Chapitre 7. Les métamorphoses du regard sur les capitales
p. 321-345
Texte intégral
1Si l’Italie faisait surtout figure au siècle des Lumières d’espace modelé par la culture classique, elle constituait aussi un territoire de nature politique et militaire, soumis aux appétits des principales puissances européennes. Par-delà les années du réformisme autrichien, la période révolutionnaire et impériale offre un intéressant terrain d’enquête sur la manière dont le jeu de la politique et des armes contribua à transformer non seulement l’équilibre pluriséculaire entre les villes et États de la péninsule, mais également les représentations que les Français avaient de l’espace géographique et politique italien. L’Italie était depuis longtemps un champ de bataille et c’est d’abord à des fins militaires qu’avaient été dressées des cartes de plus en plus précises dans la seconde moitié du xviie siècle, jusqu’à celles de Nicolas de Fer en 17021. De la guerre de Succession d’Espagne au début du xviiie siècle à celles de Succession de Pologne dans les années 1730, puis de Succession d’Autriche entre 1740 et 1748, les campagnes des Français en Italie, notamment celles de Maillebois en 1733-1735 et 1745-1746, favorisèrent une lecture de l’espace accordant un primat aux citadelles, aux ponts et aux voies de communication2. À la différence des précédentes campagnes, les expéditions menées en 1796-1797 et 1800 sous la conduite de Bonaparte orientèrent toutefois les contemporains dans le sens d’une perception de la péninsule plus unitaire que par le passé. D’abord soldats ou fonctionnaires, puis simples voyageurs aux buts pacifiques, les Français qui se rendirent en Italie au début du xixe siècle n’eurent plus tout à fait la même approche des paysages, des villes et du peuple italiens que les élites du Grand Tour. Situées au seuil de l’ère romantique, les guerres du Directoire combinèrent leurs effets avec d’autres facteurs tels que l’évolution du goût pour la nature ou la valorisation de l’émotion personnelle.
2Nous rejoignons la « réalité » italienne au moment où bascule l’Ancien Régime et où se met en branle le Risorgimento. La grande rupture du Directoire, du Consulat et de l’Empire a des conséquences profondes sur la vision que les Français ont de l’Italie : les histoires de la France et de la péninsule se recoupent une nouvelle fois et de façon durable. Entre le xviiie siècle du Grand Tour et un xixe siècle marqué par le romantisme et l’avènement du tourisme au sens moderne3, un regard nouveau sur l’Italie se forge chez les voyageurs venus de France, en relation avec le mouvement de l’histoire. Au lieu de nous pencher sur un auteur ou sur une œuvre pour analyser la manière dont fut alors appréhendée dans ses diverses manifestations la vie de la péninsule, nous continuons de considérer un large corpus de textes. Celui-ci va nous mener de Grosley à Taine, du milieu du xviiie au début des années 1860, et donc nous faire encore aller au-delà de la période napoléonienne. Sans oublier que la base sociale des voyageurs en Italie tend tout au long du xixe siècle à s’élargir, c’est sur une cinquantaine d’ouvrages imprimés que nous nous appuierons essentiellement. Afin de ne pas nous perdre dans cette masse de journaux de voyages, de mémoires et de lettres, notre attention va se porter sur un aspect précis de la réalité italienne en mouvement, à savoir sur le sort que les récits de voyages en Italie réservent à l’idée de ville « capitale ». Cette idée correspond à une préoccupation des souverains et des cours dans ce que Carlo Giulio Argan a appelé pour le xviie siècle L’Europe des capitales. Présente dans la culture et les mentalités du xviiie siècle, elle se transforme avant de connaître une grande fortune au xixe siècle : elle intéresse de près les Italiens du Risorgimento4.
3Les cas de Milan et de Venise sont en apparence moins nets que ceux de Florence, de Turin, de Naples ou de Rome, qui retrouvèrent après le Premier Empire leur situation de ville contrôlée par un souverain y résidant avec sa cour. En intitulant son livre Rome, Naples et Florence, Stendhal retient trois villes qui ont en 1817 le vent en poupe. Plus encore que celui de Florence, où la vie intellectuelle est intense dans la première moitié du xixe siècle, à l’époque du cabinet Vieusseux5, le destin de la ville des papes aurait pu retenir notre attention. À son apogée dans les années 1780-1800, le mythe de Rome capitale idéale d’une Europe unie par la culture néo-classique devait en effet connaître une transformation profonde avec la restauration post-révolutionnaire, le romantisme catholique et la pensée laïque et libérale. En liaison avec les réactions et les recompositions politiques du Risorgimento, la ville continue d’être décrite par les voyageurs en en appelant à l’histoire, mais elle devient un objet exotique, doté d’une vie sociale apparemment très vivace et d’un système politique obsolète. Tout en la visitant, on y réfléchit, éprouvant à son égard tantôt une attraction irrésistible (la ville des martyrs), tantôt un sentiment de refus violent6.
4De la différence même avec le cas romain résulte l’intérêt de se pencher sur Milan et Venise. L’histoire y est encore plus discontinue qu’ailleurs, marquée par de plus décisives ruptures au seuil du xixe siècle. Si ces deux villes étaient assez indépendantes l’une par rapport à l’autre au xviiie siècle, leurs destins en outre s’entrecroisent avec l’arrivée des troupes de Bonaparte. L’une, capitale d’Ancien Régime – ou plus exactement « ville dominante », selon le concept que Marino Berengo préfère à juste titre appliquer aux villes italiennes depuis le Moyen Âge7 –, s’écroule le 12 mai 1797 sous la pression du Directoire et perd définitivement sa fonction de capitale. L’autre, promue par les armées françaises au rang de capitale d’un nouvel Etat dont les Italiens ne sont toutefois pas les maîtres, se trouve investie d’un rôle centralisateur, mais qu’elle ne peut tenir durablement. Cette situation reste-t-elle sans effet sur l’imaginaire des Français qui viennent en Italie ? Comment ceux-ci, nourris d’une expérience de la ville capitale qui fut celle de Versailles, puis à partir de la Révolution celle de Paris, centre à la fois de la vie politique, administrative, économique et culturelle du pays, perçoivent-ils la capitale italienne, sa fonction symbolique au sein d’une nation qui se cherche, son rôle de domination d’un territoire ? Que peut-on entrevoir, dans les parties de leurs récits consacrées à Milan et à Venise, des rapports qu’ils entretiennent avec la politique italienne, y compris s’ils ne se préoccupèrent pas explicitement de politique ? Quelles transformations et quels glissements l’enquête sur les villes capitales permet-elle de saisir dans les comportements et les manières de voir des Français qui séjournèrent en Italie ? Il est intéressant de se poser la question à propos de deux villes qui ne furent pas un objectif principal du voyage en Italie dans la seconde moitié du xviiie siècle, Venise notamment ayant perdu de sa force d’attraction, mais qui retrouvent au siècle suivant, chacune à sa façon, un prestige qui pour être paradoxal n’en est pas moins très vif.
Les conditionnements du regard sur Milan et Venise
5Les récits de voyageurs retenus comme « témoins » de la perception des Français se placent entre la fin des années 1750 – Grosley effectue son second voyage en 1758, peu avant Richard, Coyer, Lalande et Duclos – et le milieu du siècle suivant – Gautier, Flaubert, les Goncourt, Louise Colet. Nous les traitons comme des documents d’époque, construisant un référent qui leur est propre mais qui entre également en relation avec des événements historiques. Dans cette perspective, de grands textes de la littérature française – extraits des deux versions de Rome, Naples et Florence, pages des Mémoires d’outre-tombe – côtoient des ouvrages se présentant comme des guides – Lalande, mais aussi les brefs manuels de Dutens et Cassini, puis dans la première moitié du xixe siècle L’indicateur italien de Valéry et le Voyage pittoresque de Paul de Musset. Les lettres ou notes éparses de grands personnages – Michelet, Balzac, Viollet-le-Duc – jouxtent les écrits d’auteurs inconnus ou oubliés. Cet ensemble est hétérogène, mais seuls y figurent des Français, qui ont tous posé le pied sur le sol italien. Qui donc ont senti et perçu, transcrit et communiqué, créé, véhiculé ou transformé, chacun à sa façon, un réservoir d’images, d’impressions et de préjugés.
6Confrontés à l’angle d’attaque de la ville capitale, ces textes ont paru pouvoir être soumis à quatre paramètres, ou si l’on préfère à quatre pôles du conditionnement des regards. Le premier concerne les buts des voyageurs, qui ont varié d’un siècle à l’autre parallèlement à leurs fonctions sociales. Au xviiie siècle dominent, nous le savons, les gentilshommes éclairés du Grand Tour et leur suite, les artistes, les savants, les abbés. Puis avec l’occupation des Français arrivent les militaires, les administrateurs, les écrivains, une nouvelle génération d’érudits et d’historiens. Enfin l’âge romantique génère à côté des gens de lettres et des artistes ses premiers « touristes » anonymes, même si les contours de ce terme sont flous jusque dans la seconde moitié du xixe siècle et que le tourisme de masse est encore loin8. La frontière d’un siècle à l’autre est certes moins tranchée, des savants subsistent au xixe siècle, les écrivains ne furent jamais aussi nombreux que sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. La pluralité des buts propre au xviiie siècle persiste au siècle suivant dans le désir d’aborder tous les aspects d’une ville, de connaître son histoire, ses monuments, ses œuvres d’art, ses coutumes, l’état de son commerce, de goûter à sa vie mondaine, de vivre une expérience de formation individuelle. Le voyage perd néanmoins sa fonction de rituel obligé d’un groupe social – la noblesse – et l’écriture répond à des besoins à la fois plus spécifiques et plus diversifiés. Si les temps de transport ne se réduisent pas notablement avant l’arrivée des chemins de fer, les séjours dans la péninsule sont souvent plus brefs qu’au siècle précédent, tombant parfois à un mois au lieu d’un an, surtout lorsque l’Italie ne constitue qu’une étape sur la route de l’Orient. À partir du triennio giacobino, les Français auteurs de souvenirs furent également plus nombreux à venir en Italie remplir une charge officielle (Chateaubriand, Stendhal, Renan), étudier la nature (Faujas, Villars), chercher un éditeur (Courier) ou des sources d’inspiration (George Sand, Michelet, Viollet-le-Duc), régler des affaires financières (Balzac) ou soutenir moralement les luttes du Risorgimento (Louise Colet). Dans ce contexte, les lieux de séjour prolongé ne se limitèrent plus à Rome ou Naples. Les Français s’arrêtèrent tout aussi volontiers à Milan et Venise. En devenant des résidents, ils ne perçurent plus les deux villes du Nord comme des visiteurs en simple transit.
7Second paramètre : le bagage de lectures des Français qui visitent la péninsule. Celles-ci ne sont pas uniformes, mais certaines constantes se dessinent. Au xviiie siècle, l’on portait avec soi le Misson, puis à partir de 1769 le Lalande : la vision encyclopédique de l’astronome de Bourg-en-Bresse, attentive aussi bien aux mécanismes du gouvernement qu’à la topographie urbaine, aux mœurs ou à l’économie, devint pour quelques décennies l’incontournable modèle pour les voyageurs cultivés9. Avec Lalande, l’identité propre à chaque ville s’inscrit dans une histoire rappelée scrupuleusement au début de la description, avec ses dates et épisodes marquants. Nulle hiérarchie ne distingue ces dernières entre elles, sinon par des allusions passagères du type de celle qui définit Milan comme un « entrepôt général pour toute l’Italie »10. Or, au début du xixe siècle, une révolution s’opère. Tandis que les voyageurs utilisent sur place des itinéraires de plus en plus succincts, le passage à une vision nationale de l’Italie s’effectue avec l’Histoire des Républiques italiennes du Genevois Sismondi (1807-1818), où comme l’a rappelé Franco Venturi l’antique aspiration à la liberté politique fonde la constitution d’une nation italienne11. Effet secondaire bien que non voulu de l’entreprise napoléonienne, ce glissement vers la nation contre les cités-États séparées est confirmé dans une autre lecture favorite de l’époque romantique, l’Histoire littéraire de l’Italie de Pierre-Louis Ginguené (1811-1816). À ces deux ouvrages s’ajoutent bientôt la Corinne de Mme de Staël, l’Histoire de la République de Venise de Daru (sortie en 1819), puis dans les années 1820 des écrits de Byron et de Stendhal, de Louis Simond et de Valéry, textes inégaux entre eux mais lus par un certain nombre de contemporains. Dans les années 1830 sont enfin diffusées les traductions des Fiancés de Manzoni (dont la seconde version fut publiée en 1827 et la troisième en 1840-1841) et de Mes prisons de Silvio Pellico (1832). L’Italie devient à la fois terre des morts, sur laquelle plane un passé glorieux et évanescent, et espace où en dépit des rigueurs de la Restauration autrichienne l’amour pour la liberté continue de vibrer et de s’emplir de promesses.
8Avec le troisième paramètre, nous abordons le domaine de la pensée urbaine des voyageurs. Celle-ci est rarement explicite dans leurs récits, mais elle affleure de façon sous-jacente. De la capitale comme ville de la cour – le modèle versaillais du xviiie siècle ayant été diffusé à Saint-Petersbourg, Karlsruhe ou Caserta – à l’image de Paris ville éblouissante non moins que dangereuse, le modèle reste celui de la ville conçue comme centre irradiant le territoire. Peu importe que Paris soit décrite négativement au milieu du xixe siècle par deux jeunes typographes lillois dans l’ouvrage Suisse et Italie ou Voyage de Paris à Naples12, lequel préfigure sur l’axe franco-italien l’itinéraire « national » d’André et de Julien, les deux orphelins du Tour de la France par deux enfants. Le prestige de Paris rend nécessaire pour les Français l’idée même de la capitale. Les utopies sociales du phalanstère et du village élémentaire de l’harmonie ne peuvent éluder cette nécessité. Elles se situent, comme l’a montré Marcel Roncayolo à propos du milieu des ingénieurs issus de Polytechnique – César Daly, Michel Chevalier, Victor Considérant, Perreymond –, en solution de continuité avec la logique d’un système urbain marqué par la centralité et qui doit ses réalisations les plus notables au pouvoir politique, organisant autour d’un pôle central les voies de communication13. Le regard des voyageurs français est imprégné de cette dualité pré-haussmannienne. Venise se relierait plutôt ici au versant « phalanstère » de la pensée urbaine, Milan se rangeant résolument du côté du « système urbain ». Frédéric Mercey évoque avec émerveillement dans son voyage au nord de l’Italie de 1830 les Veloci, ces espèces d’omnibus fort commodes et pouvant contenir de 15 à 18 personnes, qui « partent de Milan pour Novare, Bergame, Pavie, Côme, Sesto Calende, [et qui] dans ces dernières villes correspondent avec les bateaux à vapeur, ce qui rend les communications très rapides »14. L’intérêt pour la capitale pensée au cœur d’un réseau de communications est évident.
9Le quatrième paramètre concerne enfin les rapports de force internationaux, déterminants même si les voyageurs semblent les ignorer ou ne s’en font l’écho qu’à la faveur de multiples médiations. Il est à cet égard utile de confronter les récits de voyageurs avec les discours d’autres contemporains sur les villes qui nous occupent. Parmi les sources françaises, les instructions aux ambassadeurs et les archives consulaires offrent un point de vue intéressant par rapport à celui des voyageurs15. Peu avant que la cité lagunaire ne procure à Gautier, puis à Flaubert (respectivement en 1850 et 1851), une intense émotion esthétique, oublieuse de la récente tourmente politique, un rapport rédigé en 1848 pour le consul de Venise montre quelles étaient alors les préoccupations de nature géostratégique du pouvoir français. L’« esprit étroit de municipalisme » des Vénitiens y est dénoncé pour avoir fait rater une occasion historique en les amenant à rester à Venise alors que « leur premier acte de politique intérieure devait être de se transporter à Milan »16. Renouant avec les messages adressés aux ambassadeurs tout au long du xviiie siècle, lorsqu’elle rappelait à ses agents qu’en dépit de sa décadence « cette République occupe dans l’Europe un espace que sa situation rend important »17, la France au milieu du xixe siècle rêve d’une confédération italienne qui repartant de Milan serait en mesure de former un État tampon entre l’Autriche et les États du pape et qui par voie de conséquence aiderait à reconstituer l’influence française dans la région. Dans ce schéma, le souhait est que Venise se résigne à son rôle de ville subalterne sur le plan politique. Une même attitude se retrouve chez certains Italiens, avec des motivations différentes. Depuis les journaux et histoires de chaque État pré-unitaire jusqu’à certains textes de Cesare Balbo et Niccolò Tommaseo, une fascination pour l’idée de la grande capitale s’entrevoit, où, comme l’écrivait Foscolo en 1824, « tous les génies, tous les grands artistes, toutes les nouvelles publications, tous les progrès et les inventions de l’esprit se concentrent en un lieu et diffusent l’entière splendeur d’une seule ville »18.
10Les Italiens ont certes du mal à imaginer la ville qui serait en mesure de satisfaire une telle exigence tout en ne heurtant pas la multiplicité des particularismes. Les Français qui voyagent en Italie à l’époque du Risorgimento paraissent moins hésitants. Ayant promu Milan comme capitale d’une Italie régénérée au terme du triennio giacobino de 1796-1799, ils sont nombreux à accorder pour plusieurs décennies une primauté idéale à l’éphémère capitale du royaume d’Italie. L’observation du fonctionnement de l’idée de capitale comme signe de décalages culturels à travers les récits de voyageurs amène ainsi à distinguer deux périodes du regard français. La première, ancrée dans le xviiie siècle, correspond à la prééminence d’une lecture politique des villes et de l’espace urbain. Dans la seconde, caractéristique de l’âge romantique et postérieure à l’échec de l’Empire, la dimension politique s’efface derrière une approche de type culturel, émotionnel et esthétique, où le potentiel de l’idée de capitale finit par converger vers la seule sphère du rêve et des symboles.
La capitale comme réalité politique
11La domination napoléonienne sur l’Italie s’accompagne d’une explosion d’enthousiasme des Français en faveur du rôle moteur de Milan dans une histoire de l’Italie jugée en plein bouleversement. Cet hymne à la fonction de capitale est l’aboutissement d’une tendance du xviiie siècle à lire les villes comme des espaces de nature politique, où le récit de l’histoire et le commentaire sur les œuvres d’art n’empêchent pas la description des systèmes de gouvernement d’occuper une place privilégiée. L’accession de Milan au rôle de capitale est néanmoins une nouveauté. Les témoignages des écrivains qui la célèbrent au temps de Napoléon montrent que les ponts viennent d’être coupés avec le xviiie siècle et qu’une page de l’histoire est en train de se tourner :
Paul-Louis Courier : « Milan est devenue réellement la capitale de l’Italie, depuis que les Français y sont maîtres »19.
Chateaubriand : « À mon passage à Milan, un grand peuple réveillé ouvrait un moment les yeux. L’Italie sortait de son sommeil, et se souvenait de son génie comme d’un rêve divin utile à notre propre renaissance »20.
Stendhal : « Le général en chef Buonaparte entra dans Milan ; l’Italie se réveilla, et pour l’histoire de l’esprit humain, l’Italie sera toujours la moitié de l’Europe »21.
12Il nous faut maintenant analyser les comportements qu’une si soudaine irruption révèle, et les préjugés qu’elle perpétue en filigrane. Ceux-ci ont un rapport avec l’approche traditionnelle de l’Italie. Derrière la nouveauté apparente des représentations que génèrent les événements de la fin du siècle, des modèles anciens sont à l’œuvre ou en voie de recomposition, que le détour par Venise aide à mieux déceler.
13Dans la seconde moitié du xviiie siècle, Venise demeure en effet aux yeux de ceux qui viennent la visiter une référence avant tout politique. Le modèle est celui d’une ville dominante où l’État s’est construit par conquête progressive d’autres villes, notamment en terre ferme, non pas d’une capitale au sens français. Malgré le déclin politique que la plupart constatent, à commencer par Lalande qui reproche à la République « de n’avoir point changé ses maximes, depuis que ses richesses et sa puissance ont diminué »22, elle continue de stimuler la curiosité en tant que ville-capitale. Le système de gouvernement y est décrit par les voyageurs français avec un luxe de détails. Ceux-ci célèbrent une ville située au centre d’un territoire encore vaste23, dont le rang est ancien et qui a su demeurer maîtresse d’elle-même depuis sa fondation. Tous les aspects de la vie sociale sont placés sous le signe d’une primauté de la dimension institutionnelle, jusqu’aux fêtes elles-mêmes. Ces dernières intéressent d’ailleurs un parlementaire comme Duclos moins pour leur contenu de divertissement que parce qu’elles mettent en œuvre une dialectique de la liberté et de la contrainte qui fonde l’art de gouverner à Venise. L’égalité des costumes frappe Coyer et Roland de la Platière en tant qu’elle résulte d’une nécessité politique, celle-là même qui selon Duclos conduit à octroyer les emplois les plus onéreux aux membres de l’aristocratie « qu’une opulence marquée peut rendre suspects de vouloir se distinguer trop de leurs égaux »24. La difficulté pour les étrangers de se lier avec des nobles vénitiens n’est pas seulement interprétée comme un fait de mœurs, mais soigneusement rapportée aux exigences de protection de l’État vis-à-vis des risques de complot. De même la douceur et la tranquillité du peuple renvoient-elles à une forme de constitution presque parfaite : ce peuple qui « ne désire que ce qu’il fait, et fait tout ce qu’il désire »25 est par là même « facile à contenir »26. Les Français de passage à Venise après 1750 sont moins attirés par la vie de tous les jours, celle des métiers ou des plaisirs – auxquels se mêlait jadis un de Brosses –, que par la possibilité d’entrevoir lors de leur séjour, fût-ce de façon lointaine et déformée, les traces d’institutions vantées depuis plusieurs siècles, marquées par le rôle éminent de la noblesse et le prestige fantasmatique des trois Inquisiteurs. En contrepoint de cette attention aux rouages politiques devenus un objet de musée, le rituel des masques et la « vie vénitienne » proprement dite – pour paraphraser les mots d’Henri de Régnier une bonne centaine d’années plus tard – ennuient de plus en plus les visiteurs des décennies précédant la Révolution, de Lalande à Roland de La Platière27.
14La Venise des voyageurs de la seconde moitié du xviiie siècle est difficile à ranger parmi les choses présentes, ou vivantes. Certes l’abbé Richard réfute l’hypothèse de sa décadence et anticipe même sur son destin de capitale européenne :
C’est donc à Venise où il faut établir le chef-lieu de la politique en Europe. La discrétion et la réserve qui y règnent, et la liberté qui y est commune à toutes les nations, semblent l’y placer de préférence à tout autre état ; à quoi il faut ajouter qu’il y a des fêtes publiques, qui de tout temps y ont attiré même les souverains, qui peuvent encore s’y rassembler sous le seul prétexte de la curiosité28.
15Mais la plupart de ceux qui l’observent l’enferment dans une bulle, close sur elle-même, singulière, irréductible à toute autre, et ils ne peuvent lui opposer qu’une vaine tentative de l’apprivoiser. Comme capitale, cette source de curiosité n’a rien de commun avec le système de la ville de cour puisque le doge est un simple figurant et que le pouvoir s’y dissimule et se démultiplie au point de perdre sa face visible. L’autorité se concentre entre les mains du conseil des Dix et des inquisiteurs d’État, mais nul ne peut la désigner du doigt. Cette invisibilité de la puissance éloigne résolument Venise de l’exemple versaillais. Les voyageurs mesurent leur degré d’étrangeté et leur impossibilité de pénétrer les secrets de Venise à l’aune de l’éloignement dans lequel les Vénitiens les maintiennent vis-à-vis de leurs affaires.
16Relativement unanimes à percevoir le déclin de Venise, si l’on excepte Richard, les voyageurs français des dernières décennies du siècle n’expriment pas tout à fait le même point de vue que leurs ambassadeurs. À en juger par les instructions que le gouvernement français remet à ces derniers dans la seconde moitié du xviiie siècle, Versailles continue de croire à l’utilité de Venise dans le système des puissances européennes. Le caractère inéluctable du déclin vénitien est certes exprimé de manière fort explicite dans l’instruction à Vergennes de 1779 :
Malgré l’opinion qui semble en quelque sorte justifiée par le fait que le gouvernement de Venise est le chef d’œuvre de la politique […], il est impossible de ne pas s’appercevoir que ce gouvernement n’ayant ni force ni activité pour tout ce qui a trait au dehors, a été assez bien calculé pour que Venise ne changeât pas de forme, mais très mal pour qu’elle acquît une puissance réelle ou la conservât. On se tromperoit si sur la foy du passé on vouloit croire cette République indestructible. Elle va toujours en diminuant de puissance et de crédit […]29.
17La terreur de l’avenir et le découragement qui s’emparent des Vénitiens sont autant de signes d’une décadence qu’il convient cependant de prévenir et d’empêcher. Pour la diplomatie française, l’existence de la République « nous est utile », et « sa ruine nous pourroit être onéreuse » : sa faiblesse l’exposant à devenir « au moins en partie victime des querelles et de l’ambition de ses voisins », l’ambassadeur est invité à avoir « les yeux ouverts sur tout ce qui pourrait tendre à [son] anéantissement […] ou au démembrement de ses possessions »30. Au souci de conservation d’un état « qui fait la séparation entre l’Allemagne et l’Italie », les instructions de l’ensemble du siècle ajoutent une série de raisons pour entretenir de bons rapports avec Venise : les relations avec l’empire turc, les intérêts commerciaux des ressortissants français et, dans le mémoire remis à Hardouin de Chalon en 1786, la prise en compte du poste d’observation que constitue la ville « pour connoitre les mouvemens d’un grand nombre de souverains »31. En dépit des sentiments quelque peu désabusés qu’exprime Bernis dans ses Mémoires relativement à son ambassade de 1752-175532, Venise reste jusqu’à la Révolution un allié sur lequel la France entend pouvoir compter. Loin d’apparaître comme inaccessible et invisible, elle est saisissable et utile en tant qu’elle constitue le centre d’un État à ménager.
18La situation de Milan est différente. Celle-ci ne fait pas seulement figure dans la seconde moitié du xviiie siècle de ville vidée de ses habitants, mais aussi d’anti-capitale, ou de capitale par défaut. Elle possède certes les attributs d’une possible capitale : position, vocation commerciale, pôle intellectuel, vie mondaine autour du gouverneur de la maison d’Autriche et dans les palais du patriciat local, traduisant, selon la formule que G. Labrot applique à Naples, l’existence de « l’esprit citadin, version psychologique de l’effet-capitale, porteur de civilité, de finesse, de perfectionnement du goût »33. Mais elle ne provoque pas l’admiration par les signes concrets, physiques et matériels, d’une autorité politique. Tandis qu’au xviiie siècle les Français qui voyagent en Italie sont sensibles aux palais, à leurs architectures, aux collections de peinture ou d’antiquités qu’ils renferment, aux familles qui les habitent, presque aucun monument n’est décrit à Milan comme manifestant la présence ou le souvenir d’un prince, encore moins d’une cour. Le château des Sforza – citadelle qui à l’époque semble très excentrée – n’évoque qu’un passé vieux de plusieurs siècles. Son état d’abandon et de délabrement va de pair avec une faible efficacité défensive. Milan n’a ni les belles rues, ni les beaux édifices de Turin, et les palais sont peu nombreux : « on y admire sept à huit palais, s’exclame Coyer, mais point de suite »34. Les rouages du pouvoir civil ne font pas davantage l’objet de commentaires. C’est l’empreinte religieuse sur la ville qui domine, traduite par l’intérêt que les visiteurs accordent en priorité à sa cathédrale et à la Bibliothèque Ambrosienne35. L’architecture gothique du Dôme est dévalorisée, mais ses dimensions le rendent « presque aussi vaste que Saint-Pierre de Rome »36. Par le nombre de ses églises37, la cité de saint Ambroise rivalise d’ailleurs avec Rome : « Il ne manque à Milan que le Pape, pour mettre cette ville en état de disputer à celle de Rome le titre de Sainte, dont elle se glorifie »38.
19Un passage de Grosley évoque de façon percutante la structure politique « en creux » de Milan au début des années 1760. L’avocat et homme de lettres de Troyes met en rapport le Milanais avec le temps des premiers vice-rois, deux siècles plus tôt, et conclut : « De cette comparaison, il semble résulter qu’un État dominé par un souverain qui n’y réside point, ressemblerait à une métairie dont le produit est toujours en raison et de l’aisance du fermier et des dépenses du propriétaire »39. Si des capitales dotées d’une certaine autonomie se dessinent en Italie pour les Français de l’époque – de Duclos à Courier –, ce sont Rome, Turin, Florence et surtout Naples. Encore l’émiettement de la péninsule et la nature même de la société qui y règne semblent-t-ils déjouer la conception que les Français se font d’une capitale. N’oublions pas que seule Rome pouvait prétendre à ce titre aux yeux de Saint-Évremond en 1705, et que Madame de Tencin en 1734 réservait ce rang à Paris au sein de l’Europe : « Je vous dis ce que Saint-Évremond dit à un de ses amis : Il n’y a de séjour pour les gens d’un certain mérite que les capitales, et les capitales selon lui se réduisent à Paris, Londres et Rome, et selon moi à Paris seulement »40.
20Il reste pourtant à comprendre comment du « rien » surgit à Milan une capitale qui évoque Paris et la France aux yeux des voyageurs de l’époque napoléonienne. Dans l’euphorie de leur conquête, les Français ont tendu à oublier ce qu’ils devaient à l’Autriche de l’impératrice Marie-Thérèse. Le phénomène n’en a pas moins des racines antérieures de quelques décennies à l’arrivée des troupes du Directoire. Avant que Napoléon la fasse sienne, l’idée d’une capitale située à la périphérie de l’Empire a germé dans l’esprit de Marie-Thérèse, laquelle décidait dès 1764 d’y nommer gouverneur l’un de ses fils, l’archiduc Ferdinand, jeune frère de Joseph II. Celui-ci vint s’installer à Milan en 1771 – il avait dix-sept ans – et il y épousa Maria Beatrice d’Este. Pour la première fois depuis longtemps, un membre de la famille impériale devenait gouverneur de la Lombardie. Une série de réaménagements en résultèrent dans le centre de la ville et dans ses alentours. Sans anticiper sur le chapitre suivant, nous pouvons dire que cette politique urbanistique visait à créer à la fois le cadre d’une vie de cour et d’une mise en scène du pouvoir impérial41. Certains travaux furent rapidement menés à terme sous la conduite de l’architecte Piermarini : création d’une place devant le Palais Royal pour faire pièce au pouvoir de l’archevêque se manifestant dans le Dôme, ouverture de la piazza Fontana et de la via Santa Radegonda reliant le Palais Royal au Théâtre de la Scala, érection du théâtre de la Cannobbiana près du Palais Royal, mise en alignement du corso di Porta Orientale sur un axe conduisant symboliquement à Vienne, édification de la Villa Royale de Monza. Il ne semble pourtant pas que les voyageurs aient beaucoup remarqué les efforts des Habsbourg pour donner à Milan un statut de capitale au sein de l’Empire.
21Parmi les témoignages des années 1770 et 1780, peu nombreux, le souvenir que Milan laisse à Roland de la Platière en 1777 est d’une désolante insignifiance : « J’étais revenu par Milan, pour y voir des fonctions qu’on m’avait beaucoup vantées : il s’en faut beaucoup que j’y aie rien trouvé de merveilleux. La Cour en est absente ; le beau monde est à la campagne »42. Lorsque Lalande publie une seconde édition du Voyage en Italie en 1790, les quelques lignes que son scrupule l’amène à intégrer sur les travaux effectués au Palais Royal, centre du pouvoir archiducal, sont elles aussi d’une grande sobriété43. L’auteur les relègue en outre dans la description du dernier des quatre carrés qui composent pour Lalande la ville : ce palais, bien que voisin du Dôme, est par là même placé aux antipodes de la centralité qu’incarne l’édifice religieux. Plus prestigieux restent aux yeux de l’astronome de Bourg-en-Bresse le Palais Litta ou la Casa Clerici. Le premier
a l’air d’une maison royale ; la façade en est très-grande et très-ornée, il y a 32 colonnes de granite, et quatre en portique ; l’escalier est magnifique, les appartements en sont meublés richement et de bon goût ; on y voit de très nombreux tableaux ; je dois ajouter que c’est la maison où l’on vivait le plus grandement de mon temps, et l’on recevait la meilleure compagnie ; les étrangers y trouvaient une société pleine d’urbanité et d’agrément ; il n’y avait rien dans le reste de l’Italie qui ressemblât davantage aux grandes maisons de Paris.
22Quant à la Casa Clerici, il s’agit d’une « maison superbe, meublée avec magnificence, et dans le meilleur style ; c’est ce que l’on cite de préférence à Milan pour un modèle d’élégance et de goût. Le prince gouverneur du Milanez y a logé »44. Ces lieux, qui peuvent avoir accueilli un membre de la famille des Habsbourg, portent avant tout la marque d’un patriciat « local ». Le pouvoir impérial ne parvient pas, en tout cas aux yeux des Français, à donner à la ville une force de rayonnement45.
23L’arrivée des armées du Directoire bouleversa, nous l’avons dit, les bases de la vision que l’on avait de l’Italie depuis l’autre côté des Alpes. La prédominance du regard politique sur les villes italiennes, caractéristique du xviiie siècle, se trouva réanimée lorsque Milan acquit un rôle central au sein de la nation italienne. Tandis que Venise et son modèle politique devenaient de purs objets de musée, relevant d’un passé mort, Milan parut plus ouverte que jamais à la nouveauté qui lui arrivait de France. Les caractéristiques d’une capitale en pointillé, tenues Comme en réserve avant Napoléon, prirent alors corps en se coulant dans le moule français. Les récits français n’avaient parlé jusqu’en 1780 que de la grandeur de son territoire, topos récurrent depuis deux siècles46. Absente des récits antérieurs aux années 1780, sinon parfois pour évoquer la vie mondaine, la comparaison avec Paris s’imposa rapidement. Celle-ci résulte encore d’une approche par la négative chez Roland de la Platière : ce dernier juge en 1780 que seul un premier coup d’œil superficiel sur ses places, ses auberges et son volume d’affaires justifie de la définir comme « un petit Paris ». De son côté, le censeur royal Guidi affirme en 1783 qu’elle était estimable bien qu’elle ne valût pas Paris47.
24Par son luxe, par sa population, par la présence d’une société française et jusque dans la forme de ses rues étroites et inégales, Milan acquiert en revanche pour les Français qui écrivent au tournant du siècle, selon l’expression cent fois répétée ailleurs de Creuzé de Lesser, le statut de « Paris de l’Italie, à qui elle donne le ton sur bien des points »48. Apparue sous le Directoire49, cette comparaison positive avec Paris fut durable. Ainsi un voyageur de 1813 écrit-il :
Milan est le Paris de l’Italie. C’est la ville où l’on jouit de la plus grande liberté, c’est celle où l’on remarque le plus de mouvement, de vie, d’activité […], où le luxe et la quantité de brillans équipages rappellent le mieux la capitale du grand empire50.
25Plus tard, en 1832, André-Hyppolite Lemonnier qualifie toujours le chef-lieu lombard de « cité opulente et très animée, qu’on nomme le Paris de l’Italie »51. Les Français la voient se doter d’une classe dirigeante, sa fonction économique se renforce au cœur d’une plaine grasse et prospère, de nouveaux édifices ou monuments publics lui donnent cette configuration de capitale qu’elle n’avait pas encore acquise, faute d’être comme Turin le lieu de résidence d’un souverain. Elle est devenue pour les Français un lieu de séjour, riche en stimulants mondains et intellectuels. Depuis Milan, on part désormais faire des excursions non seulement vers les lacs mais aussi vers Venise.
26Il est vrai que d’autres villes lui font concurrence dans la péninsule. Rome est disqualifiée aux yeux de l’auteur de Rome, Naples et Florence parce que « tout est décadence ici, tout est souvenir, tout est mort. La vie active est à Londres et à Paris ». Mais la tentation de Bologne capitale existe : « Bologne est la ville la moins avancée dans le marasme ; elle mérite d’être la capitale de l’Italie. Si, à la résurrection de ce pays, on met la capitale à Rome tout est perdu »52. Le prestige de Milan n’en demeure pas moins intact sous la plume du même Stendhal, revivant après la campagne de Russie son voyage en Italie de 1811 :
Désormais Milan est lié à la France par la chaîne des opinions, et la force de cette chaîne est incommensurable53.
Cette capitale du plus riche pays de l’univers…54
Les routes étaient [sous Napoléon], et sont, vingt fois plus belles qu’en France. Tout s’organisait, tout marchait, les fabriques se multipliaient, le travail se mettait en honneur, tout ce qui avait de l’intelligence faisait fortune […] Sous le gouvernement de Melzi, le royaume d’Italie fut plus heureux que ne l’a jamais été la France55.
Milan a été 14 ans la capitale d’un vaste royaume ; on y a vu les grandes affaires de près et le jeu des passions. Pendant ce temps-là, Bologne était jalouse56.
27Le passé autrichien n’est pas évoqué. Mais cette promotion de Milan au rang de capitale n’en répète pas moins les ambiguïtés de l’époque de Marie-Thérèse et de son fils Joseph II, lequel, une fois devenu seul maître de l’Empire après 1780, avait cherché à limiter le potentiel d’autonomie de Ferdinand et de sa cour. Faisant de la ville un pion dans le projet de dominer la péninsule, les Français, comme avant eux les Autrichiens, lient le destin de la capitale à un rapport de forces présent, soumis aux aléas propres à toute domination étrangère. Les contradictions que génère cette situation amènent toutefois le modèle politique à basculer en fait très vite.
Vers des capitales culturelles
28Après la chute de l’Empire napoléonien, les Français ne se résignent pas à la disparition du rôle de capitale « à la française » joué par Milan. Ils manifestent leur hostilité à l’égard de l’Autriche, qui a pris la place de la France, à travers des propos qui fustigent ouvertement le despotisme et le sens de l’économie du gouvernement viennois. Ils se plaisent à signaler la résignation des habitants face aux envahisseurs, évoquent le contraste entre la beauté des Milanaises et l’oppression dont souffre la ville, s’attardent sur la tristesse d’une « ville obéissante et silencieuse qui courbe sa tête sous un joug de fer »57. Une seconde stratégie, plus subtile, les amène à faire subir à Milan un glissement sémantique de la capitale politique, militaire et économique vers une capitale intellectuelle et culturelle, morale et musicale. Stendhal opère constamment ce passage dans les textes écrits au début de la Restauration. En 1817 : « Naples n’est plus la capitale de la musique, c’est Milan. »58 ; « Milan est la capitale de la littérature en Italie. Mais au xixe siècle, qu’est-ce qu’une littérature sans liberté ? »59. En 1818 : « Et cependant Milan est la première ville d’Italie, si ce n’est pour la vivacité d’esprit, du moins pour la culture morale »60. Puis, avec un peu plus de recul, en 1826 : « Quatorze années du despotisme d’un homme de génie ont fait de Milan, grande ville renommée jadis pour sa gourmandise, la capitale intellectuelle de l’Italie »61.
29Certes Milan conserve auprès des visiteurs français, et pour de nombreuses années, le prestige tout à la fois d’une capitale et d’une ville moderne, que Théophile Gautier décrit avec enthousiasme en 1850 :
Dès qu’on s’engage dans les rues, on sent, à l’élévation des bâtiments, au mouvement de la population, à la propreté, à la confortabilité générale, qu’on est dans une capitale vivante, chose rare en Italie, où il y a tant de villes mortes ; des voitures nombreuses courent rapidement sur les bandes d’allées, espèce de railways de pierre enchâssés dans le pavé fait de cailloux […] tout est grand, régulier, majestueux, un peu emphatique même, on ne voit que colonnes, architraves et balcons de granit. C’est quelque chose entre Madrid et Versailles, avec une netteté que Madrid n’a pas62.
30Mais pour beaucoup, cette modernité puise dans le souvenir et s’anime grâce aux monuments qui rappellent l’épopée napoléonienne – l’arc de triomphe, l’arène, la villa Bonaparte –, quand elle n’est pas l’effet d’une pure rêverie sentimentale. Ainsi la dimension fantasmatique transparaît-elle dans une lettre que Balzac écrit de Venise en 1837 à la comtesse Maffei :
Puis j’avais tant vu de marbres sur le Dôme [de Milan], que je n’avais plus faim des marbres de Venise. Les marbres de Venise sont une vieille femme qui a dû être belle et qui a joui de tous ses avantages, tandis que votre Dôme est encore tout pimpant, tout jeune, tout paré comme une mariée d’hier avec ses blondes, ses mantilles découpées, brodées, ses tulles frais, ses cheveux brossés et lissés, son cou d’albâtre63.
31Le Dôme de Milan se confond dans cet extrait avec le visage de la comtesse, dont le portrait masqué devient signe de modernité, opposé à la vieillesse de Venise. En fait, pour échapper à la pression des Autrichiens, les voyageurs français déplacent leur attention sur une autre centralité que celle de nature politique. Milan moderne, avec ses larges rues dallées, est une ville qui touche et transporte. Il convient sans doute de déceler derrière cette charge émotive une secrète sensibilité vis-à-vis de la réalité de capitale économique, de pôle de la vie des affaires. Ce que les voyageurs extériorisent n’en est pas moins une approche avant tout esthétique et morale, qui trouve dans le Dôme une sorte de lieu idéal, capable de concentrer sur sa masse imposante des impressions d’ensemble sur la ville.
32Le Dôme devient par là le point culminant d’un parcours symbolique, qui permet à Milan de rivaliser avec Rome et même de l’emporter sur elle : « On entre, écrit Taine à propos du Dôme en 1864, et l’impression [d’un rêve intense] s’approfondit encore. Quelle différence entre la puissance religieuse d’une pareille église et celle de Saint-Pierre de Rome ! On pousse un cri tout bas : voilà le vrai temple chrétien »64. Depuis que sa façade a été terminée à la fin des années 1820, il produit un grand effet sur les voyageurs. Il est le lieu de tous les croisements, de toutes les synthèses. L’accumulation des statues éveille en Jules Janin la mémoire de quinze siècles d’histoire de l’Italie. Quelques années plus tôt, Edgar Quinet y avait perçu, on l’a vu, une synthèse idéale entre le monde germanique et le monde méditerranéen :
De Milan, cette architecture mêlée du génie du Nord et du génie du Midi, prend trois routes : elle va aboutir, sur l’Adriatique, dans les palais vénitiens ; sur la Méditerranée, dans le Campo Santo de Pise ; par le chemin de la Toscane à Orviète : elle a servi principalement les traces de l’esprit gibelin65.
33L’image de Venise romantique confirme cette évolution du regard vers une dimension de fantasme et d’évasion. Évacuée sans problème de la sphère politique, réduite à un rôle subalterne au sein même du royaume lombard-vénitien, il est vrai que l’antique Sérénissime fait d’abord figure de ville vieillie, sur le sort de laquelle plus d’un voyageur s’apitoie. « Venise n’est plus une capitale », soupire Louis Simond ; elle « n’a plus de carnaval, plus d’inquisiteurs d’État, plus de doge qui épouse la mer »66. De sa gloire passée, il ne reste que des objets de rêverie, comme l’arsenal, et le souvenir d’une terreur qui n’était pas si terrible que cela. Ce tableau d’agonie sur fond d’asservissement par les Autrichiens amène un certain nombre de voyageurs à n’éprouver à son égard qu’un intérêt mineur : ils s’y rendent pour le temps, relativement bref, d’une excursion accomplie depuis Milan. Il en est même qui décident de ne pas y aller du tout. C’est le cas d’un membre (probable) de la famille d’Agoult qui, dans son tour d’Italie au printemps et à l’été 1813, escamote l’étape vénitienne67. C’est aussi le choix opéré par Jules Janin en 1838 :
Mais, me disait-on, vous êtes à Milan, et par conséquent vous êtes bien près de Venise, et que faites-vous ? Comment passer par Milan sans traverser Venise ! […] Non, il ne faut pas aller à Venise. Il n’y a plus qu’un monceau de ruines, des marbres déserts, du fer rouillé, des ponts qui croulent, une mer qui s’enfuit […]68.
34Au cours des premières décennies du xixe siècle, le statut de Venise oscille entre cette dérision et un attrait assurément fragile, qui se nourrit de l’idée de sa décadence. Nous sommes encore loin de la fascination qui allait se manifester dans la seconde moitié du siècle, des frères Goncourt à Henri de Régnier69.
35Cela n’empêche pas qu’au cours de la même période Venise acquière aussi de nouvelles lettres de noblesse. Le flot des visiteurs français qui en font leur terre d’élection sur les traces de Byron grossit et ceux-ci lui assurent sa réputation de lieu de la plus haute jouissance, en un élan d’ordre pathétique où coexistent le silence, la tristesse, l’image récurrente de la mort et la conscience que Venise n’en est pas moins encore en train de vivre, qu’il ne faut pas en précipiter le destin. Un passage de Chateaubriand exprime cette contradiction entre la capitale déchue et la force de séduction de la ville actuelle :
Et pourtant ce n’est plus la Venise du ministre Louis XI, la Venise épouse de l’Adriatique et dominatrice des mers ; la Venise qui donnait des empereurs à Constantinople, des rois à Chypre, des princes à la Dalmatie, au Péloponnèse, à la Crète […] Ce n’est plus la même cité que je traversai lorsque j’allai visiter les rivages témoins de sa gloire ; mais grâce à ses brises voluptueuses et à ses flots amènes, elle garde un charme […] Vous aimez à vous sentir mourir avec tout ce qui meurt autour de vous ; vous n’avez d’autre soin que de parer les restes de votre vie à mesure qu’elle se dépouille70.
36La vision d’un présent plutôt terne, fait de pauvreté et d’abandon, se renverse aux yeux de Viollet-le-Duc en une « douce et fière tristesse ». Malgré l’inquiétude affichée pour ce « grand cadavre » qui « n’a plus que cinquante ans à vivre, et cinquante autres comme ruine ; après quoi ce ne sera plus qu’un amas de pierres », le célèbre architecte trouve « Venise beaucoup moins délabrée qu’on veut bien le dire » et ses monuments « bien entretenus, beaucoup mieux que le Vatican, [car] ses palais ne tombent pas, mais sont inhabités »71. Dans les années 1830, la déception provoquée par des édifices comme la basilique de Saint-Marc, avec son mélange gothique et oriental, se résorbe peu à peu. De leur côté, les cafés, la propreté, la foule et la vie des théâtres tendent à opposer une image de vie et d’activité à celle de l’agonie et de la mort72.
37Le vide créé par la fin de la domination politique n’en est pas moins à l’origine de la transformation de la ville en un espace entièrement voué à la rêverie. La qualité de l’air, des couleurs, des ciels, la douceur de la température, joints au silence, aux réminiscences littéraires et à la conscience des aléas de l’histoire, vivifiée par les architectures, tout cela fait de Venise « peut-être la seule ville vraiment poétique qui reste en Europe »73. Gautier tente d’abolir ce qui en représente la modernité lorsqu’il raconte son arrivée par le train en 1850, très peu de temps après la création du pont ferroviaire, et décrit la locomotive comme un animal fabuleux, le conduisant à une nouvelle Ninive :
De temps en temps des éclairs blafards secouaient leurs torches sur l’eau, qui se révélait par un soudain embrasement, et le convoi semblait chevaucher à travers le vide comme l’hippogriffe d’un cauchemar […]. L’orage et la nuit avaient préparé à la manière noire la planche que le tonnerre dessinait en traits de feu, et la locomotive ressemblait à ces chariots bibliques dont les roues tourbillonnent comme des flammes et qui ravissent quelque prophète au septième ciel74.
38Les derniers restes de ce qui fut un prestige politique se consument dans ce travail de poétisation. L’ancienne capitale d’un État a achevé sa métamorphose en capitale de la beauté et lieu de régénération spirituelle75.
39On peut alors s’interroger sur ce qu’est devenue la composante politique de la notion de capitale chez le voyageur français de la première moitié du xixe siècle. Moins soucieux qu’au siècle précédent de connaître le fonctionnement des gouvernements, le degré d’avancement des mœurs ou le nom des savants de la ville qu’il visite, celui-ci est davantage guidé par ses émotions et mesure l’intérêt des lieux de séjour à l’intensité des sentiments qu’il y éprouve. La critique à l’encontre des Autrichiens révèle cependant que les choix géostratégiques évoqués plus haut travaillent en filigrane pendant tout le Risorgimento. Ceux-ci expliquent la manière dont s’organise dans les récits de voyage la dichotomie entre Venise et Milan. Si le rêve, le fantasme et l’évasion l’emportent en apparence, Milan n’en offre pas moins toujours l’image d’une capitale vivante, tandis que Venise, désormais accrochée au wagon de Milan, est perçue comme une ville qui agonise. Derrière le souvenir de l’ancienne Sérénissime pointe aussi un regret plus actuel et dont les voyageurs ne se cachent pas, celui de la domination manquée des Français. Le spectacle du soir sur la lagune arrache à Stendhal un véritable cri du cœur : « Que j’abhorre Buonaparte de l’avoir sacrifiée à l’Autriche ! »76. Quelques années plus tard, Alphonse Royer parle de « crime impardonnable du général Bonaparte »77. Plus encore que Milan, où cette attitude s’est enracinée, Venise suscite un désir d’appropriation. Elle appartient au jardin d’Italie des Français, voué au plaisir en même temps qu’à l’impossible conquête. À défaut de l’assujettir par les armes, les voyageurs français rêvent de s’y détendre sur fond de nostalgies où l’esthétisme n’est pas sans porter sa part de l’héritage des épisodes récents de l’histoire politique.
40À travers l’analyse des glissements qui s’opèrent dans l’appréhension de Milan et Venise par les gens de lettres au tournant du xviiie et du xixe siècle, nous voyons tout d’abord que le voyageur se transforme, et avec lui sa perception de l’Italie. Cette évolution doit beaucoup à la chaîne des événements, de l’Ancien Régime au triennio giacobino, puis de l’Empire à la Restauration autrichienne et aux révolutions nationales. Elle tient aussi, plus généralement, au déplacement des centres d’intérêt, puisque d’une culture encyclopédique et largement centrée sur la connaissance des institutions politiques les représentants de l’élite française, au moins de celle qui laisse des textes imprimés, passent à une culture où les expressions de l’émoi personnel deviennent prépondérantes. Dans ce contexte, Venise est réévaluée comme espace, comme décor urbain. Là où ses prédécesseurs du xviiie siècle évoquaient une longue histoire, décrivaient des conseils et des magistratures, et recensaient scrupuleusement les œuvres d’art, le voyageur de l’époque romantique observe encore parfois des œuvres d’art, mais s’attache de plus près à des palais abandonnés, à des places, à des ruelles. Milan, vécue un temps comme une capitale d’État, brillante, moderne, devient quant à elle avec son Dôme et la Scala un lieu identifié par quelques mythes, récupérant une image de centralité comme par défaut, sous une forme culturelle détachée de son substrat politique originel.
41D’une tentative de rassembler autant de regards sur une longue durée, en y décelant une vision commune des voyageurs, nous n’ignorons pas les risques : des textes de qualité littéraire variable se côtoient, où les filiations sont à démêler, et le péril de la simplification n’est pas absent. L’intérêt de l’entreprise réside pourtant dans le fait qu’à côté des « métamorphoses » et des ruptures se dégagent d’un siècle à l’autre un ensemble de permanences, de continuités, d’invariants78. Par-delà les aveuglements italiens vis-à-vis de certaines spécificités de la culture française79, une incompréhension tenace se manifeste chez de nombreux contemporains de Stendhal en ce qui concerne l’actualité politique de l’Italie. Le désir de promotion de Milan au rang d’une capitale comparée à Paris mais par la force même des événements destinée à rester inachevée, puis la réduction du regard des voyageurs sur les villes italiennes à une vision avant tout pittoresque80 ne sont peut-être, dans l’opinion française, que les avatars d’un doute aux origines lointaines sur les possibilités de l’Italie à être un pays du présent, s’affirmant comme une terre actuelle et pensant son propre devenir.
Notes de bas de page
1 Quelques références de cartes militaires de l’Italie de la fin du xviie et du début du xviiie siècle, ainsi que du milieu du xviiie siècle, sont données dans les sources imprimées (V. Coronelli, N. de Fer et J.-B. Nolin, puis celles éditées par Masson de Pezay).
2 Cf. F.-F. d’Espie, Mémoires de la guerre d’Italie depuis l’année 1733 jusqu’en 1736, par un ancien militaire qui s’est trouvé à toutes les actions de ces trois fameuses campagnes, Paris, Veuve Duchesne, 1777 ; les campagnes du marquis de Maillebois pendant la guerre de Succession d’Autriche ne furent pas seulement commentées par le marquis de Pezay (Histoire des campagnes de Maillebois en Italie en 1745 et 1746, Paris, Imprimerie royale, 1775), mais aussi par P.-J. Grosley (extrait de sa correspondance pendant le voyage d’Italie de 1745-1746, lettres I à VI, 12 mai 1745-10 fév. 1746, dans Œuvres inédites de P. J. Grosley, Paris, impr. de C. F. Patris, 1812-1813, t.3 ; « Lettres inédites de Grosley écrites de l’armée d’Italie en 1745 et 1746 », dans Mémoires de la Société Académique de L’Aube, 1896, vol. LX).
3 Sur l’entrée du mot dans la langue française trois ans après la parution des Mémoires d’un touriste de Stendhal en 1838, cf. supra, introduction, note 24.
4 Voir à ce propos les actes du colloque de Cagliari, Le città capitali degli Stati pre-unitari, Rome, 1988.
5 Sur l’importance de Florence pour Stendhal, cf. A. Bottacin, Stendhal e Firenze (1811-1841), Moncalieri, 2005 (Biblioteca Stendhal, 6).
6 E. et J. Garms, « Mito e realtà di Roma nella cultura europea. Viaggio e idea, immagine e immaginazione », dans C. De Seta (dir.), Storia d’Italia. Annali V. Il paesaggio, Turin, 1982, p. 563-662 ; J. Garms, « Autour de l’idée de Rome. Écrivains et touristes du xixe siècle », dans Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 102, 1, 1990, p. 97-109 ; J. Boudard, Rome au xixe siècle vue à travers les guides de l’époque, Moncalieri, 2001 (Biblioteca del Viaggio in Italia, 63).
7 La ville dominante se distingue de la ville capitale en ce quelle a conquis ou acquis d’autres villes pour parvenir à sa situation de domination. Paris ou Londres, Naples aussi, qui dans l’Italie des lumières fait exception, sont en revanche devenues capitales par la force d’une couronne qui a organisé une structure centrale destinée à trouver tôt ou tard son expression urbaine (M. Berengo, « La capitale nell’Europa d’antico regime », dans C. De Seta, Le città capitali, Rome-Bari, 1985, p. 3-15).
8 Tandis que le terme de touriste se chargeait d’une connotation négative (cf. supra, chap. 6, note 8, et ci-dessus, note 3), les incertitudes sur son sens se prolongèrent dans la seconde moitié du xixe siècle, où il fut davantage appliqué aux protagonistes de rituels mondains, médicaux, voire militaires qu’à des amateurs de déplacements accomplis pour le plaisir ou la culture (cf. C. Bertho Lavenir, La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes, Paris, 1999, p. 15 et suiv.).
9 Les lectures des voyageurs des Lumières sur l’Italie ne se limitent bien sûr ni à ces guides, ni même aux seuls récits de voyage. Ce problème a déjà été évoqué supra, à la fin du chap. 1. Nous revenons plus loin sur les lectures de guides, infra, chap. 12.
10 Lalande, Voyage en Italie, Genève, 1790 (1ère éd. 1769), t. 1, p. 348 (rappelons que le voyage est de 1765-1766).
11 F. Venturi, « L’Italia fuori d’Italia », dans Storia d’Italia, vol. 3, Dal primo Settecento all’Unità, Turin, 1973, p. 1172.
12 Lille, L. Lefort, 1848. On y lit par exemple : « Paris, je ne saurais me lasser de te le répéter, n’est pas seulement tout brillant et magnifique […] s’il y a beaucoup de bien, il y a aussi beaucoup de mal. Le désordre et la corruption sont le partage d’un bien grand nombre » (p. 12).
13 M. Roncayolo, « Preludio all’haussmannizzazione. Capitale e pensiero urbano in Francia intorno al 1840 », dans C. De Seta, Le città capitali…, cit., p. 133-147.
14 Le Tyrol et le Nord de l’Italie, Paris, Paulin-Vimont-Bohaire, 1833, p. 68.
15 Toute ma reconnaissance va à M. Vovelle pour l’idée qu’il m’a donnée de confronter les récits de voyageurs avec les cartons des consulats de Venise et Milan.
16 « Quelques vues sur le Nord de l’Italie et en particulier sur Venise », rapport rédigé en 1848, archives du quai d’Orsay, MD Italie, vol. 35, ff. 101 à 108.
17 « Mémoire pour servir d’instruction au sieur marquis de Vergennes allant à Venise pour y résider en qualité d’ambassadeur de S. M. », 1779, dans Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française, t. 26, Venise, avec introd. et notes par Pierre Duparc, Paris, 1958, p. 275.
18 Cité par M. Berengo, op. cit., p. 3 (texte original : « tutti gli uomini di genio, tutti i grandi artisti, tutte le nuove pubblicazioni, tutti i progressi e le invenzioni dell’ingegno si concentrino in un foro e diffondano lo splendore complessivo di una sola città »).
19 Lettre de Rome, 8 janvier 1799, dans Œuvres complètes, Paris, 1951 (Pléiade), p. 662.
20 Mémoires d’outre-tombe, à propos du voyage de mai 1803, Paris, 1951 (Pléiade, 1), p. 498.
21 Rome, Naples et Florence en 1817, dans Voyages en Italie, éd. V. Del Litto, Paris, 1973 (Pléiade), p. 140.
22 Ibid., p. 12.
23 Comme le rappelle d’entrée de jeu l’abbé Richard, dont le voyage est de 1762, Venise domine une République qui « possède une partie considérable de l’Italie ; elle jouit encore de la Dalmatie, de plusieurs places sur les côtes d’Albanie et de Morée, et de quelques îles de l’Archipel » (Description historique et critique de l’Italie, ou Nouveaux Mémoires, Dijon, François des Ventes, 1766, t. 2, p. 165).
24 Charles Pinot, dit M. Duclos, Voyage en Italie ou Considérations sur l’Italie, Paris, Buisson, 1791, p. 300 (le voyage est de 1767).
25 Ibid., p. 298.
26 Lalande, op. cit., éd. de 1790, t. 7, p. 37.
27 « En général, écrit Lalande, on se communique peu, et l’on est assez retiré à Venise : malgré le coup d’oeil singulier et brillant de cette ville, il y règne au-dehors un peu de tristesse » (ibid., p. 28). Le même Lalande regrette aussi de n’y point retrouver l’élégance des modes françaises : « C’est de toutes les capitales que j’ai vues, celle où l’on rend le moins hommage à l’élégance de nos modes, quoique l’habillement général soit celui de la France » (ibid., p. 33).
28 Richard, op. cit., t. 2, p. 414.
29 « Mémoire pour servir d’instruction au sieur marquis de Vergennes… », 1779, op. cit., p. 276-277.
30 Ibid., p. 275-276.
31 « Cette ville, où il est permis de parler de tout excepté de son gouvernement, réunit dans certains tems [l’allusion est ici au temps de carnaval] des personnes de tous les pays, qui, se regardant comme en lieu sûr et sans conséquence, peuvent se livrer plus qu’ailleurs à leurs idées, raconter ce qu’elles savent, communiquer les lettres qu’elles reçoivent ». (« Mémoire pour servir d’instruction au comte de Chalon allant à Venise pour y résider en qualité d’ambassadeur de S. M. », 1786, op. cit., p. 291).
32 F.-J. de Pierre de Bernis, Mémoires et lettres, éd. F. Masson, Paris, Plon, 1878.
33 G. Labrot, Études napolitaines, Seyssel, 1993, p. 61.
34 Abbé Coyer, Voyage d’Italie, Paris, Duchesne, 1776, t. 1, p. 65 (Coyer est à Milan en octobre 1763). Les palais qu’à la même époque Lalande décrit, d’ailleurs toujours brièvement, sont la Casa Borromeo, le Palais du marquis Litta (voir plus loin), la Casa Clerici (idem), le Palais Durini, la Casa Marino, la Casa Castelli.
35 Pour de Brosses la Bibliothèque Ambrosienne « est si célèbre, dans l’Europe, que vous ne me pardonneriez pas de n’en point parler » (Lettres d’Italie, Paris, 1966 (1ère éd. 1799), t. 1, p. 130). Pour Lalande, comme pour la plupart des voyageurs, elle est « la chose la plus intéressante de Milan après la cathédrale » (op. cit., éd. de 1790, t. 1, p. 288). Cette préférence est une constante du xviiie siècle. On en trouve confirmation dans le tableau que L. Giovanninetti a établi à partir d’un corpus de 16 textes de voyageurs français ou ayant écrit en français, s’étendant sur l’ensemble du siècle, afin de visualiser les monuments que ces derniers jugent « les plus remarquables ». Après le Dôme et l’Ambrosienne, lieux cités et commentés par tous les étrangers, viennent les structures d’assistance et les églises (ce tableau est reproduit dans A. Scotti Tosini (dir.), In vacanza a Milano. Guide e testimonianze di viaggiatori tra Settecento e Ottocento, Milan, 1994, p. 35).
36 Grosley, Observations sur l’Italie et les Italiens. Données en 1764, sous le nom de deux gentilshommes suédois, Londres, s. é., 1770, t. 1, p. 113 (voyage en 1758).
37 Coyer en dénombre 260 : « Ce qui décore la Ville, ce sont les Églises et les Couvens. Presque pas une rue, quelque petite qu’elle soit, qui ne vous montre au moins une Chapelle » (op. cit., t. 1, p. 65).
38 Grosley, op. cit., p. 115.
39 Ibid., p. 142.
40 Lettre de Madame de Tencin à Montesquieu, de Paris le 8 novembre 1734, dans Revue d’histoire littéraire de la France, t. 82, 1982, p. 202. Le passage de Saint-Évremond se trouve dans les Œuvres meslées, Londres, Jacob Tonson, 1705, t. 2, p. 196, lettre à M. le comte de Saint-Albans : « Un honnête homme doit vivre et mourir dans une capitale, et à mon avis toutes les capitales se réduisent à Rome, à Londres et à Paris ».
41 Je suis reconnaissant à C. Mozzarelli pour les précieuses indications qu’il m’a données sur l’idée de capitale à Milan à l’époque de Marie-Thérèse et les réaménagements de l’espace urbain à partir des années 1770, en particulier la création d’un axe princier/impérial reliant le Palais Royal, près du Dôme, à la Villa Royale de Monza (« La storia. La Villa, la Corte e Milano capitale », dans F. De Giacomi (dir.), La Villa Reale di Monza, Monza, 1984, p.O 9-43). Cf. infra, chap. 8.
42 Roland de la Platière, Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malthe. En 1776, 1777 et 1778, Amsterdam, s. é. 1780, t. 6, p. 217.
43 « Corte Ducale, ou palais ducal ; il a été restauré sur les dessins du Vanvitelli, à l’occasion du mariage de M. l’archiduc Ferdinand, gouverneur du Milanez. Dans la salle du sénat, il y a un tableau de Jésus-Christ portant la croix, par Daniel Crespi ; et dans la chapelle un tableau d’Antoine Campi./ La salle du sénat est petite, mais on se proposait d’en disposer une beaucoup plus grande qui est derrière la chapelle. / C’est aussi dans ce palais que s’assemble le tribunal ou conseil ordinaire des finances, appelé il Magistrato, ou la Camera. » (op. cit., t. 1, p. 318).
44 Lalande, op. cit., éd. de 1790, t. 1, p. 301 et 308.
45 Les historiens italiens ont eux-mêmes longtemps pensé que les fonctions du jeune archiduc Ferdinand avaient été seulement décoratives et privées d’espace d’autonomie. La récente réévaluation de cette période est due à C. Capra (« Il Settecento », dans G. Galasso (dir.), Storia d’Italia, vol. 11, Il ducato di Milano dal 1535 al 1796, Turin, 1984) et C. Mozzarelli (op. cit.).
46 Cf. E. et J. Garms, « ’Milan est une des plus grandes et des plus belles villes de l’Italie’ », dans G. Bezzola (dir.), L’Europa riconosciuta. Anche Milano accende i suoi lumi (1706-1796), Milan, 1987, p. 9-37.
47 Roland de la Platière, op. cit., t. 1, p. 403 (au premier abord pour un étranger, « c’est un petit Paris ; mais si l’on pousse plus loin & qu’on la détaille un peu, on en rabat furieusement. ») ; J.-B.-M. Guidi, Lettres contenant le Journal d’un voyage fait à Rome en 1773, Genève-Paris, Rue et Hôtel Serpente, 1783, t. 1, p. 47-49).
48 Creuzé de Lesser, Voyage en Italie et en Sicile, fait en 1801 et 1802, Paris, Impr. Didot l’aîné, 1806, p. 24.
49 Madame Vigée-Lebrun, qui y séjourne en août 1792, donc avant le Directoire, écrit certes qu’« en tout Milan me faisait bien souvent penser à Paris, tant par son luxe que par sa population ». Mais elle le fait dans des souvenirs publiés beaucoup plus tard (Souvenirs, Paris, H. Fournier, 1835-1837, t. 2, p. 197).
50 [Comte d’Agoult ?], Lettres sur les principales villes d’Italie, écrites à sa mère par le comte D***, en 1813, Grenoble, Allier, 1828, p. 123.
51 Souvenirs d’Italie, Paris, Bréville, 1832, p. 7. Encore en 1859-1860, Louise Colet s’y croit « retournée à Paris » (L’Italie des Italiens, Paris, Dentu, 1862-1864, t. 1, p. 92).
52 Rome, Naples et Florence (1826), dans Voyages en Italie, éd. V. Del Litto, op. cit., p. 577 ; Rome, Naples et Florence en 1817, dans ibid., p. 137.
53 Ibid., p. 65.
54 Ibid., p. 141.
55 Ibid., p. 142.
56 Ibid., p. 148.
57 J. Janin, Voyage en Italie, Paris, Ernest Bourdin, 1839, p. 223-224. Les textes de cette nature sont légion. Pour preuve de la charge de nationalisme agressif qu’ils comportent, on peut entre beaucoup d’autres citer cette page de l’obscur Chanony : « La brillante cité de Milan voit avec stupeur le sauvage Croate, le morne Hongrois, promener leur terne et impassible allure, dans ses rues naguère animées par nos marches rapides, par nos garnisons variées et mobiles, par l’éclat de nos fêtes » (Mémoire d’un voyage à pied en Italie, Nancy, Impr. de Hinzelin et Cie, 1851, p. 144).
58 Stendhal, Rome, Naples et Florence en 1817, dans Voyages en Italie, éd. V. Del Litto, op. cit., p. 15.
59 Ibid., p. 151.
60 Stendhal, L’Italie en 1818, dans Voyages en Italie, éd. V. Del Litto, op. cit., p. 226.
61 Stendhal, Rome, Naples et Florence (1826), dans Voyages en Italie, éd. V. Del Litto, op. cit., p. 378.
62 Voyage en Italie-Italia, Paris, Fasquelle, 1899 (1ère éd. 1852), p. 43.
63 Lettre de Venise à la comtesse Clara Maffei, 14 mars 1837, dans Correspondance, Paris, Garnier, 1964, t. III, p. 264-265.
64 Voyage en Italie, Paris, Hachette, 1866, t. 2, p. 401.
65 Allemagne et Italie. Philosophie et poésie, Paris et Leipzig, Desforges et Cie, 1839, t. 1, p. 143-144. Cf. aussi supra, chap. 6.
66 L. Simond, Voyage en Italie et en Sicile, Paris, Sautelet, 1828, t. 1, p. 70 (le voyage est de 1817).
67 [Comte d’Agoult ?], Lettres sur les principales villes d’Italie…, cit (à la note 50). Quelles que soient les raisons de cette absence, à un moment où s’achève la première campagne militaire de 1813 et se discute entre Napoléon et Metternich l’abandon des provinces illyriennes par la France, Venise comme d’ailleurs Gênes ne fait pas alors partie des « villes principales d’Italie » pour cet auteur anonyme. Ayant quitté Lyon le 24 avril 1813, celui-ci se rend jusqu’à Rome et Naples par le Mont-Cenis, Turin, Bologne, Florence et Sienne, puis remonte par Pérouse, Florence et Bologne jusqu’à Parme (août 1813), Milan, Monza, les îles Borromées et le Simplon.
68 Op. cit., p. 243-244.
69 Dans les années 1820-1830, le passé de splendeur et d’autonomie de la République est trop proche pour que la décrépitude de Venise soit déjà devenue un objet de jouissance. « Tout tombe en ruines, note par exemple R. Colomb, on ne construit plus, on ne répare rien ; Venise est un septuagénaire sans postérité. Cette ville, si brillante autrefois, si belle, si florissante, est maintenant morne, pauvre, souffrante ; elle est la plus déchue de l’Italie » (Journal d’un voyage en Italie et en Suisse en 1828, Paris, Verdière, 1833, p. 384). Même au milieu du siècle, la vision poétique de Flaubert garde la trace de cet apitoiement : « Pauvre Venise ! J’ai le cœur navré, ce diable de pays m’a bouleversé », lettre à Maxime du Camp du 30 mai 1851, dans Correspondance, Paris, 1973 [Pléiade, 1], p. 782).
70 Mémoires d’outre-tombe, à propos du voyage de 1833, op. cit., t. 2, p. 770-771.
71 E. Viollet-le-Duc, Lettres d’Italie 1836-1837, adressées à sa famille, Paris, Léonce Paget, 1971, p. 324 (le séjour à Venise a lieu en juillet-août 1837).
72 « On m’avait tant annoncé une ville morte, s’exclame Paul de Musset, que j’ai été fort surpris de voir Venise encore animée » (Voyage en Italie et en Sicile en 1843, Paris, Charpentier, 1851, p. 383). Sur le retour en faveur de Venise auprès des artistes du xixe siècle, consécutif à la période de faible attrait exercé au xviiie siècle, cf. G. Pavanello, G. D. Romanelli, Venezia nell’Ottocento. Immagini e mito (catalogue d’exposition), Milan, 1983.
73 E. Viollet-le-Duc, op. cit., p. 327.
74 Op. cit., p. 69.
75 C’est ainsi en tant que ville chargée d’histoire et de beauté que la Venise du xixe siècle est traitée comme une capitale jusque dans un roman italien de la fin du xxe siècle : « Il regno Lombardo-Veneto, prosegue la mia cugina, era il più ricco e civile fra i pezzi che componevano l’impero anche perché aveva il suo splendido binomio di capitali, Milano e Venezia » (Pier Maria Pasinetti, Melodramma, Venise, Marsilio, 1993, p. 12) (trad. française : le royaume lombard-vénitien, continua ma cousine, était le plus riche et le plus civil de tous les fragments composant l’empire, ce qui venait aussi de ce qu’il possédait son splendide binôme de capitales, Milan et Venise).
76 Rome, Naples et Florence en 1817, dans Voyages en Italie, éd. V. Del Litto, op. cit., p. 124.
77 A. Royer, « Les États vénitiens », dans L’Italie pittoresque, tableau historique et descriptif de l’Italie, du Piémont, de la Sardaigne, de la Sicile, de Malte et de la Corse, Paris, Ledoux, 1844 (1ère éd. 1837), p. 13.
78 Nous nous relions ainsi – mais sur le versant de ce qui advint après le xviiie siècle et non plus sur celui de la genèse et des raisons expliquant le vieux rapport polémique entre la France et l’Italie – au propos de Françoise Waquet dans Le modèle français et l’Italie savante : conscience de soi et perception de l’autre dans la république des lettres, 1660-1750, Rome, 1989 (Collection de l’École française de Rome, 117).
79 De ces aveuglements à la fin du xviiie et tout au long du xixe siècle F. Diaz a retracé quelques fragments dans L’Incomprensione italiana della rivoluzione francese, Turin, 1989.
80 Nous voyons ainsi se mettre en place dans les textes imprimés du début du xixe siècle certains des motifs qu’a relevés P. Milza au sein des récits de voyageurs de la fin du xixe siècle pour définir la vision que les Français avaient de l’Italie : le magnifique Éden, la richesse artistique, le centre de la chrétienté, un peuple décadent et miséreux (Français et Italiens à la fin du xixe siècle, Rome, 1981 (Collection de l’École française de Rome, 53), p. 354-363).
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