Chapitre 11. Pythagore, Numa et la Concorde
La dimension idéologique de la réforme des tribus d’Appius Claudius Caecus
p. 541-600
Texte intégral
1 – LA STATUE DE PYTHAGORE ET LE PYTHAGORISME DE NUMA
La présence des statues de Pythagore et d’Alcibiade au Comitium
1Pline l’Ancien et Plutarque rapportent tous deux l’installation des statues de Pythagore et d’Alcibiade au Comitium à l’époque des guerres samnites (bello samniti), à la suite d’une consultation de l’oracle de Delphes qui aurait enjoint les Romains d’élever des statues, dans un lieu très fréquenté (celebri loco), « au plus sage et au plus courageux des Grecs » :
– Plin., N.H., XXXIV, 26 :
Invenio et Pythagorae et Alcibiadi in comibus comitii positas [sc. statuas], cum bello Samniti Apollo Pythius iussisset fortissimo Graiae gentis et alteri sapientissimo simulacra celebri loco dicari. Eae stetere donec Sulla dictator ibi curiam faceret. Mirumque est Mos patres So-crati cunctis ab eodem deo sapientia praelato Pythagoran praetulisse aut tot aliis virtute Alcibiaden et quemquam utroque Themistocli.
« Je trouve <dans mes sources> que <des statues> de Pythagore et d’Alcibiade ont été placées dans les « cornes » du Comitium quand, au cours de la guerre samnite, Apollon Pythien ordonna que des effigies soient dédiées en un endroit très fréquenté, l’une à l’homme le plus courageux, et l’autre au plus sage de la nation grecque. Ces statues restèrent en place jusqu’à ce que le dictateur Sylla y fît construire la Curie. Il est surprenant que les sénateurs de cette époque aient préféré Pythagore à Socrate, que le même dieu avait préféré pour sa sagesse à tous les autres hommes ; ou Alcibiade à tant d’autres, pour le courage, et qu’ils aient préféré quelqu’un à Thémistocle pour ces deux qualités ».
– Plut., Num., 8, 20 :
Αὐτοὶ δ’ ἀκηκόαμεν πολλῶν ἐν Ῥώμῃ διεξιόντων ὅτι χρησμοῦ ποτε Ῥωμαίοις γενομένου τὸν φρονιμώτατον καὶ τὁν ἀνδρειότατον Ἐλλήνων ἱδρύσασθαι παρ’ αὑτοῖς, ἔστησαν ἐπὶ τῆς ἀγορᾶς εἰκόνας χαλκᾶς δύο, τὴν μὲν Ἀλκιβιάδου, τῆν δὲ Πυθαγόρου.
« Et nous-mêmes, nous avons entendu à Rome plusieurs personnes raconter qu’un oracle ayant autrefois prescrit aux Romains de placer chez eux le plus avisé et le plus courageux des Grecs, ils érigèrent sur le Forum deux statues de bronze, celle d’Alcibiade et celle de Pythagore ».
2Ces statues seraient restées en place jusqu’à l’époque de Sylla, lorsque la structure de cette partie du Forum fut modifiée par la construction de la curia Cornelia1. La notice de Pline et de Plutarque remonte probablement à Varron2, et peut-être même à L. Calpurnius Piso33, qui s’intéressait particulièrement aux anciennes statues honorifiques qui avaient été dressées par le passé au cœur de Rome et qui commençaient à être enlevées à partir de la fin du iie siècle av. J.-C. Certains ont supposé que ces statues n’étaient que des répliques d’un groupe statuaire qui devait déjà exister dans une cité de Grande-Grèce4 ; d’autres ont pensé qu’elles devaient provenir directement d’une cité d’Italie du Sud et qu’elles avaient dû faire partie du butin de guerre ramené à Rome à la suite de l’une de ses expéditions militaires : leur installation au Comitium n’aurait donc pas eu la signification ou la portée qu’on a voulu leur donner, ce qui permet d’éluder commodément toute tentative d’explication5. Mais les contacts de Rome avec l’oracle de Delphes dès une époque très ancienne ne sont pas aussi improbables qu’on a voulu le soutenir6, et le fait que Pline ne comprenait plus le choix des statues pour représenter « le plus sage et le plus courageux des Grecs » serait plutôt une preuve de leur authenticité. La présence de la statue d’Alcibiade au Comitium reste à première vue difficile à expliquer, étant donné la réputation sulfureuse du héros athénien dès l’Antiquité ; par ailleurs, son association avec Pythagore apparaît encore plus étrange7. Mais quelle que soit la raison de ce choix, l’érection d’une statue de Pythagore à l’époque des guerres samnites ne peut pas avoir été complètement fortuite : au ive siècle, les doctrines politiques et philosophiques du pythagorisme prévalent dans les cités grecques de Grande-Grèce avec lesquelles Rome commence à avoir des relations de plus en plus étroites8. Les milieux aristocratiques campaniens et lucaniens, avec lesquels Rome est en contact au moins depuis l’annexion de Capoue (en 343) et le traité de 326 avec Naples, semblent alors baigner dans une atmosphère pythagoricienne, si l’on en juge par exemple l’analyse proposée par A. Rouveret à partir de l’étude des fresques provenant de tombes paestanes, peintes dans les années 360-350 av. J.-C.9. Les doctrines eschatologiques orphico-pythagoriciennes touchèrent jusqu’aux élites aristocratiques étrusques, comme le révèlent les thèmes picturaux qui composent la décoration de nombreuses de leurs tombes des ve et ive siècles, ou encore les scènes de plusieurs miroirs appartenant à leur mobilier funéraire, et l’histoire culturelle montre que Rome n’a pas pu rester à l’écart des échanges qui existaient alors entre la Grande-Grèce et l’Étrurie10. Autrement dit, la présence d’une statue de Pythagore sur le Comitium à la fin du ive siècle signifie clairement que les doctrines philosophiques pythagoriciennes avaient déjà touché Rome à cette époque, et que le choix du lieu devait avoir un rapport avec leur signification politique11.
3Certes, Pythagore, si le personnage a bien existé historiquement, aurait vécu entre la fin du vie et le début du ve siècles av. J.-C.12 Mais la pensée pythagoricienne a connu un véritable renouveau (ou un véritable début ?) à partir de la fin du ve et au début du ive siècle, grâce notamment aux spéculations théoriques d’Hippase et de Philolaos de Crotone (en mathématique, en géométrie, en astronomie et en musique) et aux tentatives d’application pratique d’Archytas de Tarente (en physique et en politique)13. À la fois philosophe et homme politique, Archytas a été en contact avec Platon14 et a été élu stratège de sa cité sept années consécutives, de 367 à 361 : son « règne » correspond à l’apogée de la civilisation tarentine, alors la plus prestigieuse de toute l’Italie. Or, les premiers contacts entre Rome et Tarente ne sont sans doute pas antérieurs aux guerres samnites, et c’est au moment de la mainmise romaine sur Naples, en 326, qu’est attestée la première confrontation diplomatique entre les deux cités15. Sur le plan culturel, l’art de Tarente se propagea à la fin du ive siècle jusqu’au Latium et en Étrurie. Aussi, même si l’origine exacte de la statue de Pythagore élevée sur le Comitium ne peut pas être connue, l’époque à laquelle cet événement se situe, correspond à la période de majeure diffusion du pythagorisme tarentin du ive siècle, qui semble avoir alors touché l’ensemble des cités de Grande-Grèce et jusqu’à certaines élites aristocratiques de peuples non grecs de l’Italie du Sud.
4Un fragment d’Aristoxène de Tarente, fils du Pythagoricien Spintharos, un ami très proche d’Archytas16, candidat malheureux à la succession d’Aristote17, et qui pourrait être à l’origine d’un certain nombre d’écrits apocryphes destinés à montrer la dette du platonisme à l’égard du pythagorisme18, évoque les peuples italiques qui ont connu l’enseignement de Pythagore et énumère les Bruttiens, les Lucaniens, les Peucètes et les Romains19. La méthode historique employée par le philosophe suggère que cette liste ne s’applique pas à l’époque de Pythagore, mais à la sienne propre, ou encore à celle des stratégies d’Archytas, dont il a rédigé une biographie20. Enfin, une allusion de Jamblique, qui provient peut-être de Timée, évoque l’impact qu’auraient eu les discours prononcés par Pythagore à son arrivée à Crotone, non seulement dans cette ville, mais aussi dans toute l’Italie21. La statue de Pythagore et le témoignage (de nature, il est vrai, idéologique et apologétique) d’Aristoxène, éventuellement confirmé par celui de Timée, semblent par conséquent montrer la pénétration du pythagorisme au sein de la classe dirigeante romaine au cours du ive siècle.
Le pythagorisme de Numa : l’origine d’une légende
5Un autre élément semble indiquer la présence des doctrines pythagoriciennes au sein de la noblesse romaine du ive siècle : il s’agit du mythe du pythagorisme du roi Numa, qu’un certain nombre d’indices permettent de faire remonter à cette époque22. Une tradition ancienne voulait que Numa, auquel les Romains attribuaient la paternité d’un certain nombre d’institutions civiles et religieuses, eût été le disciple de Pythagore : celui-ci lui aurait enseigné la vertu de l’homme d’État et les principes d’un gouvernement juste et sage. Certes, cette tradition est presque unanimement rejetée par la plupart des sources littéraires, dont les auteurs s’étaient rendu compte de l’impossibilité chronologique qu’il y avait de faire coexister le successeur de Romulus, qui aurait régné vers la fin du viiie siècle, et le philosophe grec qui aurait vécu vers la fin du vie : c’est le cas pour Cicéron, Tite-Live, Denys d’Halicarnasse et Plutarque23. Pourtant, cette impossibilité chronologique n’était pas encore claire pour tout le monde lorsqu’en 181, on découvrit sur le Janicule des sarcophages contenant des « livres » de Numa écrits en grec et qui auraient été d’inspiration pythagoricienne24 : selon G. Garbarino, le néo-pythagoricien M. Fulvius Nobilior pourrait avoir été à l’origine de cette supercherie, dans le cadre d’une opposition à la fois politique et culturelle aux partisans du conservatisme et du traditionnalisme qui dominaient alors la classe politique romaine, quelques années après l’affaire des Bacchanales et la censure de Caton25 ; mais le fait d’avoir attribué à Numa des écrits pythagoriciens utilisés dans une polémique de nature politique ne pouvait avoir pour fonction que d’en renforcer la crédibilité, et prouve que le pythagorisme du deuxième roi de Rome était alors encore admis par une grande partie des Romains26. Ce n’est finalement qu’au cours des iie et ier siècles que cette impossibilité chronologique a été relevée, ce qui correspond à la période de développement littéraire de l’annalistique : c’est en écrivant l’histoire année après année qu’on a dû se rendre compte de l’impossibilité qu’il y avait de faire de Numa un disciple de Pythagore27. Aussi la tradition sur Numa est-elle forcément antérieure à l’annalistique romaine, donc à Fabius Pictor, et l’errreur chronologique y est caractéristique d’une tradition orale antérieure à toute tradition écrite28. Autrement dit, le mythe du pythagorisme de Numa doit nécessairement être antérieur à la deuxième moitié du iiie siècle av. J.-C.
6Un certain nombre de familles de la noblesse romaine prétendaient descendre du roi Numa et se sont parfois affublées de surnoms qui les rattachaient aussi bien à Numa qu’à Pythagore : il s’agit des Aemilii, des Pinarii, des Marcii, des Pomponii et des Calpurnii, familles qui n’ont pas joué de rôle politique important avant le ve ou le ive siècle, voire bien plus tard. Or, les deux principales d’entre elles, celle des Aemilii et celle des Pinarii, se sont constituées une généalogie qui les rattache non seulement à Numa, mais aussi à Pythagore, en adoptant, probablement vers la fin du ive siècle, comme le montrent les Fastes, le cognomen de Mamercus29 : Fintarque et Festus expliquent à ce propos que les Aemilii prétendaient descendre de Mamercus, un fils de Numa qui portait le même nom que le fils de Pythagore30. Selon E. Gabba, la gens patricienne des Pinarii a dû jouer un rôle important aux ve et ive siècles, puisqu’elle avait en charge les sacra du culte d’Hercule à l’Ara Maxima jusqu’en 312 : pour R. E. A. Palmer, ce serait précisément sa disparition qui aurait rendu nécessaire « l’étatisation » du culte par le censeur Appius Claudius, réforme dans laquelle J. Carcopino a voulu voir une inspiration pythagoricienne31. En tout cas, la « disparition » de cette famille en 312 fait de cette date un terminus ante quem pour la formation de la tradition « numaïque » à laquelle celle-ci voulait se rattacher.
7La tradition fournit également un terminus post quem pour ces falsifications généalogiques : selon Plutarque, un certain Clodius, parfois identifié avec l’annaliste Claudius Quadrigarius, a rédigé des Recherches chronologiques (Ἔλεγκος χρόνων) dans lesquelles l’auteur contestait la validité des tables généalogiques qui remontaient jusqu’à Numa, parce que celles-ci auraient été falsifiées par les grandes familles romaines à la suite de la disparition des documents les plus anciens dans l’incendie de Rome par les Gaulois32. Par conséquent, si ces grandes familles romaines ont tiré profit, pour reconstituer les tables généalogiques à leur guise, de la prétendue destruction de leurs archives au moment du sac de Rome par les Gaulois, vers 390-386, les falsifications généalogiques ne sauraient être que postérieures à cet événement, mais peuvent parfaitement remonter au ive siècle33.
8Quant aux gentes plébéiennes, les traditions qui les rattachent à Numa ne peuvent être que plus tardives. La première et la plus ancienne à avoir ainsi affiché ses prétentions généalogiques fut celle des Marcii, qui prétendaient descendre d’Ancus Marcius, lui-même petit-fils de Numa : en 88 av. J.-C, C. Marcius Censorinus faisait émettre un denier représentant sur l’avers l’effigie de chacun des deux rois34. Par ailleurs, une tradition annalistique, uniquement rapportée par Tite-Live, connaissait l’existence d’un Numa Marcius, fils de Marcius, premier pontifex maximus sous le règne de Numa (celui-ci serait bien entendu le créateur du collège des pontifes, mais aussi le premier des augures35) : comme les Marcii ont été la seule famille plébéienne à figurer à la fois dans le collège pontifical et dans celui des augures aussitôt après l’adoption de la loi Ogulnia, en 300, leur « numaïsme pythagorisant » devrait être à peu près contemporain de cette promotion politique et sociale36. Mais la tradition sur l’ascendance « numaïque » des Pomponii est probablement plus tardive, et pourrait être née dans les milieux pontificaux vers la fin du iiie siècle, lorsque les Pomponii paraissent en vogue dans les collèges de prêtres, en étant liés aux Aemilii37. Le « numaïsme » des Calpwmii semble avoir été encore plus tardif et ne serait pas antérieur au iie siècle, ce qui ne traduirait qu’une fois de plus le traditionnel conservatisme de cette famille38. Mais comme le montre l’exemple des Aemilii, ces prétentions généalogiques n’avaient de réel sens que si Numa était lui-même rattaché à la figure de Pythagore.
9Aussi la tradition sur les liens entre Numa et Pythagore remonte- t-elle selon toute vraisemblance au ive siècle av. n. ère, c’est-à-dire au moment où une statue du roi fut érigée sur le Capitole39, et celle du philosophe sur le Comitium40, lorsque les doctrines pythagoriciennes purent commencer à pénétrer dans les milieux les plus hellénisés de la nobilitas romaine et purent inspirer un certain nombre de réformes politiques, sociales ou institutionnelles pour lesquelles la figure du roi-philosophe fournissait un précédent célèbre et une caution vénérable. Il semblerait même que le pythagorisme ait pu représenter l’« idéologie officielle » de l’élite romaine de cette époque41. Certes, il n’est pas tout à fait impossible que la doctrine de Pythagore ait déjà pu être connue à Rome dès la fin de la période royale ou au début de l’époque républicaine42. Mais l’image d’un Numa pythagorisant, peut-être née au sein du collège pontifical romain, puis développée par certains milieux intellectuels grecs43, n’a pu se forger qu’à partir de celle d’Archytas de Tarente, qui fournissait en quelque sorte le « modèle » du chef d’État philosophe, et a pu être diffusée par les populations hellénisées de Campanie44. D’ailleurs la tradition, rapportée par un fragment attribué à Épicharme, selon laquelle Numa aurait concédé la citoyenneté romaine à Pythagore, est peut-être tout simplement contemporaine de l’attribution de la citoyenneté romaine aux equites Campani, vers la fin du ive siècle : en effet, l’ouvrage attribué à Épicharme est certainement apocryphe et les falsifications de l’œuvre de ce poète semblent précisément remonter aux ive et iiie siècles45. L’image « canonique » de Numa comme fondateur d’un certain nombre d’institutions et de pratiques religieuses romaines a donc dû s’établir définitivement à cette époque, lorsque les institutions politiques et religieuses de la République romaine prirent leur aspect définitif, et quand la statue en bronze du roi fut placée parmi celles des autres rois « canoniques » sur le parvis du temple du Capitole (notamment à côté de celle de Servius Tullius)46. En fait, tout laisse à penser que le pythagorisme de Numa a été forgé dans le but de justifier par une autorité ancienne et prestigieuse de profondes réformes institutionnelles qui ont affecté la société romaine au cours du ive siècle, et qui ont pu s’inspirer de modèles politiques, sociaux ou philosophiques importés de Grande-Grèce47.
Les statues de Pythagore et d’Alcibiade : les raisons du choix
10C’est donc dans ce contexte historique qu’il faut examiner l’installation des statues de Pythagore et d’Alcibiade sur le Comitium à l’époque des guerres samnites48. La période des guerres samnites setendant sur plus d’un demi-siècle (342 à 290 av. n. ère), on a discuté pour savoir dans quelles circonstances précises ces statues ont pu être érigées : certains auteurs ont estimé que l’installation de ces statues devait dater de la première guerre samnite, sinon les Romains auraient choisi Alexandre, et non Alcibiade, pour représenter « le plus courageux des Grecs »49. Mais si Alexandre pouvait représenter un modèle individuel de courage et de vertus guerrières pour les aristocrates romains à partir de la deuxième guerre samnite, à l’instar d’un L. Papirius Cursor, il paraît peu vraisemblable que la statue du conquérant macédonien eût pu être choisie pour orner un lieu public aussi symbolique que le Comitium, alors même que la menace d’une éventuelle confrontation militaire avec Rome venait à peine de disparaître avec sa mort50. De plus, aux yeux des Hellènes du ive siècle, et par conséquent probablement aussi à ceux des Romains, Alexandre n’était pas considéré comme un Grec, mais d’abord comme un Macédonien : il n’aurait par conséquent pas pu avoir été honoré comme « le plus courageux des Grecs ». F. Coarelli a donc eu raison de rabaisser la date d’installation de ces statues, d’autant que ce qui a pu motiver la consultation de l’oracle de Delphes, à l’origine du choix des statues, était peut-être, comme ce fut le cas plus tard encore dans des circonstances similaires, la succession de graves défaites militaires : or la défaite des Fourches Caudines en 321 et celle du col des Lautulae près de Terracine en 315 ont très bien pu justifier l’envoi d’une ambassade à Delphes51.
11Le choix des deux figures pour honorer « le plus sage et le plus courageux des Grecs » avait certainement une valeur d’exemplum à l’époque des guerres samnites, même si leur association reste aujourd’hui encore d’interprétation difficile : comment expliquer en effet la présence presque côte à côte d’un philosophe et d’un homme d’État, d’un sage aux vertus « démocratiques » et d’un aristocrate à la réputation sulfureuse dès l’Antiquité? Ce choix n’était sans doute plus compréhensible au début du ier siècle av. J.-C, ce qui expliquerait la disparition des statues au moment de la restructuration du Comitium organisée à l’époque de Sylla. Il semblait en tout cas incompréhensible à Pline, qui aurait volontiers accordé cet honneur à Socrate et à Thémistocle52. En fait, ce choix répondait manifestement à des préoccupations que les Romains de la fin de la République, et a fortiori du début de l’Empire, ne pouvaient plus comprendre car il remontait à une période bien trop ancienne, ce qui est en soi une preuve d’authenticité. L’association de Pythagore et d’Alcibiade, aussi étrange qu’elle puisse paraître, n’était certainement pas fortuite et semble montrer l’influence dans la Rome de la fin du ive siècle de modèles helléniques provenant de Grande-Grèce53.
12Le choix de ces statues doit par conséquent être lié à l’influence culturelle de la Grande-Grèce pythagoricienne, et en particulier (directement ou non) de Tarente dont le rayonnement politique et culturel atteint son apogée au cours du ive siècle54. En fait, il est difficile de voir dans la statue d’Alcibiade dressée sur le Comitium un choix d’origine romaine, mais plutôt l’importation à Rome d’un modèle politique, idéologique ou culturel provenant d’une cité d’Italie du Sud et datant du ive siècle av. J.-C. En effet, il semblerait qu’il faille voir dans le choix d’Alcibiade à la fois la volonté de certains milieux aristocratiques italiotes de se référer au modèle athénien et la manifestation de sentiments anti-syracusains encore vifs à cette époque en Italie du Sud depuis « l’expédition de Sicile » et l’expansionnisme de Denys55. Aussi, l’association Pythagore-Alcibiade comme modèles de vertus politiques présentés au coeur de la cité ne peut-elle provenir que d’une cité grecque d’Italie du Sud à la fois pythagoricienne et philo-athénienne, et il n’est pas exclu que les Romains aient pu découvrir cette association à Naples, Rhegium, Thourioi, Crotone ou Métaponte, cités jadis alliées d’Athènes et qui subissaient au ive siècle l’influence politique et culturelle de Tarente56.
13Par contre, l’éloge ainsi manifesté à la sapientia et à la fortitudo correspond bien aux nouvelles valeurs développées à Rome par la noblesse patricio-plébéienne à partir du ive siècle57. F. Zevi a rapproché les raisons qui ont amené à dédier des statues fortissimo Graiae gentis et altert sapientissimo de l’inscription figurant sur l’elogium de L. Cornelius Scipio Barbatus et le qualifiant de fortis vir sapiensque58. En fait, selon F. Zevi, Barbatus n’aurait pas été un sage au sens de σοφός, mais plutôt un homme politique avisé au sens de φρόνιμος, c’est-à-dire prudens59, comme on le trouve dans le texte de Plutarque à propos des statues du Comitium : τòν φρονιμώτατον καὶ τòν ἀνδρειότατον Ἑλλήνων. La statue de Pythagore placée celebri loco, donc au coeur politique de la Rome républicaine, incarne par conséquent la φρόνησις (prudentia), c’est-à-dire les qualités de jugement et l’esprit de décision dont doit disposer tout homme politique qui prétend diriger sa cité, à l’instar du stratège pythagoricien Archytas de Tarente. Or, il s’agit de l’une des qualités que le texte de l’Ineditum Vaticanum attribue également à Appius Claudius Caecus60: ὁ γὰρ ἀνὴρ σὺν τῷ φρονίμῳ καὶ φιλόπολις ἐδόκει…
14Du point de vue romain, la figure d’Alcibiade, synonyme de jeunesse et donc de courage militaire, pouvait représenter symboliquement les vertus des iuvenes qui constituent la force du populus, alors que la figure de Pythagore pouvait servir de modèle à la sagesse des seniores siégeant au Sénat, puisque le lieu choisi pour l’érection des statues, à la jonction du Comitium et de la Curie, associait symboliquement le Peuple et le Sénat61. Ainsi, l’installation sur le Comitium vers la fin du ive ou, au plus tard, au début du iiie siècle, des statues de Pythagore et d’Alcibiade, signale l’adoption par une partie de la classe dirigeante romaine, dont Appius Claudius était l’un des représentants les plus éminents, de modèles de représentation politique d’origine hellénique, avec clairement une forte inspiration pythagoricienne62. La présence de ces statues sur le Comitium ne pouvait par conséquent avoir qu’une signification politique ou idéologique très précise, de la même manière que le pythagorisme de Numa était mis en rapport avec certaines institutions civiles et religieuses de l’État romain.
La διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας de Numa
15Précisément, une des réformes d’inspiration pythagoricienne attribuées à Numa peut être en rapport avec les grandes réformes institutionnelles de la fin du ive siècle : il s’agit de la διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας, c’est-à-dire de la répartition du peuple selon les corps de métier63. Selon Plutarque, Numa aurait réparti le peuple en divers corps de métier (collegia), et institué pour chacun des réunions et des assemblées, afin de brasser la population auparavant « déchirée en deux nations, qui ne voulaient en aucune manière s’unifier ni laisser effacer la différence qui les séparait et produisait entre les deux des heurts et des querelles interminables »; mais le plus intéressant est la justification idéologique de cette réforme : « cette nouvelle division aboutit ainsi à un harmonieux mélange de tous avec tous » (ὥστε τὴν διαίρεσιν εὐαρμοστίαν καὶ ἀνάμιξιν πάντων γενέσθαι πρὸς πάντας)64. L’image de la division initiale du peuple en deux ensembles ethniques opposés, Romains et Sabins, pouvait servir de métaphore à toute sorte de division binaire à l’origine d’une discorde entre citoyens : la division entre patriciens et plébéiens, entre Romains de vieille souche et nouveaux citoyens, ou entre riches et pauvres65. Mais quelle que soit la nature de l’opposition, il ne peut s’agir que de problèmes historiquement bien plus tardifs auxquels on n’a commencé à apporter des solutions qu’au cours du ive siècle : la fin du conflit patricio-plébéien (les lois licinio-sextiennes, les lois de Publilius Philo, la loi Ogulnia, la loi Hortensia…), la substitution progressive des comices curiates par les comices tributes, l’inscription de tous les citoyens dans toutes les tribus quelle que fût leur fortune (la réforme des tribus d’Appius Claudius). La tradition sur la διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας de Numa ne peut donc pas être antérieure au ive siècle, et pourrait précisément être contemporaine des grandes réformes institutionnelles de cette époque.
16Une autre tradition, rapportée par Florus (I, 6, 3), attribue la répartition du peuple romain en collegia au roi Servius Tullius : il s’agit donc d’une tradition dont l’origine est différente de celle qui attribue la réforme à Numa, mais qui peut être contemporaine de la formation de la légende sur le règne de Servius Tullius, notamment de celle qui attribue à ce roi la réforme centuriate « servienne », la réforme des tribus en rapport avec l’introduction du tributum et l’abolition du nexum66. L’existence d’une tradition « servienne » sur l’origine des collegia opificum constitue dès lors un indice supplémentaire pour dater la formation de ce thème de l’époque des grandes transformations institutionnelles de la fin du ive siècle, d’autant que d’après Tite-Live, la « foule des ouvriers » (opificum volgus) fut pour la première fois mobilisée dans l’armée centuriate en 329 seulement67. L’existence parallèle d’une tradition « numaïque » sur le même thème pourrait dès lors s’expliquer par la présence de deux traditions concurrentes, mais dont l’origine serait à peu près contemporaine : il pourrait s’agir de l’opposition entre une tradition « pontificale » (la tradition « numaïque ») et d’une tradition « censoriale » (la tradition « servienne »), toutes deux transmises par des canaux différents (les annales pontificales d’une part, et les tabulae censoriae de l’autre ?) ou par des clans familiaux opposés au sein de l’aristocratie romaine (les deux modes de transmission pouvant d’ailleurs être complémentaires)68. Ces traditions ont ensuite pu être recueillies par Varron, qui en aurait accentué la dimension philosophique d’inspiration platonicienne et pythagoricienne, et qui semble avoir inspiré Plutarque dans la composition de sa biographie de Numa69.
17E. Gabba a rejeté (sans raison) cette origine varronienne et a voulu démontrer que le récit de Plutarque sur la réforme des corps de métiers attribuée à Numa est une « reconstruction pseudo-historique » qui serait due, sous sa forme achevée, à des historiens ou à des juristes du ier siècle, probablement même postérieurs à Cicéron : on aurait développé ce thème au moment des luttes politiques que provoqua la suppression des collegia au cours du ier siècle, sous prétexte qu’ils troublaient l’ordre public70. Il est vrai qu’il est « in practice impossible and methodologically unsound to attempt to use the nature of the different professions to link the collegia with particular social or economic conditions and hence to tie the list in Plutarch to an identifiable historical moment » (loc. cit., p. 82). Toutefois, E. Gabba reconnaît que l’existence des collegia est certainement très ancienne, et que leur attribution à Numa ou à Servius Tullius a pu se développer progressivement. De plus, l’historien a noté que le récit de Plutarque est une reconstruction complexe et érudite qui repose sur des comparaisons avec le monde grec (notamment l’Athènes solonienne) et sur des réflexions d’origine philosophique (notamment pythagoricienne). En fait, le récit de Plutarque sur l’origine des collegia opificum ne renvoie probablement à aucune situation socio-économique précise dans l’histoire de Rome, mais traduit des préoccupations idéologiques et philosophiques qui peuvent, elles, provenir d’un moment historique déterminé.
18La réforme attribuée à Numa repose à la fois sur un principe et sur une justification idéologique : il s’agit de répartir l’ensemble de la population civique dans un certain nombre de petites unités institutionnelles qui doivent permettre le brassage des différences et favoriser des formes de solidarité entre anciens adversaires. L’atténuation ou la disparition des anciennes divisions peut ainsi aboutir « à un harmonieux mélange de tous avec tous ». Selon A. Mele, la διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας reproduit en fait le modèle archytéen de gouvernement, car la division du peuple selon les métiers et la création de nouvelles assemblées correspondent à un modèle politique qui cherche à la fois à rétablir l’harmonie entre les citoyens et à favoriser les activités artisanales71. Le modèle « solonien » d’une cité entièrement composée d’artisans et pratiquement privée d’agriculteurs, qui a conduit E. Gabba à voir dans le récit de Plutarque une reconstruction érudite et tardive sur le modèle athénien des viie et vie siècles, pourrait ainsi s’être inspiré de la situation économique et sociale de Tarente au ive siècle.
19D’autre part, A. Storchi Marino a montré que les termes utilisés par Plutarque dans ce passage (συγκρούσεις, σύστημα, εὐαρμοστία) sont directement empruntés au domaine musical pour être appliqués et adaptés au monde politique selon une habitude chère aux Pythagoriciens, et notamment à Archytas de Tarente72. De même le concept de κοινωνία, qui joue un rôle fondamental dans le σύστημα numaïque, est généralement présenté comme une vertu sociale par les Pythagoriciens. Enfin, cet auteur a souligné que le nombre de neuf collegia opificum se rattache aux théories arithmologiques pythagoriciennes et représente la Justice parce qu’il est le premier carré d’un nombre impair : « le σύστημα de Numa, organisé sur la base du nombre neuf, engendre l’harmonie (εὐαρμοστία) sociale »73. La διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας attribuée à Numa serait par conséquent une réélaboration historique créée sous l’influence du pythagorisme tarentin du ive siècle et qui se serait inspirée de la philosophie politique et sociale suivie par Archytas.
20La tradition sur les collegia opificum de Numa apparaît ainsi comme la traduction mythique d’une politique de réconciliation au sein d’une cité auparavant divisée, à l’instar des diverses politiques de réconciliation mises en oeuvre dans un certain nombre de cités grecques au cours du ive siècle pour tenter de mettre fin à une stasis74. Une inscription provenant de Nakônè, en Sicile, et datant de la fin du ive ou du début du iiie siècle, décrit très précisément la mise en oeuvre d’une telle politique75 : selon N. Loraux, la réconciliation y fut pratiquée « sur le mode de l’adelphothetia (« affrèrement »), en répartissant, pour mieux le mêler, tout le corps civique en groupes de cinq « frères » tirés au sort – deux « frères ennemis » issus des deux partis antagonistes, qu’encadrent solidement trois frères « neutres », <ce qui devait>, l’alchimie de l’amitié aidant, constituer à chaque fois un groupe très uni de frères symboliques »76. Les groupes de cinq « frères » furent ainsi répartis en 60 unités différentes constituant autant de conseils, et au sein desquelles les « frères » devaient s’entendre les uns avec les autres (homonooûntes allalois) : le but de cette réconciliation était de substituer à une diaphora (« différent », « qui fut peut-être une stasis ») l’homonoia (« entente », « concorde »), à laquelle devait être rendu un sacrifice collectif annuel77. H. et M. van Effenterre ont d’ailleurs vu dans ces 60 unités un nombre symbolique et ont fait le rapprochement avec un curieux passage d’Énée le Tacticien, qui évoque une opération similaire dans la cité d’Héraclée du Pont (sans doute « peu avant le milieu du ive siècle »), où les riches furent disséminés dans 60 centuries afin de partager les corvées publiques avec les autres citoyens78. Ces auteurs ont également remarqué que ce nombre se retrouve dans l’ « utopie platonicienne » (Plat., Lois, V, 738 a) et pourrait « représenter une population civique idéale », laissant ainsi clairement suggérer, en conclusion, une inspiration d’origine philosophique. On retrouve en fait dans le décret de Nakônè les mêmes principes et la même justification idéologique que dans le mythe des collegia opificum de Numa, car dans les deux cas, la nouvelle répartition du peuple devait établir l’homonoia ou donner naissance à un « harmonieux mélange de tous avec tous »79. Or, dans les cités grecques de l’Italie du Sud du ive siècle, les principes d’harmonie et d’homonoia entre citoyens constituaient le fondement idéologique des politiques d’inspiration pythagoricienne.
2 – LA PHILOSOPHIE POLITIQUE DES PYTHAGORICIENS DU ive SIÈCLE
Les principes d’harmonie et d’homonoia
21Le concept d’homonoia n’était certes pas exclusivement pythagoricien, puisqu’il a été développé et honoré comme une vertu civique aussi bien par Antiphon le Sophiste, Thrasymaque, Démocrite, Xénophon, Lysias, Isocrate et Aristote80. Selon J. de Romilly, le mot όμόνοια apparaît pour la première fois, de manière incontestable, durant la guerre du Péloponnèse, notamment dans l’oeuvre de Thucydide : l’emploi du mot se trouve lié « à la crise de la cité : il désigne le remède aux guerres civiles et la valeur à rétablir pour sauver l’État, menacé par ces guerres »81. C’est pourquoi, la plupart des occurences de ce mot sont postérieures à la fin du ve siècle, et datent pour un grand nombre d’entre elles des ive, iiie et iie siècles av. J.-C. : d’une façon générale, il est souvent lié aux problèmes politiques et sociaux de la cité et évoque presque toujours l’achèvement d’un conflit entre riches et pauvres, entre gouvernants et gouvernés, ou entre oligarques (ou aristocrates) et démocrates82. D’après une étude récente de G. Thériault sur Le culte d’Homonoia dans les cités grecques, « le mot ομόνοια signifie littéralement : la conformité des sentiments, l’unanimité, l’harmonie, la concorde, dernier terme par lequel il est communément traduit en français »83. A. Momigliano définissait l’homonoia comme un sentiment de bienveillance entre citoyens d’une même cité ou de plusieurs cités, et qui pouvait être obtenu de trois façons : la subordination à un Nomos impersonnel ou à un Hegemon personnel, l’équilibre des pouvoirs au sein d’une constitution mixte, et enfin l’assistance sociale entre riches et pauvres au sein de la cité84. Selon Aristote, l’homonoia est avant tout une « amitié politique » qui permettait aux citoyens d’une cité d’être « en harmonie » pour pouvoir partager « d’un commun accord » les tâches difficiles et les charges publiques85. De même, pour Démocrite, philosophe probablement influencé par l’enseignement des premiers Pythagoriciens86, l’homonoia est à la fois « fraternité » et « solidarité mutuelle » entre citoyens « lorsque ceux qui ont les moyens prennent sur eux de venir en aide à ceux qui n’ont rien »87. En fait, ces définitions de l’homonoia semblent toutes provenir plus ou moins directement de la philosophie politique pythagoricienne.
22L’homonoia était effectivement avant tout un concept philosophique et politique pythagoricien. D’ailleurs, le mot homonoia figure sur un statère d’argent de Métaponte, une ancienne cité pythagoricienne, ce qui constitue peut-être la plus ancienne attestation de ce terme. La pièce de monnaie représente une figure féminine, probablement sous les traits de Déméter, accompagnée de la légende ΟΜΟΝΟΙΑ88. Traditionnellement datée de la première moitié du ive siècle, sa chronologie a été récemment réévaluée et fixée aux années postérieures à 430, ce qui en ferait la première occurence connue de ce mot dans le monde grec89. Le statère pourrait être mis en relation avec la fin de la révolution anti-pythagoricienne qui toucha de nombreuses cités de Grande-Grèce au cours du ve siècle90 : la pièce de monnaie commémorerait par conséquent la réconciliation qui suivit la fin de la stasis et le retour des Pythagoriciens au gouvernement au sein d’une « démocratie modérée ». D’après une tradition doxographique qui remonte probablement, par l’intermédiaire de Timée, à « quelque Pythagoricien du ve ou du ive siècle », Pythagore aurait prononcé, au moment de son arrivée à Crotone, un discours dans lequel il demandait aux habitants d’élever un temple aux Muses, « afin qu’elles conservent la concorde qui règne parmi eux » (ἵνα τηρῶσι τὴν ὑπάρχουσαν ὁμόνοιαν)91. Α. Delatte explique que « les Muses forment un choeur indissoluble, dont l’influence s’étend à tout ce qui constitue et conserve l’accord des esprits, la symphonie, l’harmonie, le rythme, etc. Ce sont elles aussi qui produisent l’“harmonie” de l’Univers »92. Cette tradition se retrouve dans un fragment du comique sicilien Épicharme, dont on sait les rapports avec le pythagorisme, qui fait des Muses les déesses par excellence de la concorde (fr. 222 Kaibel, ap. Serv. auct., In Verg. Aen., I, 8) : Has Musas siculas Epicharmus non multas sed όμονοούσας dicit. Enfin, il existait bien un temple consacré aux Muses sur l’agora de Tarente au ive siècle93. Or, P. Boyancé a montré combien le culte des Muses était attaché au souvenir de Pythagore et étroitement lié aux théories pythagoriciennes sur « l’harmonie des sphères »94. Mais surtout, les principes d’harmonie et d’homonoia ont été célébrés et définis dans des ouvrages théoriques d’Archytas et semblent avoir été appliqués par les institutions de Tarente au ive siècle95.
23Dans la pensée d’Archytas, l’harmonie qui régit le Cosmos obéit à des lois mathématiques que l’on peut reproduire aussi bien en géométrie, en arithmétique, en musique qu’en politique, qui étaient pour cette raison des « sciences soeurs » (μαθήματα ἀδελφεά)96 : la philosophie pythagoricienne considérait que « tout est nombre » et attachait une grande importance, afin de comprendre la nature de toute chose, à la « science des nombres » (λογισμός)97. Un célèbre acousma résumait en quelques mots le credo des Pythagoriciens, et associait l’oracle de Delphes (parce que les Pythagoriciens vénéraient particulièrement Apollon et que l’« harmonie delphique » était considérée comme la gamme musicale), la τετρακτύς (c’est-à-dire la série des nombres 1-2-3-4 dont la somme fait 10, nombre parfait parce qu’il contient tous les autres98) et l’« harmonie dans laquelle sont les Sirènes » (les déesses des sphères, qui seront par la suite remplacées par le choeur des Muses99), c’est-à-dire l’« harmonie des sphères » réglée par Apollon (mis en rapport avec le Soleil), donc le Cosmos100. Aussi, la théorie de l’« harmonie des sphères » reproduite dans la République de Platon et dans le traité Du ciel d’Aristote, puis dans le Songe de Scipion de Cicéron, dérive-t-elle plus ou moins directement de ces spéculations pythagoriciennes101.
24Mais ces spéculations théoriques avaient également une finalité pratique : les Pythagoriciens ne distinguaient pas entre le « genre de vie théorique » (βὶος θεωρητικός) et le « genre de vie pratique » (βὶος πρακτικός), mais considéraient que la vie de l’individu comme la vie de la Cité devait être en conformité avec l’harmonie du Cosmos102. C’est ainsi que Pythagore, dans son premier discours aux Crotoniates, associait l’« harmonie des Sirènes » (ou des Muses) à l’harmonie au sein de la Cité, c’est-à-dire à l’homonoia entre les citoyens103. Or, un fragment du Περὶ μαθημάτων d’Archytas, ouvrage généralement considéré comme authentique, indique de quelle manière celui-ci prétendait pouvoir écarter la stasis et obtenir l’homonoia au sein de la cité104 :
Στάσιν μὲν ἔπαυσεν, ὁμόνοιαν δὲ αὔξησεν λογισμὸς εὐρεθείς πλεονεξία τε γὰρ οὐκ ἔστι τούτου γενομένου καὶ ἰσότας ἔστιν τούτῳ γὰρ περὶ τῶν συναλλαγμάτων διαλλασσόμεθα διὰ τοῦτον οὗν οί πένητες λαμβάνοντι παρὰ τῶν δυναμένων, οἵ τε πλούσιοι διδόντι τοῖς δεομένοις, πιστεύοντες ἀμφότεροι διὰ τούτω τὸ ἷσον ἕξειν. Κανὼν δὲ καὶ κωλυτὴρ τῶν ἀδικούντων <ἐὼν> τοὺς μὲν ἐπισταμένους λογίζεσθαι πρὶν ἀδικεῖν ἔπαυσε, πείσας ὄτι οὐ δυνασοῦνται λαθεῖν, ὅταν ἐπ’ αὐτὸν ἔλθωντι τοὺς δὲ μὴ ἐπισταμένους, ἐν αὐτῷ δηλώσας ἀδικοῦντας, ἐκώλυσεν ἀδικῆσαι.
« Une fois trouvé, le mode de calcul (λογισμός) apaise la discorde (στάσις) et accroît la concorde (ὁμόνοια) : grâce à lui, en effet, l’esprit de domination (πλεονεξία) disparaît et l’égalité (ἰσότας) s’établit; c’est par lui encore que nous nous réconcilions avec ceux avec lesquels nous sommes en relation. C’est ainsi que par lui, les pauvres reçoivent des puissants et les riches donnent aux indigents, car chacun d’eux a ainsi la certitude d’avoir un sort égal (ἴσον). D’autre part, il constitue un canon et un frein pour les gens malhonnêtes : ceux qui savent recourir à ce mode de calcul se trouvent retenus de faire le mal, parce qu’il les persuade qu’ils ne pourront pas se cacher quand ils auront enfreint la règle; ceux qui ne savent pas <y recourir> sont empêchés de faire le mal parce qu’il leur montre que le mal réside dans leur projet »105.
25Le fragment d’Archytas est confirmé par le témoignage d’Aristote, qui a étudié la Constitution de Tarente dans un ouvrage aujourd’hui perdu, mais qui résume en quelques mots, dans la Politique, la législation sociale tarentine du ive siècle106 :
Καλῶς δ’ ἔχει μιμεῖσθαι καὶ τὰ Ταραντίνων ἐκεῖνοι γὰρ κοινὰ ποιοῦντες τὰ κτήματα τοῖς ἀπόροις ἐπὶ τὴν χρῆσιν εὔνουν παρασκευάζουσι τὸ πλῆθος.
« Il est bon d’imiter aussi l’exemple des habitants de Tarente. Ceux-ci mettent en commun avec les indigents la jouissance de leurs propriétés, et se concilient ainsi la bienveillance de la multitude »107.
26Archytas et Aristote évoquent tous deux le problème des relations entre riches et pauvres au sein de la même communauté civique : il s’agit en fait du principal problème politique et social au sein de la plupart des cités grecques du ve et du ive siècle, et qui aboutissait très souvent à une forme de guerre civile entre « aristocrates » et « démocrates » qui était appelée stasis. Aristote cite en exemple les citoyens de Tarente qui ont réussi à établir entre eux une forme de solidarité, par laquelle les plus indigents pouvaient bénéficier du soutien des plus riches : les principes présentés dans le traité d’Archytas avaient donc bien reçu une application concrète. L’exemple présenté par Aristote confirme par ailleurs l’origine pythagoricienne de la définition que ce philosophe donnait de l’homonoia108.
27Le fragment d’Archytas est par contre d’une exceptionnelle densité, car il montre de quelle manière une politique « pythagoricienne » combinait les spéculations théoriques les plus abstraites avec la gestion concrète de la politique d’une Cité. La « science des nombres » (λογισμός) évoquée par Archytas désigne le « mode de calcul » qui permet d’aboutir à une proportion (ἀναλογία) calculée en fonction d’un rapport mathématique (λόγος) entre plusieurs termes109, dont l’application aux relations entre citoyens riches et citoyens pauvres devrait exclure l’esprit de domination (πλεονεξία) et donner le sentiment d’une véritable « égalité » (ἰσότας), mettant ainsi un terme à la stasis et permettant d’établir l’homonoia.
Le principe de l’« égalité géométrique »
28Le texte d’Archytas ne précise toutefois pas quel est ce « mode de calcul », c’est-à-dire de quelle proportion il s’agit. A son époque, on connaissait trois types de proportion ou médiétés (μεσότητες) : la proportion arithmétique, la proportion géométrique et la proportion subcontraire, qu’à partir de l’époque d’Archytas on appela « harmonique »110. Un fragment d’Archytas, conservé par Porphyre, contient précisément la première définition connue de ces trois médiétés, appliquées à la musique111. Sur la base d’un ouvrage politique que Stobée attribue à Archytas112, le Περί νόμου καὶ δικαιοσύνης, certains ont cru identifier le logismos évoqué par Archytas à propos de la constitution tarentine avec la proportion « harmonique » : la constitution de la Cité aurait ainsi été en accord avec l’harmonie du cosmos qu’Archytas aurait découverte à travers la musique113. L’auteur du Περὶ νόμου établit une correspondance précise entre les trois proportions (ou médiétés) définies par Archytas et les trois types de régimes politiques : aristocratique (la proportion harmonique), démocratique (la proportion géométrique) et oligarchique ou tyrannique (la proportion arithmétique)114.
29Toutefois, dans un article très détaillé consacré aux « deux sortes d’égalité » dans la philosophie politique grecque, F. D. Harvey a montré de façon convaincante que cette interprétation est erronée et qu’il n’est pas possible d’identifier le logismos dont parle Archytas avec la proportion « harmonique »115. Tout d’abord, le Περὶ νόμου καὶ δικαιοσύνης est presque certainement une oeuvre apocryphe dont la rédaction doit probablement être attribuée à quelque cercle néopythagoricien d’époque hellénistique ou romaine116. L’attribution de la proportion arithmétique à la constitution oligarchique ou tyrannique, et surtout de la proportion géométrique à la démocratie, apparaît en fait comme un hapax dans toute la philosophie politique grecque. Enfin, même la proportion « harmonique » appliquée au meilleur type de régime, l’aristocratie, ne se rencontre vraiment nulle part ailleurs que dans le Περὶ νόμου, et F. D. Harvey remarque avec justesse que l’unique fragment d’Archytas à évoquer cette « médiété » ne l’applique qu’à la musique117.
30En revanche, en comparant avec les oeuvres d’Isocrate, de Platon et d’Aristote, l’auteur constate que seules deux proportions étaient connues par la philosophie grecque dans le domaine politique : la proportion arithmétique et la proportion géométrique118. Ces deux proportions correspondaient aux deux formes d’égalité (ἰσότης) qui étaient connues : d’une part l’égalité arithmétique, qui attribue à chaque citoyen la même chose, quelle que soit sa valeur ou ses mérites, et qui définit par conséquent le régime démocratique; d’autre part l’égalité géométrique, qui attribue à chacun des droits et des devoirs en proportion de ses mérites, ce qui définit l’équité politique et la « véritable justice » (il s’agit de la « justice distributive »)119. En effet, d’après la définition donnée par Archytas luimême, et qui est la seule reconnue par les sciences mathématiques depuis l’Antiquité, la proportion arithmétique repose sur une série de nombres à égale distance les uns des autres (8, 6, 4, 2), et aboutit à de petits rapports entre les grands termes et à de grands rapports entre les petits (8 : 6 < 6 : 4 < 4 : 2), ce qui correspond, d’après la logique des Anciens, aux caractères du régime démocratique où chaque citoyen à des droits égaux, mais où les « meilleurs » ou les plus riches sont désavantagés par rapport aux plus pauvres. Dans la proportion géométrique au contraire, les nombres constituent une suite sans qu’ils soient à égale distance les uns des autres (16, 8, 4, 2), mais les rapports entre les grands termes et les petits sont toujours égaux (16 : 8 = 8 : 4 = 4 : 2 = 2) : en politique, cela signifie que malgré d’importantes différences entre riches et pauvres, ce que chaque citoyen obtient est toujours égal à ses mérites; c’est pourquoi on aurait là, d’après Isocrate, Platon et Aristote, la définition de la meilleure constitution, celle qui repose sur l’égalité parfaite (parce que « juste » et « équitable »). Or, une partie des conceptions présentes chez ces philosophes semble provenir, plus ou moins directement, des doctrines politiques développées par les Pythagoriciens du ive siècle, et en particulier par Archytas avec qui Platon à été en contact120.
31Dans un passage du Gorgias, Platon montre clairement que pour les Pythagoriciens, le mot logismos ne peut concerner que l’ « égalité géométrique » (508 a) :
Φασὶ δ’ oἰ σοφοί, ὧ Καλλίκλεις, καὶ οὐρανὸν καὶ γῆν καὶ θεοὺς καὶ ἀνθρώπους τὴν κοινωνίαν συνέχειν καὶ φιλίαν καὶ κοσμιότητα καὶ σωφροσύνην καὶ δικαιότητα, καὶ τὸ ὅλον τοῦτο διὰ ταῦτα κόσμον καλοῦσιν, ὧ ἐταῖρε, οὐκ ἀκοσμίαν οὐδὲ ἀκολασίαν. Σὺ δέ μοι δοκεῖς οὐ προσέχειν τὸν νοῦν τούτοις, καὶ ταῦτα σοφὸς ὥν, ἀλλὰ λέληθέν σε ὅτι ἡ ἰσότης ἡ γεωμετρικὴ καὶ ἐν θεοῖς καὶ ἐν ἀνθρώποις μέγα δύναται σὺ δὲ πλεονεξίαν οἵει δεῖν ἀσκεῖν· γεωμετρίας γὰρ ἀμελεῖς.
« Les savants (σοφοί), Calliclès, affirment que le ciel et la terre, les dieux et les hommes, forment ensemble une communauté, qu’ils sont liés par l’amitié, le respect de l’ordre, la modération et la justice, et pour cette raison ils appellent le monde entier cosmos, et non pas désordre et dérèglement. Mais toi, tu as beau être savant, tu ne me sembles pas faire attention à ce genre de choses. Au contraire, tu as oublié que l’égalité géométrique (ἡ ἰσότης ἡ γεωμετρική) est toutepuissante chez les dieux comme chez les hommes. Tu penses qu’il faut s’efforcer à l’emporter sur les autres (πλεονεξία) : en fait, tu négliges la géométrie ».
32La définition de l’ordre cosmique rapportée par Platon est ainsi clairement d’origine pythagoricienne : pour lui, les « savants » (σοφοί) sont généralement les « mathématiciens », c’est-à-dire les Pythagoriciens121. D’ailleurs, les thèmes de la « communauté » et de l’« amitié » étaient particulièrement importants dans la communauté pythagoricienne, de même que l’expression d’un lien entre tous les êtres vivants122. Enfin, les Pythagoriciens étaient réputés pour avoir été les premiers à parler du cosmos123. En tout cas, ce qui fait que, selon eux, le cosmos se définit par « l’ordre, la modération et la justice », est qu’il est régi par le principe de l’« égalité géométrique » (ἡ ἰσότης ἡ γεωμετρική), une notion dont la définition est précisément donnée par un fragment d’Archytas124. Mais si on néglige ce principe, c’est « l’esprit de domination » (πλεονεξία) qui l’emporte : de même, Archytas écrit que c’est l’application à la constitution d’une Cité de la « science des nombres » (λογισμός) qui permet d’éliminer l’esprit de domination (πλεονεξία) et d’établir une véritable « égalité » (ίσότας), mettant ainsi un terme à la stasis et établissant l’homonoia. Le logismos évoqué par Archytas doit par conséquent correspondre à la proportion géométrique.
33Le sens à donner au logismos évoqué par Archytas trouve sa confirmation dans un autre passage de Platon, au début du Politique125 :
ΣΩ. Ἧ πολλὴν χάριν ὀφείλω σοι τῆς Θεαιτήτου γνωρίσεως, ὧ Θεόδωρε, ἅμα καὶ τῆς τοῦ ξένου.
ΘΕΟ. Τάχα δέ γε, ὧ Σώκρατες, ὀφειλήσεις ταύτης τριπλασίαν ἐπειδὰν τόν τε πολιτικὸν ἀπεργάσωνταί σοι καὶ τὁν φιλόσοφον.
ΣΩ. Εἷεν οὕτω τοῦτο, ὧ φίλη Θεόδωρε, φὴσομεν ἀκηκοότες εἷναι τοῦ περὶ λογισμοὺς καὶ τὰ γεωμετρικὰ κρατίστου;
ΘΕΟ. Πῶς, ὧ Σώκρατες;
ΣΩ. Τῶν ἀνδρῶν ἕκαστον θέντος τῆς ἴσης ἀξίας, οἲ τῇ τιμῇ πλέον ἀλλήλων ἀφεστᾶσιν ἣ κατὰ τὴν ἀναλογίαν τὴν τῆς ὐμετέρας τέχνης.
ΘΕΟ. Εὗ γε νὴ τὸν ἡμέτερον θεόν, ὧ Σώκρατες, τὸν Ἅμμωνα, καὶ δικαίως, καὶ πάνυ μὲν οὗν μνημονικῶς ἐπέπληξάς μοι τὸ περὶ τοὺς λογισμοὺς μάρτημα.
« Socrate : “Quelle reconnaissance je te dois, Théodore, de m’avoir fait faire la connaissance de Théétète, ainsi que de l’étranger”.
Théodore : “Soit, mais tu m’en devras bientôt le triple, Socrate, quand ils auront achevé de te faire le portrait du politique et du philosophe”.
Socrate : “Eh bien! dirons-nous avoir entendu cela, mon cher Théodore, de la part de celui qui est le meilleur dans la science des nombres (λογισμός) et en matière de géométrie (γεωμετρικά)?”
Théodore : “Comment cela, Socrate?”
Socrate : “Tu considères chacun de ces hommes d’égale valeur (ἵσης ἀξίας), alors qu’ils diffèrent en mérite plus considérablement les uns par rapport aux autres que d’après la proportion (ἀναλογία) de votre art”.
Théodore : “Par notre dieu Ammon, voilà qui est bien parler, Socrate, et de manière juste, car tu me reproches avec une bonne mémoire mon erreur en ce qui concerne la science des nombres (λογισμός)” ».
34Là encore, ce passage de Platon en faveur du principe de l’« égalité géométrique » semble directement s’inspirer de l’enseignement pythagoricien : « celui qui est le meilleur dans la science des nombres (λογισμός) et en matière de géométrie (γεωμετρικά) » ne peut être que Pythagore, ou un Pythagoricien. D’ailleurs, Socrate affirme que lui-même et Théodore l’auraient « entendu » (ἀκηκοότες), en utilisant le même verbe que ceux qui suivaient l’enseignement pythagoricien sans être pour autant les disciples de cette doctrine, c’est-à-dire les « acousmatiques » (ἀκουσματικοί)126. En tout cas, ce passage permet de confirmer que dans l’esprit de Platon, le logismos correspond au mode de calcul qui aboutit à l’« égalité géométrique », et tout indique que cette idée est d’origine pythagoricienne127.
35Dans le Timée, Platon définit même très précisément la nature du logismos en décrivant la construction du corps du Monde (31c – 32a) :
Δύο δὲ μόνω καλῶς συνίστασθαι τρίτου χωρίς οὐ δυνατόν· δεσμὸν γὰρ ἐν μέσω δεῖ τινα ἀμφοῖν συναγωγὸν γίγνεσθαι. Δεσμῶν δὲ κάλλιστος ὂς ἃν αυτὸν καὶ τὰ συνδούμενα ὄτι μάλιστα ἓν ποιῇ, τοῦτο δὲ πέφυκεν ἀναλογία κάλλιστα ἀποτελεῖν. Ὁπόταν γὰρ ἀριθμῶν τριῶν εἴτε ὄγκων εἵτε δυνάμεων ώντινωνοῦν ᾗ τὸ μέσον, ὄτιπερ τὸ πρῶτον πρὸς αυτό, τοῦτο αὐτὸ πρὸς τὸ ἔσχατον, καὶ πάλιν αὗθις, ὄτι τὸ ἔσχατον πρὸς τὸ μέσον, τὸ μέσον πρὸς τὸ πρῶτον, τότε τὸ μέσον μὲν πρῶτον καὶ ἔσχατον γιγνόμενον, τὸ δ’ ἔσχατον καὶ τὸ πρῶτον αὗ μέσα ἀμφότερα, πάνθ’ οὔτως ἐξ ἀνάγκης τὰ αὐτὰ εἷναι συμβήσεται, τὰ αὐτὰ δὲ γενόμενα ἀλλήλοις ἔν πάντα ἔσται.
« Mais que deux termes forment seuls une belle composition, cela n’est pas possible sans un troisième. Car il faut qu’au milieu d’eux, il y ait quelque lien qui les rapproche tous les deux. Or, de toutes les liaisons, la plus belle est celle qui se donne à elle-même et aux termes qu’elle unit l’unité la plus complète. Et cela, c’est la progression (ἀναλογία) qui naturellement le réalise de la façon la plus belle. Car, lorsque de trois nombres, soit linéaires, soit plans quelconques, celui du milieu est tel que, ce que le premier est par rapport à lui, ce moyen lui-même le soit par rapport au dernier; et inversement, quand il est tel que, ce que le dernier est par rapport au moyen, le moyen le soit par rapport au premier, le moyen devenant à la fois premier et dernier, le premier et le dernier devenant tous deux moyens à leur tour, il arrive ainsi nécessairement que tous les termes aient la même fonction, que tous jouent les uns par rapport aux autres le même rôle, et dans ce cas tous forment une unité parfaite »128.
36Plus loin, la construction de l’Âme, dimension spirituelle et mystique de la nature de l’Univers129, est présentée à l’image du cosmos (36 d – 37 a) :
Ἐπεὶ δὲ κατὰ voῦv τῷ συνιστάντι πᾶσα ἡ τῆς ψυχῆς σύστασις ἐγεγένητο, μετὰ τοῦτο πᾶν τὸ σωματοειδὲς ἐντὸς αὺτῆς ἐτεκταίνετο καὶ μέσον μέση συναγαγὼν προσήρμοττεν ἡ δ’ ἐκ μέσου πρὸς τὸν ἔσχατον οὐρανὸν πάντῃ διαπλεκεῖσα κύκλῳ τε αὐτὸν ἔξωθεν περικαλύψασα, αὐτὴ ἐν αὐτῇ στρεφομένη, θείαν ἀρχὴν ἤρξατο ἀπαύστου καὶ ἔμφρονος βίου πρὸς τὸν σύμπαντα χρόνον. καὶ τὸ μὲν δὴ σῶμα ὁρατὸν οὐρανοῦ γέγονεν, αὐτὴ δὲ ἀόρατος μέν, λογισμοῦ δὲ μετέχουσα καὶ ἀρμονίας ψυχἡ, τῶν νοητῶν ἀεί τε ὄντων ὐπὸ τοῦ ἀρίστου ἀρίστη γενομένη τῶν γεννηθέντων.
« Quand toute la construction de l’Âme eut été réalisée au gré de son auteur, celui-ci étendit ensuite à l’intérieur de cette Âme tout ce qui est corporel, et faisant coïncider le milieu du corps et le milieu de l’Âme, il les mit en harmonie. Ainsi l’Âme, étendue dans toutes les directions, depuis le milieu jusqu’aux extrémités du ciel, l’enveloppant en cercles du dehors, et tournant en cercle sur elle-même en elle-même, commença d’un commencement divin sa vie inextinguible et raisonnnable, pour toute la durée des temps. Et ainsi naquirent, d’une part le corps visible du Ciel, et de l’autre, invisible, mais participant à la science des nombres (λογισμός) et à l’harmonie (ἀρμονία), l’Âme, la plus belle des réalités engendrées par le meilleur des êtres intelligibles »130.
37La nature pythagoricienne de ce dialogue de Platon a été soulignée dès l’Antiquité131 : certains élèves d’Aristote rapportaient même que Platon aurait acheté en Grande-Grèce des écrits de Philolaos, dont il se serait ensuite servi pour écrire le Timée132. W. Burkert estime qu’il est possible que le vrai responsable de cette accusation de plagiat pourrait être Aristoxène, candidat malheureux à la succession d’Aristote133. Mais d’un autre côté, ce savant croit pouvoir attribuer à Philolaos la cosmologie pythagoricienne présentée par Aristote dans son traité sur la Métaphysique134 : c’est lui qu’il désignerait par l’expression καλούμενοι Πυθαγόρεῖοι, et Aristote aurait eu connaissance d’un de ses livres dont l’existence au ive siècle est attestée par Ménon135. Platon peut par conséquent très bien avoir connu, lui aussi, des livres pythagoriciens, dont ceux de Philolaos de Crotone, même si ses sources d’information étaient certainement plus variées, notamment par ses contacts personnels avec Archytas. Selon W. K. C. Guthrie, le « mouvement harmonieux » (ἐναρμόνιος φορά) que Platon attribue aux sphères célestes, dans le Timée comme dans la République, serait une notion qui proviendrait d’Archytas136. Quoi qu’il en soit, le Timée est sans doute l’un des dialogues où Platon se montre le plus proche des doctrines pythagoriciennes. Il place dans la bouche d’un philosophe d’Italie, Timée de Locres, un exposé continu, présenté sous la forme d’un mythe, sur la nature et la création du cosmos : même si Timée n’est pas explicitement présenté comme un Pythagoricien, ce que Platon lui fait dire est très proche du pythagorisme ancien, d’autant qu’Aristote avait, quant à lui, l’habitude de désigner les Pythagoriciens, les « Italiens » ou les « philosophes d’Italie »137. Enfin et surtout, P. Boyancé a remarqué avec justesse que « le retour à l’intérêt pour le cosmos », dans le Timée, marque l’abandon par Platon de « la méthode dialectique » et de « l’attribution des thèses présentées à Socrate » : par rapport au Cratyle, on aurait ainsi le signe d’une « conversion progressive de Platon à un certain pythagorisme »138.
38Dans le mythe du Timée, le Démiurge construit le corps du Monde à partir de trois éléments inégaux : dans l’ordre décroissant, le « premier », le « moyen » et le « dernier ». Ces éléments inégaux, il les unit de la façon « la plus belle » en suivant une « proportion » (ἀναλογία) : cette « proportion » est calculée en fonction d’un rapport mathématique (λόγος) entre les différents termes, dont Platon précise justement qu’ils ne peuvent pas être moins de trois139. Or, le rapport qui est établi entre les différents termes correspond à la proportion « géométrique », même si cette expression ne figure pas dans le texte : en effet, le rapport entre le « premier » terme et le « moyen » est égal à celui entre le « moyen » et le « dernier », et inversement, ce qui aboutit à une égalité et à une unité parfaites (par exemple : 8, 4, 2 où 8 : 4 = 4 : 2, ou bien 2 : 4 = 4 : 8 ). D’ailleurs, dans le Gorgias, le mot ἀναλογία est explicitement employé avec le sens de « proportion géométrique ». Quant à l’Âme du Monde (invisible), elle a été construite sur le même modèle géométrique que le Ciel (visible), et participe par conséquent comme lui à la « science des nombres » (λογισμός) et à l’« harmonie » (ἀρμονία) : on retrouve ainsi le logismos évoqué dans le Gorgias à propos de l’« égalité géométrique », et dans le fragment 3 d’Archytas à propos de l’homonoia. Cette « mystique des nombres » n’a d’ailleurs rien à envier au « nombre géométrique » (ἀριθμός γεωμετρικός) que Platon présente dans la République, après s’être adressé aux Muses dans le plus pur style pythagoricien140.
39Il ne peut dès lors plus faire de doute que le logismos évoqué par Archytas, et dont la découverte éloigne la stasis et instaure l’homonoia au sein de la Cité, concerne la proportion géométrique qui établit une égalité proportionnelle (ou « géométrique ») entre les citoyens. Celle-ci ne serait donc que le reflet de l’image du macrocosme sur l’organisation politique et la vie de la Cité, selon une vision chère à l’enseignement des Pythagoriciens. Même si une partie de ces concepts proviennent du travail de réflexion théorique de Philolaos de Crotone, qui pourrait être ainsi la source d’inspiration commune à Platon et à Archytas, ce dernier a eu le mérite de les appliquer aux institutions tarentines du ive siècle : Strabon, qui s’inspire probablement de la Constitution des Tarentins d’Aristote, affirme que grâce à elles et au gouvernement avisé d’Archytas, Tarente était alors une cité puissante et respectée en Italie, et Aristote, qui fait leur éloge, en parle au temps présent (ce qui laisse supposer que ces institutions ont encore pu fonctionner ainsi après la fin du gouvernement d’Archytas, en 361)141.
40La démocratie tarentine instaurée par Archytas fut ainsi un « gouvernement d’aristocrates éclairés », où la participation du peuple au pouvoir était tempérée par l’influence paternaliste, mais encore prédominante, des aristocrates et des plus riches142. Il s’agissait ainsi de l’application du principe pythagoricien de l’harmonie, qui reposait sur l’équilibre des contraires et qui répondait aux nouvelles exigences sociales et politiques de l’époque143. Cette forme de « constitution mixte » allait inspirer les institutions et les législateurs des principales cités d’Italie du Sud au ive siècle, comme Locres ou Rhegium, et la théorie de l’harmonie de gouvernement allait devenir un modèle pour la doctrine politique classique d’Aristote à Cicéron, en passant par Polybe144. Après les violentes dissensions internes qui opposèrent au cours du ve siècle les « aristocrates » aux « démocrates », aboutissant ainsi à la « révolution cylonienne » et à l’élimination des premières communautés pythagoriciennes145, le renouveau de la pensée pythagoricienne entre la fin du ve et le début du ive siècle (grâce notamment à Philolaos de Crotone) aboutit à des solutions politiques de compromis, et permit le remplacement de la démocratie radicale par une « démocratie modérée » de cavaliers et de riches propriétaires en mesure d’assumer un rôle politique : les plus riches, des aristocrates pythagoriciens, sauvegardaient leurs intérêts politiques dans la direction de la cité en supportant davantage les tâches collectives, soulageant ainsi les citoyens plus pauvres dans un climat relativement consensuel146. À Tarente comme à Nakônè, cette politique de réconciliation par l’assistance sociale aboutissait à l’homonoia entre les citoyens, un idéal politique et philosophique que l’on retrouve précisément à Rome à la fin du ive siècle.
3 – CONCORDIA ET « ÉGALITÉ GÉOMÉTRIQUE » DANS LES INSTITUTIONS DE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE : LES INNOVATIONS DE LA FIN DU IVe SIÈCLE
La Concordia romaine et l’Homonoia pythagoricienne
41En 304, l’édile Cn. Flavius dédia sur le Comitium une chapelle à Concordia147. Le nom de Concordia apparaît d’ailleurs sur des coupes (pocola) fabriquées à Rome vers la fin du IVe ou à partir du début du iiie siècle, de même que celui d’autres divinités introduites à Rome à cette époque148. On hésite parfois à identifier cette nouvelle divinité avec l’Homonoia grecque, à laquelle on oppose la conception cicéronienne de la concordia ordinum : mais c’est oublier que Cicéron a pu adapter à des circonstances historiques nouvelles un concept déjà ancien, et qu’à la fin du ive siècle, la Concordia romaine n’avait certes pas besoin de répondre à la définition qu’on lui donnera à la fin de la République (l’accord de tous les boni, c’est-à-dire entre « ordre sénatorial » et « ordre équestre »)149. En fait, comme les autres notions abstraites qui ont commencé à recevoir un culte à partir de cette époque, Concordia doit normalement avoir eu, elle aussi, une origine grecque150. Aussi la présence de l’aedicula Concordiae in Graecostasi, donc à l’endroit précis où se tenaient les représentants des cités de Grande-Grèce venus négocier avec les autorités politiques romaines, ne peut-elle s’expliquer que si cette nouvelle divinité était la transposition romaine de l’Homonoia grecque151 : pour A. Momigliano, la polémique que suscita la dédicace de la chapelle de la Concordia par Cn. Flavius ferait d’ailleurs penser à l’introduction d’un culte grec152. Dans le monde grec, Homonoia n’était pas qu’un simple concept philosophique et politique, mais avait aussi reçu les honneurs d’un culte : sur le statère d’argent de Métaponte, elle emprunterait les traits de Déméter; à Olympie, un pilier honorifique, puis un autel, lui ont été consacrés; enfin à Nakônè, un sacrifice lui était rendu chaque année par l’ensemble des citoyens, réconciliés après une diaphora153. À Rome, l’emplacement choisi par Cn. Flavius pour l’installation de la chapelle, c’est-à-dire in Graecostasi, à proximité de la statue de Pythagore datant de la même époque, suggère à l’évidence un rapprochement avec l’Homonoia des cités pythagoriciennes de Grande-Grèce.
42En fait, les circonstances de la dédicace de cette chapelle confirment ce rapprochement. D’après Tite-Live, Cn. Flavius, qui a été élu édile curule par les humiles (devenus majoritaires aux comices tributes à la suite de la réforme des tribus d’Appius Claudius), dédia la chapelle à la Concorde summa invidia nobilium154. Pline l’Ancien, qui semble reprendre la définition cicéronienne de la concordia ordinum, prétend que Cn. Flavius fit le voeu de dédier un temple à la Concorde « s’il parvenait à réconcilier les ordres avec le peuple » (si populo reconciliasset ordines), mais ajoute que pour construire la chapelle de bronze sur la Graecostasis, « il employa le produit des amendes infligées aux usuriers » (ex multaticia faeneratoribus condemnatis aediculam aeream fecit in Graecostasi). Par la suite encore, en 296, les édiles curules Cn. et Q. Ogulnius financèrent, avec le produit des confiscations imposées aux usuriers, « des portes de bronze au Capitole, des vases d’argent (…) dans la cella de Jupiter, une statue de Jupiter avec son quadrige sur le faîte du temple, les statues des enfants fondateurs de Rome placées sous les mamelles de la louve », et le pavement en pierre du premier mille de la via Appia, de la porte Capène au temple de Mars155. Depuis la loi Genucia de feneratione de 342, l’usure qui s’exerçait sur les plus pauvres (les humiles) était sévèrement réprimée, d’autant plus qu’entre temps le nexum, qui était généralement la seule issue pour les débiteurs insolvables, avait à son tour également été interdit (par la loi Poetelia de 326 ou 313)156. Le conflit qui transparaît derrière le mode de financement employé par Cn. Flavius et par les frères Ogulnii oppose par conséquent des citoyens riches (les feneratores, qu’il faut sans doute identifier avec une partie des nobiles) et des citoyens pauvres (les humiles qui élirent Cn. Flavius à l’édilité curule) : c’est à ce conflit social que Cn. Flavius espérait mettre un terme en consacrant une chapelle à la Concorde157.
43Le sort réservé aux feneratores à Rome à la fin du ive siècle évoque très précisément le témoignage presque contemporain d’Énée le Tacticien qui, dans son traité intitulé la Poliorcétique, proposait une série de mesures visant à assurer la sécurité des villes et engageait les gouvernants, dans les moments critiques, « à pousser la masse des citoyens le plus possible à la concorde (ὁμόνοια) », notamment « en soulageant les débiteurs par la modicité des intérêts ou en les supprimant totalement »; il recommandait même, quand la situation devenait trop périlleuse, de supprimer une partie des dettes ou leur totalité, car, écrivait-il, « les hommes ainsi endettés sont de loin les plus dangereux à avoir auprès de soi »158. Par ailleurs, nous avons vu plus haut les coïncidences institutionnelles entre les prescriptions du décret de Nakônè et celles d’Héraclée du Pont (citées par Énée le Tacticien) afin d’assurer l’homonoia dans la cité : le sens à donner à Concordia, à laquelle Cn. Flavius voua un temple « s’il parvenait à réconcilier les ordres avec le peuple », doit par conséquent être très semblable de l’Homonoia évoquée dans les documents grecs de la même époque.
44Mais cette réconciliation ne put pas se faire uniquement à coup d’amendes infligées aux plus riches qui ne respectaient pas les nouvelles règles que la cité s’était imposées : il fallait aboutir à un accord consensuel grâce auquel les citoyens riches et les citoyens pauvres pouvaient trouver un intérêt commun à vivre ensemble au sein de la même communauté civique. La tradition littéraire et l’épigraphie semblent d’ailleurs s’être fait l’écho de l’existence, à partir de cette époque, d’une opinion consensuelle au sein de la population civique romaine : en 304, le pontifex maximus Cornelius Barbatus fournit à Cn. Flavius les formules consacrées pour réaliser sa dédicace, après y avoir été poussé par le consensus populi (Liv., IX, 46, 6); en 297, Q. Fabius Rullianus fut élu au consulat consensu civitatis (Liv., X, 13, 12); enfin, les éloges funèbres d’A. Atilius Calatinus et de L. Scipio, fils de Barbatus, au cours du iiie siècle, évoquent tous deux le consensus de leurs concitoyens dans l’appréciation de leur valeur et de leurs mérites159. C. Nicolet a fortement souligné que le régime de la cité ne pouvait « survivre que par un large consensus », et que celui-ci était obtenu à Rome grâce à l’application du principe de l’« égalité géométrique » par le système censitaire républicain160. Or, c’est notamment à travers l’application de ce principe qu’il faut comprendre l’apparition du thème de la Concordia à Rome à la fin du ive siècle.
La réforme des tribus d’Appius Claudius Caecus et la Concorde
45Pour qu’il y ait Concordia (ou όμόνοια), il fallait qu’il y eût d’abord un accord entre riches et pauvres, comme l’avaient déjà préconisé Démocrite et Archytas, et comme Aristote l’a relevé au sujet des institutions de Tarente au ive siècle. Cet accord supposait que les plus riches fussent solidaires des plus pauvres en participant davantage aux tâches collectives et aux charges qui incombaient normalement à tous les citoyens, et en venant directement en aide aux indigents. Or, c’est exactement la conclusion à laquelle nous sommes arrivés à propos de la réforme des tribus d’Appius Claudius Caecus. En effet, la réforme des tribus d’Appius Claudius aboutit à répartir les plus pauvres dans toutes les tribus (humilibus per omnes tribus divisis), ce qui signifie que dans chaque tribu, riches et pauvres étaient dorénavant mêlés sans distinction de classe ni d’ordre161. La répartition de la totalité de la population civique en unités administratives plus petites, les tribus territoriales, au sein desquelles les citoyens étaient brassés quelle que fût leur origine sociale (riches nobiles ou humiles), semble ainsi suivre le modèle contenu dans la tradition sur la διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας attribuée à Numa, ou dans le décret de Nakônè. Les institutions ne sont certes pas exactement les mêmes, loin s’en faut, mais l’idée qu’il suffit de répartir le peuple en petites unités au sein desquelles les différences pourront s’estomper est également vraie dans les trois cas. Et dans les trois cas, ce brassage aboutit soit à un « harmonieux mélange de tous avec tous », soit à un culte rendu à Homonoia ou à Concordia.
46Nous avons vu par ailleurs que la réforme des tribus d’Appius Claudius doit être mise en rapport avec l’adoption définitive de l’organisation manipulaire de l’armée romaine : au moment du dilectus, les légionnaires étaient désormais choisis par tribus, chaque tribu devant probablement fournir un contingent d’hommes équivalent. De même le tributum, un impôt créé pour financer le Stipendium qui permettait aux plus humbles de combattre au sein de la légion, était lui aussi prélevé par tribus (tributum a tribubus dictum) : C. Nicolet, qui avait rapproché ce système fiscal de celui des symmories athéniennes, estimait que chaque tribu devait à l’origine contribuer dans une proportion équivalente au versement de cet impôt162. De plus, la participation des citoyens à l’effort collectif était proportionnelle à la fortune et au mérite de chacun : les légionnaires, recrutés par tribus, étaient choisis selon les classes censitaires (les principes et les triarii au sein de la première classe, les hastati au sein de la deuxième et de la troisième, les troupes légères au sein des deux dernières classes), et le tributum était prélevé en fonction du cens (tributum ex censu). D’une manière ou d’une autre, l’inscription des citoyens dans les centuries de l’organisation censitaire devait être prise en compte au moment de la levée des troupes ou de la levée de l’impôt, même si celles-ci se faisaient par tribus : chaque tribu devait dès lors comprendre un certain nombre de citoyens de chacune des classes ou de chacune des centuries de l’organisation censitaire. Comme dans chaque tribu les riches étaient naturellement moins nombreux que les pauvres, mais étaient répartis dans un plus grand nombre de centuries, leur participation aux charges militaires et fiscales était plus importante que celle des pauvres. Ces derniers, comme tous les légionnaires romains à partir de ce moment-là, pouvaient en outre bénéficier du versement d’un Stipendium s’ils étaient recrutés, alors même qu’ils participaient très faiblement au paiement du tributum.
47Le système fiscal et institutionnel qui a alors été mis en place établit ainsi une forme de « solidarité » entre citoyens riches et citoyens pauvres, suivant une conception identique à celle mise en oeuvre par Archytas à Tarente un demi-siècle auparavant : la Concordia à laquelle fut dédiée une chapelle ne peut donc avoir été que la reproduction de l’Homonoia pythagoricienne. Bien plus, comme cette chapelle fut édifiée au Comitium, le lieu de réunion symbolique des comices par tribus, et qu’elle fut dédiée par Cn. Flavius, un humilis qui fut élu édile curule par la foule de ceux à qui la réforme d’Appius Claudius avait donné la majorité aux comices par tribus (la forensis factio), la Concordia doit nécessairement être idéologiquement liée à cette réforme des tribus : dès lors, les coïncidences ne peuvent plus être le fruit d’un hasard historique, et la réforme des tribus d’Appius Claudius devait s’être inspirée soit des institutions d’une cité pythagoricienne de Grande-Grèce, soit des principes théoriques contenus dans les doctrines pythagoriciennes alors en vogue en Italie du Sud.
L’application à Rome du principe de l’« égalité géométrique »
48Le mécanisme romain de prélèvement des charges fiscales (par le tributum) et militaires (par le dilectus), l’attribution du stipendium aux légionnaires (grâce au tributum) ainsi que le mode de désignation des magistrats les plus importants (par l’assemblée centuriate), respectent les critères et les objectifs de la « justice distributive », en suivant le principe de l’« égalité géométrique »163. Nous avons vu précédemment que la justification idéologique contenue dans les récits « canoniques » sur l’organisation « servienne » du système censitaire romain, chez Cicéron, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, reposait sur le principe de l’« égalité géométrique » : le système est bon, voire même le meilleur, parce qu’il répartit les charges civiles et militaires en fonction de la fortune et des mérites de chacun164. C. Nicolet avait précisément relevé dans cette justification idéologique l’influence de la philosophie platonicienne et aristotélicienne165. Mais il a cru y voir le fruit d’une réélaboration tardive du iie siècle, notamment parce qu’il ne lui semblait pas possible que les oeuvres de Platon et d’Aristote fussent déjà connues à Rome au ive siècle (lorsque ces institutions sont manifestement déjà en place : « dès la censure d’Appius Claudius »166) et qu’elles aient pu agir sur la formation des institutions de la République romaine.
49Toutefois, comme nous pensons l’avoir démontré précédemment, les textes « canoniques » qui présentent la discriptio classium remontent à un document original antérieur à Fabius Pictor et probablement antérieur à Timée, provenant manifestement des tabulae censoriae ou se confondant avec elles, et dont la rédaction pourrait bien être contemporaine de la formation de la tradition sur la censure de Servius Tullius : celle-ci semble à son tour contemporaine de la création dans sa forme définitive de l’organisation censitaire en cinq classes, que l’adaptation parfaite aux structures militaires et monétaires de la République romaine ne peut faire dater que de la fin du ive siècle167. C’est pourquoi, la justification idéologique du principe de l’ « égalité géométrique » qui est contenue dans les textes « canoniques » devait aussi bien figurer dans le document original, voire dans les tabulae censoriae, et date par conséquent de la création du système lui-même, donc au plus tard de la fin du ive siècle. Et si ni Platon ni Aristote ne pouvaient être connus à Rome à cette époque, il n’en fut probablement pas de même des théories philosophiques, voire de la pratique politique d’Archytas de Tarente168. On peut même se demander dans quelle mesure l’exemple des « cités les plus grandes et les mieux gouvernées », qui est invoqué par Servius Tullius dans le discours où il justifie, chez Denys d’Halicarnasse, le principe de l’« égalité géométrique » du système censitaire romain, n’est pas une allusion aux cités pythagoriciennes du ive siècle et notamment à Tarente169.
50Nous avons précisément vu que pour Archytas, l’homonoia ne peut naître dans une cité que si les relations entre riches et pauvres sont modifiées de façon à créer entre eux un sentiment d’égalité170. Celui-ci est créé grâce à un « mode de calcul » (logismos) qui repose sur la proportion géométrique et qui permet aux pauvres de recevoir des puissants et aux riches de donner aux indigents : on peut parfaitement reconnaître ce principe dans les institutions dont s’est dotée la République romaine à la suite de la réforme des tribus d’Appius Claudius et de l’adoption définitive de l’organisation censitaire « servienne ». Cet aspect fait même explicitement partie de la justification que Tite-Live et Denys donnent à l’organisation « servienne », grâce à laquelle, « toutes les charges retombaient des pauvres sur les riches, mais des honneurs y étaient attachés »171. Il reste à voir dans quelle mesure l’application du principe de l’« égalité géométrique » par les institutions romaines peut correspondre à un « mode de calcul » précis, c’est-à-dire à un logismos d’origine pythagoricienne.
51Aux yeux des Anciens, et notamment des Pythagoriciens, les proportions mathématiques (arithmétique ou géométrique) définissent la nature (et la qualité) d’un régime politique en fonction des rapports qu’entretiennent entre eux différents termes. Pour A. Delatte, ceux-ci concernent les groupes politiques que forment les citoyens : ce sont eux qui correspondent aux grandeurs et aux termes mathématiques dont les rapports sont soit « arithmétiques », soit « géométriques », soit « harmoniques » (cet auteur, à la suite du Περὶ νόμου, admet l’application des trois proportions dans le domaine politique)172. A. Delatte explique que, d’un point de vue pythagoricien, ce qui constitue la valeur de ces rapports et qui permet de les appeler « grands » ou « petits », « ce n’est ni le nombre, ni la puissance, ni la richesse, car dans le droit démocratique et dans le droit oligarchique et tyrannique, la possession de ces avantages laisse petits ceux qui les détiennent. Cet élément d’une valeur prééminente est le talent (ἀρετά), car c’est lui qui est le propre du droit aristocratique et qui s’y trouve favorisé sous le nom de grand. Les λόγοι mathématiques ou rapports des termes trouvent, en politique, leur équivalent dans les droits, charges et honneurs, attribués aux citoyens ou aux groupes qu’ils forment »173.
52Si l’on veut appliquer ces principes au système censitaire romain, les « groupes politiques » ne peuvent désigner que les centuries et (ou) les différentes classes censitaires. Or, Cicéron, Tite-Live et Denys insistent tous les trois sur l’importance du mérite (dignitas) ou de la valeur individuelle (virtus) qui justifie, à côté de la richesse (fortuna) l’inscription des citoyens dans les différentes classes par les censeurs : ceux-ci étaient précisément chargés d’évaluer la virtus de chacun au moment des opérations du census, et cette juridiction morale, qui s’appliquait davantage aux premières classes qu’aux dernières, n’est probablement apparue que lorsque le système censitaire a atteint le nombre de cinq classes, et doit être pratiquement contemporaine de l’apparition du regimen morum lors de la lectio senatus et de la recognitio equitum. Or, dans le système « servien », les citoyens les plus « méritants » (mais aussi les plus riches!), parce que répartis en un plus grand nombre de centuries alors qu’ils étaient moins nombreux, constituaient un groupe auquel incombaient des charges fiscales et militaires plus importantes, mais aussi un rôle politique prééminent.
53Selon A. Delatte, la nature pythagoricienne des institutions politiques d’une cité ne se mesurerait qu’aux effets que celles-ci produisent sur les rapports entre les différents groupes de citoyens. Toutefois, la logique pour ainsi dire mathématique du système censitaire « servien » incite à penser que le principe de l’« égalité géométrique » n’y est pas simplement une justification idéologique ajoutée a posteriori, mais qu’il s’agit de l’essence même du système : autrement dit, si la proportion géométrique peut être identifiée à l’intérieur des structures institutionnelles du système censitaire romain, cela signifierait que celui-ci a été conçu dès l’origine, c’est-à-dire dès qu’il a connu sa forme achevée (le système « servien » des cinq classes), en fonction du principe de l’« égalité géométrique ».
54Nous avons vu plus haut qu’en prenant en compte les chiffres du cens minimal requis pour chaque classe, on constate que les rapports de fortune entre les quatre premières classes et la dernière correspondent respectivement à huit fois, six fois, quatre fois et deux fois le cens de la cinquième classe174. Si on admet, comme nous l’avons fait pour expliquer les chiffres du prétendu « premier census » organisé par Servius Tullius, que le nombre de citoyens par centurie et par classe était inversement proportionnel à la fortune de chacun d’eux, on aurait de la cinquième à la deuxième classe, des effectifs par centurie qui auraient été respectivement huit fois, six fois, quatre fois et deux fois plus importants que ceux des centuries de la première classe. Pour établir les différents niveaux de l’échelle des fortunes, le module de référence semble donc avoir été le census de la cinquième classe, alors que les effectifs par centurie au sein de chaque classe ont dû être échelonnés, selon une proportion inverse, en fonction du nombre de citoyens inscrits dans les centuries de la première classe :
55Chacune des classes pourrait ainsi être affectée d’un coefficient différent selon qu’il s’agit de mesurer la fortune ou le nombre : de la première à la cinquième classe, on aurait les coefficients 8, 6, 4, 2, 1 pour la fortune, et 1, 2, 4, 6, 8 pour le nombre. Ainsi, en tenant compte à la fois de la fortune et du nombre, chaque classe censitaire, à l’exception de la première (8 + 1), aurait entretenu le même rapport de 8 : 1 avec la cinquième, puisque la réduction progressive de la richesse aurait été compensée par leur accroissement numérique : (6 + 2) : 1 = (4 + 4) : 1 = (2 + 6) : 1. Le mécanisme de répartition des charges au sein de ce système repose sur la mise en rapport de la fortune (valeur « positive » placée en dividende) et du nombre (valeur « négative » placée en diviseur) : pour les citoyens de la première classe, le rapport est grand (8 : 1), ce qui leur donne plus de droits politiques, mais aussi plus de charges (fiscales et militaires); alors que pour les citoyens de la dernière classe, le rapport est petit ( 1 : 8 ), ce qui leur donne des droits, mais aussi des charges en proportion inverse. Pour les cinq classes, on aurait par conséquent la série de rapports suivants :
56On constate que les rapports des deuxième, troisième et quatrième classes constituent une suite géométrique, puisque 3 est le triple de 1 qui est le triple de 0,33. Dans cette série, le rapport entre la deuxième et la troisième classe est égal à celui entre la troisième et la quatrième (3 : 1 = 1 : 0,33 = 3). Il ne manque qu’une unité (+ 1) au dividende de la première classe (en valeur « positive ») et au diviseur de la dernière classe (en valeur « négative ») pour obtenir une suite géométrique complète pour l’ensemble des cinq classes.
57Toutefois, si l’on admet que l’inscription d’un citoyen dans la première classe ne tenait pas qu’au montant de sa fortune, mais dépendait également de sa valeur morale et de ses mérites personnels (dignitas), et que cette appréciation morale de la part des censeurs s’appliquait davantage aux citoyens de la première classe qu’aux autres, il est juste de considérer que cette dimension doit être prise en compte dans le système des coefficients et qu’elle peut constituer l’unité manquante au dividende de la première classe (en valeur « positive ») pour obtenir un rapport identique avec la classe suivante : ((8+1) : 1) : (6 : 2) = 3. Inversement, et par souci de symétrie, si l’on ajoute un point de coefficient au dividende de la première classe afin de prendre en compte la dignitas en plus de la fortuna (en valeur « positive »), il conviendrait d’ajouter un point de coefficient au diviseur de la dernière classe afin de tenir compte, comme devaient le faire les censeurs, de l’absence de dignitas et de virtus chez les citoyens les plus pauvres, ces humiles que les plus riches devaient confiner dans un profond mépris; on obtiendrait alors toujours le même rapport entre la quatrième et la cinquième classe : (2 : 6) : (1 : (8+1)) = 3.
58Si notre hypothèse est juste, la structure du système censitaireromain aurait donc été conçue en fonction d’une proportion géométrique de raison 3 : en prenant en compte, au sein de chaque classe, le rapport entre la fortune (à laquelle il faudrait ajouter la dignitas pour la première classe) et le nombre, le rapport de chaque classe avec la classe suivante est toujours égal à 3. On aboutit ainsi à une illustration mathématique du principe de l’« égalité géométrique » : (9 : 3) = (3 : 1 ) = (1 : 0,33) = (0,33 : 0,11) = 3. Sans même vouloir tenir compte de la valeur particulière que les Pythagoriciens attachaient au nombre trois1175, il est très difficile d’admettre que les Romains aient pu mettre en place par hasard un mécanisme institutionnel d’une construction aussi géométrique, à une époque où, dans le même temps, ils élevaient une statue de Pythagore sur le Comitium et consacraient une chapelle à la Concorde sur le modèle de l’Homonoia pythagoricienne.
59Enfin, d’autres aspects institutionnels pourraient également faire penser à l’existence d’un modèle pythagoricien au moment de la formation du système « servien ». Ainsi, le nombre de cinq classes censitaires, qui résulte apparemment de l’addition de deux classes d’humiles aux trois premières classes préexistentes, a peut-être un rapport avec la Pentade pythagoricienne : dans l’arithmologie pythagoricienne, le nombre cinq était symbole de Justice (Δίκη ou δικαιοσύνη) parce qu’en additionnant le premier nombre impair (trois) et le premier nombre pair (deux), il unit des parties inégales et constitue une « égalité géométrique »176. Pour les Pythagoriciens, tout l’Univers, le ciel, la terre, la musique et la politique se réduisaient à des nombres, et leur valeur était autant éthique qu’arithmétique177. Or, pour les Pythagoriciens comme pour Platon et Aristote, la Justice est directement liée au principe de l’égalité « proportionnelle », car elle consiste à distribuer à chacun ce qu’il mérite178 : la structure de l’organisation censitaire romaine, qui a achevé de se mettre en place vers la fin du ive siècle, serait ainsi le reflet de la conception pythagoricienne de la justice distributive.
60L’organisation timocratique du système censitair romain pourrait ainsi avoir subi l’influence décisive des conceptions pythagoriciennes contemporaines en matière de justice politique. Encore une fois, Platon, qui connaissait bien ces doctrines pythagoriciennes et semble en avoir été fortement marqué, peut nous montrer la part que leur doit également l’organisation timocratique romaine : dans les Lois, il recommande de répartir les citoyens dans quatre classes censitaires d’après la fortune et la valeur individuelle (celle-ci devrait être estimée d’après le mérite personnel ou celui des ancêtres, la force physique, la beauté, et l’usage que l’on fait de la richesse ou de la pauvreté), afin de répartir « les honneurs et les charges le plus également possible en vertu de l’inégalité proportionnelle » (τῷ ἀνίσῳ συμμέτρῳ)179. Le système a donc explicitement pour fonction de donner le pouvoir à ceux qui sont considérés « les meilleurs et les plus puissants » (τοὺς βελτίους τε καὶ κρείττους), que dans le Gorgias, Platon définit comme « ceux qui, en ce qui concerne les affaires publiques, sont sages et courageux » (τοὺς φρονιμους εἰς τὰ τῆς πόλεως πράγματα καὶ ἀνδρείους) : « voilà ceux qui méritent le pouvoir, et la justice veut que la part des avantages soit plus grande pour eux que pour les autres, pour les gouvernants que pour les gouvernés »180. Or, ce n’est sans doute pas un hasard si on retrouve à leur propos exactement les mêmes termes que ceux qui ont été employés à propos du choix des statues de Pythagore et d’Alcibiade, élevées à l’époque des guerres samnites en l’honneur « du plus sage et du plus courageux des Grecs » (τòν φρονιμώτατον καὶ τὸν ἀνδρειότατον Ἐλλήνων)181.
61C’est cette justification idéologique par les doctrines politiques et philosophiques du pythagorisme du ive siècle que l’on retrouve dans le récit de Plutarque sur le règne de Numa182. Le mythe de la διανομὴ τοῦ πλὴθους κατὰ τέχνας attribuée à ce roi semble bien correspondre à la philosophie qui inspira les deux profondes réformes institutionnelles de la fin du ive siècle : le système censitaire « servien » et la réforme des tribus d’Appius Claudius, même si formellement il ne s’agit pas des mêmes institutions. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas fortuit si trois des neuf collèges d’artisans créés par Numa correspondent aux centuries de flûtistes, de charpentiers et de forgerons énumérées dans la discriptio classium de l’organisation centuriate, et si dans les deux cas les tibicines sont cités en premier183. En tout cas, la dimension pythagoricienne du règne de Numa, exemple de vertu, de sagesse et de modération, ressort de l’éloge qu’en fait Plutarque à la fin de sa biographie, où il évoque l’union de tous les citoyens « dans l’amitié et la concorde » (ἐν φιλίᾳ καὶ ὁμονοίᾳ), ce qui leur permettait de pratiquer la justice et d’avoir « une vie irréprochable et bienheureuse, qui est la fin la plus parfaite de tout gouvernement »184. Or, ces considérations philosophiques et morales, certes très proches de la pensée de Platon, semblent en réalité faire du successeur de Romulus le disciple d’Archytas de Tarente185. Il s’agit-là en fait, très probablement, de la véritable source d’inspiration qui se trouve à l’origine aussi bien de la structure « géométrique » du système censitaire « servien », de sa justification idéologique, et de la réforme des tribus d’Appius Claudius Caecus. Si en plus, la mise en place du principe pythagoricien de l’« égalité géométrique » s’est faite dans le cadre de tribus territoriales conçues à l’image des symmories athéniennes, on comprend mieux l’association des statues de Pythagore et d’Alcibiade, qui aurait trouvé au Comitium du Forum Romain, c’est-à-dire sur le lieu de réunion officiel des comices par tribus, une signification politique et idéologique propre aux nouvelles institutions dont Rome se serait dotée vers la fin du ive siècle.
Notes de bas de page
1 Cf. F. Coarelli, Il Foro romano, I, Periodo arcaico, Rome, 19862, p. 134-135.
2 F. Münzer, Beiträge zur Quellenkritik der Naturgeschichte des Plinius, Berlin, 1897, p. 292, suivi par M. Sehlmeyer, Stadtrömische Ehrenstatuen der republikanischen Zeit. Historizität und Kontext von Symbolen nobilitären Standesbewusstseins, Stuttgart, 1999, p. 88-90, qui estime que Pline et Plutarque suivent la même source et qu’il doit s’agir de Varron, car Pline suit incontestablement cet auteur pour d’autres détails topographiques du Comitium à l’époque républicaine.
3 E. Rawson, “The first latin Annalists”, dans Latomus, 35, 1976, p. 709.
4 Pythagore et Alcibiade sont effectivement deux personnages étroitement liés à l’histoire de la Grande-Grèce, et leur association comme modèles de vertus politiques présentés au coeur de la cité pourrait provenir d’une cité grecque d’Italie du Sud à la fois pythagoricienne et philo-athénienne; il n’est donc pas exclu que les Romains aient pu découvrir cette association à Naples, Rhegium, Thourioi, Crotone ou Métaponte, cités jadis alliées d’Athènes et qui subissaient au ive siècle l’influence politique et culturelle de Tarente : L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 139-140; d’après P. Wuilleumier, Tarente, p. 666, qui suit ici l’opinion d’E. Pais, « le choix d’Alcibiade peut s’expliquer par des relations avec Thourioi » ; F. Coarelli, Il Foro romano, II, Periodo repubblicano e augusteo, Rome, 19922, p. 121 et n. 114, suggère lui aussi que le couple Pythagore – Alcibiade a pu avoir été honoré dans une cité d’Italie du Sud, comme Tarente ou Thourioi. Sur les liens entre les cités d’Italie du Sud et Athènes, notamment pendant l’expédition de Sicile, voir E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia, II, Naples, 1932, p. 380-383.
5 M. Sehlmeyer, Stadtrömische Ehrenstatuen, p. 88-90.
6 Ainsi E. S. Gruen, Studies in greek Culture and roman Policy, Leiden, New York, Copenhague, Cologne, 1990, p. 161 : « A trip to Delphi (…) is questionable. Roman connections did not yet reach so far ». Contra : H. W. Parke, D. E. W. Wormell, The Delphic Oracle, I, Oxford, 1956, p. 271. Certains rejettent l’historicité des premières ambassades romaines à l’oracle de Delphes, alors que Caere, une petite cité étrusque très proche de Rome et avec laquelle Rome a entretenu des contacts étroits très anciens, disposait d’un trésor à Delphes depuis l’époque archaïque (Herod., I, 167 ; Strab., V, 2, 3, C 220) : cf. D. Briquel, “Le città etrusche e Delfi. Dati d’archeologia delfica”, dans Annali della Fondazione per il Museo Claudio Faina, 5, 1998, p. 143-169 (en part. p. 151-161) ; G. Colonna, “Doni di Etruschi e di altri barbari occidentali nei santuari panellenici”, dans I grandi santuari della Grecia e l’Occidente, Trente, 1993, p. 57, n. 59 ; J.-F. Bommelaer, Guide de Delphes. Le site, Athènes, 1991, p. 231-232. La tradition rapporte des ambassades romaines à Delphes à l’époque de Tarquin le Superbe (Liv., I, 56, 4-13 ; Ovid., Fast., II, 711-720 ; Val. Max., VII, 3, 2 ; Dion. Hal., IV, 79, 2-4 ; Zon. (D.C.), 7, 11), de la guerre contre Véies (Liv., V, 15, 3 ; V, 16, 8-11 ; V, 28, 1-4 ; Dion. Hal., XII, 11, 17 ; Zon., (D.C.) 7, 20 ; Plut, Cam., 4, 4-5 ; 8, 3 ; App., Ital., VIII, 1 ; Val. Max., I, 6, 3 ; Diod., XIV, 93, 3-4) et des guerres samnites (Plin., N.H., XXXIV, 26 ; Plut., Num., 8, 10) ; l’historicité de ces ambassades romaines fut mise en doute par : W. Hoffmann, Rom und die griechische Welt, 1934, p. 129-131 ; H. V. Parke, D. E. W. Wormell, The Delphic Oracle, I, Oxford, 1956, p. 265-271 ; R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy, p. 216-218 ; J. Gagé, Apollon romain, p. 130-146 et p. 255 ; J. Fontenrose, The Delphic Oracle, Berkeley et Los Angeles, 1978, p. 65, p. 314, p. 334, p. 342-343 ; E. S. Gruen, op. cit., p. 9, n. 18. Mais aujourd’hui, leur historicité est réévaluée, notamment par F. Coarelli, Il Campo Marzio, I, p. 379-384 ; H. W. Parke, D. E. W. Wormell, op. cit., p. 171, admettent que l’oracle de Delphes a pu commencer à être consulté par les Romains précisément à partir de l’époque des guerres samnites.
7 F.-H. Massa-Pairault, Recherches sur l’art, p. 115, a cherché à expliquer l’étrangeté de cette association en énumérant les points communs entre la biographie de Pythagore et celle d’Alcibiade.
8 Cf. Arist., Rhet., II, 23, 10 (1398 b 15). A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, Liège-Paris, 1922, p. 254-260 ; L. Ferrero, Storia del pitagorismo nel mondo romano, Turin, 1955, p. 108-141 ; K. von Fritz, Pythagorean Politics in Southern Italy. An Analysis of the Sources, New York, 1977, p. 94-102 ; K. Lomas, Rome and the Western Greeks, 350 BC- AD 200, Conquest and Acculturation in Southern Italy, Londres, 1993, p. 39-57. Voir infra p. 544-546 et p. 583-584.
9 Ainsi A. Rouveret, dans DArch, s. 3, 1, 1983, p. 102-104 : le décor de la tombe 61 d’Andriulo, près de Paestum, met en scène une division sociale par classes d’âge et met en valeur les vertus féminines de l’oikos fondées sur l’austérité des mœurs, selon un discours politique et social qui voudrait donner « l’image d’une organisation sociale idéale » et qui suivrait les précepts du pythagorisme tarentin du ive siècle. De même, la célèbre fresque de la “Tombe du Plongeur” a reçu à plusieurs reprises une interprétation eschatologique en rapport avec les doctrines orphiques ou pythagoriciennes sur l’immortalité de l’âme et la métempsycose : ainsi A. Rouveret, “La peinture dans l’art funéraire : la Tombe du Plongeur à Paestum”, dans R. Bloch éd., Recherches sur les religions de l’Italie antique, Genève, 1976, p. 119-121 et p. 124-127 ; P. Somville, “La tombe du plongeur à Paestum”, dans RHR, 196, 1979, p. 41-51 ; C. Ampolo, “Il tuffo e l’oltretomba. Una nota sulla tomba del tuffatore e Plut., Mor. 563 E”, dans PP, 269, 1993, p. 104-108. Sur la pénétration du pythagorisme au sein des populations non grecques d’Italie méridionale, notamment au sein de leurs aristocraties, voir notamment A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 61-96 ; ainsi que B. d’Agostino, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 117-127.
10 Cf. notamment F.-H. Massa-Pairault, “La transmission des idées entre Grande Grèce et Étrurie”, dans Magna Grecia, Etruschi e Fenici. Atti del trentatresimo Convegno di Studi sulla Magna Grecia (Taranto, 1993), Tarente, 1996, p. 377-422. Au sujet de l’importation des modèles helléniques ou hellénistiques, les parallèles entre l’Étrurie et Rome au ive siècle ont été soulignés par T. Hölscher, dans Akten des XIII. Internationalen Kongresses, 1990, p. 73-84.
11 Cf. M. Humm, “Les origines du pythagorisme romain : problèmes historiques et philosophiques”, (I) “Les premiers indices du pythagorisme romain”, dans LEC, 64, 1996, p. 339-353.
12 Cf. notamment, au sein d’une bibliographie immense : E. L. Minar, Early Pythagorean Politics, Baltimore, 1942, passim ; J. S. Morison, “Pythagoras of Sanios”, dans CQ, 6, 1956, p. 135-156 ; W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft. Studien zu Pythagoras, Philolaos und Platon, Nuremberg, 1962, p. 176-187 ; W. Κ. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, The earlier Presocratics and the Pythagoreans, Cambridge, 1962, p. 173-181 ; K. von Fritz, s.v. Pythagoras, dans R.E., XXIV, 1963, col. 179-187 ; J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 7-19. Une étude récente d’E. A. Havelock, Alle origini della filosofia greca. Una revisione storica, Rome-Bari, 1996 (trad. italienne de The Preplatonic Thinkers of Greece. A Revisionnist History, 1996), p. 153-164, remet en cause la validité des témoignages qui prétendent remonter jusqu’à Pythagore : l’image du Maître de Crotone et le contenu de son enseignement n’auraient été forgés qu’à partir du début du ive siècle, par ceux qui se prétendaient ses disciples (voir infra et note suivante).
13 Sur Hippase et Philolaos : P. Wuilleumier, Tarente, p. 566-573 ; W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 222-223 et p. 256-277 ; W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 320-322 et p. 329-333 ; A. Mele, “Crotone e la sua storia”, dans Crotone. Atti del ventitreesimo Convegno di Studi sulla Magna Grecia (Taranto, 7-10 ottobre 1983), Tarente, 1984, p. 73-87 ; A. Svabov, “Le scienze in Magna Grecia”, dans G. Pugliese Carratelli éd., Megalè Hellas, Milan, 1989, p. 568-572 ; J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 36-38 et p. 47-51. Sur Archytas : E. Wellmann, s.v. Archytas (3), dans R.E., II, 1896, col. 599-602 ; P. Wuilleumier, op. cit., p. 67-75, p. 181-182 et p. 574-584 ; E. L. Minar, Early Pythagorean Politics, p. 86-93 ; W. K. C. Guthrie, op. cit., p. 333-336 ; J.-F. Mattéi, op. cit., p. 52-54. Selon Ε. Α. Havelock, Alle origini della filosofia greca, p. 165-179, les doctrines philosophiques qui sont habituellement attribuées au pythagorisme du vie et du v esiècles furent en réalité la création d’une communauté qui se désignait comme “pythagorique” et qui était guidée par Archytas à Tarente, à partir du début du ive siècle : même l’historicité d’un enseignement qui aurait été dispensé par Philolaos est ainsi remise en cause (d’autant que le nom de ce philosophe, tout comme celui de Pythagore, est soigneusement évité par Aristote), et Platon est accusé d’avoir forgé de toutes pièces, à partir de l’exemple tarentin, le mythe d’une communauté pythagoricienne qui aurait existé à Thèbes autour de Philolaos (Phed., 61 d), car il aurait voulu suggérer l’idée que la communauté tarentine (dont il aurait fait brièvement partie) devait représenter un modèle pour lui et pour l’Académie.
14 Cf. Plat., Ep., VII, 338 c ; Diog. L., Plat., III, 6. Sur les rapports entre Archytas et Platon et le problème de l’authenticité de la Lettre VII (dans laquelle l’auteur parle des « liens d’hospitalité et d’amitié » qu’il avait établis avec Archytas), cf. notamment J. Souilhé, éd. de Platon, Œuvres complètes, t. XIII, 1, Lettres, Paris (C.U.F.), 1926, p. xxxiii-lviii ; M. Isnardi Parente, Filosofia e politica nelle lettere di Platone, Naples, 1970, p. 103-111 et p. 171-204 ; Id., “Archita di Taranto nella VII Epistola di Platone”, dans Magna Grecia, VII, n. 7-8, 1972, p. 4-8 ; A. Svabó, “Le scienze in Magna Grecia”, dans G. Pugliese Carratelli éd., Megale Hellas. Storia e civiltà della Magna Grecia, Milan (coll. Antica Madre), 1983, p. 573-576 ; B. Mathieu, “Archytas de Tarente pythagoricien et ami de Platon”, dans BAGB, 1987, 3, p. 239-255 ; L. Brisson, éd. de Platon, Lettres, Paris (coll. G.F.), 1987, p. 70 et p. 138-150. Les rapports entre la philosophie de Platon et le pythagorisme ont été étudiés de façon à la fois pertinente et critique dans une remarquable étude de P. Boyancé, “L’influence pythagoricienne sur Platon”, dans Filosofía e scienze in Magna Grecia, Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia (Tarente, octobre 1965), Naples, 1966, p. 73-113. Pour Ε. Α. Havelock, Alle origini della filosofia greca, p. 166-169, Platon a même pu faire brièvement partie de la communauté pythagoricienne d’Archytas à Tarente : celle-ci aurait donc été à la fois “post-socratique” et “pré-platonique”, et aurait transmis à Platon ses doctrines sur les nombres et la musique (cf. infra).
15 Liv., VIII, 27, 1-4 ; Dion. Hal., XV, 5, 2-3 (= 15. H Pittia). Cf. W. Hoffmann, Rom und die griechische Welt, p. 42-43 ; M. Humm, “Les origines du pythagorisme romain : problèmes historiques et philosophiques”, (II) “L’origine tarentine du pythagorisme romain”, dans LEC, 65, 1997, p. 35-37.
16 Aristox., fr. 1 Wehrli (ap. Soud., s.v. Ἀριστόξενος). Cf. F. Wehrli, s.v. Aristoxenos, dans R.E., Suppl. XI, 1968, col. 336-343 ; F. Prontera, “Gli ultimi Pitagorici. Contributo per una revisione della tradizione”, dans DArch, 9-10, 1976-1977, p. 287. Voir aussi A. Visconti, Aristosseno di Taranto. Biografía e formazione spirituale, Naples, 1999, en part. p. 36-63 : “Tra Spintharos e Archita”.
17 Aristote lui préféra Théophraste : cf. Soud., s.v. Ἀριστόξενος.
18 Aristoxène serait à l’origine d’un certain nombre de médisances à l’égard de Platon : P. Wuilleumier, Tarente, p. 587-589. On pourrait ainsi lui attribuer la paternité des lettres IX et XII de la correspondance entre Platon et Archytas : H. Thesleff, “Okkelos, Archytas and Plato”, dans Eranos, 60, 1962, p. 8-36.
19 Aristox., fr. 17 Wehrli (ap. Porph., De vita Pythag., 22) : Προσῆλθον δ’ αὐτῷ, ὣς φησιν Ἀριστόξενος, καὶ Λευκανοὶ καὶ Μεσσάπιοι καὶ Πευκέτιοι καὶ Ῥωμαῖοι. Ἀνεῖλεν δ’ ἄρδην στάσιν οὐ μόνον ἀπὸ τῶν γνωρίμων, ἀλλὰ καὶ τῶν ἀπογόνων αὐτῶν ἀχρὶ πολλῶν γενεῶν καὶ καθόλου ἀπὸ τῶν ἐν Ἰταλίᾳ τε καὶ Σικελίᾳ πόλεων πασῶν πρός τε ἐαυτὰς καὶ πρὸς ἀλλήλας : « Vinrent à lui [sc. Pythagore], comme le dit Aristoxène, des Lucaniens, des Messapiens, des Peucètes et des Romains. Il fit non seulement complètement disparaître la discorde chez ses disciples, mais aussi parmi leurs descendants sur plusieurs générations, et d’une façon générale de toutes les cités d’Italie et de Sicile, ainsi que les unes par rapport aux autres ». Cf. témoignages identiques, mais sans mentionner Aristoxène, chez : Jambl., De vita Pythag., 241 ; Diog. L., Pythag., VIII, 14 ; Cicéron semble d’ailleurs reprendre le témoignage d’Aristoxène en écrivant (Tusc., IV, 2) : Pythagorae autem doctrina cum longe lateque flueret, permanavisse mihi videtur in hanc civitatem, idque cum coniectura prohahïle est, tum quihusdam etiam vestigiis indicatur. Quant aux Lucaniens, il semble qu’ils furent touchés par le pythagorisme dès le ve siècle, et Arésas, le cinquième successeur de Pythagore, était lucanien : cf. A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 61-96 ; B. d’Agostino, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 117-127. Cette diffusion du pythagorisme parmi les populations non grecques d’Italie du Sud semble bien provenir de l’influence tarentine : A. Rouveret, dans DArch, s. 3, 1, 1983, p. 102-104, a évoqué la possibilité que le décor de la tombe 61 de Poseidonia-Paestum reflète « l’image d’une organisation sociale idéale » et traduirait ainsi une « valeur politique explicitement pythagoricienne » (supra p. 544, n. 9) ; or, la décoration des tombes montre, surtout après 340, « le poids déterminant des influences tarentines ».
20 Aristox., fr. 47-50 Wehrli. Cf. P. Wuilleumier, Tarente, p. 604-605 ; S. Mazzarino, Il pensiero storico classico, II, 1, p. 96-97, a montré comment Aristoxène a interprété, dans ses oeuvres, l’histoire de l’Italie « in chiave pitagorica ».
21 Jambl., De vita Pythag., 57 : Ἀπλῶς δὲ μνημονεύεται δὶα τὰς εἰρημένας ἐντεύξεις περὶ Πυθαγόραν οὐ μετρίαν τιμὴν καὶ σπουδὴν καὶ κατὰ τὴν πόλιν τῶν Κροτωνιατῶν γενέσθαι καὶ διὰ τὴν πόλιν περὶ τὴν Ἰταλίαν : « On rapporte que, à la suite des discours en question, Pythagore obtint des honneurs considérables et de l’attachement non seulement dans la ville de Crotone, mais aussi, grâce à cette ville, dans le reste de l’Italie » (trad. L. Brisson, A. Ph. Segonds, dans “La roue à livres”, Paris, 1996, p. 32). Sur Timée, source de Jamblique pour ce passage, voir infra p. 566-567, n. 91.
22 Cf. L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 142-152 ; M. Humm, dans LEC, 64, 1996, p. 340-345.
23 Cic, De Rep., II, 28; Tusc., IV, 3; Liv., I, 18, 1-3; Dion. Hal., II, 59; Plut., Num., 1, 1-4; 18; Macr., Sat., I, 13, 5; mais la tradition fut soutenue par Ovide : Met., XV, 4-481; Fast., III, 153. Cf. R.M. Ogilvie, A Commentary on Livy, p. 88-91.
24 Cf. Cass. Hem., fr. 37 P. = 40 Ch. (ap. Plin., N.H., XIII, 84-88); Calp. Pis., fr. 11 P. = 19 F. = 13 Ch. (ap. Plin., N.H., XIII, 84-88); Val. Ant., fr. 7 P. = 9 a Ch. (ap. Plut., Num., 22, 6); Id., fr. 8 P. = 9 b Ch. (ap. Plin., N.H., XIII, 87); Id., fr. 9 P. = 10 Ch. (ap. Liv., XL, 29, 8); Varr., Ant. rer. hum., VI fr. 3 Mirsch (ap. Plin., N.H., XIII, 87); Id., Log. Curio, fr. 3 Riese (αρ. Aug., Civ., VII, 34, 5-15); Val. Max., I, 1, 12; Plut., Num., 22, 2-8; Fest., s.v. Numan Pompilium, p. 178 L.; Lact., Inst., I, 22, 1-6; Auct. De vir ill., 3, 2. Cf. J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris, 1927, p. 185-187; L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 231-235; K. R. Prowse, “Numa and the Pythagoreans : a curious incident”, dans G&R, s. 2, 11, 1964, p. 36-42; J.-M. Pailler, Bacchanalia. La répression de 186 av. J.-C. à Rome et en Italie, Rome (B.E.F.A.R. 270), 1988, p. 623-667.
25 G. Garbarino, Roma e la filosofia greca, p. 64-69 et p. 244-258. Sur le rôle de M. Fulvius Nobilior dans ce contexte, voir aussi : P. Boyancé, “Fulvius Nobilior et le dieu ineffable”, dans RPh, sér. 3, 29, 1955, p. 172-192 (= Id., Études sur la religion romaine, Rome (C.E.F., 11), 1972, p. 227-252); J.-M. Pailler, Bacchanalia, p. 682-703; J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme, p. 566-568; J. Rüpke, Kalender und Öffentlichkeit, p. 331-368.
26 Cf. K. R. Prowse, dans G&R, s. 2, 11, 1964, p. 40-41; E. Gabba, “Considerazioni sulla tradizione letteraria sulle origini della Repubblica”, dans Les origines la République romaine, Entretiens sur l’Antiquité Classique, Fondation Hardt XIII, Genève, 1967, p. 156-157; G. Garbarino, Roma e la filosofía greca, p. 230.
27 Cf. Cic., De Rep., II, 28 : Verene, inquit Manilius, hoc memoriae proditum est, Africane, regem istum Numam Pythagorae ipsius discipulum aut certe Pythagoreum fuisse? Saepe enim hoc de maioribus natu audivimus et ita intellegimus vulgo existimari; neque vero satis id annalium publicorum auctoritate declaratum videmus.
28 Cf. J. von Ungern-Sternberg, “Überlegung zur frühen römischen Überlieferung im Lichte der Oral-Tradition-Forschung”, dans G. Vogt-Spira éd., Studien zur vorliterarischen Periode im frühen Rom, ScriptOralia 12, Tübingen, 1989, p. 11-27. Il est par conséquent impossible que le mythe du pythagorisme de Numa ait pu avoir été créé par des antiquaires postérieurs à Fabius Pictor, comme l’a soutenu P. Panitschek, “Numa Pompilius als Schüler des Pythagoras”, dans GB, 17, 1990, p. 49-65 : voir M. Humm, “Numa et Pythagore : vie et mort d’un mythe”, dans P.-A. Deproost et A. Meurant éd., Images d’origines. Origines d’une image. Hommages à Jacques Poucet, Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université catholique de Louvain et Facultés universitaires Saint-Louis (Transversalités, 4), 2004, p. 125-137.
29 Chez les Aemilii, Mamercus pouvait également être un praenomen; en tout cas, le cognomen Mamercus s’est sans doute substitué au cognomen plus ancien Mamercinus dans le dernier quart du ive siècle, commme le révèlent les fastes : on trouve des Aemilii Mamercini tribuns ou consuls en 415, 391, 388, 383, 374 et 344, auxquels ont succédé des Aemilii Mamerci en 316, 284 et 270 (cf. G. Carcopino, La basilique pythagoricienne, p. 183, n. 1). Sur le cognomen des Aemilii et des Pinarii, ainsi que la recension des sources, cf. F. Münzer, Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart, 1920, p. 155-156; E. Gabba, dans Les origines de la République romaine, p. 159-160. Pour A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 85-86, le nom Mamercus permettait de rattacher Numa aussi bien à Pythagore qu’au dieu Mars (ou Mamers) de la tradition osco-sabellique : cette tradition serait ainsi parallèle à celle qui, à l’image de Pythagore (cf. Just., XX, 4, 4; Val. Max., VIII, 7 ext. 2; Jambl., De vita Pythag., 25, 92 et 141; Porph., Vita Pythag., 17; Diog. L., VIII, 3), associait Numa à Sparte (cf. Cat., Orig., fr. 50 P. = II, 21 Ch. (ap. Dion. Hal., II, 49, 2); Cat., Orig., fr. 51 P. = II, 22 Ch. (ap. Serv., In Verg. Aen., VIII, 638); Plut., Num., 1, 4-5; 3, 6-7); les Aemilii auraient développé cette tradition et s’y seraient rattachés parce qu’ils étaient intéressés à la pénétration romaine en Campanie, alors en partie sous domination lucanienne, et qu’ils se sont associés aux projets expansionnistes de Q. Publilius Philo et d’Appius Claudius (cf. L. Loreto, dans Prometheus, 18, 1992, p. 58-68).
30 Plut., Num., 8, 18-19; Aem. P., 2, 1-2; Paul. Fest., p. 22 L., s.v. Aemiliam gentem. Selon Diogène Laërce (VIII, 1), Marmacos aurait été le nom du père de Pythagore, exilé à Phlionte, mais ce nom est absent dans le reste de la tradition sur Pythagore : seul Jamblique mentionne un Mnemarchos, fils de Pythagore et homonyme de son père (De vita Pythag., 265). D’après A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 89-91, c’est précisément la prononciation de ce nom à la manière dorienne (Μνάμαρχος) qui permit de passer de Mnemarchos à Marmacos, puis Mamercos (d’où Mamercus); dès lors, l’interprétation “laconisante” et militariste de Pythagore, induite par son lien avec Mamercos, proviendrait des Pythagoriciens de Phlionte, qui auraient été des disciples de Philolaos de Crotone au même titre qu’Archytas de Tarente, et qu’Aristoxène aurait personnellement connus (Aristox., fr. 18 Wehrli (ap. Jambl., De vita Pythag., 248-251); Diod., XV, 76, 4; Jambl., De vita Pythag., 267) : la tradition sur Mamercus serait donc parvenue à Rome depuis la Tarente du ive siècle (grâce à Aristoxène?) via la Campanie.
31 E. Gabba, dans Les origines de la République romaine, p. 160; R. E. A. Palmer, “The Census of 312 B.C. and the State Religion”, dans Historia, 14, 1965, p. 293-308; J. Carcopino, Aspects mystiques de la Rome païenne, Paris, 1942, p. 173-206.
32 Plut., Num., 1, 2; de même, l’annaliste Cn. Gellius (fr. 17 P. = 17 Ch., ap. Dion. Hal., II, 76, 5) niait que Numa ait eu des fils, ce qui remettait en cause les prétentions généalogiques des gentes “numaïques” (selon E. Gabba, dans Les origines de la République romaine, p. 161, l’annaliste se serait ainsi opposé aux prétentions des Calpumii : voir plus loin). Plutarque enchaîne immédiatement avec les incertitudes de la tradition sur les rapports entre Numa et Pythagore : cf. G. Garbarino, Roma e la filosofia greca, p. 232; B. W. Frier, Libri annales Pontificum Maximorum, p. 152-153. Sur les généalogies imaginaires de certaines familles de la nobilitas, voir ce qu’en disent Tite-Live (en VIII, 40, 4) et Cicéron (Brut., 62). Sur l’identification de ce Clodius avec Claudius Quadrigarius, précisément parce que cet annaliste a refusé de retracer l’histoire de Rome antérieure à l’incendie gaulois : cf. S. Mazzarino, Il pensiero storico classico, II, 1, p. 294 et p. 521, n. 431; T. P. Wiseman, Clio’s cosmetics, p. 117 et n. 29; B. W. Frier, “Licinius Macer and the consules suffecti of 444 B.C.”, dans TAPhA, 105, 1975, p. 73; M. Chassignet, L’annalistique romaine, t. III, L’annalistique récente, Paris (C.U.F.), 2004, p. xxiv. Contra : K. J. Beloch, Römische Geschichte, p. 105.
33 En réalité, l’archéologie n’a pour l’instant permis de découvrir aucune trace de cet incendie : cf. F. Coarelli, “I Galli a Roma”, dans P. Santoro éd., I Galli e Vitalia, Rome, 1978, p. 226-230. G. de Sanctis, suivi par A. Grandazzi, a montré que la tradition sur l’incendie gaulois constitue en fait « un mythe étiologique, élaboré par les annalistes et les historiens romains des iiie et iie siècles pour expliquer la rareté des documents antérieurs à la prise de Rome par les Gaulois » (A. Grandazzi) : G. de Sanctis, “La légende historique des premiers siècles de Rome” (3), dans JS, 1910, p. 310-319; A. Grandazzi, La fondation de Rome, p. 237- 246; cf. en dernier lieu J. von Ungern-Sternberg, “Eine Katastrophe wird verarbeitet : Die Gallier in Rom”, dans Ch. Bruun éd., The Roman Middle Republic, p. 207-222.
34 R.R.C, 346/1; cf. M.-H. Crawford, Roman Republican Coinage, I, p. 357-361.
35 Liv., I, 18, 6-10; 20, 5-7; Dion. Hal., II, 64, 4; II, 73, 1-3; Plut., Num., 7, 5-6; 9, 1-8.
36 Liv., I, 20, 5 et X, 9, 2. Cf. A. Storchi Marino, dans AION (archeol), 14, 1992, p. 105-147, qui a montré que « la caratterizzazione del primo pontefice Numa Marcio ha in Livio elementi che evocano piuttosto la lotta politica di fine iv secolo », et qui a avancé l’hypothèse que « la tradizione che confluisce in Livio si sia ispirata a C. Marcio Censorino nel costruire Numa Marcio pontefice massimo » (p. 125-126), et proviendrait des sources familiales des Marcii ou de sources pontificales; d’après elle, la légende pythagoricienne de Numa aurait suivi deux traditions différentes : une tradition d’origine émilio-claudienne (présente chez Plutarque), qui porterait la marque du pythagorisme tarentin d’Archytas et qui faisait de Numa un promoteur de concordia et de δικαιοσύνη (celui auquel on attribuait la division du territoire romain en pagi et la répartition de la population en neuf corps de métiers); et une tradition d’origine pontificale (présente chez Tite-Live), à laquelle se rattacheraient les familles de la noblesse plébéienne (les Marcii, mais aussi P. Sempronius Sophus et les Ogulnii), qui insistait sur le rôle de Numa comme législateur religieux; Ead., Numa e Pitagora, p. 108-162; voir supra p. 352, n. 20.
37 Plut., Num., 21, 2-3. Cf. F. Münzer, Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, p. 161-162; Ε. Gabba, dans Les origines de la République romaine, p. 160-161. Cf. R.R.C., 334/1.
38 Les Calpumii prétendaient descendre d’un certain Calpus, un autre fils de Numa : Paul. Fest., p. 41 L. (Calpurni a Calpo, Numae regis filio, sunt oriundi); Plut., Num., 21, 2-3. Mais il s’agit probablement d’une tradition tardive, peut-être créée par L. Calpurnius Piso : cf. E. Gabba, dans Les origines de la République romaine, p. 161; P. M. Martin, L’idée de royauté à Rome, II, Haine de la royauté et séductions monarchiques (du ive siècle av. J.-C. au principat augustéen), Clermont-Ferrand, 1994, p. 240-242 (mais la chronologie proposée par l’auteur, qui fait remonter la formation de la tradition sur les gentes numaïques au début du ive siècle, est manifestement trop haute, en particulier pour les gentes plébéiennes, Pomponii et Marcii).
39 Plin., N.H., XXXIII, 24; T. Hölscher, dans MDAI(R), 85, 1978, p. 328-331 (= Id., Monumenti statali e pubblico, p. 27-30). Voir aussi supra p. 354-355.
40 F. Coarelli, Il Foro romano, II, p. 119-123.
41 Cf. E. Gabba, “Roma e l’Italia”, dans G. Pugliese Carratelli éd., Roma e Vitalia, Milan (coll. “Antica Madre”), 1990, p. 56 : « Il Pitagorismo rappresentò per alquanto tempo la cultura ufficiale delie élites romane ».
42 Cf. ce qu’en disait Cicéron (Tusc., IV, 2) : Erat enim illis [sc. maioribus] paene in conspectu praestanti sapientia et nobilitate Pythagoras, qui fuit in Italia temporibus isdem quibus L. Brutus patriam liberavit, praeclarus auctor nobilitatis tuae. Voir suite supra p. 547, n. 19.
43 Certains ont voulu attribuer l’origine de cette tradition à Aristoxène : E. Pais, Storia di Roma, I, 1, Turin, 1899, p. 288; P. Wuilleumier, Tarente, p. 665; L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 143; E. Gabba, dans Les origines de la République romaine, p. 157-163 (qui évoque également le rôle des traditions familiales et pontificale dans la transmission des notices sur Numa). Contra : P. Panitschek, “Numa Pompilius als Schiller des Pythagoras”, dans GB, 17, 1990, p. 49-65, a cherché à démontrer que cette tradition pouvait difficilement être attribuée à des sources grecques aussi anciennes, mais qu’elle proviendrait plutôt de sources antiquaires romaines postérieures à Fabius Pictor.
44 Cf. G. Garbarino, Roma e la filosofía greca, p. 231-237; A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 85-86.
45 Epicharm., fr. 295 Kaibel = 23 B 65 Diels-Kranz (ap. Plut., Num., 8,17). Cf. G. Kaibel, s.v. Epicharmos (2), dans R.E., VI, 1, 1907, col. 40; L. Ferrera, Storia del pitagorismo, p. 138; G. Garbarino, Roma e la filosofia greca, p. 224; A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 85.
46 Voir supra p. 354-355; cf. également P. M. Martin, L’idée de royauté à Rome. I, Des origines au consensus républicain, Clermont-Ferrand, 1992, p. 244-258.
47 C’était déjà l’hypothèse avancée par Cicéron (Tusc, IV, 3) : Quin etiam arbitror propter Pythagoreorum admirationem Numam quoque regem Pythagoreum a posterioribus existimatum. Nam cum Pythagorae disciplinam et instituta cognoscerent regisque eius aequitatem et sapienliam a maioribus suis accepissent, aetates autem et tempora ignorarent propter vetustatem, eum qui sapientia excelleret, Pythagorae auditorem crediderunt fuisse. Selon G. Garbarino, Roma e la filosofía greca, p. 234-235, « Pitagora è accostato a Numa in quanto la sua filosofia, ancora tutta fusa con la religione, si traduce al tempo stesso in politica ».
48 Plin., N.H., XXXIV, 26; Plut., Num., 8, 20. Voir supra p. 541-542.
49 E. T. Salmon, Samnium and the Samnites, p. 199-200; A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 87; A. Rouveret, “La ciste Ficoroni et la culture romaine du IVe s. av. J.-C”, dans BSAF, 1994, p. 240-241 et n. 67.
50 Sur L. Papirius Cursor et Alexandre, cf. Liv., IX, 16, 19; Oros., III, 15, 10. Des sources grecques pouvant remonter pour certaines au ive siècle mentionnent l’existence de contacts diplomatiques entre Rome et Alexandre, et Tite-Live semble avoir conservé le souvenir de la menace qu’Alexandre paraissait représenter pour les Romains de cette époque : Clitarch., Fr.Gr.Hist., 137 F 31 (ap. Plin., N.H., III, 57); Memn. Heracl., Fr.Gr.Hist., 434 F 18; Arn, Anab., VII, 15, 4-6 (= Arist. Salam., Fr.Gr.Hist., 143 F 2; Asclep., Fr.Gr.Hist., 144 F 1; Ptolem. Lag., Fr.Gr.Hist., 138 F 29; Aristob. Cassandr., Fr.Gr.Hist, 139 F 53); Strab., V, 3, 5 (C 232); cf. Diod., XVII, 113, 1-2; Just., XII, 13, 1-4; Oros., VI, 21, 18-22; Liv., IX, 16, 19 – 19, 17. La bibliographie sur cette question est très riche, voir notamment : E. Wikén, Die Kunde der Hellenen von dem Lande und den Völkern der Apenninenhalbinsel bis 300 v. Chr., Lund, 1937, p. 179; P. Treves, Il mito di Alessandro e la Roma d’Augusto, Milan-Naples, 1953, p. 13-38; F. Càssola, I gruppi politici romani nel iii secolo a.C, Trieste, 1962, p. 30 et p. 39-41; M. Sordi, “Alessandro e i Romani”, dans RIL, 99, 1965, p. 435-452; Ead., “Alessandro Magno e l’eredità di Siracusa”, dans Aevum, 57, 1983, p. 14-23; F. Schachermeyr, Alexander in Babylon und die Reichsordnung nach seinem Tode, Vienne, 1970, p. 211-224; Id., Alexander der Grosse. Das Problem seiner Persönlichkeit und seines Wirkens, Vienne, 1973, p. 547-556; O. Weippert, Alexander-imitatio und römische Politik in republikanischer Zeit, Dissertation Würzburg, Augsbourg, 1972, p. 1-30; G. Wirth, “Alexander und Rom”, dans Alexandre le Grand : image et réalité, dans Entretiens de la Fondation Hardt, XXII (Vandoeuvre-Genève, août 1975), Genève, 1976, p. 181-210 (+ “Discussion”, p. 211-221); L. Braccesi, Grecità Adriatica, Bologne, 19772, p. 247-306; G. Amiotti, “Alessandro Magno e il mito troiano in Licofrone e nella tradizione occidentale”, dans M. Sordi éd., Alessandro Magno tra storia e mito, Milan, 1984, p. 113-121; F. Zevi, “Prigionieri Troiani”, dans Studi in memoria di L. Guerbini, Studi Miscellanei, 30, 1991-1992, p. 115-127; M. Mahé, “L’enjeu historiographique de l’excursus sur Alexandre (IX, 16, 11 – 19, 17)”, dans D. Briquel et J.-P. Thuillier éd., Le Censeur et les Samnites, p. 37-63.
51 F. Coarelli, Il Foro Romano, II, p. 122.
52 Plin., N.H., XXXIV, 26 : voir supra p. 541.
53 Timée (F.Gr.Hist. 566 F 99) fit l’éloge d’Alcibiade et pourrait donc bien avoir connu en Grande-Grèce l’association du philosophe italien et du héros athénien anti-syracusain : cf. R. Vattuone, Sapienza d’Occidente. Il pensiero storico di Timeo di Tauromenio, Bologne, 1991, p. 301, n. 109.
54 Cf. P. Wuilleumier, Tarente, p. 663-689; G. Garbarino, Roma e la fdosofia greca, p. 230-231; M. Humm, dans LEC, 64, 1996, p. 345-350.
55 Cf. L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 139-140; d’après P. Wuilleumier, Tarente, p. 666, qui suit ici l’opinion d’E. Pais, « le choix d’Alcibiade peut s’expliquer par des relations avec Thourioi »; A. Alföldi, Early Rome and the Latins, p. 346, voit dans Alcibiade « the champion of Athenian politics against Syracuse »; de même F.-H. Pairault Massa, Iconologia e politica, p. 177. Sur les liens entre les cités d’Italie du Sud et Athènes, notamment pendant l’expédition de Sicile, voir E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia, II, Naples, 1932, p. 380-383.
56 Cf. F. Coarelli, Il Foro romano, II, p. 121 et n. 114; A. La Penna, dans La Magna Grecia nell’età Romana, p. 229, estime que « la statue d’Alcibiade fait penser à une oeuvre transportée à Rome en provenance de quelque cité de la Grande-Grèce », ce qui le fait penser à un pillage d’oeuvres d’art comme celui dont fut victime Tarente en 272, ce qui reporte l’introduction à Rome des statues de Pythagore et d’Alcibiade après les guerres samnites : mais la chronologie d’A. La Penna, en se voulant hypercritique, contredit le témoignage de Pline (bello Samniti); A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 87-89, estime quant à lui que l’association Pythagore-Alcibiade reflète le climat politique et culturel de l’Italie du Sud au ve siècle, au moment de l’intervention athénienne en Sicile et de la médiation d’Athènes dans la stasis qui opposa les Pythagoriciens de Grande-Grèce aux démocrates; selon A. Mele, les Romains auraient donc vu dans cette association un aspect à la fois philo-athénien et anti-tarentin ainsi qu’anti-syracusain; enfin P. M. Martin, L’idée de royauté à Rome, II, p. 16-17, veut également voir dans la présence d’Alcibiade sur le Comitium le reflet de sentiments anti-syracusains, attisés par le soutien que Denys I aurait accordé aux Gaulois au début du ive siècle et par les menées syracusaines contre Caere; l’association d’Alcibiade avec Pythagore traduirait ainsi à la fois des sentiments anti-syracusains (voire anti-tarentins) et anti-tyranniques.
57 Cf. T. Hölscher, dans MDAI(R), 85, 1978, p. 340 (= Id., Documenti statali e pubblico, p. 36); Id., “Die Geschichtsauffassung in der römischen Repräsentationskunst”, dans JDAI, 95, 1980, p. 270; K.-J. Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität, p. 226.
58 Cf. CLL, Ρ, 7 = CLL, VI, 1285 = I.L.L.R.P.2, 309 = I.L.S., 1 : fortis vir sapiensque I quoius forma virtutei parisuma fuit. Pour F. Zevi, “Considerazioni sull’elogio di Scipione Barbato”, dans Studi Miscellanei (Mélanges R. Bianchi Bandinelli), 15, 1970, p. 67-68, l’inscription évoque à la fois le courage (militaire) et la sagesse (politique) du défunt (fortis vir sapiensque), dans les mêmes termes que ceux dans lesquels l’oracle de Delphes aurait enjoint les Romains, au cours des guerres samnites, d’élever au Comitium une statue au plus sage (τὸν φρονιμώτατον ou sapientissimo) et une autre au plus courageux (τὸν ἀνδρειότατον ou fortissimo) des Grecs, soit respectivement à Pythagore et à Alcibiade; le vers suivant établit une équivalence entre la beauté physique du personnage et sa valeur (quoius forma virtutei parisuma fuit) qui se place, selon F. Zevi, dans « una prospettiva ideologica ellenizzante che, non a caso, marca altresi il periodo della diffusione del ritratto fisionomico in Roma », et qui évoque à la fois la καλοκἀγαθία de la philosophie platonicienne et l’une des principales qualités attribuées à Alcibiade, princeps forma in ea aetate (Plin., N.H., XXXVI, 28) : dans Roma medio repubblicana, p. 238-239; Id., F. Zevi, dans Studi Miscellanei, 15, 1970, p. 70-71; sur la dimension platonicienne des valeurs exprimées dans l’inscription de Barbatus, cf. F. Pesando, “Lucio Cornelio Scipione Barbato. « Fortis vir sapiensque »”, dans Bollettino di Archeologia, 1, 1990, p. 23-28.
59 Cf. J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, 19722, p. 273-274 : « le mot sapientia englobe l’ensemble des qualités de l’homme de gouvernement », et ne se limite donc pas à un sens uniquement philosophique. Voir aussi F. Pesando, dans Bollettino di Archeologia, 1, 1990, p. 23-28.
60 Cf. F.Gr.Hist., 839, 2; voir supra p. 62, n. 94, et p. 68-71.
61 F. Coarelli situe les comua comitii de part et d’autre de la Curie, face au Comitium : Il Foro romano, II, p. 120, n. 113 et fig. 21 (voir aussi infra p. 611-614); cf. F. Millar, “Political power in mid-republican Rome ; Curia or Comitium?”, dans JRS, 79, 1989, p. 138-150; J.-M. David, “I luoghi della politica dalla Repubblica all’Impero”, dans A. Giardina éd., Roma anlica, Rome-Bari, 2000, p. 70-73.
62 F. Coarelli et A. Storchi Marino attribueraient l’érection des statues de Pythagore et d’Alcibiade à C. Marcius Censorinus : F. Coarelli, il Foro romano, II, p. 122-123; A. Storchi Marino, dans AION (archeol), 14, 1992, p. 130-135; Ead„ Numa e Pitagora, p. 146-152. Mais F.-H. Massa-Pairault n’hésite pas à attribuer cette initiative à Appius Claudius Caecus ou à son cercle politique en établissant un parallèle entre la figure d’Alcibiade et celle d’Appius Claudius, tous deux engagés dans l’action politique et ayant fait preuve de bravoure à la guerre, experts en droit injustement accusés d’impiété, aristocrates haïs par leurs pairs parce que trop démocrates, mais malgré tout accusés d’être hostiles au peuple : Ead., Recherches sur l’art, p. 115-116; Ead., Iconologia e politica, p. 177.
63 Plut., Num., 17, 1-4; Plin., N.H., XXXIV, 1; XXXV, 159. Selon A. Storchi Marino, “Le notizie pliniane sui collegia opifïcum di età arcaica”, dans AFLN, 16, 1973-74, p. 19-36, la notice rapportée par Pline proviendrait de Timée par l’intermédiaire de Varron, ce qui serait un nouvel indice montrant que la tradition sur Numa était déjà formée au début du iiie siècle.
64 Plut., Num., 17, 1-4; trad, de R. Flacelière, E. Chambry et M. Juneaux, éd. de Plutarque, Vies, t. I, Thésée-Romulus, Lycurgue-Numa, Paris, 19933, p. 205-206.
65 Cf. J. Poucet, Recherches sur la légende sabine des origines de Rome, Louvain-Kinshasa, 1967; Id., “Romains, Sabins et Samnites. Réflexions sur les événements de 304 a.C.n., sur les contacts romano-sabins aux ve et ive siècles, sur les triomphes de la gens Sulpicia et sur la valeur des fastes triomphaux”, dans AC, 40, 1981, p. 134-155.
66 Certains ont pris au sérieux cette tradition et y ont vu le reflet d’une situation historique réelle à Rome au vie siècle, à l’époque de la domination étrusque : cf. J.-C. Richard, “Sur les prétendues corporations numaïques : à propos de Plutarque, Numa 17, 3”, dans Klio, 60, 1978, p. 423-428; Id., Les origines de la plèbe romaine, p. 266-270. Contra : A. Storchi Marino, “Censo e artigiani : i collegia di Floro”, dans Ead. éd., L’incidenza dell’Antico. Studi in memoria di Ettore Lepore, III, Naples, 1996, p. 587-606, qui a montré que la notice de Floras ne pouvait en aucun cas se rapporter à une époque aussi archaïque, mais reflèterait une situation censitaire bien plus tardive.
67 Liv., VIII, 20, 4 : opificum quoque volgus et sellularii, minime militiae idoneum genus, exciti dicuntur. Cf. E. S. Staveley, dans Historia, 8, 1959, p. 421.
68 Cf. A. Storchi Marino, dans AION (archeol), 14, 1992, p. 105-147; M. Humm, dans M. Coudry, Th. Späth éd., L’invention des grands hommes, p. 221-247.
69 Cf. P. Boyancé, “Sur la théologie de Varron”, dans REA, 57, 1955, p. 65-71 (= Id., Études sur la religion romaine, Rome (C.E.F. 11), 1972, p. 262-269). Voir aussi F. M. de Robertis, Storia delle corporazioni e del regime associativo nel mondo romano, I, Bari, 1972, p. 35-40.
70 E. Gabba, “The collegia of Numa : problems of method and political ideas”, dans JRS, 74, 1984, p. 81-86. Cicéron a pu également faire une allusion discrète aux collegia opificum de Numa en énumérant rapidement les diverses institutions socio-économiques que la tradition attribuait à ce roi (De Rep., II, 27) : mercatus, ludos omnesque conveniundi causas et celebritates invenit.
71 A. Mele, dans AION (archeol), 3, 1981, p. 91.
72 A. Storchi Marino, “La tradizione plutarchea sui « collegia opificum » di Numa”, dans AIIS, III, 1971-1972, p. 1-53. Sur les théories philosophiques et politiques d’Archytas, voir infra p. 567-584.
73 A. Storchi Marino, dans AIIS, III, 1971-1972, p. 20-27. Dans l’arithmologie pythagoricienne, le nombre neuf est symbole de Justice parce qu’il est le carré du premier nombre impair, mais « l’étude des propriétés arithmétiques de l’ennéade (…) amena les Pythagoriciens à formuler une autre théorie qui assimile la Justice au nombre cinq » : A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 68-70; voir aussi infra p. 597, n. 176.
74 Cf. N. Loraux, La cité divisée, Paris, 1997, p. 195-277.
75 S.E.G., XXX, 1119 (cf. S.E.G., XXXII, 914, p. 250-260); d’après la trad, de N. Loraux, La cité divisée, p. 223-225 : « Sous l’archontat de Leukios, fils de Kaisios, et de Philônidas, fils de [Phil] […], le quatrième jour d’Adônios. Décision de l’assemblée comme du conseil : puisque, la fortune ayant bien fait avancer [les choses], les affaires communes des Nakôniens ont été redressées, qu’il est avantageux qu’à l’avenir aussi ils vivent en citoyens [politeuesthai] dans l’entente [homonoia], et que surtout les envoyés de Ségeste présents, Apellikos, fils d’Adeidas, Attikos, fils de Pistôn, Dionysos, fils de Dekios, ont, pour les intérêts communs à tous les citoyens, donné des conseils, qu’il soit décidé de réunir, le 4 Adônios, l’assemblée des citoyens et, tous ceux pour qui le différend [diaphora] entre les citoyens a eu lieu alors qu’ils luttaient au sujet des affaires communes, que, convoqués à l’assemblée, ils procèdent à la réconciliation avec eux-mêmes, en dressant une liste de trente [personnes] pour chacun des deux groupes. Pour ceux qui ont été adversaires auparavant, que chacun des deux groupes fassent la liste pour l’autre. Que les archontes, après avoir inscrit sur un sort les noms de chaque groupe séparément et les avoir jetés dans deux urnes, en tirent au sort un de chaque groupe et que, sur le reste des citoyens, ils adjoignent par tirage au sort trois aux deux, à l’exclusion des parentèles que la loi ordonne d’écarter des tribunaux. Que ceux qui ont le même lot entre eux soient frères d’élection s’entendant [homonooûntes] les uns avec les autres [allalois], en toute justice et amitié [philias]. Lorsque les soixante sorts auront tous été tirés ainsi que ceux qui font partie du même lot, que, le reste des citoyens, ils les tirent tous au sort par groupes de cinq, sans assortir ensemble les parentèles, comme cela a été écrit, et que entre eux soient frères eux aussi comme les précédents, ceux qui font partie du même lot. Que les préposés à la mémoire du sacré [hieromnamones] sacrifient, pour le sacrifice, une chèvre blanche et, ce dont il est besoin pour le sacrifice, que l’intendant le fournisse. De même, que les magistrats qui se succèdent sacrifient tous chaque année en ce jour aux Ancêtres et à Homonoia une victime pour chacun des deux groupes, lors de la docimasie, et que tous les citoyens célèbrent la fête les uns avec les autres, affrèrement par affrèrement. Que ce décret, l’ayant fait graver sur une stèle de bronze, les archontes le déposent dans le vestibule de Zeus Olympien ». Cf. G. Nenci, dans ASNP, III, X, 1980, p. 1272-1273; D. Asheri, “Osservazioni storiche sul decreto di Nakone”, dans G. Nenci éd., Materiali e contributi per lo studio degli otto decreti da Entella, dans ASNP, III, XII, 1982, p. 1003-1053; I. Savelli, “Alcune osservazioni sulla terza iscrizione di Entella”, dans ASNP, III, XII, 1982, p. 1055-1068; H. et M. van Effenterre, “L’acte de fraternisation de Nakone”, dans MEFRA, 100, 1988, p. 687-700; N. Loraux, La cité divisée, p. 222-236.
76 N. Loraux, La cité divisée, p. 202.
77 Il n’est pas impossible, comme semble le suggérer N. Loraux (La cité divisée, p. 230), que la confrérie romaine des “frères arvales”, qui regroupait des représentants du patriciat et de l’élite de la plèbe, et qui se réunissait parfois, à une époque certes plus tardive, dans le temple de la Concorde, trouve là son origine historique et sa justification idéologique; d’après J. Scheid, cette confrérie symbolise en effet la réconciliation institutionnelle de l’élite romaine, et le carmen arvale serait antérieur à l’époque du rhotacisme, au ive siècle av. n.è. : J. Scheid, Romulus et ses frères. Le collège des frères arvales, modèle du culte public dans la Rome des empereurs, Rome (B.E.F.A.R. 275), 1990, p. 680 et p. 699-708.
78 H. et M. van Effenterre, dans MEFRA, 100, 1988, p. 698-700. Cf. En. Tact., Poliorc, XI, 10 bis-11 : Παρακλησίως δὲ ἐν Ἠρακλείᾳ τῇ ἐν τῷ Πόντῳ, οῦσης δημοκρατίας καὶ ἐπιβουλευόντων τῶν πλουσίων τῷ δήμῳ καὶ μελλόντων ἐπιτίθεσθαι, προγνόντες οἰ προστάται τοῦ δήμου τὸ μέλλον, οὐσῶν αὐτοῖς τριῶν φυλῶν καὶ τεσσάρων ἐκατοστύων, ἔπεισαν τὸ πλῆθος ἐξήκοντα εἷναι ἐκατοστύας, ἵνα ἐν ταύταις καὶ εἰς τὰς φυλακὰς καὶ εἰς τὰς ἄλλάς λειτουργίας φοιτῶσιν οἰ πλούσιοι. Συνέβαινεν καὶ ἐνταῦθα διεσκεδασμένους εἷναι τοὺς πλουσίους καὶ ἐν ταῖς ἐκατοστύσιν ὀλίγους ἐκάστοθι παραγίγνεσθαι ἐν πολλοῖς δημόταις : « Un cas similaire se présenta à Héraclée du Pont quand, sous la démocratie, les riches conspirèrent contre le peuple et furent prêts à l’attaquer. Les chefs du parti populaire, prévoyant ce qui allait se passer, persuadèrent la masse, alors qu’il existait trois tribus et quatre centuries, de créer soixante centuries dans le cadre desquelles les riches viendraient régulièrement accomplir leur tour de garde et les autres services publics. Là aussi, il arriva que les riches furent disséminés et que, dans les centuries, ils se trouvèrent chaque fois peu nombreux au milieu d’un grand nombre de leurs compatriotes » (trad. d’A.-M. Bon, éd. d’Énée le Tacticien, Poliorcétique, Paris (C.U.F.), 1967, p. 23).
79 Le parallèle entre l’inscription de Nakônè et le récit de Plutarque sur l’origine “numaïque” des collegia opificum a d’ailleurs également été proposé par E. Gabba, dans JRS, 74, 1984, p. 84.
80 Antiph., 87 B 44-71 Diels-Kranz (= J.-P. Dumont, Les Présocratiques, Paris, 1988, p. 1109-1110); Thras., 85 B 1 Diels-Kranz (= J.-P. Dumont, op. cit., p. 1074-1075); Democr., 68 B 255 Diels-Kranz (= J.-P. Dumont, op. cit., p. 906-907); Xenoph., Memor., IV, 4, 16; Lys., Péroraison sur la confiscation (XVIII), 17; Isocr., Areop., 69; Arist., Eth. Nicom., IX, 6, 1-4 (1167 a-b).
81 J. de Romilly, “Vocabulaire et propagande ou les premiers emplois du mot όμόνοια”, dans Mélanges de linguistique et de philologie grecques offerts à Pierre Chantraine, Paris, 1972, p. 199-209.
82 Cf. J. Zwicker, s.v. Homonoia, dans R.E., VIII, 2, 1913, col. 2265-2269; G. Thériault, Le culte d’Homonoia dans les cités grecques, Lyon-Québec (coll. de la Maison de l’Orient Méditerranéen 26, sér. épigraphique et historique 3), 1996, p. 5-70.
83 G. Thériault, Le culte d’Homonoia, p. 1-2.
84 A. Momigliano, “Camillus and the Concord”, dans CQ, 36, 1942, p. 111-120 (= Id., Secundo Contributo alla Storia degli Studi Classici, Rome, 1960, p. 89-104).
85 Arist., Eth. Nicom., IX, 6, 1-4 (1167 a-b). Cf. R.A. Gauthier et J. Y. Jolif, L’éthique à Nicomaque. Introduction, traduction et commentaire, II, 2, Louvain-Paris, 1970, p. 737-740.
86 Cf. Democr., 68 A 1 Diels-Kranz (ap. Diog. L., IX, 38 et 40); Diog. L., IX, 40; W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 155 et p. 232; Id., A History of Greek Philosophy, II, The presocratic Tradition from Parmenides to Democritus, Cambridge, 1965, p. 386-387.
87 Democr., 68 Β 255 Diels-Kranz : « Lorsque ceux qui ont les moyens prennent sur eux de venir en aide à ceux qui n’ont rien, de les assister et de leur être charitables, alors désormais se manifeste la pitié; l’isolement des citoyens prend fin, c’est la fraternité, la solidarité mutuelle et la concorde entre eux (καὶ τοὺς πολιήτας ὁμονόους εἷναι), et bien d’autres bienfaits qu’il est impossible de dénombrer » (trad. J.-P. Dumont, Les Présocratiques, p. 906-907). Cf. E. A. Havelock, The Liberal Temper in Greek Politics, New Haven-Londres, 1957, p. 125-154.
88 Cf. Β. V. Head, Historia Nummorum, a manual of greek numismatics, Oxford, 19112, p. 64; S. P. Noe, Coinage of Metapontum (Numismatic Notes and Monographs, 47), New York, 1931, p. 32.
89 A. Stazio, “Osservazioni sulla monetazione di Metaponte”, dans Metaponto. Atti del tredicesimo Convegno di Studi sulla Magna Grecia (Taranto, 14-19 ottobre 1973), Naples, 1974, p. 85-86; F. Di Bello, dans ibid., p. 287-300; E. Lepore, dans ibid., p. 333-335; G. Thériault, “L’apparition du culte d’’Homonoia”, dans LEC, 64, 1996, p. 130-134; Id., Le culte d’Homonoia, p. 13-17.
90 Cf. Pol., II, 39, 1-6; Jambl., De vita Pythag., 249.
91 Jambl., De vita Pythag., 45 : Ὂ δὲ πρῶτον μὲν αὐτοῖς συνεβούλευεν ἰδρύσασθαι Μουσῶν ἰερόν, ἵνα τηρῶσι τὴν ὐπάρχουσαν ὁμόνοιαν ταύτας γὰρ τὰς θεὰς καὶ τὴν προσηγορίαν τὴν αὐτὴν ἀπάσας ἔχειν καὶ μετ’ ἀλλήλων παραδεδόσθαι καὶ ταῖς κοιναῖς τιμαῖς μάλιστα χαίρειν, καὶ τò σύνολον ἔνα καὶ τòν αὐτòν ἀεὶ χορὸν εἷναι τῶν Μουσῶν, ἔτι δὲ συμφωνίαν, ἀρμονίαν, ῥυθμόν, ἄπαντα περιειληφέναι τὰ παρασκευάζοντα τὴν ὁμόνοιαν. Ἑπεδείκνυε δὲ αὐτῶν τὴν δύναμιν οὐ περὶ τὰ κάλλιστα θεωρήματα μόνον ἀνήκειν, ἀλλὰ καὶ περὶ τὴν συμφωνίαν καὶ ἀρμονίαν τῶν ὄντων : « Ce qu’il leur conseilla en premier, ce fut de construire un sanctuaire des Muses, afin qu’elles conservent la concorde (ὁμόνοικ) qui règne parmi eux. Ces déesses, en effet, non seulement ont toutes le même nom, mais la tradition les associe et elles se réjouissent au plus haut point des honneurs qui leur sont adressés en commun, bref : le choeur des Muses est toujours un seul et identique; en outre, elles embrassent l’accord, l’harmonie, le rythme et toutes choses qui produisent la concorde (ὁμόνοικ). Il montra que leur pouvoir s’étendait non seulement aux plus belles d’entre les connaissances, mais aussi à l’accord et à l’harmonie entre les êtres » (trad, d’après L. Brisson et A. Ph. Segonds, éd. de Jamblique, Vie de Pythagore, Paris, 1996, p. 26). Cf. G. Maddoli, “I culti di Crotone”, dans Crotone, Attidel ventitreesimo Convegno di studi sulla Magna Grecia (Taranto, 7-10 ottobre 1983), Tarente, 1984, p. 338-340. Les discours que Pythagore auraient prononcés à son arrivée à Crotone et qui ont été conservés par Jamblique (De vita Pythag., 37-57) semblent provenir, peut-être par l’intermédiaire d’Apollonius, des Histoires de Timée, comme ont tenté de le montrer : A. Delatte, Études sur la littérature pythagoricienne, p. 8; Id., “La chronologie pythagoricienne de Timée”, dans Musée Belge, 1920, p. 5-13; Id., Essai sur la politique pythagoricienne, p. 39-41; P. Boyancé, Le culte des Muses chez les philosophes grecs, Paris (B.E.F.A.R. 141), 1937, p. 233-241; Id., “Fulvius Nobilior et le dieu ineffable”, dans RPh, sér. 3, 29, 1955, p. 183 (= Id., Études sur la religion romaine, p. 241); B. L. Van der Waerden, Die Pythagoreer. Religiöse Bruderschaft und Schule der Wissenschaft, Zurich/Munich, 1979, p. 201; plus sceptique sur une utilisation directe de Timée par Jamblique : W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 92-94, en part. p. 93 n. 37.
92 A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 40.
93 Pol., VIII, 27, 11. Cf. P. Wuilleumier, Tarente, p. 485.
94 P. Boyancé, Le culte des Muses, passim; Id., “Les Muses et l’harmonie des sphères”, dans les Mélanges Félix Grat, t. 1, Paris, 1946, p. 3-16; cf. G. Sauron, Quis deum ?, p. 306-307.
95 Cf. H. Kramer, Quid valeat όμόνοια in litteris Graecis, Göttingen, 1915, p. 16-17; G. Grossmann, Politische Schlagwörter aus der Zeit des Peloponnesischen Krieges, Zürich, 1950, p. 39. Voir infra p. 571-572 et p. 583-584.
96 Pour Archytas, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie et la musique étaient quatre « sciences soeurs » : 47 B 1 Diels-Kranz (ap. Porph., In Ptolem. Harm., p. 56 Düring; Nicom. Geras., Inst, arithm., I, 3, 4, p. 6, 16 Hoche) = J.-P. Dumont, Les Présocratiques, p. 533-535. Voir aussi A. Barker, “Archita di Taranto e l’armonia pitagorica”, dans AION (filol), 11, 1989, p. 159-178; J.-F. Mattei, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 52-54; W. Leszl, “Pitagorici ed Eleati”, dans G. Pugliesi Carratelli éd., Magna Grecia, III, Vita religiosa e cultura letteraria, filosofica e scientifica, Milan, 1988, p. 204. Les Discours de Pythagore (qui auraient en fait été rédigés par des Pythagoriciens du ve ou du ive siècle) établissent une étroite corrélation entre l’harmonie de l’Univers et la concorde politique, car l’harmonie cosmique est une condition de l’eunomie : cf. Jambl., De vita Pythag., 45 (supra n. 91); A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 40, p. 64 et p. 167-171.
97 Arist., Met., I, 5, (985 b – 986 a) : Ἐν δὲ τούτοις καὶ πρὸ τούτων οἰ καλούμενοι Πυθαγόρειοι τῶν μαθημάτων ἀψάμενοι πρῶτοι ταῦτα τε προήγαγον, καὶ ἐντραφέντες ἐν αὐτοῖς τὰς τούτων ἀρχὰς τῶν ὄντων ἀρχὰς ῲήθησαν εἷναι πάντων. Ἐπεὶ δὲ τούτων οἰ ἀριθμοὶ φύσει πρῶτοι, ἐν δὲ τούτοις ἐδόκουν θεωρεῖν ὁμοιώματα πολλὰ τοῖς οὗσι καὶ γιγνομένοις, μᾶλλον ἢ ἐν πυρὶ καὶ γῇ καὶ ὕδατι, ὅτι τὸ μὲν τοιονδὶ τῶν ἀριθμῶν πάθος δικαιοσύνη, τὸ δὲ τοιονδὶ ψυχή τε καὶ νοῦς, ἕτερον δὲ καιρός, καὶ τῶν ἄλλων ὡς εἰπεῖν ἕκαστον ὁμοίως·ἔτι δὲ τῶν ἀρμονιῶν ἐν ἀριθμοῖς ὁρῶντες τὰ πάθη καὶ τούς λόγους, ἐπεὶ δὴ τὰ μὲν ἄλλα τοῖς ἀριθμοῖς ἐφαίνοντο τὴν φύσιν ἀφωμοιῶσθαι πᾶσαν, οἱ δ’ ἀριθμοὶ πάσης τῆς φύσεως πρῶτοι, τὰ τῶν ἀριθμῶν στοιχεῖα τῶν ὄντων στοιχεῖα πάντων ὑπέλαβον εἰναι, καὶ τὸν ὅλον οὐρανὸν ἀρμονίαν εἷναι καὶ ἀριθμόν καὶ ὅσα εἷχον ὁμολογούμενα [δεικνύναι] ἔν τε τοῖς ἀριθμοῖς καὶ ταῖς ἀρμονίαις πρὸς τὰ τοῦ οὐρανοῦ πάθη καὶ μέρη καὶ πρὸς τὴν ὅλην διακόσμησιν, ταῦτα συνάγοντες ἐφήρμοττον. Κἃν εἴ τί που διέλειπε, προσεγλίχοντο τοῦ συνειρομένην πᾶσαν αὺτοῖς εἷναι τὴν πραγματείαν. Λέγω δ’ οἷον, ἐπειδὴ τέλειον ἡ δεκὰς εἷναι δοκεῖ καὶ πᾶσαν περιειληφέναι τὴν τῶν ἀριθμῶν φύσιν, καὶ τὰ φερόμενα κατὰ τὸν οὐρανὸν δέκα μὲν εἷναί φασιν, ὄντων δὲ ἐννέα μόνον τῶν φανερῶν διὰ τοῦτο δεκάτην τὴν ἀντίχθονα ποιοῦσιν : « Au temps de ces philosophes [celui de Leucippe et de Démocrite], et même déjà avant eux, ceux qu’on appelle les Pythagoriciens (οί καλούμενοι Πυθαγόρειοι) s’intéressèrent les premiers aux mathématiques et les firent progresser. Nourris dans cette science, ils crurent que ses principes étaient les principes de toutes choses (τὰς τούτων ἀρχὰς τῶν ὄντων ἀρχὰς ῲήθησαν εἰναι πάντων). Et puisque par nature, les nombres sont les premiers parmi les principes des mathématiques, c’est dans les nombres qu’ils pensaient apercevoir de nombreuses analogies avec tout ce qui est et devient, bien plus encore que dans le feu, la terre et l’eau (telle détermination des nombres étant la Justice (δικαιοσύνη), telle autre l’Âme et la Pensée (ψυχὴ καὶ νοῦς), telle autre la Juste mesure (καιρός), et de même, pour ainsi dire, pour chacune des autres déterminations); comme ils voyaient, en outre, que des nombres exprimaient les propriétés et les proportions musicales; comme, enfin, toutes les autres choses leur paraissaient, dans leur nature entière, être formées à la ressemblance des nombres, et que les nombres semblaient être les réalités primordiales de toute la Nature, dès lors ils considéraient que les principes des nombres sont les éléments de tous les êtres, et que le Ciel tout entier est harmonie et nombre (τὸν ὄλον οὐρανὸν ἀρμονίαν εἰναι καὶ ἀριθμόν). Et toutes les concordances qu’ils pouvaient relever, dans les nombres et la musique, avec les phénomènes du Ciel, et ses parties avec l’ordre de l’Univers (διακόσμησιν), ils les réunissaient et les faisaient entrer dans leur système; et, si une lacune se révélait quelque part, ils procédaient en hâte aux additions nécessaires pour assurer la complète cohérence de leur théorie. Par exemple, la Décade paraissant être un nombre parfait et embrasser toute la nature des nombres, ils disent que les Corps célestes en mouvement sont au nombre de dix; mais comme les Corps visibles ne sont que neuf, pour ce motif ils en supposent un dixième, l’Antiterre » (trad, d’après J. Tricot, éd. d’Aristote, La métaphysique, I, Paris, 1953, p. 41-43).
Sur l’arithmologie des Pythagoriciens, voir par exemple A. Delatte, Études sur la littérature pythagoricienne, p. 139-268; Id., Essai sur la politique pythagoricienne, p. 57-70; E. Temple Bell, La magie des nombres, Paris, 1952; W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 212-251 ; J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 56-75.
98 Cf. Arist., Met., I, 5 (985 b – 986 a), à propos de la cosmologie des καλούμενοι Πυθαγόρειοι : τέλειον ἡ δεκὰς εἷναι δοκεῖ καὶ πᾶσαν περιειληφέναι τὴν τῶν ἀριθμῶν φύσιν, καὶ τὰ φερόμενα κατὰ τὸν οὐρανὸν δέκα μὲν εἷναί φασιν… (« la Décade leur paraissant être un nombre parfait et embrasser toute la nature des nombres, ils disent que les Corps célestes en mouvement sont au nombre de dix… »). La tetraktys, ou la série des quatre premiers nombres qui renferme en puissance le nombre 10, contient les principes de la géométrie : la Monade (1), le nombre par excellence, ni pair ni impair, se traduit en géométrie par le point; la Diade (2), premier nombre pair, correspond à la ligne; la Triade (3), premier nombre impair, correspond à la surface; enfin la Tétrade (4), premier carré, représente le volume : cf. J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 59-65 et p. 97-108.
99 Cf. Plat., Rep., X, 616 a.
100 Jambl., De vita Pythag., 82 : Τί ἐστι τὸ ἐν Δελφοῖς μαντεῖον; τετρακτύς, ὅπερ ἐστὶν ἡ ἀρμονία, ἐν ᾐ αἰ Σειρῆνες (« Qu’est-ce que l’oracle de Delphes? c’est la tétractys, c’est-à-dire l’harmonie dans laquelle sont les Sirènes »). Cf. A. Delatte, Études sur la littérature pythagoricienne, p. 249-268; P. Boyancé, dans les Mélanges Félix Grat, t. 1, Paris, 1946, p. 3-16; Id., Le culte des Muses, p. 100-101; Id., dans Filosofía e scienze, p. 82-83 et p. 101-106; W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 63-64; p. 155; p. 170-172; p. 452-454.
101 Plat., Rep., X, 616 d – 617 d; Tim., 36 d – 39 b; Crat., 405 c-d; Arist., De cael, II, 9 (290 b); fr. 47 Rose; fr. 203 Rose; Cic, De Rep., VI, 17-19; cf. Jambl., De vita Pythag., 65-66. A propos des rapports entre l’astronomie et la musique, Platon reprend d’ailleurs dans la République l’expression de « sciences soeurs » (ἀδελφαί ἐπιστῆμαι) et l’attribue explicitement aux Pythagoriciens (VII, 530 d) : « Il semble, dis-je, que comme les yeux ont été formés pour l’astronomie, les oreilles l’ont été pour le mouvement harmonique, et que ces sciences sont sœurs, comme l’affirment les Pythagoriciens » (trad, de R. Baccou, éd. de Platon, La République, Paris, 1966, p. 289); l’association des quatre disciplines (arithmétique, géométrie, musique et astronomie) est reprise par Platon dans Théétête (145 c) et dans Protagoras (318 d-e). D’après A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 90, « il se pourrait que Platon ait emprunté aux Pythagoriciens le procédé qui consiste à chercher la solution des problèmes de la politique dans la théorie musicale ». Voir aussi E. Frank, Plato und die sogenannten Pythagoreer. Ein Kapitel aus der Geschichte des griechischen Geistes, Halle, 1923; P. Boyancé, Études sur le Songe de Scipion, Limoges, 1936, p. 104-115; Id., dans les Mélanges Félix Grat, t. 1, Paris, 1946, p. 3-16; Id., “L’influence pythagoricienne sur Platon”, dans Filosofia e scienze in Magna Grecia (Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto 1965), Naples, 1966, p. 73-113; W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 328-335; W. Κ. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 295-301; J.-F. Mattei, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 85-86; J.-L. Ferrary, “L’archéologie du De re publica: Cicéron entre Polybe et Platon”, dans JRS, 74, 1984, p. 87-98. M. Tagliente, “Ceramiche figurate nel mondo indigeno della Basilicata. Il caso di Ripacandida”, dans C. Gelao éd., Studi in onore di Michele d’Elia, Matera-Spoleto, 1996, p. 41-43 et fig. 2-3, a pu clairement identifier sur une céramique provenant d’une tombe indigène de Ripacandida, dans la Basilicate, et datant de la première moitié du ve siècle, une représentation du globe terrestre entouré des sept sphères (les cinq planètes connues, le Soleil et la Lune), comme dans le mythe de l’« harmonie des sphères » rapporté par Platon, Aristote et Cicéron : ce document exceptionnel prouverait par conséquent que le mythe est antérieur à Platon; sa présence en Italie du Sud dans la première moitié du ve siècle ne peut donc s’expliquer que par le pythagorisme; enfin, cette céramique révèle la diffusion précoce des doctrines pythagoriciennes, y compris au sein des populations indigènes (ce qui confirmerait le témoignage d’Aristoxène sur l’audience que Pythagore aurait obtenue auprès d’elles).
102 Platon ne cite qu’une seule fois directement le nom de Pythagore (République, X, 600 a-b), et c’est pour faire l’éloge du « genre de vie » (τρόπος τοῦ βίου) qu’il a réussi à établir et que suivent ses disciples : cf. P. Boyancé, “Sur la vie pythagoricienne”, dans REG, 52, 1939, p. 36-50 (en part. p. 47); Id., dans Filosofía e scienze, p. 75-78.
103 Jambl., De vita Pythag., 45 : voir supra p. 566, n. 91.
104 Archyt., 47 B 3 Diels-Kranz (ap. Stob., Flor., XLIII, 135); cf. J.-P. Dumont, Les Présocratiques, p. 536-537.
105 Trad, d’après J.-P. Dumont, Les Présocratiques, p. 536-537.
106 Arist., Pol., VI, 5, 10 (1320 b). Cf. A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 259; P. Wuilleumier, Tarente, p. 181; E. L. Minar, Early Pythagorean Politics, p. 90-91.
107 Trad, de J. Tricot, éd. d’Aristote, Politique, Paris, 19773, p. 448.
108 Arist., Eth. Nicom., IX, 6, 1-4 (1167 a-b) : voir supra p. 565.
109 Cf. P.-H. Michel, De Pythagore à Euclide. Contribution à l’histoire des mathématiques préeuclidiennes, Paris, 1950, p. 365-369 : d’après les Éléments d’Euclide, « La proportion est une identité de raison » (V, 4); « Une proportion a au moins trois termes » (V, 9); « Des nombres sont proportionnels lorsque le premier est le même multiple, ou égal à la même partie, ou aux mêmes parties du second, que le troisième l’est de quatrième » (V, 21).
110 Nicom., Introd. arithm., II, 22, 1 : « Les trois premières proportions (ἀναλογίαι) qui furent connues des anciens (Pythagore, Platon et Aristote) étaient l’arithmétique, la géométrique et l’harmonique » (un peu plus loin (II, 26, 2), Nicomaque attribue à Philolaos l’invention du qualificatif “harmonique” appliqué à la troisième proportion); Jambl., In Nicom. arithm., Pistelli, 100, 19-20 : « Anciennement, au temps de Pythagore et des mathématiciens ses disciples, il y avait trois médiétés (μεσότητες) seulement : l’arithmétique, la géométrique et la troisième, connue sous le nom de subcontraire (ὑπέαντία), mais qu’Archytas et Hippase désignent sous le nom d’harmonique parce qu’elle est apparue enfermer les rapports concernant l’harmonie et la musique ». Cf. P.-H. Michel, De Pythagore à Euclide, p. 373-375. Selon cet auteur (op. cit., p. 366-367), le mot médiété (μεσότης) peut avoir deux sens, « à savoir le moyen terme d’une proportion ou (abusivement) la proportion elle-même. Le premier sens est le plus usuel, le plus conforme à l’étymologie, mais c’est par le second que μεσάτης se rapproche d’ἀναλογία et c’est seulement quand il est affecté de ce second sens que μεσάτης devra être traduit par médiété ».
111 Archyt., 47 B 2 Diels-Kranz (ap. Porph., In Ptolem. Harm., p. 92 Düring) = J.-P. Dumont, Les Présocratiques, p. 535-536) : Μέσαι δὲ ἐντι τρῖς τᾷ μουσικᾷ, μία μὲν ἀριθμητικά, δευτέρα δὲ ἀ γεωμετρικά, τρίτα δ’ ὐπεναντία, ἃν καλέοντι ἀρμονικάν. Ἀριθμητικὰ μὲν, ὅκκα ἔωντι τρεῖς ὅροι κατὰ τὰν τοίαν ὑπεροχὰν ἀνὰ λόγον ᾧ πρᾶτος δευτέρου ὑπερέχει, τούτῳ δεύτερος τρίτου ὑπερέχει. Kαὶ ἐν ταύτᾳ <τᾷ> ἀναλογίᾳ συμπίπτει ᾗμεν τὸ τῶν μειζόνων ὅρων διὰστημα μεῖον, τὸ δὲ τῶν μειόνων μεῖζον. Ἀ γεωμετρικὰ δέ, ὅκκα ἔωντι οἷος ὁ πρᾶτος ποτὶ τὰν δεύτερον, καὶ ὁ δεύτερος ποτὶ τὸν τρίτον. Τούτων δ’ οἱ μείζονες ἵσον ποιοῦνται τὸ διάστημα καὶ οἱ μείους. Ἀ δ’ ὑπεναντία, ἃν καλοῦμεν ἀρμονικάν, ὅκκα ἔωντι <τοῖοι ῴ> ὁ πρᾶτος ὅρος ὑπερέχει τοῦ δευτέρου αὐταύτου μέρει, τούτῳ ὁ μέσος τοῦ τρίτου ὑπερέχει τοῦ τρίτου μέρει. Γίνεται δ’ ἐν ταύτᾳ τᾷ ἀναλογίᾳ τὸ τῶν μειζόνων ὅρων διάστημα μεῖζον, τὸ δὲ τῶν μειόνων μεῖον (« En musique, il existe trois médiétés : arithmétique, géométrique et subcontraire, encore appelée harmonique. On parle de moyenne arithmétique quand trois termes entretiennent entre eux une proportion selon un excès donné et que l’excès du premier par rapport au deuxième est celui du deuxième par rapport au troisième [ex. 3, 2, 1 où 3 – 2 = 2 – 1 = 1]. Dans cette proportion, l’intervalle [= le rapport] des deux plus grands termes [3 : 2] est plus petit, tandis que celui des deux plus petits [2:1] est plus grand [puisque 3 : 2 = 1,5 est plus petit que 2 : 1 = 2]. On parle de moyenne géométrique quand le rapport des trois termes est tel que le premier est au deuxième ce que le deuxième est au troisième [ex. 4, 2, 1]; dans ce cas, l’intervalle des deux plus grands termes [4 : 2] est égal à celui des deux plus petits [puisque 4 : 2 = 2 : 1 = 2 ]. On parle de moyenne subcontraire, celle que nous appelons harmonique, quand le rapport des trois termes [ex. 6, 4, 3] est le suivant : le premier terme dépasse le deuxième d’une fraction de lui-même [6 dépasse 4 du tiers de 6] et le moyen dépasse le troisième de la même fraction du troisième [4 dépasse 3 du tiers de 3]. Dans une telle proportion, l’intervalle des plus grands termes est plus grand et celui des plus petits termes plus petit [ 6 : 4 = 1,5 est plus grand que 4 : 3 = 1,33] » : traduction de J.-P. Dumont, illustrée par les exemples fournis par J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 81-82); cf. P.-H. Michel, De Pythagore à Euclide, p. 379-399.
112 Stob., Flor., IV, 1, 132; 135; 136; 137; 138; IV, 5, 61 (les cinq derniers fragments sont cités par H. Thesleff, The Pythagorean Texts of the Hellenistic Period, Åbo, 1965, p. 33-36). Voir supra p. 534 et n. 197.
113 Cf. A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 93-109; J. S. Morrison, “The Origins of Plato’s Philosopher-Stateman”, dans CQ, n.s. 8, 1958, p. 213-216.
114 Ps.-Archyt., Περὶ νόμου, fr. 3 Thesleff (Stob., Flor., IV, 1, 137 (p. 84 Η.) = 43, 133b M.) : Διὸ τὸ δίκαιον τοὶ μὲν ἀριστοκρατικὸν τοὶ δὲ δημοκρατικὸν τοὶ δὲ ὀλιγαρχικὸν ποιοῦντι καὶ τὸ ἀριστοκρατικὸν κατὰ τὰν ὐπεναντίαν μεσότατα τοῖς μὲν γὰρ μέζοσι μέζονας τὼς [δὲ] λόγως, τοῖς δὲ μείοσι μείονας διανέμει ἀ ἀναλογία αὕτα τὸ δὲ δαμοκρατικὸν κατὰ τὰν γεωμετρικάν ἐν γὰρ ταύτᾳ τοὶ λόγοι ἷσοι τῶν μειζόνων καὶ μειόνων μεγεθέων τὸ δὲ ὀλιγαρχικὸν καὶ τυραννικὸν κατὰ τὰν ἀριθμητικάν ἀντιάζει γὰρ αὕτα τᾷ ὐπεναντίᾳ τοῖς γὰρ μείοσι μέζονας τοὺς λόγως, τοῖς δὲ μείζοσι μείονας. Tαὶ μὲν ὧν ἰδέαι τᾶς διανομᾶς τοσαῦται, ταὶ δὲ εἰκόνες ἐν ταῖς πολιτείαις καὶ τοῖς οῖκοις θεωρέονταν τιμαί τε γὰρ καὶ κολάσεις καὶ ἀρχαὶ <ἢ> ἐξ ἵσω τοῖς μείζοσι καὶ μείοσι διανέμονται, ἥ ἐξ ἀνίσω ἢ τῷ ἀρετᾷ ὐπερέχεν ἢ τῷ πλούτῳ ἢ καὶ δυνάμει. Τὸ μὲν ὧν ἐξ ἴσου δημοκρατικόν, τὸ δὲ ἐξ ἀνίσω ἀριστοκρατικὸν ἥ ὀλιγαρχικόν (« C’est pourquoi les uns établissent le droit sous une forme aristocratique, d’autres sous une forme démocratique, d’autres encore sous une forme oligarchique. Le droit aristocratique est fondé sur la moyenne subcontraire; car cette proportion distribue aux plus grands termes de plus grands rapports, aux plus petits, de plus petits. Le droit démocratique est établi selon la proportion géométrique; dans celle-ci, en effet, les rapports des grandes et des petites quantités sont égaux. Le droit oligarchique ou tyrannique est fondé sur la proportion arithmétique; celle-ci en effet est opposée à la subcontraire; car elle distribue aux plus petits termes les plus grands rapports, aux plus grands les plus petits. Telles sont les formes (ἰδέαι) de la distribution. On peut en considérer les images (εἰκόνες) dans les États et les familles. Car les honneurs, les punitions et les charges y sont distribués aux plus grands et aux plus petits par mesures égales ou dans des proportions inégales, en prenant comme base une supériorité soit de talent (ἀρετά), soit de richesse, soit de puissance. Le premier système, l’égalitaire, est démocratique; l’autre, procédant par inégalités, est aristocratique ou oligarchique » : trad. d’A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 95). Cf. A. Delatte, op. cit., p. 93-109; P. Wuilleumier, Tarente, p. 577-578 et p. 583-584. Selon F. Cordano, dans PP, 26, 1971, p. 290, n. 2, la présence de cette théorie dans le Περὶ νόμου est un argument important pour certifier l’authenticité de l’oeuvre ou, à tout le moins, sa datation, car « ces trois proportions sont les seules connues par les sciences mathématiques jusqu’à Aristote ».
115 F. D. Harvey, “Two Kinds of Equality”, dans C&M, 26, 1965, p. 101-146.
116 Le débat sur l’authenticité du Περὶ νόμου est fortement controversé, mais la tendance actuelle de la critique est de le considérer comme un faux : voir supra p. 534, n. 197. F. D. Harvey, dans C&M, 26, 1965, p. 123-125 et p. 131-138, relève dans les fragments rapportés par Stobée toute une série d’apories qui rendent leur attribution à l’époque d’Archytas tout à fait impossible, et voit même dans certains passages des analogies avec des idées professées par Boèce, au vie siècle ap. J.-C, ce qui en ferait un faux particulièrement tardif.
117 F. D. Harvey, dans C&M, 26, 1965, p. 104-107; voir supra p. 573, n. 111.
118 Cf. Isocr., Aerop., 21-22 : « Ce qui contribua le plus à la bonne organisation de leur cité, c’est qu’entre deux égalités dont on connaît l’existence et dont l’une distribue la même part à tous et l’autre à chacun ce qui lui revient, ils ne méconnaissaient pas la plus utile : celle qui accorde la même chose aux honnêtes gens (χρηστοί) et aux personnes méprisables (πονηροί), ils l’écartaient comme injuste; et celle qui honore et châtie chacun selon son mérite, ils la choisissaient et, grâce à elle, ils réglaient les affaires de la cité non pas en tirant au sort les magistrats parmi tout le peuple, mais en désignant pour chaque tâche les gens les plus honnêtes et les plus compétents; car ils espéraient que les autres citoyens ressembleraient aux gens mis à la tête des affaires » (trad. d’après G. Mathieu, éd. d’Isocrate, Discours, t. III, Paris (C.U.F.), 1960, p. 68).
Plat., Leg., VI, 757 b-c ; « Il y a en effet deux égalités, qui portent le même nom mais en pratique s’opposent presque, sous bien des rapports; l’une, toute cité et tout législateur arrivent à l’introduire dans les marques d’honneur, celle qui est égale selon la mesure, le poids et le nombre; il suffît de la réaliser par le sort dans les distributions; mais l’égalité la plus vraie et la plus excellente n’apparaît pas aussi facilement à tout le monde. Elle suppose le jugement de Zeus et vient rarement au secours des hommes, mais le rare secours qu’elle apporte aux individus ne leur vaut que des biens; au plus grand elle attribue davantage, au plus petit, moins, donnant à chacun en proportion de sa nature et, par exemple, aux mérites plus grands, de plus grands honneurs, tandis qu’à ceux qui sont à l’opposé pour la vertu et l’éducation elle dispense leur dû suivant la même règle. Je crois, en effet, que pour nous la politique est toujours précisément cela, la justice en soi… » (trad. d’E. des Places, éd. de Platon, Œuvres complètes, t. XI, 2, Les lois. Livres III-VI, Paris (C.U.F.), 1951, p. 116-117).
Arist., Pol., III, 9, 1-4 (1280 a) : « Il faut, d’abord, bien saisir quels sont les caractères distinctifs couramment donnés de l’oligarchie et de la démocratie, et en quoi consiste la justice oligarchique ou démocratique, car les uns et les autres s’en tiennent à une certaine notion de justice : ils s’avancent jusqu’à un certain point sans exprimer toutefois dans sa totalité la justice absolue. Par exemple, on croit que la justice, c’est l’égalité, et elle l’est en fait, non pas pour tous, mais seulement pour des égaux; l’inégalité aussi semble juste et elle l’est en effet, non pas pour tous, mais seulement pour des individus inégaux. Or, on omet ce « pour qui? » et l’on juge mal. La cause en est qu’ici l’on juge son propre cas; or, la plupart des hommes sont en général mauvais juges de leurs propres affaires. En conséquence, puisque la justice est relative à des personnes et qu’une distribution doit se faire en gardant la même proportion au sujet des choses et pour les personnes, comme on l’a déjà dit dans l’Ethique, on s’accorde bien sur l’égalité de la chose, mais on diffère sur celle des personnes en cause, précisément pour la raison qui vient d’être donnée, à savoir qu’on est mauvais juge s’il s’agit de soi, et aussi parce que, ne parlant que de ce qui est juste jusqu’à un certain point, les uns et les autres croient parler de justice absolue. Les uns, en effet, s’ils sont inégaux sur un point précis, la richesse par exemple, se croient inégaux en tout; les autres, s’ils sont égaux sur un point précis, la liberté par exemple, se croient égaux en tout » (trad. de J. Aubonnet, éd. d’Aristote, Politique, t. II, 1, Livres III-IV, Paris (C.U.F.), 1971, p. 70).
119 Cf. J.-F. Balaudé, Les théories de la justice dans l’Antiquité, Paris, 1996, p. 65-102.
120 La similitude des termes avec lesquels Isocrate et Platon exposent leurs conceptions sur les deux types d’égalité a même fait supposer à l’auteur l’existence d’une source commune, éventuellement Archytas de Tarente : F. D. Harvey, dans C&M, 26, 1965, p. 107-113 et n. 52. Cf. aussi G. Mathieu, éd. d’Isocrate, Discours, t. III, p. 68.
121 Cf. E.R. Dodds, éd. de Gorgias, Oxford, 1959, p. 337-338; F. D. Harvey, dans C&M, 26, 1965, p. 145; M. Canto, éd. de Platon, Gorgias, Paris (coll. G.F.), 1987, p. 347. La définition du cosmos donnée par Platon est à comparer avec celle fournie par le Pseudo-Aristote dans le De mundo, ouvrage généralement retenu comme apocryphe, mais qu’il faudrait peut-être considérer comme authentique (II, 391 b) : Κόσμος μέν οὗν έστι σύστημα έξ ούρανοῦ καὶ γῆς καὶ τῶν έν τούτοις περιεχομένων φύσεων. Λέγεται δέ καὶ έτέρως κόσμος ή τῶν ὃλων τάξις τε καὶ διακόσμησις, ύπό θεοῦ τε καὶ διά θεόν φυλαττομένη (« Le cosmos est l’ensemble constitué par le Ciel et la Terre et par toutes les réalités contenues en eux. Par ailleurs, cosmos veut également dire l’ordre et la belle organisation conservées par dieu et grâce à dieu »); cf. G. Reale, éd. d’Aristotele, Trallato sul cosmo per Alessandro, Naples, 1974, introduction générale et commentaire de ce passage p. 202-203.
122 M. Canto, éd. de Platon, Gorgias, p. 347; J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 27-29.
123 D’après Diogène Laërce (VIII, 48), Pythagore aurait été « le premier à appeler le ciel cosmos et la Terre sphérique » (τόν ούρανόν πρῶτον όνομάσαι κόσμον καὶ τὴν γῆν στρογγύλην), mais il ajoute aussitôt que Théophraste attribue cette invention à Parménide, et Zénon à Hésiode. Cf. W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 206-212; W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 68-70; P. Boyancé, dans Filosofia e scienze, p. 100 et n. 87.
124 Archyt., 47 B 2 Diels-Kranz (ap Porph., In Ptolem. Harm., p. 92 Düring) : voir supra p. 573 n. 111. J.-L. Ferrary, dans L. Firpo éd., Storia delle idee politiche, I, L’Antichità classica, Turin, 1982, p. 738-739, fait le rapprochement entre ce fragment d’Archytas et le passage du Gorgias où Platon évoque l’« égalité géométrique » (508a), et suggère que, « prima di essere platonica e aristotelica, l’uguaglianza geometrica sembra essere stata un’idea pitagorica ».
125 Plat., Polit., 257 a-b
126 Jambl., De vita Pythag., 81. Cf. A. Delatte, Etudes sur la littérature pythagoricienne, p. 271-312; E. L. Minar, Early Pythagorean Politics, p. 31-35; W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 191-193; J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 25. En réalité, ce serait peut-être Hippase qui aurait introduit la distinction entre “mathématiciens” et “acousmatiques” au sein du mouvement pythagoricien, auparavant unitaire : cf. Hippas., fr. 18, 2 Diels-Kranz; A. Mele, dans Crotone, p. 73-74.
127 Que la “science des nombres” chez Platon soit d’origine pythagoricienne, et notamment les principes de géométrie et d’harmonie, c’est déjà ce qu’affirmait Cicéron (De Rep., I, 16) : Quem enim auctorem de illo [sc. Socrate] locupletiorem Platone laudare possumus ? Cuius in libris multis locis ita loquitur Socrates ut etiam cum de moribus, de virtutibus, denique de re publica disputet, numeros tamen et geometriam et harmoniam studeat Pythagorae more coniungere.
128 Trad. d’A. Rivaud, éd. de Platon, Œuvres complètes, t. X, Timée-Critias, Paris (C.U.F.), 1925, p. 144.
129 Sur les rapports entre l’Âme et le Monde chez les Pythagoriciens et chez Platon, voir notamment W. Leszl, dans G. Pugliesi Carratelli éd., Magna Grecia, III, 1988, p. 204-206.
130 Trad. d’après A. Rivaud (C.U.F.), p. 149-150.
131 Cf. Cic, De Rep., I, 16; Tusc, I, 39.
132 Selon Hermippe (ap. Diog. L., VIII, 55), Platon aurait acheté quarante mines l’ouvrage de Philolaos à des amis de celui-ci. Suivant une autre légende, il se serait agi de trois livres qu’une version tardive attribuait à Pythagore luimême.
133 W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 211, n. 48.
134 Arist., Met., I, 5 (985 b) : voir supra p. 568, n. 97.
135 Philol., 44 A 27-28 Diels-Kranz. Cf. W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, p. 206-221; l’auteur s’oppose ainsi à la thèse d’E. Frank, Plato und die sogennanten Pythagoreer, Halle, 1923, qui assimilait les καλούμενοι Πυθαγόρεϊοι à des contemporains de Platon, et plus précisément à Archytas et son cercle. A son tour P. Boyancé, dans Filosofia e scienze in Magna Grecia, p. 93-95, estime que si Philolaos est « une source de première importance sur la doctrine pythagoricienne », Aristote ne pouvait pas identifier au seul Philolaos les καλούμενοι Πυθαγορεῖοι (au pluriel) et qu’il avait vraisemblablement sur le pythagorisme d’autres sources d’information.
136 W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, p. 227-228; cf. Plat., Rep., VII, 530 d; Tim., 67 b; 80 a. Voir aussi F. M. Cornford, Plato’s Cosmology. The Timaeus of Plato translated with a running commentary, Londres, 1937, p. 320-322.
137 Cf. P. Boyancé, dans Filosofia e scienze in Magna Grecia, p. 86 et n. 47.
138 P. Boyancé, dans Filosofía e scienze in Magna Grecia, p. 98-99.
139 Cf. P.-H. Michel, De Pythagore à Euclide, p. 365-369 : voir supra p. 572, n. 109.
140 Plat., Rep., VIII, 546 a-b. Cf. A. Diès, Le Nombre géométrique de Platon. Essai d’exégèse et d’histoire, Paris, 1936 ; G. J. Kayas, “Le « Nombre Géométrique » de Platon. Essai d’interprétation”, dans BAGB, 31, 1973, p. 431-468. À propos du sens à donner au logismos d’Archytas, F. D. Harvey, dans C&M, 26, 1965, p. 107, écrit : « if an educated Greek could swallow the Platonic number, then he could easily swallow this ».
141 Strab., VI, 3, 4 (C 280). Sur la Πολιτεία Ταραντίνων, cf. aussi : Arist., Pol., V, 3, 7 (1302 b); VI, 5, 10 (1320 b); fr. 590 Rose.
142 Cf. L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 115.
143 Cf. E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia, II, p. 455-456; A. Bélis, Aristoxène de Tarente et Aristote : le Traité d’Harmonique, Paris, 1986; A. Barker, “Archita di Taranto e l’armonica pitagorica”, dans AION (filol), 11, 1989, p. 159-178.
144 Cf. L. Ferrero, Storia del pitagorismo, p. 123-126; voir aussi E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia, III, p. 304-308; K. von Fritz, The Theory of the Mixed Constitution in Antiquity. A critical analysis of Polybius’ political ideas, New York, 1954 (19582), p. 82-83, admet que « la théorie de la constitution mixte avait une longue histoire avant Polybe », et rapproche le fragment du Περὶ νόμου καὶ δικαιοσύνης attribué à Archytas du Tripoliticus de Dicéarque de Messine, où cet auteur essaya de démontrer que la meilleure constitution était un mélange de monarchie, d’aristocratie et de démocratie, et prit pour modèle, comme l’auteur du περὶ νόμου, la constitution de Sparte (mais K. von Fritz ne reconnaît pas comme authentique le fragment de Stobée attribué à Archytas). Cf. également Aristote, Politique, IV, 9, 2-6 (1294 a-b), pour qui la constitution idéale est celle de la « démocratie tempérée » qui emprunte ses caractères à la fois à la démocratie et à l’oligarchie; enfin F. Cordano, dans PP, 26, 1971, p. 297, rapproche le fragment attribué à Archytas avec certains passages de Platon (cf. les Lois, IV, 712 d) qui présentent également la conception d’une « constitution mixte ».
145 Aristox., fr. 18 Wehrli (ap. Jambl., De vita Pythag., 248-251); Dicaearch., fr. 34 Wehrli (ap. Porph., Vita Pythag., 56); Pol., II, 39, 1-6; Plut., De gen. Socr., 13 (583 A); Just., XX, 4, 14-16; Jambl., De vita Pythag., 249. Cf. A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 251-258; E. L. Minar, Early Pythagorean Politics, p. 50-86.
146 A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 259-260; E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia, II, Tarente, 1940, p. 443-485; E. L. Minar, Early Pythagorean Politics, p. 86-94; A. Mele, dans Crotone, p. 79-87.
147 Liv., IX, 46, 6; Plin., N.H., XXXIII, 19 (voir supra p. 434, n. 118). Cf. A. Ziolkowski, The Temples of Mid-Republican Rome, p. 21-22.
148 Cf. F. Coarelli et J.-P. Morel, dans Roma medio repubblicana, 1973, p. 57-66.
149 Cf. H. J. Strasburger, Concordia ordinum. Eine Untersuchung zur Politik Ciceros, Inaugural-Dissertation, Borna-Leipzig, 1931 (rééd. Amsterdam, 1956); P. Jal, “Pax civilis – concordia”, dans REL, 1961, p. 200-230; C. Nicolet, L’ordre équestre, 1, p. 633-655; C. Moatti, La Raison de Rome. Naissance de l’esprit critique à la fin de la République, Paris, 1997, p. 252-253; P. Zanzarri, La Concordia romana. Politica e ideologia, Rome, 1997.
150 Cf. T. Hölscher, dans MDAI(R), 85, 1978, p. 349 (= Id., Monumenti statali e pubblico, p. 43).
151 Cf. A. Momigliano, dans CQ, 36, 1942, p. 111-120 (= Id., Secundo Contributo, p. 95-104); J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 318-319; J.-L. Ferrary, dans L. Firpo éd., Storia delle idee politiche, I, p. 767; F.-H. Pairault Massa, Iconologia e politica, p. 177; C. Moatti, La Raison de Rome, p. 27-28; M. Humm, “Appius Claudius Caecus et l’influence du pythagorisme à Rome, fin 4e – début 3e siècles av. J.-C”, dans C. M. Ternes éd., Le pythagorisme en milieu romain, Actes des sixièmes “Rencontres scientifiques de Luxembourg”, Luxembourg (“Études Luxembourgeoises d’Histoire & de Littérature romaines”, vol. 2), 1998, p. 60-61; A. Storchi Marino, Numa e Pitagora, p. 139-142.
152 A. Momigliano, dans CQ, 36, 1942, p. 111 (= Id., Secundo Contributo, p. 95); cf. Liv., IX, 46, 6.
153 Sur la monnaie de Métaponte, cf. G. Thériault, Le culte d’Homonoia, p. 13-15. Pausanias mentionne la présence d’un autel d’Homonoia à Olympie (V, 14, 9), généralement confondu avec un pilier honorifique offert par les Éléens à la suite d’une paix conclue avec les Arcadiens en 363 av. J.-C, et sur lequel est mentionnée Yhomonoia (Inschriften von Olympia, 260) : cf. R. Weil, “Über die Ausgrabungen von Olympia”, dans MDAI(A), 3, 1878, p. 226 (suivi par quasi toute la bibliographie contemporaine sur le culte d’Homonoia); contra : G. Thériault, dans LEC, 64, 1996, p. 136-137; Id., Le culte d’Homonoia, p. 64-65. Sur le décret de Nakônè, voir supra p. 562-564 et n. 75 (à noter qu’une copie du décret sur une stèle en bronze a été déposée dans le vestibule de Zeus Olympien).
154 Liv., IX, 46, 6.
155 Liv., X, 23, 11-12 : Eodem anno, Cn. et Q. Ogulnii, aediles curules, aliquot faeneratoribus diem dixerunt; quorum bonis multatis, ex eo, quod in publicum redactum est, aenea in Capitolio limina, et trium mensarum argentea vasa in celia Ιοvis, Iovemque in culmine cum quadrigis, et, ad ficum Ruminalem, simulacra infantium conditorum urbis sub uberibus lupae posuerunt, semitamque saxo quadrato a Capena porta ad Martis straverunt. Voir supra p. 120-121.
156 Sur la loi Genucia : Liv., VII, 42,1; Tac, Ann., VI, 16, 2. Sur la loi Poetelia : Liv., VIII, 28; Dion. Hal., XVI, 5 (= 18. F Pittia); Cic., De Rep., II, 34; De or, II, 255; Varr., De ling. Lat., VII, 105. Cf. G. Rotondi, Leges publicae populi romani p. 226 et p. 230; H. Zehnacker, “Unciarum fenus (Tacite, Annales, VI, 16)”, dans Mélanges P. Wuilleumier, Paris, 1980, p. 353-362; F. Coarelli, Il Foro Romano, II, p. 102-105.
157 Dans le même sens : A. Storchi Marino, Numa e Pitagora, p. 139-142. B. Levick, “Concordia at Rome”, dans Scripta Nummaria Romana, 1978, p. 220-221, voit dans l’emplacement choisi pour la chapelle de la Concorde, in Graecostasi, une exhortation collective à la concorde internationale. En fait, selon Aristoxène (fr. 17 Wehrli, ap. Porph., De vita Pythag., 22), l’homonoia pythagoricienne pouvait s’appliquer aussi bien aux relations entre citoyens qu’aux relations entre cités : voir supra p. 546, n. 19.
158 En. Tact., Poliorc, XIV, 1 : Τò δὲ πλῆθος τῶν πολιτῶν εἰς ὁμόνοιαν τέως μάλιστα χρὴ προάγειν, ἃλλοις τε ὑπαγόμενον αὐτοὺς καὶ τοὺς χρεωφειλέτας κουφίζοντα τόκων βραχύτητι ἥ ὅλως ἀφαιροῦντα, ἐν δὲ τοῖς λίαν ἐπικινδύνοις καὶ τῶν ὁφειλημάτων τι μέρος, καὶ πάντα ὅταν δέη, ὡς πολύ γε φοβερώτατοι ἕφεδροί εἰσιν οἰ τοιοίδε ἄνθρωποι, τούς τε ἐν ἀπορίᾳ ὅντας τῶν ἀναγκαίων εἰς εὐπορίαν καθιστάναι (« Jusqu’au moment critique, il faut pousser la foule des citoyens le plus possible à la concorde (̠ὁμόνοικ), les y amenant peu à peu par diverses mesures, et surtout en soulageant les débiteurs par la modicité des intérêts ou par leur totale suppression; mais, quand les circonstances sont trop périlleuses, supprimer même une partie des dettes, ou leur totalité s’il le faut, car des hommes ainsi endettés sont de beaucoup les plus dangereux à avoir auprès de soi. Il faut aussi donner des ressources à ceux qui manquent du nécessaire » – trad. d’A.-M. Bon, Paris (C.U.F.), 1967, p. 26). Sur le décret de Nakônè et les prescriptions données par Héraclée du Pont, voir supra p. 562-564.
159 Atil. Calat., Elog., p. 14 Blänsdorf (ap. Cic, Cat. M., 61) : Hunc unum plurumae consentiunt gentes /populi primarium fuisse virum. CLL. I2, 9 (= I.L.L.R.P., p. 310 = I.L.S., 3) : Honc oino ploirume cosentiont R[omai] I duonoro optumo fuise viro / Luciom Scipione (…)/ consol, censor, aidilis hic fuet a[apud vos]… Cf. J. Van Sickle, dans Vir bonus discendi peritus, 1988 (BICS, Suppl. 51), p. 146 : l’elogium est une épigramme qui provient d’un chant funéraire, probablement chanté au moment de la laudatio funebris, et qui évoque « the specifically Roman consensus of Citizens ». La formation d’un consensus politique au sein de la République romaine alla de pair avec l’expansion territoriale et la formation de la nobilitas : E. Gabba, “Il consenso popolare alla politica espansionistica romana fra iii e ii sec. a.C”, dans W. V. Harris éd., The imperialism of mid-republican Rome, Rome (P.M.A.A.R., 29), 1984, p. 115-127; K.-J. Hölkeskamp, “Conquest, Competition and Consensus : Roman Expansion in Italy and the Rise of the Nobilitas”, dans Historia, 42, 1993, p. 27-30; L. Loreto, Un’epoca di buon senso, 1993, p. 165-197.
160 C. Nicolet, Le métier de citoyen, p. 82-83.
161 Voir supra p. 375-395 et p. 433-437.
162 C. Nicolet, Tributum, p. 40-43 et n. 75; Id., Le métier de citoyen, p. 216. Voir supra p. 393-395.
163 Voir la définition de la « justice distributive » contenue dans la Rhétorique à Herennius (III, 3) : Iustitia est aequitas ius uni cuique rei tribuens pro dignitate cuiusque; voir aussi Arist., Eth. Nicom., V, 6 (1131 a 15-1131 b 8); Polit., III, 9, 1-4, 1280 a (voir supra p. 575, n. 118). Cf. J.-L. Ferrary, dans L. Firpo éd., Storia delle idee politiche, I, p. 739.
164 Cic, De Rep., II, 39 : <Servius Tullius> equitum magno numero ex omni populi summa separato, reliquum populum distribuit in quinque classis senioresque a iunioribus divisit eosque ita disparavit ut suffragia non in multitudinis sed in locupletium potestate essent curavitque, quod semper in re publica tenendum est, ne plurimum valeant plurimi. Liv., I, 42, 4-5 : …ita Servium conditorem omnis in civitate discriminis ordinumque quibus inter gradus dignitatis fortunaeque aliquid interlucet posteri fama ferrent. Censum enim instituit, rem saluberrimam tanto futuro imperio, ex quo belli pacisque munia non viritim, ut ante, sed pro habitu pecuniarum fierent; tum classes centuriasque et hunc ordinem ex censu discripsit, velpaci decorum vel bello. Dion. Hal., IV, 9, 7 (voir, supra p. 365, n. 66). Sur tout ceci, voir supra p. 357-372.
165 C. Nicolet, “L’idéologie du système centuriate et l’influence de la philosophie politique grecque”, dans La filosofía greca e il diritto romano (Roma, 14-17 aprile 1973), I, Accademia Nazionale dei Lincei, Rome, 1976, p. 111-137 (= Id., Censeurs et publicains. Économie et fiscalité dans la Rome antique, Paris, 2000, p. 45-69). Cf. Plat., Leg., VI, 744 b-c; VI, 757 b; Gorg., 508 a; Arist, Polit, VI, 4, 4-7 (1318 b).
166 C. Nicolet, dans La filosofia greca e il diritto romano, p. 134.
167 Sur tout ceci, voir supra p. 345-372 (cf. aussi p. 283-308 et p. 308-344).
168 C. Nicolet n’exclut toutefois pas que la justification idéologique de l’« égalité géométrique » contenue dans Platon et dans Aristote puissent remonter à Archytas de Tarente : C. Nicolet, dans La filosofia greca e il diritto romano, p. 125 et n. 27. Voir de même J.-L. Ferrary, dans L. Firpo éd., Storia delle idee politiche, I, p. 739 : « ci pare possibile che una giustificazione del sistema censitario in nome dell’uguaglianza geometrica sia stata conosciuta a Roma relativamente presto, a contatto con le città greche dell’Italia meridionale, prima che autori come Cicerone e Dionigi ne proponessero una rielaborazione caratterizzata dalla loro propria cultura filosofica ».
169 Dion. Hal., IV, 9, 7 : ὡς ἐν ταῖς μεγίσταις καὶ εὐνομωτάταις πόλεσι πυνθάνομαι γινόμενον (voir supra p. 365, n. 66).
170 Archyt., 47 Β 3 Diels-Kranz (= Stob., Flor., XLIII, 135); cf. supra p. 571-572.
171 Liv., I, 43, 9-10 : Haec omnia in dites a pauperibus inclinita onera. Deinde est honos additus. Non enim, ut ab Romulo traditum ceteri servaverant reges, viritim suffragium eadem vi eodemque iure promisce omnibus datum est; sed gradus facti, ut neque exclusus quisquam suffragio videretur et vis omnis penes primores civitatis esset. Dion. Hal., IV, 9, 7 (voir supra p. 365, n. 66). Cf. aussi Dion. Hal., IV, 20-21.
172 A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 98. Voir supra p. 573.
173 Id., ibid.
174 Voir supra p. 339-342; p. 368-371; p. 370, Tableau 2 : “L’égalité géométrique appliquée à la discriptio classium : une proposition de reconstruction".
175 Plutarque, De Iside, 76 : « Les Pythagoriciens appelaient la Triade Δίκη. En effet, comme il y a un excès dans l’injustice qu’on commet et une infériorité dans celle qu’on subit, la Justice se trouve réalisée, entre l’excès et l’infériorité, par l’égalité ». A partir des Theologoumena arithmeticae (Θεολογούμενα ἀριθμητικῆς) du Pseudo-Jamblique, A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 68, en donne l’explication suivante : « Alors que le nombre 4 est inférieur à la somme de ceux qui le précèdent (1+2+3 = 6 : τοῦ ἐλάττονος ἀνισότης), et que le nombre 2 est supérieur à celui qui le précède (τοῦ μείζονος ἀνισότης), la triade est égale à la somme des nombres antérieurs (1+2). Comme elle tient ainsi le milieu entre le nombre plus grand et le nombre plus petit, elle est une image de l’Égalité. Aussi ils l’appelaient μεσάτης et ἀναλογία. – Ici apparaît une notion nouvelle, celle de proportion, intentionnellement ajoutée pour corriger ce que le principe d’égalité aurait eu d’injuste, s’il était appliqué à la lettre ». Enfin, pour Aristote, la Triade est le nombre du Tout (De cael, I, 1, 268 a) : « C’est le nombre trois qui définit le Tout et toutes choses, puisque ce sont les constituants de la Triade : fin, milieu et commencement, qui constituent aussi le Tout ». Pour J.-M. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 105, qui commente ce passage d’Aristote essentiellement à partir de Platon, la Triade est « le modèle de toute structure stable et achevée ».
176 Définition donnée par les Theologoumena arithmeticae du Pseudo-Jamblique et de Nicomaque de Gérase; il s’agit d’une compilation, attribuée à Jamblique, de passages tirés d’un ouvrage de Nicomaque de Gérase (portant le même titre) et d’un ouvrage d’Anatolius, probablement celui qui fut le maître de Jamblique (Sur la décade et les nombres qui y sont contenus) : éd. V. de Falco, 1922, éd. corr. par U. Klein, Stuttgart (Teubner), 1975; traduction italienne par F. Romano, dans Giamblico, Il numero e il divino, Milan, 1995, p. 394-530. Sur le nombre cinq dans cette philosophie des nombres, cf. A. Delatte, Études sur la littérature pythagoricienne, p. 152-155; d’après Proclus, Comm. Rep., XIII, 53, « la Pentade est le symbole sacré de la Justice parce qu’elle est la seule [série de nombres] qui divise en parts égales les nombres un à neuf » ; A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 68-70, donnait de ce passage l’explication suivante : si l’on compare l’Ennéade (9) aux plateaux d’une balance, les quatre premiers nombres correspondent au plateau le plus léger (1+2+3+4), les quatre derniers au plateau le plus lourd (6+7+8+9); au centre, tel le fléau de la Justice, le nombre cinq rétablit l’équilibre en soustrayant aux nombres les plus grands sa propre puissance et en distribuant le reste, en proportion de leur force, aux plus petits nombres : 9 – 5 = 4, attribué à 1 (1 + 4 = 5); 8 – 5 = 3, attribué à 2 (2 + 3 = 5); 7 – 5 = 2, attribué à 3 (3 + 2 = 5); 6 – 5 = 1, attribué à 4 (4 + 1 = 5) : on retrouve ainsi à chaque opération la moyenne 5; ainsi l’Ennéade (9), carré du premier nombre impair (3), contient la Pentade (5), symbole de « justice distributive » et d’« égalité géométrique » (cf. les neuf collegia opificum de Numa, la proportion géométrique de raison 3 qui répartit les charges et les honneurs dans le système timocratique romain et les cinq classes censitaires de l’organisation “servienne"). Enfin, il faut souligner la place particulière occupée par le nombre cinq dans le système symbolique des Pythagoriciens : l’étoile à cinq branches ou Pentagramme, tracée sur le pentagone, était leur signe de reconnaissance; le silence imposé aux novices (échémythie) durait cinq années; la quinte, intervalle dominant de la gamme de Pythagore, est son principe de construction; la démonstration du théorème de Pythagore part du triangle de côtés 3, 4 et 5, dans lequel la puissance de l’hypothénuse 5 équilibre celle des deux autres côtés; enfin le dodécaèdre, formé de douze pentagones, est associé au cosmos dans la doctrine secrète de Pythagore : J.-F. Mattéi, Pythagore et les Pythagoriciens, p. 108-117.
177 Sur l’arithmologie des Pythagoriciens, voir supra p. 567-570 et n. 97-98.
178 Cf. Arist., Eth. Nicom.,V, 5 (1130 b 8-18); V, 6 (1131 a 15 -1131 b 8); Pol., II, 2, 4 (1261 a)
179 Plat., Leg., V, 744 b-c.
180 Plat., Gorg., 491 c-d : ΣΩ. (…) Ἀλλ’, ὠγοθέ, εἰπὼν ἀπαλλάγηθι τίνας ποτὲ λέγεις τοὺς βελτίους τε καὶ κρείττους καὶ εἰς ὅ τι. ΚΑΛ. Ἀλλ’ εἴρηκά γε ἔγωγε τοὺς φρονίμους εἰς τὰ τῆς πόλεων πράγματα καὶ ἀνδρείους. Τούτους γὰρ προσήκει τῶν πόλεων ἄρχειν, καὶ τὸ δίκαιον τοῦτ’ ἐστίν, πλέον ἔχειν τούτους τῶν ἅλλων, τοὺς ἄρχοντας τῶν ἀρχομένων; trad. d’A. Croiset, Paris (C.U.F.), p. 172.
181 Plut., Num., 8, 20; cf. Plin., N.H., XXXIV, 26 : …fortissimo Graiae gentis et alteri sapientissimo…
182 R. Flacelière, éd. de Plutarque, Vies, t. I, Paris (C.U.F.), 19933, p. 173-178, voit dans la présentation du “roi philosophe” que Plutarque fait de Numa une idéalisation des conceptions politiques que Platon expose dans la République et les Lois; de même L. de Blois et J. A. E. Bons, “Platonic philosophy and isocratean virtues in Plutarch’s Numa”, dans Anc. Soc., 23, 1992, p. 159-188 : c’est oublier toutefois que la tradition sur le pythagorisme de Numa est bien antérieure à Plutarque et que Platon lui-même a été en contact avec Archytas et s’est maintes fois laissé aller à “pythagoriser”. Cf. A. Storchi Marino, dans AIIS, 3, 1971-72, p. 6-8. Voir aussi supra p. 547-554; p. 558-564; p. 545, n. 14; p. 569, n. 101; p. 577-583.
183 Floras (I, 6, 3) attribuait la répartition du populus dans les collegia opificum, en même temps que dans les classes et les décuries, au roi Servius Tullius : cf. J.-C. Richard, dans Klio, 60, 1978, p. 423-428, qui montre clairement les rapports étroits qui existent entre la répartition de la population dans les collegia opificum et l’organisation centuriate, mais en conclut qu’il faut attribuer l’ensemble à Servius Tullius et l’explique par la croissance du nombre des artisans et des commerçants établis à Rome au cours du vie siècle (voir de même Id., Les origines de la plèbe, p. 266-270). Mais on peut se demander si cette croissance démographique ne s’est pas en fait produite (ou reproduite?) au cours du ive siècle, ce qui serait encore un nouvel indice sur l’époque à laquelle il faut situer les transformations institutionnelles évoquées par ces traditions. Toutefois, E. Gabba (dans JRS, 74, 1984, p. 82) a probablement raison en soulignant qu’il est pratiquement impossible et méthodologiquement dangereux d’essayer de rapporter les collegia attribués à Numa (ou à Servius Tullius) à des conditions sociales et économiques particulières, puis de les placer à une époque historique précise (voir supra p. 560-561) : on a sans doute une approche plus sûre en se contentant d’attribuer à ce mythe une fonction de nature idéologique.
184 Plut., Num., 20, 11-12. La même idée est exprimée par Cicéron dans un passage du De Republica (II, 27), où il semble s’être inspiré de Polybe, ce qui permet de penser que Plutarque ne s’est pas appuyé sur une source ou sur une tradition très tardive : Sic ille [sc. Numa], cum undequadraginta annos summa in pace concordiaque regnavisset (sequamur enim potissimum Polybium nostrum, quo nemo fuit in exquirendis temporibus diligentior), excessit e vita, duabus praeclarissimis ad diutumitatem rei publicae rebus confirmatis, religione atque dementia; cf. J.-L. Ferrary, dans JRS, 74, 1984, p. 88-92. Enfin, une expression très proche de celle de Plutarque (ἐν φιλίᾳ καὶ ὁμονοία τῇ πρὸς αὑτοὺς μετὰ δικαιοσύνης) se retrouve dans le décret de Nakônè (οἱ συνλαχόντες ἀδελφοὶ αἰρετοι ὁμονοοῦντες <ἀλλάλοις> μετὰ πάσας δικαιότατος καὶ φιλίας) (S.E.G., XXX, 1119; cf. S.Ε.G., XXXII, 914, p. 251), ce qui confirme encore l’impression que les idées contenues dans la biographie de Numa peuvent remonter à l’époque où ont dû se constituer l’image et le mythe du roi pythagoricien.
185 Cf. K. Glaser, s.v. Numa Pompilius, dans R.E., XVII, 1, 1936, col. 1246; A. Storchi Marino, dans AIIS, 3, 1971-72, p. 39-40.
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