Chapitre IX. Pourquoi transformer l’Agro romano ? Projets en jachère pour la campagne romaine
p. 305-337
Texte intégral
1Agro romano est le terme qui traditionnellement désigne la campagne romaine. L’appellation est vague, et a recouvert selon les périodes des réalités différentes, mais montre bien de quoi il ressort : l’espace situé entre la ville et la mer et appartenant aux grandes familles de la noblesse urbaine1. Le terme, dérivé de l’appellation latine ager pubblicus ou ager romanus, a traversé toutes les époques, tant de la Rome républicaine qu’impériale ou médiévale. À l’époque moderne, la zone est confirmée dans son appartenance à la municipalité romaine, de même qu’en 1870. Entre la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle, la question de l’Agro romano oscille du domaine de la lutte contre les inconvénients sanitaires dus à la malaria, à celui d’une éventuelle colonisation agraire d’une part et, d’autre part, de la réutilisation des déchets organiques urbains à des fins de fertilisation agricole. Quant aux zones les plus proches de la ville, elles acquièrent définitivement l’aspect de véritables quartiers suburbains. Que faire, donc, de l’Agro ? La question n’est pas nouvelle, mais elle avait jusqu’ici été éclipsée par de plus gros problèmes, autour de la question de savoir comment oser toucher à l’Agro et à son organisation sociale. Pour la gauche de plus, la création d’un port sur le littoral devait servir à changer l’Agro et la ville.
2Jusque-là en effet, l’Agro n’était considéré que comme une zone malsaine, infestée de moustiques et refuge du « mauvais air ». Il était aussi vu par l’opinion dans la capitale comme un symbole d’arriération sociale, et les conditions de vie des habitants étaient dénoncées avec vigueur par l’aile progressiste. Le Député Agostino Bertani déplorait ainsi, lors d’un discours à la Chambre en 1872, la présence, si près de la ville, de ces paysans « à l’allure jaune et maladive, suants, affaiblis par la malaria, les fièvres et l’oubli social »2. Seuls quelques ingénieurs, toujours minoritaires, avaient eu l’idée d’en faire la zone d’expansion de la capitale vers le littoral et de construction de toutes les infrastructures nécessaires à un nouveau port de mer. Les grands projets des années 1890-1918 doivent être lus dans la continuité des visées de certains ingénieurs progressistes des années 1870 et 1880 de doter la ville d’un port. Dans tous les projets de Rome port de mer, on retrouvait ainsi l’idée d’une transformation profonde des structures sociales, foncières et techniques de l’Agro romano.
Les projets d’assainissement de l’Agro romano à partir de 1870
3Au milieu du xixe siècle, la campagne romaine apparaît comme une étendue désolée, en grande partie abandonnée, et soumise à la malaria3. Les terrains cultivés y sont rares (6 %), et les grandes propriétés restent souvent en jachère4. La zone est sous-peuplée depuis au moins le xvie siècle. Les grands propriétaires nobles ont généralement confié leurs terres à des « marchands de campagne », qui en font un usage des plus extensifs. Bien que divers projets de bonification aient été formulés sous le gouvernement pontifical, rien n’est fait avant 1870 pour contraindre les propriétaires (la noblesse citadine) à faire revenir des paysans et à relancer l’agriculture, après plusieurs siècles d’assoupissement. À l’automne 1870, le gouvernement italien nomme une commission chargée d’étudier les mesures à prendre pour l’Agro5. Cette commission constitue la première du genre pour Rome capitale, plus de deux mois avant celle du Tibre.
4Au milieu des années 1870, les garibaldiens, en liaison avec les projets pour le fleuve, relancent le débat sur l’Agro. L’ingénieur Filopanti publie, avec la bénédiction du général, un opuscule dans lequel il prône la mise en œuvre d’énormes travaux en vue de l’assainissement de la zone. Il est le premier à parler d’une ceinture de 10 km autour de Rome à bonifier6. Mais l’Agro n’est pas le Tibre, et les enjeux fonciers sont trop importants pour que les milieux de la grande propriété catholique acceptent une perte de souveraineté sur cet espace, ou même une perte de compétence pour une mairie que tant bien que mal ils parviennent à contrôler.
5Il faut attendre 1878 pour que la première loi sur l’Agro romano soit votée7. Elle concerne une superficie de 200.000 hectares, et vise à la bonification hydraulique du territoire. L’État, on l’a vu, s’engage à assumer les frais d’aménagement hydraulique, charge restant seulement aux propriétaires, sommés de se réunir en consortium, de payer les frais de raccordement de leurs terrains aux infrastructures nouvelles. La municipalité romaine perd de la sorte une étendue considérable de son territoire pour ce qui concerne la compétence technique. Une seconde loi est votée le 8 juillet 1883. Elle s’applique à un rayon de 10 km depuis les murs de la ville. Les parcours de la législation consacrée à l’Agro ont été abondamment étudiés, notamment par Alberto Caracciolo8. Il ne s’agit pas ici de reprendre ces éléments, mais d’y confronter certains dossiers trouvés dans les archives de la ville, afin de nuancer ce qui a pu se dire, et surtout de poursuivre la réflexion quant aux dimensions spatiale, idéologique et institutionnelle des luttes techniques dans la capitale.
Rome port de mer : entre utopie politique et lubie personnelle
6Les projets de doter Rome d’un véritable port de mer ne datent pas du rattachement au Royaume d’Italie. Même si, dans l’économie d’Ancien Régime et dans l’organisation de l’État du Pape, il allait de soi que Civitavecchia faisait parfaitement l’affaire, avec le développement du chemin de fer, certains ingénieurs pontificaux avaient déjà pensé à créer pour la ville éternelle un port plus proche et plus moderne9. Des ingénieurs privés, adossés à des compagnies étrangères, avaient de même proposé leurs services, dès les années 1850. Ainsi de Luigi Tocco. Mais dans le contexte du repli défensif de l’État pontifical sur ses derniers bastions dans le Latium, il était difficile d’envisager de tels travaux. Tocco propose donc à nouveau ses projets après les événements de 187010. Il profite du climat de réflexion sur l’avenir de la capitale, après l’inondation, pour adapter à l’air du temps une rhétorique déjà ancienne. Dans un moment où Quintino Sella, idéologue de Rome capitale pour la droite historique au pouvoir, renouvelle vaillamment ses diatribes contre toute perspective de voir Rome s’industrialiser et tomber, comme Paris, à la merci d’une Commune ouvrière insurrectionnelle, il n’est pas question, pour l’ingénieur privé, de parler des avantages du port pour le développement industriel. Tocco se place donc sur le terrain de la lutte contre les inondations, assurément plus propice. Mais, on l’a vu pour le Tibre, il n’y a pas de place alors pour les ingénieurs privés de tout soutien politique, sur ce segment hautement concurrentiel du débat hydraulique. Tocco, donc, est rapidement hors-jeu.
7Il en est de même pour Filippo Costa, qui, par rapport à Tocco, avait l’avantage de savoir s’adresser à l’opinion par l’intermédiaire de la presse, et par la publication d’alléchantes brochures. Déjà dans les années 1860, il avait eu une intense activité de publiciste11. Son but était de trouver des capitaux pour construire un port à Ostie, et le relier à la ville par la construction d’une voie de chemin de fer. Son malheur fut de voir son projet accepté par le gouvernement pontifical... en avril 1869, quand le cardinal Berardi, en charge des Travaux publics, lui avait accordé une concession. Le XX Septembre vint, pour lui, trop vite, et mit fin à ses ambitions. Costa est du coup disqualifié d’office quelques mois à peine après l’obtention de sa concession. Il a beau, lui aussi, adapter son projet à la vague de publications qui submerge la ville après l’inondation, il n’a plus aucune chance12. Il est impensable que le Génie civil « piémontais », ou même romain et national, valide une concession pontificale si théorique encore, les travaux, ni même les études préliminaires, n’ayant, bien sûr, pas été lancés.
8L’ingénieur Glori est dans une autre situation : il était ingénieur en chef de la province de Rome sous le gouvernement pontifical, mais dans son administration d’origine ses projets n’avaient jamais trouvé l’écho dont il aurait rêvé13. Il avait un projet d’ensemble pour le développement de Rome, et prévoyait la construction d’un canal reliant la ville à la mer. Intégré dans les services du nouvel État, il pense avoir une nouvelle chance. Il fait partie de ces ingénieurs romains qui s’intègrent bien dans l’administration technique de l’État italien, et, à l’instar de certains de ses collègues s’occupant du Tibre, ses convictions suffisamment patriotiques et modérées en même temps lui donnent l’opportunité de poursuivre sa carrière. Sa nouvelle hiérarchie ne lui laisse cependant jamais l’espace d’expression nécessaire à une réelle promotion de ses projets, et il est contraint à se limiter à la publication de quelques brochures et de déclarations d’intention qui ne parviennent jamais à créer de véritable débat.
9Ce sont les Garibaldiens qui reprennent le thème de la création d’un port pour la ville, afin de contester avec des arguments de poids l’emprise de Sella. Avant même, en fait, que les amis de Garibaldi ne s’emparent du thème du Tibre et de l’assainissement de l’Agro, un patriote plein d’enthousiasme, Fabio Gori, soumet à l’opinion un projet d’ensemble, très œcuménique dans son titre, mais au contenu trop flou pour retenir durablement l’attention. Au cœur de l’irénique projet Gori, la construction d’un port devait apporter prospérité et sérénité à la ville, capitale à la fois de l’Italie nouvelle et du monde catholique14. Il n’avait aucune chance. Le garibaldien Francesco Mora reprend ensuite le flambeau, sur le terrain, cette fois, de l’anticléricalisme le plus militant. Dès 1873, il publie un opuscule dans lequel il prône la construction d’un canal le long du Tibre, et d’un port de mer à proximité de la ville15. Notons que le débat sur l’Agro comme lieu où implanter un port se concentre, à l’époque, dans la presse, et que chaque contribution se fait par la publication d’une brochure. Ni les archives du Génie civil, ni celles de la mairie n’en portent d’autres traces que les accusés de réception des brochures en question, parfois accompagnées de quelques lettres de recommandation. Dans sa plaquette dédiée à Garibaldi, Mora, qui a des vues très précises de l’avenir industriel de Rome, prétend amener par son canal le long du fleuve, des navires en provenance « d’Alexandrie, Odessa, Londres, New-York et Buenos Aires jusqu’à la pyramide de Cestius », aux portes de la ville. Il s’agit de construire un bassin en eaux profondes sous les murs d’Aurélien. Techniquement, bien sûr, ce serait tout à fait faisable, à une époque où les ingénieurs se lancent dans la construction de canaux autrement plus insensés. Mais le problème est qu’à Rome, on ne veut surtout pas d’industrie, et que les mots docks, cargaisons et ouvriers font peur à un gouvernement et à un parlement qui ont choisi de tout faire pour éviter ce péril. La saison garibaldienne de 1875 ne change pas le fond de l’affaire, au contraire. L’ingénieur milanais Tatti a beau adapter à plusieurs reprises un projet datant de 1871, lui donner différents titres, différentes dédicaces, et tenter de fondre dans la glose technique le fonds politique de son projet, rien ne passe16. Aucune commission n’est créée, signe qu’au moins on serait contraint de faire semblant de penser que de tels projets pourraient être intéressants. La sécheresse des archives est le signe, pour les ingénieurs concernés, d’un échec cuisant. On retrouve leurs brochures dédicacées au fond de cartons encore moins classés que les autres, à la mairie ou dans les papiers du Génie civil. Parfois le maire demande à son secrétaire général de faire une lettre de remerciements pour la brillante contribution au débat sur l’avenir de la ville. Souvent les brochures sont restées vierges de toute lecture.
10À partir de 1876, et l’arrivée de la gauche au pouvoir, les projets d’industrialisation portuaire ne sont même plus porteurs de ce rien de provocation qui leur donnait plus de force. Ils ne font qu’embarrasser un gouvernement qui a choisi de ne pas affronter les propriétaires et le Vatican. Comme au sujet du Tibre, les projets de révolution technique dans l’Agro sont poliment écartés. Dans cette masse, se distingue cependant un projet qui, s’il était advenu à un moment plus propice de l’évolution politique de la capitale aurait pu rencontrer un certain succès. Dans un plan de grande ampleur, l’ingénieur Ignazio Villa a en effet l’idée d’unir la dynamique garibaldienne de modernisation de la capitale et de ses infrastructures avec la valorisation des intérêts fonciers du prince Torlonia17. Il venait, évidemment, une quinzaine d’années trop tôt, au moins, et le seul résultat de l’emploi d’une rhétorique de concorde civile par le profit financier fut de ne plaire à aucun des deux camps. Ni le gouvernement, ni la mairie, ni le prince, ne sont prêts à ce moment à se lancer sur le terrain de la conciliation foncière et industrielle.
11Après 1875, le contexte d’élaboration des projets pour l’Agro et le port n’est plus le même. Les voix de l’idéalisme politique et de l’anticléricalisme maçonnique du combat garibaldien s’estompent. Le sujet devient une marotte pour ingénieurs obstinés, qui, isolés et incapables de rassembler fonds et soutiens politiques, continuent de croire à une idée dont l’époque n’a pas voulu. Ainsi de Giovanni Moro qui, des années 1860 à 1895, publie régulièrement de nouvelles esquisses d’un port industriel à Ostie18. Francesco Oberholtzer appartient un peu à la même catégorie, lui qui prêche pendant plusieurs décennies la nécessité de véritables infrastructures portuaires pour la capitale19. À l’aube des années 1890, la gauche a ainsi abandonné depuis longtemps une thématique qu’elle n’avait effleurée au début des années 1870 que pour mettre dans l’embarras la droite historique et ses hérauts de la non-industrialisation.
12Quelques grands ingénieurs se sont aussi essayés à ce qui devient peu à peu une sorte d’exercice de style, que l’on présente dans les colloques. Carlo Gabussi, par exemple, s’attache à reprendre le flambeau à l’occasion du Congrès des Ingénieurs Italiens de Florence, en 1885. Les connotations politiques sont affadies par rapport à la décennie précédente. On est loin aussi des lubies brochées d’ingénieurs têtus et persévérants20. Le domaine est celui de la sociabilité professionnelle. Certes l’ingénieur aimerait-il certainement voir son projet attirer l’enthousiasme ministériel, mais une présentation prestigieuse dans le cadre florentin lui paraît déjà sans doute une belle satisfaction. Le but n’est pas de construire ce port-là, mais de se placer en haut de la hiérarchie nationale des ingénieurs. La proposition serait de construire, à 26 km des murs de la ville éternelle, un avant-port sur le littoral, doublé d’un vaste port fluvial de 50 hectares à l’entrée de la ville. Les deux infrastructures seraient reliées par un large canal. Gabussi, dans son discours, parle de Suez, Panama et Corinthe, autant de chefs d’œuvre de la technique dont il exalte les qualités, et compare la Rome qui naîtrait de cette réalisation aux villes de Londres, Liverpool et Glasgow. Un rêve d’ingénieur, un discours de prestige. Une Italie industrielle sans ouvriers, Grande-Bretagne de la Méditerranée, restée au stade de brillante esquisse, dissertation académique dont le seul objet est de conforter la place de son auteur dans la société de ses pairs. Gabussi ne nourrit aucune illusion sur l’avis du gouvernement. Il ne présente même pas son projet aux instances compétentes, se contentant d’une belle prestation devant ses collègues. L’homme n’est pour autant pas dépourvu d’idées politiques : « Faisons de Rome la Londres de la Méditerranée. [...] Transformons cette ville de prêtres et de fonctionnaires en un grand centre de civilisation, un emporium de commerce, d’industrie et de science, de richesse et de splendeur, la digne capitale des Peuples Latins ». Par certains aspects, il préfigure la génération suivante des défenseurs de Roma porto di mare : celle des nationalistes et impérialistes méditerranéens. Il en a déjà la verve, mêlée aux classiques tirades du garibaldisme ampoulé. Raffaele Canevari, le consensuel et prestigieux rédacteur du projet du Tibre de 1871, s’essaie également, en 1889, à l’exercice portuaire21.
13Au cours des années 1890, quelques compagnies financières étrangères tentent de convaincre leurs interlocuteurs romains de l’utilité d’investir dans l’Agro pour la construction d’un grand port et la création d’une zone industrielle, mais en plein conflit entre l’État, la mairie et les propriétaires sur le sort de l’Agro lui-même, les projets ne sont que les instruments de manœuvres plus vastes.
14Le comte Cozza reprend ainsi au début des années 1890 les grandes lignes du projet Oberholtzer, et parvient à obtenir le soutien de ce qu’Alberto Caracciolo appelle « le parti libéral et la démocratie avancée »22. En 1895 Cozza vend son projet aux financiers belge André et anglais Margovski, mais ceux-ci ne parviennent à aucun moment à peser face aux réticences du gouvernement. L’idée a pourtant le soutien de plusieurs conseillers municipaux, et peut-être de certains propriétaires. Le maire Ruspoli laisse voter, en mai 1896, par le Conseil municipal, une motion de soutien23. Le gouvernement Rudinì ne donne aucune suite.
15Les promoteurs de l’initiative parviennent malgré tout à susciter un débat à la Chambre24. C’est le député Agulia qui monte au créneau. Le ministre des Travaux publics, Perazzi, n’a cependant pas grand mal à écarter l’idée, évoquant avec brio à la fois le peu de crédit des promoteurs de l’opération, et l’excuse d’un danger pour la sécurité militaire de la capitale. Pour le gouvernement, en réalité, le fait qu’un projet de construction portuaire ait été promu par des milieux financiers douteux permet opportunément d’écarter une idée par ailleurs très chère au camp progressiste.
16Au début du xxe siècle, le débat est relancé. Ce sont les conservateurs, puis les nationalistes, qui s’emparent de l’idée, et particulièrement un homme, Paolo Orlando, qui en fait le combat de sa vie. D’un port devant servir à l’industrialisation de la capitale, et donc à son rééquilibrage social aux dépens des forces qui ont conduit sa destinée pendant des siècles, on passe à l’idée d’une infrastructure au service du rêve impérial et colonial. Rome, au centre de la Méditerranée, ne peut pas ne pas être dotée d’un port si elle entend en conduire les destinées. L’ingénieur est fils du sénateur Luigi Orlando, proche de Crispi. Dans la seconde moitié du xixe siècle, la famille, d’origine sicilienne, s’est établie à Gênes, puis à Livourne. Elle y a fondé de prospères chantiers navals. La première brochure d’Orlando qui parvienne aux services municipaux est datée de 190425. L’ingénieur y emploie encore un ton proche de celui de ses nombreux collègues qui se sont essayés à l’exercice. L’industrie est encore le bénéfice premier à attendre de la construction d’un port, mais on pressent déjà les inflexions rhétoriques de la passion impériale. Par ailleurs bien implanté au Conseil municipal, il parvient à obtenir l’appui d’une part importante des propriétaires fonciers de l’Agro. Une génération après les épisodes de lutte entre nationaux et capitolins, la conciliation se fait aisément, au début du xxe siècle, entre techniciens rêvant d’un avenir maritime pour la nation et nobles romains. Orlando suscite en 1904 la création du comité Pro Roma marittima, dans lequel, comme le souligne A. Caracciolo, on retrouve de nombreux intérêts catholiques et conservateurs, de la Société des Omnibus aux moulins Pantanella26 ou à la société angloromaine du gaz27 : « les milieux économiques les plus liés à la finance vaticane [...] des représentants de l’extrême droite libérale et nationaliste, ainsi que des forces catholiques ».
17D’une certaine manière, dans l’histoire politique de la mairie de Rome, on peut ainsi lire les premières entreprises d’Orlando, qui n’ont guère d’écho pourtant dans les archives des services techniques, comme un rapprochement entre nationalistes et catholiques. Sur le terrain de la valorisation de la propriété foncière se joue une première convergence d’intérêts entre ceux qui entendent donner à la capitale un rayonnement nouveau et ceux qui entendent à tout prix échapper aux desseins pour leurs propriétés des tenants du camp progressiste, qui n’ont pas renoncé tout à fait à faire pression sur le gouvernement de Giolitti.
18Orlando, pourtant, ne mise pas tout sur la mairie. Il essaie de s’y assurer des sympathies, mais ne s’adresse pas à ses services pour mener à bien ses projets. C’est au gouvernement que l’ingénieur s’adresse. Il tente de convaincre les fonctionnaires du Génie civil. En 1906, le corps d’État charge Gaetano Bruno d’un rapport sur la faisabilité du projet de création d’un port. Directeur de l’école d’ingénieurs de Naples, Bruno s’attelle à la tâche sans pour autant être jamais tout à fait intégré à la politique générale du ministère et du Génie. Lorsqu’il rend son rapport en 1908, le thème n’est déjà plus d’actualité au sein du gouvernement Giolitti, tellement il paraît clair que le Président du Conseil lui-même y est fortement opposé.
19C’est du côté municipal qu’est récupéré le projet. Le Bloc Populaire, qui porte Nathan à la mairie en 1907, reprend en effet le thème de l’industrialisation de la capitale, et le place au cœur de la campagne électorale28. Le maire charge le directeur des services techniques municipaux, Moretti, de présider une commission sur la question. Orlando, conseiller municipal de l’opposition au Bloc populaire, est dans une position difficile : l’occasion est en effet rêvée pour la gauche municipale d’écarter encore ses projets, alors que lui, pour des raisons politiques évidentes, doit se tenir en retrait. Le travail de la commission se limite en fait à déterminer la largeur de terrain à exproprier de chaque côté de « l’autoroute de la mer » (Autostrada del Mare), qui reste le seul projet pris en considération. Moretti recommande 400 m de chaque côté, soit 880 m de largeur expropriée en tout. Les services municipaux sont généreux avec les propriétaires, essentiellement les princes capitolins Aldobrandini, Colonna et Chigi29, et s’occupent peu de la vraie question qui leur était posée. En 1908, une loi vient confirmer la décision prise par la mairie30. Orlando, à la chute du Bloc populaire, obtient un poste d’adjoint dans la nouvelle administration Colonna. Insolera et Di Majo soulignent qu’il tente aussi de convaincre la Società Generale Immobiliare d’acheter des terrains à Ostie31. Mais peut-être, puisque le destin de cette localité comme banlieue est assuré, est-on déjà dans une simple spéculation foncière, sans grand rapport avec les projets portuaires.
20Par ailleurs, l’ingénieur du Génie civil Davide Bocci, qui avait publié divers projets depuis les années 1880, propose de nouveau en 1907 son idée de redonner vie à l’antique port de Trajan, en le reliant à la ville par un canal32. Mais la gauche romaine, finalement, se désintéresse assez vite de ce sujet. Elle rêve pour Rome d’un quartier industriel, à Testaccio, mais plus d’un port. À l’approche des cérémonies pour la célébration du cinquantenaire du royaume, en 1911, Orlando modifie sensiblement son argumentation, autour des valeurs du rayonnement de la civilisation et de la nation33. L’industrie demeure cependant toujours en bonne place parmi les bienfaits attendus, et les alliances politiques précédemment nouées sont confirmées.
21C’est la Première Guerre mondiale qui permet à l’ingénieur de relancer ses projets, tout en les infléchissant sensiblement, jusqu’à leur donner une tonalité tout à fait différente. En 1916, la mairie institue une commission pour le développement industriel de Rome. Le port est une des infrastructures dont la construction est envisagée. Le gouvernement crée sa propre commission en 191834. Pendant la guerre en effet, le ministère des Travaux publics envisage un temps la création d’un port à Rome. L’Ente autonomo per lo sviluppo marittimo e industriale di Roma (SMIR) n’est créé, pourtant, qu’en 1919. Orlando est appelé à présider la nouvelle institution. Après la guerre, désormais toujours plus ouvertement nationaliste, il met son Ente au service de sa cause. Il publie de nombreuses brochures dans lesquelles l’horizon méditerranéen et impérial a définitivement remplacé celui de l’industrialisation. L’Empire romain, peu à peu, prend une place de choix dans l’argumentation35. Orlando, qui devient en 1934 sénateur fasciste, continue, tout au long des années 1920 et 1930, de prôner la construction d’un grand port au service de l’ambition impériale36. Mais on est revenu dans l’exercice de style et la rhétorique, car rien ne se fait, d’autant plus, que dès le début de la période fasciste, Orlando s’aliène la sympathie des grands propriétaires nobles de l’Agro, en proposant qu’ils contribuent au financement des travaux. À aucun moment la construction du port n’est réellement envisagée, et Rome, pour sa liaison avec les horizons maritimes, doit se contenter du chemin de fer d’Ostie, dont le sort est de devenir très vite une sorte de banal train de banlieue37. Le SMIR d’Orlando, de 1919 à 1923, se limite en fait à orienter et promouvoir le développement immobilier d’Ostie38. Face à l’hostilité municipale, le gouvernement fasciste consent, dès 1923, à supprimer l’Ente39. Il paraît évident qu’Orlando qui s’était aliéné l’appui des propriétaires de l’Agro, et n’avait pas au gouvernement des sympathies aussi fortes qu’il le prétendait, s’est retrouvé à la fois isolé et discrédité. Son ente ne survit pas à la volonté du gouvernement de supprimer toutes les institutions portuaires autonomes40. La suppression du SMIR est aussi un des premiers signes de bienveillance du gouvernement Mussolini envers le Capitole, avant une prise de contrôle directe, précédent la prise en compte de la nécessité de trouver une conciliation sur d’autres bases.
22De 1870 à 1920, les projets de grands chantiers de travaux publics dans l’Agro sont donc tous restés à l’état d’esquisse. Selon les périodes, on a placé la zone au centre des débats, ou bien l’en a écarté, mais à aucun moment le destin de Rome comme capitale à l’abri de la pression ouvrière n’a été durablement contesté. À partir du milieu des années 1930, l’idée de doter la ville d’un port est définitivement abandonnée. C’est alors autour de l’Exposition universelle de 1942 que se concentrent les débats sur la grandeur et le rayonnement de la ville41. D’une certaine manière, le projet EUR 42, à partir du milieu des années 1930, remplace celui visant à la construction d’infrastructures portuaires. Et là encore, les propriétaires catholiques de l’Agro ne sont pas lésés : l’EUR sera pour eux l’occasion d’une valorisation inespérée de terrains situés à bonne distance des murs de la ville, sur la route des marais Pontins. On ne parle plus d’industrie, ni de port, et le faste de l’urbanisme fasciste s’accompagne d’une opportune sauvegarde des intérêts fonciers. 400 hectares au moins sont concernés. Parmi les premiers bénéficiaires du renchérissement du prix des terrains de l’ancienne localité des Tre Fontane, on trouve un couvent des frères trappistes42. Pie IX leur avait donné l’abbaye des Tre Fontane en 1868 pour qu’ils tentent des expériences de bonification dans cette zone mortifère connue comme la « tomba di Roma »43. Ils y avaient acclimaté l’eucalyptus. Après la loi de 1873 sur les biens de l’Église, le couvent s’était officiellement transformé en une Società agricola, en fait toujours contrôlée par les trappistes.
23En lieu et place des anciennes carrières de tuf, des maigres forêts d’eucalyptus, et de pauvres baraques, devra surgir l’apothéose du rayonnement fasciste sur la Méditerranée et le monde. Non plus des navires, mais le manifeste architectural d’un peuple de navigateurs. Le mot d’ordre d’expansion de la ville vers le littoral demeure à l’ordre du jour, et le quartier de l’Exposition est sur la route, mais les populations expulsées des baraquements de ce qui devient l’Eur sont relogées, sur ordre de Mussolini au gouverneur capitolin Piero Colonna... « avec pour modèle ce qu’avait fait à porta Metronia et à la Ferratella le maire Ernesto Nathan pour reloger les expulsés des baraques du quartier de l’exposition de 1911 »44. Quant au sénateur Orlando, il ne parvient pas à convaincre son duce de la nécessité d’organiser l’Expo sur le lido d’Ostie.
Déchets urbains et essais d’épandage agraire
24L’idée de faire de la capitale un port de mer a donc à la fois échoué, et nourri un processus d’intégration de la propriété foncière catholique dans les logiques de l’État italien, jusqu’au fascisme. Au tournant des xixe et xxe siècles, l’Agro romano avait été le théâtre d’un autre type de débat. Toujours lié à la ville, il concerne la possible utilisation des déchets organiques romains pour fertiliser les terrains de la campagne.
25Tout au long de l’histoire de Rome Capitale, les projets d’utilisation des eaux usées de la ville afin de fertiliser l’Agro furent nombreux. Pour des raisons évidentes de disponibilité de ces eaux, il faut attendre la fin du chantier de construction des collecteurs, et le laborieux raccordement des égouts municipaux pour que des projets soient déposés. C’est donc à partir de 1910, environ, que les diverses idées commencent à être prises au sérieux. Les archives de la division hydraulique du bureau technique municipal présentent un très beau dossier sur la question, qui permet de porter sur les débats un regard d’ensemble. Toujours non-classé, c’est en fait celui dont le responsable de la division hydraulique, dans les années 1920, avait demandé la constitution, quand de nouveau la question a été à l’ordre du jour. On peut y lire dans le détail la teneur des rapports entre institutions techniques entre 1912 et 1925, ainsi qu’y mettre à jour les principaux enjeux du contrôle technique sur le territoire urbain. C’est en suivant le sort du projet Perotti que l’on se rend compte le mieux de comment, quarante ans après la décision de canalisation du cours du Tibre, le rapport de l’institution municipale au territoire urbain a évolué. La première impression est que, pour le service technique municipal, la mise en œuvre d’un tel projet dans l’Agro serait l’occasion de remettre pied dans un domaine d’où il avait été progressivement évincé par le Génie civil. Pour la mairie, qui avait perdu le contrôle du Tibre, puis des collecteurs, puis, dans une large mesure, de l’Agro, c’est la première fois qu’une intervention technique de grande ampleur est envisagée dans la campagne romaine. Il faut dire que les rapports entre l’État et la mairie ont changé. La lutte idéologique héritée du Risorgimento a laissé place à des rivalités entre institutions s’apparentant plus à la banale opposition entre pouvoir central et instances locales dans la ville capitale. Le souvenir demeure certes des césures passées, qui peuvent nourrir encore au besoin des accents rhétoriques, mais l’essentiel est ailleurs, autour de l’entrée de la noblesse municipale dans un rapport de négociation avec le gouvernement. Les conflits des années 1910 sont donc d’une autre nature. On y retrouve pressions politiques, enjeux techniques ou fonciers et rivalités de corps, mais dans des configurations nouvelles. C’est en 1912 que Perotti rédige un projet de fertilisation agricole de la campagne romaine par usage des eaux des collecteurs45.
L’adoption de systèmes de dépuration et d’utilisation des eaux des égouts citadins est une mesure qui s’impose dans chaque centre civilisé. Des motifs d’intérêt hygiénique et économique suprême, dans de nombreuses villes d’Angleterre, d’Allemagne et de France, conseillent de rendre inoffensives les eaux usées avant de les introduire dans les cours d’eau superficiels, et de promouvoir cet engagement culturel, répondant aux lois fondamentales qui régulent la circulation des matières et de la vie. [...] Il est intolérable que le tronçon urbain du Tibre, dévolu au trafic fluvial et à la baignade, soit traversé par les matières cloacales déversées par les quartiers hauts de la ville dans le dernier tronçon de l’Aniene. [...] Il est inadmissible qu’avec le développement du quartier industriel le long de la route d’Ostie, on puisse continuer à convoyer dans le Tibre l’énorme masse cloacale d’une population en augmentation constante.
26Perotti insiste également sur la valeur gâchée des matières perdues. Il envisage d’utiliser les eaux des collecteurs, mais déplore que ceux-ci, à cause du niveau très bas de la cloaca massima (3,42 m sur le niveau de la mer) se jettent dans le Tibre à l’altitude d’un mètre seulement, ce qui en rend l’usage difficile. Il souhaiterait aussi que les quartiers hauts de la ville, qui n’ont pas encore de collecteur, soient drainés directement vers des terrains à l’extérieur de la ville. Il soumet ce projet au Génie civil, et plus précisément à la Commissione di vigilanza per il bonificamento dell’Agro romano. Dans cette première phase, le projet Perotti est modeste. L’homme dirige la Station de pathologie végétale et enseigne la bactériologie agraire à l’université de Rome. Il demande la concession d’une part minime du contenu des collecteurs, afin de mener une expérimentation agraire.
27Le but est de créer un « Institut de biologie appliquée à l’agriculture, à l’industrie et à l’utilisation des eaux d’égouts »46. Pour faire connaître son projet, il publie deux opuscules : Può avere la città di Roma i campi d’irrigazione con le acque di fogna ? et Per una generale politica di utilizzazione agricola delle acque di fogna.
28La commission de vigilance, dominée par les fonctionnaires du Génie civil, rejette très vite l’idée. C’est le ministre Nitti qui annonce lui-même la nouvelle, le 31 octobre 191247. Les arguments sont nombreux, et sévères : inutilité de l’ensemble, existence d’autres expériences, problème d’altitude au-dessus du niveau de la mer, questions d’hygiène. Perotti rédige alors une réponse48. L’idée, certes, n’est pas nouvelle : « Des maraîchers de banlieue ont de la sorte arrosé quelques choux et des fèves ». Il conteste l’impartialité de la commission, l’accusant de promouvoir sans raison une autre solution. Il obtient un réexamen. Mais le très ministériel Comitato dell’Agro rejette également le projet, le 28 juillet 191349, avec des arguments du même ordre. Le ton, de nouveau, est sévère à l’encontre du promoteur de cette idée, dont on conteste aussi la réplique trop « polémique ». On en vient même à attaquer le fond de son travail : « Ses recherches de bactériologie agraire, effectuées jusqu’à présent avec des moyens fournis pas le ministère au Laboratoire de pathologie végétale, n’ont pas débouché sur des résultats significatifs [....] et sa connaissance du système des égouts de Rome et du fonctionnement des collecteurs est faible ». Le comité recommande plutôt, comme le souhaite le Génie civil, la construction de deux petits collecteurs supplémentaires.
29Perotti se tourne alors vers l’administration communale. Sa carrière change aussi de direction, puisqu’il quitte le ministère et devient inspecteur municipal d’Hygiène, membre du VIe bureau de l’administration capitoline. Il garde sa chaire à l’Université. Il présente son projet en décembre 1913 à sa nouvelle hiérarchie50. Dans une note au commissaire Fausto Aphel, il souligne alors que ces travaux n’impliqueraient aucune dépense pour la commune. Celle-ci « n’aurait qu’à obtenir les concessions gouvernementales nécessaires aux meilleures conditions, et à transférer ensuite ses droits au meilleur offrant des sous-concessionnaires »51. Il ajoute qu’il serait heureux d’offrir au représentant spécial du gouvernement auprès du Capitole, « durant la période de sa gestion extraordinaire des affaires de la mairie de Rome, l’occasion de lier son nom à un chantier qui, comme celui de Milan, défiera les siècles »52.
30Dès le lendemain, Aphel transmet le projet de l’inspecteur municipal d’Hygiène à Mario Moretti, directeur du bureau technique municipal. Il lui demande d’en parler avec l’auteur, et que les deux hommes viennent lui faire un rapport dans son bureau le lundi suivant53. Après cette entrevue, le commissaire nomme une commission municipale pour l’examen du projet Perotti. On sent dans cette décision la pression des services de la mairie, qui s’est exercée sur le commissaire gouvernemental afin d’affirmer, par la création d’une commission, les droits territoriaux de la municipalité sur le devenir technique de la campagne romaine.
31La commission, composée des ingénieurs municipaux Gualdi (directeur du bureau municipal d’Hygiène), Giardi (directeur du bureau hydraulique municipal et successeur de Vescovali), Moretti (directeur du bureau technique municipal, successeur de Viviani), Azzali (agronome municipal) et Luini, ainsi que de l’avocat Pacelli (directeur du service juridique municipal), rend son rapport le 23 mai 191454. La composition même de la commission est le signe de la motivation des services techniques de la ville : alors que lorsqu’il s’est agit de discuter d’un projet soit marginal soit gouvernemental, personne n’a jamais voulu participer aux diverses commissions, et qu’à chaque fois des subalternes ont été envoyés, on a dans celle de 1914 tout le sommet de la hiérarchie technique municipale. La réunion tenue dans le bureau d’Aphel a visiblement été bien préparée par Moretti et Perotti. Des responsables du bureau de l’Agro à ceux du bureau technique et de sa division hydraulique, tous les ingénieurs municipaux les plus haut placés dans l’organigramme capitolin y sont. La commission commence immédiatement ses travaux. Au mois de février, elle demande au commissaire de lui procurer l’avis émis par la Commissione dell’Agro romano. Aphel l’obtient pour Moretti, auprès du ministre de l’Agriculture et de l’Industrie55. Mais l’envoi ministériel du rapport de sa propre commission, et des avis défavorables des 31 octobre 1912 et 30 juillet 1913, s’accompagne d’un avertissement très clair au sujet des compétences municipales dans l’Agro : « Il est de mon devoir de vous informer du fait que les avis concernant la bonification de l’Agro romano n’ont, en aucun cas, à être examinés ou discutés dans le cadre d’autres institutions. Cette responsabilité est du seul ressort du Ministère de l’Agriculture ». On a déjà visiblement compris au gouvernement, et au Génie, que la mairie, ayant débauché Perotti, entend se servir de la promotion de son projet pour contester la désormais bien assise tutelle étatique sur les environs de la ville.
32Le rapport de la commission municipale, quelques semaines plus tard, est très favorable au projet. Partant du constat de la pollution croissante des eaux du Tibre par les rejets des collecteurs, inconvénient subit aussi désormais par la spiaggia marina, la commission demande tout d’abord de nouvelles études « municipales » sur les conséquences des rejets des « collecteurs gouvernementaux ». C’est par le biais d’une rivalité entre État et mairie que l’argument de la lutte contre la pollution fait son entrée dans le débat urbain romain. Les services municipaux estiment qu’environ 3 % du débit du fleuve dans sa partie basse est constitué d’eau d’égouts. Le collecteur droit déverserait à la Magliana les égouts de 121.000 habitants, et celui de gauche, à Mezzocamino, ceux de 375.000 habitants. Les collecteurs gouvernementaux sont clairement désignés, dans le rapport, comme responsables de la pollution du fleuve et du littoral. Le constat est donc fait de « l’absolue nécessité, dans un avenir proche, de s’occuper de l’épuration des eaux d’égouts avant leur rejet dans le fleuve ». Or seuls les pays nordiques, dans lesquels l’irrigation n’était pas une solution, ont mis en œuvre l’épuration à large échelle, souligne la commission. L’exemple de Berlin-Wilmersdorf, où en 1905 a été construite une station d’épuration, sert à disqualifier cette option ; avec une consommation de seulement 108 litres par jour et par habitant (contre 405 à Rome), et moins de 200.000 habitants (600.000 à Rome), la construction des stations d’épuration a coûté plus de 8 millions de lires. Une telle solution n’est donc pas applicable à la capitale, à cause du tout-à-l’égout (tutto alla fogna), qui multiplie trop les quantités à traiter. Il est intéressant de noter que c’est l’auteur du projet lui-même qui souffle l’argument à la Commission, en lui transmettant un rapport sur le sujet56. « La commission considère donc qu’il est avantageux pour Rome que soit construite une entreprise d’épuration des eaux d’égouts par le biais de l’irrigation ». Elle rejette tout risque de malaria.
33Le développement de la traction mécanique rendant de plus en plus rare l’engrais animal, la solution aura pour intérêt de fournir de nouveaux fertilisants. La surface nécessaire à Perotti est estimée à 8 000 hectares. Mais le problème principal que se posent les ingénieurs municipaux, qui ont à cœur visiblement de promouvoir le projet de leur collègue, concerne « la propriété des eaux d’égouts ».
Et sur ce point, la commission est d’un avis unanime : les eaux d’égouts sont indubitablement de propriété municipale, jusqu’à leur entrée dans les collecteurs, construits par l’État. Mais même en passant dans ces collecteurs, elles ne perdent pas leur qualité d’appartenance à la Commune, puisque les collecteurs sont une réalisation construite par l’État dans l’intérêt de la Commune. L’État, de plus, n’a aucune raison de s’opposer à leur soustraction aux eaux du fleuve, car elles n’en représentent qu’une petite fraction, et leur absence ne peut causer aucun tort à la navigation. L’État a au contraire intérêt, comme la Commune, à ce que les eaux impures des égouts ne soient pas déversées dans le Tibre, dont elles provoquent la pollution. La commission est donc d’avis que quiconque construira les installations décrites par le Professeur Perotti, ne devra demander au gouvernement de concession que pour les seules eaux du fleuve devant servir à diluer celles des égouts, et qu’il suffira, pour l’usage des eaux d’égouts, de demander au gouvernement une simple autorisation, et à la mairie une concession.
34La commission se prononce en faveur de la déclaration d’utilité publique, ainsi que de la participation financière de la mairie. Déjà lors de la première réunion de la commission, le 15 janvier 1914, l’unanimité s’était faite autour du projet Perotti57. Pacelli avait soulevé la question du caractère domanial (demanialità) des eaux usées, et c’est Giardi qui avait eu l’idée d’argumenter sur l’usage municipal des collecteurs, « que peut-être l’État voudra bien un de ces jours nous confier ». De toute façon, tout au long de la procédure, tout le monde est conscient « qu’il faudra batailler ferme contre les représentants de l’État ». On pense un moment augmenter la composition de la commission par la participation de représentants du ministère, afin de les contraindre à discuter de la question et les piéger par un vote dans lequel ils seraient minoritaires (vieille tactique du Génie civil contre la mairie), mais on y renonce, le commissaire Aphel, représentant direct du gouvernement, n’étant aucunement disposé à autoriser une telle manœuvre. La discussion du projet Perotti par les instances municipales a également une fonction de cohésion interne des services dans un moment d’imposition d’une tutelle extérieure en la personne du commissaire. La lecture des procès-verbaux des réunions de la commission nous apprend aussi que Perotti assistait à tous les débats sur son propre projet, et suggérait à la commission les objections à apporter aux objections ministérielles. On est bien en présence d’une offensive municipale contre l’emprise technique de l’État sur le territoire municipal. De plus, dans cette offensive, concertée entre les différents services techniques de la mairie, la hiérarchie politique est singulièrement absente. On en vient encore à se demander si le but de la manœuvre n’est pas, pour la machine administrative municipale, liée à la tendance politique conservatrice qui domine habituellement au Capitole, de mettre en porte-à-faux le commissaire Aphel, imposé par le gouvernement.
35En juillet 1914, l’administration municipale en finit avec la tutelle directe du gouvernement qui avait marqué les suites de la défaite de Nathan. Prospero Colonna redevient maire, et Giolitti revient à une position plus modérée dans son rapport avec l’élite citadine. Décembre 1913-Juillet 1914, la chronologie de l’examen municipal du projet Perotti est exactement celle de la présence du commissaire gouvernemental, dans la période d’incertitude qui suit la chute de la Giunta progressiste d’Ernesto Nathan. Cette période est mise à profit par la machine administrative et politique conservatrice pour rétablir ses positions. Les services techniques municipaux concèdent, en quelque sorte, l’asile politique à un fonctionnaire gouvernemental chargé de l’Agro romano, et utilisent ses projets dans le but principal de contester l’emprise croissante de l’État sur la capitale. Il s’agit avant tout, au sein des services techniques du Capitole, d’effacer l’influence des fonctionnaires du Génie qui avaient été appelés par Nathan pour contourner les réticences de sa propre administration technique à appliquer ses projets pour la ville.
36Le but, pour les ingénieurs de la mairie, est assurément aussi de rendre inutile un projet de nouveau collecteur que le Génie civil est en train de promouvoir, cette fois-ci en dehors du lit du fleuve, entre la Maranella, l’Aniene et la via Flaminia. Ce chantier constituerait une nouvelle avancée territoriale des services techniques de l’État sur le territoire municipal, et pour les ingénieurs municipaux, le seul moyen de la contester est de promouvoir une solution radicalement différente, qui rendrait caduque toute volonté de construire de nouveaux équipements. L’épandage dans l’Agro, donc, comme diversion. En cas de succès, le bénéfice serait d’ailleurs double : ne rien perdre de la souveraineté technique sur le territoire urbain, et regagner une compétence depuis longtemps perdue sur la campagne.
37Avant la fin de son mandat au Capitole, Aphel transmet les délibérations de la commission municipale au ministère de l’Agriculture58, qui y répond au mois de mars 191559. Mais le contexte politique est différent, et à la mairie, on se semble plus y tenir autant que quelques mois auparavant. La réponse ministérielle, d’ailleurs, tient profondément compte du changement dans la gestion des affaires municipales. Le ton est apaisé, et tout, dans les formulations employées, vise à ce que tout le monde soit d’accord pour enterrer le projet tout en le couvrant de louanges. On ne s’attache ainsi qu’aux incertitudes de rentabilité, évitant tout argument ayant trait aux zones de compétence technique et aux attributions des institutions. Après avoir loué l’intérêt de la mairie pour l’avenir de la ville, on propose « dans l’état où en sont les choses, de ne rien décider ». La municipalité peut seulement, si elle le souhaite, demander un avis à la Préfecture. Mais la guerre apporte d’autres impératifs.
38Alors que, depuis 1915, rien ne semblait s’être passé dans ce domaine, en 1918, une nouvelle proposition Perotti est soumise au Capitole. Désormais, à la question de savoir comment financer son projet, Perotti répond avec assurance avoir l’appui de Costantini, propriétaire des domaines de la Magliana et de Tor Carbone, et prête-nom de plusieurs familles de la noblesse. Il demande une concession60. Le bureau municipal d’hygiène, (auquel appartient Perotti lui-même !), donne son nulla osta dès le mois suivant, après rapport favorable de l’ufficiale sanitario61 : « Non seulement cette installation serait utile, mais on peut même dire qu’elle représente une nécessité absolue ». Une proposition de convention, prévoyant une concession de 70 ans, circule dans les bureaux de la mairie. L’ingénieur propose au maire, contre fourniture d’eau potable et de terrains municipaux... de faire une réduction à la mairie sur l’eau pour l’irrigation, et de lui céder l’infrastructure au bout de 70 ans62. Au contact de ses nouveaux amis entrepreneurs et propriétaires fonciers, il a manifestement aiguisé son sens des affaires. Tout le monde à la mairie cependant n’a pas baissé la garde. Une main anonyme écrit au dos de l’enveloppe : « Concession gratuite pour 70 ans ! ! ! Caution ridicule ! Même pas une hypothèque sur l’installation ! ». Giardi, Ingénieur en chef de la division hydraulique au bureau technique municipal est chargé de faire un rapport interne63. Après avoir souligné toute sa difficulté à retrouver les archives de 1914, l’ingénieur examine les nouvelles demandes de Perotti, déposées officiellement à la mairie les 1er août et 27 septembre 1918. Il s’attaque alors à la partie difficile de sa tâche : à qui appartiennent les eaux d’égouts ? C’est alors, dissertant sur le caractère plus ou moins domanial de ces eaux, qu’il écrit un superbe lapsus : les acque demaniali deviennent demoniali.
39Giardi rectifie sensiblement la proposition de concession, demandant pour la mairie le paiement d’une redevance de 50 lires par 100 l/mn d’eau dérivée. « Le concessionnaire devra aussi, à ses frais et par ses propres démarches, obtenir du Génie civil royal le nulla osta sur les partie du projet concernant la prise d’eau dans les collecteurs construits par le Génie civil royal et non encore confiés à la commune ». Il propose un moyen de permettre à la mairie de contribuer pour 10 % aux frais (le devis est de 3,6 millions de lires) et rédige un brouillon de convention pour 70 ans auquel Luzi, ingénieur en chef du bureau IX (Agro) donne son accord en décembre 1918, à condition que l’on daigne inclure une clause de reprise par la mairie au bout de 15 ans64. Les ingénieurs municipaux, en somme, donnent avec bienveillance une forme plus lisse au projet de leur collègue Perotti, lui-même lié au milieu de la propriété foncière capitoline. Les mois suivants sont calmes en ce qui concerne l’examen du projet. Les changements à la tête de l’administration capitoline, avec la fin de la période Colonna, expliquent amplement ce temps perdu.
40Le processus repart en juin 1920 avec le rapport de l’ingénieur Valentini au directeur de l’Ufficio IX65. Le projet mérite « une rapide mise en œuvre. Pour éliminer tous les obstacles bureaucratiques, tant gouvernementaux que municipaux [...] le soussigné conseille une rencontre avec les fonctionnaires du Génie civil, Bureau spécial pour le Tibre ». Il semble qu’il se charge lui-même d’obtenir la neutralité du Génie civil. Après une visite sur les lieux avec un ami ingénieur gouvernemental, il « pense pouvoir dire que l’Ufficio del Tevere devrait accepter les principes du projet dans leurs grandes lignes ». Précieuses relations. On voit ainsi que les amitiés personnelles peuvent parfois tempérer les décennales rivalités de corps.
41La convention est soumise une première fois au conseil municipal en juillet 1920, alors que Adolfo Apolloni est maire, mais le quorum n’est pas atteint66. La Giunta avait accepté de soumettre la convention au vote du conseil, par une décision du 7 juillet67. La concession aurait encore une durée de 70 ans, avec possibilité de reprise par la mairie au bout de 15 ans. La seule exigence de l’administration est de voir le concessionnaire se débrouiller seul avec le gouvernement. Tous les travaux seraient à la charge de Costantini, le propriétaire officiel des terrains. Il pourrait utiliser l’ensemble du contenu du collecteur droit. Le projet bénéficie d’un discret soutien financier et politique de la noblesse conservatrice, ainsi que de l’engagement personnel de G. Tosi, président du Syndicat italien pour l’intensification et l’industrialisation agraire68. Mais au conseil municipal, les objections sont nombreuses. Le conseiller Crisostomi déclare préférer le plan Tosi69 pour les collecteurs, alors que le conseiller d’opposition Dragoni souligne que « le projet a le défaut majeur de ne pas être inspiré par l’intérêt général ». La proposition, mise à l’ordre du jour de la réunion du 29 septembre 1920, n’est même pas discutée. Face à l’opposition, qui s’attend-là à trouver un thème favorable, les promoteurs, Orlando en tête, préfèrent s’éclipser. Il reste que le projet Costantini peut être lu comme un rapprochement entre l’ingénieur nationaliste et la grande propriété foncière. L’hypothèse d’un usage des eaux d’égouts de Rome pour l’irrigation de l’Agro revient sur le devant de la scène en 1924-1925, au moment même d’un grand tournant politique et administratif pour la municipalité et le pays, avec la suppression par le gouvernement fasciste de la représentativité des institutions locales, et la mise en place d’un système de gestion directe par l’État central70.
42Au mois de juillet 1924, deux nouveaux projets sont présentés aux services du Capitole. L’un émane du Sindacato italiano per l’intensificazione e l’industrializzazione agraria. L’ingénieur G. Tosi le signe. Quatre jours auparavant, c’est l’ingénieur Mario Cerruti qui avait déposé un projet, pour le compte de la Società nazionale per le utilizzazioni idrauliche delle acque cloacali di Roma, derrière laquelle paraît se cacher en fait la ditta Adanti Solazzi e C.ia, qui regroupe certains investisseurs importants71. En fait Cerruti dépose son projet d’abord au ministère des Travaux publics et à celui de l’Economie nationale, puis à la mairie. Il semble qu’à partir de ce moment les services municipaux aient commencé à examiner de nouveau la question. Le projet est transmis par le Secrétaire général de la mairie, personnage au pouvoir administratif de plus en plus important (et de plus en plus visible dans les archives), à l’avvocato Angelini Rota, de l’Ufficio legale, le 26 juillet 192472. Quelques jours plus tôt, l’ingénieur avait écrit pour expliquer le sens de sa démarche au Commissaire royal Filippo Cremonesi73. Son intention, en déposant le projet au ministère des Travaux publics, est de bénéficier d’une concession conforme au décret no 2161 du 9 octobre 1919, favorisant l’irrigation. Du ministère de l’Economie, il attend le bénéfice de la circulaire no 1747 du 2 octobre 1922 sur l’irrigation. Quant à la municipalité, il l’informe, intéressée qu’elle peut être pour les aspects ayant trait à l’hygiène et aux cultures maraîchères.
43On comprend que le projet ait eu une grande résonance dans les bureaux techniques du Capitole : le risque était grand de voir l’institution marginalisée, d’autant plus que Cerruti semblait bénéficier de forts soutiens étatiques. Orlando, il faut dire, avait investi la sphère gouvernementale depuis l’avènement du fascisme, et fréquentait désormais davantage, malgré le peu d’écho de ses idéaux portuaires et ses échecs dans ce domaine, les couloirs des palais ministériels que ceux du Capitole. Le projet de Cerruti consiste à irriguer les terrains se trouvant entre la voie de chemin de fer de Civitavecchia et la mer en utilisant le contenu des deux collecteurs. 27.000 hectares seraient concernés, pour un devis de 50 millions de lires74. Un des arguments principaux de l’ingénieur réside dans le calcul de la valeur des productions fertilisantes perdues dans les collecteurs et inutilement jetés dans le fleuve. Il estime cette valeur à 40 millions de lires par an quand la ville aura atteint 800.000 habitants. « La dépense à prévoir est à peine supérieure aux bénéfices à attendre dès la première année ». Pour l’ingénieur, même en n’utilisant qu’un tiers des déchets, l’investissement serait très rentable. Il cite pour appuyer son propos les exemples de Cuneo, de Milan depuis le xiie siècle, de Naples (projet Zocchi), de Paris (Achères et Gennevilliers), de Reims, de Chambéry, de cent villes de Grande-Bretagne, de la Chine et d’Amérique. Pour lui, même si en 1890 le professeur Celli avait peut-être raison de croire au pouvoir auto-épurant du Tibre, cela n’est plus le cas en 1924, avec une population nettement plus nombreuse et de nouveaux quartiers. Il prône donc la constitution de vrais champs d’épandage et d’épuration, grâce à la construction d’une pompe dans les collecteurs à la Magliana :
Dans la période que nous traversons, dans laquelle le gouvernement national chante l’hymne à l’irrigation et où les personnalités les plus éminentes du domaine technique, économique et agraire affirment que Nous, Italiens, avons deux puissants leviers pour soulever le monde : la démographie et l’eau [...], faire obstacle sans raison à une telle initiative serait une action anti-patriotique et reviendrait à ne pas suivre le Gouvernement dans sa bataille du blé et dans la voie de la reconstruction économique.
44Le projet Cerruti est le résultat d’une nouvelle stratégie administrative des tenants nationalistes, et désormais fascistes, d’une transformation radicale de l’Agro : puisque l’alliance avec la propriété foncière, et particulièrement les Torlonia, par l’intermédiaire de la mairie, a provisoirement échoué en 1919-1920, profitons maintenant de l’appui gouvernemental pour imposer un projet de grande ampleur. Même si la volonté de conciliation avec les grandes familles demeure, ce tournant, contemporain des réformes municipales fascistes, est révélateur de la volonté de prise de contrôle du gouvernement sur les institutions municipales. Trois semaines plus tard, l’avocat du service juridique répond au secrétaire général, et donne l’avis suivant :
L’idée d’utiliser les eaux d’égouts pour l’irrigation n’est pas nouvelle. [...] Le projet Perotti-Costantini avait presque trouvé une approbation définitive, jusqu’à être soumis au vote du Conseil. L’adjoint à l’Agro romano, l’ingénieur Orlando avait retiré la proposition au dernier moment. [...] Déjà à l’époque le bureau légal s’était posé la question de savoir à qui appartiennent les eaux des égouts. Il avait été conclu que la construction par l’État des collecteurs ne leur enlevait en rien leur caractère municipal, et puisque Perotti et Costantini adressaient leur demande uniquement à la mairie, celle-ci avait ressenti le besoin de clarifier la situation juridique. [...] La question aujourd’hui se pose dans le sens inverse, puisque Cerruti demande une concession à l’État, considérant qu’il ne s’agit que d’une dérivation d’eaux publiques et étatiques. Il conviendra donc de rappeler nécessité d’une consultation de la Commune dans la concession, pour ce qui concerne les eaux d’égouts, l’État ne pouvant concéder que les eaux du Tibre75.
45Au tout début de l’année 1925, les services techniques municipaux parviennent à obtenir du sénateur et commissaire Cremonesi la création d’une nouvelle commission municipale pour l’étude des projets d’irrigation de l’Agro76. Les nominations se font au cours du mois de mars 1925. Le ministère des Travaux publics aurait souhaité prendre les devants, et mettre en place une commission gouvernementale, mais la mairie a été plus prompte à occuper le terrain pour tenter de préserver ses prérogatives techniques.
46Le 22 juillet 1925, le projet Cerruti est par ailleurs admis à la prise en examen par le ministère des Travaux publics et le 5 novembre le ministre Giurati, ainsi que Pensierini et Fasciani (ingénieurs au Bureau spécial du Génie civil pour le Tibre) signent un décret selon lequel tous les projets pour l’irrigation doivent être déposé auprès du Bureau du Tibre. Deux procédures sont encore en concurrence : la voie ministérielle et la voie municipale.
47Par-delà la manœuvre politique, le projet Cerruti sert aussi à remettre dans le jeu le Génie civil sur un terrain que la mairie lui avait contesté quelques années auparavant. Au-delà des césures politiques, le moment est donc aussi celui d’une tentative de rééquilibrage, de la part du corps technique de l’État, contre les services techniques municipaux. La perspective est de ne pas perdre la compétence acquise sur la campagne romaine dans les décennies précédentes, surtout dans un moment où la mairie est en train de devenir un service de l’État.
48Le décret ministériel de lancement d’une procédure d’examen, évoque six projets : Cerruti et Tosi, bien sûr, mais aussi, entre autres, celui des princes Borghese et Torlonia. De ces projets, les archives n’ont pas trace, mais il apparaît que le projet Cerruti constitue également une réponse suscitée par les milieux du Génie et du gouvernement pour ne pas laisser le champ libre aux princes du Capitole qui ont repris les idées d’Orlando et de Perotti pour avancer, cette fois sous leur propre nom, une proposition nouvelle. Le gouvernement fasciste, au moment de la soumission de la mairie au nouvel ordre étatique, ne veut pas laisser les propriétaires de l’Agro se rendre encore plus indispensables dans la mise en œuvre de tout programme de bonification et d’intensification de l’agriculture. Il vaut mieux assurer au gouvernement la tutelle technique, et seulement ensuite susciter une médiation avec la noblesse.
49Au moment de la réduction de la municipalité à gouvernorat (octobre 1925), il est important de signifier aux familles du Capitole et aux ingénieurs de ce qui n’est plus tout à fait une mairie, que c’est l’État qui décide de la modernisation de l’Agro, sujet rattaché de trop près au grand thème national de l’indépendance alimentaire pour être laissé à une administration désormais censée être subalterne. En 1926, la commission municipale rend son rapport77. Ses travaux avaient occupé la majeure partie de l’année 1925 et le début de l’année 1926. La commission, présidée par le professeur et sénateur Ettore Marchiafava, est composée du prince capitolin Aldobrandini, du docteur Gaetano Basile, de la Direction générale de la Santé publique, du professeur Giuseppe Pecori, du bureau sanitaire municipal, du docteur Mario Bedoni, des professeurs Gioacchino d’Ossat De Angelis et Giovanni Giorgis, et de l’ingénieur Gaetano Roselli Lorenzini, chef du bureau des « services industriels » de la mairie.
50D’Ossat De Angelis avait publié en 1920 un projet d’irrigation78, et, en 1924, avait exhorté les consortiums de propriétaires à se lancer dans cette entreprise79. Il est intégré à la commission après les autres membres. S. Narbone, ingénieur en chef à l’Ufficio speciale del Genio civile per il Tevere e l’Agro romano, avait été invité à participer aux travaux de la commission municipale. Il répond qu’il ne viendra que s’il en obtient l’autorisation de sa hiérarchie, et, bien sûr, ne donne plus de nouvelles80.
51Signe d’une évolution dans le fonctionnement de l’appareil capitolin, c’est le secrétaire général Alberto Mancini, personnage de plus en plus présent, qui accueille les commissaires au Capitole. Le même Mancini fait savoir que la Commission devra rendre ses conclusions très rapidement. Elle est divisée en deux sous-commissions (technique et sanitaire). En avril, le Président de la Società nazionale per utilizzazioni idrauliche e Bonifiche, Gian Pietro Maffei, envoie au Capitole le rapport rédigé par deux de ses ingénieurs, Tito Gualdi et Bartolomeo Gozio. Après avoir souligné que, jusque-là, la pollution du Tibre semblait ne gêner personne, mais qu’il faudrait y remédier tôt ou tard, ils appuient avec force l’idée d’une irrigation avec les eaux des collecteurs. Cela éviterait à l’Italie d’importer d’Amérique du savon fait à partir d’excréments. Plutôt que des cultures maraîchères, à cause du risque sanitaire, ils préfèreraient voir l’Agro être dévolu aux cultures fourragères81. À la même époque, la commission se documente sur les exemples étrangers. Les expériences en Allemagne, en Angleterre, et en France sont étudiées. On trouve de plus parmi ses papiers des articles scientifiques ou de journaux82.
52Au mois de juillet 1925, sur demande, très pressante, du secrétaire général de la mairie, le conte Adriano Tournon, président de l’association d’irrigation de Vercelli, est invité à rejoindre la commission83. Le 28 décembre 1925, Mancini fait savoir à Rosselli que si la commission ne se prononce pas avant le 31, le ministère des Travaux publics lancera la procédure d’acceptation concernant un projet qu’il a reçu84. Le secrétaire général se plaint de ne plus avoir de nouvelles de la commission. Celle-ci, cependant, disserte des mérites de l’irrigation. L’unanimité se fait sur la nécessité de ne plus envoyer les égouts dans le Tibre, maintenant qu’avec le chemin de fer d’Ostie des milliers de baigneurs fréquentent les plages non loin de l’estuaire. On souligne que, bien qu’une instance royale anglaise de 1913 ait montré les qualités antiseptiques des sels marins, leur action ne saurait suffire dans le cas de Rome. Restent l’épuration et l’irrigation. Dans l’Agro, le problème vient du fait que les terrains sont argileux et imperméables. Ils ne sauraient donc avoir l’effet de filtre attendu. Il semble donc que la commission se dirige vers un refus. C’est à l’évidence ce que l’on attend d’elle, afin de ne pas laisser le Génie civil mettre en œuvre sans obstacle administratif ses propres projets.
53« Un autre problème, d’ordre juridique, concerne le droit de l’Administration à donner en concession les eaux des égouts au sortir des collecteurs »85. La commission souligne le caractère municipal du contenu des collecteurs (construits certes par l’État, mais sur un sol communal [en fait non] et dans l’intérêt de la commune), si bien que l’État ne saurait en concéder l’exploitation. Le rapport se prononce pour une utilisation très limitée des eaux, seulement là où la nappe phréatique est à plus de 3 mètres de profondeur. Ainsi prend fin le cheminement administratif de cette idée. Un nouvel équilibre est trouvé entre Capitole et Génie civil, adapté à la nouvelle donne politique et institutionnelle. Les vrais enjeux entre État et propriétaires, dans les années suivantes, se situent ailleurs : Agro pontino et terrains de l’EUR 42.
Agro romano et colonisation agraire
54Entre 1870 et 1925, les terres de la campagne romaine ont donc été l’enjeu de luttes diverses entre instances municipale et étatique. La tendance générale qui se dégage de ce mouvement est une sorte d’échange des compétences théoriquement municipales, qui passent peu à peu au ministère des Travaux publics, contre paiement d’un bon prix pour les terrains, ou contre la gratuité de leur valorisation. Mais à certains moments de ce parcours, à la fois institutionnel, foncier et politique, la concession des terres de la campagne romaine à des paysans a également été vue comme une solution aux problèmes de la bonification. L’évolution des connotations politiques de l’entreprise suit un peu celle de Rome port de mer : de la gauche anticléricale des années 1870 et 1880, on passe à la droite nationaliste au début du xxe siècle.
55Dans la loi de 1903, promue par Baccelli, alors ministre de l’Agriculture, une disposition permet la colonisation agraire des terres domaniales de l’Agro, soit une toute petite part de l’ensemble. Quand, en 1906, le nouveau ministre Pantano tente d’avancer une proposition concernant également les terrains privés, il bute sur une telle opposition du groupe des propriétaires qu’il est contraint de retirer son projet86. Le gouvernement Giolitti, d’ailleurs, n’avait aucune intention de provoquer un affrontement sur ce sujet.
56Avec la loi de 1910, et le décret de 191187 qui en régit la mise en application, le thème de la colonisation agraire retrouve un caractère d’actualité. On entend inciter les propriétaires à créer de petits bourgs ruraux sur les terres, et non les y contraindre. Dans la campagne romaine, même si les nationalistes commencent à reprendre l’argument, bien peu de réalisation suivent cette direction, et les borgate naissantes sont déjà éminemment suburbaines88.
57L’administration Nathan tente cependant d’améliorer les conditions de vie dans la campagne pour les populations pauvres. Mais, loin des idéaux de peuplement rural, il s’agit plus sûrement d’apporter à ces habitants les services urbains de base qui leur manquent. En 1908 on crée ainsi une commission municipale pour la mise en place des services municipaux dans l’Agro. Francesco Caruso, Francesco Ceribelli, Prospero Colonna, Paolo Postempsky, Attilio Sansoni, Attilio Susi et Augusto Torlonia en sont membres. Le rapport est éloquent89 : en 1901 encore, 26 % des habitants de la campagne romaine étaient porteurs de la malaria. La proportion aurait été réduite à 3 % en 1909. Quant à l’adduction d’eau et aux égouts, le rapport confirme ce que l’étude des conflits aux portes de la ville a montré : « L’administration municipale s’est désintéressée du fonctionnement de ces services depuis la promulgation de la première loi de bonification en 1878 ». La lutte contre l’influence du Génie civil semble aussi avoir plus occupé les ingénieurs de la mairie que celle contre la malaria : « Le règlement de police et d’hygiène contraint les médecins municipaux à signaler au Génie civil les étangs, mares et autres conditions locales favorables au développement de la malaria. L’administration devrait faire en sorte que cette mesure soit appliquée et réclamer l’exécution immédiate des travaux ». En fait, et le rapport le souligne, la municipalité n’est intervenue dans la modernisation technique de l’Agro depuis les années 1880 qu’à de très rares occasions, uniquement, en fait, en tant que propriétaire, dans le cadre des 91 consorzi. Le résultat est que la mortalité annuelle dans l’Agro est encore largement supérieure à la moyenne municipale : 23 pour mille, contre 16.
58La mairie, qui emploie 11 médecins (medici condotti) dans l’Agro pour le suivi des habitants pauvres, et 9 dans le suburbio, n’utilise pas ce personnel à bon escient, et l’obligation de résidence a longtemps été transgressée. L’administration Nathan paraît décidée à exiger plus de ses médecins. Depuis 1900, l’armée est venue en renfort pour lutter contre la malaria, par l’intermédiaire de la Croix rouge. La Croce Rossa a placé dans la campagne romaine sept médecins officiers et sept ambulances militaires. Cette intervention du ministère de la Défense semble avoir été déterminante. En ce qui concerne les conditions d’habitat, le rapport de la commission confirme ce qui avait été dit au conseil municipal en avril 1908 : elles sont « préhistoriques ».
59En 1919, de nouvelles mesures sont prises pour relancer la colonisation agraire, que Lando Bortolotti rattache au contexte du Biennio Rosso90. On favorise l’implantation de familles dans la campagne romaine, à proximité des gares de banlieue et des routes menant à la ville91. Les propriétaires sont tenus d’équiper les terrains en services de base. Une nouvelle disposition vient renforcer cette mesure en 1921, en prévoyant la possibilité d’une expropriation92. Le thème de la bonification agraire est désormais placé au centre du débat national, et si influence du Biennio Rosso sur les derniers gouvernements de l’Italie libérale il y eut, ce fut dans la recherche de solutions pour la pauvreté des campagnes. L’Agro, alors, apparaissait comme un des lieux prioritaires de colonisation possible.
60Au moment de l’avènement du fascisme, toute l’habileté des propriétaires est de détourner le débat vers d’autres terres, essentiellement l’Agro Pontino. C’est là qu’auront lieu les grandes entreprises de bonification hydraulique et de colonisation agraire, par l’implantation de nombreux paysans de Vénétie93. Dans l’Agro romano, les volontés de colonisation sont rapidement découragées94. Le marais pontin, donc, comme avatar en mode mineur de la campagne romaine. Les enjeux fonciers y sont bien moindres, même si là aussi, comme l’a montré Giuseppe Barone, s’opère une collusion entre grande propriété catholique et desseins étatiques fascistes95. Ou plutôt les propriétaires (encore les grandes familles de la noblesse romaine) ont tout à gagner de la bonification et de l’expropriation. À partir de 1925, le gouvernement fasciste révise ses élans agrariens et populistes dans un sens qui ne risque pas de heurter la propriété foncière. On donne des terres, certes, aux anciens combattants et aux miséreux de Vénétie, mais sans risquer de s’aliéner la bienveillante sympathie des propriétaires romains et du Vatican. Quant à l’Agro romano, oubliées les perspectives agricoles, il se parsème rapidement à la fois des baraques misérables d’une banlieue délaissée, et, bientôt, pour les zones les plus proches de la ville, d’immeubles illégaux. Pour certaines zones, il faudra attendre la fin du xxe siècle pour voir les services urbains les plus fondamentaux fournis aux habitants (égouts, écoles). Au début de la période fasciste, l’urbanisation fait rapidement suite au morcellement des parcelles. Les propriétaires divisent leurs terres, et, le long des routes et des voies de tramway, elles ressemblent de plus en plus à des terrains à construire96. Mais, pour la mairie, l’Agro demeure agraire. De cette ambiguïté fondatrice, d’une aire agricole devenue banlieue par le contournement spéculatif de la réglementation sur la bonification, naît, conjuguée avec le phénomène de l’abusivismo (la construction sans permis et hors plan régulateur), une périphérie dépourvue des services les plus fondamentaux de la vie urbaine, égouts essentiellement, mais aussi écoles ou administrations.
61De 1870 à 1925, l’Agro romano a donc été le lieu de nombreuses expérimentations, et le support spatial de nombreux rêves d’ingénieurs. Mais aucun n’a durablement marqué ni le paysage des environs de la capitale, ni les conditions de vie des habitants. Les abords de la ville sont seulement devenus une banlieue déshéritée. La plupart des projets ont en fait servi des desseins qui avaient peu à voir, au fond, avec la campagne romaine. Il s’agissait soit d’asseoir une emprise technique et territoriale, soit de clamer une revendication politique, soit de porter sur le devant du débat public les enjeux fonciers de la modernisation de la ville.
62Au travers de tous ces projets, comme au travers de certains conflits aux portes de la ville, c’est aussi l’histoire de l’intégration de la noblesse romaine dans les structures de l’État que l’on lit. Certes, les moments d’affrontement sont-ils nombreux et durables, mais ils servent le plus souvent à expliciter une situation nouvelle. La grande propriété foncière dans l’Agro, et les intérêts de l’Église, sont au centre de tous les projets, soit que ceux-ci contribuent à tenter de les attaquer, soit qu’ils les défendent. Et peu à peu se dessine une voie d’intégration de la composante catholique dans la vie de la capitale de l’État. Le destin de l’Agro montre que rien ne peut se faire sans l’accord des propriétaires et du Capitole, malgré la perte de pouvoir technique de cette institution, qui garde une forte capacité de nuisance. Il montre de même que les propriétaires fonciers ont tout intérêt, pour la valorisation même de leur bien, à accepter, en fin de compte, la mutation de l’ancien système d’exploitation agraire. Ligne de chemin de fer et peuplement d’Ostie, puis EUR 42 représentent ainsi le résultat d’une médiation : faire quelque chose pour moderniser la ville, sans l’industrialiser. La construction de l’aéroport de Fiumicino, plus tard, répond encore à des problématiques comparables, dans un contexte pas aussi différent qu’on pourrait le penser. Mais en termes de valeur ajoutée des terrains, l’essentiel, en fait, pour l’Agro, et pour la période qui nous intéresse, se joue à proximité de la ville, dans des terrains qui sont urbanisés très rapidement.
63Un des enseignements de l’étude du devenir de la campagne romaine réside aussi dans la distinction entre lutte politique et rivalité administrative ou de corps. On se rend compte que les litiges entre Génie civil et services techniques municipaux, détectés pour d’autres chantiers dès les premiers jours de Rome capitale, perdurent encore au début du xxe siècle. Leur nature n’a pas forcément changé : la rivalité de corps est encore parfois au service d’une césure politique et idéologique marquée. Mais la modalité de ce rapport a été modifiée : les ingénieurs du Génie civil sont rentrés dans le rang de la normalité administrative de l’État, et c’est de la mairie uniquement que partent les calculs les plus audacieux pour tenter de reconquérir un espace technique et politique perdu. Le lien entre action des services de la mairie et intérêt des propriétaires terriens est, paradoxalement, plus facile aussi à suivre dans ces moments où un rapprochement commence à se dessiner : l’action des services techniques provoque le problème, pour permettre à ceux qui dominent la mairie de s’intégrer en position de force dans le fonctionnement routinier de l’État.
64De plus, les projets pour l’Agro permettent de mieux comprendre comment les fascistes ont réformé le fonctionnement de l’appareil administratif municipal. Sur le terrain de la préservation de la propriété foncière après la parenthèse Nathan et les visées de Giolitti, s’opère une convergence entre rhétorique de grandeur nationaliste et nécessité d’une valorisation des terres. On comprend mieux aussi comment, notamment autour du rôle du secrétaire général de la mairie, le gouvernement fasciste a choisi de ne pas s’aliéner le soutien, ou du moins la passive bienveillance, de la noblesse capitoline. Dans ce domaine, le glissement des projets portuaires vers l’EUR est significatif. Dans le domaine de la bonification agraire, c’est ensuite l’Agro Pontino qui mobilise les énergies du gouvernement fasciste97.
Notes de bas de page
1 Sur les imprécisions dans la désignation de cet espace, voir : M. Sanfilippo, Agro romano : storia d’un nome e di tante realtà diverse, dans C. Damiano Fonseca et V. Sivo (dir.), Studi in onore di Giosuè Musca, Rome, 2000, p. 445-453.
2 Camera dei Deputati, discorsi di Agostino Bertani (juin 1872), Rome, 1913, p. 193. Sur l’activité de Bertani dans le domaine de l’amélioration des conditions
3 de vie dans les campagnes, voir : A. Caracciolo, L’inchiesta agraria Jacini, op. cit. Voir : A. Celli, Storia della malaria nell’Agro romano, Città di Castello, 1925.
4 Voir : A. Balzani, Primi interventi di bonifica dello Stato unitario nella campagna romana, dans Studi romani, 1980, p. 47-67, ainsi que : F. Gurreri, La liquidazione... loc. cit. L’auteur donne une estimation du pourcentage de terrains aux mains de la noblesse entre 1870 (54 %) et 1913 (53 %). Voir aussi : R. Della Seta, La liquidazione dell’asse ecclesiastico nell’Agro romano, dans Storia urbana, 40, 1987, p. 99-118.
5 Décret du 20 octobre 1870.
6 Voir : A. Preti (dir.), Un democratico... op. cit.
7 Loi du 11 décembre 1878.
8 Ibid.
9 Voir D. Bocquet, Rome capitale et l’expansion vers le littoral (1870-1922), dans G. Le Bouëdec et F. Chappé (dir.), Pouvoirs et littoraux du xve au xxe siècle, Rennes, 2000, p. 225-232.
10 L. Tocco, Di Roma, del Tevere e delle inondazioni, Rome, 1871.
11 Voir F. Costa, Difesa contro gli attacchi diretti ed indiretti che si oppongono alla ripristinazione del già tanto classico Porto di Fiume nel canale di Ostia, Rome, 1868. ASC. Biblioteca 11 646 (63). Du même : Porto a canale e ferrovia Ostiense. Capitolato, Rome, 1869.
12 F. Costa, Delle cause delle inondazioni di Roma e dei possibili rimedi, Rome, 1871.
13 V. Glori, Progetto di un canale laterale all’Aniene con sue derivazioni per servire alla navigazione interna, alla irrigazione ed all’impianto di opificii di ogni genere, Rome, 1869.
14 F. Gori, Sullo splendido avvenire di Roma capitale d’Italia e del mondo cattolico e sul modo di migliorare l’interno della città e l’aria delle campagne, Rome, 1870. ASC. Biblioteca 11 511 (16).
15 F. Mora, Di un canale di derivazione del Tevere, Rome, 1873.
16 L. Tatti, Memoria diretta alla spettabile Commissione Idraulica per il Tevere, Milan, 1871.
17 I. Villa, La bonificazione dell’Agro romano da farsi senza alcuna operazione di prestito, Rome, 1875. ASC. Biblioteca 11 599 (26).
18 G. Moro, Roma porto di mare, Florence, 1895. ASC. Biblioteca 15 276 (7).
19 F. Oberholtzer, Le foci del Tevere. Note dell’ingegnere professore Oberholtzer, romano, Rome, 1875. ASC. Biblioteca 11 867 (12). Du même : Un porto di mare a mare. Sistemazione del Tevere, ristoramento dell’Agro romano, Rome, 1876. ASC 12 015 (16) et Roma porto di mare, Rome, 1888. ASC 13 446 (28).
20 C. Gabussi, Roma porto di mare, dans Atti del Collegio degli architetti ed ingegneri italiani, 1885. ASC. Biblioteca 23 830 (2).
21 R. Canevari, Su di un canale di navigazione fra Roma e il mare, Rome, 1889. ASC. Biblioteca 17 719 (27).
22 Idem, p. 124.
23 Voir A. Caracciolo, Roma capitale, op. cit., p. 124.
24 Chambre des Députés, XIIe Législature, Ire Session, Juin 1896, p. 5530 et s. et 5600 et s.
25 P. Orlando, Roma porto di mare e la navigazione interna sul Tevere, Rome, 1904. ASC. Biblioteca 11 634 (34).
26 Sur l’histoire de cette société, voir : F. Amendolagine (dir.), Mulino Pantanella. Il recupero di una archeologia industriale romana, Venise, 1996.
27 A. Caracciolo, op. cit., p. 126.
28 Sur les projets de la période Nathan, voir aussi : M. L. Neri, Note sull’espansione di Roma verso il mare, dans Storia urbana, 1998, 82-83, p. 31-48.
29 Voir L. Bortolotti, Roma fuori le mura, op. cit., p. 101.
30 Legge 6-4-1908, no 116. L’idée de construire une autoroute est reprise en 1925. Le tronçon est inauguré par Mussolini en 1928.
31 I. Insolera et L. Di Majo, L’Eur e Roma dagli anni Trenta al Duemila, Rome-Bari,1986, p. 9.
32 D. Bocci, Progetto di massima per migliorare la navigazione del Tevere da Roma al mare, e per riattivare il porto Traiano, quale porto interno, e suo canale marittimo, Rome, 1907. ASC. Biblioteca 11 660 (5).
33 Il porto marittimo di Roma nella ricorrenza del 1911, Rome, 1908. ASC. Biblioteca 11 635 (32).
34 Voir : Atti della Commissione per il Risorgimento economico della città di Roma, Rome, 1918. ASC. Biblioteca 17 267.
35 La Capitale d’Italia ridona a Roma i suoi naturali diritti sul mare Mediterraneo, Rome, 1920. ASC. Biblioteca 28 820 (33).
36 Per il risorgere di Roma sui mari (1936). Alla conquista del mare di Roma (1941).
37 Sur les débuts de cette ligne : R. Paribeni, La nuova linea ferroviaria Roma-Ostia, Rome, 1924. ASC. Biblioteca 12 511 (15).
38 Voir, pour les débuts de l’urbanisation d’Ostie : P. Orlando, Il Piano Regolatore di Ostia Nuova, Rome, 1910. ASC. Biblioteca 11 634 (33).
39 Regio Decreto 18-3-1923, no 845.
40 Voir L. Bortolotti, op. cit., p. 102.
41 Pour une réflexion sur l’urbanisme fasciste, et la manière d’en faire l’histoire, voir : S. Adorno, Urbanistica fascista. Tecnici e professionisti tra storiografia e storia disciplinare, dans Contemporanea, gen. 2001, p. 135-153. Sur l’histoire des expositions : M. Misiti, L’Italia in mostra. Le esposizioni e la costruzione dello Stato nazionale, dans Passato e Presente, 37, 1996, p. 33-54.
42 Voir : I. Insolera et L. Di Majo, op. cit, p. 26.
43 Voir : I luoghi dell’E.42. Le Tre Fontane. Storia di ordinaria burocrazia, dans M. Calvesi, E. Guidoni et S. Lux (dir.), E42. Utupia e scenario del regime. Urbanistica, architettura, arte e decorazione, Venise, 1987, p. 191-196.
44 Archivio Centrale dello Stato, C.O. 1937, fasc. 509832.1. Sur ce point, voir : P. Ferrara, Baracche, capanne e grotte nel territorio dell’Esposizione universale, in M. Calvesi et al, op. cit., p. 176-178.
45 ASC, Ufficio V, Divisione Idraulica, Busta 21, fasc. 1226. R. Perotti, Progetto di depurazione ed utilizzazione industriale ed agricola delle acque di fognatura della città di Roma.
46 ASC, Ufficio V, Divisione Idraulica, Busta 21, Fasc. 1226.
47 ASC, Ufficio V, Divisione Idraulica, Busta 52, fasc. 117. Lettre de Nitti à Perotti, 31-10-1912 (copie dans un dossier municipal de l’année suivante).
48 Idem. Lettre de Perotti au Ministre de l’Agriculture, 16 juillet 1913.
49 ASC, Ufficio V, Divisione Idraulica, Busta 52, fasc. 117. Comitato permanente per l’Agro romano. Adunanza del 28-7-1913.
50 Idem.
51 Idem. Note de Perotti à Aphel, 15 décembre 1913.
52 Sur le cas milanais, voir : G. Fantoni, L’acqua a Milano. Uso e gestione nel basso medioevo (1385-1535), Bologne, 1990.
53 Idem. Lettre du Commissaire Aphel à l’ingénieur Moretti, 16 décembre 1913.
54 Idem. Relazione della Commissione per lo studio del progetto del Prof. Perotti sull’irrigazione dell’Agro romano con le acque di fogna della città di Roma. (Les membres de la commission sont payés en juillet 1914 par le bureau du personnel municipal). (ASC. Uff. V, Div. Idr., b. 21, f. 1226).
55 Idem. Lettre du Commissaire Aphel au Ministre de l’Agriculture, 5 février 1914 et réponse, 4 mars 1914.
56 ASC., Ufficio V, Divisione Idraulica, Busta 52, fasc. 117. Rapport de Perotti à Luini sur les installations de Wilmersdorf. 8 avril 1914. Ces installations sont décrites comme les plus importantes d’Allemagne. Perotti souligne qu’en absence d’un système de séparation des eaux d’égouts et des eaux de pluie, cette solution est inapplicable à Rome. « Et si Rome arrivait à un million d’habitants, imaginez les installations colossales qu’il faudrait ! ». Perotti fournit aussi un tableau du coût de la dépuration par an et par habitant dans les principales villes d’Allemagne. On trouve également dans les archives un rapport sur l’Angleterre, surtout les villes de Croydon et Lodge Farun, mais il n’est pas certain qu’il soit de Perotti. I frutti conseguiti dalle acque di espurgo in varie località inglesi. Idem.
57 Idem. Verbale Adunanza 15-1-1914.
58 ASC. Uff. V ; Div. Idr., Busta 52, fasc. 117. Lettre d’Aphel au Ministre de l’Agriculture. « Montrez encore une fois que vous vous intéressez à l’avenir hygiénique et économique de la Capitale ».
59 ASC. Ufficio V, Divisione Idraulica, busta 21, fasc. 1226. Lettre du Ministère de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce, Direction générale de l’Agriculture, Division V, Section I, à la mairie de Rome, Uff. V, div. II, 4 mars 1915. Notons que l’on est retombé à un niveau hiérarchique d’expression plus bas, ni le ministre, ni le maire, ni les grands directeurs n’étant de la partie.
60 ASC., Uff. V, Div. Idr., Busta 52, fasc. 117. Lettre de Perotti au maire Prospero Colonna, Août 1918.
61 Idem. Rapport du 9 septembre 1918.
62 Idem. Lettre de Perotti au maire, 27 septembre 1918.
63 Idem. Relazione dell’ing. Giardi sulla domanda del Prof. Perotti perconcessione di derivazione delle acque cloacali di Roma per uso di irrigazione.
64 Idem. Note de Luzi.
65 Idem. Relazione 18-6-1920.
66 Atti Consiglio municipale, 1920 et ASC., Uff. V, div. Idr., busta 21, fasc. 1226. 580e proposta al Consiglio comunale di Roma nella sessione primaverile. Convenzione col sig. G. B. Costantini per l’utilizzazione delle acque cloacali della città secondo il progetto del prof. Renato Perotti.
67 Atti Giunta, 7-7-1920. « Après avis de l’assessore Paolo Orlando, la Giunta décide de soumettre à l’approbation du Conseil la proposition de convention avec M. Costantini ».
68 ASC., Uff. V ; Div. Idr., busta 52, fasc. 117. Lettre de Tosi au maire, 28-7-1920.
69 Projet brièvement présenté par un ingénieur qui s’appuyait sur des capitaux français. Il n’a pas laissé de trace significative dans les archives.
70 Pour une analyse de l’évolution de la pensée des idéologues du mouvement fasciste par rapport à la bureaucratie et à l’aristocratie, voir : M. Salvati, La burocrazia nella cultura del fascismo intransigente, dans M. Soresina (dir.), Colletti bianchi, op. cit., p. 34-56.
71 ASC. Uff. V, Div. Idr., Busta 53, fasc. 117 et ASC. Uff. V, Div. Idr., Busta 21, fasc. 1226. Progetto di massima per l’utilizzazione delle acque cloacali di Roma. Mario Cerruti. Le projet porte un tampon de la mairie daté du 18-7-1924.
72 ASC. Uff. V, Div. Idr., Busta 21, fasc. 1226b.
73 Idem, lettre du 22-7-1924.
74 Idem, Progetto Cerruti.
75 Idem. 20-8-1924.
76 La commission est créée le 17 février 1925, Atti Giunta municipale, deliberazione no 592.
77 ASC. Uff. V, Div. Idr. ; Busta 21, fasc. 1226b.
78 Progetto d’irrigazione per la coltura ortiva della pianura tiberina presso Roma, Rome, 1920.
79 Relazione all’On. Deputazione generale dei Consorzi Idraulici dell’Agro romano, dans Rivista Agricola romana, Décembre 1924.
80 ASC. Uff. V, Div. Idr. ; Busta 21, fasc. 1226b. Lettre du 9 mars 1925.
81 Idem. Relazione igienico sanitaria all’amministrattore delegato della Società Nazionale per utilizzazioni idrauliche e bonifiche, Avril 1925.
82 Par exemple : H. Bouquet, Cronaca. I pericoli dei corpi radio-attivi. La riabilitazione delle acque fluviali, dans Le Monde médical. Rivista internazionale di medicina e terapia, Avril 1925. Les deux arguments (radioactivité et fleuve) sont séparés ! Pour le fleuve, il s’agit du résumé d’une communication à l’Académie de médecine des professeurs Arloing, Sempé et Chavanne sur le Rhône, l’Isère, le Drac, la Romanche et la Seine. Plus les eaux sont sales, plus fort est leur pouvoir bactéricide, « più sono protettrici per i nostri intestini ».
83 Idem. Note du 4-7-1925.
84 Idem. Note du 28-12-1925.
85 Idem. Relazione della commissione.
86 Voir L. Bortolotti, Roma fuori le mura, op. cit., p. 93.
87 Regio Decreto 22-1-1911, no 248 che approva il regolamento concernente i provvedimenti per il bonificamento e la colonizzazione dell’Agro romano.
88 Sur les borgate voir : C. Vallat, Rome et ses borgate (1960-1980), Rome, 1995, ainsi que G. Berlinger et P. Della Seta, Borgate di Roma. Urbanismo ed emigrazione interna, incremento demografico e speculazione edilizia, Rome, 1960.
89 Comune di Roma, Relazione delle Commissione per l’acertamento dei servici comunali in Agro romano e suburbio, 1909. ASC. Biblioteca 18 970 (46).
90 Bortolotti, op. cit., p. 93.
91 Decreto Legge 24-4-1919, no 662.
92 Regio Decreto 23-1-1921, no 52 relativo alla espropriazione dei fondi dell’Agro romano per la costituzione di centri di colonizzazione.
93 Sur la bonification de l’Agro pontino, voir, par exemple : A. Mioni, Le traformazioni territoriali in Italia nella prima età industriale, Venise, 1976, Rééd. 1986, p. 243 et s. Plusieurs décennies plus tard, dans les années 1960, l’Agro Pontino joue encore un rôle comparable par rapport à Rome, cette fois-ci autour du thème de l’industrialisation : définie comme limite septentrionale du Mezzogiorno pour l’obtention des aides européennes, la zone sert en effet d’aire industrielle annexe pour la Capitale. Sur ce point, voir : D. Rivière, L’Italie et l’Europe vues de Rome. Le chassé-croisé des politiques régionales, Paris, 1996.
94 Voir : L’Agro romano nel primo quinquenio fascista. Relazione sull’incremento del bonificamento agrario e della colonizzazione, Rome, Ministero dell’Economia nazionale, Direzione generale dell’Agricoltura, 1928.
95 G. Barone, Mezzogiorno e modernizzazione. Elettricità, irrigazione e bonifica nell’Italia contemporanea, Turin, 1986, p. 316 et suivantes : Banca, terra e nobiltà : lo scandalo delle paludi pontine.
96 Sur ce point, voir : C. Vallat, op. cit., p. 99.
97 Voir : M. Stampacchia, Ruralizzare l’Italia. Agricoltura e bonifiche tra Mussolini e Serpieri (1928-1943), Milan, 2000. La volonté de colonisation agraire s’oriente aussi de plus en plus vers les colonies. Voir les travaux de F. Cresti.
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