Les vêtements de Caligula : un monstre s’habille
p. 269-284
Résumés
L’empereur Caligula porte le vêtement prétendu identitaire d’une dépravation morale des institutions républicaines. Car à Rome, la vérité de l’individu civilisé, c’est notamment sa toge ample et solennelle. Le vestiaire de Caligula bien au contraire est l’antithèse des normes extérieures de l’élégance urbaine. Sa toge est rarement adaptée aux fonctions requises par les espaces culturels de la politique et de la collectivité. Les historiens romains du règne de Caligula construisent une image dégradée par l’inversion ou la confusion des impératifs du corps en public. De tels dispositifs ne sont pas des éléments d’exactitude historique mais des stéréotypes favorisés par la classe sénatoriale pour mieux préparer la fabrication d’un « monstre » qui s’exclut de la société des hommes par la décomposition de sa tenue extérieure.
The Emperor Caligula wears the clothing of a moral depravity of republican institutions. In Rome, the truth of the civilized individual is his ample and civic toga. The Caligula’ cloakroom is the antithesis of the external standards of civilized elegance. His toga is rarely adapted to the functions required by the cultural spaces of policy and the roman society. Roman historians of Caligula’s reign build an image despised by the inversion or confusion of the imperatives of the body in public. Such stories are not elements of historical accuracy but stereotypes favored by the senatorial class to better prepare the build of a "monster" which excludes from the human society by the decomposition of his outfit.
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Mots-clés : Caligula, toge, vêtements, Princeps, civilisation, empereur, Sénat
Keywords : Caligula, Toga, Dress, Princeps, Civilization, Emperor, Senate
Texte intégral
1Du monstre politique de Suétone à l’empereur1 philosophique de Camus jusqu’à l’image pornographique et sanglante de Tinto Brass2, la figure de Caligula s’échappe facilement du cadre historique pour devenir un sujet de fiction, de morale et de philosophie. Pour un si court règne (moins de quatre ans : 37-41 de notre ère), les travaux sur Caligula sont nombreux depuis la biographie de L. Quide en 18943, d’autant plus que l’éventuelle confusion entre les règnes de Caligula et de Néron a longtemps compliqué l’élaboration d’une tradition historique sur cet empereur. Dans l’efflorescence vertigineuse des recherches historiques sur Caligula, il est difficile de fixer le portrait exact de ce princeps. La monographie de J.-N. Castorio procure des éléments de synthèse et de comparaison entre les différentes approches académiques du personnage4. Parmi les dépravations culturelles construites par les déjà très anciennes présentations de Caligula, ce dernier parle mal, mange mal, et combat mal. De surcroît, il affiche des comportements sexuels dévergondés et sanglants. Mais, surtout, il s’habille de telle sorte qu’il finit par sortir de l’humanité5. Suétone et Dion Cassius présentent tous deux la tenue de Caligula comme une perversion de l’idéal politique et civique romain. Cependant, on ne peut comprendre ce dévoiement particulier sans revenir sur les significations culturelles, politiques et sociales du costume romain.
Les Romains : un « peuple en toge » ?
2Les Romains se définissaient comme la gens togata, « le peuple en toge » selon le fameux vers de Virgile6. Cet autonyme souligne l’importance du vêtement dans les conceptions particulières que se faisaient les Romains de leur identité culturelle, sociale et politique. Au début du Principat, la toge a évolué et se distingue désormais en partie de son modèle républicain : elle formait une sorte de trapèze arrondi, entre 4, 8 et 6 mètres7. Elle était repliée en demi-cercle avant d’être drapée autour du citoyen romain – qui portait une tunique – de façon à restreindre l’usage du bras gauche8. Il était impossible de s’habiller sans l’aide d’une personne supplémentaire, et le port de la toge était plutôt incommodant9. La toge n’était de toute manière pas portée par les Romains pour son aspect pratique mais parce qu’elle était le symbole extérieur des principales valeurs romaines.
3La toge était en effet le vêtement romain par excellence. Il était même le marqueur principal de la citoyenneté romaine. De ce fait, dans la Vie de Claude, lorsqu’un homme est accusé d’avoir usurpé la citoyenneté romaine, les avocats se disputent pour savoir s’il a le droit ou non de porter la toge10. G. Davies a remarqué que les affranchis qui souhaitaient affirmer leur nouveau statut de citoyen romain se faisaient représenter en toge sur les monuments funéraires11. La toge était donc ce qui définissait le citoyen romain, y compris sous le Principat12. Par ailleurs, la toge était le vêtement « civil », c’est-à-dire qui s’opposait au paludamentum du général et à l’uniforme du soldat13. Il était attendu que le citoyen romain portât la toge pour les activités civiques, comme les contiones14. Enfin, la toge était un vêtement uirilis, selon Quintilien :
Pour la façon de s’habiller de l’orateur, il n’y a rien de spécial, sauf que chez lui elle se remarque davantage. Qu’elle soit donc, comme elle doit l’être pour tous les gens de distinction, élégante et mâle (uirilis). En effet, pour la toge et la chaussure et la chevelure, l’excès de soin est aussi blâmable que l’excès de négligence15.
4De ce fait, la longueur de la tunique était aussi à prendre en considération : trop longue, c’était un signe de féminité16. Il existait toutefois des femmes qui portaient la toge, mais elles étaient considérées comme des femmes adultères et des prostituées17. En résumé, la toge n’était pas qu’un simple vêtement, mais une incarnation visible des valeurs romaines, civiques, et masculines du citoyen romain.
5Les principaux éléments constitutifs de la toge qui viennent d’être exposés correspondent en fait à une vision normative de l’aristocratie sénatoriale18. Dès Auguste, les citoyens romains avaient en réalité perdu l’habitude de porter la toge19, y compris dans les contiones :
[Auguste] s’efforça même de faire reprendre la tenue et le costume d’autrefois, et, voyant un jour dans l’assemblée du peuple une foule de gens vêtus de sombre, il s’écria tout indigné : « Voici les Romains, maîtres de l’univers, le peuple vêtu de la toge » et il chargea les édiles de ne laisser désormais les gens stationner sur le forum ou dans ses alentours qu’après avoir quitté le manteau couvrant leur toge20.
6Les efforts d’Auguste pour promouvoir à nouveau la toge ne semblent pas avoir eu des effets à long terme. Ce déclin est confirmé par Juvénal, satiriste (donc régulateur de l’ordre moral) plus tardif : « Il faut bien le constater : dans une grande partie de l’Italie, on ne revêt la toge que quand on est mort21 ». Ce que souligne aussi Martial, qui rapporte un usage insuffisamment fréquent du vêtement civil22. De ce fait, lorsque Tacite décrit le populus tunicatus, on ne peut s’empêcher de comparer avec la gens togata de Virgile, et y voir les fruits de cette évolution23 : le populus du Principat ne portait plus qu’occasionnellement la toge.
7Il est toutefois difficile d’établir une chronologie précise de son déclin24. Les raisons de celui-ci sont elles-mêmes obscures. Selon certains auteurs25, le déclin de la toge s’explique par la cherté et le poids excessif de la toge impériale, plus difficile à draper que la toge républicaine. C’est pourquoi seules les élites romaines auraient été en mesure de la porter. Cet argument d’ordre économique n’est toutefois pas suffisant pour rendre compte du fonctionnement de la culture romaine où le motif économique ne peut pas être le seul moyen d’explication. Il vaut mieux prendre en compte l’évolution de l’identité politique romaine : en l’occurrence, la transformation et la réduction progressive des pouvoirs des comices par les premiers empereurs26 purent susciter l’abandon partiel du port de la toge. Il n’y avait en effet plus de raison pour le citoyen romain de porter le vêtement qui incarnait son pouvoir politique. Néanmoins, le port de la toge par certaines catégories de la population est demeuré, aux yeux de l’aristocratie sénatoriale, un impératif : Quintilien consacre un long passage des Institutions au port de la toge dans le cadre des activités oratoires27 ; c’est ce même vêtement qui permet de séparer les « bons » empereurs des « mauvais » dans l’œuvre de Suétone28 ; et la majorité des statues représentant des (riches) citoyens romains figurent des hommes en toge29.
8D’où l’intérêt de l’aristocratie sénatoriale pour le costume du princeps. Selon l’Histoire Auguste, ce ne serait qu’à partir de Gordien que les empereurs portèrent une toge ou un vêtement en pourpre en permanence30. Il faut toutefois prendre ce type d’information avec beaucoup de circonspection en raison de la nature de la source. Avant Gordien, l’empereur était censé porter la toge prétexte, comme les autres magistrats31. Il s’agissait d’une toge bordée d’une bande de pourpre, aussi portée par les enfants romains32. Symboliquement, l’empereur affirmait ainsi qu’il n’était que le primus inter pares puisqu’il ne se distinguait en rien des autres sénateurs. Le modèle idéal du prince dans l’œuvre de Suétone est Auguste. Il ne manque bien sûr pas de faire référence à sa manière de se vêtir : « Ses toges n’étaient ni serrées, ni lâches, sa bande de pourpre, ni large, ni étroite33 ». Tout aussi important, Auguste a tenté, comme on l’a vu, de réaffirmer la symbolique du port de la toge dans l’exercice du pouvoir, lors des contiones34. La toge était de fait bel et bien un symbole du pouvoir politique du citoyen, et Auguste apparaît ici comme le gardien soucieux du mos maiorum35. Dion Cassius présente Auguste de manière similaire : « [Auguste] ordonna que personne ne serait vêtu de pourpre, excepté les sénateurs et les magistrats, car d’autres gens en portaient déjà36 ». La pourpre était donc réservée à l’aristocratie sénatoriale et le princeps ne s’en accaparait pas (encore) l’usage exclusif. Comme son prédécesseur, Tibère portait la toge prétexte37 et, selon Dion Cassius toujours, il réitéra l’interdiction du port de la pourpre38. Ce n’est qu’à partir de Caligula que, selon les auteurs romains, le modèle vestimentaire de « l’empereur-citoyen » dévia.
Caligula, transgression des modèles romains du vêtement
9Ce que nous avons décrit plus haut procède du comportement d’un « bon » empereur selon la norme sénatoriale. Voilà pourquoi, aux yeux des sénateurs, la transgression du vêtement et du costume romain déclenche le rejet d’un empereur alors considéré comme « mauvais ». De la sorte, peut s’expliquer cette fameuse mésaventure de Caligula : « Un jour de spectacle, Porius, gladiateur de chars, s’étant fait chaleureusement applaudir pour avoir, après une victoire, affranchi son esclave, Caligula se précipita si brusquement hors de l’amphithéâtre, qu’il marcha sur le pan de sa toge et tomba, la tête la première, au milieu des gradins...39 ». Outre le burlesque de l’anecdote, on discerne un reproche implicite de la part de de Suétone. En effet, selon Quintilien, si la toge glisse, c’est le fait d’un homme « négligent » ou, pire, d’un homme qui ne sait pas comment se draper correctement40. Ainsi, Suétone ne fait que souligner l’inaptitude de Caligula à être un véritable romain, car il est incapable de se déplacer en toge41.
10Suétone souligne d’autre part que Caligula portait souvent la tunica palmata et la toga picta, les riches habits du triomphateur42 : « Quant aux insignes du triomphe, il les porta de façon courante, même avant son expédition, parfois avec la cuirasse d’Alexandre le Grand, qu’il avait fait tirer de son tombeau43 ». Dion Cassius remarque lui aussi qu’il portait souvent les vêtements triomphaux (νικητήριος ou ἐπινίκός)44. En fait, ces attestations fabriquent une double perversion des habits triomphaux, celle de la toge et celle de la tunique. La réprobation vient de ce que Caligula portait cette tenue sans même avoir conduit un triomphe. Et lorsque l’empereur put enfin prétendre à cet honneur insigne, il s’est agi de célébrer une victoire de pacotille, remportée sur des coquillages45… Caligula ajouta par ailleurs à la toge, le costume civil par excellence, une cuirasse, un élément du monde de la guerre. Qui plus est, cette cuirasse était étrangère dans la mesure où elle était supposée avoir appartenu à Alexandre le Grand46. Le raisonnement gravement détraqué de Caligula47 entraînait une confusion des codes élémentaires de la société romaine, dont le vêtement est la composante extérieure peut-être la plus civilisée. Incapable d’appréhender correctement ces marques culturelles, l’empereur se mua en « monstre » qui transgressait l’ordre de la société, défiait les frontières bien établies entre le civil et le militaire, le romain et l’étranger.
11De surcroît, Dion Cassius signale une autre perversion des codes vestimentaires : « Les ossements de sa mère et de ses frères morts, il alla lui-même lors d’une traversée les recueillir de ses propres mains, et il les déposa dans le monument d’Auguste, revêtu de la toge prétexte et escorté de licteurs, comme lors d’un triomphe48 ». Caligula paraît méconnaître les usages romains du deuil et des funérailles, puisqu’il devrait en ces circonstances porter une toga pulla, une toge sombre49. Le princeps porte la toge prétexte, celle du magistrat romain en exercice, mais dans une cérémonie qui ressemble (ὥσπερ) à un triomphe. Comme Suétone, Dion Cassius illustre le dérèglement de Caligula par le biais de ce brouillage vestimentaire : lorsqu’il se drape de la toge prétexte, ce qu’on attend d’un « bon » empereur, c’est uniquement dans un cadre qui ne le permet pas ! Et comme cette cérémonie est décrite comme un pseudo-triomphe, on attend alors la tunica palmata et la toga picta, mais Caligula s’habille bien dans une toge prétexte. Dion Cassius nous présente de fait, lui aussi, Caligula comme un être plongé dans la confusion, incapable de comprendre la différence entre le pouvoir et le deuil, le triomphe et les funérailles.
12Caligula était-il alors vraiment ce « monstre » décrit par les auteurs romains, un homme dont la démence était telle qu’il transgressait sans aucune retenue les codes identitaires, politiques et civiques de la société romaine ? À vrai dire, Suétone et Dion Cassius transmettent la vision sénatoriale de cet empereur. L’importance de la toge, on l’a vu, a singulièrement décru au cours du premier siècle de n. è., sauf dans les classes dominantes de l’empire romain. Dion Cassius et Suétone construisent l’idée d’un Caligula « anti-Auguste » ; du contrepoint (variation négative), on passe au contre-modèle :
Pour confondre [les consuls], il voulut passer pour le descendant d’Antoine plutôt que celui d’Auguste ; et il confia à ceux qui partageaient ses intérêts que, quoi qu’ils fassent, les consuls seraient coupables, soit qu’ils fassent des sacrifices commémorant des malheurs d’Antoine, soit qu’ils s’en abstiennent en souvenir de la victoire d’Auguste50.
13Il convient de mettre en rapport les épisodes de confusion des vêtements de Caligula avec les descriptions de ceux d’Auguste : ces dernières agissaient comme un miroir51. Caligula apparaît alors comme une construction littéraire et politique du « mauvais » empereur, qui ne participe pas au mos maiorum : l’habit révèle que le princeps est plus un monarque qu’un véritable citoyen.
14Ces récits obéissent bien évidemment aux stéréotypes rhétoriques de la représentation du tyran. Ce serait donc une erreur de « croire » à la réalité des pratiques, parfois délirantes d’ailleurs, qui sont décrites. Ce serait tout autant une erreur de ne pas en tenir compte, sous prétexte qu’elles seraient l’écho de rumeurs infondées52. Parce qu’il était perçu comme un tyran par les milieux sénatoriaux, Caligula ne pouvait se vêtir autrement que ne le dépeint Suétone :
Ses vêtements, sa chaussure et sa tenue en général ne furent jamais dignes d’un Romain, ni d’un citoyen, ni même de son sexe, ni, pour tout dire, d’un être humain. Souvent, il parut en public avec des manteaux brodés, couverts de pierres précieuses, une tunique à manches et des bracelets ; de temps à autre, vêtu de soie, avec une robe brodée d’or ; ayant aux pieds tantôt des sandales ou des cothurnes, tantôt des bottines de courrier, ou des brodequins de femme ; très souvent, on le vit avec une barbe dorée, tenant en main les attributs des dieux, le foudre, le trident ou le caducée, et même costumé en Vénus53.
15La description vestimentaire de Caligula s’ouvre sur une condamnation explicite, avec l’expression neque patrio neque ciuili, puisqu’on sait que la ciuilitas, l’ensemble des bonnes manières et des tenues correctes qui définissent l’urbanité, était, dans la construction suétonienne, une vertu destinée à faire reconnaître l’élite dirigeante54 et plus particulièrement les princes, comme on le constate aussi dans les panégyriques ou les monnayages de propagande55. Les vêtements, les chaussures, la tenue de Caligula, rompaient avec la tradition masculine, celle de ses pères et des citoyens. Cette rupture est présentée par Suétone comme un moyen de sortir de l’humanité (denique humano) et d’accéder à la divinité par le travestissement. Les vêtements de Caligula traduisent tout au long de sa vie une collection d’excentricités qui aboutit au travestissement final. Le prince finit en effet par quitter les vêtements humains vraisemblablement pour un accoutrement féminin et divin (ne uirili quidem ac denique humano semper usus est). Le terme denique est un indicateur temporel et logique de l’escalade vestimentaire de Caligula. Indicateur temporel, car si on en croit également Dion et Philon, Caligula aurait commencé assez jeune ses expériences d’imitation des dieux56. Indicateur logique aussi, car cette imitation des dieux fait entrer Caligula dans un espace culturellement interdit aux hommes.
16Nombre d’éléments de la description de Suétone permettent de construire l’indécence du corps princier. C’est le cas des manches longues (manuleatus), dont le port, on le sait, pouvait devenir un motif d’invective politique57. Caligula semble avoir lancé cette mode que d’autres empereurs tyranniques et accusés d’effémination lui empruntèrent ensuite58. Caligula chaussait aussi des crepidi59 dont le port traduisait une attitude spécifiquement non-romaine60. Caligula, comme Néron qui se présentait pieds nus au peuple, avait d’étranges façons de se chausser. Enfant, il avait reçu son surnom des petites galoches que son père Germanicus lui avait mises aux pieds quand il l’élevait dans les camps militaires61. Il portait des sandales grecques, des cothurnes, des chaussures de soldat et des mules de femme, autrement dit jamais la chaussure qui convenait. Ajoutons que les cothurnes, bien que marquant la condition infâme des acteurs de tragédie, étaient déjà portés par Marc Antoine, peut-être à l’imitation des rois hellénistiques62. En tout cas, c’était un signe de luxure et de tyrannie63.
17Il convient de remarquer que les vêtements grecs s’opposent à la tenue romaine du comportement public, et qu’ils allaient de pair avec un abandon des exercices physiques traditionnels des jeunes Romains. Caligula ne savait par exemple pas nager, alors qu’il s’exhibait volontiers en train de danser et de chanter, comme il le fit une fois, en pleine nuit, devant trois consulaires64. Et quand il portait les cothurnes des acteurs tragiques ou les chaussures légères que les femmes mettaient à la maison, il se comportait globalement en efféminé, car le théâtre, les mœurs grecques, la tyrannie et les vêtements féminins étaient symboliquement équivalents : ils consommaient la même rupture avec l’idéal romain de masculinité. Voilà ce qui convenait à son caractère (natura), car il était passionné de théâtre, de danse, et de chant (scaenicas saltandi canendique artes). Caligula était aussi affamé de sexe. La nuit, dissimulé sous un grand manteau et une perruque, il courait les bouges (ganeas) et les femmes mariées (adulteria)65. Suétone reprend ici une accusation qui servait à Catulle pour signifier l’hypersexualité de César et Mamurra : il ne pouvait s’empêcher de convoiter les épouses des autres et, en même temps, il se mêlait aux prostitué(e)s, moins comme client que comme rival66. La tenue du princeps transgressait les apparences civilisées de l’aristocratie, en même temps que son corps puant ou disgracieux le faisait naturellement basculer dans l’ignominie67.
18Suétone décrit aussi Caligula vêtu comme un roi oriental, un de ces monarques que leurs sujets révéraient comme des dieux : il est couvert d’or, de pierreries et de pourpre. Cette tenue royale est en même temps une tenue efféminée, selon l’idée romaine qu’un monarque absolu est plus féminin qu’un citoyen libre et qu’une reine est plus tyrannique qu’un roi. C’est le sens qu’il faut donner à la robe de soie brodée d’or. Selon Pline l’Ancien, il aurait été le premier à paraître en public ainsi vêtu68. Là aussi, l’important est moins la robe de soie que le fait de s’en revêtir pour paraître en public.
19De surcroît, le port des habits du triomphateur, que nous avons déjà vu, renvoie aussi à une mémoire et à une pratique monarchique. Tite-Live rapporte que Scipion l’Africain offrit une toga picta et une tunica palmata à Masinissa, roi des Numides, reconnu par Rome69. De même pour le roi Ptolémée Juba, qui reçut du Sénat des vêtements identiques70. Certes, ces derniers faisaient aussi du triomphateur romain un Jupiter terrestre, comme les anciens rois71, mais il ne profitait de ses ornements que pendant une seule journée72. En portant fréquemment la toga picta, Caligula ne faisait pas qu’usurper les ornements du triomphe, il cherchait à s’affirmer aux yeux des Romains comme une figure monarchique, à l’instar de son cousin Ptolémée Juba. Caligula d’ailleurs mit à mort ce même Ptolémée Juba qui osa affirmer publiquement son statut par son manteau de pourpre73. L’insigne vestimentaire du roi de Maurétanie avait suscité l’inuidia de Caligula. Cet épisode est la preuve supplémentaire que la visibilité extérieure à Rome illustre les enjeux de pouvoir74.
20Enfin, quand il revêt un costume divin, que ce soit celui de Jupiter, de Neptune, de Mercure ou de Vénus, Caligula rencontre d’une certaine façon une tradition romaine voulant que les dieux soient présents parmi les hommes dans la personne de leurs prêtres costumés, le flamine de Jupiter ou le président des Jeux Romains, ou encore le triomphateur, qui tous étaient Jupiter par leur costume. Le prince figure souvent, ainsi costumé, sur les monnaies frappées dans les provinces orientales. Rien de tel dans le sobre monnayage « officiel »75. Il est vrai qu’il y a loin, à Rome, de l’image à la réalité. Et la transgression consiste peut-être en ceci : faire du travestissement une réalité du pouvoir. Car finalement, tous ces jeux de vêtements contre Caligula ne sont que l’expression la plus visible d’une hostilité politique sénatoriale. Le port de la toge présenté comme calamiteux signifie bien l’impossibilité pour Caligula d’adhérer aux codes culturels de la civilisation romaine. À tel point que le vestiaire final de Caligula l’exclut de la collectivité urbaine propre et décente. Il est notable que cette exclusion se réalise par le vêtement, car, à Rome, la vérité de l’individu se dit dans la visibilité extérieure de son corps76.
21La nobilitas, c’est-à-dire la haute aristocratie du Sénat, fait de Caligula un anti-citoyen, c’est-à-dire un « monstre », qui brise l’illusion d’un pouvoir « républicain » encore détenu par les sénateurs pour finalement mieux affirmer la réalité d’un pouvoir monarchique77. C’est peut-être là le plus grand crime de Caligula selon les auteurs romains, tous proches du milieu sénatorial. La parole publique romaine attribue à Caligula tous les signes extérieurs du « mauvais » princeps. Le vêtement de Caligula participe de cette dévalorisation morale du nouveau régime78.
Bibliographie
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10.3998/mpub.12362 :Notes de bas de page
1 Dans le travail présent, l’alternance entre « prince », « princeps », « empereur » est une commodité conventionnelle.
2 Sur le Caligula de Suétone, voir Wardle 1994 ; sur le Caligula de Camus, voir Bastien 2006 ; Caligula, 1979, réalisé par Tinto Brass.
3 Quide 1894.
4 Castorio 2017, p. 7-16.
5 Suet., Cal., 52. Commentaire, voir infra.
6 Virg., Aen., 1, 279-282 : Quin aspera Iuno, / quae mare nunc terrasque metu caelumque fatigat, / consilia in melius referet, mecumque fouebit / Romanos, rerum dominos gentemque togatam : « Mieux encore, l’âpre Junon, qui fatigue aujourd’hui de sa crainte et la mer et la terre et le ciel, reviendra à des sentiments meilleurs et protégera comme moi, le peuple qui portera la toge, les Romains maîtres du monde. » Sauf indication contraire, les traductions des textes anciens sont empruntées à la CUF. La toge désigne le peuple romain chez d’autres auteurs, tel Ath. 5, 213b (par opposition au pallium) et Hor., Carm., 3, 5, 10.
7 Stone 1994, p. 17.
8 Stone 1994, p. 17-19.
9 Davies 2005, p. 121 ; Stone 1994, p. 17 ; Vout 1996, p. 205.
10 Suet., Claud., 15 : Peregrinitatis reum orta inter aduocatos leui contentione, togatumne an palliatum dicere causam oporteret, quasi aequitatem integram ostentans, mutare habitum saepius et prout accusaretur defendereturue, iussit (« À propos d’un étranger accusé d’avoir usurpé le droit de cité, une légère contestation s’étant élevée entre les avocats sur le point de savoir s’il devait plaider sa cause en toge ou en manteau grec, Claude, voulant faire montre d’une entière impartialité, lui ordonna de changer de vêtement à plusieurs reprises, selon qu’on parlerait pour ou contre lui ». Voir aussi Huet 2008, p. 132-133.
11 Zanker 1988, p. 163 ; Davies 2005, p. 127.
12 Vout 1996, p. 214 : « To wear the toga was to shout I am Roman. »
13 La toge comme vêtement des Quirites, des citoyens « en paix », est illustrée par les fameux vers de Cicéron que l’on retrouve dans le Piso, 30, 73 : cedant arma togae (« Que les armes s’effacent devant la toge »). Voir aussi DC 41, 17, 1 ; Baroin 2012, p. 47 et Vout 1996, p. 216.
14 Suet., Aug., 40.
15 Quint. 11, 3, 137 : Cultus non est propius oratoris aliquis, sed magis in oratore conspicitur. Quare sit, ut in omnibus honestis debet esse, splendidus et uirilis. Nam et toga et calceus et capillus tam nimia cura quam neglegentia sunt reprendenda. Est aliquid in amictu quod ipsum aliquatenus temporum condicione mutatum est ; nam ueteribus nulli sinus, perquam breues post illos fuerunt.
16 Quint. 11, 3, 138 : Cui lati claui ius non erit, ita cingatur ut tunicae prioribus oris infra genua paulum, posterioribus ad medios poplites usque perueniant ; nam infra mulierum est, supra centurionum (« Celui qui n’a pas droit à la laticlave doit ceindre sa tunique de façon que le bord descende, par devant, un peu au-dessous du genou, par derrière au milieu du mollet ; car plus bas, cela convient aux femmes, plus haut, aux centurions »). Gell. 6, 12, 1 : Tunicis uti uirum prolixis ultra brachia et usque in primores manus ac propre in digitos, Romae atque un omni Latio indecorum fuit (« Qu’un homme use de tuniques longues descendant au-delà des bras sur la naissance des mains presque jusqu’aux doigts, était déshonorant à Rome et dans tout le Latium »).
17 Cic., Phil., 2, 44 : Sumpsisti uirilem, quam statim muliebrem togam reddidisti. Primo uulgare scortum, certa flagiti merces, nec ea parua (« Tu as pris la toge virile et, aussitôt, tu en as fait une toge féminine. D’abord prostituée offerte à tous ; prix fixe pour ton infamie, et qui n’était pas médiocre »). Voir aussi Hor., Serm., 2, 62-63 ; Juv. 2, 69-70 ; Mart. 2, 39. Attention toutefois, car il existe une exception : il semble que les petites filles puissent porter la toge (Prop. 4, 11, 33-34). Voir Davies 2005, p. 121. Plus étonnant, Goette 1990, p. 80-82 et 158-159 rapporte quelques exemples dans l’iconographie de femmes respectables qui portent une toge.
18 Meister 2017, p. 189-198.
19 Stone 1994, p. 13.
20 Suet., Aug., 40 : Etiam habitum uestitumque pristinum reducere studuit, ac uisa quondam pro contione pullatorum turba indignabundus et clamitans : « en Romanos, rerum dominos gentemque togatam ! » negotium aedilibus dedit, ne quem posthac paterentur in foro circaue nisi positis lacernis togatum consistere.
21 Juv. 3, 171-172 : Pars magna Italiae est, si uerum admittimus, in qua nemo togam sumit nisi mortuus. Juvénal signale que même les magistrats en sont dépourvus : clari uelamen honoris sufficiunt tunicae summis aedilibus albae (« Comme parure de leur haute dignité, les édiles, grands personnages, se contentent de la tunique blanche »)
22 Mart. 4, 66 : Idibus et raris togula est excussa Kalendis... (« Tu as brossé ta pauvre toge aux Ides et de temps à autre aux Calendes... »).
23 Tac., Dial., 7 : Quorum nomina prius parentes liberis suis ingerunt ? Quos saepius uolgus quoque imperitum et tunicatus hic populus transeuntis nomine uocat et digito demonstrat ? Aduenae quoque et peregrini... (« Est-il des noms que les parents font connaître plus tôt à leurs enfants ? Des personnages que même le vulgaire profane et notre petit peuple en tunique désignent plus souvent par leur nom et montrent du doigt à leur passage ? Même les étrangers et les pérégrins... »). Tacite structure son texte en parlant du populus d’abord, des pérégrins ensuite. Le populus concerné ici ne concerne que les citoyens romains, sans doute pauvres (uolgus), et il le définit par la tunique, et non pas par la toge.
24 Stone 1994, p. 21-22.
25 Stone 1994, p. 17 ; Davies 2005, p. 127.
26 Tac., Ann., 1, 15, 1 : Tum primum e campo comitia ad patres translata sunt ; nam ad eam diem, etsi potissima arbitrio principis, quaedam tamen studiis tribuum fiebant. Neque populus ademptum ius questus est nisi inani rumore… (« Alors, pour la première fois, les élections passèrent du Champ de Mars à la curie ; car jusqu’à ce jour, si les principales appartenaient au bon plaisir du prince, certaines cependant restaient aux suffrages des tribus. Le peuple, dépouillé de son droit, ne s’en plaignit que par de vains murmures... »). Voir aussi DC 58, 20 et 59, 6-7. Sur la question difficile des comices au début du Principat, voir Hollard 2010, p. 198-205 et 227-231.
27 Quint. 11, 3, 137-149.
28 Huet 2008, p. 158.
29 Stone 1994, p. 17 ; Davies 2005, p. 127.
30 SHA, Gordiens, 4, 4 : Palmatam tunicam et togam pictam primus Romanorum priuatus suam propriam habuit, cum ante imperatores etiam uel de Capitolio acciperent uel de Palatio (« Il est le premier citoyen privé romain qui ait possédé sa propre tunique brodée de palmes et sa propre toge brodée d’or, alors qu’auparavant même les empereurs en recevaient une provenant des magasins du Capitole ou du palais »). Goette 1990, p. 45-49 pense que les premières attestations iconographiques de la pourpre impériale apparaissent entre le début du IIe siècle et la fin du IIIe siècle.
31 Stone 1994, p. 24. Freyburger-Galland 1993, p. 120-121 ne liste pas de costume impérial particulier dans son étude sur Dion Cassius.
32 Liv. 34, 7, 2 : purpura uiri utemur, praetextati in magistratibus, in sacerdotiis, liberi nostri praetextis purpura togis utentur (« Nous, les hommes, nous nous vêtirons de pourpre, de la prétexte pour les magistrats et les prêtres, et nos enfants aussi auront la prétexte (bordée) de pourpre »). Voir Stone 1994, p. 13-14.
33 Suet., Aug., 73 : togis neque restrictis neque fusis, clauo nec lato nec angusto. Suétone précise qu’en hiver, Auguste portait une toge épaisse et quatre tuniques (ibid., 82). Huet 2008, p. 129 estime qu’il s’agit d’une « tenue simple et correcte ».
34 Voir supra.
35 Davies 2005, p. 127 ; Huet 2008, p. 136 : « C’est […] par respect des mores qu’il rétablit la visibilité de la toge. »
36 DC 49, 16, 1 : τήν τε ἐσθῆτα τὴν ἁλουργῆ μηδένα ἄλλον ἔξω τῶν βουλευτῶν τῶν ἐν ταῖς ἀρχαῖς ὄντων ἐνδύεσθαι ἐκέλευσεν.
37 Suet., Tib., 17.
38 Sur le rôle et le vocabulaire des vêtements dans l’œuvre de Dion Cassius, voir Freyburger-Galland 1993.
39 Suet., Cal., 35 : Cum quodam die muneris essedario Porio post prosperam pugnam seruum suum manumittenti studiosius plausum esset, ita proripuit se spectaculis, ut calcata lacinia togae praeceps per gradus iret...
40 Quint. 11, 3, 149 : At si incipientibus aut paulum progressis decidat toga, non reponere eam prorsus neglegentis aut pigri aut quo modo debeat amiciri nescientis est (« Mais d’autre part, si la toge glisse, quand nous commençons ou que nous avons un peu progressé, ne pas la remettre en ordre est d’un homme négligent ou paresseux ou qui ne sait pas comment se draper »).
41 Davies 2005, p. 125 : « Caligula’ dress betrays his unsuitability as an emperor. » Contra Stone 1994, p. 21 qui y voit seulement un exemple d’un accident « commun ».
42 Voir Liv. 10, 7, 9 : l’apparat du triomphateur se composait de : tunica palmata et toga picta et corona triumphali laureaque (« une tunique palmée, une toge teintée (de pourpre), et de la couronne de laurier »). Voir aussi id., 30, 15, 11. Il convient de signaler qu’Auguste obtient le droit de porter la toga picta le premier jour de l’année (DC 53, 26, 5). Toutefois, il est difficile d’avoir une vision claire de ces ornements triomphaux à cause de la diversité de nos sources (Beard 2007, p. 229-230).
43 Suet., Cal., 52 : Triumphalem quidem ornatum etiam ante expeditionem assidue gestauit, interdum et Magni Alexandri thoracem repetitum e conditorio eius.
44 DC 59, 26, 10 : ἄλλως δὲ δὴ ἔν τε τῇ σηρικῇ καὶ ἐν τῇ νικητηρίᾳ (« en d’autres circonstances, il apparaissait en public en vêtement de soie ou en appareil triomphal »). Voir Freyburger-Galland 1993, p. 118 pour les questions de vocabulaire.
45 Suet., Cal., 46-47. Huet 2008, p. 131 : « ... il dévoie le triomphe en en portant les insignes, sans les avoir mérités. » Caligula renonce toutefois à célébrer ce triomphe et préfère les honneurs de l’ouatio selon Suet., Cal., 49.
46 Huet 2008, p. 151 : « Caligula se transforme en grec. » Pour DC 59, 17, 3, Caligula porte une chlamyde de pourpre avec la cuirasse, ce qui accentue l’idée d’un empereur « grécisé », mais supprime la confusion qui consiste à mélanger un habit romain (la toga picta) avec un élément grec.
47 Tac., Ann., 13, 3 : mens turbata (« le trouble de ses capacités »). Sur la question de la « folie » de Caligula, voir Castorio 2017, p. 155-164.
48 DC 59, 3, 5 : καὶ ὑπὲρ ἐκείνων ὁμοίως γίγνεσθαι ἔνειμε: τά τε ὀστᾶ τά τε τῆς μητρὸς καὶ τὰ τῶν ἀδελφῶν τῶν ἀποθανόντων αὐτός τε πλεύσας καὶ αὐτὸς αὐτοχειρίᾳ ἀνελόμενος ἐκόμισε καὶ ἐς τὸ τοῦ Αὐγούστου μνῆμα κατέθετο, τὸ ἱμάτιον τὸ περιπόρφυρον ἐνδὺς καὶ ῥαβδούχοις τισὶν ὥσπερ ἐν ἐπινικίοις (traduction avec une modification : τὸ ἱμάτιον τὸ περιπόρφυρον, traduit par « toge de pourpre », a été finalement rendu par « toge prétexte » pour être plus fidèle au texte. Pour la question de la toge prétexte dans Dion Cassius, voir Freyburger-Galland 1993, p. 118).
49 Cic., Vat., 12, 30 et 13, 31. Voir Stone 1994, p. 15 et surtout Scheid 1984, p. 119-120.
50 DC 59, 20, 2 : ἵνα γὰρ συκοφαντήσῃ αὐτούς, τοῦ Ἀντωνίου μᾶλλον ἢ τοῦ Αὐγούστου ἀπόγονος δοκεῖν εἶναι ἠθέλησε: καὶ προεῖπέ γε οἷς καὶ τὰ ἄλλα ἀνεκοίνου, ὅτι πάντως ὁπότερον ἄν τι ποιήσωσιν ἁμαρτήσουσιν, ἄν τε ἐπὶ τῇ τοῦ Ἀντωνίου συμφορᾷ βουθυτήσωσιν, ἄν τε ἐπὶ τῇ τοῦ Αὐγούστου νίκῃ ἄθυτοι. Voir aussi Suet., Cal., 23 : Praedicabat autem matrem suam ex incesto, quod Augustus cum Iulia filia admisisset, procreatam ; ac non contentus hac Augusti insectatione Actiacas Siculasque uictorias, ut funestas P. R. et calamitosas, uetuit sollemnibus feriis celebrari (« mais il proclamait que sa mère était le fruit d’un inceste commis par Auguste avec sa fille Julie. Non content de salir ainsi la mémoire d’Auguste, sous prétexte que les victoires d’Actium et de Sicile avaient été désastreuses et funestes au peuple romain, il défendit de les célébrer par les fêtes traditionnelles »).
51 Huet 2008, p. 130 : « [Caligula)] présente en quelque sorte le versant opposé de l’habitus d’Auguste. »
52 Bizière – Vayssière 1995, p. 46-47.
53 Suet., Cal., 52 : Vestitu calciatuque et cetero habitu neque patrio neque ciuili ac ne uirili qudem denique humano semper usus est. Saepe depictas gemmatasque indutus paenulas manuleatus et armillatus in publicum processit, aliquando sericatus et cycladatus ac modo in crepidis uel coturnis, modo in spectaculoria caliga, nonnumquam socco muliebri ; plerumque uero aurea barba, fulmen tenens aut fuscinam aut caduceum deorum insignia, atque etiam Veneris cultu conspectus est (trad. Th. Éloi).
54 Caligula, pour punir un questeur soupçonné de comploter, le fait flageller, après qu’on lui eut enlevé ses vêtements ; voir Suet., Cal., 26, 4 : quaestorem suum in conjuratione nominatum flagellavit veste detracta subjectaque militum pedibus, quo firme verberaturi insisterent (« Comme son questeur avait été mentionné dans une conjuration, il ordonna de le flageller, après lui avoir ôté ses vêtements, que les soldats mirent sous leurs pieds, pour bien assurer leur coup », trad. Th. Éloi). Sur tout cela, voir Steidle 1951, p. 112 et Huet 2008 p. 140-141 ; sur l’antinomie des vices et des vertus, voir Cizek 1977, p. 106-118.
55 Voir Wallace-Hadrill 1981 p. 316 : « One has only to enumerate some of virtues attributed to emperors in the Panegyric or the Caesars to see that they belong to a different world of thought: abstinentia, moderatio, continentia, humanitas, civilitas, comitas, facilitas, simplicitas, veritas, frugalitas are enough to give the flavour what is missing. These are above all social virtues, qualities of self-restraint. The focus is not on the possession of power, but on the control of it in deference to other members of society. »
56 DC 49, 26, 5 ; Philon, Leg., 74 sq., qui s’étend longuement sur la progression des travestissements de Caligula d’abord en demi-dieux (Dionysos, Hercule et les Dioscures), puis en olympiens (Mercure, Apollon et Mars). Philon bouleverse peut-être la chronologie à des fins polémiques, voir Smallwood 1961, p. 191 sq.
57 Cic., 2 Verr., 5, 31 ; Phil., 11, 26.
58 SHA, Comm., 8, 8 ; Pert., 8, 2 ; Heliog., 26, 2. La même remarque pourrait être faite à propos des bracelets (armillatus) que les hommes romains ne portaient pas ; voir Wardle 1994 p. 337, ou, à propos des robes bordées d’or, tenues éclatantes réservées aux femmes de la haute société, voir Prop. 4, 7, 40 ; Juv. 6, 259.
59 Notation peut-être empruntée à Sen., De const. sap., 18, 3.
60 Suet., Tib., 13, 1 : Equi quoque et armorum solitas exercitationes omisit redegitque se deposito patrio habitu ad pallium et crepidas atque in tali statu biennio fere permansit, contemptior in dies et invisior (« Il renonça même à ses exercices habituels d’équitation et d’escrime, et, quittant le costume romain, se contenta du manteau et des sandales grecques ; il resta près de deux ans dans une telle situation, inspirant de jour en jour plus de mépris et plus de haine », trad. Th. Éloi).
61 Suet., Cal., 9.
62 Sur Marc Antoine, voir Vell. 2, 82, 4. Pour le cothurne porté par certains souverains hellénistiques, par exemple Cléarque, voir Memnon, apud Photium, 224.
63 Voir Alföldi 1955, p. 50.
64 Suet., Cal., 54, 4-5.
65 Suet., Cal., 11 : Naturam tamen saeuam atque probrosam ne tunc quidem inhibere poterat, quin et animaduersionibus poenisque ad supplicium datorum cupidissime interesset et ganeas atque adulteria capillamento celatus et ueste longa noctibus obiret ac scaenicas saltandi canendique artes studiosissime appeteret (« Toutefois, même à cette époque, il ne pouvait contenir sa nature cruelle et vicieuse : il assistait avec le plus vif plaisir aux exécutions et aux supplices des condamnés, courait la nuit à la débauche et à l’adultère, coiffé d’une perruque et dissimulé sous un long manteau, et se passionnait pour les arts de la scène, la danse et le chant », trad. Th. Éloi).
66 Catull. 57.
67 Voir Dupont – Éloi 2001, p. 311-314.
68 Plin., HN, 11, 78.
69 Liv. 30, 15, 11.
70 Tac., Ann., 4, 26, 2 : Cognitis dehinc Ptolemaei per id bellum studiis, repetitus ex uestuto more honos missusque e senatoribus qui scipionem eburnum, togam pictam, antiqua patrum munera, daret regemque et socium atque amicum appellaret (« Puis, à l’annonce des services rendus par Ptolémée pendant cette guerre, on renouvela en son honneur un usage des anciens temps en chargeant un sénateur d’aller lui remettre un bâton d’ivoire et une toge brodée, antiques présents du Sénat, et le saluer du nom de roi, allié et ami »). Dans ce passage, le traducteur semble confondre la toga picta et la tunica palmata. Les monnaies frappées par ce roi le représentent avec cette tenue (Barrett 2015, p. 158).
71 Flor. 1, 1 (1, 5) fait remonter l’usage de ces habits triomphaux aux étrusques et plus précisément au roi Tarquin l’Ancien. Sur la symbolique des ornements triomphaux, voir Beard 2007, p. 225-233.
72 Il est nécessaire de promulguer une lex de imperio qui accorde l’imperium pour une seule journée, voir Liv. 45, 35 : ... mandatumque Q. Cassio praetori, cum tribunis plebis ageret, ex auctoritate patrum rogationem ad plebem ferrent, ut iis, quo die urbem triumphantes inueherentur, imperium esset (« ... et l’on chargea le préteur Q. Cassius de demander aux tribuns de la plèbe, que, conformément à la volonté du Sénat, ils missent en discussion devant la plèbe le projet de loi accordant à ceux qui entreraient dans la ville en triomphateurs l’imperium pour ce jour-là »). Voir Tarpin 2016, p. 269-271, et Bastien 2007, p. 202.
73 Suet., Cal., 35 : Ptolemaeum, de quo rettuli, et arcessitum e regno et exceptum honorifice, non alia de causa repente percussit, quam quod edente se munus ingressum spectacula conuertisse hominum oculos fulgore purpureae abollae animaduertit (« Quant à Ptolémée, dont j’ai parlé plus haut, après l’avoir fait venir de son royaume, puis accueilli avec honneur, il le fit tout à coup mettre à mort, simplement parce qu’il s’aperçut qu’en entrant dans l’amphithéâtre où lui-même donnait un spectacle, il avait attiré tous les regards par l’éclat de son manteau de pourpre »). Barrett 2015 p. 159 pense que Ptolémée Juba portait la toga picta, qu’il définit comme un affront infligé à Caligula. Le sens du terme employé par Suétone, abolla (manteau), ne peut être contesté : il s’agissait plutôt du manteau royal conventionnel.
74 Suet., Cal., 22 : cum audiret forte reges, qui officii causa in urbem aduenerant, concertantis apud se super cenam de nobilitate generis, exclamauit : εἷς κοίρανος ἔστω, Εἷς βασιλεύς (« comme il entendait un jour des rois, venus à Rome pour lui rendre hommage, discuter à table devant lui sur la noblesse de leurs origines, il s’écria : “N’ayons qu’un seul chef, qu’un seul roi” »). Suétone insiste sur l’appétence de Caligula pour la royauté.
75 Castorio 2017, p. 183-184.
76 Cic., Phil., 2, 44-45, commenté par Dupont – Éloi 2001, p. 135-137
77 Suet., Cal., 22 : ... nec multum afuit quin statim diadema sumeret speciemque principatus in regni formam conuerteret (« et peu s’en fallut qu’il ne prît aussitôt le diadème et substituât la royauté à l’apparence du principat »). Dans le texte de Suétone, le traducteur rend speciem par « fiction », terme inexact, car le vocable species désigne l’apparence.
78 D’autres approches historiographiques concluent différemment. Selon Nony 1986, p. 279-287, l’aspiration politique de Caligula serait la mise en place à Rome d’une monarchie de type oriental ; Castorio 2017, p. 279, pour sa part, estime vraiment que l’objectif de Caligula est l’installation d’une monarchie romaine dépouillée des institutions républicaines. Dans l’état actuel des sources littéraires et iconographiques souvent contradictoires, il paraît difficile de choisir définitivement parmi les différentes approches de l’historiographie moderne.
Auteurs
Université de Perpignan - anglade.laurent.histoire@gmail.com
Université de Perpignan - eloi@univ-perp.fr
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