Introduction
p. 1-37
Texte intégral
Et sur le piédestal apparaît ce message :
« Je suis Ozymandias, roi des rois : fais en sorte O puissant, d’observer mon ouvrage et enrage ! » Rien d’autre ne subsiste. En dehors des vestiges De ce colosse en ruine, illimitée, la page Du désert, lisse et nue, s’étend jusqu’au vertige.
P. B. Shelley, Ozymandias
(traduction Jacques Chambon)
1La colonne Trajane est un monument complexe, difficile à appréhender d’abord dans sa totalité physique : depuis le tore de la base, sculpté en couronne de chêne, jusqu’au chapiteau dorique, le fût est haut d’environ cent pieds romains et porte une frise de bas reliefs1 dont la longueur avoisine deux cents mètres, enroulés en vingt-trois spires autour de la colonne. Mais il est une seconde difficulté, moins évidente peut-être, qui renforce la première. Il est en effet impossible de comprendre la fonction de la colonne et de la frise sans prendre en compte les rapports que la colonne entretenait avec son environnement (fig. 1-2)2. Or, l’isolement spatial dans lequel se dresse la colonne depuis le Haut Moyen Âge3, ainsi que la rareté des sources écrites se rapportant au règne de Trajan en général, et aux guerres daciques en particulier, ne facilitent pas l’entreprise.
2Historiens, historiens de l’art et archéologues ont avancé de multiples reconstitutions du cadre architectural, des étapes d’élaboration de la frise et de son mode de lecture, s’interrogeant par là même sur sa lisibilité. L’objet de cette étude vise à proposer une réponse à cette interrogation, à élaborer une hypothèse de lecture des reliefs qui s’articule avec ce que l’on sait de l’environnement de la colonne et tienne compte des difficultés liées aux caractéristiques de la frise. Aussi, avant d’évoquer la place éminente qu’occupe la colonne Trajane dans l’esprit des historiens de l’art antique – les appréciations émises à son endroit couvrent une large gamme de qualificatifs, de « sommet de l’art romain » à « échec artistique » –, il est nécessaire de présenter, avec autant de précisions que la documentation disponible le permet4, les caractéristiques physiques du monument.
1– LES REALIA
Quelques chiffres
3La colonne Trajane repose sur un massif de travertin5 qui supporte un podium haut de 5,27 m6, auquel s’ajoutent la base, le tore et le listel, soit au total 7,114 m, et les 26,575 m du fût historié7 (fig. 3). En comptant le chapiteau dorique et l’attique qui surmontent le fût, attique qui portait à l’origine une statue en bronze de Trajan, en place jusqu’en 663, date à laquelle elle fut enlevée par Constant II Héraclius8, la hauteur actuelle totale est de 38,37 m9. Le total antique aurait été de 150 pieds romains, soit 44,07 m10. L’ensemble est constitué de blocs de marbre blanc de Luni, Carrare11, huit pour le piédestal et la plinthe, vingt-et-un pour le fût et chapiteau12.
4Le monument possède, on le voit, des dimensions exceptionnelles. Il est vrai qu’il s’inscrit dans un complexe aux dimensions hors normes, dont la reconstitution pose de multiples problèmes. À cette fin, le recours aux règles énoncées par Vitruve est une solution tentante, utilisée par exemple pour restituer l’élévation des bibliothèques adjacentes à la colonne Trajane13. Ce qui permet à l’archéologue J. Packer, auteur de la proposition, de conclure : « [...] bien que vivant un siècle après l’augustéen Vitruve, les constructeurs de la bibliothèque ont donc bien présent à l’esprit ses règles de proportions »14 et d’étendre la permanence à l’ensemble du Forum15. Les écarts constatés entre théorie vitruvienne et réalisation trajanienne seraient pour lui attribuables à la taille de la basilique, la plus grande jamais construite à Rome, et à la personnalité de l’architecte, Apollodore16.
5D’autres archéologues ont souligné le parti-pris de ces propositions17. Il est vrai que la difficulté à faire concorder les données du De Architectura aux réalités archéologiques romaines est réelle18. Les chapiteaux corinthiens du Forum de Trajan forment ainsi deux groupes, l’un aux proportions élancées, l’autre « parfaitement orthodoxe au point de vue vitruvien »19, ce qui relativise l’influence du théoricien romain sur le Forum de Trajan. Quoi qu’il en soit, la colonne Trajane demeure, à l’évidence, hors normes. Lorsque Vitruve réglemente la contractura du diamètre des colonnes selon la hauteur du fût20, il n’envisage qu’une hauteur maximale comprise entre quarante et cinquante pieds. Il est en conséquence vain de chercher l’application de ces règles sur la colonne Trajane.
6Ces limites ne signifient bien sûr pas que l’élaboration de l’ensemble architectural n’est pas passée par une phase théorique. La colonne Trajane étant le premier monument de ce type, la phase préparatoire était indispensable pour harmoniser les proportions de l’ensemble et fournir un cadre aux ouvriers chargés de la réalisation. La colonne en a conservé l’indice. La dimension exacte des dix-neuf blocs qui composent le fût a été récemment publiée21. Ces chiffres, combinés au document présenté par F. Coarelli22 (fig. 3), permettent de dessiner, à l’échelle 1/20e, la silhouette générale de la colonne et les dimensions de dix-sept blocs23. Le schéma, incomplet, permet d’identifier un dispositif prévu par Vitruve : la « correction additive (adiectio) qui s’applique à la partie médiane des colonnes, et que les Grecs appellent entasis »24, correction destinée à assurer à la colonne Trajane une uenusta species, une eurythmia née de l’application des règles modulaires et des corrections optiques25. Les dimensions publiées par
7G. Martines permettent de préciser sa structure. Le diamètre de base du fût est de 3,672 m ; il diminue de 0,047 m jusqu’à la base du neuvième bloc composant le fût, soit une hauteur de 19,204 m (base et podium compris) ; puis l’étrécissement s’accentue jusqu’à atteindre, pour le diamètre du dix-neuvième bloc, le chiffre de 3,1615 m26. L’existence de ce dispositif, sur la colonne Trajane, rend certaine l’étape théorique. Rappelons que le De Architectura décompose le passage de la ratiocinatio à la fabrica en plusieurs étapes théoriques27. La première est l’ordinatio28, qui s’exprime esthétiquement, au niveau théorique et au niveau opératoire, par la symmetria, accord harmonieux des éléments de l’ouvrage. Le résultat est la proportio générale de l’édifice29. Vient ensuite la dispositio, dont le résultat est l’eurythmia : l’harmonie d’ensemble, le rythme de l’œuvre30. Sont mentionnées encore la distributio, l’économie générale d’un projet, et la comspositio, « une exigence de relations harmonieuses des parties entre elles et des parties avec le tout »31. Ces principes ont pour objet l’établissement de qualités esthétiques. Outre l’eurythmia et la symmetria, intervient le decor. Cette notion exige l’adéquation des parties d’un édifice aux valeurs de représentation que le monument doit véhiculer auprès du public – préoccupation qui était à n’en pas douter celle du commanditaire de la colonne Trajane. Enfin, deux éléments complètent cette reconstitution du système modulaire vitruvien : l’adiectio et la detractio, aménagements des relations modulaires théoriques qui compensent certains effets optiques32. L’objectif est d’établir la venustas proportionum et symmetria du projet (selon Vitruve VI, 8, 9) et la venusta species33 qui en résulte (Vitruve, I, 2, 3).
8Cette organisation intellectuelle, qui prévoit, dès la conception, l’effet final obtenu, n’est pas unique à Rome. Elle coïncide par exemple avec les règles de la création rhétorique34. Des séquences comparables existaient en épigraphie35. Le processus de création par étapes constitue donc un mode de réflexion habituel à Rome, répandu dans de multiples domaines36. L’architecture en général, et la colonne Trajane en particulier, n’y échappaient pas, du moins au niveau théorique, et leur conception était sans aucun doute du ressort de l’architecte.
L’architecte
9L’action d’Apollodore de Damas est indéniable durant le règne de Trajan. Divers textes témoignent de l’action du Syrien. Si Dion Cassius lui attribue nommément le Forum de Trajan37, c’est un autre passage qui retiendra d’abord notre attention. Évoquant le pont sur le Danube, véritable prouesse technique à ses yeux, l’historien grec ne cite pas Apollodore, mais son impérial commanditaire :
Trajan construisit un pont de pierre sur l’Ister, pont à propos duquel je ne sais comment exprimer mon admiration pour ce prince. On a bien de lui d’autres ouvrages magnifiques, mais celui-là les surpasse tous. Il se compose de vingt piles, faites de pierres carrées, hautes de cent cinquante pieds, non compris les fondements, et large de soixante. Ces piles, qui sont éloignées de cent soixante-dix pieds l’une de l’autre, sont jointes ensemble par des arches. Comment ne pas admirer la dépense faite pour les établir ? Comment ne pas être étonné de la manière dont chacune d’elles a été construite au milieu d’un grand fleuve, dans une eau pleine de gouffres, sur un sol limoneux, vu qu’il n’y eut pas moyen de détourner le courant ? [...] Ces travaux sont donc une nouvelle preuve de la grandeur d’âme de Trajan ; le pont, néanmoins, ne nous est d’aucune utilité : ce ne sont que des piles dans l’eau, puisqu’on ne peut plus passer dessus, que l’on dirait construites uniquement pour faire voir qu’il n’y a rien dont l’industrie humaine ne sache venir à bout38.
10Dion Cassius est allusif, mais Procope est sans équivoque : le pont sur l’Ister fut un projet commandé par l’empereur dont un technicien militaire, Apollodore, eut la charge :
L’empereur romain Trajan, étant d’un caractère impétueux et actif, paraît avoir été rempli de ressentiment que son royaume ne fut pas illimité, mais bordé par le fleuve Ister. Aussi était-il désireux de le franchir sur un pont afin d’être capable de le traverser et qu’il n’y ait plus d’obstacle à son avance contre les barbares au-delà. Comment il bâtit le pont, je ne serais pas en peine de le raconter, mais je laisse Apollodore de Damas, qui était architekton de l’ensemble, décrire l’opération39.
11Nous apprenons incidemment que l’architecte prit la peine de décrire, dans un texte, la réalisation du pont aux dimensions remarquables. On retrouve cet aspect colossal dans l’anecdote de la statue de Luna rapportée par l’Histoire Auguste40 (« Après avoir consacré au Soleil cette statue qui avait auparavant le visage de Néron, son premier dédicataire, [Hadrien] entreprit, avec l’aide de l’architecte Apollodore, d’en ériger une autre semblable et dédiée à la Lune »), dans les dimensions de la Basilica Ulpia et de la colonne Trajane, enfin dans l’économie du manuel de poliorcétique rédigé par le Syrien41. L’ouvrage, conservé, comporte, ainsi que le genre l’exigeait, des conseils pratiques. C’est son procédé d’exposition qui nous intéresse : partant d’un cas simple, le Syrien propose des versions de plus en plus complexes, avec combinaisons de plusieurs mécanismes de base42. Cette méthode progressive répond aux caractéristiques du Forum de Trajan : l’ensemble utilise, dans chacune de ses parties, des formes connues, mais de par leur taille et leur combinaison, bref leur dispositio, elles forment en définitive un ensemble aux dimensions exceptionnelles, dont l’ordinatio et la compositio ne doivent rien au hasard. La démarche est identique : Apollodore maîtrise la dispositio de ses œuvres, mais l’ampleur et la dimension du Forum supposaient un effort d’énonciation théorique de sa part. L’existence du descriptif écrit, mentionné par Procope, laisse penser que le pont sur le Danube a fait l’objet d’une telle réflexion43. L’architecte devait la considérer comme originale, et l’on peut supposer qu’elle portait sur la proportio de l’œuvre. Pourquoi la proportio44 ? D’abord parce que les architectes hellénistiques étaient coutumiers du fait45, et qu’il en était de même dans un autre domaine, la peinture : une des qualités susceptibles de conférer la célébrité au peintre était la symmetria de ses œuvres. Or, cette qualité est, pour Vitruve, la conséquence de la proportio46.
12Fondamentale, cette qualité restait invisible pour le plus grand nombre. Elle exigeait en conséquence un effort d’explication écrite qui demeurait l’apanage des plus grands. Apollodore l’ayant revendiqué pour le pont, il est probable qu’il s’en est soucié pour le Forum. Il pouvait certes prétendre au titre d’architecte en tant que technicien militaire47, il est plus sûr de penser qu’il entendait assumer la responsabilité de l’harmonie de ses diverses réalisations. Qualité à la fois technique et visuelle, la proportio marquait son talent de concepteur. Du Forum de Trajan au pont sur le Danube, elle était aux yeux de ses contemporains la manifestation incontestable de son talent48.
13Apollodore est bien l’architecte responsable des principaux travaux du règne de Trajan49. Mais si sa participation aux projets trajaniens est certaine, son intervention sur le chantier de la colonne historiée a fait l’objet d’âpres discussions.
2–AUTOUR DU MONUMENT : HISTORIOGRAPHIE
14Le mode de conception et de réalisation de la frise historiée est au centre d’un long débat. Parmi les études sur la colonne Trajane, sa conception et son créateur, mais aussi sur l’art romain en général, celles de Ranuccio Bianchi Bandinelli ont acquis une importance particulière50. Ses conclusions restent parmi les plus belles pages de l’histoire de l’art. Si elles sont aujourd’hui à nuancer, elles ont marqué et marquent encore les études postérieures.
Réflexions théoriques
15L’auteur italien voyait dans la colonne Trajane le début de « l’art romain », par opposition à l’art hellénistique, qu’il arrêtait au règne de Trajan. Il caractérisait cet art romain par une efficacité dans l’expression51 dont l’origine se trouvait dans « l’art plébéien » italique et provincial – autre expression du chercheur italien promise à une longue postérité –, par opposition à un « art aulique » centré sur Rome, et par une préoccupation nouvelle, un « sentiment de pietas humaine » qui n’existait pas dans la tradition hellénistique52. Cherchant alors à identifier le responsable de l’œuvre, R. Bianchi Bandinelli inventa le célèbre « Maestro delle imprese di Traiano »53, à qui il attribua aussi la Grande Frise de Trajan, insérée depuis 313 sur l’arc de Constantin. Il identifia cet artiste à l’architecte du forum de Trajan, Apollodore de Damas54, puis s’interrogea sur les étapes nécessaires à l’élaboration de la colonne historiée. Tout en admettant l’aspect officiel de l’œuvre, il mit en avant la liberté de l’artiste55. Jugeant le « portrait » des Daces sur la frise moins négatif que dans l’œuvre de Dion Cassius56, R. Bianchi Bandinelli en déduisait que le « Maestro » trouvait, dans les scènes consacrées aux vaincus et à leur roi, Décébale, l’occasion d’échapper au programme officiel de la frise – la glorification de l’empereur – et d’exprimer sa liberté artistique57.
16Entre œuvre de commande et création artistique, l’élaboration de la frise selon R. Bianchi Bandinelli confirmait le rôle joué par le « Maestro ». Pensée pour marquer la hauteur de la colline rasée entre Capitole et Quirinal, la colonne serait devenue, « in un secondo momento » et par la présence de la « représentation narrative » qu’est la frise historiée, une œuvre commémorative des guerres daciques. Cette transformation aurait été « suggérée par l’artiste même au prince ». Une fois achevée l’esquisse destinée aux sculpteurs, la décision d’aménager l’escalier dans le fût de la colonne aurait être prise : la preuve en serait que les fenêtres empiètent parfois sur les personnages, ce qui n’est pas le cas sur la colonne de Marc Aurèle58. L’esquisse, ce « modèle précis et détaillé », paraît inévitable non seulement pour expliquer les correspondances des reliefs, mais aussi pour assurer « l’unité stylistique » de l’ensemble59. Elle aurait été réalisée par l’artiste à partir des sources historiques à sa disposition : par exemple les Commentarii de Trajan (R. Bianchi Bandinelli précise : « c’est une hypothèse attrayante ; mais l’on ignore la date de rédaction des Commentarii »)60.
17Dans le détail, ce modèle théorique appelle bien sûr des modifications. La postériorité des fenêtres par rapport aux reliefs est par exemple à écarter61. Mais l’apport de R. Bianchi Bandinelli est ailleurs. De l’analyse ponctuelle de la colonne Trajane, l’auteur tirait une théorie globale de l’art à Rome62, dont le jalon-repère était précisément la frise historiée. Cette dernière marquait pour lui l’irruption dans l’art officiel, à l’époque de Trajan, du courant « plébéien ». Cette perception de la colonne mettait en définitive l’accent sur la frise objet d’art, que R. Bianchi Bandinelli classait « subito dopo » les marbres du Parthénon, l’Apollon du Belvédère et le Laocoon63. Elle était aussi le point de jonction entre les courants aulique et plébéien jusque là autonomes, et le point de rupture chronologique au-delà duquel l’art de Rome devait être considéré non plus comme un rejeton de l’art hellénistique, mais comme un véritable art romain.
18Plusieurs auteurs ont, depuis, réfléchi sur les phases d’élaboration de la colonne Trajane et sur les caractéristiques fondamentales de l’art romain : tant les deux dossiers paraissent inséparables. Les modifications qu’ils ont apporté au modèle de R. Bianchi Bandinelli sont, en elles-mêmes, révélatrices d’évolutions méthodologiques, elles témoignent autant d’une mutation dans la perception de la colonne Trajane que de l’émergence d’une nouvelle conception de l’histoire de l’art. Werner Gauer proposa en 1977 un nouveau modèle64, dans lequel il amplifia le doute émis en 1969 par R. Bianchi Bandinelli quant à l’identité d’Apollodore et du Maestro. Imaginant plusieurs responsables pour la réalisation de la frise, il créa un organisateur de l’image (Bildorganisator) et un Maître de l’esquisse (entwerfende Meister), œuvrant à côté d’Apollodore et encadrant une équipe de sculpteurs. Le processus de création des reliefs devenait ainsi collectif. Apollodore n’était plus l’unique coordinateur et initiateur du projet, et s’affirmait entre autres le rôle de Trajan. L’apparition de l’empereur dans le processus n’est pas sans conséquence. À l’inverse du chercheur italien, W. Gauer s’intéressa, non à l’aspect artistique de la frise65, mais au discours qu’elle véhicule. Le Prince et Apollodore, considéré comme le conseiller organisateur du projet (Organisatorischer Berater), devaient fixer à l’origine le programme des reliefs dans un modèle. Et ce programme, autre point remarquable, était pour W. Gauer organisé selon des axes verticaux66 qui constituaient, avec la répétition et la variation de groupes modèles (Modellgruppen), une solution originale au problème de la lisibilité des reliefs67.
19Au terme de cette réflexion, la colonne Trajane devait, avant tout, être considérée comme le produit d’une commande officielle. La multiplication des personnalités et des étapes réduisait de manière délibérée l’importance de la création artistique, pour insister d’abord sur la réalité de l’atelier, ensuite sur le discours véhiculé par les scènes68. Il paraissait dès lors légitime à W. Gauer d’isoler sur la frise un « programme topographique » et un « programme historique », auquel était associée une courte partie concernant le « programme iconographique », puis un long développement sur le « programme politique »69. La colonne Trajane était considérée à la fois comme un document historique et politique, et l’analyse de W. Gauer insistait moins sur la forme que sur les structures du récit.
20Dans un court mais pertinent article, Vincenzo Farinella aborda à son tour le problème de la lisibilité70. Lui-aussi développe l’étude des alignements verticaux et suppose qu’ils permettaient une lecture de la frise moins narrative qu’interprétative ou « symbolique » de la propagande impériale71. Plus récemment enfin, Salvatore Settis reprit l’idée que la colonne Trajane était avant tout une œuvre de commande dont on devait étudier le programme72. Il a proposé un troisième type de modèle. Ce dernier, qui répond aux attentes de V. Farinella73, est organisé en trois phases74 conçues selon les grands principes rhétoriques vus plus haut :
21phase 1 : le passage par un dessin préparatoire soumis au commanditaire et fondé sur divers documents. Le contenu de la frise étant émis par Trajan à destination de ses contemporains et de la postérité, la colonne Trajane est bien « un manifeste de l’idéologie trajanienne »75 et le rôle du Maestro est d’organiser le discours de manière lisible ;
22phase 2 : une maquette permettant de mettre en place les correspondances verticales. Cette phase suppose deux opérations : la contraction de plusieurs scènes en une ; et l’expansion appropriée d’une scène unique, le but étant pour les sculpteurs, dans les deux cas, d’aménager les alignements verticaux ;
23phase 3 : exécution des reliefs par les sculpteurs76.
24Par le postulat du dessin préparatoire, est éliminée la liberté de l’artiste chère à R. Bianchi Bandinelli, au profit d’une obéissance, plus normale dans le monde romain, de l’artiste au commanditaire. Car S. Settis comme W. Gauer considèrent, à juste titre, le programme comme le point central du projet, et ils définissent ainsi l’objectif visé : la lisibilité du message.
25Ce point posé, S. Settis développe alors le second volet de sa réflexion : un autre type de modélisation, qui porte sur les mécanismes prévus, dès la création du programme, pour la lecture des reliefs77. Cette lecture est conditionnée par les structures visuelles, les thèmes et schèmes qui organisent la frise, les « formules d’attention » qui soulignent la silhouette de Trajan et de Décébale, bref l’ensemble des règles qui ont présidé à la composition des reliefs78. Le mode de lecture est en conséquence induit par les structures mises en place par le Maestro (Mécanismes de contrôle) et par le contexte général de l’œuvre (Présupposés). Il doit s’opérer du côté de l’observateur par sélection de champs visuels successifs (étapes 1 à 6 du modèle de S. Settis). L’interprétation synthétique des excerpta ainsi créés est fonction des « critères interprétatifs suggérés par le commanditaire et adaptés par le Maestro en articulation du récit »79. En définitive, S. Settis conclut que l’observateur ne peut lire les reliefs autrement que dans le sens prévu par Trajan et son relais, le Maestro.
26Cette position ne va pas de soi80. Dès lors que l’on insiste sur le programme de la frise, se pose, avec acuité, le problème de sa lisibilité. Les positions de Paul Veyne ont donné à ce débat un dynamisme nouveau81. S’attaquant à ce qu’il considère comme un contresens historique et anthropologique82, il explique le soin apporté, sur la frise, aux détails, en arguant à nouveau du libre choix de l’artiste, lequel « travaille pour un spectateur idéal » proche du lecteur idéal de la sémiotique83. Ce retour à la liberté de l’artiste pose pour l’auteur le problème plus général de « l’œuvre d’art sans spectateur », dont le personnage clé reste l’artiste et non le commanditaire84. La conséquence logique de cette perception « artistique » est la remise en cause du modèle de lecture brossé par S. Settis. La réaction de P. Veyne porte donc sur les deux volets des travaux concernant la colonne Trajane : les structures internes de la frise, liées à l’organisation d’un programme ; le mode de lecture, qui serait inexistant. Selon Paul Veyne, le premier volet demeure légitime si l’on s’abstient de proclamer qu’il s’agit de « propagande impériale ». La colonne Trajane est, par sa hauteur, expression de la grandeur de Trajan, mais elle « n’est pas de la propagande parce qu’elle ne daigne même pas convaincre »85. Par contre, le second volet – la lecture des reliefs – demeure pour P. Veyne une impossibilité et un anachronisme, puisqu’aucun Romain n’a jamais pu la mener à bien. Le refus du programme et des mécanismes de lecture se justifie aussi par le fait que le lecteur pouvait faire preuve de liberté et comprendre « à sa manière le message ou l’expression qui lui tombe sous les yeux »86. Dès lors, avancer que la lecture de la frise pouvait être contrôlée par des dispositifs introduits au moment de la création lui paraît, pour les sociétés antiques, un non-sens.
27Ce dernier point est, en regard des principes rappelés plus haut, contestable. D’abord parce que les théoriciens romains de l’architecture ou de la rhétorique considéraient nécessaires, pour maîtriser l’effet final d’une œuvre sur un spectateur ou un auditeur, la décomposition du processus créatif en étapes préalables87 que l’on peut encore nommer, d’après l’auteur anonyme de l’Ad Herrenium : inventio, dispositio et elocutio88. Ensuite parce que la longue étude structurelle menée par S. Settis89 et sa réponse aux arguments de P. Veyne, amènent à conclure que la frise, destinée à être lue, était bien organisée en ce sens90. Même dans le cas – improbable – où la colonne Trajane aurait été réalisée par des artistes indifférents à la lisibilité de leur œuvre, ou à la demande d’un commanditaire insensible à ce problème, elle demeure, quoi qu’il advienne, un monument de l’art officiel91, dont le contenu est digne d’attention. Supposer que Trajan ne s’occupait ni de la réalisation de la frise, ni de son contenu, est possible mais guère envisageable. Cela ne signifie nullement le problème de la lisibilité résolu ; simplement et en accord avec P. Veyne, il conviendra d’éviter le terme de « propagande », anachronique, et de s’interroger sur la réussite, ou l’échec, des dispositifs visuels prévus : telle est la question centrale. Nous y reviendrons.
28Signalons d’abord que Gilbert-Charles Picard est intervenu dans le débat, dans l’espoir de concilier les positions. La totale illisibilité, supposée par P. Veyne et réfutée par S. Settis au profit de la visibilité des seules six premières spires, est remplacée par G.Ch. Picard par une lecture indirecte, sur des volumina illustrés conservés dans les bibliothèques92. Nous ne croyons pas « le problème de la lisibilité de la frise [...] résolu »93 par ces propositions. Un des objectifs de ce travail sera justement de formuler des propositions nouvelles, en tenant compte des aspects techniques du monument et de sa frise94. Mentionnons encore les propositions de Amanda Claridge et Mark Wilson Jones. La différence, supposée, de qualité entre la frise et l’architecture de la colonne, a conduit ces deux auteurs, principalement Amanda Claridge, à attribuer à Hadrien la réalisation de la frise95. Cette opinion s’appuie essentiellement sur l’absence de références aux reliefs dans l’inscription de la base96 ; ajoutons qu’elle trouve peut-être aussi son origine dans l’exemple de la colonne de Marc Aurèle, achevée par Commode. La vraisemblance ne va pas dans ce sens, d’abord parce que l’argumentation d’A. Claridge s’appuie sur le silence d’une source. Or, rappelons que, par la grâce d’historiens consciencieux, a été conservé le souvenir de la rénovation du Panthéon par Hadrien alors même que l’inscription ne la mentionne pas, tout comme la rénovation du Forum de César par Trajan a survécu à l’oubli sans qu’une dédicace n’en témoigne. L’hypothèse d’A. Claridge n’est bien sûr pas, dans l’absolu, impossible97. Cependant l’attribution à Hadrien des reliefs de la frise poserait le problème de leur style : jusqu’ici, aucun relief historique n’a été attribué par les historiens de l’art au successeur de Trajan. Un autre argument, technique, existe : les cannelures du sommet de la colonne Trajane ont la même profondeur (35-40 mm) que la frise sculptée98, ce qui indique une réalisation contemporaine, et non postérieure ; or le chapiteau était forcément en place en 113, année de l’inauguration de la colonne. Enfin (ultime argument), des monnaies de l’époque trajanienne montrent la colonne Trajane portant, déjà, la spire hélicoïdale enroulée autour du fût99. Si les reliefs n’y figurent pas, c’est, croyons-nous, en raison des habituelles simplifications stylistiques inhérentes à la frappe monétaire, non parce que leur modèle réel n’en portait pas100.
Observations techniques
29Au terme de l’étude des seize premières spires de la frise, Peter Rockwell a avancé diverses propositions quant à l’organisation du chantier de la frise historiée101. Nous les citons brièvement :
- la frise aurait été ciselée lorsque les fûts étaient en place, depuis la base jusqu’au sommet ;
- le dessin et l’exécution des reliefs auraient été séparés de l’exécution architectonique. Cette dernière serait caractérisée par une exactitude et un soin scrupuleux. Par contre, de nombreux éléments, par exemple la variation de hauteur des spires et des figures (fig. 4)102, prouveraient l’absence d’un dessin de contrôle soigné pour la frise103. Le meilleur exemple en serait les deux dernières spires, qui voient leur dimension augmenter de manière considérable, « montrant que les sculpteurs réalisèrent soudain qu’ils avaient plus d’espace qu’ils n’en avaient besoin »104 ;
- outre les marmorarii s’occupant du gros œuvre, des équipes se seraient donc partagées la réalisation des reliefs105 : l’une s’occupant des personnages, l’autre du fond sur lequel ils se détachent, une troisième s’intéressant aux détails de finition. Les discordances relevées prouvent, selon P. Rockwell, le manque de coordination et l’absence de dessins de référence, sauf pour quelques scènes où l’effort de composition est indiscutable.
30À la réflexion, certaines de ces propositions semblent excessives. Si la découpe de la frise en panneaux de 80 à 150 centimètres, correspondant à des journées de travail, est pertinente, l’absence totale de coordination entre les équipes106 est difficile à admettre. Que le travail par équipes indépendantes soit parfois à l’origine d’un manque de coordination n’est pas unique et ne suffit pas pour remettre en question la présence d’un architecte régulateur et, plus prosaïquement, d’un projet théorique que lapidarii et sculptores s’efforcent de suivre107. Il est vrai que les variations de hauteur des personnages et des spires ne s’expliquent effectivement pas, a priori, par une volonté de compenser la situation sur le fût de la colonne. Aucune constante ne se dégage de la fig. 4, la hauteur d’une même spire varie d’une face à l’autre, et seules les deux dernières spires connaissent une augmentation sensible108. À cela, on peut opposer divers arguments.
31En premier lieu, comparer les variations de hauteur des spires à l’exactitude des écarts entre deux fenêtres, et en déduire que l’équipe chargée des fenêtres était plus respectueuse du projet préalable que celles chargées de la frise, est discutable. Les contraintes liées à la réalisation d’une frise historiée ne sont pas identiques à celles impliquées par l’aménagement de simples ouvertures. Or on sait, d’ailleurs grâce à Peter Rockwell, que la réalisation des scènes a été concomitante de celle des fenêtres109. Rien n’empêchait donc, en l’absence d’un projet préalable, de décaler une scène pour que l’ouverture soit moins gênante. L’absence d’un tel dispositif m’amène à la conclusion inverse de celle de Peter Rockwell, à savoir que l’alignement vertical des scènes était, au moment du percement des fenêtres, fixé dans un projet immuable, car considéré comme primordial110. De surcroît, en l’absence d’un schéma préalable, rien n’empêchait les sculpteurs, au lieu d’élargir les deux dernières spires, d’allonger certaines scènes, comme ils l’ont fait pour ménager des alignements verticaux prévus111, ou encore d’ajouter des scènes. Si tel n’a pas été le cas, c’est que telle n’était pas la volonté du commanditaire et que telle n’est peut-être pas la raison de cet accroissement112.
32Les variations de hauteur de spires peuvent ensuite être reliées au découpage en journées de travail. La surface allouée à chaque sculpteur serait un carré d’environ 80 à 150 centimètres, mais ne devait pas avoir de caractère géométrique précis. Les écarts de réalisation ne permettent donc pas de préjuger de l’existence ou de l’absence d’un modèle précis, qu’il soit dessiné ou coté.
33Le manque d’organisation apparent du chantier de la colonne Trajane n’est, en définitive, pas supérieur à ce que les éléments architecturaux du Forum ou la réalisation des ornamenta laissent présager113. La « liberté des sculpteurs »114, évoquée par certains, n’est, au vu des realia, que l’expression des pratiques normales de l’architecture antique où la technique, la fabrica, l’emporte finalement sur la ratiocinatio, quelle que soit la précision de cette dernière115.
34Cette méthode de travail est précisément celle utilisée par l’auteur du manuel de poliorcétique attribué à Apollodore et destiné à Trajan116. L’architecte militaire décrit ainsi les outils techniques qu’il a prévu pour permettre la reproduction des machines de guerre :
Aussi, ayant construit divers modèles utiles à l’art des sièges, je t’en ai adressé les dessins117 ; pour tous, j’ai envoyé quelques mots d’explication, et je t’ai envoyé un de mes aides, à qui j’ai tout montré, et devant lequel j’ai travaillé, de telle manière qu’il pourra, chaque fois que besoin en sera, construire d’après mes modèles118.
35Un tel processus a de grandes chances de refléter la pratique sur le chantier trajanien, il est en tout cas en accord avec la distinction ratiocinatio / fabrica, puisque le concepteur des dispositifs techniques du manuel n’est pas celui qui réalise : ce dernier est un de ses assistants, qui obéit aux intructions de l’architecte responsable du projet théorique.
36Pour la frise historiée, le projet préalable pouvait émaner d’Apollodore. Pour ce que nous en savons et en l’absence de nouveaux témoignages, il pouvait tout autant émaner d’un spécialiste de la sculpture, un conseiller ou un aide du Syrien chargé de surveiller la réalisation des ornamenta, conformément au projet approuvé par l’architecte et le commanditaire119. Là est l’essentiel : la proportio et l’harmonie du decor, lequel véhiculait le « système de valeurs » choisi par le commanditaire (pour reprendre l’expression de P. Zanker120), étaient dans les deux cas préservées121. Insistons sur ce point : le discours de l’ensemble, son contenu, demeurait conforme au projet commandé par Trajan et ses conseillers.
37Un texte permet d’avoir quelque idée sur le fonctionnement de ce cercle impérial. Relatant les circonstances de la condamnation du Syrien sous le règne d’Hadrien, Dion Cassius évoque le processus par lequel, pour un édifice officiel, étaient réparties les responsabilités. « Mais en réalité parce qu’un jour que Trajan lui donnait des instructions pour ses travaux, Apollodore avait répondu à une observations déplacée d’Hadrien : ‘Vat-en peindre tes citrouilles ; car pour ceci, tu n’y entends rien’ [...] »122. Trajan contrôle donc le projet, mais il consulte son architectus et si Hadrien, membre du consilium, intervient dans la discussion, le dernier mot revient à l’architecte. Quelle que soit l’historicité de l’événement, Dion Cassius obéit à une division des responsabilités qui devait être familière à ses lecteurs. Le projet est placé sous la responsabilité du redemptor qui ne peut être que Trajan ou, si l’on s’inspire des pratiques hellénistiques123, du Princeps et de son consilium, avec sans doute une influence du Sénat124. Ce qui correspond aux modèles élaborés par Werner Gauer et Salvatore Settis.
38Quelques années plus tard, la démarche d’Hadrien envoyant à Apollodore les plans du temple de Vénus et de Rome, par lui dessiné, confirme en contrepoint les prétentions architecturales du successeur de Trajan. La réponse du Syrien scella son destin125, mais elle est précieuse.
Apollodore répondit que le temple aurait dû être construit sur une hauteur et l’emplacement creusé en-dessous, afin de le mettre par cette élévation mieux en vue sur la Voie Sacrée [...]. Quant aux statues, qu’elles étaient trop grandes pour les proportions de l’édifice126.
39En quelques phrases, Apollodore – ou Dion Cassius – s’avise d’abord des proportions du bâtiment et de la réussite des dispositifs visant à assurer une vision valorisante de la façade, puis s’intéresse à l’harmonie entre ces dimensions architecturales et les éléments statuaires. Soit un champ d’action qui couvre la totalité des charges d’un architectus. Les critiques du Syrien portent sur deux aspects : des remarques techniques, recoupant la venusta species et la disposition architectonique ; puis des remarques sur les statues de la cella et leur adéquation à l’architecture. Par les bribes de textes qui ont échappé au naufrage, et quand bien même le portrait serait en grande partie imaginaire (ou générique des responsabilités revendiquées par un architectus romain), Apollodore est présenté comme assumant, parfois avec jalousie mais toujours avec conscience, les prérogatives théoriques de sa spécialité.
40Dans le cas de la colonne Trajane, Gilbert-Charles Picard a avancé un argument stylistique afin de trancher le problème du concepteur. Il proposa d’accorder à Apollodore l’exécution de la Grande Frise de Trajan, que Sandro Stucchi place à l’origine dans l’immédiate proximité de la colonne127, et d’attribuer à un autre les reliefs de la colonne. À ses yeux, la Grande Frise, qui doit davantage à l’art hellénistique que la frise de la colonne, révèlerait, elle et elle seule, l’influence du Syrien128. Certes, rien n’empêchait Trajan de choisir, pour la Grande Frise, un homme qui, par sa culture, était à même de créer une image « hellénistique », et un second maître d’œuvre pour développer les reliefs de la colonne Trajane, de « style romain »129. Mais les deux monuments demeurent de style trajanien. L’hellénisme de la Grande Frise n’est pas tel que l’on puisse l’attribuer à Hadrien ou, malgré quelques tentatives, à Domitien. De surcroît, nous avons vu que les historiens de l’art romain relativisaient aujourd’hui les ruptures stylistiques. On peut donc supposer qu’Apollodore était capable de s’adapter aux vœux du commanditaire et que Trajan, par souci de cohérence entre la frise et les thèmes développés sur le Forum, avait laissé l’ensemble sous la responsabilité d’un seul homme. Cette seconde hypothèse est d’ailleurs introduite par Gilbert-Charles Picard. En effet, il accorde au Syrien, pour les choix urbanistiques et architecturaux dont témoigne le Forum de Trajan, des compétences fort proches de celles que l’on peut accorder au concepteur des deux frises du complexe trajanien :
Trajan trouve l’architecte qui, par sa formation et ses qualités propres de technicien et d’artiste, assimile les divers éléments en une œuvre unifiée formant le type architectural dont l’esprit et les structures vont se répandre à travers l’Empire. [...] A côté d’une survie des ateliers flaviens, on constate un retour aux modèles augustéens ; aucun influence anatolienne ou orientale n’est discernable130.
41Quelle que soit l’analyse, l’absence supposée (ou l’intégration harmonieuse) d’hellénismes dans l’architecture et l’urbanisme n’empêche pas G.-Ch. Picard d’accorder à Apollodore la responsabilité du projet. La même absence supposée, sur la frise de la colonne Trajane, ne saurait en conséquence être un argument probant131 : seule l’interprétation hellénistique de la Grande Frise, qui lui sert de contrepoint, est en cause. Nous ne lui accordons pas la valeur ethnique que lui confère G.-Ch. Picard, qui sollicite le style pour l’attribuer à l’architecte syrien. D’autres contraintes entrent en jeu, par exemple la taille de la Grande Frise, haute de dix pieds132. Le choix d’images allégoriques sur la Grande Frise, par opposition aux reliefs à connotation historique de la colonne, est certes délibéré ; en déduire la distinction art hellénistique / art romain, et sa cause à l’origine syrienne d’Apollodore, n’est pas convaincant, ou bien demanderait une démonstration plus argumentée133 : en son absence, nous l’écarterons, au profit d’une conception unitaire des deux ensembles.
42En définitive et malgré le peu que l’on connaît de sa biographie – à la fois architecte héritier des traditions hellénistiques et ingénieur militaire formé dans l’armée romaine –, la personnalité d’Apollodore paraît exceptionnelle. Qu’il ait eu en charge, en sus du Forum, la frise de la colonne semble possible, tout autant cependant que l’hypothèse d’un collaborateur chargé de la coordination des reliefs134. En regard de l’organisation habituelle – si tant est que l’expression soit signifiante – d’un chantier romain, la délégation de responsabilité à un ou plusieurs collaborateurs spécialistes de la sculpture est dans l’ordre des habitudes et n’implique pas dilution du contrôle. Le projet déterminé à l’avance comporterait ainsi des indications précises, dans lesquelles les différences de style pouvaient jouer un rôle, mais dont le contenu était fixé à l’avance et respecté de manière satisfaisante, sous le contrôle du commanditaire.
43Un autre argument, d’ordre plus technique, peut renforcer la vraisemblance d’un projet émanant d’Apollodore. Le marbre dans lequel la colonne fut taillée provient des carrières de Luni, dont certains sites furent mis en activité en 104, sans doute pour répondre à une augmentation des commandes officielles135. Obtenir les blocs de marbre nécessaires à la colonne Trajane, aux dimensions hors du commun, exigeait une description précise, chiffrée et conforme à cette exceptionnelle commande impériale. Chaque bloc pesait entre 25 et 60 tonnes, soit deux fois le poids moyen levé à l’époque (entre 25 et 27 tonnes)136. Une fois les cubes de marbre obtenus, restait à préparer le fût et à creuser l’escalier intérieur. Ce dernier a sans doute été ménagé sur le lieu d’extraction, à Luni. Cette solution offrait des avantages non négligeables pour le transport, comme on peut l’imaginer : la diminution du poids serait de l’ordre d’un tiers137. Ensuite eurent lieu, sur le Forum, la finition des surfaces inférieure et supérieure des blocs, le montage et le scellement des blocs par quatre joints de plomb138. Le mode d’assemblage, par l’alternance pragmatique du sens du marbre, montre la volonté d’appliquer des lois de compensation naturelle aux structures du fût139, donc l’influence de spécialistes de l’ars marmoraria sur le chantier romain jusqu’au moment de la mise en place du fût. Quelle que soit l’option choisie, ce furent des marmorarii qui s’appliquèrent à réaliser, selon des techniques qui leur étaient propres, la commande inhabituelle consistant à aménager un escalier de 0,70 m de largeur dans le fût d’une colonne de cent pieds de hauteur. Le creusement de l’escalier interne demandait en effet deux types de compétence : une compétence pratique, dite de la caesura, dérivée de la tranchée creusée par les marmorarii dans un filon de roc pour en découper des blocs140 ; et une compétence théorique, issue de la géométrie et de la mécanique, dont le but serait précisément la symmetria141. Cette notion, familière à l’architecture comme à la mécanique, place les structures architectoniques de la colonne Trajane entre pratique des marmorarii et science mécanique, compromis habituel sur le Forum de Trajan. Les compétences à la fois techniques, mécaniques – par le manuel de poliorcétique – et théoriques d’Apollodore, le désignent comme le maître d’œuvre possible de l’escalier interne, sans certitude bien sûr142. Cependant, répétons-le : que sa responsabilité soit directe ou exercée par un intermédiaire, n’altère en rien la cohérence globale du projet.
44L’escalier terminé143, la surface extérieure de la colonne fut lissée et galbée selon la courbe de l’entasis. C’est sur ce support achevé que les reliefs furent sculptés. Admettre, à ce moment du projet, qu’Apollodore et Trajan jouaient un rôle majeur dans la phase de conception, n’entraîne pas qu’ils intervenaient continuellement dans la phase de disposition puis de réalisation. Par contre, les ouvriers chargés de concilier projet et réalisations étaient, eux, tenus d’exécuter une commande. Commande équivalant programme pour le commanditaire, en l’occurrence Trajan, c’est la recherche du « contenu » idéologique de la frise qui s’est imposée ces dernières années, à la suite d’autres approches, plus « historiques ».
3–AUTOUR DE LA FRISE : HISTORIOGRAPHIE
45L’observation continue des deux cents mètres de reliefs est la première à avoir été envisagée, comme le mode d’édition en témoigne. La frise fut ainsi reproduite à l’aide de dessins par Salomon Reinach (118 dessins144), de planches photographiques d’après moulages145 par Conrad Cichorius et Karl Lehmann-Hartleben (155 scènes, ce qui est devenu le découpage usuel146), enfin de photographies prises sur les reliefs originaux147. Dans tous les cas et très normalement, les reliefs furent ordonnés devant le lecteur en une succession de panneaux insistant sur la continuité des événements.
46La cohérence interne des cent cinquante-cinq « scènes » identifiées s’appuie sur l’unité
47thématique accordée à telle ou telle partie des reliefs, unité qui demeure toujours discutable148. Dans un autre domaine, l’étude des Annales de Tacite, Olivier Devillers s’interroge sur l’organisation du récit historique par « épisodes » et « regroupement », et il donne cette définition de « thème » :
En somme, au sein de la première subdivision des Annales, on perçoit une idée-centrale, a) dont la mise en évidence est « voulue » par l’auteur, b) qui est « orientée », dans la mesure où elle véhicule un jugement, c) qui « unit » des faits, dont la relation n’est pas à première vue évidente. Ce sont de telles idées-centrales – mises en évidence par l’auteur, orientées et facteurs d’unité – que, dans la suite de ce travail, j’appellerai « thèmes »149.
48Cette définition est conforme au sens que nous accorderons au terme « scène » sur la colonne Trajane.
49Si la répartition en scènes induit un certain regard sur le monument, il n’en conditionne pas à proprement parler l’interprétation. Nous en voulons pour preuve l’attitude des deux grands précurseurs de notre étude. Conrad Cichorius transforma les cent cinquante-cinq scènes en histoire, réorganisant l’iconographie en une succession ininterrompue d’événements ; en s’appuyant sur le même découpage, Karl Lehmann-Hartleben développa une étude stylistique150. Les travaux récents de Salvatore Settis et Filippo Coarelli, qui s’appuient également sur un relevé continu, ne sont pas davantage centrés sur des problèmes de chronologie.
50Deux attitudes majeures se font jour. Pour la plupart des observateurs, la longueur exceptionnelle de la frise et son contenu caractérisent à ce point l’œuvre qu’elle en vient à définir l’art romain, perçu comme historique et réaliste. D’autres travaux, plus récents, ont cherché à dégager de la frise une trame, un contenu non pas historique mais épidictique, exemplaire si l’on préfère, qui mettrait en exergue les qualités de Trajan et de l’armée romaine. Cette vision passe par une nouvelle présentation des reliefs, insistant sur les reprises verticales ménagées sur le fût et sur une vision non pas continue, mais transversale des événements. Dans cette optique (au sens propre et au sens allégorique), nous avons opté pour une restitution intégrale de la frise par faces verticales, afin de donner au lecteur la possibilité de juger par lui-même d’éléments primordiaux pour la compréhension et le fonctionnement de l’œuvre (pl. I à LVII, et fig. 6)151. Il est cependant possible de se reporter aux dessins de Salomon Reinach (fig. 5) pour situer la scène dans son environnement spiral.
51Avant tout, nous souhaitons proposer un bref tableau bibliographique des deux tendances majeures regroupant les études des reliefs de la colonne Trajane.
La clé historique
52L’œuvre fondamentale demeure celle de Conrad Cichorius. Elle possède une structure rigoureuse. Pour chaque scène identifiée, l’auteur justifie son découpage par une description minutieuse, qu’il commente ensuite. Ce commentaire est parfois appuyé par des cartes152, des croquis153 ou des photographies de sites154 qu’il pense localiser et identifier d’après les reliefs de la colonne Trajane. L’objectif de ce travail méticuleux était de retrouver la réalité des opérations militaires en Dacie, en détaillant la géographie des scènes figurées et en la confrontant à des relevés topographiques et des paysages contemporains. Cette méthode permit à l’auteur de dresser une carte des mouvements romains en Dacie, de reconstituer la chronologie événementielle et la stratégie de Trajan. Le savant allemand s’appuyait dans ce but sur les textes de l’Antiquité (principalement Dion Cassius, mais aussi l’unique fragment du Dacica de Trajan : inde Berzobim, deinde Aizim processimus155) et envisageait la colonne Trajane comme un palliatif au naufrage des œuvres littéraires. L’image reflet de la réalité historique, décomposée et présentée de manière descriptive, donc fidèle : tel était le postulat méthodologique de Conrad Cichorius, fruit, bien entendu, de son temps. À une époque où l’archéologie, jeune science, existait déjà156 mais n’occupait pas le terrain comme elle le fait aujourd’hui, la tentative de Conrad Cichorius constituait un effort remarquable pour renouveler et enrichir une documentation littéraire défaillante. Le premier apport, indiscutable dans son principe, est la structuration de la frise par le découpage et la description qui l’accompagne157. Le second point saillant est le recours à des documents littéraires et topographiques pour justifier l’interprétation des reliefs. Cette démarche attribue au monument, de manière implicite, une valeur documentaire et historique telle qu’un observateur attentif est susceptible d’identifier, à partir des reliefs, le champ de bataille, les unités romaines engagées et leurs officiers, et bien sûr quelques scènes clés rapportées par Dion Cassius, telles la capture de la sœur de Décébale ou les conditions du traité imposé par Trajan au roi dace en 102158.
53L’impact de l’étude fut considérable. Après Eugen Petersen159, H. Stuart-Jones admit la nécessité « archéologique » de confronter reliefs antiques et topographie de la Roumanie160. Cela ne l’empêcha pas de discuter certains arguments de Conrad Cichorius et Eugen Petersen, et de présenter sa propre carte de l’itinéraire de Trajan en 105, différente de celle de C. Cichorius161...
54S’inspirant d’un autre dossier esquissé par Conrad Cichorius, plusieurs chercheurs ont examiné de près les enseignes militaires et les boucliers romains afin de reconnaître les unités figurées sur la frise162. D’autres études ponctuelles s’intéressèrent à divers aspects documentaires de la frise163. Enfin, cas où l’archéologie a fourni un exceptionnel document de comparaison, la stèle funéraire de Tiberius Claudius Maximus, étudiée par Michael Speidel, montre la capture de Décébale, à comparer avec la scène 145 de la colonne (pl. XXXVIIc)164.
55La reconnaissance des sites et des itinéraires de l’armée romaine en Dacie demeura longtemps un dossier volumineux de la recherche165. Le dernier représentant de ce courant est Julian Bennett. Dans sa longue synthèse du règne de Trajan, il s’essaie à son tour à reconstituer l’itinéraire de l’empereur : l’ensemble aboutit à une nouvelle, et invérifiable, carte de l’invasion de la Dacie166. On peut résumer la vision de ces chercheurs par un certain optimisme :
il nous suffirait d’être moins ignorants de la geste de Trajan et de l’aspect des pays traversés pour être capables de reconnaître tel point stratégique où l’enceinte accoutumée se double d’une préfortification [...], se raccorde à d’autres murailles [...], telles séries de murs parallèles [...]167.
56Cette impression était peut-être déjà celle produite sur les spectateurs romains de la frise. Le mélange de réalisme et de « fiction impressionniste »168 reconnu sur la colonne Trajane est typique de l’approche historique, qui exploite le réalisme documentaire de la frise tout en soulignant ses limites.
57Des remarques ont été formulées, dès le début du xxe siècle, à l’encontre de cette école.
58H. Stuart-Jones amorça une double critique de la méthode « archéologique » de Conrad Cichorius, sans la pousser cependant. L’effort du savant allemand constituait la première approche véritablement scientifique à l’adresse de ce monument169, il était donc difficile de ne pas être séduit, de manière objective, par les avancées considérables que la science venait de réussir. La première critique de H. Stuart Jones posait cependant le problème de l’adéquation entre les sources littéraires sollicitées et les reliefs de la colonne Trajane170. La seconde s’appuyait sur la mise en série interne des reliefs. Observant que la colonne Trajane montrait le passage des Romains en Dacie sur un double pont de navires (pl. Ia, sc. 4), Conrad Cichorius et Eugen Petersen avaient interprété l’image comme l’indication historique de deux armées passant le fleuve en deux points géographiques différents. Pour écarter cette hypothèse, H. Stuart-Jones décrit une autre scène de la frise (pl. LVIb, sc. 106110), dans laquelle le rendu de l’espace indique de manière indubitable l’existence de deux colonnes militaires. Il en conclut que l’intention du sculpteur dans la scène inaugurale du passage du fleuve n’était pas de distinguer deux points d’entrée en Dacie, mais deux files de soldats171. Quelle que soit la véracité de sa conclusion, sa critique reposait, pour la première fois, sur l’examen comparatif des reliefs, lequel permettait d’écarter, en se basant sur la logique interne de la frise, des interprétations jugées excessives.
59Cette méthode fut développée par Werner Gauer, et ce bien que son optique demeurât proche de celle de Conrad Cichorius. Il s’agit du « programme topographique » du monument, déjà évoqué172. Le caractère systématique de cette tentative a été critiqué par Gerhard Koeppel173 et Salvatore Settis174. Leurs analyses, et celles de Reinhard Bode, privilégient l’étude des valeurs à celle des événements175.
60En définitive, il existe une autre méthode d’approche des reliefs, tout aussi ancienne que celle des « historiens ». Karl Lehmann-Hartleben avait, le premier, porté une attention particulière à la reprise de formules visuelles. Ses planches A à K répertoriaient diverses attitudes des personnages de la frise et mettaient en évidence le caractère répétitif des scènes, construites sur des schémas de composition stéréotypés. De même s’était-il intéressé à la représentation de l’architecture et du paysage. Les documents dont il émaille son commentaire replaçaient la frise dans une tradition iconographique dont la précision topographique n’est pas forcément la préoccupation principale176. Enfin, il développait les rapprochements thématiques et iconographiques, identifiant certains topoi traditionnels de l’art romain par la mise en série avec d’autres reliefs ou le monnayage (adlocutio, sacrifices, travaux, ambassades et soumissions, marches et voyages, bataille). C’est en cela que son œuvre marquait une rupture avec les approches antérieures.
La clé rhétorique
61À la suite de Karl Lehmann-Hartleben, des historiens de l’art antique se sont efforcés de relier non plus documents littéraires et iconographie, mais reliefs trajaniens et iconographie antique, ceci afin de dégager les constantes de représentation et de contenu de l’art romain. Per Gustav Hamberg publia en 1945 une étude sur l’art impérial, plus particulièrement consacrée au second siècle de notre ère et basée sur le répertoire des vertus impériales conservé par le monnayage177. Replaçant la colonne Trajane dans son contexte artistique, il atténuait par là sa valeur documentaire. Quant au réalisme des détails de la frise, il serait pour lui à rapprocher d’un autre type de catalogue descriptif : les res gestae, dont le projet était d’illustrer les vertus cardinales de l’empereur178.
62Dans un autre dossier, qui concernait les rites de la religion romaine, Inez Scott Ryberg envisagea un large domaine documentaire et en tira une classification thématique des représentations179. D’où une perception de la colonne Trajane proche de celle de P. Gustav Hamberg : la frise constitue certes un ensemble exceptionnel180, mais elle use d’un répertoire habituel. Enfin, autre étude thématique, celle de Gilbert-Charles Picard sur les trophées romains. L’auteur y insistait sur le renouveau de la notion de virtus à l’époque de Trajan et revenait sur les quatre vertus d’Auguste, que pouvaient illustrer des actes symboliques aussi bien que réels181.
63L’image reflet d’une réalité historique, représentée et recomposée en système selon des « filtres de sélection »182 : tels seraient en définitive les apports de ces auteurs, approfondis et formulés de manière systématique par Tonio Hölscher et Salvatore Settis.
64Acceptant les principes théoriques énoncés par O. J. Brendel183, Tonio Hölscher184 a, le premier, confronté les images romaines à la littérature et à la théorie littéraire antiques, bref a considéré les images comme appartenant à un « système sémantique ». La lecture de celles-ci passait dès lors par une méthode utilisant les ressources de la linguistique et de la sémiotique contemporaines. Cette dernière, outil d’analyse exceptionnel, est d’autant plus adaptée aux objets de sens produits par la société romaine que les principes créatifs revendiqués par l’Antiquité en sont l’exact négatif. En effet, la sémiotique observe l’objet de sens dans sa totalité et cherche, par analyse du vocabulaire et des structures, à reconstituer les présupposés, conscients ou inconscients, qui ont présidé à son élaboration. Or, les Anciens subordonnaient le résultat final d’une œuvre aux étapes de l’ordinatio et de la dispositio, préludes à la réalisation et condition nécessaire pour que soit atteint le programme préalable.
65En 1980, T. Hölscher présentait ses propositions dans un article où il esquissait un siècle d’histoire de l’art romain et où apparaissait la colonne Trajane185. Il y insistait sur l’apport de Max Wegner qui, le premier, avait proposé pour la colonne de Marc Aurèle une approche qui n’était plus de la glose historique, et sur celui de G. Rodenwaldt qui avait identifié, sur les sarcophages antonins, la représentation des quatre vertus cardinales d’Auguste186. Appliquée à la colonne Trajane, cette analyse paradigmatique mettait en avant, non la cohérence chronologique et le réalisme documentaire, mais l’idéologie. Du fait, découlait l’idée187 : les scènes de départ sur la frise trajanienne marqueraient la virtus impériale (pl. Ia) ; les scènes de sacrifice, la pietas (pl. XXIIa) ; le prodigium démontrerait la providentia deorum (pl. XXVIIIa) ; l’adlocutio de Trajan à ses soldats, la fides exercitus (pl. XXXIXa) ; enfin les constructions et retranchements matérialiseraient le labor nécessaire à la victoire (pl. XLVIIa). Plus globalement, la première spire de la frise, avec les scènes exaltant la virtus, la pietas, etc., présenterait les fondements idéologiques de la guerre. La seconde, marquée par de nombreuses scènes de labor, expliquerait le succès romain par une supériorité technique qui n’est autre que l’expression d’une supériorité morale. Et la troisième montrerait la confrontation avec les Daces et l’intervention de Jupiter. L’ensemble serait ordonné dans l’événementiel certes, mais en fonction du système idéologique188. Bref, T. Hölscher dégageait le contenu abstrait189 (gedanklichen Bedeutung) de certaines scènes de la colonne Trajane, contenu qu’il identifiait aux concepts de labor, virtus, pietas, etc.190.
66Plus récemment, Salvatore Settis exposa une conception identique, rejoignant également les travaux d’Otto Brendel191. S’inspirant du texte d’Onasandre192, le De optimo imperatore, écrit vers 59 après J.-C. et présentant l’action d’un bon empereur en une suite d’exempla193, l’auteur italien affirmait à son tour que les scènes de la colonne Trajane développaient non un récit historique, mais un discours exemplaire194. La frise serait donc, avant tout, un manifeste de l’idéologie trajanienne. D’ailleurs, sur les cent cinquante-cinq scènes de la colonne, seules soixante-dix neuf seraient narratives, soit la moitié, les autres étant répétitives et appartenant au répertoire classique de l’art romain195. Cette répartition entre scènes événementielles et scènes véhiculant des valeurs, explique en partie la persistance des deux courants historiographiques. Mais si la distance est grande entre ces chercheurs et, par exemple, l’approche topographique et historique de Werner Gauer, les uns et les autres s’entendent aujourd’hui pour discerner dans le monument un programme politique196.
67Qu’ils s’appuient donc sur les écrits d’auteurs grecs ou latins197 ou qu’ils utilisent les outils forgés pour d’autres champs (tels la rhétorique antique ou la sémiotique contemporaine198), T. Hölscher et S. Settis se sont efforcés de dessiner une nouvelle voie, entre approche historique et approche artistique, insistant sur les valeurs véhiculées par l’art romain, autrement dit son contenu. S. Settis écrit : « je crois que ce pont ‘entre le fait et l’idée’ peut être l’exemple (exemplum) »199, théorie formulée par K. Stierle dès 1972 :
Même l’histoire se constitue d’un point de vue philosophico-moral. Elle apparaît comme détachée du continuum historique et contient son sens en elle-même. Elle est un macro-exemple. [...] Ce qui s’accomplit lors de la traduction d’un événement en histoire se répète lors de la traduction de l’histoire en exemples, à cette différence près que le substrat philosophico-moral est amené ici à se concentrer une nouvelle fois200.
68Un monument tel que la frise de la colonne Trajane est le fruit de cette double concentration, de cette recomposition-sélection. En cela, elle est effectivement un medium exceptionnel pour qui veut retrouver la grille de sélection idéologique mise en œuvre lors de son élaboration.
69En fin de compte, le résultat de ces évolutions méthodologiques est la minoration de l’aspect historique de l’art romain en général, et de la colonne Trajane en particulier.
70Pour qui travaille sur la colonne Trajane, le détour par ces réflexions théoriques n’est pas inutile. Il permet de dégager les enjeux et les arrière-plans du débat sur la lisibilité de la frise historiée. Si les conclusions de Salvatore Settis sont opposées à celles de R. Bianchi Bandinelli, celles de Filippo Coarelli occupent une position intermédiaire, entre liberté de l’artiste et insertion des reliefs dans leur environnement spatial et culturel201. Mais l’approche de R. Bianchi Bandinelli demeure un maillon essentiel dans l’étude de la colonne Trajane, et de l’art en général, étape nécessaire qui, entre autres, a remis en évidence, après de nombreux travaux insistant sur la valeur directement historique de la frise, sa dimension artistique et artificielle d’œuvre restituant une « réalité » recomposée. Quelle que soit leur perception, les reliefs trajaniens demeurent l’élément auquel, inlassablement, les chercheurs confrontent leur définition de l’art romain202. Les efforts pour définir l’art romain montrent toute la difficulté qu’il y a à aborder la colonne Trajane, à la fois œuvre d’art et objet architectural. D’où, ultime point de cette trop longue introduction, la présentation des objectifs fixés à notre étude et des principes de méthode que nous entendons respecter.
4–PRÉALABLES MÉTHODOLOGIQUES À L’ÉTUDE ICONOGRAPHIQUE (fig. 7)
71Nous souhaitons définir la frise en elle-même, la saisir dans sa totalité, à la fois dans la succession de ses scènes et dans leur disposition verticale. L’objectif est de dégager une synthèse du discours développé par les vingt-trois spires (lecture spirale, diachronique et syntagmatique) et par la mise en série verticale des scènes (lecture verticale, synchronique et paradigmatique). Là est la première difficulté, dont découle le premier élément de la méthode que nous comptons utiliser : observer les structures de la frise, son organisation plus que son style, revient à poser le problème du discours porté par les reliefs.
72La colonne Trajane, objet de sens : notre postulat de départ s’inspire de S. Settis et de T. Hölscher dont les conclusions constituent, à nos yeux, l’hypothèse de départ la plus stimulante. Admettre la lisibilité de la frise n’est cependant pas éluder les problèmes qu’elle pose. Nous souhaitons au contraire pousser plus encore, ainsi que le souhaitait P. Veyne, l’examen de cette lisibilité. Par exemple :
73– Dans le processus de lecture de la frise, à côté des principes empruntés à diverses traditions iconographiques et littéraires, plusieurs commentateurs ont insisté sur la proximité des bibliothèques (fig. 1). Le rôle joué par les bâtiments adjacents dans le processus de lecture reste à déterminer. La frise en spirale appelait-elle un décryptage lié à cet environnement particulier, c’est-à-dire inspiré par la lecture des volumina des bibliothèques ? Mais le déplacement de la lisibilité vers d’hypothétiques rouleaux bandes-dessinées, conservés dans les bibliothèques, n’est pas satisfaisant : cela revient à résoudre la difficulté à lire un monument réel et bien analysable, à l’aide de documents non attestés. Nous écarterons donc cette tentation, conservant la lectio difficilior que constitue notre hypothèse de départ, à savoir : le contenu de la frise a été conçu pour être lisible, et le projet a atteint ses objectifs. La validation de cette proposition dépendra de la rigueur des structures internes de la frise : celles-ci étaient-elles perceptibles par un spectateur romain dans la totalité de leur surface ? Et s’il s’avérait que la totalité de la frise n’était pas visible, cela empêcherait-il la totalité du discours d’être intelligible ?
74D’autre part, les bibliothèques permettaient-elles une lecture à mi-hauteur depuis les terrasses des bibliothèques, et dans ce cas les spectateurs devaient-ils tourner autour de la frise – ou bien la vision par épitomé, par sélection de scènes renvoyant « à un répertoire exemplaire des vertus du Prince et de son armée »203, fonctionnait-elle aussi à ce niveau ? On peut à ce propos évoquer la lecture verticale. Fait-elle apparaître des axes non seulement visuels, mais aussi rhétoriques ? Parmi les procédés prévus pour guider l’interprétation, par exemple la répétition des thèmes (selon l’adage que l’on répète toujours ce qui est important204), peut-on dégager, au croisement des lectures spirales et verticales, des nœuds iconographiques et sémantiques comparables à celui que constituent les premières spires de la frise205 ?
75– Le parcours d’espace à travers le Forum de Trajan jusqu’à la colonne devait jouer un rôle majeur dans le processus de lecture pensé par les concepteurs des reliefs206. Les relations réelles entretenues par la frise avec son environnement restent à déterminer. Commencé en 105 et inauguré en 112 après J.-C., le Forum a précédé d’un an l’inauguration de la colonne Trajane. Cela suppose que la mise en place de la frise et sa réalisation se sont déroulées alors que le programme iconographique et architectural du Forum était fixé. Il est donc probable que les deux programmes furent élaborés en même temps. Au pire peut-on arguer, de l’année de retard de la frise, que la colonne historiée est postérieure à la fixation du programme architectural du forum. Cela renforce l’idée de l’adéquation de son programme iconographique avec les thèmes déjà choisis pour le Forum. Il paraît plus difficile de soutenir que la frise, du fait de sa légère postériorité, porte un programme différent de celui du Forum.
76– Autre problème, celui posé par le lien que de nombreux auteurs établissent, de manière explicite ou implicite, entre la frise et les références littéraires disponibles pour le règne de Trajan : en l’occurrence, l’épitomé de l’Histoire de Dion Cassius207, quelques fragments de Criton, des inscriptions, mais aussi l’ouvrage perdu de l’empereur dont seuls cinq mots ont été conservés.
77Document obéissant à des règles d’organisation originales, la frise doit être démarquée de ces œuvres littéraires. Il est méthodologiquement nécessaire, pour qui veut étudier le programme de la colonne à partir de ses structures, de prendre ses distances vis-à-vis des sources éventuelles des reliefs, et en particulier des textes. Le modèle littéraire véhicule un piège. Beaucoup de chercheurs, on l’a dit, ont vu dans la colonne historiée une traduction en marbre du texte de Dion Cassius ou des Commentarii de Trajan. Les résultats de la comparaison sont, hélas, aussi divers que les chercheurs, et ces divergences d’interprétation (puisqu’il s’agit de cette étape de l’étude des reliefs) s’expliquent par le fait que cette approche est difficile à justifier. Renversons le problème : pourquoi ne pas lire le récit de Dion Cassius d’après l’organisation des reliefs et les détails figurés ? Par ses descriptions précises des unités, des mouvements, d’épisodes absents chez Dion Cassius, la frise est un document d’une précision exceptionnelle dans ses détails. Pourquoi ne pas en faire notre base de réflexion et relire, à partir de ses enseignements, l’épitomé de Dion Cassius ? On l’aura compris, l’intérêt de corriger Dion Cassius par la colonne est nul. L’épitomé comme la frise sont des documents en eux-mêmes, autonomes. Tous deux véhiculent un discours. Que le sujet soit identique est certes intéressant, mais n’autorise pas à établir de hiérarchie entre eux. À ce jeu de comparaison, il n’est d’ailleurs pas sûr que la colonne, monument contemporain de Trajan, élevé sur son ordre et portant un discours choisi, soit moins précieux que l’œuvre du sénateur grec Dion Cassius, rédigé au iiie siècle après J.-C. puis résumé au xie siècle par le moine byzantin Xiphilin. En conséquence, il convient d’affirmer que les caractéristiques de la colonne Trajane, en tant qu’ensemble cohérent, ne pourront être déduites que de l’étude de ses structures, et non :
- du réalisme des reliefs dans leur détail (réalisme que nous n’attribuons pas plus à la liberté de l’artiste que l’organisation d’ensemble des reliefs). Ce réalisme dans les détails, si souvent célébré, revient à s’attarder sur la dimension descriptive de l’image. Son exceptionnelle qualité permet de suivre de manière plutôt aisée les structures du discours, mais il ne faut pas en conclure que la représentation des événements sur la colonne soit menée avec, pour employer un terme qui revient lorsqu’il s’agit de caractériser la frise, un identique souci d’historicité ;
- de renseignements empruntés à un document littéraire. Non que Dion Cassius ne nous paraisse pas important ; simplement il n’est pas encore temps, en méthode, de le solliciter. Si nous nous y risquions à ce niveau de l’étude, ce serait au péril d’interpréter la colonne Trajane avant même de l’avoir décrite et d’avoir recherché la manière dont son discours est structuré. À moins de considérer cette étape de mise au jour des structures comme inutile, et donc de négliger un aspect essentiel du discours de la frise organisé par Trajan lui-même – ou par le Maître d’œuvre quel qu’il fut, mais en fonction d’un programme imposé –, nous ne pouvons dans l’immédiat solliciter l’aide d’un document pour interpréter les images qui font problème. Seule la mise en série avec d’autres images comporte les garanties méthodologiques nécessaires pour que notre étude iconographique ne soit pas influencée par des documents annexes. Pour la colonne Trajane, la mise en série peut se faire à l’intérieur de la frise (répétitions de scènes ; variations de thèmes ; oppositions), et avec des documents extérieurs ayant en commun une proximité (thématique ou spatio-temporelle). Les deux démarches seront bien sûr menées, mais chacune en leur temps.
78En définitive, nous nous proposons d’observer en premier lieu la frise dans la totalité de son déroulé. Ces deux cents mètres de reliefs sur vingt-trois spires (fig. 6) nécessitent que l’on en maîtrise la totalité avant toute tentative d’interprétation. Là n’est pas le moindre des écueils qui menacent dès le départ notre expédition. Depuis la publication, en 1988 puis 1999, de relevés complets de la colonne Trajane, l’étude détaillée des scènes ne pose plus de difficulté208. Paradoxalement, le fait que le spectateur moderne bénéficie d’une qualité de documentation que n’ont jamais eue les spectateurs romains, fait problème. Le discours tenu aujourd’hui sur la frise prend en compte la totalité de ses caractéristiques, y compris les éléments supposés indiscernables à l’époque de Trajan209. Il y a donc risque de sur interpréter le document, ainsi que l’a remarqué P. Veyne. Doit-on pour autant limiter l’étude aux six premières spires ? Le problème de la visibilité est complexe et demande une étude approfondie, dans laquelle la science optique de l’Antiquité a, croyons-nous, un rôle à jouer. Nous la mènerons dans notre troisième chapitre.
79Le postulat de départ de ce travail est en effet que la colonne Trajane témoigne, par son contenu, des valeurs de la société romaine du début du second siècle ou, pour employer une formule plus sage, de la pensée de ses concepteurs. Elle constitue une source historique de première importance, le terme « historique » décrivant non un document dont le contenu événementiel est prééminent, mais une production culturelle née dans une société disparue. L’écart supposé entre le discours de la frise – son contenu – et sa réception par l’observateur antique, bref l’efficacité de la frise en tant que véhicule de ce discours, reste à mesurer. Dans ce domaine, le recours aux méthodes de la sémiotique – confrontations internes au document, recherche de sa structure et des présupposés culturels qui ont présidé à son organisation – s’impose.
80Pour être pertinente, notre appréciation devra éviter les anachronismes. Anachronique, la lecture qui utiliserait l’excellence de la vision contemporaine sur les reliefs sans s’inquiéter de la réalité antique ; mais anachronique aussi, la position dérivée d’un modèle anthropologique inspiré de la pratique contemporaine des images. Telle est l’objection à laquelle s’exposent, croyons-nous, les arguments de P. Veyne. À cette fin, nous proposons de décomposer le dossier en deux faisceaux de données, et l’étude en deux étapes. D’abord, considérer l’organisation de la frise, sans préjuger des caractéristiques de l’environnement disparu du monument, afin d’en cerner avec précision les enjeux (Première Partie : La Frise de la Colonne Trajane). Puis s’intéresser à l’environnement antique de l’œuvre, tant matériel que culturel (Seconde Partie : Le Forum de Trajan et les Forums Impériaux). De la confrontation de ces deux démarches, émergeront des conclusions qui s’appuieront de surcroît sur un troisième examen critique, constitué par l’exercice même de la réunion des données210.
81Reconstitution d’une cohérence disparue, interprétation du discours, réception de celui-ci par les contemporains : telles sont nos préoccupations pour la colonne Trajane et le Forum où elle figurait. L’architecture et les arts figurés sont à comprendre comme des reflets de la société qui les a produits, mais aussi comme des agents actifs sur celle-ci. Avec cette nuance que l’époque de Trajan, par la frise de la colonne, a livré un ensemble iconographique comme l’époque augustéenne n’en a pas conservé. C’est cet ensemble, que l’on pourrait regrouper sous le vocable d’idéologie trajanienne, que nous nous proposons d’analyser ici, avec des précautions. Entre l’allusion à la guerre contre Cléopâtre par les statues des Danaïdes juxtaposées par Auguste dans le portique d’Apollon Palatin, et la représentation extensive des opérations en Dacie par Trajan, la frise l’emporte par la cohérence et la richesse du discours. Mais cette différence de ton (recours à un référent mythique pour Auguste, représentation réaliste pour Trajan) est importante, elle constitue en elle-même un fait historique que nous nous efforcerons de comprendre.
82Document exceptionnel par sa conservation et son ampleur, la frise trajanienne a donc été l’objet de maintes interrogations, depuis les travaux de Conrad Cichorius ou Salomon Reinach à la fin du xixe siècle211, jusqu’à nos jours. La prudence de la démarche se justifie donc par l’étendue de la bibliographie et des approches possibles, mais aussi par la volonté d’élargir, si cela est possible, un champ largement cadastré par nos prédécesseurs. Avant d’ouvrir la voie aux reconstitutions archéologiques et aux mises en système sémiotique212, nous essaierons de prendre en compte la totalité des indications fournies par les deux cents mètres de reliefs. La frise étant le seul ensemble encore complet213 du Forum de Trajan, il ne paraît pas scandaleux de la choisir comme point de départ.
83Dans cette mise au jour, lente, des différentes strates d’élaboration et de lecture de la frise, dans cette archéologie du regard qu’il nous faut pratiquer, nous allons donc distinguer la description (des reliefs et des structures), fondée uniquement sur la fouille visuelle des reliefs de marbre, de l’interprétation des structures révélées, ceci en élargissant notre propos, afin de vérifier ou d’infirmer d’éventuelles hypothèses.
Notes de bas de page
1 Nous reprenons le découpage communément admis de cent cinquante cinq scènes, exposé par Cichorius 18961900, et signalons les éditions photographiques récentes contenues dans Settis 1988a, p. 258-546, et Coarelli 1999, p. 45-226, cette dernière étant postérieure à la campagne de restauration des années 1980. Précisons dès maintenant que les planches I à LVII de notre Catalogue sont consacrées à la frise de la colonne Trajane, et les planches LVIII et LIX à la Grande Frise de Trajan. Les documents complémentaires, ou de comparaison, débutent planche LX.
2 Pour une présentation synthétique du Forum de Trajan, voir Zanker 1970 ; Amici 1982 ; Coarelli 1994a et 1999. L’archéologue américain James Packer a publié de nombreux études et rapports de fouilles sur le forum de Trajan (Packer 1973, 1981, 1982, 1983a, 1983b, 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992b et 1994b). Une courte synthèse, due à James Packer, Kevin L. Sarring, Cecilia Bernardini, Marina Milella et Lucrezia Ungaro, est parue dans la revue italienne Archeo (Packer 1992a) ; elle a été reprise partiellement en français (Packer 1994a). La publication complète, parrainée par le Getty Center, est parue : Packer 1997a. Une version abrégée de cette monumentale publication est disponible en italien : Packer 2001.
3 Ammien Marcellin, Histoire XIV, 10, 15, qualifie encore, en 357 après J.-C., l’ensemble de « monument unique sous tous les cieux » (traduction E. Galletier et J. Fontaine). Le tremblement de terre qui mit à bas le Forum de Trajan est daté de 801.
4 L’Istituto Poligrafico dello Stato prépare la publication d’un volume intitulé : Colonna Traiana 1 : Disegni, qui présentera l’ensemble des mesures relevées sur le monument (nous devons ce renseignement à l’amabilité de Madame Cinzia Conti, chargée de la restauration de la colonne Trajane : qu’elle trouve ici l’expression de notre gratitude). Packer 1997a, p. 447-449 et folio 18, propose une description et un relevé précis du monument, ainsi que Martines 2000.
5 Boni 1907, p. 397 ; deux dessins dans Boni 1907-1908, p. 96-97, dont l’un reproduit dans Settis 1988a, p. 53. Consulter aujourd’hui Packer 1997a, p. 115 et 447, et Martines 2000, p. 20.
6 Settis 1988a, p. 46 et ses figures 20-23. Voir aussi Boni 1907, p. 363-378 et ses figures 2-13. Pour les mesures des éléments constituant le profil de la base : Ferri 1939, p. 351, et surtout Martines 2000. Le chiffre de 6,155 m pour la base, que donne Coarelli 1999, p. 21, correspond aux quatre premières assises du monument.
7 Martines 2000, p. 84-86.
8 Ricci 1928, et Packer 1997a, p. 10, 119-120 et 448-449. Précisons que l’attique actuel mesure (selon Ferri 1939, p. 351) 4,40 m.
9 Le total de Ferri 1939, p. 351, ne coïncide pas avec celui de Coarelli 1994a, p. 85 : nous suivons ce dernier.
10 Packer 1997a, p. 263 et folio 25.
11 Stevens 1926, p. 123 ; Coarelli 1994a, p. 85 ; Packer 1997a, p. 115. Baratte 1995, p. 489, la décrit comme étant taillée dans le marbre de Paros. Confirmation, après analyse, que le marbre de la colonne Trajane provient bien de Luni : Martines 1992, p. 110 note 27. Schéma structurel de la frise : Martines 2000, figure I.
12 Packer 1997a, p. 115 (au total, 29 blocs utilisés pour le monument). Stucchi 1989, p. 254, et Dolci 1988, p. 42, comptaient quatre blocs pour la base et dix-huit pour le fût (voir fig. 3). En dernier lieu, Martines 2000, p. 21 (dix-sept blocs pour le fût), et Martines 2001, p. 20.
13 Reconstitution de Packer 1997a, p. 451-452 (tableaux récapitulatifs : ibid., p. 385-397). D’autres propositions ont été avancées par Amici 1982, p. 79, et Piazzesi 1989, p. 181 fig. 76. Pour la critique de James Packer à l’encontre de ces propositions : Packer 1983b, p. 571-572, Packer 1992b, p. 158-161, et Packer 1997a, p. 120-125 et 451-452 ; enfin, Packer 2003, p. 129-132.
14 Packer 1992a, p. 78.
15 Packer 1988, p. 311.
16 Ibid., p. 310. Même référence à Vitruve dans Packer 1997a, p. 247-253.
17 Amici 1982, p. 14 ; contra Packer 1983b, p. 571, et Packer 1988, p. 310-311 ; réponse à J. Packer dans Piazzesi 1989, p. 170-175, et recension critique dans Packer 1992b.
18 Gros 1982, p. 685 ; Frezouls 1985, p. 227 ; Fleury 1990, p. XLV ; Theodorescu 1994 ; Gros 1994, p. 87 ; Frey 1994a ; et Frey 1994b. Rares sont les décalques de Vitruve prouvés par l’archéologie : tout au plus peut-on arguer, pour l’époque flavio-trajanienne, du cas de Conimbriga où a été adopté un de ses modules architecturaux, en relation avec le De Architectura III, 1, 8 : Etienne 1977, p. 88-89 et 103-104, et Etienne 1978. Le plan du Forum de Trajan aurait, quant à lui, inspiré le forum sévérien de Leptis Magna (Packer 1997a, p. 260 note 6).
19 Leon 1971 ; et recension de cet ouvrage par Picard 1973, p. 354-355. Voir Ungaro-Milella-Bernardini 1993, Ungaro-Milella 1995a, et Ungaro-Milella-Lalle 1995, pour la présentation d’un nombre important de fragments lapidaires du Forum, et Packer 1997a, p. 322-330, à propos des chapiteaux corinthiens.
20 Vitruve, III, 3, 12, et le commentaire de Gros 1990a, p. 121-122.
21 Martines 2000, p. 79-80.
22 Voir également Dolci 1988, p. 44 ; Claridge 1993, p. 14, pour une vue générale de la colonne, et Jones 1993, p. 24-26 et 32, pour des dessins à l’échelle du fût.
23 Manque le bloc 1, qui constitue la partie supérieure de la base tout en portant le début de la frise (pl. LX). On peut cependant admettre que le bloc 2 équivaut au diamètre inférieur de la colonne, quelques centimètres à peine le séparant du début de la frise. Martines 2000, p. 79-80, a pris, sur deux axes, les diamètres des blocs composant le fût : nous en avons fait la moyenne pour obtenir une valeur unique pour chaque bloc (base du bloc 2 : 3,672 m ; base du bloc 3 : 3,6605 m ; base du bloc 4 : 3,6465 m ; base du bloc 5 : 3,6545 m ; base du bloc 6 : 3,661 m : base du bloc 7 : 3,6405 m ; base du bloc 8 : 3,6335 m ; base du bloc 9 : 3,6313 m ; base du bloc 10 : 3,612 m ; base du bloc 11 : 3,5905 m ; base du bloc 12 : 3,4975 m ; base du bloc 13 : 3,4995 m ; base du bloc 14 : 3,4225 m ; base du bloc 15 : 3,404 m ; base du bloc 16 : 3,3415 m ; base du bloc 17 : 3,2895 m ; base du bloc 18 : 3,2315 m ; base du bloc 19 : 3,1615 m).
24 Vitruve, III, 3, 13 (traduction Gros 1990a). L’existence de l’entasis sur la colonne Trajane était déjà mentionnée par Stevens 1926 ; Martines 1989, p. 110. Coarelli 1999, p. 24, signale l’absence d’entasis sur la colonne de Marc Aurèle.
25 Vitruve, I, 2, 3, et Gros 1990a, p. 123.
26 Chiffres tirés de Martines 2000, p. 79-80 et 84-86 ; d’autres, légèrement différents, sont donnés par Coarelli 1999, p. 26. Selon Stevens 1926, p. 137-142 (et p. 146 pour une comparaison des deux dispositifs), l’une des colonnes de granit gris monolithe de la Basilica Ulpia présente une entasis plus nette que celle de la colonne Trajane, le diamètre médian du fût étant supérieur au diamètre inférieur. Au contraire, Packer 1997a, p. 448, constate l’identité de rapport (7 1/4) avec les autres colonnes de Forum).
27 Vitruve, I, 2. Analyse de ce passage dans Callebat 1994, p. 45. Pour les définitions qui suivent, lire Gros 1990a, p. XXIX ; Callebat 1994, p. 36-42. Sur ces étapes de l’architecture antique, consulter Gros 1982, p. 670, qui s’appuie sur Vitruve I, 1, 3 ; Frezouls 1985, p. 214-220 ; Callebat 1989, p. 35 ; et Frezouls 1989, p. 40-44. Les relations entretenues par ces deux principes sont définies par Gros 1985, p. 251-252.
28 L’ordinatio est la recherche d’une unité obtenue par la commensurabilité des différentes parties entre elles et de chacune d’elles avec le tout.
29 La proportio est la « commensurabilité des composantes en toutes les parties de l’ouvrage et dans sa totalité, obtenue au moyen d’une unité déterminée qui permet le réglage des relations modulaires » (Vitruve, III, 1, 1 : traduction Gros 1990a).
30 La dispositio recouvre l’organisation des composantes et la définition des règles de la répartition des masses.
31 Définition de Callebat 1994, p. 38, qui cite la définition platonicienne du terme grec systasis ; et de Gros 1990a, p. 56, qui donne pour compositio : « système organique qui s’établit dans toute œuvre architecturale complexe entre ses composantes ».
32 Gros 1990a, p. LXIII ; Frezouls 1985, p. 220 ; Callebat 1994, p. 44.
33 Sur l’application de cette notion hellénistique dans le paysage romain : Beck 1985 (cité par Gros 1990a, p. XXXII).
34 Pennacini 1989, p. 254-267. Gros 1990a, p. XXVIIIXIX (commentant Vitruve I, 2), évoque le texte de Cicéron (De Oratore III, 52, 200) en parallèle des grands principes d’architecture.
35 Mallon 1982, p. 45, 197 et 274.
36 Gombrich 1987, p. 29 : « Les auteurs anciens, recherchant dans un processus rhétorique des moyens de définition efficaces, aimaient se servir de comparaison empruntées aux domaines de la peinture et de la sculpture ».
37 Tout comme Dion Cassius LXIX, 4, a conservé pour le Forum le nom d’Apollodore, Vitruve (VII, praef. 16) a conservé pour Didyme le nom du concepteur Paionos, alors que le nom des architectes-réalisateurs, qui se succédèrent pendant des années, n’est connu que par les graffiti du sanctuaire (Gros 1983, p. 427). Ce modèle (un architecte concepteur / plusieurs architectes réalisateurs) n’est pas applicable sur le Forum : les moyens d’Apollodore dépassaient, et de loin, ceux d’une cité hellénistique, ce qui induit la réalisation par – ou sous le contrôle de – l’architecte concepteur.
38 Dion Cassius LXVIII, 13, 1-2. Le texte continue : « Trajan, craignant que lorsque l’Ister est gelé, les Romains qui seraient au-delà ne fussent attaqués, le construisit, afin d’y faire passer aisément des troupes ; Hadrien, au contraire, appréhendant que les barbares, après avoir forcé ceux qui le gardaient, n’y trouvassent un passage aisé pour pénétrer en Mésie, en démolit le haut » (reprise de la traduction ancienne de E. Gros et V. Boissée ; voir aujourd’hui la traduction anglaise de E. Cary).
39 Procope, De Aedificiis IV, 11-13 (d’après la traduction de H. B. Dewing).
40 Histoire Auguste, Hadr. XIX (trad. A. Chastagnol).
41 Fleury 1990, p. XII-XIII. Lacoste 1890, propose une traduction du texte, et Martines 1983, p. 68-69, un bref commentaire qui insiste sur la méthode utilisée par Apollodore dans le manuel de poliorcétique. Dans une étude récente, Blyth 1992 s’est interrogé sur l’identité de l’auteur du manuel et distingue deux parties, et deux auteurs. Il conclut cependant (ibid., p. 138) : « It therefore seems very likely that nearly the whole of the original has been reproduced unchanged in the new edition, except perhaps where small interlinear interpolations may have confused the editor’s copyist ». En dernier lieu, Martines 2000, p. 62 ; La Regina 2001 ; Commare 2001 ; Martines 2001, p. 20-26 (et p. 27 pour un rapprochement avec les machines de guerre représentées sur la colonne Trajane).
42 Blyth 1992, p. 143, confirme la méthode progressive de l’auteur de la première partie, dans lequel il identifie non Apollodore, mais son « maître ».
43 Gullini 1968, p. 63, écrit que le pont fut l’œuvre « non seulement d’un expert technique [...], mais aussi d’un mathématicien, d’un homme qui a prévu et calculé la dimension des piliers du pont ».
44 Nous étendons le sens de proportio, commensurabilité des composantes de toutes les parties d’un ouvrage, aux dimensions du monument, fixées par les circonstances – ici la largeur du Danube –, mais aussi par l’architecte.
45 Callebat 1994, p. 42 ; Rouveret 1989, p. 34.
46 Callebat 1994, p. 42 ; Rouveret 1989, p. 34.
47 Comme celle de Vitruve, qui s’était illustré dans la construction d’édifices publics, d’adduction d’eau et d’artillerie, avant de s’essayer à la rédaction d’un manuel (Romano 1993), la carrière d’Apollodore est marquée par des responsabilités militaires et civiles (le pont sur le Danube construit pendant les opérations militaires, et un traité sur la poliorcétique : Fleury 1990, p. XII-XIII). La carrière semble habituelle : on sait qu’au ive siècle après J.-C., l’ingénieur militaire est encore appelé architectus (Ammien Marcellin XXIV, 2, 28 ; Fleury 1990, p. XXXVIII).
48 Vitruve définit la qualité d’un édifice par la conjonction de trois caractères : « On établira des constructions en fonction de la solidité (firmitas), de l’utilité (utilitas) et de la beauté (venustas) » (I, 3, 2 ; cité par Callebat 1994, p. 4041). La description du pont par Dion Cassius, très technique, insiste de manière remarquable sur ces trois qualités, qui demeurent même après sa dislocation : le pont est dit « magnifique » (diaprepéstata : « remarquable entre tous »), ses fondations sont profondes et l’ensemble dénote du « génie humain », enfin il permettait de traverser et de porter la guerre sur la rive ennemie.
49 Dion Cassius LXIX, 4, 1-2, à propos du Forum (agora) de Trajans ; Procope, De Aedificiis IV, 6 pour le pont ; Histoire Auguste, Hadr. XIX, à propos de la statue colossale de la Lune, réponse au Colosse de Néron. Lire aussi Bertoldi 1962, p. 3, et Lugli 1965a, p. 43 et s., pour les textes sur le Forum de Trajan. En dernier lieu sur Apollodore, signalons la publication Tra Damasco e Roma. L’architettura di Apollodoro nella cultura classica (dir. G. Calcani), Rome 2001. Sur le chantier trajanien, voir les très intéressantes réflexions de Bianchi-Meneghini 2002 (trace de machines de chantier, excavation du mont...) : les deux auteurs datent les débuts des travaux de la période 94/95, mais ils estiment la conception du complexe à la période 100-104, le début de la réalisation de 105, et l’achèvement de la basilique, de la place du Forum (avec le portique ouest achevé en dernier, pour permettre l’apport des matériaux de construction depuis le port du Tibre) et de la cour de la colonne Trajane vers 112-113 (conformément aux inscriptions donnant les dates d’inauguration) ; les travaux auraient été complétés au nord, par Hadrien, vers 128. Également : Lancaster 1999, à propos des techniques constructives de la colonne Trajane.
50 Bianchi Bandinelli 1950, p. 211-228, et Bianchi Bandinelli 1978, p. 123-140 ; à son propos, Coarelli 1994b, p. 301-302.
51 Signalons, pour mémoire, le jugement sans appel d’Ernest Renan sur les reliefs de l’époque de Marc Aurèle : « Ce qui reste de son arc de triomphe est assez mou ; tout le monde, jusqu’aux barbares, y a l’air excellent ; les chevaux ont un air attendri et philanthrope. La colonne antonine est un ouvrage curieux, mais sans délicatesse dans l’exécution, très inférieur au temple d’Antonin et de Faustine, élevé sous le règne précédent » (Renan 1882, p. 47). Ces caractéristiques marquaient, pour E. Renan, la fin de l’art antique.
52 Bianchi Bandinelli 1950, p. 214-223.
53 L’article critique de Agosti 1986 permet de situer l’invention du « Maestro » dans l’œuvre et la réflexion de R. Bianchi Bandinelli.
54 Bianchi Bandinelli 1950, p. 227-228. R. Bianchi Bandinelli nuança par la suite sa position, attribuant la frise soit à Apollodore de Damas lui-même, soit à un sculpteur collaborant avec le Syrien, ce dernier ne se chargeant alors que de l’architecture (Bianchi Bandinelli 1969, p. 237238).
55 Bianchi Bandinelli 1978, p. 123. Coarelli 1999, p. 31, perpétue cette position.
56 Le livre LXVIII de Dion Cassius est notre principale source historique pour les événements du règne de Trajan.
57 Bianchi Bandinelli 1978, p. 136-137.
58 Sur cette dernière, voir en dernier lieu les actes de la table-ronde tenue à Paris en octobre 1997 sous l’égide de J. Scheid et V. Huet : Autour de la colonne aurélienne 2000.
59 Bianchi Bandinelli 1978, p. 126-128 : toutes les citations de R. Bianchi Bandinelli ci-dessus se rapportent à ces pages.
60 Si R. Bianchi Bandinelli s’éloigne de Lehmann-Hartleben 1926, p. 1, qui expliquait le choix de la frise en spirale par une décision autoritaire du commanditaire et non de l’artiste, la pensée des deux chercheurs est identique. Tous deux expliquent la non lisibilité matérielle des reliefs (du fait de leur disposition verticale et élevée) en arguant de la liberté de l’artiste.
61 Rockwell 1985. Pour une description structurelle précise, se reporter à Martines 2000.
62 Au-delà, se profilait une autre préoccupation du savant italien : définir l’art dans la société occidentale contemporaine. Lire à ce propos Agosti 1986.
63 Bianchi Bandinelli 1978, p. 140.
64 Gauer 1977, p. 85-86.
65 Position qu’il revendique dès son introduction : ibid., p. 3-8.
66 Gauer 1977, p. 48.
67 C’est par exemple sur la base de leur alignement vertical et de leur ressemblance que W. Gauer identifie la cité de la scène 33 (pl. XXXa) avec la ville de Drobetae, représentée scènes 98-99 (pl. XXXIV), à proximité du pont de pierre sur le Danube : Gauer 1977, p. 14-15.
68 W. Gauer rompt définitivement avec l’approche de Lehmann-Hartleben 1926, p. 145-146, qui avait, le premier, constaté l’existence des alignements verticaux mais n’étudiait pas le contenu des reliefs, considérés invisibles.
69 Gauer 1977, p. 6 ; p. 13 à 23 ; p. 24 à 45 ; p. 45 à 48 ; et à 75.
70 Il remet en cause certains points de l’approche de Gauer, par exemple sa lecture topographique : Farinella 1981, p. 6 note 23.
71 Ibid., p. 8.
72 Settis 1981, 1985, 1988a, 1988b, et enfin 1991. Le chercheur italien critique lui-aussi certaines positions de W. Gauer (Settis 1985, p. 1170).
73 Farinella 1981, p. 2.
74 S. Settis reprend certains points reconnus par K. Lehmann-Hartleben, R. Bianchi Bandinelli et W. Gauer, et surtout les trois phases identifiées pour la rhétorique et l’épigraphie.
75 Settis 1985, p. 1173.
76 Ibid., p. 1170-1172. Ce modèle est repris dans Settis 1988a, p. 219-222.
77 Ibid., p. 234-241.
78 Dans l’ouvrage collectif répertorié ici sous Settis 1988a, la contribution de Salvatore Settis, La colonna, occupe les pages 45-255. Nous en évoquons la partie centrale, « La colonne : stratégie de composition, stratégie de lecture », que l’on peut diviser en deux temps : p. 86 à 188, la stratégie de composition ; p. 188 à 241, la stratégie de lecture, qui aboutit pages 236-238 au modèle résumé ici.
79 Ibid., p. 238.
80 Huet 1996.
81 Paul Veyne aborda le problème de la lisibilité de la colonne Trajane lors de séminaires présentés à l’Ecole des Hautes Etudes de Marseille en 1988, auxquels nous avons eu la chance d’assister. Il a ensuite développé ses propositions dans divers articles et ouvrages : Veyne 1988 ; même texte, à quelques transformations près, dans Veyne 1990 ; et Veyne 1991, p. 311-337, qui est une reprise de l’article de 1990 avec en pages 338-342 un « Post-scriptum : la colonne Trajane comme monument cérémonial ».
82 Admettre la non visibilité – et par voie de conséquence, l’illisibilité – des reliefs de la colonne Trajane revient, pour Paul Veyne, à « ne pas poser le problème faussement » (Veyne 1988, p. 14-15).
83 Ibid., p. 9. Au sujet du « lecteur idéal » et de la sémiotique, on peut lire les remarques pratiques du sémioticien et écrivain Umberto Eco (Eco 1985, p. 54 et s.).
84 Veyne 1988, p. 13, ou Veyne 1991, p. 323 : il y a beaucoup de vrai « aussi chez Bianchi Bandinelli, qui reconnaissait dans la non visibilité une conséquence de la liberté de l’artiste dont la satisfaction est de créer pour créer ». Picard 1992, p. 138 note 109, a remarqué à juste titre cette convergence de vue « artistique » entre les deux auteurs.
85 Veyne 1990, p. 13-14 et 22. Dans la même logique, Gilles Sauron a développé oralement, en plusieurs occasions, l’idée que l’illisibilité des spires supérieures était prévue par Trajan, non par désintérêt du problème, mais pour signifier son élévation au-dessus des mortels, son apothéose en quelque sorte. Il est indéniable que les dimensions du monument donnaient à son commanditaire une maiestas et une dignitas exceptionnelles ; je vais m’efforcer de démontrer que son intention était plus complexe encore.
86 Ibid., p. 7. Contra : Settis 1988a, p. 238 : « Il est rare que le caractère tendancieux de la narration et de son articulation en images puisse laisser supposer que l’interprétation divergea de celle suggérée par le commanditaire ».
87 Vitruve, I, 2.
88 Ad Herrenium I, 3, et Yates 1975, p. 13-38. Également ci-dessus note 27, et ci-dessous Chapitre Cinq.
89 Settis 1988a, p. 86-188.
90 Settis 1991.
91 Dédicacée en 113 après. J.-C. par le Sénat (CIL VI, 960) dans le cadre du Forum de Trajan inauguré en 112 (Degrassi 1946-1947, p. 200 note 5), la frise relatant les guerres menées par Trajan en Dacie est bien, en tant que telle, une œuvre officielle.
92 Settis 1991, p. 196-197 ; Picard 1992, p. 133-141. L’auteur connaît le dossier depuis son ouvrage Les Trophées romains (Picard 1957) et une courte mais précieuse recension (Picard 1973).
93 Picard 1992, p. 140.
94 Nous signalons deux premières contributions en ce sens : Galinier 1995 et 1996, et renvoyons ici au Chapitre Trois.
95 Claridge 1993, et Jones 1993. La proposition a été combattue par Packer 1994b, mais reprise par Gros 1996, p. 219, et Gros 1998, p. 236-238.
96 Claridge 1993, p. 13.
97 Ainsi Benett 1997, p. 90, 156, 247 note 25 et 263 note 95.
98 Conti 2001, p. 200.
99 Pl. LXXIIa.
100 L’hypothèse d’une réalisation hadrianique de la frise est également écartée par Martines 2000, p. 59-60, et Coarelli 1999, p. 22.
101 Rockwell 1985, p. 101 et 104-105. L’auteur a bénéficié des échafaudages présents autour de la colonne Trajane lors de la campagne de restauration des années 1980. En dernier lieu sur l’organisation du chantier : Conti 2001.
102 Ibid., p. 109. Claridge 1993 et Jones 1993 s’appuient sur ces remarques pour avancer la datation hadrianique de la frise historiée.
103 Rockwell 1985, p. 104. Conception identique chez Coulston 1990, p. 42, qui pense que les reliefs ont été sculptés librement à partir de lignes directrices rédigées, et non de cartons. Après avoir relevé des contradictions dans la représentation de l’architecture, il conclut (ibid., p. 49) : « No modern recourse to ‘campaign sketches’, or to the presence of artists in the imperial entourage on campaign is necessary ». Il remarque cependant une modification dans la représentation des forts romains, indice qu’il interprète comme la correction – par qui ? – d’une erreur des sculpteurs. Settis 1988a, p. 132, écartait l’utilisation de cartoni au profit d’un « répertoire de schèmes d’un ‘carnet mental’ », ce qui n’excluait nullement l’existence d’une phase préparatoire poussée.
104 Rockwell 1985, p. 104.
105 Settis 1985, p. 1152, rapporte, outre les positions de P. Rockwell, celles de K. Lehmann-Hartleben (« conception unitaire de l’œuvre »), de F. Koepp (« pluralité des exécutants »), de R. Bianchi Bandinelli (« Maître des exploits de Trajan ») et de W. Gauer (« cinq ‘mains’ différentes, tantôt celles d’un artiste (son « Jupitermeister »), tantôt celles d’un atelier (sa « Nikopolis Werkstatt ») et il nie ainsi l’unité du projet ») : et ci-dessous la discussion historiographique concernant la frise de la colonne Trajane.
106 Rockwell 1985, p. 105 : « The carvers of the sculpture seem to have been allowed considerable freedom in organizing their compositions and their use of tools, yet highly refined and accurate detail was still demanded of them ».
107 Coulton 1985, p. 106-113, s’est intéressé à diverses anomalies architecturales sur des bâtiments grecs. Il conclut, non à une absence de contrôle par les architectes, mais au caractère limité de leurs prévisions. En observant certains détails iconographiques (les arbres), Conti 2001, p. 202-203, conclut également à l’existence d’un « répertoire figuratif de référence sur le chantier » de la colonne Trajane.
108 Rockwell 1985, p. 101 : « [...] the height of the spiral of relief on spiral II varies from 111 to 124 cm, while on the column as a whole the minimum height is 85 cm (spiral XIX) and the maximum is 145 cm (spiral XXIII) ». Il corrige à juste titre Bianchi Bandinelli 1978, p. 127, pour lequel la hauteur des spires, depuis le bas de la colonne jusqu’au sommet, progressait de 0,60 m à 0,80 m pour les personnages, et de 0,89 m à 1,25 m pour les spires (position encore reprise par Coarelli 1999, p. 27).
109 Rockwell 1985, p. 103. Les fenêtres sont creusées dans le diamètre maximal des blocs, au même niveau que le plus haut relief de la frise. On peut également consulter Martines 2000, p. 51-52, Martines 2001, p. 20, et Conti 2001, pour une description des fenêtres de la colonne Trajane, mais aussi des techniques et étapes d’élaboration de la colonne Trajane, et des indications bibliographiques complémentaires.
110 Conti 2001, p. 201, constate que « celui qui conçut le programme figuratif ne fut pas mis au courant [de l’ouverture des fenêtres] ou bien il ne montra pas d’intérêt à la présence de ces éléments architecturaux (...) ». A contrario, on pourrait supposer, si l’on accepte l’hypothèse de la réalisation de la frise sous Hadrien, que le concepteur avait tout loisir de concevoir les reliefs en fonction des fenêtres, forcément taillées au moment de l’érection de la colonne sous Trajan ; qu’il n’en ait rien fait témoigne de la concomitance reliefs / fenêtres.
111 Sur l’amplificatio et la contractio, consulter Settis 1985, p. 1170. Les deux dernières spires présentent des scènes telles que : la poursuite et le suicide de Décébale (scènes 141-145, qui sont certes longues, mais l’importance du sujet justifie autant cette extension que la nécessité d’une hypothétique occupation spatiale), ou la présentation de la tête du roi dace à l’armée (scène 147).
112 Quant à l’irrégularité des variations de hauteur des spires, elle peut tout aussi bien participer du projet préalable, ainsi que nous essaierons de le démontrer : ci-dessous Chapitre Trois.
113 Packer 1997a, p. 247-257, résume les techniques employées sur le Forum de Trajan, lesquelles garantissent à son avis le respect des grandes lignes du projet initial ; consulter également Martines 2000, et en dernier lieu Bianchi-Meneghini 2002.
114 Conti 2001, p. 202-211, s’essaie avec beaucoup de soin à retrouver le nombre de « maîtres » à l’œuvre sur le chantier de la frise (elle identifie, par leur style, cinq sculpteurs), leurs aides, etc.
115 À titre de contre-exemple : Coulton 1983, p. 466, mentionne la profondeur variable des métopes de la stoa de Brauron et l’interprète comme l’indice d’un des « unexpected results » dus à l’absence de surveillance de l’architecte. Ce n’est pas le cas sur le fût de la colonne Trajane.
116 Blyth 1992.
117 Ibid., p. 146, traduit par « sketches » et, en note, précise : « or possibly ‘models’ ».
118 Traduction Lacoste 1890.
119 On peut aussi avancer, sur le modèle des fabri d’Aulu-Gelle, Nuits Attiques XIX, 10, 1-4, qui présentent divers projets architecturaux au commanditaire, un mécanisme inverse : l’officinator des sculptores proposant à l’architecte et au commanditaire divers modèles d’ornamenta dont un, après sélection et rectification, est ensuite exécuté par les sculpteurs.
120 Zanker 1989, p. XXIX.
121 Gros 1985, p. 250-251, dresse un tableau contrasté de la création architecturale : nous y renvoyons.
122 Dion Cassius LXIX, 4 (trad. E. Gros et V. Boissée). À propos de cette anecdote, Brown 1964, a avancé l’hypothèse qu’Hadrien, loin d’être un dilettante, élaborait déjà ses recherches sur les coupoles et que le conflit, réel ou imaginaire, entre Apollodore et le successeur de Trajan, opposerait en fait le tenant du classicisme (Apollodore) et le tenant d’innovations (Hadrien). Nous tenons à remercier Pierre Gros qui nous a signalé cette référence (même analyse chez Coarelli 1994a, p. 291-292 ; sur le Panthéon, lire Helmeyer 1975, et plus récemment la synthèse de Lucchini 1996, p. 15).
123 Dans le monde grec, des commissions de citoyens fixaient la conception du projet : Martin 1965, p. 172 ; Gros 1983, p. 426-440, et les remarques de Martin 1983, p. 451. Voir Coulton 1983, p. 458, pour des descriptions préalables de bâtiments fournies par l’architecte et destinées à emporter l’adhésion des citoyens.
124 Cette hypothèse aurait l’avantage de correspondre à l’idéal républicain dont se targuait l’empereur. Au sujet du consilium de Trajan et du « parti des Espagnols » : Crook 1955, p. 31-65 et 115-128 ; le colloque Les empereurs romains 1965 ; Devreker 1977 ; et plus succinctement Cizek 1983, p. 256-258.
125 Sur les rapports d’Apollodore et d’Hadrien et la mort du Syrien, lire Gullini 1968 ; Helmeyer 1975 ; et Boatwright 1987, p. 14, 31-32 et 119-120, qui examine et commente les sources ; et encore la bibliographie donnée par Ridley 1989, p. 551-552 note 2.
126 Dion Cassius LXIX, 4 (trad. E. Gros et V. Boissée).
127 Stucchi 1989, p. 284. Nous reviendrons sur cette localisation dans notre Chapitre Quatre.
128 Picard 1992, p. 134-135.
129 À la phrase faussement interrogative de Gauer 1977, p. 73, à propos de l’attribution à Trajan de la Grande Frise, qu’il souhaitait décaler dans le temps (« Est-il vraisemblable que le même empereur, à la même époque, dans le même monument, se soit fait représenter de manière aussi différente ? »), Koeppel 1979, p. 369, objectait avec raison : « [...] nous devons répondre par l’affirmative. Il n’y a pas de raison de croire qu’il n’y avait, à cette époque, qu’un seul et unique concept artistique pour dépeindre l’empereur à la guerre ».
130 Picard 1973, p. 352-354. L’auteur concluait ainsi après analyse des études de Leon 1971, et Helmeyer 1971. Ce constat est nuancée par James Packer qui, dans la synthèse qu’il a récemment proposé sur le Forum de Trajan (il ne parle pas de la frise historiée), insiste sur le fait que le plan d’ensemble constituait un mélange d’éléments orientaux, grecs, italiques et romains (Packer 1997a, p. 260).
131 D’autant que d’autres ont, au contraire, souligné l’hellénisme de la frise : Baratte 1996, p. 145.
132 Soit 2,95 m. : chiffre donné par Philipp 1991, p. 11. Packer 1997a, p. 445, donne le chiffre de 2,98 m.
133 Bode 1992, p. 142, souligne au contraire que la composition de la scène 24, montrant d’un côté la disciplina de l’armée romaine et de l’autre le chaos de la masse barbare, révèle une structure de composition qu’il qualifie de « konventionnell in der römischen Repräsentationskunst, wie schon ein Vergleich mit dem Großen Trajanischen Fries beweist ».
134 Sur la question du rôle d’Apollodore, nous n’avons pu consulter la thèse de Leon 1961.
135 Le site de Fantiscritti fut actif de 104 à 212 (Dolci 1988, p. 31-34, et Martines 2000, p. 19 ; sur les carrières de Carrare : Dolci 1980).
136 Martines 1983, p. 62 ; Dolci 1988, p. 43-45 ; Martines 2000, 21, p. 34-35 et 75-76 (bloc le plus lourd de la base : 72 tonnes ; bloc le plus lourd du fût : 50 tonnes ; bloc le plus lourd du chapiteau : 44 tonnes) ; Martines 2001, p. 20 (poids total des 29 blocs de marbre de Carrare : 1036 tonnes). Sur le transport du marbre, consulter Amouretti 1991, p. 226, et Schneider 1992. Hallier 1984, p. 109 note 27, indique que « les charges utiles des bateaux de transport [romains] oscillent entre 70 tonnes [...] et 350 ». Au sujet des transports du matériau pour le Forum de Trajan et leur trajet possible dans Rome : Bianchi-Meneghini 2002, p. 404-405.
137 Martines 1989, p. 107 et s., donne pour les blocs de la colonne Trajane le chiffre de 44,4 tonnes à plein, et de 30,4 tonnes après la mise en forme des fûts et le creusement de l’escalier interne ; pour des calculs plus détaillés, Martines 2000, p. 23-24 et 75-76. Par contre, Rockwell 1985, p. 105, pense que les marches ont été taillées à Rome en même temps que les reliefs de la frise. Sur ces problèmes, Martines 2000, p. 29.
138 Rockwell 1985, p. 105 ; Martines 1989, p. 107 et s. ; Packer 1997a, p. 247-257 ; Martines 2000, p. 26 ; sur l’élaboration architectonique de la colonne, Lancaster 1999.
139 Dolci 1989, p. 34-46 ; Martines 2000, p. 29.
140 Martines 1983, p. 63 ; Martines 2000, p. 29 ; Martines 2001, p. 28. Le marmorarius travaillait dans une tranchée de 70 centimètres de largeur – ce qui est aussi la largeur de l’escalier de la colonne – et qui pouvait comporter, si la caesura était profonde, des marches. Martin 1965, p. 148, cite les galeries circulaires de 40 à 60 centimètres de largeur servant à dégager les fûts de colonnes. Également : Dolci 1989.
141 Martines 1983, p. 65-67, et Martines 2000, p. 36-39, pour une démonstration précise de cette hypothèse, basée sur des rapports géométriques. Sur les rapports architecture-mathématique, Frey 1989, et Dejong 1989.
142 Nous suivons ici Martines 1983, p. 65-70, et Martines 2001, p. 28. Ajoutons que la première marche de l’escalier interne à la colonne est située exactement au niveau où débute la frise historiée, à l’extérieur de la frise : ce qui indique la précision remarquable et les liens qu’entretiennent les dispositifs architectoniques du monument et son decor historié (remarque faite par Giangiacomo Martines et que nous a communiquée Cinzia Conti). La Regina 2001, p. 9 (sa note 2) attribue la colonne Trajane à Apollodore.
143 Rockwell 1985, p. 104 ; Martines 1989, p. 110.
144 Nous en proposons une reproduction fig. 5. Ce jeu de dessins permet un aperçu de la frise dans sa continuité, plus maniable que nos planches I à LVII, par faces verticales. Nous renverrons cependant dans le texte au détail de nos planches.
145 Sur les diverses campagnes de moulages effectuées sur la colonne Trajane jusqu’au xixe siècle : Agosti-Farinella 1985 et 1988, ainsi que Délivré 1988 ; Pinatel 1988 – nous profitons de l’occasion pour remercier cette dernière de la gentillesse avec laquelle elle a bien voulu nous ouvrir les Petites Écuries de Versailles, pour nous permettre d’observer une partie des moulages réalisés à l’époque de Louis XIV – ; et Galinier 1999.
146 Gauer 1977, p. 42, avait échafaudé, à partir de l’expression columna centeneria attestée par une inscription (CIL VI.1, 1585b, à propos de la colonne de Marc Aurèle), de diviser la frise en cent scènes, cinquante de part et d’autre de la Victoire marquant les années de paix 102-105 (voir son tableau : ibid., p. 42-45). Cette construction ne tient pas (Bode 1992, p. 125, note 8).
147 Une première édition photographique des reliefs eut lieu en 1942 : Huet 1996, p. 15 et note 23. Pour le détail de ces références, lire : Reinach 1909, p. 331-369 (et Reinach 1886) ; Cichorius 1896-1900 ; Lehmann-Hartleben 1926 ; Florescu 1969 ; Koeppel 1991 et 1992. Citons encore les études pionnières de Froehner 1865 et Froehner 1872-1874 ; Pollen 1874 ; Chapot 1907 (sur l’origine de la « colonne torse ») ; et diverses éditions : Daicoviciu 1966 ; Rossi 1971a ; Monti 1980 (qui réutilise les planches de S. Reinach) ; Lepper-Frere 1988 ; Coarelli 1999. Pour un complément bibliographique, consulter Malissard 1974, p. 412-416, et p. 2-5 pour une présentation synthétique des diverses écoles de chercheurs (les « narrateurs » : Wilhelm Froehner, J. H. Pollen, S. Reinach ; les « historiens » : C. Cichorius, E. Petersen (Petersen 18991903, auquel on peut ajouter Domaszewski 1906), et H. Stuart Jones (Stuart-Jones 1910) ; le « cas » K. Lehmann-Hartleben ; et plus récemment, les articles de ceux qu’A. Malissard nomme les « techniciens » : L. Rossi, R. Vulpe, etc). Alain Malissard, le dernier chercheur en France à avoir abordé la frise historiée dans sa totalité, a présenté dans divers articles (outre sa thèse citée ci-dessus, on peut consulter Malissard 1976 et 1982) une méthode d’approche qui visait à pallier les défauts des écoles précédentes. Dressant le constat d’une insuffisance, A. Malissard s’efforçait de renouveler les problématiques par la comparaison avec les techniques cinématographiques. Si notre constat est proche du sien, notre méthode en différera.
148 Stuart-Jones 1910, p. 437, exprimait déjà des réserves quant au caractère parfois arbitraire de ces séparations. Malissard 1974, p. 85-87, commente lui-aussi le découpage de C. Cichorius, et de façon plus générale le rôle séparateur des arbres sur la frise. Settis 1988a, p. 133.
149 Devillers 1994, p. 13 et 22.
150 Malissard 1974, p. 4.
151 Pour le détail, voir la Tables des Planches.
152 Cichorius 1896 (tome II), p. 71, 85, 103, 161, 170, 183, 251, 256, 301, 312 (cartes des mouvements romains en Dacie lors de la première guerre) ; ibid. (tome III), p. 31, 46 (itinéraire de Trajan au début de la deuxième guerre).
153 Ibid. (tome II), p. 34, 49, 57, 118, 227 (enseignes militaires) ; p. 54 (champignon des Bures, en relation avec le texte de Dion Cassius LXVIII, 8) ; p. 61, 66, 95-96, 100, 107, 124, 130, 171, 194, 229, 238, 265, 283, 300, 317, 339, 355, 356 (reconstitution architecturale, ou perspective des bâtiments, ou paysages de la frise) ; Cichorius 1900 (tome III), p. 71, 73, 80 (reconstitution architecturale de Salonae), 159 (pont), 187, 243, 291, 313 (paysages et fortins).
154 Ibid. (tome II), p. 267 (site d’un pont sur le Danube), 349 (une fontaine en Dacie) ; ibid. (tome III), p. 13 (détail d’une scène), 19, 21, 23 et 25 (vues d’Ancône), 33-34 (vue de Zara), 359 (détail du suicide de Décébale).
155 Fragment dans Priscien, Institutiones Grammaticae VI, 13 (cité par Belloni 1990, p. 95 note 3 ; références dans Scheiper 1982, p. 153 note 5 ; commentaire dans Lewis 1993, p. 638-641).
156 Schnapp 1993, p. 310-315.
157 Nous renvoyons à Cichorius 1896, p. 10-14, et Cichorius 1900, p. 3-8, pour le relevé et l’intitulé des cent cinquante-cinq scènes. Gerhard Koeppel, à un siècle de distance, ne fait pas autre chose (Koeppel 1991).
158 Sur la sœur de Décébale prisonnière (sc. 30, pl. VIIb) : Cichorius 1896, p. 143-145, qui cite Dion Cassius LVIII, 9, 4 ; sur le traité de 102 (sc. 75, pl. XVIb) : Cichorius 1896, p. 350-361, d’après Dion Cassius LVIII, 9 ; cet ultime dossier a été repris et développé dès 1910 par H. Stuart-Jones (Stuart-Jones 1910, p. 446-448).
159 Petersen 1899-1903. Consulter Stuart-Jones 1910, pour un compte-rendu, sur certains points, des positions des deux chercheurs, et plus récemment Hamberg 1968, p. 105, et Malissard 1974, p. 2-4.
160 Stuart-Jones 1910, p. 435-436.
161 Ibid., p. 449 ; Cichorius 1900, p. 31. Les deux articles de Davies 1917 et 1920, combinent eux aussi lecture des reliefs, utilisation de l’archéologie et textes. L’auteur s’intéressa aux scènes 74-76 retraçant la chute de Sarmizegetusa (ibid., p. 89-97), puis à des problèmes de topographie (Davies 1920, p. 14).
162 Richmond 1935 (= Richmond 1982) ; Rossi 1966, 1971a, 1985, et 1991 ; Gauer 1977, p. 59-67, présente un tableau d’identification des troupes, y joignant celui des officiers, de Décébale, et une carte des opérations militaires couvrant les deux guerres ; Gostar 1979 ; Strobel 1984 ; Coulston 1989 sur l’armée, et Coulston 1990 sur l’architecture ; Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 282, sur le détail des troupes apparaissant dans les adlocutiones ; Koeppel 1991 et 1992 ; Bode 1992, p. 130-132 ; Bishop-Coulston 1993 ; et notre propre communication (Galinier 2000a). Sur les rapports entre l’empereur et l’armée, consulter Campbell 1984 ; sur les realia militaires, voir Le Bohec 1990 (il reproduit dans ses planches XI à XXII l’intégralité des dessins de Reinach 1909), et Speidel 1984 et 1992.
163 Stoiculescu 1985 ; Zanker 1980. Lire Gauer 1977, et Bode 1992, p. 128, pour un tableau des identifications de personnages sur la colonne ; Vatasianu 1982, souligne que l’archéologie n’a pas confirmé l’utilisation par les Daces de techniques de construction représentées sur la frise, tels les remparts en murus gallicus de Sarmizegetusa (pl. Vc) ou des tours d’observations (sur ce point, voir l’avis différent de Daicoviciu 1959, p. 320-321). Sur l’utilisation de l’archéologie pour localiser des sites et l’itinéraire de Trajan en 105 : Schindler 1981, p. 552-553. Sur l’archéologie en Roumanie, se reporter aux catalogues Die Daker 1980 et I Daci 1997.
164 Speidel 1970. Lire aussi Rossi 1971b, et Alexandrescu-Vianu 1975. Speidel 1971b identifie par ailleurs le motif du suicide de Décébale sur une métope d’Adam Klissi. Le même auteur a publié une étude de l’ultime adlocutio de la frise, au cours de laquelle la tête du roi dace est présentée à l’armée romaine (sc. 147, pl. LVIIc) : Speidel 1971a.
165 Degrassi 1946-1947 ; Stucchi 1957 ; Turcan-Deleani 1958 ; Daicoviciu 1959 ; Stucchi 1959 et 1960 ; Degrassi 1961 ; Vulpe 1964 ; Stucchi 1965 ; Rossi 1968 (à propos de la Tabula Traiana taillée dans le roc : CIL III, supplément 8267) ; Rossi 1971c ; Gauer 1977 ; Tudor 1979 ; Mazzarino 1982 ; Bacchieli 1985 ; Nikolanci 1989 ; Ursulescu 1993.
166 Bennett 1997, p. 85-103.
167 Turcan-Deleani, 1958, p. 165.
168 Picard 1952, p. 329. Sur le « réalisme » : Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 261-266, et en dernier lieu Stefan 2005.
169 Monument resté jusqu’alors source d’inspiration pour les artistes, les architectes et les souverains européens. Le catalogue de l’exposition Roma Antica 1985, p. 140-207, rassemble une grande partie des dessins et relevés dus aux architectes français de 1788 à 1924. De même le catalogue La colonna Traiana e gli artisti francesi da Luigi XIV a Napoleone I 1988, présente un bon état des projets urbanistiques envisagés sur la période.
170 Stuart-Jones 1910, p. 439. Nous sommes plus critique encore que l’auteur anglais et pensons, à la suite de Gauer 1977, p. 24-25, et Settis 1985, p. 1155-1156, que la scène 9 ne doit pas être interprétée à la lumière du texte de Dion Cassius LXVIII, 8, 1. Pour une opinion contraire, Vulpe 1963, qui « lit » colonne Trajane et trophée d’Adam Klissi d’après l’épitomé de Dion Cassius ; de même Benett 1997, p. 85-103.
171 Stuart-Jones 1910, p. 441.
172 Gauer 1977, p. 13.
173 Koeppel 1979, p. 369 ; Koeppel 1980, p. 306 ; Koeppel 1991 et 1992.
174 Settis 1985, p. 1168.
175 Bode 1992.
176 Lehmann-Hartleben 1926, p. 123-141 (les quatre premières planches sont reproduites dans Settis 1988a, p. 124).
177 Hamberg 1968, p. 18-40 (la première édition de son ouvrage date de 1945).
178 Ibid., p. 116.
179 Ryberg 1955, p. 81-103 : « The ruler cult in art » ; p. 104-119 : « The suovetaurilia » ; p. 120-140 : « Vota Publica » ; p. 141-162 : « The triumph » ; p. 163-173 : « State cult reflected in private monuments » ; p. 174-189 : « Sacrifices as coin types » ; et p. 191-202 : « Motifs and designs ».
180 Par exemple les suovetaurilia : Ryberg 1955, p. 109113 ; sur les scènes d’adlocutio, de lustratio exercitus, de concilium et de dona militaria : Stuart-Jones 1910, p. 436437 ; Lehmann-Hartleben 1926, p. 11-24 (adlocutio), p. 2439 (sacrifice) ; Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 267-295.
181 Picard 1957, p. 371-391.
182 Selon l’expression heureuse de Settis 1985, p. 1153. Devillers 1994, p. 7-11, évoque l’utilisation par Tacite dans les Annales de la « reconstruction historique » à des fins de « persuasion », et il conclut (ibid., p. 10) : « Cette question amène à se demander s’il n’y a pas dans l’œuvre une autre dimension que la dimension ‘narrative’, dimension qu’on pourrait qualifier d’‘idéologique’ ». La réponse est évidemment positive, et le constat valable pour la colonne Trajane.
183 Brendel 1953. Voir Hölscher 1993, p. 5, et surtout p. 19 : « L’art romain n’a pas choisi ses modèles d’après le style ou le goût, mais bien en premier lieu par rapport au contenu et aux thèmes ».
184 Hölscher 1987 (repris en volume : Hölscher 1993), et Hölscher 1994, p. 91-136 (= Hölscher 1980).
185 Hölscher 1980, p. 7-16 (= Hölscher 1994, p. 90-136, en italien).
186 Wegner 1931 ; Rodenwaldt 1935.
187 Hölscher 1994, p. 111-117, ou Hölscher 1980, p. 290-297 et 312 ; Settis 1985, p. 1163. En dernier lieu, Hölscher-Baumer-Winkler 1991, p. 266, qui proposent un schéma intégral de la totalité de la colonne (ci-dessous nos fig. 18 à 26, pour un relevé face par face qui nous paraît plus aisé d’utilisation – du moins était-ce l’objectif visé...).
188 Hölscher 1994, p. 115.
189 Hölscher 1987, p. 52 (= Hölscher 1993, p. 71).
190 « Le discours des images romaines comme système sémantique » (Römische Bildsprache als semantisches System), tel est le titre, explicite, de Hölscher 1987 (bonne traduction italienne – Hölscher 1993 – par Il linguaggio dell’arte romana).
191 Brendel 1953, repris en volume dans Brendel 1982 ; le commentaire de S. Settis y occupe les pages 159-200 (cité sous Settis 1982).
192 Settis 1985, p. 1155.
193 Settis 1985, p. 1155 et suivantes. Également Peters 1972, pour un travail complet sur l’œuvre littéraire d’Onasandre, et une traduction française partielle de son traité dans Battistini 1994.
194 Idée qu’avait avancé Tonio Hölscher (Hölscher 1980 = Hölscher 1994, p. 91-136) en distinguant la narration historique (Ereignisgeschichte) de sa signification idéale (Wertesystem). Lire Settis 1988a, p. 190-192 pour un prolongement et une systématique de cette proposition.
195 Coarelli 1992a, p. 645. Daicoviciu 1959, p. 318-319, faisait le même constat.
196 Gauer 1977, p. 55-74 ; Condurachi 1982, p. 12 ; en dernier lieu Bode 1992, qui présente un commentaire des reliefs et divers tableaux précisant la signification « idéale » des scènes.
197 Dion Chysostome : Picard 1957, p. 388. Onasandre : Settis 1985 ou 1988a. Tacite, Agricola : Schwarte 1979, et Settis 1985, p. 1154. Pline le Jeune, Panégyrique : Chevallier 1984, p. 309-317, pages centrées sur Trajan, qui portent sur les relations rhétorique-iconographie et qui coïncident avec les propositions de Hölscher 1980. Lire Campbell 1987, pour une étude générale des manuels latins d’exempla destinés au Princeps, et Giardina-Silvestrini 1989, pour un long article sur le Panégyrique de Pline et ses rapports avec l’idéologie officielle (sur le même sujet, centré sur les guerres daciques : Syme 1964).
198 Stierle 1972. Pour un cas d’école à l’époque moderne, consulter Marin 1981, p. 49-107 (« Le récit du roi ou comment écrire l’histoire »). Et bien sûr Hölscher 1993 et 1994.
199 Settis 1985, p. 1153.
200 Stierle 1972, p. 184. Autre formulation (ibid., p. 182) : « Ce que l’exemple implique, c’est le principe moral. Ce dans quoi il s’explicite, son medium, c’est l’histoire ».
201 Coarelli 1992a, p. 641-642, et Coarelli 1999
202 Ainsi Huet 1996.
203 Settis 1991, p. 196.
204 Les répétitions facilitent la lecture et constituent un mécanisme de parade contre la perte d’information ou les mauvaises interprétations.
205 De l’avis unanime de Settis 1988a, Veyne 1991, et Picard 1992
206 Amici 1982 a déjà fait des propositions dans ce sens.
207 Le dernier en date à solliciter Dion Cassius est Benett 1997, p. 89.
208 Settis 1988a ; Coarelli 1999.
209 Lire Huet 1996 sur ce problème, et ses conclusions nuancées quant à l’influence de la photographie sur la perception scientifique de la frise au cours des siècles passés.
210 Pour justifier de cette navigation en aveugle, nécessaire dans un premier temps, arguons d’un préalable : les travaux de Paul Zanker sur l’époque d’Auguste (Zanker 1989, p. XXIX ; et Zanker 1983).
211 Cichorius 1896-1900 ; Reinach 1886.
212 Hölscher 1987, p. 9-11, ou Hölscher 1993, p. 3-5.
213 Ce qui ne signifie pas qu’il soit demeuré identique à ce qu’il était dans l’Antiquité, ne serait-ce qu’en raison de l’usure du marbre.
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