Chapitre 1. Imperium Infinitum ou la colonne Trajane, lecture spirale
p. 41-68
Texte intégral
Mais, hélas ! pauvre Alice ! en arrivant devant la porte, elle s’aperçut qu’elle avait oublié la petite clé d’or, et, quand elle revint vers la table la chercher, elle comprit qu’il lui était impossible de l’atteindre.
Lewis Carrol, Alice au Pays des Merveille
(trad. H. Parisot)
1Trajan quitta Rome pour la Dacie le 25 mars 101 après J.-C.1. Les Frères Arvales offrirent à cette occasion des sacrifices solennels au Capitole. L’inscription qui les commémore en appelle, « pour le salut, le retour et la victoire de l’empereur », à de nombreux dieux2. La frise ne montre pas cette cérémonie. Elle débute loin de l’Urbs, non par une profectio ou des cérémonies en l’honneur du départ de l’empereur3, mais par une vision excentrée : l’action initiale a pour cadre la rive romaine du Danube4.
1 – ANALYSE DIACHRONIQUE
2Les reliefs débutent par deux bâtiments de pierre inscrits dans une palissade (pl. VIIa et XIIIa), puis un bûcher et des meules, signaux d’alarme ( ?) (pl. XIIIa et XXIIa). Suivent trois bâtiments de bois à un étage entourés d’une palissade, entre lesquels s’intercalent quatre auxiliaires en armes, reconnaissables à leur cuirasse de cuir et leur bouclier ovale5 (pl. XXIIa et XXVIIIa ; pour un détail, voir la pl. LX). Les tours du bord du fleuve, par leur toit de bois conique et surtout la balustrade en croisillon (élément typique des tours romaines : voir la pl. LXVa), fixent dès ces reliefs initiaux le type des bâtiments militaires romains sur la frise. Les bâtiments daces ont, eux, un toit à deux versants qui couvre une plate-forme de bois (pl. XXXVb, spire 17, sc. 110 : cette ville est identifiée à la capitale de Décébale).
3À la dernière tour de gué et au dernier auxiliaire disposé le long du fleuve, succèdent deux auxiliaires chargeant une barque. En arrière-plan, quatre tonneaux ont été surélevés afin qu’ils soient visibles (pl. XXVIIIa et pl. LX). Enfin, apparaît une cité aux bâtiments de pierre mais entourée d’une palissade (pl. XXVIIIa et XXXIXa).
4Tout au long de ce déroulé, l’espace s’urbanise peu à peu. La cité de la scène 3, point de départ de l’armée romaine, est entièrement maçonnée et pourvue d’une enceinte de pierre. Une de ses porte-arcs laisse passer les légions6. Cette entrée en matière devait surprendre le spectateur romain. Projeté sur les lieux de l’action de manière immédiate, il entrait en contact avec les reliefs de la frise par une image rare dans l’art romain7. Tout promeneur venant de la place du Forum et de la Basilica Ulpia voyait naître la première spire sur un « paysage » surprenant8. Cependant, par les valeurs géographiques et culturelles qu’elle véhiculait, cette vue le transportait sur les marges de l’Empire.
5Cet espace en expansion a certes pour fonction d’aménager un cadre suffisant à l’ouverture véritable des hostilités, le franchissement du Danube par l’armée romaine (pl. XLVIIa, sc. 3). Cependant ces scènes préalables jouent un rôle majeur dans la cohérence de la frise. Elles ont souvent été négligées par les observateurs9, ce qui incite à s’y attarder10.
Ouverture et fermeture de la frise : initium et extremum
6En l’absence de toute agression dace visible, le passage du Danube définit la guerre de Trajan comme offensive, preuve de la puissance romaine. Le dieu Danuvius se manifeste lors de la profectio depuis la cité de la scène 3, et son assistance est indiquée par un détail significatif : si le bras droit est invisible, demeure le pouce, qui « porte » en quelque sorte le pont de navires11.
7Danuvius apparaît sur certaines monnaies trajaniennes : il y maîtrise en personne la Dacie12. Le franchissement de la frontière est en fait synonyme de virtus, et d’abord de la Virtus Augusti, comme le prouve un sesterce de Marc Aurèle des années 171-172 après J.-C. L’empereur passe un fleuve sur un pont et la monnaie porte la légende VIRTVS AVG[VSTI]13. Mais cette image initiale de la frise, si particulière, possède de plus vastes implications. À la même époque, Pline le Jeune renverse, par une figure rhétorique, l’association « barbares / géographie » qu’évoque également Tacite dans la Germanie14.
Oseraient-ils [se plaindre] ceux qui savent que tu as campé face aux peuples les plus féroces à l’époque même qui leur est le plus favorable et qui nous est le plus contraire, quand le Danube voit ses rives (ripas) réunies par la gelée et que durci par la glace il peut laisser passer sur son dos tout l’appareil de leurs expéditions, quand ces nations sauvages sont moins défendues par leurs armes que par leur ciel ou leur climat ? Dès que tu étais tout près, comme si le cours des saisons avait été interverti (si mutatae temporum vices essent), les barbares se tenaient enfermés dans leurs repaires, et nos colonnes ne demandaient qu’à faire des incursions sur leurs rives (ripas), à profiter, si tu le voulais, des avantages dont ils profitaient jadis et à porter spontanément chez eux leur propre hiver15.
8La frontière est ici désignée par le terme ripa. Le débat quant à sa signification, ou celle du terme limes, n’est pas clos. Jean-Michel Carrié a émis une distinction entre limes (frontière terrestre) et ripa (frontière délimitée par un cours d’eau)16, ce qui semble conforme à l’image. La frise historiée dispose avec soin les éléments représentatifs (rive, forts, gardes) jusqu’au point d’orgue que constitue la présence de Danuvius scène 3. Elle montre sans ambiguïté un espace de veille militaire, conforme à la description de Florus : Drusus [...] in Rheni quidem ripa quinquaginta amplius castella direxit17.
9Cette vision de la ripa, variante de la profectio, insiste bien sur le passage de la frontière. « Le Danube distingue ce qui est aux Sarmates de ce qui est aux Romains », écrivait Sénèque18. Sont ici représentées, pour la première fois, ces limites de l’imperium sine fine19, et pour la première fois aussi depuis Claude et la conquête de la Bretagne20 un empereur repousse les limites de l’imperium romanum. La volonté de Trajan de matérialiser le finis21 en vision préalable définit les guerres daciques comme une entreprise exceptionnelle, celle de la propagatio de l’Empire. Mais la rive montrée est la rive romaine. Le spectateur de la frise est dans la situation des Daces postés sur la rive gauche à l’extérieur de l’Empire, ce qui est surprenant.
10Observons en contrepoint la scène 31 sur la face nord-est (pl. XVa, spire 5, et pl. LXI pour des détails), à la verticale de la vision inaugurale de la ripa (sc. 1, pl. XIIIa). Les Daces passent le fleuve avec difficulté et en désordre. La scène 32 (pl. XXIIb, spire 5) voit ces mêmes Daces attaquer un fort romain défendu par des auxiliaires. La rive qui est matérialisée scène 31 est encore la rive romaine, ainsi que l’image l’indique clairement : au début de la scène22, est montré un bâtiment de pierre qui ne joue aucun rôle dans l’action, excepté celui, voulu, de marqueur d’espace. Ce choix s’explique car, du côté dace, il n’y a rien à montrer. Dans la conception culturelle romaine, les fleuves n’ont qu’une rive, la rive romaine. Ainsi chez Tacite, la frontière est un regard porté depuis la rive romaine sur l’au-delà du fleuve23. Ce sont les Romains qui bornent le monde, qui en fixent ou en changent les limites. Pour offrir l’équivalent idéologique du texte de l’historien, qu’elle n’illustre pas, l’image a dû inverser le regard et s’est attardée sur la ripa romaine. En l’absence des forts, des auxiliaires, des signaux sur la rive et des cités pourvues d’enceintes, le fleuve n’apparaîtrait pas clairement comme une frontière : seuls la caractérisent les critères culturels disposés méticuleusement devant les spectateurs romains.
11Première conclusion : la frise et les œuvres littéraires, ici Tacite et Pline, sont complémentaires. Loin de s’illustrer l’une l’autre, elles se répondent et témoignent que leurs contenus appartiennent non à l’arbitraire d’un auteur ou d’un artiste, mais à la culture et aux valeurs d’une époque. Constat encourageant pour qui entend se passer du fantôme des Commentarii de Trajan et considérer la frise comme un document à part entière24. Second point : la frise propose une description moins topographique que culturelle des limites de l’Empire. Elle utilise les représentations mentales du public auquel elle s’adresse et offre une description de la ripa qu’un habitant de Rome, ignorant des réalités du finis mais ayant peut-être lu Fronton ou Tacite, pouvait reconnaître. En conséquence il est secondaire d’identifier la cité d’où sort l’armée. Quel que soit son nom, elle possède un ideelle Inhalte25 qui en est l’intérêt essentiel.
12Enfin : les responsables de la frise ont dû créer une formule iconographique nouvelle pour représenter l’espace frontalier26. Cette création bénéficie certes d’une solide tradition littéraire27, elle se manifeste ici pour la première fois dans l’iconographie. Sa réussite est assurée par sa postérité sur la colonne de Marc Aurèle, mais surtout par la clarté de la représentation de la ripa. On ne peut dans ce cas invoquer la numismatique comme banc d’essai : le monnayage ne présente aucune composition similaire. Il s’agit bien d’une création liée au projet de la colonne Trajane.
13La frise en possède d’autres. Elle met par exemple en images la poursuite, le suicide et la décollation d’un roi ennemi, thème classique au moins depuis les Galates de l’autel de Pergame et également présent chez César : le roi des Trévires, Indutiomare, est poursuivi, pris à un gué, tué, et sa tête rapportée28. Le suicide de Décébale suit ces séquences, et le thème fut repris sur divers supports : une poterie de la Graufesenque, objet destiné à une vaste diffusion29 ; la stèle de Tiberius Claudius Maximus, déjà mentionnée30 ; et peut-être une métope d’Adam Klissi31.
14L’inversion du regard dont témoignent les premières scènes peut n’être qu’un procédé iconographique. Elle renvoie cependant à un autre extrait de Pline le Jeune, qui se préoccupe du regard de l’Empire sur les Barbares et aussi, ce qui est plus rare, des Barbares sur l’Empire :
D’autre part, si parfois il lui [Trajan] plaît de déployer cette même force physique sur mer, ce n’est pas lui qui suit des yeux ou du geste les voiles flottantes, mais tantôt il est au gouvernail, tantôt il dispute aux plus vigoureux de ses compagnons le plaisir de briser les flots [...]. Combien différent de celui [Domitien] qui ne pouvait supporter le calme du lac d’Albano [...]. D’une telle honte les fleuves mêmes n’étaient pas exempts et le Danube et le Rhin eux-mêmes prenaient plaisir à transporter cette apparition de notre déshonneur ; l’empire était autant déshonoré parce que les aigles romaines, les enseignes romaines, la rive romaine enfin (Romana denique ripa) voyaient ce spectacle que parce que le voyait aussi la rive des ennemis (quam quod hostium prospectaret), de ces ennemis qui ont l’habitude de parcourir sur des embarcations ou de traverser à la nage ces mêmes fleuves tantôt embarrassés de glaçons ou inondant les plaines, tantôt coulants et navigables32.
15Les scènes 34 et 79-8033, superposées sur la face sud-ouest, montrent Trajan dirigeant un navire. Sans calquer l’image sur le texte34, on peut constater une certaine adéquation entre les deux documents et peut-être une intention identique de marquer, par opposition à l’otium de Domitien, l’implication personnelle de Trajan dans sa politique, pas si éloignée en fin de compte de l’action des rois hellénistiques à la tête de leurs armées. Pline mentionnait le regard des ennemis depuis les rives du Rhin et du Danube : le spectacle du navire du dernier des Flaviens, « qu’un câble remorquait », pouvait les inciter à franchir le fleuve. Par contre, Trajan guidant un vaisseau dissuade les incursions. L’inversion du regard des premières scènes marque donc, de manière spectaculaire, la reprise en main des frontières. Signe politique, elle donne aux citoyens romains, dès le premier regard sur la frise, la preuve de la virtus de Trajan.
16Un autre extrait de Pline établit une corrélation forte entre les espaces limitrophes de l’Empire et l’au-delà des frontières35 :
Si quelque roi barbare a poussé l’insolence (insolentiae) et la folie (furorisque) jusqu’à mériter ta colère (iram) et ton indignation (indignationem), il peut être défendu par tout l’intervalle de la mer, par l’immensité des fleuves, par l’escarpement des montagnes, il n’en sentira pas moins, j’en suis sûr, que tous ces obstacles s’inclinent, cèdent si tôt devant ta valeur (virtutibus) qu’il croira que les montagnes ont été aplanies, les fleuves desséchés, la mer supprimée, et qu’il subit l’invasion non pas de nos flottes, mais de notre territoire même (sed terras ipsas arbitretur)36.
17Si l’auteur marque, une fois encore, la solidarité entre l’espace barbare et les populations qui y vaquent, il oppose en une tournure rhétorique efficace cet espace sauvage à l’espace romain. Or les scènes qui, sur la frise, suivent le franchissement du fleuve37, disent l’occupation de l’espace dace d’abord par Trajan (scènes du conseil, du sacrifice, de l’omen et de l’adlocutio), puis par l’armée (les travaux). L’espace dace n’apparaît qu’alors, justement dans la phase dynamique que constitue la conquête romaine.
18Cette transformation s’organise donc en deux registres. Cérémoniel en premier lieu, avec la prise de possession du sol qu’assure l’empereur par le biais de la lustratio. Celle-ci, destinée à Mars, a pour cadre le premier édifice construit en Dacie, un camp romain protégé par une enceinte maçonnée, et pour fonction d’écarter le péril du franchissement par la pietas de l’empereur et de l’armée38. Or, les dieux se manifestent sur la frise spire 439, à la verticale exacte du suovetaurilia. La cohérence rhétorique et idéologique de ces premières spires est indéniable.
19Le second registre est à mettre en relation avec la « rhétorique de l’espace » mise en place par les scènes 1 et 2. Pour dire la transformation de l’espace dace, les reliefs doivent d’abord en décrire les caractéristiques initiales. Les éléments utilisés reflètent la perception romaine des confins de l’Empire. Relisons Florus :
Les Daces sont inséparables de leurs montagnes. De là, sous le commandement du roi Coti-son, chaque fois que l’étreinte du gel avait réuni les rives du Danube, ils descendaient piller les régions voisines. César Auguste décida d’éloigner une nation dont il était si difficile d’approcher. Il envoya donc Lentulus qui les repoussa au-delà de l’autre rive ; on établit des postes en deça [sur la rive droite]. Ainsi la Dacie fut-elle non vaincue, mais éloignée, et sa conquête ajournée40.
20Ailleurs, Florus associe plus encore populations barbares et caractéristiques de leur territoire :
Les plus cruels de tous les Thraces furent les Scordisques, mais la ruse s’était chez eux jointe à la force : la configuration de leurs forêts et de leurs montagnes s’accordait avec leur tempérament. C’est pourquoi l’armée romaine conduite par Caton ne fut pas seulement battue par eux ou mise en fuite, mais – chose vraiment stupéfiante – complètement cernée et anéantie.
21La description de la Dacie est plus sombre encore : « Curion vint jusqu’en Dacie, mais fut effrayé par les ténèbres des forêts »41. Le consul C. Scribonius Curion atteignit la Dacie en 74 avant J.-C.42 : à sa suite, seul Trajan osa pénétrer dans la contrée, et malgré les défaites récentes des généraux de Domitien, le consul Oppius Sabinus en 84 après J.-C. et le préfet du prétoire Cornelius Fuscus en 86, il en sortit victorieux. Il n’est que de lire Tacite pour déceler la critique du saeculum de Domitien et comprendre combien la thématique de la frontière était, au début du règne de Trajan, un thème politique d’actualité :
Tant d’armées dans la Dacie et la Mésie, dans la Germanie et la Pannonie, perdues par la témérité ou la lâcheté des généraux ; tant de braves guerriers forcés et pris avec leurs cohortes. Ce n’était plus les limites de l’empire et la rive d’un fleuve (de limite imperii et ripa), c’étaient les quartiers de nos légions, la possession de nos provinces qu’il fallait disputer43.
22L’aspect sombre et difficile de la végétation dacique est, sur la colonne Trajane, perceptible à travers les multiples scènes de déboisement et de construction de forts. Déjà César rapportait, dans la Guerre des Gaules, que les Nerviens tressaient les branches des forêts pour ralentir les Romains et préparer des embuscades44. Diverses scènes de la frise associent de même Daces et nature sauvage. Bref, la virtus de Trajan était supérieure à celle de Domitien mais aussi d’Auguste, dont Tacite rappelle le conseil posthume à Tibère de ne pas étendre les frontières45.
23Arrêtons-nous un instant sur les adversaires de Trajan. Le premier Dace (ou Gète pour les Grecs) est reconnaissable à sa barbe, ses longs cheveux et ses vêtements typiques. Dion Chrysostome, contemporain de Trajan qui décrit certains Gètes vus en Grèce, distingue deux catégories sociales : « [...] certains d’entre eux revêtent des coiffes sur leurs têtes – comme font aujourd’hui ceux des Thraces que l’on appelle Gètes, et comme Spartiates et Macédoniens avaient usage de le faire [...] »46. Tous portent une courte tunique sur des braies. Seule une minorité arbore une coiffe : ce sont les pileati, porteurs de coiffe, qui sur la colonne Trajane sont souvent proches de Décébale, lui-même coiffé d’un pileus (lors de la grande scène de soumission : pl. XVIb, spire 12, scène 75). Les comati sont les Daces dépourvus de cette distinction, de rang inférieur ainsi que le révèle cette anecdote : « Décébale avait, même avant sa défaite, envoyé en ambassade, non plus, comme auparavant, des hommes pris dans la classe des chevelus, mais les principaux des porte-bonnets »47. Or, la frise respecte cette hiérarchie. Le premier Dace de la frise est un comatus. Il apparaît dans une position inconfortable : tenu aux cheveux et aux bras par deux Romains, il est prisonnier (pl. XXIXa, spire 3, sc. 18). Il figure dans la longue série de travaux qui jalonne la seconde spire48. Plus loin, la première bataille voit les Daces chercher refuge dans une forêt49 : dans la même scène, les Romains s’appuient sur un camp maçonné ; Trajan y est pour ainsi dire adossé50.
24Soulignons que la végétation est un marqueur primordial de l’espace dace. Les scènes 1-2 ne comportent que peu d’arbres, car la ripa romaine est définie d’abord par l’architecture : elle n’est en aucun cas un espace sauvage. La cohérence des signes iconiques est évidente, et il est sûr qu’elle facilitait la compréhension des reliefs par un public romain habitué à manipuler ces concepts culturels. À l’inverse, la rive dace du Danube aurait pu consister en un épais rideau d’arbres. Cette image a été écartée au profit de la vision de la rive romaine, davantage reconnaissable pour un promeneur romain. Il y a là encore un préalable idéologique. Rome est définie en premier lieu, et elle l’est par la civilisation, protégée par une frontière bien gardée. Ensuite, et en négatif, est présenté le monde barbare, caractérisé par la nature sauvage.
25La rhétorique de l’espace, instaurée par les premiers reliefs, se poursuit avec des variantes tout au long de la frise. Le mouvement d’avance ne s’achève en fait qu’à l’extrémité supérieure du fût. Cet extremum, dont la diminution de hauteur répond à la croissance de la première spire, présente de la face ouest à la face nord-est (fig. 6) un groupe de scènes cohérent51. Par leurs thèmes (incendie, vastes mouvements de population et de bétail accompagnés ou poussés par des auxiliaires romains), ces reliefs annoncent la formation d’une nouvelle limite. Réalité ? On a évoqué, en s’appuyant sur une inscription, la possibilité de migrations de Daces favorables à Rome vers la rive sud du Danube en 88-89 après J. C.52. Le déplacement des populations serait donc une pratique courante. Reste qu’il est, au vu des reliefs, impossible de trancher avec certitude quant aux régions touchées par les migrations de 106 : s’agit-il de régions internes à la province, difficiles à contrôler, et d’un mouvement voulu par Rome ? Ou de la fuite spontanée de Daces réfractaires devant les auxiliaires romains – ce que montre la scène 155 –, depuis – pourquoi pas ? – les montagnes d’Orastie et en direction des confins de la nouvelle province et du « désert des Gètes » décrit par Strabon ? De par les structures de la frise, nous penchons pour cette dernière interprétation53.
26L’extrémité de la frise voit donc la ripa du Danube remplacée par une zone vague, en accord avec les termes usités par les auteurs anciens : finis, extremum et terminus ont, dans les textes, le sens d’« extrémité », de « confins » ou de « bornes de l’Empire », ce qui convient à la situation des reliefs sur la frise54 et à la conception augustéenne des frontières55 : l’extérieur est rejeté dans le néant. Plus particulièrement, on sait que, pour les Romains, l’arrière-pays des Daces était peuplé de nomades. Selon Strabon, les Sarmates, les Roxolans et autres nomades se déplacent sur des territoires désolés au nord et à l’est du territoire dace : « Dans l’espace intermédiaire, face à cette partie de la mer Pontique qui s’étend de l’Ister [partie sud du Danube] au Tyras [le Dniestr], s’étend le désert des Gètes, entièrement plat et sans eau [...] »56, et au-delà encore vers l’est et le nord, le territoire des Sarmates Iazyges57. Le géographe grec avait auparavant précisé l’identité entre Gètes et Daces :
Il existe dans leur pays une autre division qui remonte à une époque reculée : on distingue leur population par deux noms différents, celui des Daces et celui des Gètes. On appelle Gètes ceux qui sont établis en direction du Pont-Euxin et de l’Orient, Daces ceux qui sont à l’opposé, vers la Germanie et les sources de l’Ister58.
27La Dacie était donc perçue par Strabon comme limitrophe du territoire des Sarmates, au-delà du Danube. Il en était de même à Rome. Le contemporain d’Hadrien, Florus, poursuit sa description de la Dacie par une progression géographique : « Curion vint jusqu’en Dacie, mais fut effrayé par les ténèbres des forêts. Appius parvint jusque chez les Sarmates, Lucullus, jusqu’au bout du monde, au Tanais et au lac Méotis »59. Sur la colonne, les Daces sont effectivement en contact avec les Sarmates : reconnaissables à leur lorica squamata et à leur casque conique60, ils assistent les Daces scènes 32 et 3761.
28L’espace dace confine donc au bout du monde. Dans ce contexte, les ultimes scènes de la frise marquent soit la pacification des montagnes de l’intérieur de la Dacie, donc la fin de la conquête et le contrôle de l’espace nécessaire à la romanisation62, soit la fuite d’irréductibles Daces se réfugiant dans le néant du désert nord-oriental. L’Empire aurait avec Trajan atteint sa nouvelle limite, en l’occurrence l’extremum du monde, qu’il ne servirait à rien de repousser davantage. Elles marquent en tout cas le terme de la conquête romaine.
29En définitive, la frise présente l’expansion de l’Imperium au-delà du Danube et la transformation de l’espace dace. Les scènes 1-2 occupent dans ce discours une fonction primordiale. Elles correspondent à ce que Louis Marin, dans un autre contexte, appelait avec justesse le « commencement-origine » d’un type de récit particulier : le panégyrique à prétexte historique63. Elles préparent en effet l’observateur au discours de la frise et conditionnent sa lecture. Telle serait la signification de la première spire, qui s’ouvre vers la droite, et des premières images : elles constituent l’initium du récit, au sens latin du terme, à la fois « début », « fondement » et « principe » du discours, mais aussi « auspice » d’ouverture qui oriente, de manière non pas sinistre mais favorable et définitive, la lecture. Dès lors, ce n’est pas seulement la hauteur de la colonne qui est signe immédiat de la grandeur de Trajan et de cet imperium infinitum qu’il conquiert, mais les images inaugurales de la frise et le franchissement du finis64 : images qui sont parfaitement visibles et dont le discours est, déjà, d’une grande complexité.
Modalités de la conquête
30Les cent cinquante-cinq scènes de la frise sont traditionnellement divisées en cinq campagnes. Dans la pensée des premiers chercheurs, cette organisation se voulait historique, reflet des deux guerres menées en Dacie par Trajan en 101-102 puis 105-106 après J.-C. De fait, une figure centrale scinde la frise en son milieu : une victoire ailée65. Elle recouvre les années 103-104. Faut-il pour autant interpréter les structures de la frise en termes chronologiques ?
31Nous avons vu qu’une telle approche n’est plus de mise. Le critère d’organisation que nous proposons est basé sur la similitude constatée entre cinq groupes de scènes (fig. 8). Ces groupes combinent, et eux seuls, un certain nombre d’éléments. Seuls trois d’entre eux sont à chaque fois présents (réunis dans la séquence « passage »66) : le fleuve (ou la mer) ; la porte urbaine ; le motif de l’avance de l’armée au-delà du fleuve ou de la mer. Cette association systémique donne le sens. Les cinq fois, il s’agit de matérialiser un mouvement, le franchissement d’une limite par les Romains, avec comme point de départ une ou plusieurs portes monumentales. Le terme « campagne » recouvre strictement, pour nous, la section de frise comprise entre deux franchissements.
32La frise présente deux variantes d’entrée en campagne : à l’aide d’un pont (ou d’un pont de navires) pour les première, troisième et cinquième campagnes67 ; ou à l’aide de navires, avec une image de navigation où figure Trajan68 suivie d’une scène de débarquement pour les seconde et quatrième campagnes. Dans les deux cas, l’entrée en Dacie est matérialisée par un changement de rive. À ce premier groupe de scènes peut succéder un second, constitué des scènes de concilium69, suovetaurilia70 et adlocutio71.
33L’examen de ces quelques scènes suffit à différencier deux types de campagne (fig. 9). Les première, troisième et cinquième campagnes reprennent la totalité de ces thèmes, alors que les deux autres n’en reprennent qu’un (les « sacrifices » de la quatrième campagne, mais il ne s’agit pas de lustrationes), ou aucun (seconde campagne). Dans ce système, la première campagne ouvre la narration et propose une organisation référentielle des scènes, lesquelles véhiculent un système de valeurs complexe72. Cette organisation sera ou ne sera pas reprise, mais c’est de la similitude et des variations que naît la fonction de chaque campagne dans l’ensemble.
Reprises (fig. 10, 12 et 14)
34L’étude linéaire de la première campagne (fig. 10 ; scènes 3 à 30) révèle l’existence d’une forte organisation interne. Le discours est celui des modalités de la conquête, décomposée en plusieurs étapes. Outre les scènes regroupées sous le titre « passage », s’individualisent divers groupes : les scènes 6 à 10 déjà évoquées (séquence « installation ») ; les préliminaires de la bataille (séquence « progression », scènes 11 à 23) ; les opérations de guerre (« confrontation », scène 24) ; enfin les conséquences de la victoire romaine (scènes 25 à 30).
35La séquence « progression » est inaugurée par la scène 11-1273 et se poursuit jusqu’à la scène 23. Elle contient les trois thèmes principaux de la séquence : les fortifications, les gardes, et le déboisement74. Suit la première des dix-huit scènes de bataille que comptent la frise75. L’importance de celle-ci est confirmée par plusieurs éléments : la longueur de la scène, la première vision des troupes daces, la présence de Jupiter, enfin la scène 18 située immédiatement au-dessous76 et qui montre, dans un contexte de travaux, le premier Dace de la frise, prisonnier. Le résultat final de l’affrontement est en fait perceptible dès cette première bataille, qui vaut pour toutes les batailles de la frise.
36L’intervention jovienne dans un combat a des antécédents prestigieux. Pour un Romain, l’épisode devait immédiatement rappeler le Jupiter Stator de Romulus77 ; l’équivalent se retrouve aussi dans l’Odyssée : Zeus se manifeste du foudre lorsqu’Ulysse, au terme du concours qui l’oppose aux prétendants, les massacre78.
37Après ce temps fort, la première campagne de Trajan s’achève sur diverses scènes dont les thèmes – incendies, ambassades, visions de villes daces – décrivent les conséquences de la victoire romaine et la poursuite de l’avance en Dacie.
38Tout au long de cette avance, des éléments traduisent la sauvagerie de l’espace dace et la difficulté de la progression romaine. Il s’agit des cours d’eau, que la technique romaine efface grâce à des ponts79 ; des forêts que l’armée romaine maîtrise par des déboisements massifs80 ; de la construction de camps qui marquent tout à la fois la maîtrise technique romaine et la conquête du sol dace81 ; de la constante avance romaine, avec une signification permanente de progression82 ; de nombreux gardes83, dont la présence développe un sens de vigilance et rappelle l’image initiale des auxiliaires veillant sur la ripa. Le sens général est le suivant : la frontière est franchie et l’armée ne cesse de progresser. Enfin, l’omniprésence de Trajan (fig. 15 : neuf présences sur les spires 1-2) confère à ce dernier le rôle, attendu, d’organisateur de la conquête et d’acteur principal de la guerre84. Cet aspect du discours, qui ressort de l’observation d’ensemble, est perceptible dès les premières apparitions du princeps (scènes 6 à 10), situées à la verticale des scènes 1 à 385, donc dans l’axe visuel d’un promeneur sortant de la Basilica. Le rôle de Trajan et des initia dans l’organisation de la frise semble assuré.
39L’étude de la troisième campagne (scènes 48 à 77, fig. 12) fait ressortir une organisation proche de la première86. Au passage du fleuve, succèdent les séquences « installation », puis « progression ». Suit l’important groupe de batailles87, qui aboutit à la grande scène de soumission de Décébale88 et aux dernières péripéties de la campagne89, qui marquent l’achèvement de la première guerre dacique (scène 78 spire 12, Victoire ailée : pl. XXXIIa).
40La cinquième campagne (scènes 101 à 155, fig. 14) privilégie plus encore les grands ensembles et les reprises ponctuelles, aux dépens des articulations rigides de la première90. Elle intègre sans difficulté les scènes référentielles telles que l’incendie de la grande cité dace91, le suicide des Daces92, la fuite des survivants et la mort de Décébale93, la présentation de sa tête aux armées94, enfin les dernières images de capture et de déportation95. À quinze spires de distance, la cinquième campagne reprend donc les thèmes et l’organisation de la première. Entre ces deux séquences qui ceinturent la frise, la troisième campagne tient le rôle de relais, tandis que les seconde et quatrième jouent avec cette organisation, parfois en l’ignorant totalement.
Variations (fig. 11 et 13)
41La seconde campagne couvre les scènes 33 à 47 (fig. 11) et trois des vingt-trois spires de la colonne (fig. 6). Elle est interprétée par divers auteurs comme se déroulant en Mésie96. Le texte de Dion Cassius, souvent cité, ne mentionne aucune opération en Mésie, mais Pline le Jeune indique à propos de l’esclave Callidromus « qu’il avait été jadis l’esclave de Laberius Maximus, qu’il avait été fait prisonnier par Susagus [général de Décébale] en Mésie, et envoyé en cadeau par Décébale à Pacorus roi des Parthes [...] »97. L’aspect géographique n’est pas au centre de notre propos, toutefois remarquons que du strict point de vue chronologique, Pline peut fort bien faire référence à des événements de la seconde guerre.
42La seconde campagne est indissociablement liée à deux scènes très particulières98. Par leurs thèmes, elles n’appartiennent à aucune campagne. Il s’agit d’une séquence dace. Très courte, elle présente, inversés, des thèmes déjà rencontrés : le passage du fleuve ; l’avance ; la bataille. Les Daces en étant les acteurs, le sens, le traitement de l’image et l’organisation visuelle diffèrent99. Le passage du fleuve se fait à dos de cheval, et non à l’aide d’un pont ou de navires. À l’ordonnance du passage romain, s’opposent le désordre et le péril du passage dace. D’un bouillonnement d’hommes et de chevaux, émergent des mains tendues vers la rive. Quelques Daces et des cavaliers Sarmates s’y trouvent. Tel est le lien avec la scène suivante : les Daces assiègent un fort romain100.
43Après une telle entrée en matière, la seconde campagne ne pouvait que différer des autres. À l’image de l’exercitus romain en navires101, succèdent une image d’avance102 puis deux scènes de bataille103. La scène 33, par l’amphithéâtre et la double porte décorée d’un quadrige, marque la romanité du lieu de départ. C’est un résumé des première, troisième et quatrième séquences de la première campagne. Manque la seconde (« installation »), mais cette absence est mise à profit pour illustrer une nouvelle qualité de Trajan : la celeritas. L’absence d’un motif qui figure dans les autres campagnes avant la séquence « confrontation » – l’armée en statio – renforce cette interprétation.
44Une telle qualité correspond à un exemplum de la mentalité romaine. César était passé maître dans son utilisation : « César, à la nouvelle qu’ils [les Helvètes] prétendent faire route par notre Province, se hâte de partir de Rome et gagne à marches forcées la Gaule ultérieure, où il arrive devant Genève »104. C’est également la rapidité avec laquelle César passe la Saône, et non le massacre d’un quart de leur peuple, qui amène les Helvètes à lui envoyer des ambassadeurs : « Les Helvètes, bouleversés par son arrivée soudaine, à l’idée qu’il avait accompli en un seul jour un passage qu’ils avaient eu beaucoup de peine à effectuer en vingt, lui envoient des ambassadeurs »105. Il est à noter que ces deux extraits renferment nombre des exempla de la frise.
45Succèdent, aux premières images de la seconde campagne, diverses scènes : une bataille106 avec des blessés romains107, puis une scène d’adlocutio108, de prisonniers daces109, de largitio ou donativum par l’empereur110, une scène de prisonniers romains torturés111, et enfin un dernier groupe, d’embarquement112. Celui-ci présente les mêmes thèmes que l’image d’introduction exactement deux spires au-dessous : Trajan en tunique (et sagum semble-t-il) dans un environnement romain avec le fleuve, la porte urbaine et des navires que l’on charge. Seule la présence de prisonniers daces la situe en fin de campagne. La seconde campagne, à l’organisation et aux thèmes particuliers, se referme sur elle-même.
46La quatrième campagne (fig. 13) couvre les scènes 79 à 100 et correspond au début de la seconde guerre dacique. Cette seconde guerre débuta le 4 juin 105 avec le départ de Trajan de Rome113. Une fois encore, la frise ne montre pas la profectio depuis la capitale, mais une scène de navigation114.
47Santo Mazzarino a mené une étude détaillée de cette campagne. Il souligne la différence de traitement entre les seconde et quatrième campagnes, seule cette dernière montrant, pour lui, l’iter de Trajan de l’Italie vers la Mésie. Il situe les scènes 79 à 85 à Ravenne (et la scène 86 à Salone) et les comprend comme le signe des préparatifs militaires et de la celeritas de Trajan115. Il semble cependant que la celeritas de l’empereur ne soit qu’imparfaitement rendue par la longue suite de sacrifices solennels statiques auxquels il participe. D’où notre proposition : la caractéristique principale de cette campagne tient à l’amplificatio du groupe introductif qui occupe, avec des variantes intéressantes, les scènes 79 à 91. Les scènes 7980, qui suivent la Victoire de la scène 78, en constituent le résumé iconographique116. Un arc, en évidence et surmonté de trois signa117 (pl. LXIVa), et deux temples sur podium – dont un inscrit dans un portique – servent de port de départ à une scène de passage : trois navires s’en éloignent. Trajan, en tunique et sagum retenu par une fibule, est debout dans le navire central.
48Cette ville portuaire est incontestablement romaine, autant sinon plus que la ripa des scènes 1 à 3118. Là cesse la ressemblance. La flotte se dirige vers un second espace urbanisé, doté de portiques119. Aux deux temples sur podium et aux deux porteurs de torche de l’espace de départ120, répondent les civils en tunique (dont trois femmes coiffées à la romaine, avec un chignon haut sur la tête), l’autel et le bœuf sacrifié de l’espace d’arrivée. D’autres civils romains sont liés à cette scène par les structures architecturales. Trois sont assurément en toge : on distingue le pli partant de l’épaule gauche, et sous le bras droit le repli formé par le vêtement. Le poignet gauche retient le tissu, conformément au plissé usuel de la toge. Le premier des trois personnages serre dans la main gauche un objet qui paraît être un volumen, signe d’autorité (c’est le cas de Trajan dans de nombreuses scènes)121. Le portique se poursuit scène 81, encadrant peut-être un autre temple. Trajan est toujours en tunique et sagum.
49Il apparaît que cette campagne insiste, de manière remarquable, sur l’association des aspects civil et religieux. En tunique et sagum (vêtements militaires utilisés pour des déplacements en régions pacifiées), Trajan évolue dans un contexte architectural romain, comme le prouvent les temples, les trois signa des dieux sur l’arc et le taureau sacrifié des scènes 79-81. Notons encore : le sacrifice de quatre taureaux (sc. 83-85), puis le sacrifice d’un taureau (sc. 86). Dans ce cadre, l’empereur est entouré de civils en tunique122, ou de civils ou soldats en tunique, et de togati123. Cette association se poursuit jusqu’à la scène 91. Cette dernière est séparée de la scène 86 par la vision d’un navire : l’ancre en évidence124 marque à la fois la fin du voyage par mer et le début du voyage terrestre125. L’empereur y précède l’armée, mais tous portent encore la tunique. La scène 91 enfin marque l’arrivée de Trajan au contact d’une forte communauté dace : les hommes sont barbus et vêtus de braies, la jeune fille au premier plan porte un chignon bas126. On pourrait résumer ainsi ce groupe homogène : adventus de Trajan et de l’armée en tunique auprès de togati et de populations civiles romaines, puis romaines, mésiques ( ?) et daces, cela dans un contexte sacrificiel et architectural romain127.
50Ce long groupe inaugural précède la scène 92, laquelle mêle déboisement à l’aide de dolabra, construction d’un camp et franchissement d’une rivière au moyen d’un pont128. Suit une très courte séquence « bataille », dont le traitement est remarquable.
51Cette séquence comporte les trois thèmes qui étaient développés dans la première campagne par les scènes 11 à 23. La scène 93 commence par montrer les Daces (menés par Décébale129 ?) qui se replient dans un fortin clairement identifiable : les fortins daces possèdent en effet des tours sur piles à toit pointu dont la partie supérieure a la forme d’une habitation, alors que les tours romaines comportent une plate-forme à claire-voie130. La difficulté d’identification de la scène 93 tient à ce que les portes des camps romains ressemblent parfois aux tours daces131, alors que les portes des forts daces sont plates132 : ces critères permettent d’identifier ici un fort romain occupé par les Daces.
52À la scène 93, succèdent deux batailles (sc. 94-97), la première avec des auxiliaires assiégés dans un fort133, la seconde montrant Daces et Romains emmêlés dans un espace urbanisé et en voie d’urbanisation : les thèmes « fortifications » et « défrichage » y figurent conjointement134. Détail important, unique sur la colonne et qui souligne la différence d’ambiance existant entre cette campagne et le reste de la frise : les soldats au travail (avec la dolabra) scène 97 sont en tunique malgré la bataille proche où Trajan intervient, à cheval et cuirassé135. Les deux dernières scènes présentent un sacrifice, auquel assiste l’armée, devant le pont construit sur le Danube par Apollodore136, puis l’accueil par Trajan en tunique de plusieurs délégations barbares dans un espace, une fois encore, urbanisé137.
53Dans cette succession de scènes aux thèmes mixtes, une observation précise des signes iconiques permet d’avancer une reconstitution « géographique » de la progression (fig. 16). L’unique image de traversée (avec Trajan en navire) est la scène 79, les navires qui apparaissent scènes 82, 86 et 87 étant immobiles : on peut dès lors estimer que le sacrifice de la scène 80 visait à célébrer la traversée de Trajan depuis l’Italie jusqu’à la Dalmatie, et que les images de port qui lui succèdent concernent le voyage de l’empereur le long de la côte dalmate. Ainsi, alors que les scènes 79 à 86 demeurent marquées par des éléments architecturaux romains, s’ébauche un lent changement de population. Se mêlent (dès les scènes 83-85) des femmes coiffées à la manière dace (ou mésique ?). La véritable marche de Trajan vers la Dacie, sa chevauchée (scène 89) à travers la Mésie intérieure, ne commence qu’en scènes 87-88 : l’espace est alors représenté rocheux, montagneux. Enfin, les scènes 90-91 le montrent arrivant au contact de Daces et de togati mêlés. Lors de cette ultime étape a lieu un sacrifice, mais le cadre urbain est très réduit (un arc)138.
54La progression d’un port italien (on a voulu y voir Ancône) jusqu’aux marges de l’Empire est donc assurée, pourtant l’armée n’entre apparemment pas en Dacie. Devant ce paradoxe, les commentateurs modernes ont voulu isoler les scènes 92-97 de leur environnement direct : alors que Trajan serait encore en Mésie, le regard du spectateur aurait un aperçu des opérations militaires menées simultanément en Dacie139. Cette insertion en pays dace serait encadrée par les deux scènes de labor (scènes 92 et 97)140 qui n’en constitueraient en fait qu’une seule, « éclatée » pour exprimer la rupture spatio-temporelle. Entre ces deux bornes « mésiques », prendraient place les opérations en Dacie, qui amènent Trajan à intervenir141.
55À ceci, quelques remarques. Il est vraisemblable que des Romains stationnaient, depuis 102, en Dacie : c’est ce que le montre la scène 75142. Dans la grande scène de soumission qui clôt la première guerre, la typologie des forts daces et romains permet en effet de distinguer, derrière Trajan, une fortification romaine où s’installent des soldats ; et derrière Décébale, en scène 76143, une fortification dace, peut-être Sarmizegetusa si l’on suit le texte de Dion Cassius : « Ayant, à la suite de ce traité, laissé son armée à Sarmizegetusa et mis des garnisons dans le reste du pays, [Trajan] revint en Italie »144. Il n’empêche que la coupure spatiale de la quatrième campagne, envisagée plus haut, n’est pas soutenable. Elle briserait la cohérence visuelle et narrative de l’ensemble alors que l’image est, comme dans la scène 9091, composée d’éléments mixtes. Les Daces évoluent dans un espace marqué par l’urbanisme, ce qui n’est guère courant sur la frise ; le fort qu’ils envahissent est romain, et certains soldats romains, occupés à défricher, sont en tunique dans la proximité immédiate d’un engagement militaire. Et surtout nulle scène, avant le pont d’Apollodore sur le Danube (scène 99) et son franchissement par l’armée (scène 101), ne marque le dépassement de la frontière et l’entrée en Dacie : la seule rupture narrative et spatiale forte est constituée par ces scènes 99-101. Sur ce point, l’analyse iconographique est formelle : la totalité des scènes 79 à 98 se déroule en Mésie... mais dès lors ce sont les Daces de la scène 91 qui paraissent déplacés. Que font-ils en pleine Mésie ? La réponse est qu’ils s’y sont peut-être réfugiés, dans une région frontière de la Dacie. Les trois premières campagnes ont en effet présenté à plusieurs reprises des Daces suppliant Trajan145, et Dion Cassius confirme : « Beaucoup de Daces étant passés du côté de Trajan, Décébale, pour ce motif et pour d’autres, demanda de nouveau la paix »146. Au terme de la première guerre et selon le texte de Dion, il y a donc des Romains en Dacie et des Daces dans l’Empire. L’historien contemporain peut donc arguer de tel ou tel extrait selon la lecture historique qu’il souhaite tenir sur la quatrième campagne, cependant la cohérence thématique, et son articulation avec la scène 101, inclinent à considérer que la totalité de la quatrième campagne est à replacer en Mésie147, y compris les scènes 99 à 101.
56Autre difficulté à expliquer : à la différence de la seconde campagne, la représentation des incursions daces et des escarmouches armées reste marginale. La quatrième campagne n’illustre définitivement pas la celeritas de Trajan148. Si l’on compare le lent déroulé des cités traversées par l’empereur et des sacrifices qui en font l’originalité, à la rapidité effective des opérations de la seconde campagne, la différence est nette. Le thème de la celeritas et de la supériorité technique des Romains est certes présent, comme dans les autres campagnes. Il n’est pas, et de loin, primordial. En revanche, la longue séquence introductive d’adventus auprès de populations civiles est, elle, exceptionnelle. Sa signification l’est aussi : elle met en avant l’action pacificatrice de l’empereur jusque dans les régions frontalières. L’heureuse conséquence de la guerre est (ou plutôt sera) la Felicitas orbis terrarum et la concordia dans l’Empire149. La preuve en est que les Daces participent de ce consensus. Le sacrifice auquel ils assistent, bien que situé en Mésie, traduit leur intégration progressive à l’Empire. Alors que Décébale n’est pas encore vaincu, des Daces sont, déjà, solidaires de Trajan, prélude de leur romanisation et de la victoire romaine, ainsi que l’indique Tacite pour les Bretons : « Notre habit même fut mis en honneur, et la toge devint à la mode. Peu à peu on se laissa tenter aux séductions de nos vices : on connut les portiques, les bains, le raffinement des repas ». Inversement, dans sa campagne contre Calgacus, Agricola rappelle qu’il fallut se battre contre les ennemis, mais aussi « contre la nature elle-même »150.
57Un second indice confirme cette interprétation d’images célébrant la pacification en cours de la Dacie : le pont d’Apollodore. Ammien Marcellin rapporte un serment qui aurait été prononcé par Trajan :
C’est de cette manière, dit-on, que Trajan avait accoutumé de renforcer ses déclarations par des serments : ‘Puissé-je ainsi voir les Dacies réduites à la condition de provinces ! et franchir également sur un pont le Danube aussi bien que l’Aufide !’, et bien des formules semblables151.
58Le lien entre la construction du pont et la victoire romaine est clair. Or, ces deux objectifs de la guerre de 105 sont matérialisés par les scènes 91 et 99, l’une accomplie (la construction du pont), l’autre en cours de réalisation (la transformation de la Dacie en province et des Daces en provinciaux). Quelle que soit sa réalité historique, le serment de Trajan aurait conservé les deux termes sur lesquels l’empereur s’était engagé, à savoir la victoire sur le royaume dace et l’extension de l’Empire. La quatrième campagne répond trop parfaitement à ce programme initial pour que ce soit fortuit. Elle présenterait, non la conquête de la Dacie comme les autres campagnes, mais les bienfaits intérieurs des guerres trajaniennes et le début de la romanisation des Daces. Nous reviendrons plus bas sur cette dimension.
2–TRAJAN ET DÉCÉBALE
Trajan, Optimus Princeps
59Le relevé des diverses apparitions de Trajan (fig. 15) confirme, outre l’omniprésence de l’empereur et l’importance de sa silhouette dans la mise en place du discours, la coloration particulière de la quatrième campagne. Nous avons reconnu Trajan cinquante-huit fois sur la frise152. Tout au plus hésitons-nous pour les scènes 106153 et 108-109154, mais dans les deux cas les traits ne sont pas ressemblants et l’empereur serait – simplement – figuré à la tête de l’armée. Par contre, nous identifions avec certitude Trajan scène 97155, ne serait-ce que par comparaison de ses traits avec ceux de l’empereur lors du suovetaurilia spire 16. Et pour en finir avec l’idée que l’hellénisme de la Grande Frise s’opposerait au « réalisme » romain de la frise de la colonne Trajane, on peut remarquer la similitude d’attitude entre l’empereur cavalier de la scène 97, manteau au vent, et celui du panneau de l’arc de Constantin (pl. LIXa).
60Les apparitions de Trajan sur la colonne sont de plusieurs types : en cuirasse (loricatus) pour la majorité, soit quarante-et-une sur cinquante-huit ; en tunique pour quatorze autres, dont six sont en rapport avec des sacrifices ; enfin, togatus pour les trois suovetaurilia des scènes 8, 53 et 103156, que Trajan accomplit selon le rite romain, tête couverte (oper velato capite)157. Que le type de Trajan loricatus soit le plus fréquent n’est pas étonnant, puisque le propos général de la frise est la guerre. Il est d’ailleurs le premier et le dernier à apparaître (scènes 6 et 141). Plus même, les premières spires comme les dernières le montrent presque exclusivement cuirassé : onze fois sur douze pour les spires deux à quatre ; neuf fois sur douze pour les spires seize à vingt-et-une158. C’est donc ce type de représentation qui encadre la frise et porte le discours principal du document. Les autres types (en tunique parmi des civils ou l’armée en tunique, ou lors de scènes de sacrifice ; en toge et caput velato lors des scènes de lustratio) sont intégrés dans ce réseau de manière diverse, mais le rapport loricatus / non cuirassé s’inverse, et c’est ce qui nous intéresse, sur les spires douze à quinze : celles de la quatrième campagne. Sur ces quatre spires, ne se trouve qu’un Trajan loricatus pour neuf Trajan en tunique, dont trois scènes de sacrifice. Or, les spires qui précèdent ou suivent présentent une quasi-totalité de loricatus : sept sur sept pour les spires neuf à onze, neuf sur onze pour les spires seize à vingt-et-une.
61En définitive, la disposition du seul Trajan reflète l’organisation thématique des reliefs. La séparation entre d’un côté les première, troisième et cinquième campagnes, de l’autre la seconde et la quatrième, constitue la structure cardinale de cet ensemble. Les trois campagnes majeures débutent par des suovetaurilia et présentent par la suite un Trajan exclusivement loricatus, les exceptions (scènes 77 et 102) s’articulant avec la quatrième campagne. Les deux autres campagnes commencent et s’achèvent par des Trajan en tunique, la quatrième ne présentant, contrairement à la seconde (structure secondaire), qu’un Trajan loricatus. Cet élément sera à prendre en compte dans une analyse plus poussée de la frise.
Décébale, barbarus rex, insolens et furiosus
62L’expression de Pline le Jeune159, qui ne cite pas nommément le roi dace, s’applique pourtant à merveille au vaincu, coupable de superbia. Décébale figure sur la colonne Trajane. La fréquence des présences de l’adversaire de Trajan est discutée (fig. 17)160. Salvatore Settis avait admis la confrontation Trajan/Décébale en scène 24161, mais il l’identifiait surtout durant la seconde guerre162 : en scène 75 et 93 ; la scène 134 verrait Décébale entouré de deux Comites163 ; la scène 139 montrerait le roi dace dans une adlocutio à ses guerriers164 ; suivraient le suicide de la scène 145, et enfin la présentation de la tête du roi à l’armée romaine165.
63Cette présence, indiscutable quel qu’en soit le chiffre, a suscité bien des commentaires. On a dit que Décébale était présenté sur la frise comme un « digne adversaire de Trajan »166, dont la mors voluntaria dirait la grandeur d’âme. Dion Cassius lui-même exprime son admiration :
Décébale, homme propre au conseil, dans les choses de la guerre, et propre à l’exécution ; connaissant le moment d’une attaque vigoureuse et faisant retraite à propos, habile à dresser une embuscade, et vaillant au combat, sachant également profiter d’une victoire et se tirer avec avantage d’une défaite, qualités qui le rendirent longtemps pour les Romains un adversaire redoutable167.
64Ces éloges sont cependant relatifs, pour la bonne raison qu’ils sont, chez l’historien grec, contemporains des défaites de Domitien. Lorsqu’il est opposé à Trajan, le roi dace est, sans ambiguïté, présenté comme briseur de traité, perfidus :
Mais lorsqu’on lui [Trajan] eut annoncé que Décébale contrevenait à plusieurs articles du traité, qu’il faisait provision d’armes, qu’il recevait des transfuges, qu’il élevait des forteresses, qu’il en voyait des ambassades chez ses voisins, qu’il ravageait le pays de ceux qui avaient précédemment pris parti contre lui [...], Trajan, une seconde fois, se chargea de lui faire la guerre en personne, et non par d’autres généraux168.
65Le portrait des Daces et de leur roi est en fait négatif. Sur la frise, les soldats romains présentent à plusieurs reprises des têtes de Daces à Trajan, ce qui s’accorde mal avec l’expression d’un sentiment de pitié à leur endroit169. Par ailleurs la scène 75, où est rassemblée une foule de Daces, a été interprétée comme indiquant un complot et la superbia de Décébale170 : le premier combat de la seconde guerre est d’ailleurs un assaut contre un camp romain, preuve que la responsabilité de la seconde guerre incombe bien aux Daces171.
66On peut remarquer que le roi est présent sur toutes les faces, de manière évidemment plus discrète que Trajan (fig. 17). Il se manifeste en priorité à la fin de la frise, les scènes 134 et 139 menant inéluctablement à son suicide. Il est vrai que le roi intervient dans des activités diverses, qui font écho aux « éloges » de Dion Cassius : chef de guerre (scène 24 ?) ; représentant du peuple dace (scène 75) ; briseur de traité (scène 93 ?) ; roi dans l’exercice de l’adlocutio (scène 134)172 ; roi avec son concilium (scène 139) ; enfin son suicide et sa tête présentée en trophée (scènes 145 et 147). Responsable de la guerre par sa perfidia, il en assume les conséquences – avec courage ? Plutôt avec cette superbia qui le pousse à se suicider173 : cela paraît davantage convenir au propos de la frise. Les Daces pratiquent en effet le suicide collectif174, et on peut y voir la conséquence destructrice de leur furor. C’est ce qu’explique Tacite, à propos des Bretons vaincus :
Errant au hasard [...] et, de colère (per iram), y mettent [à leur demeure] eux-mêmes le feu [...] ; atterrés quelquefois devant les objets de leur tendresse, plus souvent encore ils étaient exaspérés ; et l’on assura même que plusieurs avaient tué leurs femmes et leurs enfants, pensant agir par pitié175.
67G. C. Belloni souligne avec raison qu’il n’y a pas d’admiration pour Décébale sur la frise et que la tête du roi, rapportée à Rome, fut exposée aux Gémonies, lieu réservé aux réprouvés176. Décébale était bien un impie, précisément à cause de sa perfidie177.
68La totalité des activités et des présences du roi est, bien sûr, valorisante pour Trajan. Cet efficace adversaire méritait, pour être vaincu, un Optimus Princeps. Lorsque ce visage de la Dacie indépendante s’efface enfin, scène 145, son suicide participe de la mainmise définitive de Rome sur le territoire dont il n’a pu éviter la conquête et dont une partie des habitants accepte déjà la civilisation romaine. La scène est signe de victoire, au même titre que celles de l’axe vertical sur lequel elle est alignée (fig. 22 et 26). La présence du suicide de Décébale sur les céramiques de la Graufesenque178 dit assez la popularité de cet événement : il en vint à résumer, sur ce support, les victoires daciques de Trajan et sans doute leur bien-fondé, donc la superbia des Daces179.
3 – CONCLUSION
69Par l’étude spirale comparative des cinq campagnes, nous avons tenté de dégager les structures essentielles de la frise. La tentation de les traduire en renseignements chronologiques ou historiques est toujours présente, tant la dimension descriptive du monument est forte. La topographie, le réalisme, la chronologie ne sont pourtant que les moyens nécessaires à la mise en place d’un discours rhétorique. C’est une erreur que de juger la qualité ou les défauts des sculpteurs, la réussite ou l’échec du projet, à la ressemblance plus ou moins réussie des bâtiments daces avec les realia que l’archéologie nous livre ; à l’identité formelle de sites sculptés plusieurs fois (?) sur la colonne ; à la possibilité de reconnaître avec précision des lieux, des acteurs ou des batailles ; enfin à un découpage temporel et spatial plus ou moins explicite. Si l’arrière-plan historique existe bien, il n’est que le prétexte à une représentation, à une mise en scène du princeps, de l’armée et de la romanité dans son ensemble. Juger la frise à l’aune de son réalisme, à sa cohérence topographique ou chronologique ou, pire, à son adéquation au texte de Dion Cassius, revient à lui assigner un objectif qui ne comptait pas parmi les impératifs fixés par le commanditaire du projet.
70Si l’on distingue de façon arbitraire un poste « contenu » et un poste « moyen d’expression », nous aurions dans le premier (l’objectif principal) la directive « cohérence d’un système de valeurs », ce qui est traditionnel dans l’art romain ; et dans le second (moyen pour atteindre l’objectif principal) le « réalisme des détails et l’utilisation de certains événements historiques des guerres daciques ». La succession de ces événements n’est pas destinée à être recomposée en récit historique, bien plutôt en discours épidictique. Elle est en tout cas le fruit d’une réorganisation, d’un choix parmi les événements possibles. Pline le Jeune ne dit pas autre chose. Dans ses conseils à Caninius Rufus qui entreprend la rédaction d’un poème sur le Bellum Dacicum, l’ami de Trajan précise que, « bien qu’il s’agisse de choses on ne peut plus vraies, [elles sont] aussi proches de la légende »180. Les quelques éléments qui glissent alors sous sa plume sont révélateurs :
Vous célébrerez de nouveaux fleuves amenés dans les terres, de nouveaux ponts lancés sur les fleuves, des camps établis sur les escarpements des montagnes181, un roi jeté hors de son palais, jeté même hors de la vie sans avoir jamais renoncé à l’espoir ; de plus deux triomphes célébrés l’un pour la première fois sur une nation invaincue, l’autre pour la dernière182.
71Cet énoncé, pour rapide et superficiel qu’il soit, est cependant une sélection de thèmes à développer dans le discours. Et Pline de poursuivre : « Une seule difficulté, mais qui est fort grande : mettre la poésie à la hauteur de ces événements »183. Pour la surmonter, il propose le processus suivant :
Et maintenant, voici ce que je stipule : tout ce que vous aurez achevé, vous me l’enverrez à mesure ; mieux encore, envoyez avant leur achèvement les ébauches telles quelles, encore inachevées et pareilles à des nouveau-nés. Vous me direz que ces découpures n’auront pas l’intérêt d’un ensemble ni ces brouillons celui d’une œuvre achevée. Je le sais. Aussi les jugerai-je comme des brouillons, les examinerai-je comme les organes d’un tout et ils attendront votre dernier coup de lime parmi mes papiers184.
72Pline, sollicité par Caninius, assume les véritables prérogatives d’un patronus et demande à examiner les « parties » au fur et à mesure de leur conception, avant que la cohérence discursive ne soit définitivement fixée. Ayant orienté Caninius sur les thèmes principaux, ayant souligné l’immensité de la tâche, voici qu’il en contrôle la réalisation, avant même l’ultime « coup de lime ». Le processus de création de la frise de la colonne Trajane n’était sans doute pas éloigné de ce modèle littéraire...
73Nous avons choisi d’observer les reliefs en quête du système de valeurs qui constituait l’essentiel aux yeux du commanditaire et du public romain. Cette cohérence, précisée dans le projet préalable de la frise, a été respectée avec scrupule par les sculpteurs, davantage que les correspondances géographiques ou chronologiques toujours difficiles à reconstituer et à démontrer. Ce qui amène à insister à nouveau sur ce point : il ne faut pas considérer comme primordiaux des éléments qui n’interviennent que comme outils (ainsi le vérisme documentaire) facilitant le discours idéologique. En revanche, la cohérence de ce dernier doit être cernée avec soin. C’est sur ce critère qu’il conviendra de juger l’adéquation entre projet et œuvre achevée, mais aussi, ultime enjeu, que nous devrons évaluer la lisibilité de la frise et de l’idéologie qu’elle véhicule – ce qui n’est pas forcément la même chose.
74La difficulté éprouvée à suivre le déroulé des spires dans notre catalogue par faces verticales (pl. I à LVII) traduit la difficulté réelle à suivre cette lecture en continu, et amène à s’interroger sur la possible prédominance de la lecture verticale. Cet aspect du problème reste à trancher, et sans doute serons-nous amené à établir à cette fin de nouveaux critères de lisibilité et de narrativité185. Le problème de la lisibilité, posé par Paul Veyne, pourra dès lors prendre une tournure différente.
Notes de bas de page
1 Paribeni 1926-1927, p. 215-265, et La Regina 1988, p. 8. Sur la chronologie des guerres daciques d’après les Fastes, Degrassi 1936.
2 CIL VI, 2074, 22-24 (= ILS 5035, ou Smallwood 1966, p. 14-15 ; traduction dans Le Gall 1975, 215-216) : Q. Articuleio [Paeto], Se[x. Att]io Suburano co(n)s(ulibus) / VIII k(alendas) Apr(iles) in Capitolio [pro salute et reditu] et victoria imp(eratoris) Caesaris Nervae / Traiani Aug(usti) Germ(anici) [vota nuncupaverunt fratres] Arvales in haec verba, quae infr(a) s(cripta) s(unt) : [...]. Suivent : Iuppiter Optimus Maximus, Iuno Regina, Minerva, Iuppiter Victor, Salus Rei publicae Populi Romani Quiritium, Mars Pater, Mars Victor, Victoria, Fortuna Redux, Vesta Mater, Neptunus Pater et Hercules Victor. Sur la confrérie des Frères Arvales, consulter bien sûr Scheid-Broise 1987 ; Scheid 1990a ; et Scheid 1990b, p. 345-347.
3 Voir Hamberg 1968, p. 63-75 et sa planche 7 pour la profectio de l’arc de Bénévent, scène traditionnelle dans l’art romain. Pour une étude plus générale sur ces deux moments cruciaux d’une campagne : Koeppel 1969.
4 Sc. 1 à 3, pl. VIIa, XIIIa, XXIIa, XXVII et XXVIIIa, XXXVIIIa et XXXIXa.
5 Settis 1988a, p. 273.
6 Pour l’identification détaillée des troupes sur la colonne (légionnaires, prétoriens, auxiliaires), se reporter à la bibliographie donnée note 162 de l’Introduction.
7 Brilliant 1986, p. 94-95 ; Settis 1988a, p. 215.
8 Un « panoramique », dirait Alain Malissard.
9 Becatti 1982, p. 554, fait débuter la première guerre dacique aux scènes 3-5, de même que Settis 1985, p. 11561157, et Scheiper 1982, p. 155 (qui situe la scène 3 à Viminacium). Par contre, Hamberg 1968, p. 108-109, fait des scènes 1 à 4 « the departure or profectio and its milieu » ; Gauer 1977, p. 9, situe ces premières scènes sur la frontière du Danube ; pour Bode 1992, p. 133, « la spire commence avec la description pacifique de la frontière danubienne gardée par des auxiliaires romains ».
10 Nous remanions et développons ici deux dossiers qui ont donné lieu à des articles : le premier sur la frontière (Galinier 1995), le second sur les structures de la frise (Ga-linier 1996).
11 Settis 1988a, p. 264 ; Coarelli 1999, p. 48.
12 Hölscher 1994, p. 113, ou Hölscher 1980, p. 292-293. Bode 1992, p. 134, reprend cette interprétation et la justifie, à l’aide d’une comparaison interne à la frise, par la résistance que semble opposer le fleuve au passage dace scène 31 (pl. XVa et XXIIb). Sur les monnaies, le dieu peut apparaître seul (RIC II, p. 251 et planche VIII, 142 ; ou Overbeck-Kent-Stylow 1973, p. 110 et figure 258), ou bien maîtriser la Dacie (ibid., p. 283 et planche X, 180 : les auteurs identifient le Tibre, mais en l’absence de toute légende la lecture est incertaine. Bernareggi 1975 ne se prononce pas, mais Bianchi Bandinelli 1978, p. 134, avait déjà reconnu le Danube sur cette monnaie de 105-106).
13 Picard 1957, p. 383-384 ; même exemple dans Hölscher 1994, p. 113 et sa planche 14.2 ; et De Caro 1993, figure 165, pour une très bonne reproduction de ce sesterce.
14 Sur la Germanie de Tacite : Dupont 1995, p. 204-205. L’auteur cite la description des Mattiaques (Germanie 29) : « C’est ainsi que, bien qu’établis sur leur rive (ripa), [Les Mattiaques] sont de cœur et d’esprit avec nous, semblables en toute chose aux Bataves, si ce n’est que leur vaillance est encore plus grande, qu’ils tiennent du ciel et du sol qui sont leurs et où ils se trouvent encore ». On ne saurait mieux décrire l’étroite relation sentie, par un observateur romain, entre un sol et ses habitants.
15 Pline le Jeune, Pan. XII (trad. M. Durry). Bode 1992, p. 139, rapprochait cet extrait de certaines scènes de la frise montrant les Daces fuyant à l’approche de Trajan. Sur Pline et les guerres daciques : Syme 1964.
16 Carrié 1995, p. 36. Il rapporte les termes utilisés par les auteurs latins pour désigner une « frontière fortifiée » : vallum, praesidia, castella, claustra, muralis saepes, burgi, vallum. Ils peuvent accompagner le mot limes, mais ce dernier n’est jamais attesté seul. Voir encore Forni 1987, et White 1989, à propos de la frontière sur la colonne Trajane. Enfin Trousset 1993b, p. 116, définit limes (zone de contrôle où est campée l’armée), finis (zone insaisissable à l’extérieur de l’Empire, trait d’union possible entre deux espaces ; et à l’intérieur de l’Empire, limite administrative), ripa (limite naturelle), et terminus (bornes qui matérialisent les limites). Sur les diverses définitions de la frontière à époque romaine : Mann 1974, puis Whittaker 1989, et Tufi 1990. Sur l’état des frontières à l’époque de Trajan : Watson 1991, et Marcone 1991. Sur l’évolution à la fin de l’Antiquité : Gabba 1989, et Whittaker 1993, ainsi que la recension de Whittaker 1996.
17 « Sur la rive même du Rhin, il aligna plus de cinquante fortins » : Florus II, 30, 26 (trad. P. Jal).
18 Danuvius Sarmatica ac Romana disterminet : Sénèque, Q.N. I, 9 (trad. P. Oltramare).
19 Pour citer Virgile, Énéide I, 279.
20 Depuis Auguste et Tibère pour la Germanie et l’Europe danubienne. Domitien y connut deux échecs, et un succès : voir ci-après.
21 Nous préférons au mot limes, d’usage plus tardif, les termes de ripa et de finis, ce dernier étant employé dans le ius fetiale et repris par Virgile avec le sens de « limite » (Dumézil 1987, p. 106).
22 Marquée à gauche par la coupure nette d’un arbre. L’extrémité de la scène 32 est également occupée par un arbre occupant toute la hauteur de la spire.
23 Dupont 1995, p. 194 : « Tacite dit toujours pour parler de la rive romaine de ces deux fleuves : ‘la rive’, étant entendu qu’il s’agit de la rive romaine, l’autre n’étant pas de même nature ».
24 Conclusion similaire, dans un autre contexte, chez Rousselle 1993, p. 1073 : « Il me semble que l’on peut considérer les peintures de la synagogue de Doura, plutôt qu’illustration de midrach, comme un targum ou un midrach iconographique indépendant : le récit biblique traduit (interprété) et raconté avec les détails qui ne sont pas dans le texte, et que l’image exige ». Ce constat serait applicable à la colonne Trajane, même si nous pouvions comparer images et textes portant sur les guerres daciques. En aucun cas, et contrairement à Picard 1996, la frise ne doit être considérée comme l’illustration d’un texte.
25 Bode 1992, p. 126.
26 Rousselle 1993, p. 669, à propos de la représentation des dieux orientaux sur commande romaine : « Comme la représentation est neuve, il y a un lien direct entre la volonté du commanditaire et la main de l’artiste ».
27 Par exemple César, B.G. I, 13-14 ; Pline le Jeune, Pan. XVI, 2.
28 César, B. G., V, 56.
29 Labrousse 1981 ; Hatt 1983, p. 24-26.
30 Introduction note 164.
31 Settis 1988b. Consulter Settis 1988a, p. 226-229, sur les différences de traitement entre ces représentations d’un même événement, différences qui empêchent de parler de formule iconographique.
32 Pline le Jeune, Pan. LXXXI-LXXXII (trad. M. Durry). Pline n’emploie pas le terme de ripa lorsqu’il décrit la rive barbare des fleuves liminaires. La ripa dacique ou germanique n’existe pas plus dans son esprit qu’elle n’est visible sur la frise, elle est le lieu d’où observent les ennemis.
33 Pl. XLVIIIa et XLIXb ; et pl. LXII pour des détails.
34 À plusieurs reprises, Pline utilise, pour résumer le saeculum de Trajan, l’image de l’empereur « au gouvernail du salut public » : Pline le Jeune, Pan. VI, 2 (re publicae salutis gubernaculis), et Ep. X, 1 (ab gubernacula rei publicae).
35 L’extérieur de l’imperium sine fine n’est pas un ager, mais un espace défini par une imprécision croissante au fur et à mesure que l’observateur s’éloigne de l’Empire. Ainsi Tacite, Germ. XLVI, décrivant l’espace au-delà de la forêt germanique, termine par ces mots : « Ces faits étant mal éclaircis, je les laisserai dans leur incertitude » (trad. A. Cordier).
36 Pline le Jeune, Pan. XVI, 5 (trad. M. Durry).
37 Sc. 5, pl. Ia, débarquement de l’armée ; sc. 6, pl. VIIa et XIIIa : concilium ; sc. 8, pl. XXIIa : suovetaurilia ; sc. 9, pl. XXVIIIa : omen ; sc. 10, pl. XXXIXa : adlocutio ; sc. 1112, pl. XLVIIa et LIIIa : labor.
38 Le ius fetiale en appelait déjà à Iuppiter au moment de franchir le finis ennemi : Dumézil 1987, p. 106.
39 Sc. 24, pl. XXIIb.
40 Florus II, 28 (nous n’avons changé de la traduction de Paul Jal que inhaerent, qu’il rendait par « les Daces sont collés à leurs montagnes »).
41 Florus I, 39 (trad. P. Jal).
42 Eutrope, Abrégé VI, 2 à son propos.
43 Tacite, Agr. XLI (trad. A. Cordier). Les défaites du règne de Domitien sont mentionnées dans Suétone, Dom. VI, et Juvénal IV, 110. La victoire de Tettius Julianus l’est par Dion Cassius LXVII, 10, et Martial VI, 76 (également : Fink 1958, p. 115, et Rossi 1980-1981). Dion Cassius LXVIII, 6, mentionne le tribut que Domitien dut verser, après ses défaites, à Décébale. Pour un résumé des opérations militaires en Dacie, de César à Trajan, consulter Silverio 1988, et Benett 1997, p. 85-103.
44 César, B.G. II, XVII : « [...] les Nerviens, faibles en cavalerie [...], ont l’habitude antique, pour empêcher plus facilement les incursions de leurs voisins, de tailler et de courber de jeunes arbres, dont les nombreuses branches poussées en largeur et les ronces et buissons croissant aux intervalles forment des haies semblables à des murs, barrière impénétrable à l’œil même ». Ou encore, face aux Morins et aux Ménapes (ibid., III, 28-29) : « Voyant en effet que les plus grandes nations qui avaient lutté contre César, avaient été repoussées et battues, et possédant un pays où se succèdent forêts et marais, ils [les Belges] s’y transportèrent corps et biens. [...] Les jours suivants, César entreprit d’abattre la forêt. [...] Avec une rapidité incroyable, en peu de jours, ce travail fut accompli sur une grande étendue » (trad. M. Rat). Richard Brilliant résume les rapports entre l’œuvre de César et la frise : « [...] the relationship between Caesar’s Commentarii and the column is primarily ideologica ». Dans un autre temps et dans une perspective inversée, mentionnons chez Shakespeare (Macbeth V, 5) la menace de la forêt de Birnam marchant sur Dunsinane...
45 Tacite, Ann. I, 11.
46 Dion Chrysostome, Discours LXXII, 3 (trad. française d’après H.L. Crosby).
47 Dion Cassius LXVIII, 9 (trad. E. Gros et V. Boissée).
48 Sc. 18, pl. XXVIIIb.
49 Spire trois, sc. 24, pl. XIIIb, XXIIb et XXVIIIb.
50 Pl. XIIIb.
51 Sc. 153, pl. XLV et XLVIb ; sc. 154-155, LVIIc, IVc, XII et XXIb.
52 Fink 1958, p. 115, à propos de CIL XIV, 3608 = ILS 986, lignes 9-12 : [Moesia] in qua plura quam centum milia ex numero Transdanuvianorum ad praestanda tributa cum coniugibus ac liberis et principibus aut regibus suis transduxit.
53 Également La Rocca 1994, p. 22-24. La fuite des vaincus devant le vainqueur est un thème iconographique ancien dans le monde méditerranéen : Belloni 1990, p. 100, pour qui la colonne Trajane exprime justement ces soucis de propagatio imperii.
54 Tacite, Agr. XXX et XXXIII (terminus Britanniæ ou finis Britanniæ) ; ibid., XXX (Nos terrarum ac libertatis extremos recessus) ; Tacite Ann. I, 11 (intra terminos imperii).
55 Comme en témoigne l’introduction des Res Gestæ : « il soumit le monde entier à l’imperium du peuple romain » (trad. J. Gagé). Se reporter à Nicolet 1983, 1988, 1989 et 1991, pour une étude de la représentation des frontières à Rome.
56 Strabon, Géogr. VII, 3, 14 (trad. R. Baladié).
57 Sur l’espace au-delà de la Dacie et les peuplades nomades, dont les Sarmates : Strabon, Géogr. VII, 3, 17.
58 Ibid., VII, 3, 12 (trad. R. Baladié). Et encore « Les Daces parlent la même langue que les Gètes » (ibid., VII, 3, 13). Enfin Dion Cassius LXVII, 6 : « Au reste, j’appelle Daces ces peuples, comme ils se nomment eux-mêmes et comme les nomment les Romains, bien que je n’ignore pas que quelques Grecs, avec raison ou non, les appellent Gètes ; quant à moi, je sais que les Gètes sont les peuples qui habitent au-delà de l’Hémus sur les bords de l’Ister » (trad. E. Gros et V. Boissée).
59 Florus I, 39 (trad. P. Jal).
60 Voir Gamber 1964 pour une identification des Daces et Sarmates sur la colonne Trajane.
61 Pl. XXIIb, et pl. LXI pour un aperçu des Sarmates scène 32. En outre, des cuirasse à écailles sarmates sont représentées sur la base de la colonne Trajane.
62 Daicoviciu 1959, p. 314-317, a fait le point sur les interprétations de ces scènes et conclut : « crediamo si tratti dell’evacuazione di certe zone, probabilmente proprio la zona della città daciche dei Monti di Orastie » (p. 316). Pour Protase 1976, p. 494, la scène 155 évoquerait « la zone montagneuse d’Orastie et de Sebes [...] entièrement éva cuée ». Pour lui, les déplacements de 106 après J.-C. peuvent s’expliquer par une distribution de l’ager publicus aux nouveaux colons, et donc marquer la création et la romanisation de la province. Becatti 1982, p. 574, y voit une escorte romaine à des Daces et donne dans sa note 95 la bibliographie antérieure. Pour Bode 1992, p. 168, la scène 149 (pl. XII) montre des animaux de haute montagne (Hochgebirgstiere) et la fin de la frise un transfert de Daces dans les régions de plaine de la nouvelle province, plus aisées à contrôler. Lire Schindler 1981, p. 552-553, pour des cartes archéologiques de la région d’Orastie ; Strobel 1984, p. 41, sur la géographie de la Dacie avant la conquête ; enfin Petolescu 1985, sur l’organisation de la province par Trajan en 106.
63 Marin 1981, p. 62-63, commente ainsi le « Projet de l’histoire de Louis XIV » proposé à Colbert par Pellisson en 1670 : « Le point zéro du commencement-origine sera un tableau synchronique, un état, entendu comme la composition immobile des forces affrontées [...]. Mais sur ce fond se détachent déjà les deux figures en face à face des protagonistes du conflit imminent ».
64 Thebert 1995, p. 226, commente le passage du Rhin par César (B.G. IV, 17) en ces termes : « Pour servir comme il convient la dignitas césarienne, le pont est un véritable manifeste de la science et de la technique romaines opposé à la furie du Rhin ». Cette dignitas est aussi celle de la scène 3 et plus encore du pont sur le Danube (scène 99, pl. LXIII), œuvre d’Apollodore. Dans leurs « ouvrages » respectifs, les deux conquérants s’adressent avant tout au public romain.
65 Spire 12, sc. 78, pl. XXXIIa. Sur l’iconographie de la Victoire à Rome, se reporter à Hölscher 1967.
66 Ou « voyage » : Settis 1988a, p. 164.
67 Sc. 3, pl. LIIIa ; sc. 48, pl. LIVb ; sc. 101, pl. LVI.
68 Sc. 34, pl. LIVa ; sc. 79, pl. LVb.
69 Sc. 6, pl. XIIIa ; sc. 50, pl. XVb ; sc. 105, pl. XXVb.
70 Sc. 8, pl. XXIIa et XXVIIIa ; sc. 53, pl. XXIIIb et XXXIa ; sc. 103, pl. XIXb et XXVb.
71 Sc. 10, pl. XXXVIIIa ; sc. 51, pl. XXXVIIIb ; sc. 104, pl. XXVb
72 Bode 1992.
73 Spires deux-trois, pl. XLVIIa et LIIIa.
74 Settis 1985, p. 1162 : « Les scènes où les ponoi [...] sont directement guidés et surveillés par Trajan [...] ont la double fonction de narrer la prise de possession du territoire au-delà du Danube et de fournir en même temps un vivant exemplum des qualités de Trajan comme excellent Empereur [...], de la discipline de l’armée et de la technique militaire ».
75 Spire quatre, sc. 24, pl. XIIIb, XXIIb et XXVIIIb.
76 Spire trois, pl. XXVIIIb.
77 Tite-Live, Hist. I, 12 : Jupiter est invoqué par Romulus, mais n’intervient pas de son foudre. Sur l’importance de la tradition iconographique antique relative à la représentation du foudre : Fears 1981, p. 817.
78 Homère, Odyssée XXI, 1, 255 et 413 ; et Funke 1992.
79 Spire 2, sc. 11-12, pl. XLVIIa ; spire 3, sc. 14, pl. VIIa ; sc. 17, pl. XXIIa ; sc. 19-20, pl. XXXIXb ; sc. 21, pl. XLVIIb. Sur la « organisatorisch-technische Überlegenheit der Römer » : Bode 1992, p. 146.
80 Spire 3, sc. 13, pl. LIIIa ; sc. 15, pl. XIIIb ; sc. 19-20, pl. XXVIIIb ; spire 4, sc. 23, pl. VIIb.
81 Spire 2, sc. 11-12, pl. XLVIIa ; spire 3, sc. 16-17, pl. XXIIa ; sc. 19-20, pl. XXVIIIb.
82 Spire 3, sc. 14, pl. VIIa ; sc. 21, pl. XLVIIb.
83 Spire 2, sc. 11-12, pl. XLVIIa ; spire 3, sc. 13, pl. LIIIa ; sc. 18, pl. XXVIIIb ; sc. 21, pl. XLVIIb.
84 Pour une exposition des différentes « formules d’attention » qui font de Trajan la figure centrale de chaque scène où il apparaît : Settis 1988a, p. 137-143.
85 Pl. XIIIa, XXIIa et XXVIIIa.
86 Pour un tableau des rapports entre les campagnes une, trois et cinq (qui constituent pour Gauer 1977, p. 4145, les « drei große Kampagnen ») : Bode 1992, p. 144.
87 Spire 10, sc. 64, pl. IIIa ; sc. 66-67, pl. XXIVa et XXXIb ; spire 11, sc. 70, pl. IIIa et IXa ; sc. 71, pl. XVIb ; sc. 72, pl. XXIVa et XXXIIIa.
88 Spire 12, sc. 75, pl. XLVIXb, LVa, IIIb, IXa et XVIb.
89 Spire 12, sc. 76-77, pl. XVIb et XXIVb.
90 Settis 1988a, p. 175-187, pour une organisation par« blocs » juxtaposés des scènes 113 à 155.
91 Spire 19, sc. 119, pl. XIb.
92 Spire 19, sc. 120-122, pl. XVIII, XXVIa et XXXVIIa.
93 Spires 21, sc. 142-145, pl. XII, XXIb, XXVIc et XXXVIIb-c. Voir Settis 1988b, et Settis 1988a, p. 219-222.
94 Spire 22, sc. 147, pl. LVIIc.
95 Spire 23, sc. 148-155, pl. XII, XXIb, XXVIc, XXXVIb, XXXVIIc, XLV, XLVIb, LIIb et LVIIc.
96 Vulpe 1964 ; Gauer 1977, p. 43 ; Becatti 1982, p. 556558 ; Koeppel 1991, Kat. 33 ; Bode 1992, p. 128 et 147-152 ; Benett 1997, p. 97.
97 Pline le Jeune, Ep. X, 74 (trad. M. Durry).
98 Spire 5, sc. 31-32, pl. XVa, XXIIb et XXIXb, et pl. LXI pour des détails.
99 Benett 1997, p. 92-93 et p. 248 note 38, relie la scène du passage du fleuve par les Daces à la première campagne et la coupe arbitrairement de l’attaque du fort romain. Ce découpage est contraire à l’organisation des reliefs.
100 Lectures de Cichorius 1896, p. 146-154 (« Passage du fleuve par une bande de Daces » ; « Assaut contre une forteresse romaine ») ; Gauer 1977, p. 43 (« Passage du Danube par les Daces » ; « Attaque d’une fortification romaine (Îscus ?) ») ; Becatti 1982, p. 556 (« traversée du Danube pour une incursion dace en Mésie ») ; Bode 1992, p. 147-148 (« Passage du fleuve par les Daces » ; « siège d’un fort romain sur le limes danubien »).
101 Spires 5-6, sc. 33-35, pl. XLa, XLVIIIa et LIVa. Cichorius 1896, p. 155-164, intitulait cette scène « Embarquement sur un fleuve » ; Gauer 1977, p. 43 : « Départ de Drobetae » ; Becatti 1982, p. 556 : « port de Drobeta » ; Koeppel 1991, p. 162 : « Départ de l’empereur et de troupes romaines depuis le Danube » ; Bode 1992, p. 149 : « Embarquement de Trajan à Drobeta ».
102 Spire 6, sc. 36, pl. LIVa, IIa et VIIIa.
103 Spire 6, sc. 37-38, pl. XVa, XXIIIa et XXIXb.
104 César, B.G. I,7 (trad. M. Rat).
105 Ibid. I, 12-13 (trad. M. Rat).
106 Spires 6-7, sc. 40-41, pl. LIVa, IIa et VIIIa.
107 Spire 6, sc. 40, pl. XLVIIIa. Chapitre Deux à propos de cette image.
108 Spire 7, sc. 42, pl. XXIIIa.
109 Spire 7, sc. 43, pl. XXIIIa.
110 Spire 7, sc. 44, pl. XXXIa.
111 Spire 7, sc. 45, pl. XLb. Pour Gauer 1977, p. 28 et 43, ce sont des « femmes de Mésie qui martyrisent des Daces et Sarmates ». Voir notre Chapitre Deux à propos de cette scène.
112 Spire 7, sc. 46-47, pl. XLb et XLVIIIb.
113 CIL VI, 2075 ; Degrassi 1947, p. 196 (XIX, 105, 5-6) ; Mazzarino 1982, p. 22.
114 Spire 12, sc. 79, pl. XILb.
115 Mazzarino 1982, p. 45-46.
116 Spires 12-13, pl. XLIIb, XLIXb et IIIc.
117 Cichorius 1900, p. 13, a essayé d’identifier les statues de l’arc, de même que Stucchi 1957, La Rocca 1987-1988, et en dernier lieu Koeppel 1992, p. 64, qui ne conclut pas.
118 Se reporter aux notes 165-166 de l’Introduction pour les diverses identifications topographiques des sites représentés. Si Bode 1992, p. 160, identifie Ancône dans la scène 79, les cités des scènes 81 et 86 ne sont pour lui pas reconnaissables (ibid., p. 161-162).
119 Spire 13, sc. 80, pl. IIIc et LVb.
120 Mazzarino 1982, p. 48, y voit deux des quattuoruiri iure dicundo de Ravenne. Pourquoi avoir représenté deux magistrats, et non les quatre ? Il serait plus logique, si on prête à la frise un souci documentaire tel qu’il serait possible d’identifier la cité, que nous ayons affaire aux duumvirs d’une colonie romaine.
121 Bode 1992, p. 161, y voit les decuriones de la cité venus accueillir l’empereur. Consulter également HölscherBaumer-Winkler 1991, p. 272, qui pensent qu’il ne s’agit pas de togati, mais de trabeati.
122 Spire 13, sc. 80, pl. IIIc.
123 Spire 13, sc. 81, pl. IIIc ; spire 13, sc. 83-85, pl. XIXa, XXIVb et XXXIIIb (des soldats figurent dans cette scène, mais ils sont en tunique ; scène 83, des fillettes portent le chignon bas sur la nuque des femmes daces, déjà aperçu dans la scène 30, pl. VIIb) ; sc. 86, pl. XLIIIa et La (même remarque sur l’armée – voir Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 272 – et les fillettes que scène précédente ; des femmes portent le même chignon bas) ; spire 14, sc. 91, pl. XXXIIIb (des togati, dont des enfants, cotoient des femmes et des hommes daces ; les femmes ont le chignon bas des femmes daces. Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 273, identifient là deux groupes, l’un de « griechischrömischen [...] Provinzialen », l’autre de « dakischen Provinzialen »).
124 Spires 13-14, sc. 87, pl. LVb.
125 Spire 14, sc. 89-90, pl. IIIc ou Va, IXb, XIXa.
126 Spire 14, pl. XIXa, XXVa et XXXIIIb.
127 « Voyages et sacrifices » : Settis 1988a, p. 146-150. « Le voyage de l’empereur sur le lieu de la guerre en 105 et les actions secondaires intercalées » : Bode 1992, p. 159.
128 Spire 14, pl. XXXIIIb et XLIIIb. Rossi 1968 y voit l’aménagement d’une route.
129 Identification de Gauer 1977, p. 67 ; et Settis 1988a, p. 144.
130 Spires 14-15, pl. L et LVIa. Comparer : (tours daces) spire 8, sc. 57, pl. LIVb ; spire 17, sc. 111-112, pl. XXXVb ; ou spire 19, sc. 119-120, pl. X et XIb ; et (tours romaines) spire 8, sc. 51, pl. XVb, ou spire 10, sc. 66, pl. XXIVa.
131 Par exemple spire 15-16, sc. 102, pl. Va : une porte à fronton triangulaire cotoie une tour à claire-voie.
132 Spire 10, sc. 67, pl. XLIXa, et spire 11, sc. 70, pl. IXa.
133 Spire 15, sc. 94, pl. IIIc et Va.
134 Spire 15, sc. 95-97, pl. IXb, XIXb (des légionnaires en cuirasse manipulent la dolabra) et XXVa ; et pl. LXIVb.
135 Gauer 1977, p. 69-70, reconnaissait là Longinus et comprenait la direction kinésique inversée du général comme l’indice supplémentaire d’une cassure dans le récit. Bennett 1997, p. 98, identifie un « high-ranking officer » (ci-dessous nos objections). Becatti 1982, p. 565, y voyait Trajan.
136 Spire 15, sc. 98-99, pl. XXXIV, et pl. LXIII. Le pont est représenté, disons, de profil. Le contenu primordial de l’image n’est pas ici l’indication de la rive sur laquelle a lieu le sacrifice, mais le sacrifice inauguratif en lui-même et la silhouette reconnaissable du pont en arrière-plan.
137 Spire 15, sc. 100, pl. XLIIIb et La. Sur cette scène : Hölscher 1999.
138 Bode 1992, p. 162-163, renonce à identifier les sites mais place la scène 91 en Mésie.
139 Gauer 1977, p. 32-36.
140 Pour Bode 1992, p. 163, les scènes 92 et 97 présentant des travaux de déboisement, elles seraient située en Dacie intérieure. Suivraient des scènes d’affrontement avec les Daces dans un « paysage peu clair » (ibid., p. 164). L’auteur conclut à un « soulèvement étendu des Daces en armes au sud-ouest de la Dacie » (ibid., p. 165).
141 Par exemple le siège par Décébale des troupes romaines laissées en 102 à Sarmizegetusa et commandées par Longinus : Dion Cassius LVIII, 12, 1 (d’après Gauer 1977, p. 34-35).
142 Spire 11, pl. LVa.
143 Spire 12, pl. XVIb.
144 Dion Cassius LXVIII, 9 (trad. E. Gros et V. Boissée).
145 Pour les scènes : Face SE, pl. IIIb, spire 11-12, sc. 75 (d’autres soumissions suivent la scène 91 : pl. Vc, spire 18-19, sc. 118-119 ; pl. VI, spire 21-22, sc. 141). Face NE, pl. XIVa, spire 9, sc. 61 ; spire 10, sc. 66. (Et, pour des soumissions postérieures à la scène 91 : Face NO, pl. XXXVIb, spire 20, sc. 138 ; Face SO, pl. LIb, spire 19, sc. 124).
146 Dion Cassius LXVIII, 11 (trad. E. Gros et V. Boissée).
147 Mazzarino 1982, p. 22-23.
148 Ibid., p. 46, estimait que les scènes 79 à 85 montrait la rapidité des préparatifs de Trajan dans le port militaire de Ravenne.
149 Bode 1992, p. 159-165. Cette action s’exprimerait selon lui par la vision du pont d’Apollodore et des contacts diplomatiques de la scène 100, qui permettent la fondation de la province de Dacie (ibid., p. 165). Pour Settis 1988a, p. 148-150, la campagne témoigne de la pietas de Trajan et du consensus universel, élément essentiel au portrait du bon empereur. En dernier lieu, Hölscher 1999.
150 Tacite, Agr. XXI et XXXIII (trad. A. Cordier).
151 Ammien Marcellin XXIV, 3, 8 : ut Traianus fertur aliquotiens iurando dicta consuesse firmare : ‘sic in provinciarum speciem redactas uideam Dacias, sic pontibus Histrum ut Aufidum suprem’, et simila plurima (trad. J. Fontaine). Mazzarino 1982, p. 30 et note 31, qui le premier a rapproché la quatrième campagne de ce serment, le considère comme véridique et pense qu’il fut prononcé entre les deux guerres daciques. Paribeni 1926-1927, p. 192, pense qu’il s’agit d’une invention. Quoi qu’il en soit, elle révèle, comme le delenda Carthago de Caton, un état d’esprit.
152 Bode 1992, p. 128, annonce soixante représentations de l’empereur. Conti 2001, p. 203-204, arrive au même chiffre de cinquante-huit.
153 Spire 16, pl. Lb.
154 Spire 17, pl. XXa.
155 Spire 15, pl. LXIVb.
156 Spire 2, pl. XXIIa ; spire 8, pl. XXIIIb et XXXIa ; spire 16, pl. XIXb.
157 Signe de la pietas erga deos comme l’indique Virgile, Én., III, 402-410. Sur cette identification de Trajan en toge, consulter Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 268 ; plus généralement sur les scènes de sacrifice de la quatrième campagne : ibid., p. 271-277.
158 Absence de Trajan sur les spires vingt-deux et vingt-trois
159 Pline le Jeune, Pan. XVI, 5. L’extrait complet est cité ci-dessus note 36.
160 Panaitescu 1923 : Décébale serait figuré en scènes 24, 75, 93, 135, 143 et 145 ; la scène 147 est celle de la présentation de sa tête – et de sa main – à l’armée. Vulpe 1975 identifie Décébale huit fois sur la frise : scène 24, 75, 93, 135, 139, 144, 145 et 147. Mais il souligne l’absence de réel portrait de Décébale, qui n’est qu’un pileatus parmi d’autres. Gauer 1977, p. 65-67 : Décébale n’est pas en scène 24. Il n’apparaît que plus tard (voir sa bibliographie pour chaque scène) : scènes 75, 76 ( ?), 93, 111 ( ?), 120, 135, 139, 143-144, 145, et 147. Brilliant 1986, p. 99, reconnaît Décébale en scène 75 et (ibid., p. 101) en scène 145. Il dresse cependant un tableau des face à face Trajan-Décébale. Pour cet auteur, la silhouette de Trajan joue un rôle équivalent au nom de César dans le De Bello Gallico, et Décébale la même fonction d’adversaire valeureux – et valorisant – que Vercingétorix. Bode 1992, p. 132-133, reconnaît le roi une fois dans la première guerre (spire 12, sc. 75, pl. XVIb), puis deux fois dans la seconde guerre (spire 14, sc. 93, pl. Lb : debout au pied du fort ; et spire 22, sc. 145, pl. XXXVIIb : scène du suicide).
161 Settis 1988a, p. 129 (spire 4, pl. XXIXa : le buste dans la forêt). Rien ne permet d’affirmer que ce Dace est Décébale. Un buste est disposé, dans des circonstances comparables, dans les arbres de la scène 66 (spire 10, pl. XLIIa) : il tient alors un bouclier, ce qui interdit d’y reconnaître Décébale. L’hypothèse de Salvatore Settis est cependant séduisante, puisque la scène 24 verrait l’alliance des éléments naturels et des Daces représentés par la personne de leur roi.
162 Ibid., p. 144. Il utilise pour cela le contexte et les formules d’attention, car il est impossible de distinguer Décébale des autres pileati.
163 Spire 20-21, pl. Xb et XIc : un concilium ?
164 Spire 21, pl. XLV et XLVIa.
165 Spire 22, sc. 147, pl. VI.
166 Settis 1988a, p. 143. L’auteur cite le passage de Dion Cassius concernant les guerres daciques de Domitien. Lire aussi Settis 1988b, p. 380, sur la mors voluntaria.
167 Dion Cassius LXVII, 6 (trad. E. Gros et V. Boissée).
168 Ibid., LXVIII, 10 (trad. E. Gros et V. Boissée).
169 Voisin 1984, p. 285-292. Bennett 1997, p. 92 et 247 note 36, qui ne connaît pas le bel article de J.-L. Voisin, persiste à voir là l’œuvre d’auxiliaires barbares.
170 Mentionnons cependant un principe rhétorique bien connu depuis César et parfaitement exprimé du vivant de Trajan par Plutarque, Tirer profit de ses ennemis IX : « Quand César fit remettre debout les images honorifiques de Pompée qu’on avait jeté à bas, Cicéron lui dit ‘Tu as relevé les statues de Pompée, mais tu as affermi les tiennes’. Aussi ne faut-il ménager ni un éloge ni un honneur à un ennemi qui a mérité cette réputation ». Il semble cependant que la réputation de Décébale était celle d’un chef de guerre efficace, mais cruel et, surtout, briseur de traité. D’où l’exhibition de sa main droite après sa mort, punition de sa perfidia ? On sait qu’à Rome, se serrer la main droite exprime la concordia.
171 Bode 1992, p. 159 et 163. Belloni 1990, p. 101, admet que la frise « non nega il valore dei daci. Ma si tratta sopratutto di furor barbaricus ». Picard 1992, p. 136-138, réfute avec raison la thèse de R. Bianchi Bandinelli relative à une sympathie du sculpteur pour les Daces. Ce serait en effet un anachronisme culturel que d’y lire une compassion pour les souffrances des vaincus, anachronisme d’autant plus grand que Trajan, sur la colonne, ne paraît pas éprouver un tel sentiment. Par ailleurs, Jean-Louis Voisin prépare un travail sur le suicide à Rome dans lequel il apparaît qu’à l’époque de l’exécution de la frise, ce geste n’est plus paré des vertus que les Romains pouvaient lui reconnaître à l’époque républicaine : le suicide de Décébale pouvait donc être vu comme une lâcheté par les contemporains de Trajan, et non comme un signe de sa grandeur d’âme.
172 La scène 132 présente une adlocutio de Trajan : on trouve un jeu d’adlocutiones antagonistes similaires dans l’Agricola de Tacite, XXX-XXXIV.
173 Belloni 1990, p. 102.
174 Sc. 120-122, pl. XXb et XXVIa ; sc. 140, pl. LIIa.
175 Tacite, Agr. XXXVIII (trad. A. Cordier). Ce texte est plus longuement cité Chapitre Deux note 217.
176 À ce sujet, David 1984, dont p. 172-174.
177 Dans sa discussion de Scheid 1984, p. 191, Pascal Arnaud définit le tyran par cette impiété première qu’est le mépris des foedera, tyran qui « s’expose aux effets d’une guerre scélérate et à la colère des dieux protecteurs, ainsi lésés : itaque dii foederum ultores nec insidiis nec uirtuti hostium defuerunt (Florus I, 46, 6) ».
178 Labrousse 1981.
179 Il figurerait aussi sur une métope d’Adam Klissi (d’après Alexandrescu-Vianu 1979, p. 125) et sur la cuirasse du trophée (ibid., p. 124 figure 2). Florescu 1959, p. 321 ou 385, montre (figures 129 ou 176) le fragment de cette cuirasse : est certes visible un cavalier armé, mais il est difficile de déceler le Barbare à terre que signale Maria Alexandrescu-Vianu... Par contre, il existe de nombreuses métopes qui répètent le schéma « cavalier victorieux sur un Barbare » sans que celui-ci ne se suicide. À propos de Florescu 1959, se reporter à la recension de Picard 1962.
180 Pline le Jeune, Ep. VIII, 4, 1 (trad. A.-M. Guillemin).
181 Voir sur la colonne Trajane les scènes 59 (face E, spire 9, pl. VIIIb) et 65 (face E, spire 10, pl. VIIIb ; face NE, spire 10, pl. XIVb) : les soldats romains creusent le sol pour bâtir un camp.
182 Pline le Jeune, Ep. VIII, 4, 2 (trad. A.-M. Guillemin). L’ensemble des thèmes cités par Pline est si proche des scènes de la colonne qu’il ne peut s’agir d’un hasard.
183 Ibid., VIII, 4, 3 (trad. A.-M. Guillemin).
184 Ibid., VIII, 4, 6-7 (trad. A.-M. Guillemin). Même conseil technique, emprunté à la sculpture, chez Cicéron, De Oratore III, 49, 190 : « Et bien ! dit Crassus, nous arriverons à appliquer ces règles, et par là, à donner à notre phrase un tour parfait, grâce à l’exercice de la parole et à l’habitude d’écrire, qui orne et polit comme à la lime (ornat ac limat) cette partie autant et plus que les autres » (trad. E. Courbaud et H. Bornecque).
185 Sur ce point, existent divers colloques sur la narrativité dans l’art antique : AJA 61, 1957, dont Blanckenhagen 1957 ; Narrative and event in Ancient art 1993 ; et Art and text in roman culture 1996.
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