époque, la consommation d’alcool avait une acceptation sociale différente entre les hommes et les femmes. Si elle servait à augmenter et à réaffirmer l’honneur masculin, elle pouvait en revanche affecter et même détruire celui des femmes. La consommation publique d’alcool était un rituel classique chez les membres d’une même corporation de métier, pour valider des transactions commerciales ou plus simplement dans le contexte de la sociabilité masculine courante. Démontrer sa capacité à ingérer une importante quantité d’alcool permettait d’afficher à la fois sa santé physique et économique49. Pour les femmes, en revanche, la question était tout à fait différente, car elle représentait « un renversement de la hiérarchie des sexes et une perversion de la notion d’honneur définie sexuellement »50. Mais dans de nombreux cas, ce n’était pas seulement la consommation qui n’était pas acceptée, car les femmes, ou du moins les femmes honorables, ne devaient même pas entrer dans une osteria sans être accompagnées de leur mari51.
55L’un des rares moments d’évasion par rapport à ces normes sociales semblait être le carnaval, mais uniquement parce qu’il s’agissait d’une période pendant laquelle avait lieu une inversion des valeurs traditionnelles : tout comme les pauvres pouvaient se permettre de “devenir riches” en s’habillant et en se comportant comme tels, les femmes pouvaient assumer certaines valeurs masculines. Le carnaval représentait une perte volontaire et temporaire de son individualité et de son identité, au cours de laquelle chacun avait la possibilité de “ne plus être soi-même”, du moins pour quelque temps52. En dehors de cette période, cependant, les femmes étaient principalement représentantes de l’environnement domestique, envisagé en opposition directe avec le monde de l’osteria. Elles avaient le devoir d’intervenir sur la consommation des maris si cela perturbait l’équilibre du foyer, c’est-à-dire lorsque l’homme ne pouvait plus subvenir aux besoins de sa famille et finissait par devenir un fardeau : bien qu’extérieures, les femmes participaient donc activement à la définition des règles du comportement du drinking behavior53.
56Cela ne veut pas dire que le monde de l’osteria était entièrement masculin, parce que beaucoup de femmes y étaient employées, notamment souvent les femmes et les filles des osti54. Une enquête de 1881 a montré qu’en France, les débits de boissons étaient généralement gérés par des femmes, car les maris – bien que techniquement propriétaires de l’entreprise – étaient employés quotidiennement dans leurs professions respectives55. Bien sûr, le fait que, dans de nombreuses sociétés de l’époque moderne, il était difficile pour les femmes de se rendre librement dans les osterie, ne signifie pas qu’elles ne buvaient pas, mais simplement que leur consommation était essentiellement domestique56.
57En général, une femme seule dans une osteria était presque immédiatement associée au monde de la prostitution57. Les autorités publiques établissaient des règles très strictes afin de limiter le phénomène de la prostitution dans les osterie et plus généralement dans les lieux où l’alcool était vendu. Il était en effet connu que les taverniers et les osti étaient généralement favorables à la présence de prostituées dans leurs locaux, car elle augmentait le nombre de clients, la consommation globale et, par conséquent, leurs revenus58. Comparée à celle de la plupart des autres villes européennes, la législation vénitienne était plutôt à contre-courant. La première référence que l’on a trouvée remonte à une loi de juin 1316, qui interdisait aux osti d’offrir l’hospitalité aux prostituées pendant la nuit, ainsi qu’aux voleurs et aux assassins59. Il a toutefois été précisé que l’interdiction ne s’appliquait qu’à la nuit, car elles étaient de grandes consommatrices de vin et étaient donc obligées de s’approvisionner exclusivement dans les osterie de la ville60. De façon tout à fait étonnante, à partir de 1444, le Grand Conseil Vénitien déclara que, ayant constaté qu’elles étaient utiles à l’augmentation du droit du vin, « ces prostituées [pouvaient] rester jour et nuit dans les tavernes et osterie librement, manger et dormir à leur gré, et ladite norme [qui l’interdisait, celle du 1316] est abrogée »61.
58Plus tard, dans les documents de la Giustizia Nuova et du Collegio dei Sette Savi on ne trouve pas d’autre référence à la relation entre prostituées et osterie : pendant un certain temps du moins, les règles concernant la prostitution à Venise ont suivi une ligne résolument contraire à ce qui se passait dans d’autres réalités européennes, dans le but de préserver et d’augmenter les ventes de vin62. Il s’agit d’un très bon exemple du pragmatisme bien connu des autorités vénitiennes, qui ont toujours été prêtes à subordonner les questions morales aux raisons économiques. En ce sens, il est possible d’établir un parallèle très intéressant avec l’activité de crédit des osterie et des bastioni, car les raisons semblent être les mêmes, c’est-à-dire augmenter autant que possible les revenus dérivés du droit sur le vin. Le fait que l’oste ou le bastionere était aussi prêteur sur gage est une autre particularité de l’histoire vénitienne, car les femmes, souvent considérées comme responsables de l’économie familiale, s’y rendaient précisément pour cette raison.
59Dans les procès conservés dans le fonds de la Giustizia Nuova, on trouve de nombreuses femmes qui signalaient des cas de fraude dans le cadre d’opérations de crédit avec des osti ou des bastioneri. Par exemple, le 23 février 1768, Paola Lanari rapporta qu’elle avait été trompée par Piero, le chef de l’osteria à l’enseigne del sole, à Rialto, qui ne lui avait pas délivré de reçu pour le gage, comme l’exige la loi ; quand elle avait essayé de racheter sa couverture, elle avait découvert qu’elle avait déjà été rachetée par quelqu’un d’autre. En novembre de la même année, Giulia Fachi se tourna vers la Giustizia Nuova parce qu’Agustin, propriétaire de l’osteria à l’enseigne de la torre (la tour), ne lui avait pas délivré de reçu et qu’il ne voulait plus lui rendre son justaucorps. De nouveau, le 2 septembre 1760, les chefs de la corporation de filatoggi (ceux qui s’occupaient de la filature de la laine et de la soie) se plaignirent que certaines femmes maîtres de ce corps de métier engageaient la soie reçue des marchands dans les bastioni de la ville en échange de nourriture et d’argent, et demandaient qu’il soit interdit aux bastioneri de prendre en gage ce type d’objet63. Les femmes étaient actives dans ce contexte et nous sommes donc sûrs qu’elles fréquentaient les bastioni et osterie de la ville, probablement sans être accompagnées de leurs maris.
60Dans le cadre d’un contrôle fiscal de l’activité de certains fonctionnaires de la Giustizia Nuova, Zuanne Orzali, le comptable chargé de la vérification, dressa une liste des noms des personnes qui, au moment des ventes aux enchères des gages en 1699, n’avaient pas reçu leur surplus, c’est-à-dire la différence entre la valeur du crédit reçu en engageant un objet et celle dérivée de sa vente (il s’agit de la même liste que celle utilisée plus haut pour reconstruire les professions des clients des bastioni et osterie)64. Beaucoup de noms figurent en double sur la liste et, dans certains cas, il n’y a que des descriptions générales comme “étranger” ou “un homme/une femme”, mais sur un échantillon de 1 921 noms, 1 499 sont masculins et seulement 422 féminins, soit environ 78 % contre 22 %65 Si la prépondérance masculine est évidente, nous avons en revanche la certitude qu’à Venise la situation était très différente par rapport à de nombreuses autres villes de l’Europe moderne, car les femmes pouvaient entrer librement dans les bastioni et les osterie, sans causer aucun scandale. En conclusion, il faut résister à la tentation de considérer schématiquement la sphère publique comme purement masculine en opposition à la sphère privée à prédominance féminine : la situation était plus complexe et les frontières entre les deux dimensions beaucoup mouvantes qu’on ne pouvait l’imaginer.
(In)Hospitalité à Venise : un aperçu des structures de l’hospitalité urbaine
Osterie et albergarie : deux formes d’hospitalité différentes
61L’analyse de la structure de l’hospitalité vénitienne s’avère aussi complexe que celle des “lieux” du vin, qui a fait l’objet d’une section dans le chapitre précédent. En effet, une multitude d’activités différentes émergent des sources, toutes réglementées selon le critère de non-concurrence, évitant ainsi autant que possible le chevauchement des compétences et visant à sauvegarder la supériorité des osterie déjà mentionnée dans ce contexte. Les rappels à l’ordre continus et la répétition mécanique des mêmes lois montrent cependant que l’autorité publique luttait pour exercer un contrôle efficace de la situation et pour limiter les abus et la concurrence illégale entre les différents acteurs impliqués dans ce secteur.
62L’hospitalité vénitienne se déclinait en différentes solutions, ayant chacune des objectifs propres : elles pouvaient avoir un caractère religieux (monastères), social (hospices et hôpitaux), commercial (fondaci, c’est-à-dire entrepôts), ou s’adresser aux autorités étrangères, aux pèlerins et plus généralement aux voyageurs66. Concernant la simple hospitalité, aux 20 osterie environ actives au XVIIIe siècle, il faut ajouter également celles de l’aquila d’oro et du leone bianco, qui, avec celle de San Zorzi, avaient un statut particulier étant donné qu’elles pouvaient héberger uniquement les oltramontani67. Les osterie ne suffisaient pas à accueillir la totalité des étrangers qui se rendaient chaque jour dans la capitale, puisque, comme le prévoyait la loi, elles n’étaient tenues de fournir que 40 lits chacune, soit 800 au total. Même si l’on considère que plusieurs personnes dormaient ensemble, cette offre n’aurait pas suffi pour absorber une demande d’hébergement correspondant à un flux « compris entre 10 et 12 mille individus dans une ville qui, aux alentours de l’an 1500, en comptait dix-onze fois plus »68.
63Les locande (auberges) étaient très semblables aux osterie, même du point de vue de leur structure interne, mais elles avaient l’interdiction absolue de cuisiner et de vendre du vin (et elles ne pouvaient pas prêter sur gage). Les case di comunità (maisons de communauté), en revanche, étaient des institutions spécifiques de l’hospitalité vénitienne, destinées à accueillir des nobles, des personnalités remarquables (comme des ambassadeurs) ou des citoyens provenant d’autres villes, vénitiennes ou non. Il s’agissait donc d’une forme d’hospitalité privilégiée réservée à certaines communautés spécifiques et qui pouvait se trouver uniquement en dehors des “îles” de San Marco et Rialto69. Tous les frais de gestion étaient payés exclusivement par les communautés respectives, qui devaient nommer un gardien ayant le statut de responsable face aux autorités vénitiennes. Enfin, il y avait de nombreuses albergarie privées, normalement de modestes logements populaires loués par des particuliers – appelés albergatori – après s’être acquittés du paiement d’une licence mensuelle au Collegio dei Sette Savi70.
64Les règles étaient très strictes et visaient, comme on l’a dit, à éviter qu’une foule de concurrents ruinent le marché des osterie, dont dépendait une grande source de revenu pour la République. La situation était plus compliquée dans le cas des albergarie, les opposants les plus redoutables des osterie, car il était très difficile de les contrôler. Dans un premier temps, il avait été décidé qu’il n’était pas possible pour les gestionnaires privés de « louer des chambres ou d’autres logements avec des lits […] mais seulement vides » et pas « pour moins de quatre mois »71. Plus tard, le Collegio dei Sette Savi commença à se plaindre de ceux qui louaient des chambres à des particuliers seulement pour quelques jours, « au très grave détriment de ce droit [du vin a spina] »72. La solution à ce problème fut assez drastique, en prévoyant que les hôtes paient par avance une caution égale à 4 mois de loyer chez le notaire public du Collegio. Cela posait des problèmes pour les voyageurs de passage, qui étaient donc obligés de loger dans les osterie, en payant un prix beaucoup plus élevé. Pour ces derniers, « il convenait de s’immerger dans […] le vaste océan de l’hospitalité privée [albergarie] et de s’engager dans une lutte acharnée avec les magistrats compétents, constituée de petites fuites et de violations de la loi »73.
65Les osterie et les albergarie peuvent à juste titre être considérées comme les deux extrémités de l’hospitalité vénitienne, les premières comme symbole de sociabilité et de lieu public par excellence, tandis que les secondes étaient typiques de ce que l’on considère aujourd’hui comme un environnement privé et intime, à savoir la sphère domestique. En tout état de cause, au-delà de la simple réglementation, la clé pour comprendre véritablement les différentes formes d’accueil et les difficultés de contrôle public réside probablement dans la frontière instable qui sépare la sphère privée de la sphère publique. Les maisons étaient ouvertes au passage de nombreux étrangers, qui étaient libres de se déplacer et de disposer des lieux qui les composaient, les partageant avec l’hôtelier et sa famille, qui se trouvaient obligés de réduire à quelques pièces leur propre espace intime.
66Nous avons déjà dit qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, Venise comptait environ 20 osterie, réparties entre le centre administratif et commercial de la ville, respectivement la place San Marco (9) et la zone autour du pont du Rialto (11). Elles étaient donc facilement contrôlables et sujettes à des inspections de jour comme de nuit par les fonctionnaires de la Giustizia Nuova. Leur principal objectif était d’assurer le respect des règles fiscales et de lutter contre les fraudes, en essayant de prévenir tout abus par rapport à la contrebande et au détriment des pauvres, tant en ce qui concerne le commerce du vin (qualité du produit, exactitude des mesures et du prix, etc.) que la garde et la gestion des objets engagés. À partir de 1594, la corporation des osti était également active dans des contrôles de ce type par le biais d’une cerca, c’est-à-dire un groupe de cinq hommes qui devaient « marcher fréquemment dans la ville pour vérifier s’il y a[vait] des abus »74.
67Le fait que ce soit des lieux publics facilement identifiables facilitait la surveillance de l’activité des osterie, tandis que pour les albergarie la situation était complétement différente, car elles étaient si nombreuses que malgré les tentatives d’augmenter les contrôles, leur activité n’a jamais pu être complètement régulée. En effet, l’identification des albergatori illégaux était une opération complexe. Un document non daté, mais qui remonte vraisemblablement au milieu du XVIe siècle, mentionne l’existence d’au moins 5 000 ou 6 000 albergarie dispersées dans la ville. Beaucoup d’entre elles étaient clandestines, en raison de la difficulté d’exercer un contrôle efficace et aussi à cause de la légèreté des sanctions qui pouvaient être appliquées75. Les autorités publiques essayaient de rendre plus efficace l’identification des albergatori illégaux en encourageant les citoyens privés à signaler spontanément tous les cas dont ils avaient connaissance, en promettant un pourcentage de l’amende à l’accusateur (généralement égal à la moitié de la peine). Le problème de leur identification était très important et, si l’on y réfléchit, se reflétait aussi sur les clients potentiels : comment les étrangers savaient-ils où se trouvait une albergaria s’il n’y avait pas d’enseigne ou d’autre symbole qui la rendait reconnaissable ? En ce sens, le bouche-à-oreille jouait peut-être un rôle clé et on peut imaginer que les osterie eux-mêmes constituaient un lieu stratégique pour trouver des clients. De l’autre côté, c’était précisément le succès des albergarie, attesté par la présence continue de personnes toujours différentes, qui signalait aux autorités leur présence. D’une certaine façon, il n’est pas faux de dire que l’identification des hôteliers passait par celle des clients eux-mêmes.
68Les Albegarie étaient souvent situées dans des maisons assez grandes et déployées sur plusieurs étages, avec de nombreuses chambres et de petites pièces entrecoupées de cuisines, de porches et de cours intérieures. Dans certains cas, il y avait une opposition entre certaines chambres bien meublées et d’autres plus petites et modestes, peut-être parce que, comme dans le cas des osterie, les albergatori offraient différentes prestations afin de satisfaire différents types d’hôtes et de budgets. L’impôt trimestriel qu’ils devaient payer était basé sur le nombre de chambres disponibles pour les étrangers et, en général, sur le loyer qu’ils payaient, puisque la plupart de ces propriétés étaient également louées. L’activité des albergatori était souvent une activité secondaire visant à augmenter le revenu familial : on prenait en location une propriété plus grande que nécessaire afin d’en sous-louer une partie et de réserver quelques chambres à l’hébergement d’étrangers. C’est par exemple ce qu’avaient fait Giovanni Guinchard et son épouse, deux tailleurs d’origine étrangère qui vivaient à Venise depuis de nombreuses années. Le couple avait loué pour 160 ducats par an une maison dans la paroisse de San Moisè, laquelle était beaucoup plus grande que ce qui aurait suffi à leurs besoins. Ils avaient décidé d’en sous-louer une partie (l’appartement à l’étage supérieur et un entrepôt attenant à la maison) et, s’étant retirés dans les pièces les plus modestes, ils avaient réservé trois chambres au logement des étrangers76.
69Les albergarie ne pouvaient pas rivaliser avec les osterie en termes de nombre de lits et concernant la quantité de mobilier et sa qualité, mais elles avaient l’avantage incontestable de coûter moins cher. La forte demande de logements à bon marché et la facilité avec laquelle les règles pouvaient être contournées jouaient au détriment de la corporation des osti et par conséquent de l’argent que cette dernière versait dans les caisses publiques. Les osti essayèrent de ne pas perdre leur leadership dans le secteur, ainsi que l’exclusivité du service qu’ils offraient, en tirant parti de la protection dont ils bénéficiaient auprès des pouvoirs publics. De plus, pour sauvegarder leur activité, la Giustizia Nuova avait établi en 1510 que les étrangers venant de la terre ferme devaient rester au moins six jours dans des osterie avant de pouvoir trouver un autre logement, trois jours pour ceux qui arrivaient par la mer77. En général, les albergarie avaient des coûts d’exploitation beaucoup moins élevés et pouvaient donc maintenir les prix plus bas : avec les différences qui s’imposent, on retrouve un mécanisme de concurrence similaire à ce qui existe aujourd’hui entre hôtels et Airbnb.
Femmes, osterie et albergarie : l’informel comme sphère féminine ?
70En 1355, les osti s’étaient réunis en corporation, quoique sui generis, avec tout ce qui s’ensuivit en termes d’organisation, de visibilité et de relations avec les autorités publiques. Les femmes n’apparaissent qu’en passant dans la documentation de la corporation et très rarement comme ostesse. La condotta d’une osteria durait au maximum deux ou quatre ans et ensuite, si l’on voulait continuer dans la même activité, il fallait essayer de renouveler le contrat ou en acheter un autre. Nous ne savons pas si les femmes pouvaient participer ou non aux ventes aux enchères (il n’y a aucune règle qui le spécifie), mais il est certain qu’elles n’apparaissent comme gérantes de l’activité qu’en tant que veuves des osti, donc si ces derniers décédaient pendant la période de leur condotta. Cependant, elles étaient certainement présentes dans les osterie parce que les osti étaient tenus d’y vivre avec toute leur famille. On peut donc affirmer que même à l’intérieur de ces lieux, bien que considérés comme un symbole de l’espace public, il y avait aussi une dimension privée et familiale.
71Une liste établie par le notaire de la Giustizia Nuova le 24 septembre 1762 indique les noms et fonctions de tous les employés des osterie à cette date78. Dans la liste apparaissent également les membres des familles des osti, auxquelles appartenaient presque toutes les femmes de la liste (56 sur 74). Les autres (18) étaient inscrites comme domestiques, mais elles n’étaient pas comptées parmi les employés de l’osteria, mais comme membres de l’unité familiale, et donc leur activité semble être limitée aux soins des familles des osti.
72Contrairement aux osterie, si l’on regarde les listes des débiteurs du droit des albergarie, on trouve immédiatement beaucoup de noms féminins. Les femmes n’apparaissent pas comme de simples doublures qui arrivaient presque accidentellement sur la scène (comme dans le cas du corps de métier des osti), mais elles étaient au contraire les véritables propriétaires de l’activité. Elles s’identifiaient comme appartenant à un groupe professionnel, même s’il n’était pas organisé en corporation, elles payaient les impôts et, en cas de problèmes, elles se rendaient personnellement aux tribunaux où dans les bureaux des différents magistrats.
73Le 5 avril 1679, un groupe de 17 albergatori demanda à la Giustizia Nuova l’autorisation de se réunir en corporation de métier. La demande fut rejetée, probablement sous la pression des osti qui craignaient d’en pâtir d’une manière ou d’une autre. En tout cas, il est intéressant de noter qu’il n’y avait pas une seule femme parmi les 17 signataires79. Finalement, dans le cas spécifique de la structure d’accueil vénitienne, il y a donc un contraste entre la sphère corporative, qui semblait être purement masculine, et la sphère extra-corporative, qui était plus spécifiquement féminine. De manière générale, l’univers des corporations de métier semblait donc être hostile aux femmes, forcées d’occuper tous les espaces qui se trouvaient en dehors, mais qui s’avéraient vastes et rentables.
74Ce n’est pas un hasard si de nombreuses femmes étaient employées dans des activités illégales menées dans des maisons privées. À cet égard, nous avons vu dans le chapitre précédent que plusieurs femmes avaient ouvert leur maison pour vendre du vin illégalement, comme s’il s’agissait de véritables osterie illégales. Dans certains cas, il existait une réelle complémentarité entre les époux, surtout lorsque les maris étaient des bateliers ou employés dans des activités spécifiques telles que le portage ou d’autres services de transport. Dans d’autres cas, cependant, les femmes menaient de véritables activités entrepreneuriales : elles achetaient du vin aux producteurs de la terre ferme vénitienne ou le produisaient directement dans leurs vignobles, elles l’importaient en contrebande à Venise et enfin le vendaient au détail dans leur maisons80. Finalement, le fait d’être employées dans la sphère domestique ne signifiait pas qu’elles étaient confinées dans un espace fermé et limité à la vie familiale : la maison n’était qu’un lieu où elles pouvaient démarrer une entreprise qui leur permettait d’agir sur le marché et de communiquer avec la sphère publique81.
Notes de bas de page
1 La Matricola – ou Mariegola en vénitien – était le livre où étaient enregistrées toutes les règles des différentes corporations de métier.
2 Gallicciolli 1795, t. III, p. 261.
3 Une furatola était un petit magasin où du poisson frit et d’autres types d’aliments étaient vendus à la population pauvre de la ville, voir Zorzi 1928, p. 62.
4 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 10r.
5 À cause de la « mauvaise coutume, que les livres de notre école puissent tomber entre les mains de plusieurs [membres] de notre corporation ... il est arrivé que plusieurs papiers aient été extraits de ces livres », il a donc été décidé que la matricola reste entre les mains du gastaldo ; ASVe, Arti, b. 430, f.o 67v.
6 « Le gastaldo et les autres membres peuvent traquer les fraudes qui minent notre métier », Ibid., f.o 22r ; « Aucun oste ou tavernier ne peut mettre de malvasia, ni de vin de la Marca [aux alentours de Trévise] dans la caneva [cave] sans licence du gastaldo », Ibid.
7 Ibid., f.o 74r.
8 Il était possible d’élire 6 membres surnuméraires de la banca parmi des individus qui n’avaient jamais été propriétaires d’une osteria, mais dans ce cas ils n’avaient pas le droit de vote ; ASVe, Arti, b. 430, f.o 25r ; 1 lira = 2,68 litres.
9 En 1518 la taxe était de deux sous par anfora (environ 60 litres) ; Ibid., f.os 23v – 24v. En 1505, il a été décidé d’éliminer leurs salaires, rétablis à partir de 1509, Ibid., f.o 23r.
10 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 88v ; Les tripperi étaient les vendeurs de tripes, les scaletteri étaient une sorte de pâtissiers qui vendaient différents types de gâteaux et les cai de’ latte étaient des produits laitiers dits aussi fior di panna.
11 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 3, f.o 88.
12 Les frascade étaient des toits provisoires faits de simples branches qui servaient à s’abriter du soleil ; Dans les bastioni, il y avait « des jeux, des blasphèmes, et d’autres désagréments, et parfois il y avait des danses... en offensant notre Seigneur Dieu, et au détriment du droit [du vin] », Ibid., f.o 88r, 13 septembre 1515.
13 ASVe, Arti, b. 405ter, f.o 8r.
14 ASVe, Arti, b. 405ter, f.o 13v, 31 juillet 1571.
15 Voir pour exemple également Biblioteca Civica Correr di Venezia (BCMCV), Série IV, 199, Mariegola des marchands de vin, f.o 19r.
16 Supplique de Lorenzo Bettini, ASVe, Arti, b. 405ter, f.o 55r.
17 Tassini 1872, p. 78 ; la seule référence par rapport à la benintrada (la taxe d’inscription au corps de métier) remonte au 19 août 1550 : à cette occasion, une distinction était faite entre les fils des osti, qui payaient 5 ducats, et tous les autres 10 ; ASVe, Arti, b. 430, f.o 32v.
18 ASVe, Giustizia Nuova, b. 36, fichiers « Mainetti – Roelli vs Torre » ; Giustizia Nuova, b. 44, fichiers « A – Stampa Torre » et « B Mainetti vs Torre » ; ASVe, Avogaria de Comun, b. 3931, fichier 27, « Roelli Antonio Mainetti Santo C Torre Giovanni 1787 » et Ibid., b. 3995, fichier 2, « Mainetti Santo, Rovelli Antonio, 1778 ».
19 ASVe, Giustizia Nuova, b. 44, fichiers « A – Stampa Torre », p. 35.
20 ASVe, Avogaria di Comun, b. 4088, fichier 2, « Per il sig.r Giovanni Torre vs d.o Giacomo Bordon ».
21 Ibid., b. 3871, fichier 9, « Fallimento Torre Giovanni ».
22 Lucietta avait démontré que tous les biens qui se trouvaient à l’intérieur de la maison faisaient partie de sa dote et par conséquent étaient insaisissables, constituant sa propriété exclusive.
23 ASVe, Avogaria di Comun, b. 3931, fichier 27, « Roelli Antonio e Mainetti Santo C Torre Giovanni 1787 ».
24 La pratique de la dégustation était très importante : chaque tonneau était soigneusement contrôlé et au cas où la qualité s’avérait moins bonne, il était possible de demander des remises ou des remboursements.
25 ASVe, Governatori delle Entrate, b. 447, fichier « Costituti dei bastioneri sul numero degli uomini impiegati in ogni bastione, e loro salario ».
26 Mazzei 2013, p. 99.
27 Peyer 1991, p. 243.
28 Beltrami 1951, p. 159-160, cité par Costantini 1999b, p. 907-908.
29 Traduit par l’auteur ; Goldoni 1823, tome II, p. 19, cité par Zorzi 1928, p. 55.
30 Zorzi 1928, p. 57.
31 Mazzei 2013, p. 101.
32 Garzoni 1601, p. 706-707.
33 Ibid., p. 708.
34 Ceux qui logeaient dans une osteria pouvaient aussi choisir de manger dans leur chambre, où il y avait presque toujours des tables et des chaises ; cf. l’inventaire ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, documents non numérotés, 9 septembre 1778.
35 « Des fausses tapisseries avec des histoires », ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, documents non numérotés, 9 septembre 1778.
36 Dans la chambre du Giardino il y avait une cheminée en marbre rouge de Vérone peinte ; dans celle de la Croce di Malta et du Papa il y en avait deux autres en marbre, peintes elles aussi ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, documents non numérotés, 9 septembre 1778.
37 On trouve très souvent indiqués des linges envoyés à laver ou à blanchir.
38 ASVe, Giustizia Nuova, b. 16, documents non numérotés, 21 août 1761.
39 Les chambres étaient nommées « alla posta, alla sirena, alla bianca, al doge, all’imperatore, al papa, alla regina, alle spade, alla mira » ; Ibid., documents non numérotés, 21 août 1761
40 Les Luganegheri étaient les membres du corps de métier des charcutiers.
41 Zorzi 1929, p. 55.
42 ASVe, Arti, b. 405ter, f.o 24v.
43 ASVe, Arti, b. 430, f.o 95r.
44 ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, documents non numérotés, 28 juillet 1701.
45 Ibid., documents non numérotés, inventaire de l’osteria à l’enseigne du Pellegrino, 9 septembre 1778.
46 ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 342, procès « Antonio Zanella vs Andrea de Marco, 1736 ».
47 Pour plus d’informations à ce sujet, voir les chapitres III, IV, V.
48 ASVe, Governatori delle Entrate, b. 448, documents non numérotés, 4 mai 1793.
49 Tlusty 1998, p. 186.
50 Ibid., p. 187.
51 Ibid., p. 187-193.
52 Sordi 1982, p. 21 ; voir aussi Giovanni Francesco Gemelli Laresi, qui affirme que les femmes à Venise pouvaient boire dans les osterie seulement pendant le Carnaval ; Gemelli Laresi 2013, p. 686.
53 Tlusty 1994, p. 242.
54 On trouve plusieurs lois qui visaient à réglementer le travail des femmes dans les osterie (par exemple limites d’âge) ; voir Lalouette 1982, p. 132 ; Dulom 1915, p. 2.
55 Lalouette 1982, p. 132.
56 Martin 2001, p. 23. En réalité, l’alcoolisme féminin était devenu un phénomène si important qu’à la fin du XIXe siècle plusieurs médecins tentèrent d’en comprendre les causes et d’en décrire les terribles effets sur la société, beaucoup plus importants que ceux de l’alcoolisme chez les hommes. En effet, en plus d’être responsable de l’augmentation des fausses couches, de la naissance d’enfants handicapés et d’avoir des effets très graves sur les nouveau-nés pendant l’allaitement, « l’alcoolisme des femmes constitue le plus grand péril social actuel, parce qu’il est le facteur le plus important dans la dissémination de l’alcoolisme ». L’héritage de l’abus d’alcool devenait beaucoup plus probable si la mère en était affectée, car elle passait la majeure partie de son temps avec ses enfants et avait plus d’influence sur leur éducation ; voir Devoisins 1885, p. 69.
57 Tlusty 1998, p. 194.
58 Dulom 1915, p. 1.
59 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 3, 1 juin 1316.
60 ASVe, Compilazione delle leggi, première série, b. 372, documents non numérotés, mai 1421.
61 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 3, f.o 162r, 13 novembre 1444 ; la seule limitation concernant les prostituées à laquelle il est fait référence remonte au 19 novembre 1524, avec l’affirmation qu’elles ne pouvaient pas ouvrir d’albergarie ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 109r.
62 Dans le cas des bastioni, il n’y avait pas de problème parce que, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, ils vendaient uniquement du vin à emporter (du moins en théorie).
63 Tous les procès figurent dans ASVe, Giustizia Nuova, b. 28, documents non numérotés, Paola Lanari 23 février 1768, Giulia Fachi 22 novembre 1768, maitre de la corporation des filatoggi 22 septembre 1760.
64 On parlera des enchères publiques des gages qui n’étaient pas rachetés par leurs propriétaires dans le chapitre III.
65 ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, documents non numérotés, 28 juillet 1701.
66 Costantini 1999b, p. 888.
67 Les oltramontani étaient ceux qui venaient d’Europe centrale, surtout d’Allemagne, mais aussi du Trentin, de Bohême, de Pologne et de Hongrie ; les deux premiers ne pouvaient pas prêter sur gage ; Ibid., p. 901.
68 Ibid., p. 886.
69 Ibid., p. 904-905.
70 Elles se distinguaient des Compagnie di albergaria (sociétés hôtelières), des associations rassemblant différents individus qui se trouvaient à Venise pour les mêmes raisons et louaient une maison privée tous ensemble ; cela était réservé uniquement aux membres d’une même famille ; Ibid., p. 905.
71 ASVe, Giustizia Nuova, b. 1, f.o 29r, 17 septembre 1502.
72 Dans le droit du vin a spina confluait aussi les taxes recueillies dans le contexte de l’hospitalité.
73 Costantini 1999b, p. 905.
74 ASVe, Arti, b. 433, f.o 42r, 8 novembre 1594.
75 BCMCV, ms pd 399 c, f.os 524r-v ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 4, f.os 152r-155r.
76 ASVe, Giustizia Nuova, b. 20, documents non numérotés, 9 avril 1696 ; Guinchard apparait aussi quelques années auparavant parmi ceux qui avaient soumis une offre pour obtenir la gestion de l’osteria du San Zorzi, voir ASVe, Giustizia Nuova, b. 20, documents non numérotés, 16 mai 1695.
77 ASVe, Giustizia Nuova, b. 2, reg. 2, f.os 35r.
78 ASVe, Giustizia Nuova, b. 20, documents non numérotés, 24 septembre 1762.
79 ASVe, Giustizia Nuova, b. 7, reg. 15, f.os 7r.
80 ASVe, Giustizia Nuova, b. 38, documents non numérotés, témoignage d’Iseppo Rossi, 3 décembre 1760.
81 Ibid., documents non numérotés, 13 mars 1765.
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