Chapitre V. Les débats du milieu des années 1870 sur le détournement du cours du tibre
Une volonté garibaldienne de marquer l’espace urbain de la capitale
p. 151-197
Texte intégral
Le fleuve possède aussi cette qualité lyrique par excellence, qui est l’expression volubile de soi, et la superbe ignorance de tout ce qui n’est pas soi1.
1On lit généralement les affrontements politiques du milieu des années 1870 entre droite historique et gauche, menant au premier moment de véritable alternance politique dans l’histoire de la jeune nation unie, autour de la question ferroviaire, qui cause directement la chute du gouvernement Minghetti en mars 1876, et anime la vie politique italienne pendant au moins quatre ans, de 1874 à 18782. Il est certain que le débat sur la place de l’État dans le capitalisme italien et européen, ainsi que dans la gestion des grandes compagnies de transport, forme le cœur d’une controverse aux nombreux enjeux, politiques et financiers. Au premier rang de ceux-ci, figure la recherche, par une gauche hétéroclite et divisée, d’un thème fédérateur et efficace d’opposition à la génération de la droite historique qui conduit le pays depuis de longues années, et a su, tant bien que mal, construire en son sein une alternative viable à la ligne cavourienne après la disparition précoce du président du Conseil qui avait fait l’Italie. Mais le Tibre également constitue un de ces dossiers sur lesquels se joue ce tournant important dans la vie parlementaire italienne, et le suivre permet d’éclairer certains des enjeux spécifiques à la capitale. À Rome, en effet, depuis l’accession au statut de capitale et la gestion réussie de la question vaticane avec pragmatisme et modération par les gouvernements successifs, la gauche ne parvient guère à reprendre pied. Ses tentatives dans le domaine de la politique municipale se sont vite avérées vaines, réduites encore par l’échec de l’éphémère première administration Pianciani. Le Capitole semble durablement verrouillé à la fois par les intérêts de la noblesse catholique, et par la volonté précoce de l’État italien de limiter ses prétentions. À la mairie, et aux intérêts qui y trouvent un écrin précieux, la spéculation foncière pour l’agrandissement de la capitale devra suffire, dans la discrétion. Pour retrouver sa vigueur, la gauche romaine a besoin d’un thème porteur, qui ne soit pas toutefois dans la logique de l’affrontement direct avec la tendance cléricale. C’est donc un thème à la fois romain et national, pratique et symbolique, qui s’offre à la gauche en 1874, autour de la question encore largement irrésolue du Tibre. Pour Rome, au-delà donc des seuls horizons ferroviaires, une lecture de l’alternance de 1876 à partir des méandres administratifs et politiques parcourus par les projets pour le Tibre paraît donc s’imposer. Une telle démarche permet aussi l’analyse d’une autre phase dans la maturation de la décision au sujet de ce qui constituera ensuite le principal chantier de la ville pendant plusieurs décennies. On voit ainsi comment, au cours de la saison électorale du milieu des années 1870, la technique tibérine est mise au service d’ambitions politiques.
2Après les élections de novembre 1874, qui voient la confirmation de la droite historique au pouvoir, le député Agostino Depretis cherche, au sein de la gauche, des thèmes susceptibles de rapprocher trois courants jusque-là rivaux3 et de constituer autour de sa personne les éléments d’une opposition efficace. Entre la gauche piémontaise, héritière de Rattazzi, et conduite par Depretis lui-même, les amis de Cairoli et de Zanardelli, et enfin une gauche méridionale, autour de Nicotera, renforcée par le scrutin de 18744, il semble nécessaire de trouver des sujets de convergence. Au cours de l’année 1875, la faiblesse du ministère Minghetti incite Depretis à lancer une offensive parlementaire d’envergure, pour tenter de mettre en minorité un gouvernement à l’assise décidément moins solide que celle de ses prédécesseurs. La première tentative se fait sur le thème de la dénonciation de la collusion entre l’appareil d’État et la mafia en Sicile. L’été 1875 est consacré à cette attaque directe de l’opposition contre le gouvernement. Mais, rapidement, il s’avère que les bénéfices politiques et parlementaires de cette stratégie sont minimes, le principal résultat étant un renforcement de la cohésion interne de la droite à la Chambre des députés. À l’automne donc, inquiet aussi de la montée en puissance de Nicotera, dont les velléités d’accord avec la droite modérée de Sella seraient dommageables à l’unité de l’opposition, Depretis propose une nouvelle ligne de conduite à ses collègues de la gauche historique : la patience5. Nicotera se range à l’avis de Depretis, mais obtient de ce dernier son aval pour rechercher un accord avec la droite toscane sur la question ferroviaire.
3Depuis la loi de 1865, les lignes de chemin de fer dans le royaume dépendaient de quatre sociétés (Alta Italia, héritière du SüdBahn autrichien et propriété de la branche parisienne des Rotschild ; Strade Ferrate Romane, propriété de la finance toscane associée au Crédit Industriel et Commercial ; Meridionali ; Vittorio Emanuele). Dans les années 1870, seules les trois premières demeurent. En 1873, Spaventa, ministre des Travaux publics de Minghetti, propose la reprise par l’État des Romane, puis des Meridionali. La loi ne peut cependant être votée avant les élections de 1874, et en 1875 la discussion reprend, autour notamment de l’inclusion des lignes septentrionales des Rotschild dans le lot racheté par l’État. En novembre 1875, après médiation de Sella, il est convenu que le gouvernement italien rachèterait les concessions de l’Alta Italia pour 723 millions de lires, à crédit sur 80 ans. Un accord est trouvé également avec l’Autriche pour la séparation des réseaux6. La gauche, refusant la gestion du réseau ferré par l’État, tient là un thème fédérateur d’opposition à Minghetti, et parvient à obtenir l’adhésion du groupe de la droite modérée toscane de Bastogi et Puccioni.
4Ainsi, le 18 mars 1876, le gouvernement Minghetti est renversé à la Chambre, et le 25 mars est constitué le premier gouvernement Depretis, fruit d’une alliance de circonstance entre la gauche et la droite modérée toscane. La difficulté principale pour le nouveau Président du conseil est de canaliser les exigences de ses deux rivaux : Zanardelli, issu du courant de la gauche lombarde, est ministre des Travaux publics, alors que Nicotera est à l’Intérieur. C’est à un vaste changement de personnel politique que l’on assiste, la génération de la droite historique s’effaçant durablement au profit de celle d’une gauche à la fois homogène, dans son appartenance maçonnique par exemple, et diverse, entre conservateurs agraires méridionaux, députés du nord, et anciens rebelles mazziniens ou garibaldiens. Au sein du nouveau ministère, Zanardelli est rapidement marginalisé sur la question ferroviaire par le Président du conseil, qui négocie directement avec les Rotschild. En échange d’une dissolution de la Chambre, la gauche historique vote cependant en faveur de la résolution par le gouvernement de cette question des chemins de fer.
5Aux élections générales de novembre 1876, la gauche désormais au pouvoir obtient environ 400 députés, contre environ 110 à l’opposition. Mais cette nouvelle force, et cette confirmation du tournant du printemps précédent, ravive les divisions, notamment entre Nicotera, appuyé sur une gauche méridionale proche de la droite modérée toscane, et Zanardelli, opposé aux grandes sociétés capitalistes qui sont en passe de parvenir à leurs fins au travers de l’action de Depretis. En novembre 1877, Zanardelli démissionne de son ministère, pour marquer son opposition à la politique ferroviaire du président du conseil. Le 26 décembre 1877 naît donc le second ministère Depretis, qui voit l’arrivée de Francesco Crispi à l’Intérieur, alors que le sénateur Perez, autrefois autonomiste sicilien, hérite du poste de ministre des Travaux publics. Ce gouvernement, marqué par deux événements majeurs, la mort de Vittorio Emanuele le 9 janvier 1878, puis celle de Pie IX, le 7 février de la même année, ne tient que quelques mois face aux assauts de la gauche sicilienne et de Nicotera. Ce dernier provoque la démission de Crispi7, puis celle de Depretis. Grâce au soutien de Sella notamment, Cairoli devient président du conseil le 24 mars 1878. Alfredo Baccarini est ministre des Travaux publics, et représente la gauche historique septentrionale au gouvernement8. La question ferroviaire s’efface alors face à de nouveaux enjeux, Congrès de Berlin et irrédentisme notamment.
Le chantier du Tibre dans le contexte de l’alternance politique
6C’est dans ce contexte, d’abord celui des efforts de la gauche pour arriver au pouvoir, puis celui de ses divisions internes, qu’il s’agit de tenter de lire la question du Tibre. Le milieu des années 1870 est ainsi marqué à Rome par une déclinaison très particulière des débats nationaux, dont le Tibre est le support. Entre 1873 et 1878 sont en effet présentés de nombreux projets et contre-projets, qui prévoient un changement de cours pour le fleuve, et les conclusions de la commission de 1871 sont largement remises en question. Émanant d’abord d’ingénieurs plus ou moins indépendants, puis des milieux de la gauche garibaldienne, ces esquisses rouvrent sans peine un débat jusque-là enlisé dans les détours administratifs des conclusions de la commission de 18719.
7La lecture et la mise en contexte de ces différents projets montrent à la fois comment se développent certaines logiques de confrontation autour de la Capitale, avec en particulier la volonté d’utiliser l’aura garibaldienne pour contester la ligne gouvernementale sur la question romaine, et en même temps comment conciliabules et rapprochements continuent derrière les revendications les plus fermes.
8Après les décisions de la commission de 1871, ou plutôt la manière dont ses conclusions servent au gouvernement et au ministère des Travaux publics à légitimer une décision dont l’importance politique et institutionnelle devenait de plus en plus évidente, commence une période d’apparente accalmie dans les controverses sur le Tibre. Sur le moment, rien ne se fait, et aucune des institutions concernées n’a intérêt à relancer publiquement les débats : ni l’État, satisfait à la fois de l’intégration dans les visées ministérielles de la génération romaine des ingénieurs du Génie civil et, en général, des conclusions de la commission, ni la mairie, qui n’a point d’argument de poids à opposer au gouvernement pour contester un processus dont elle a été écartée. Le projet Canevari suit lentement son chemin bureaucratique, la prochaine décision étant pour le ministère de savoir si, réellement, les piani esecutivi du chantier seront laissés à la charge de la mairie comme le laisse entendre le projet, ou si le Génie civil pourra prendre en main cet aspect.
9L’année 1873, donc, se passe pour le Tibre dans la lignée de la décision de la commission de 1871, la seule question demeurant de connaître la marge de manœuvre que le Génie civil laisserait à la municipalité dans la conduite des travaux. La langueur de la transmission officielle, par le biais de la préfecture, du résultat du vote de la commission gouvernementale, laissait à la mairie une certaine marge de manœuvre, tant que le gouvernement ne prenait pas d’initiative majeure. Le 27 décembre 1872, le conseil municipal progressiste nouvellement élu prend une initiative d’importance : il confie à la Giunta le soin de faire rédiger par les services municipaux un « plan d’exécution » des travaux du Tibre10. Par ce geste, la mairie entend à l’évidence mettre en difficulté le gouvernement. La rédaction en est confiée à l’ingénieur municipal Vescovali, aidé d’un personale tecnico speciale recruté dans ce but en la personne des ingénieurs Francesco Degli Abbati et Luigi Ingami. La nouvelle municipalité progressiste ne se fie qu’à demi au service technique municipal, mais entend replacer le Capitole sur le terrain fluvial. Vescovali est connu à la mairie pour être proche de la noblesse catholique, et on préfère assurément, dans les milieux progressistes, prendre la précaution de lui adjoindre des consultants techniques extérieurs. Mais à ce moment, la mairie entre, par ses services techniques, dans une double opposition politique face au gouvernement : celle venant de son personnel technique traditionnel, et celle apportée par l’emploi d’intervenants choisis pour leurs accointances politiques avec le pouvoir progressiste capitolin.
10En 1872, le gouvernement pense encore laisser à la municipalité le soin de superviser la réalisation des travaux du Tibre. Le 21 mai, le ministère des Travaux publics avait fait savoir au maire que, le projet Canevari ayant été adopté, il revenait aux services techniques municipaux de rédiger le plan d’exécution des travaux. La giunta conservatrice alors en place ne réagit pas à cette invitation, et c’est seulement avec la victoire progressiste que le Capitole profite de cet espace qui lui est encore concédé. On voit par ces différentes configurations que se superposent conflits politiques et rivalités institutionnelles entre pouvoir local et pouvoir central.
11Vescovali s’attache ainsi à la rédaction du plan, ce qui lui prend toute l’année 1873. Il est prêt au printemps 1874, au moment de la crise de l’administration Pianciani, qui chute à l’été. Le technicien capitolin présente son travail en 187411. Mais le contexte a changé, et il est évident que le Génie civil ne peut accepter un retour en force de la mairie sur le terrain technique grâce à la brèche ouverte durant la parenthèse progressiste. L’ingénieur municipal envisage de nombreuses modifications au projet Canevari. Il a cependant l’habileté de présenter chacune de ces nuances avec modestie, et de s’appuyer sur l’avis d’un membre de la commission gouvernementale.
La majeure partie de ces modifications est parfaitement conforme à l’avis de certains des membres de la commission, et les autres sont fondées sur des arguments que nous estimons des plus convaincants, si bien que nous ne doutons pas que notre projet sera approuvé par le Conseil supérieur des Travaux publics lorsque celui-ci sera appelé à l’examiner12.
12Paradoxalement, la période progressiste à la mairie a permis à la droite catholique de se remettre dans le jeu face au Ministère. Certains des changements prônés par l’ingénieur municipal sont en fait considérables : il propose ainsi des murs inclinés à 45°, et non plus droits. Vescovali prétend réaliser ainsi une économie consistante pour la construction, que l’on imagine immédiatement compensée, si l’on veut garder la même largeur pour le lit, par la différence en termes de surface à exproprier, pour le plus grand profit des propriétaires, c’est-à-dire, cens oblige, des conseillers municipaux et du milieu social duquel ils sont issus. On voit donc une décision qui semblait fermée en 1871 se rouvrir en 1873-1874.
13Cette période est aussi marquée par les contre-projets présentés par des techniciens privés, parfois mandatés par de grandes sociétés internationales de travaux publics, qui continuent de nourrir publiquement les débats sur le Tibre. Derrière ces projets, on trouve déjà certains enjeux qui, au cours des mois et années qui suivront, seront au cœur des débats.
Le projet de Galli et Durup de la Baleine
14Les ingénieurs Louis Galli et Emile Durup de la Baleine présentent ensemble un Projet d’édification du quartier des Prati di Castello à Rome13, qui prévoit la construction d’un nouveau quartier de 45 000 habitants aux Prati, grâce à une déviation du cours du Tibre qui dégagerait une bande constructible de 200 m de large le long du nouveau cours du fleuve. L’esquisse, présentée à la mairie, ne précise rien des financements escomptés, mais il est probable qu’un tel projet avait le soutien d’une société immobilière étrangère. Les ingénieurs ne semblent en revanche avoir aucun appui au sein ni de la mairie, ni du ministère, et à aucun moment leur projet ne paraît à même de pouvoir faire rouvrir le dossier. Le projet Galli ne s’insère ainsi ni dans la lignée des projets du Tibre examinés avec sérieux, ni dans celle des projets immobiliers susceptibles, soit d’être intégrés au plan régulateur, soit de se développer en parallèle à ce plan. Les promoteurs n’avaient pas l’assise nécessaire.
15Les projets de détournement du Tibre ne sont pas nouveaux, et en matière d’hydraulique fluviale, l’État pontifical avait même été marqué par une précoce application du principe de dérivation. À la suite de la crue de l’Aniene en 1826, la ville de Tivoli avait en effet été inondée, et il avait été décidé de procéder au détournement de la rivière. Ce projet, promu par la congrégation du Buon Governo et approuvé sous Pie VIII en 1830, avait donné lieu à un important chantier sous Grégoire XVI, à partir de 183214. Le nouveau cours avait été inauguré en 1835, en présence du Pape. Mais le problème du Tibre, dans les années 1870, n’est pas uniquement d’ordre hydraulique. Ce n’est pas la perspective de la déviation en soi qui fait peur, mais ses conséquences foncières et politiques sur les grands choix dans l’orientation de l’expansion de la ville. Le projet de Galli et Durup est intéressant pour un point seulement : il subordonne explicitement l’aménagement fluvial à un projet urbain. C’est pour construire la ville que l’on entend modifier le cours du fleuve. Le risque hydraulique n’est qu’un prétexte.
Le projet Rullier de déviation du cours du Tibre
16Parmi les divers ingénieurs qui s’intéressent au Tibre, un Français, J. Rullier, présente en novembre 1872 à la municipalité un projet de déviation du fleuve. Ce personnage avait déjà travaillé en Italie, lorsqu’au début des années 1860, Cavour avait voulu créer à La Spezia un arsenal capable de rivaliser avec celui de Toulon. Il fut ainsi fait appel à la Compagnie des Forges et Chantiers de Marseille, qui elle-même se mit en relation avec une société italienne. C’est dans ce cadre qu’avait été recruté Rullier pour diriger les travaux. Mais à la mort de Cavour, selon les dires de Rullier15, le Génie civil, jusque-là soumis à la tutelle des techniciens étrangers, revint à la charge, et parvint à marginaliser le technicien français. On comprend donc d’emblée que Rullier est marqué à la fois par une appartenance aux réseaux cavouriens du pouvoir, et par une inimitié du milieu de la technique gouvernementale.
17Le projet, grâce à la déviation du cours du Tibre, aurait permis, dans l’ancien lit, la création d’un grand boulevard, long de 7 km, dans lequel auraient débouché 145 nouvelles rues. Le nouveau cours, passant au fond des Prati puis au pied du Janicule, évitait tout à fait la ville construite16. Rullier imaginait même un nouveau port commercial pour la ville, 200 hectares de forêt à planter, de nouveaux quartiers aux Prati, et la transformation des quartiers, Ghetto, Trastevere et île Tibérine, « les plus abandonnés de la ville »17.
18La ville entière aurait bénéficié du drainage apporté par le nouveau cours du fleuve, et l’assainissement des espaces anciens aurait été facilité. Rullier concluait l’opuscule de présentation de son projet avec un optimisme teinté de la crainte, déjà, de voir ses plans se heurter à de vieilles inimitiés :
Le projet de déviation du Tibre me semble donc digne, sous tous les rapports, de l’attention bienveillante et sérieuse qu’il a attirée partout. Il ne reste qu’à souhaiter que la Commission chargée de l’examiner lui accorde sa juste approbation18.
19Le maire Pianciani, qui a succédé quelques jours auparavant à Venturi, a en effet accueilli le projet avec suffisamment de bienveillance pour demander son examen par une commission municipale, créée ad hoc le 1er février 1873. Passage des Prati sur la rive « italienne », assainissement des quartiers anciens et pauvres, prestige de la capitale, le plan Rullier présentait tous les arguments susceptibles de plaire à la gauche progressiste romaine. Mais Pianciani n’était pas encore conscient, en ses premiers jours à la tête de la capitale, des enjeux liés à la remise en question implicite des conclusions de la commission gouvernementale. Rullier fera les frais de cette approximation initiale. Son projet est en effet examiné par la commission nommée par le maire, qui est présidée par Giuseppe Ponzi, professeur de géologie, et composée des ingénieurs Osea Brauzzi, « inspecteur du Génie civil gouvernemental », Gaetano Bompiani, « ingénieur en chef de première classe dans le Génie civil gouvernemental », Raffaele Pareto, également « inspecteur du Génie civil gouvernemental », et Alfredo Baccarini, « ingénieur en chef de première classe dans le Génie civil gouvernemental »19.
20La présence en force des ingénieurs du Génie civil dans cette commission montre combien le nouveau maire, à peine arrivé, a du mal à trouver ses marques dans une administration technique municipale politiquement marquée à droite, et combien le recours à des ingénieurs de son bord politique mais issus des rangs de l’État est nécessaire. Cette tendance sera une constante de l’action des giunte progressistes au Capitole, et en constituera toujours une limite. L’ingénieur municipal Angelo Vescovali, à qui Pianciani ne semble pas se fier, ne fait pas partie de la commission. Il est seulement invité à lui fournir des informations sur le Tibre. La composition de l’instance examinatrice révèle donc l’isolement du maire progressiste dans son propre dispositif technique municipal, et la manière dont le seul recours pour la gauche municipale est encore la ressource technique d’un État dont les visées sur la capitale ne peuvent être compatibles avec la volonté d’indépendance de Pianciani. Le projet Rullier, qui aurait donc pu avoir l’appui d’une part importante de la gauche municipale, n’a aucune chance dans ce contexte. L’appareil technique municipal y est farouchement opposé, et l’appareil technique d’État ne peut valider un projet de matrice à la fois privée, étrangère et capitoline, conduit qui plus est par un ingénieur dont leur corps d’appartenance avait combattu les prétentions dix ans auparavant, à l’occasion d’un autre grand chantier dans lequel était en jeu l’image de la nation et de sa science technicienne.
21Très vite, donc, à la sympathie initiale succède la nécessité politique d’écarter le projet Rullier. Un pré-rapport est établi par Bompiani. Il souligne la grande qualité du document soumis, supérieure à celle de tous les autres projets reçus, « même au projet proposé par la commission gouvernementale nommée après la mémorable crue de 1870 », mais voit en la masse de terre à déplacer un obstacle insurmontable à sa mise en œuvre20. Les techniciens de l’État appelés par Pianciani sont de gauche. Ils trouvent le projet Canevari trop timide et commencent à le faire savoir. Déplacer 10 millions de m3 de terre en trois ans apparaît à leurs yeux en effet comme une tâche non seulement énorme, mais également dangereuse, risquant de provoquer une épidémie de malaria. La déviation du cours du fleuve obligerait, en outre, à construire deux collecteurs des égouts dans l’ancien lit, ce que Bompiani juge impossible. Et pour l’ingénieur, même si on y parvenait, resteraient alors des obstacles d’un autre ordre, liés à une vague, mais en fait très claire, impossibilité de l’administration communale à s’avancer dans ce domaine. En ce printemps 1873, il apparaît donc que la mairie est suffisamment mise à l’écart pour ne pas peser sérieusement dans les débats sur le Tibre, et, malgré tout, encore suffisamment en jeu pour créer une commission ad hoc.
22Dans le même temps, au sein de la commission, Ponzi est chargé de l’examen des données géologiques21. Ses conclusions sont très partielles, et ne font que souligner la nécessité d’études complémentaires sur les marnes du Janicule. Alfredo Baccarini se charge de la partie hydraulique. Cet ingénieur du corps de l’État est connu pour ses sympathies progressistes. Il s’affirme même en ce début des années 1870, lui qui sera ministre des Travaux publics quelques années plus tard, comme un des principaux stratèges de la gauche dans le domaine. Il rappelle que, malgré le manque d’unanimité en la matière, la commission gouvernementale a « admis la nécessité d’exclure toute déviation, totale ou partielle, y compris dans les Prati di Castello et au pied du Janicule, à la suite des relevés planimétriques et altimétriques réalisés par des spécialistes recrutés par cette même commission ». Le projet Rullier est donc, a priori, condamné « par le vote d’une commission indubitablement de grande autorité en la matière22 ». Même si Baccarini prône un examen qui se défasse des idées préconçues, et souligne que « des modalités particulières pourraient conduire à un avis bien différent », il rejette le texte soumis à son examen. On sent que la gauche est en train de trouver un terrain propice au déploiement de ses idées pour la capitale, mais qu’elle ne peut le faire en soutenant, qui plus est au sein d’une commission municipale, un projet privé.
23La première réunion de la commission a lieu au Capitole le 11 février 1873. On résume le projet Rullier. Unir « à la ville principale celle de Trastevere, qui aujourd’hui ne paraît pas faire partie de Rome23 », faire de même avec les Prati, construire un grand port, utiliser les résidus des collecteurs pour la bonification agricole, chaque argument du technicien français est énuméré. Le coût total du projet serait de 74 millions de lires, que l’on pourrait ramener à 43. Rullier propose de financer les travaux par la création d’une taxe municipale sur la bonification des terrains inondables, dont la valeur augmenterait. Il se place donc résolument dans un contexte politique et institutionnel municipal. Il sait que c’est le Capitole qu’il peut séduire, et que sa seule chance est de prouver qu’il constitue une alternative aux visées gouvernementales sur l’espace urbain de la capitale. Sa seule possibilité serait de séduire les ingénieurs progressistes du Génie civil et les amener à s’investir au Capitole. Mais, au-delà des clivages politiques, l’appartenance des experts au corps du Génie les induit assurément à considérer la question sous un autre angle.
24La deuxième séance, le 18 février 1873, commence autour de la lecture d’une lettre de Rullier au maire, dans laquelle il affirme avoir reçu le soutien de nombreux ingénieurs italiens, et du sénateur Possenti lui-même, récemment disparu. Pareto, bien que reconnaissant la faisabilité du projet, le rejette. Il ne croit pas à l’avenir portuaire de Rome. Les 26 février et 5 mars, chaque membre de la commission lit le rapport. Tous sont contre. Baccarini en profite pour se prononcer également en défaveur du projet Canevari, mais on lui fait remarquer que ce n’est pas le lieu pour émettre ce genre d’avis. Déjà cependant, autour du projet Rullier, les enjeux politiques liés au Tibre commencent à affleurer de nouveau dans la capitale. Après de longs mois de parcours bureaucratique volontairement souterrain, le destin du fleuve refait surface, et fait irruption dans le débat politique romain. Le projet Rullier, évidemment, importe moins que le fait de parler de nouveau du Tibre, et de commencer à y adjoindre quelques arguments de rhétorique politique. Le Français, semble-til, est tout à fait innocent dans l’affaire, et malgré son expérience de la bureaucratie technique italienne, ne saisit bien la teneur ni des arguments, ni des débats. Il joue la carte de la municipalité, pensant trouver là un moyen d’éviter le Génie civil, mais ne mesure pas l’ampleur de la rivalité entre les deux instances. Pour les différentes factions, en revanche, son projet a le mérite, en pleine parenthèse Pianciani à la mairie, de rouvrir un débat que d’aucuns espéraient clos. Au début du mois de mars, sentant assurément que son projet allait être rejeté, Rullier fait parvenir à la mairie diverses petites notes. L’une d’entre elles, rageuse et sympathique à la fois, est digne d’être citée : « Le mot impossible en matière de travaux est aujourd’hui rayé du dictionnaire des nations »24. En politique, le mot est en revanche resté, et Rullier l’apprend à ses dépens. Les autres notes sont des réponses ponctuelles aux objections rencontrées, jalons d’un inexorable échec. Il envoie ainsi au jour le jour à la commission, par l’intermédiaire de Pianciani, des précisions sur son projet25.
25Pareto rend son rapport, pour la commission, le 15 mars : « Les membres de la commission ne furent pas tous d’accord sur les travaux qui pourront préserver la ville des futures inondations, mais tous le furent en revanche pour rechercher ces moyens dans le cadre du lit actuel26 ». Le fait que le projet Rullier aurait été de toute façon condamné par le gouvernement constitue aussi un argument de poids pour le rejeter. Dans la commission, chacun est donc conscient de la nécessité politique et institutionnelle de ne point prétendre à cet instant détourner le cours du Tibre. Toujours est-il qu’en ce début de 1873, le maire Pianciani avait jugé que la question du Tibre n’était pas définitivement jouée, et que la municipalité, ne serait-ce que pour marquer le terrain, pouvait encore se bercer de l’illusion de décider quelque chose.
26Depuis Toulon, le 25 avril, Rullier fait part de sa vive déception. Un opuscule est imprimé à Gênes et destiné à Pianciani27 :
J’ai lu avec beaucoup d’attention le rapport rédigé par la commission chargée de l’examen de mon projet de dérivation du Tibre, que vous avez eu la courtoisie de m’envoyer le 10 de ce mois. Je trouve hautement déplorable qu’une question de cette importance ait pu être combattue par ses adversaires avec des armes aussi faibles que celles dont ils se sont servis. Après les nombreuses explications que je m’étais attaché à donner, je ne pouvais imaginer que l’ombre d’un doute sur les points principaux puisse demeurer28.
27Il répète qu’il aurait aimé être entendu par la commission, et regrette la façon dont son projet a été traité par Baccarini : « Il semble clairement résulter de ce qui précède que la commission chargée de l’examen de mon projet ne possède qu’une faible connaissance de la question. Je ne crains pas de dire en effet que rien ne l’autorisait à porter un jugement aussi sévère sur mes travaux29 ». Au mois de mai, l’ingénieur français écrit de nouveau au maire Pianciani pour tenter de relancer l’examen de son projet :
S’il est vrai que du choc de la discussion jaillisse la lumière, je ne doute pas qu’à cette heure vous ne soyez entièrement convaincu et ne me rendiez la justice que j’attends de la part d’hommes compétents. J’ose donc espérer une solution définitive à cette grave question, que dans l’intérêt de vos administrés vous avez à cœur de mener à bonne fin30.
28Ce que Rullier n’a pas compris, et ne comprendra en fait jamais, c’est que dans le dossier du Tibre, la technique n’est pas seule en jeu. Elle doit composer avec les graves questions de la politique italienne dans la capitale et du rôle institutionnel de la municipalité. Il ne semble pas non plus avoir le soutien d’une grande société immobilière. Ne pouvant de ce fait jouer la carte des propriétaires, il n’aura donc pas de deuxième chance après la chute de Pianciani. Il n’a pas non plus saisi combien la question de la possible urbanisation des Prati constitue un tabou à l’époque : la capitale italienne ne se construira pas contre les murs du Vatican. C’est sur les hauteurs du plateau romain que les propriétaires municipaux acceptent d’engranger d’immenses profits dans la construction d’une ville dont certains d’entre eux réfutent pourtant encore la fonction de capitale d’un État qu’ils jugent sacrilège.
29Sentant que toute démarche auprès de la mairie est devenue vaine, l’ingénieur tente quelques mois plus tard de s’adresser directement au Roi. Le contexte peut lui sembler favorable : la ville est touchée de nouveau par une inondation, d’une ampleur certes moindre que celle de 1870, mais propice en tout cas au débat sur le Tibre :
Je ne crains pas d’affirmer à sa Majesté qu’il est le seul capable de trancher le mal jusque dans ses racines les plus profondes [...] Les objections qui m’ont été opposées ne reposent sur aucun fondement, aussi m’a-t-il été facile de les réfuter de manière péremptoire. Aujourd’hui, Sire, le Tibre recommence ses débordements, et aucune décision n’a encore été prise pour l’arrêter dans ses ravages. Des adversaires intéressés conseillent de leur côté l’adoption de demi-mesures que condamne la nature des circonstances et dont l’unique effet serait inévitablement d’entraîner l’État et la Municipalité Romaine dans des dépenses exorbitantes, sans la moindre efficacité. [...] Si Sa Majesté ne dédaignait pas d’écouter ma faible voix, elle ne tarderait pas à s’assurer que la Capitale de son Royaume serait bientôt sérieusement à l’abri de tout désastre31.
30En vain. Le chef de cabinet du Roi se contente en effet de faire suivre la lettre... à la mairie, où elle reçoit, au dos, de la main de Pianciani lui-même, l’annotation suivante : « La mairie a nommé une Commission compétente pour examiner ce projet. Elle y fut, par vote, unanimement opposée ». Le Roi en 1870, n’a pas osé passer le pont. Comment aurait-il pu, en 1873, consentir à appuyer une mesure si agressive vis-à-vis du Vatican ? Le maire continue toutefois à montrer de la sympathie envers Rullier. Il lui fait même savoir, dans une belle lettre en français, que si son projet a été repoussé, c’est en vertu d’une sorte de préséance due au plan gouvernemental : « On ne peut dire que le projet ait été écarté, mais à la vérité, c’est qu’on a crû de donner la préférence à l’autre rédigé par la Commission nommée du Gouvernement même »32.
31L’ingénieur n’en revient pas moins à la charge l’année suivante, avec la publication d’un nouvel opuscule, cette fois destiné à être diffusé, qui contient quelques révélations sur la maturation de la décision33. Malgré sa difficulté à s’orienter dans le dédale des rivalités institutionnelles italiennes, Rullier parvient à identifier, dans la préface, la raison principale du rejet de son projet : à la sympathie initiale du maire a succédé la méfiance, du fait qu’entre-temps la municipalité avait officiellement reçu le projet gouvernemental, issu des conclusions de la commission de 1871. Cette communication par voie institutionnelle, dont les archives ne portent pas la trace, paraît avoir ramené le Capitole à un horizon plus restreint en ce qui concerne l’avenir du fleuve. Est-ce donc aussi qu’entre temps la mairie faisait semblant de ne rien savoir sur ce que le gouvernement avait décidé pour le Tibre ? Quoi qu’il en soit, on apprend de la sorte que le projet Canevari (l’ingénieur est retourné à son ministère d’origine, l’Agriculture), avance dans son parcours bureaucratique au sein du ministère des Travaux publics34. La consultation des archives, aussi bien de la mairie que du Ministère, montre aussi combien les deux instances communiquent peu entre elles sur la question.
32C’est Vescovali, dans une lettre qu’évoque Rullier35, mais que les archives de la mairie n’ont pas conservée, qui aurait fait savoir à l’ingénieur français la vanité de sa quête d’une approbation officielle. L’ingénieur français raconte alors qu’il se serait rendu chez le ministre des Travaux publics, qui l’aurait assuré de l’indépendance de la municipalité romaine et de sa « liberté à agir pour le bien de ses administrés36 ». C’est à la suite de cette démarche que Pianciani aurait créé la commission municipale d’examen du projet Rullier, dans le but évident de le faire rejeter de manière formelle et définitive.
33On constate donc que la présentation du projet Rullier s’inscrit dans un moment de grande incertitude sur le sort institutionnel du projet du Tibre : l’État a décidé, mais le ministère des Travaux publics pense encore laisser à la mairie une grande marge de manœuvre. La mairie elle-même préfère ne pas prendre position afin de ne pas dissiper prématurément le flou d’une situation qui lui convient.
34Dans son récit de 1874, Rullier règle aussi un certain nombre de comptes avec la mairie : les travaux tels que décidés par le gouvernement porteraient à la ruine, il serait impossible d’en prévoir la durée, la circulation en ville serait perturbée pour longtemps du fait des travaux, les expropriations seraient extrêmement coûteuses.... Autant d’arguments que la municipalité ne saura pas entendre, avant que l’ingénieur Vescovali, quelque temps après, mais trop tard, et pour des raisons éminemment politiques, n’en développe la teneur. Rullier, là encore, fait figure de précurseur, mais jamais du bon côté : il annonce et teste les arguments de la gauche nationale en faveur de la déviation, mais est contré par une gauche qui n’en est pas encore là. Il est en avance aussi dans la formulation des objections municipales à l’action de l’État, mais dans un moment, la parenthèse Pianciani, où la mairie n’a pas encore ce souci-là.
35Rullier fait remarquer qu’il avait aussi une haute idée de ce que devait être la capitale du Royaume, avec son grand boulevard de 6 km, pourvu de trottoirs de 8 m de large (« cette magnifique voie serait une des plus remarquables d’Europe, elle embellirait la capitale d’une autre façon que ne pourra jamais le faire un fleuve pernicieux37 »), ses rues élégantes, ses squares, promenades et places, en vain. Il fustige de même un projet gouvernemental qui n’aurait pour conséquence que d’enterrer le Tibre entre de hauts murs, et de rendre, du fait du dénivelé, les rues adjacentes malcommodes et peu prestigieuses. Avec un boulevard de 30 m de large, il serait resté de plus dans l’ancien lit plus de 500 000 m2 pour de prestigieux immeubles. Quant à une île Tibérine enserrée de splendides viali, Rullier imaginait pour elle de « superbes caffè et de magnifiques trattorie, où se serait réunie la fine fleur de la société romaine38 ». Le Trastevere, de « faubourg secondaire » et de « quartier-laverie » serait devenu enfin partie intégrante de la ville. Quant au Ghetto, « quartier le plus négligé, basse localité où végète la population39 », il aurait vu sa condition s’améliorer de façon spectaculaire. Les Prati, dans le projet Rullier, seraient devenus l’extension par excellence de la ville, sans lui coûter le prix d’expropriations disproportionnées. Car c’est là un des arguments de l’ingénieur français : son projet n’aurait nécessité qu’un recours marginal à cette procédure. C’est d’ailleurs peut-être un des points qui a plus le plus fortement inquiété les grands propriétaires fonciers du Conseil municipal, déjà assurés, en cas de réalisation du projet Canevari, de toucher les dividendes de la perte de pouvoir de la mairie sous la forme de considérables compensations financières. La ville nouvelle de Rullier aurait été construite sur le domaine public dans le lit du fleuve. Et le nouveau lit serait passé suffisamment à l’écart du centre pour coûter peu en expropriations.
36Rullier conclut en demandant une enquête au Gouvernement et à la Municipalité, afin que l’argent public ne soit pas dépensé sans discernement. Il n’a aucune chance. Il est hors-jeu. En somme, au moment où il s’est présenté devant les instances romaines de la décision, il n’avait aucune chance. Il n’a pu constituer ni le recours étranger d’une municipalité désireuse de contester l’emprise grandissante du Génie civil, ni devenir le promoteur malléable d’un projet alternatif et fédérateur des opposants à Canevari. Dans ces conditions, il était impensable que l’Italie unifiée confie le prestige de sa capitale à un Français.
Le Tibre de Verda : spéculation et urbanisation des Prati di Castello
37La même année, un autre contre-projet pour le Tibre est présenté à l’administration municipale. E. Verda entend prendre le contre-pied de Canevari, et concentrer les travaux du Tibre autour de la nécessité d’urbaniser les Prati di Castello. L’argument essentiel n’est plus seulement la lutte contre la crue, mais devient également la volonté d’agrandir la ville au-delà du Tibre. L’ingénieur envoie donc à la mairie un plan d’aménagement dont le principal objet serait de rendre habitable, et donc d’ouvrir à la spéculation foncière, la zone des Prati40. Pour Verda, le projet Canevari est bon, mais peut-être amélioré pour le tronçon en amont du Ponte Sant’Angelo, et, puisque « il y a dans cette ville un besoin chaque jour croissant de nouveaux quartiers41 », il entend promouvoir un projet de détournement du fleuve qui permette à la fois d’écarter le péril des inondations et de lotir les Prati. L’ancien cours deviendrait une sorte de couture entre la ville ancienne et le nouveau quartier. Verda, qui, à l’évidence, connaît bien le projet Canevari, entend reprendre l’idée d’un lit d’une largeur constante de 100 m, mais adjoint aux murs de véritables boulevards sur les quais, qu’il nomme viali. Il pense la ville en même temps que le fleuve, démarche qui était interdite à Canevari, qui avait été contraint de feindre, pour des raisons de compétence institutionnelle, que son projet n’avait d’autre but qu’hydraulique et ne concernait pas l’ordre urbain. Verda prévoit aussi la destruction du fort du Château Saint-Ange, ne conservant au monument que son cœur antique, le mausolée d’Hadrien. Le nouveau quartier, quant à lui, deviendrait « le plus beau de Rome42 ». Un grand boulevard (viale) dans l’axe de Saint-Pierre, rejoindrait la via del Corso, un grand parc (« per i divertimenti ») serait aménagé. 850 000 m2 seraient à exproprier, compte tenu des terrains déjà de propriété publique, communale ou domaniale, et le tout laisserait à la spéculation 300 000 m2 de terrains constructibles. Pour l’ingénieur promoteur, il s’agit bien de la meilleure combinazione d’agrandissement de la ville, qui donnerait à la capitale les plus belles rues, places et promenades. Verda se déclare prêt, « en liaison avec une solide société, à présenter un projet financier définitif » et à « assumer la réalisation complète du projet43 ».
38On est là dans une autre logique : celle de la spéculation foncière. Au moment où, au Capitole, se pose la question de l’urbanisation éventuelle des Prati di Castello, zone de propriété foncière noble et ecclésiastique jouxtant le Vatican, le Tibre apparaît encore comme une frontière. Son détournement laisserait la voie libre aux promoteurs, qui urbaniseraient ainsi un espace moins marqué sur le plan symbolique. Il est évident que personne à la mairie n’est prêt à recevoir ce type d’argument en 1873, tant le veto catholique à l’extension de la capitale en direction du Vatican est intangible, mais, dans sa rhétorique, le projet Verda annonce, d’une certaine manière, les projets garibaldiens des années suivantes : déplacer le Tibre pour agrandir la rive italienne. On voit aussi avec le projet Verda comment les sociétés immobilières ont compris que tous les enjeux de spéculation foncière ne se jouaient pas le cadre des négociations sur le plan régulateur. On peut aussi peut-être considérer le projet Verda comme une précoce annonce de la conversion des propriétaires intransigeants à l’urbanisation de la zone.
Francesco Mora : premiers accents garibaldiens pour le Tibre
39Toujours en 1873, on trouve dans les cartons du cabinet du maire un autre contre-projet pour Tibre. Il émane de l’ingénieur Francesco Mora, qui présente à la municipalité un projet de dérivation. Il en publie la teneur aux presses du journal L’Opinione, avec une dédicace au général Garibaldi44. Dans ce projet se mêlent déjà opportunisme politique et intérêt capitaliste. Pressentant, sans doute, qu’autour des projets garibaldiens pour la capitale, dont on commence à évoquer la teneur, d’importants appels d’offres seraient, en cas de succès, assurés à qui aurait su prendre ses marques précocement, Mora pose les fondements d’une idée pour laquelle il a déjà prévu la constitution d’une société. Il se situe d’emblée sur le terrain politique : « Ce n’est pas parce que la tâche est difficile qu’il faut lever les accusations d’incurie à l’encontre des gouvernements précédents45 », sans que l’on sache bien à quels gouvernements l’ingénieur fait allusion d’ailleurs. Mora entend également d’entrée de jeu attaquer le projet voté par la commission Possenti : puisqu’une crue comme celle de 1870, qui revient en moyenne tous les 31 ans, coûte environ 6 millions de lires, peut-être vaudrait-il mieux, si le seul but est d’éviter la crue, placer à la banque une telle somme, et se servir des intérêts pour rembourser les dégâts ! Le but des travaux est de faire de la ville. D’où le besoin d’une valorisation des terrains par les chantiers, d’où le rejet du projet Possenti au profit de celui de Canevari. Mais Mora « propose d’arriver au même but par d’autres moyens46 » : la construction d’un canal de dérivation, qui enlèverait au fleuve une partie de son débit, (500 m3, soit 1/4 du débit maximal) et permettrait d’utiliser ces eaux à des fins industrielles et agricoles. Mora prévoit ainsi 300 chevaux de force motrice à Testaccio et l’irrigation de 10 000 hectares dans l’Agro romano. Le canal aurait au total une longueur d’environ 25 km, de l’amont du confluent avec l’Aniene à Mezzocamino. Il passerait à bonne distance des murs de la ville. Dans le Tibre, on pourrait faire à l’économie les travaux prescrits par Canevari. L’ingénieur appelle à la rescousse deux illustres prédécesseurs pour justifier l’orientation générale de son projet : d’une part l’Empereur Claude, dont la volonté de raccourcir le trajet du Tibre jusqu’à la mer est attestée par une plaque retrouvée près de ponte Galera, en aval de la ville, et que Mora reproduit47 ; et d’autre part par l’hydrologue Ferreri qui avait présenté en 1599 un projet de dérivation du Tibre. Selon Mora, à la saison des eaux basses, son projet aurait aussi l’avantage de permettre des fouilles archéologiques dans le lit du fleuve. Citant les travaux du Mississipi de Humphreys et Abbot, Mora affirme que son projet est le plus radical et le plus efficace de tous ceux en présence, et il entend rejeter les éventuelles objections par un calcul précis des dépenses envisagées, et surtout des recettes à attendre de l’exploitation du canal. Un port serait construit près de la pyramide de Caius Cestius, au débouché de la branche du canal amenant la force motrice à Testaccio. Il peut ainsi qualifier les travaux de « vraie spéculation48 », dont on peut attendre des profits. Associé à une société par actions, il ne demanderait à l’État et à la commune qu’une garantie financière et une concession de 99 ans.
40Il ne semble pas que le projet Mora ait été examiné sérieusement, ni à la mairie, ni au ministère des Travaux publics. Les archives, en tout cas, ne présentent pas d’écho d’une telle démarche. Mora, de toute façon, un peu comme Rullier, était hors des circuits susceptibles de remettre en question les grands choix faits pour l’avenir de Rome. Et son projet venait trop tôt, malgré la dédicace, pour séduire un camp garibaldien en mal d’arguments politiques dans la capitale.
Le Tibre dans le contexte du réveil politique de la gauche romaine
41C’est avec le réveil de la gauche garibaldienne à Rome et dans le pays que le Tibre devient le point crucial d’une intense activité politique49. Dans la capitale, à partir de 1873, la gauche radicale choisit ainsi de mettre en place une opposition forte, à la fois pour mettre en difficulté le gouvernement, et pour obliger les tenants d’une conduite plus modérée à inclure dans leurs revendications certains des thèmes qui leur sont chers, de l’anticléricalisme à la place de la capitale dans la Nation50. Dans ce contexte, le débat sur le Tibre sert de catalyseur à ces différents objets de lutte politique.
42Depuis la rédaction du journal La Capitale, sont ainsi lancées un certain nombre de provocations, et les journalistes participent à la réunion du 19 janvier 1873 à Milan, au Teatro Milanese, destinée à rapprocher les différents courants de la gauche démocratique autour de la lutte anticléricale. À cette réunion, participent également de nombreuses loges maçonniques, les amis de Nicotera et des personnages comme Garibaldi ou Cairoli51. Ce jour-là est votée une résolution clairement tournée contre la politique de rapprochement avec le Vatican menée par le gouvernement.
43À leur retour dans la capitale, les délégués romains qui ont participé à l’emphase milanaise décident d’organiser une nouvelle réunion, le 11 mai. Amadei, Cairoli et les rédacteurs de La Capitale en sont les principaux promoteurs. La réunion est cependant interdite par le ministère de l’Intérieur, et la manifestation de protestation qui la remplace donne lieu à de graves incidents52. La relance du débat sur le Tibre se place donc dans ce contexte d’une extrême tension, alimentée à dessein par la gauche radicale pour mettre en difficulté le gouvernement sur sa politique vaticane. Amadei et Garibaldi sont, dès cet instant, au cœur des combats laïcs dans la capitale, et le Tibre est en passe de devenir leur principal argument politique, susceptible de créer une véritable controverse. L’avocat Giovanni Innocenti lance le débat par la publication d’un pamphlet qui met ouvertement en cause les idées du gouvernement et de la majorité parlementaire, et particulièrement de Quintino Sella, pour la capitale53. Cet ancien de la République romaine de 1849 ne tarit pas de critiques contre Sella et Lanza, et notamment contre leur choix, éminemment politique à son avis, de ne pas réintégrer systématiquement dans l’appareil d’État les fonctionnaires pontificaux qui avaient perdu leur emploi à cause de leur engagement en 1849 auprès de la République. Se plaignant du fait que l’on n’utilise pas, à Rome, les hommes de talent qui ont payé de leur carrière leur idéal patriotique, et réservant de dures attaques à la génération de la droite historique, il lance aux députés de gauche un appel à la relance de la lutte politique dans le contexte romain.
44Dans le secteur des travaux publics, l’intégration des anciens des services de l’État pontifical s’était pourtant plutôt bien faite. Mais quelques années plus tard, le contexte est différent, et les plus ardents patriotes (mazziniens essentiellement), ceux qui n’avaient pu rentrer en grâce aux yeux de la génération de la droite historique, commencent à sentir que le moment est venu d’en contester l’emprise sur la capitale. Le précoce pamphlet d’Innocenti n’est que le premier signe d’un réveil de la gauche radicale, qui marque le milieu des années 1870. Plus que dans les enjeux municipaux, où rapidement la vanité de toute tentative de renverser durablement l’ordre aristocratique des choses apparaît, les artisans de ce réveil trouvent dans le contexte national et l’approche d’échéances électorales importantes le moyen de donner une résonance plus grande aux thèmes qui leur sont chers. C’est ainsi à ce moment que Rome redevient l’objet d’une controverse politique d’envergure nationale. Autant les déboires municipaux de Pianciani ne trouvent pas ailleurs dans le pays un écho important, autant les projets de Garibaldi pour Rome deviennent en quelques mois le cœur de vastes débats, et le moyen pour la gauche de se relancer à l’approche des échéances électorales.
45Jusque-là, le parcours bureaucratique des projets du Tibre au sein des différentes instances d’approbation était resté lent. À l’urgence de la crue avait succédé la paisible urgence de maîtriser à Rome toute velléité subversive autour du fleuve. Laisser travailler à leur rythme, nécessairement raisonnable, les techniciens et bureaucrates du ministère des Travaux publics était, depuis des mois, la philosophie dominante dans les milieux gouvernementaux et parmi les députés de la majorité de droite. On est d’ailleurs dans une période de basses eaux pour ce qui concerne la production d’archives dans les bureaux du Génie civil, pour le Tibre. Exceptée l’excursion vers les bureaux de la mairie d’un éventuel piano esecutivo, rien ne s’est fait. Pour cette période, on ne trouve rien de particulier, ni à l’Archivio di Stato di Roma, ni à l’Archivio storico capitolino.
46À partir de 1873 cependant, se pose concrètement, entre les institutions concernées, la question de savoir qui paiera, et qui conduira les travaux. Le projet, dit Canevari, tel qu’approuvé par la commission gouvernementale, poursuit son parcours de validation, et plus approche l’échéance, c’est-à-dire un possible début des travaux, plus se fait pressante la question du mode de financement. À la fin de l’année 1873 c’est entre la mairie, où vient d’être élu Pianciani, et la préfecture qu’ont lieu diverses négociations à ce sujet.
47Dans une lettre « confidentielle et urgente », le préfet Gadda prévient ainsi le maire des difficultés à venir sur la question entre la municipalité et la province. Le gouvernement s’attendait à ce que la participation financière de la province de Rome ne soit demandée qu’une fois les accords de financement entre l’État lui-même et la mairie fixés. Mais face à l’imminence de la fin de la mandature provinciale, le préfet en vient à demander au maire de formuler sa demande de financement « bien que les délibérations du conseil municipal n’aient pas eu lieu et que la loi ne soit pas prête »54.
48Les annotations de Pianciani en marge de la lettre montrent sa perplexité. Dix jours plus tard Gadda l’informe en effet des débats au sein du conseil provincial, entre volonté de participer aux dépenses de modernisation de la capitale, et appréhension, surtout de la part des élus des zones rurales et éloignées de la ville, face à des modalités de financement encore floues. La province, en ces derniers jours de 1873, décide de remettre la question à une session extraordinaire, ce que le gouvernement semble approuver55. Dans sa réponse au préfet, Pianciani montre qu’il a bien compris que la seule intention du gouvernement était de faire semblant de se dépêcher :
J’ai l’habitude de parler en toute franchise, spécialement avec vous, à qui me lient des sentiments d’affectueuse estime et d’amitié. Je ne puis donc vous dissimuler le fait qu’en l’absence d’une délibération du Conseil provincial, l’opposition, au sein du conseil municipal aura un bon prétexte pour suspendre les délibérations56.
49À cet instant, le schéma implicite de la répartition des tâches entre l’État et la mairie voudrait que ce soit cette dernière qui soit chargée de passer à la phase dite exécutive des travaux. L’administration municipale recevrait alors une participation financière de l’État, et le Génie civil aurait une sorte de tutelle sur les travaux. Mais avec la nouvelle, et éphémère, donne politique locale, ainsi qu’avec la campagne politique de la gauche garibaldienne, ce schéma va évoluer très nettement au profit d’une plus large prise de contrôle par l’État et ses rouages techniques des destinées du fleuve. Bien vite, en effet, les travaux du Tibre deviennent l’enjeu de rivalités politiques redoublées.
Garibaldi et le Tibre
50L’étude de la correspondance de Garibaldi, conservée au Museo Centrale del Risorgimento à Rome, au dernier étage du volumineux monument à Victor Emmanuel, montre comment, au milieu des années 1870, se réactivent, autour de la question du Tibre, des réseaux nationaux et internationaux de soutien aux visées garibaldiennes et à l’ambition de la gauche italienne de reprendre pied dans la capitale. Dans ces réseaux, se mêlent anciens garibaldiens devenus fonctionnaires, entrepreneurs plus ou moins aventureux, candidats aux élections de 1876, et fidèles parmi les fidèles du vieux général, héros des deux mondes. Toute une petite cour, aussi, de candidats à l’héritage politique du plus brave des Italiens. L’appartenance maçonnique semble constituer le ferment d’unité de cette disparate formation. Un peu comme la question ferroviaire, la question du Tibre sert utilement à la gauche italienne et romaine de terrain d’expression, et de gain d’une cohérence interne qui est jusque-là loin d’aller de soi. Autour de Garibaldi, qui fut Grand Maître du Grand Orient d’Italie en 1864 et demeure la figure de proue du mouvement, se retrouvent dans un élan commun les hommes de talent de la maçonnerie, députés, ingénieurs, pamphlétaires ou publicistes.
51Le milieu des années 1870 est de plus un moment important dans l’évolution de la maçonnerie péninsulaire57. Comme le souligne Jean-Pierre Viallet58, le Grand-Orient était, au moment de la prise de la ville éternelle par les troupes italiennes, dans une situation de profonde crise interne. Le Grand-Orient avait suivi les déménagements successifs de la capitale, après sa fondation à Turin en 1861. Mais il n’était pas parvenu à rassembler sous sa bannière les loges de l’ancien royaume de Naples, surtout siciliennes, qui demeuraient affiliées au Suprême conseil de Palerme. Le passage de Garibaldi à la tête des deux obédiences en même temps en 1864 ne constitue qu’un moment d’illusoire équilibre derrière la figure tutélaire du grand homme59. En réalité les dissensions sont très fortes60. Ce que reprochent les maçons méridionaux à leurs frères du nord est une trop grande sympathie pour les gouvernements de la droite. À partir de 1871 et jusqu’en 1880, c’est Giuseppe Mazzoni, toscan, qui dirige le Grand-Orient. Il s’attache en 1872 à réunir les deux obédiences principales à Rome sous une bannière unique. Malgré la persistance d’une controverse sur les rites, le processus de rassemblement est en marche. Depretis, Nicotera, Pianciani, Mordini font partie des frères actifs dans la capitale. Au milieu des années 1870, il apparaît clair que le chantier du Tibre constitue pour une maçonnerie en mal de combat unitaire un thème rassembleur. Les maçons sont puissants à l’assemblée, dans le Génie civil, et parmi le milieu des ingénieurs. Les travaux du Tibre sont aussi un moyen pour les maçons de relancer la lutte anticléricale après les clarifications internes de 1871-1872.
52L’année 1874 est agitée par un renouveau d’intérêt pour le Tibre. Dans les rangs de la gauche, on s’informe en tout sens, et commence à faire savoir que quelque chose doit changer dans la façon dont on traite les affaires du fleuve. Après de nombreux conciliabules, c’est au tout début de l’année 1875 que l’on commence, dans le milieu de la gauche garibaldienne, à lancer l’idée de grands travaux.
53Dans une lettre du 1er février 1875 à Garibaldi, sur papier à entête maçonnique61, le Sénateur A. Rossi, à qui le grand homme a confié son idée pour le fleuve, paraît déjà donner des conseils quant à la conduite à suivre pour la promotion de ses projets. Il l’assure de soutiens importants dans l’administration, mais lui demande de se faire indiquer le nom de « deux hommes d’intelligence et d’honnêteté supérieures à qui confier la partie technique » des desseins pour le Tibre et pour l’Agro romano.
54L’idée de relancer le débat technique est bien d’abord politique. Elle naît d’une discussion de stratégie électorale. On se chargera ensuite de trouver des techniciens pour en étoffer les aspects pratiques. Certes les projets de dérivation du fleuve ne sont pas nouveaux, et les plus anciens ont déjà quelques millénaires, mais lorsque la gauche garibaldienne s’en empare, elle leur donne une dimension et des connotations nouvelles. Les débats qui s’amorcent n’ont plus rien à voir avec ce que l’on a pu constater au sujet du projet Rullier, ou avec les gesticulations administratives d’ingénieurs soit isolés soit tentant désespérément d’apporter à une banale société financière l’occasion d’une bonne spéculation. Les réseaux, dès lors, s’affairent, et la correspondance de Garibaldi en offre un pittoresque mais sérieux écho : le 4 février 1875, le financier britannique Bernard Cracroft lui fait parvenir la lettre suivante, encore sur papier à en-tête maçonnique : « Général (...) faites-moi savoir de combien vous avez besoin pour votre grande et patriotique entreprise, et je vous ferai avoir cette somme. Si vous voulez savoir qui je suis, demandez au Foreign Office »62.
55Le 14 février 1875, Agostino Depretis, chef de l’opposition parlementaire, recommande l’ingénieur Amenduini à son ami Garibaldi63. Il l’informe également de la transmission au ministère d’une demande de reprise des études techniques, sur la rive gauche. Au plus haut niveau, la gauche parlementaire a engagé la campagne du Tibre. Garibaldi et Depretis ont évoqué plusieurs fois la question, lors de conversations privées.
56Au même moment, se trouvent à Rome deux hommes d’affaires Anglais, Wilkinson et Smith. Garibaldi les reçoit et étudie avec eux les possibilités de financer les travaux du Tibre par la construction d’un port à Fiumicino64. L’idée, semble-t-il, venait du général lui-même, qui l’avait confiée, au cours d’une promenade, à son ami maçon Arthur J. Strutt et à Wilkinson65. C’est lui qui recommande alors ce dernier, lequel se déclare prêt à financer l’opération. Le monde maçonnique anglais, avec lequel le Grand Orient italien opère un très net rapprochement, est associé de près aux visées sur la capitale, et même si on n’a de trace nulle part ensuite de réelles aides financières, il est probable que la gauche garibaldienne ait utilisé au mieux ces réseaux. Durant cette même semaine, au sein du ministère des Travaux publics, on se soucie du regain d’activité politique autour du Tibre. Parmi les hauts fonctionnaires, on compte d’ailleurs aussi des partisans du Général, tel Alfredo Baccarini, de la Direzione generale delle opere idrauliche, et ceux-ci ont été sollicités par leurs amis, plus ou moins discrètement, afin qu’ils fassent savoir où en sont les projets du Tibre. À la demande de Garibaldi, et sans l’accord de sa hiérarchie, Baccarini envoie le 15 février un dossier de documentation sur les ports d’Italie qui contient des indications sur les travaux prévus66. Mais même si les sympathies de certains fonctionnaires pour le grand homme sont connues, et leurs agissements vite passés dans le domaine public, il n’est pas sûr qu’au sein du ministère on ait déjà saisi précisément quelles étaient ses intentions. À la fin du mois de février toutefois, le cadre est plus clair : non seulement il a précisé ses idées de développement de la capitale par l’assainissement de l’Agro romano, la construction d’un port et la résolution définitive et grandiose de la question du Tibre, mais en plus les réseaux de la finance maçonnique européenne s’affairent presque au grand jour. De France, arrive ainsi une proposition de financement, de la part de Huard :
Vous faites appel aux capitaux pour procurer à l’Italie les moyens de développer son commerce et son industrie, de multiplier ses chemins de fer et d’entreprendre des travaux d’irrigation et d’assainissement autour de Rome, afin de doter cette capitale de la splendeur qu’elle mérite. Il est possible de procurer au gouvernement italien tous les capitaux dont il peut avoir besoin pour entreprendre ces grands travaux, jusqu’à concurrence d’un million de francs67.
57Il n’est encore question que de discours généraux sur l’amélioration de l’état sanitaire de Rome et de ses environs. Ni Garibaldi, ni ses partisans ne parlent encore explicitement de dérivation du cours du Tibre, et ils n’entrent pas sur le terrain de l’anticléricalisme ouvert. La question du détournement ne viendra officiellement que comme argument technique, meilleure solution pour protéger la ville contre les inondations et pour bonifier ses environs.
58Toujours en février 1875, Garibaldi reçoit encore une proposition de financement de la part de Van Montenarken, maçon belge, homme d’affaire et de diplomatie à la fois :
Illustre Général,
L’Italie a toujours eu mes sympathies ; depuis qu’elle est entrée en possession d’elle-même, elle a ma confiance.
J’y suis en touriste, mais je me suis muni de capitaux, en quête et en prévision d’affaires. J’ai suivi avec intérêt vos tentatives récentes en vue d’éveiller l’esprit d’entreprise et d’aider au développement des intérêts matériels de la Capitale, par l’étude de grands travaux utiles. L’idée de création du nouveau port de Rome me tente, mais il serait peu sérieux de ma part de dire que je suis édifié sur la valeur économique du projet. Si vous croyez pouvoir m’accorder l’honneur d’un entretien, et pour autant qu’un concours d’initiatives et de capitaux étrangers puisse, le cas échéant, vous paraître utile, je serai très disposé à donner l’attention la plus sérieuse à l’examen des affaires dont il vous conviendrait de me donner communication. (...) Ma visite, si vous daigniez l’autoriser, aurait dans tous les cas pour le prix que j’ambitionne de toucher la main du héros dont les principes sont les miens, et dont la gloire m’est chère.
Je suis, pour quelques jours, à l’Hôtel anglo-américain, où quelques lignes de réponse seront reçues avec reconnaissance68.
59Il ne semble pas que le Niçois, héraut d’une capitale protégée du péril fluvial, ait répondu. Au cours du mois de mars 1875, l’aspect technique des projets se précise. Une conférence publique est organisée, dans laquelle doivent être présentées les idées de la gauche pour le Tibre. C’est l’ingénieur Filopanti qui est chargé d’exposer le projet technique. Le personnage est un vétéran des luttes nationales69. Néoguelfe dans sa jeunesse, il s’est ensuite tourné vers l’idée républicaine et s’est rapproché de Garibaldi. Éxilé à New-York puis à Londres, il rentre en Italie au moment de l’Unité et devient un des représentants les plus actifs du courant démocratique. C’est aussi un franc-maçon. En 1871, il se décrit de la sorte : « Repubblicano come Mazzini e socialista come Garibaldi »70, se positionnant ainsi de manière décalée dans le milieu des ingénieurs de gauche. Le milieu des années 1870 marque pour lui un tournant : il prend une activité politique de premier plan. Il sera député de 1876 à 1894. Au cours de la semaine qui précède, Filopanti insiste auprès de Garibaldi pour qu’il vienne en personne animer les débats :
Permettez-moi de vous faire observer, pour renforcer ma demande, que les grandes ovations que le peuple romain vous a faites sont un hommage à votre grand et sympathique caractère et aux éminents services politiques et libéraux que vous avez rendus à l’Italie. Si vous interveniez dimanche, avec un discours sur vos projets actuels, et si simplement vous ajoutiez quelques mots, la nouvelle ovation, qui assurément arriverait, serait considérée comme une adhésion populaire à votre magnanime programme actuel, et le renforcerait considérablement face à la formidable et compacte opposition qu’il rencontre71.
60Il ne semble pas que le grand homme se soit rendu en personne au Mausolée d’Auguste. Il a néanmoins fait parvenir une lettre d’encouragement, qui fut assurément lue à la tribune. Quelques semaines plus tard, l’ingénieur lui demande d’ailleurs l’autorisation de la publier en annexe de l’opuscule qu’il prépare72. Il le tient aussi au courant de l’avancement de ses calculs. Filopanti publie dans les semaines qui suivent un projet d’aménagement du cours du Tibre. Les idées principales en sont un canal de dérivation, et la conjonction des travaux du Tibre avec la bonification de l’Agro romano73.
Depretis et la création d’une commission parlementaire pour l’examen du projet de loi Garibaldi
61Cette agitation garibaldienne a pour résultat immédiat de relancer sérieusement la question du Tibre sur la place publique. On entre alors dans la phase parlementaire de la tactique garibaldienne. Au début du mois de mars 1875, Depretis écrit au maire de Rome pour lui demander de désigner un employé municipal pour siéger à la commission parlementaire qu’il préside74. Le député vient en effet de porter la question du Tibre de nouveau au premier plan dans le débat parlementaire, et il est parvenu à obtenir la création d’une commission spéciale75. C’est Angelo Vescovali qui est chargé de représenter la commune par Pietro Venturi, à nouveau maire depuis la chute de Pianciani, « sans aucun engagement de notre part »76. À son ingénieur, le maire prend soin de préciser, dans une note interne, l’étendue de son mandat : « Je vous avertis du fait que cela n’implique aucun engagement de la part de la mairie »77. L’ingénieur municipal ne pourra, par ailleurs, accepter aucune rémunération pour sa participation.
62L’initiative de Depretis est habile : elle permet de ramener le Tibre sur le devant de la scène politique et institutionnelle, tout en marginalisant une mairie perdue à la cause progressiste.
63Quelques jours plus tard, les services du Capitole font parvenir à la commission parlementaire les différents documents rédigés par les bureaux techniques municipaux au sujet du Tibre78. À la lecture de la correspondance des différents ingénieurs progressistes, on se demande si le but principal de l’appel fait à l’ingénieur municipal n’était pas, d’ailleurs, l’obtention de ces documents. Mais il semble que ce premier envoi n’ait pas été complet, puisque trois mois plus tard, Venturi demande de nouveau à Vescovali, avec une feinte candeur, suite à l’autorisation qui lui a été donnée d’assister aux travaux de la commission parlementaire, de faire parvenir à la Chambre les mêmes documents municipaux79. L’appareil capitolin, conscient assurément de l’enjeu, paraît avoir à dessein retardé la transmission des informations. On est déjà dans une nouvelle logique institutionnelle, où la lutte pour le pouvoir national aura comme conséquence l’éviction progressive de l’échelon local dans la capitale.
64À la commission, durant les séances des 9 et 21 mars de cette même année 1875, l’ingénieur Alfredo Baccarini, représentant le ministère et aux premières lignes du combat politique garibaldien autour de la question du Tibre, présente ses propositions, qu’il se hâte ensuite de publier sous forme d’opuscule, revendiquant une précieuse bénédiction garibaldienne80. Il faut dire qu’entre ingénieurs progressistes, la lutte est déjà âpre pour recueillir la filiation morale du grand tuteur de toute l’opération. Pour Baccarini, qui avait déjà réfléchi à la question, il ne s’agirait plus de détourner complètement le cours du Tibre, mais seulement de construire un canal pour les eaux en excédent. La solution de la dérivation partielle, par un canal de décharge, revient donc sur le devant de la scène. Ce projet est une sorte de conciliation entre ce qui se fait au sein du ministère et le besoin pour Garibaldi d’occuper le devant de la scène politique. Il est en retrait, du point de vue de la transformation du paysage urbain, par rapport à d’autres plans, émanant de personnages moins engagés, par leurs charges professionnelles, dans une sorte de devoir de modération.
65Le projet Amadei, qui se réclame également de Garibaldi, est plus radical. Remis au Conseil supérieur des Travaux publics le 30 avril 1875, il s’impose rapidement, en tant que « projet Garibaldi ». Deux variantes en sont publiées, les 4 et 11 mai dans la presse81. Garibaldi écrit au président du Conseil supérieur des Travaux publics, Barilari, pour en demander l’examen.
66À la Chambre, le mois de mai est marqué, du coup, par plusieurs débats sur le détournement du cours du fleuve, et le 26, Garibaldi semble se ranger peu à peu à l’abandon de cette option. Baccarini, qui joue le rôle du fonctionnaire raisonnable au sein de la gauche radicale, se vante d’être à l’origine de la révision de la position du général.
67Pour les garibaldiens, à l’approche de l’échéance électorale, il devient plus important de prouver que l’on peut améliorer le sort de la ville que de vouloir à tout prix submerger les dépendances du Vatican et le Borgo.
68Le mois de juin voit aussi Venturi se rendre à la Chambre des députés pour rencontrer les membres de la commission Depretis, et exposer ses positions sur le Tibre82. Une intense activité semble se déchaîner autour des projets de Garibaldi, avec à la fois des antagonismes politiques et des rivalités de personnes. Il est intéressant à ce sujet de tenter de faire la part des choses. Le 1er juin par exemple, depuis le ministère des Travaux publics et la Direzione generale delle opere idrauliche dont il a la charge, Baccarini écrit à Domenico Farini, homme clé du dispositif politique garibaldien, afin de savoir quelle conduite tenir tant face aux projets que face aux ingénieurs qui les défendent. Baccarini, dont la position semble fragile au ministère depuis qu’il est sorti à découvert en terrain éminemment politique, entre engagement militant et routine bureaucratique, paraît demander à Farini de réussir à faire se rencontrer l’ingénieur et député garibaldien Amadei, qui n’a en rien renoncé à son option, lui-même et le général83. « Je passerai chez toi demain de toute façon, parce qu’il faut que tu invites le député Amadei à venir avec toi, moi et son oncle chez Garibaldi ou chez Depretis, enfin là où sont les papiers, afin de clarifier les choses [...] Après cette confrontation, je me sentirai plus libre ». À la fin de ce même mois de juin, le conflit entre Amadei et Baccarini ne s’est cependant pas apaisé, et vire assurément à la rivalité de personnes :
Je te fais suivre la lettre d’Amadei. C’est vraiment un idiot de première, et s’il croit pouvoir me refaire le coup de la fable du loup et de l’agneau, il se trompe ! [...] J’en envoie aussi une copie à Depretis et à Garibaldi, mais je ne vais pas cette fois me contenter des conseils du premier de porter plainte et du fait que le second se croie trop haut placé pour descendre s’occuper de choses plus basses. Je ne suis pas né pour faire le larbin, et je peux très bien arrêter de m’occuper du Tibre et laisser dans la course les projets des autres. J’attends donc des réponses, et si on ne m’en donne pas, je retirerai mon brouillon de projet, que je publierai le temps venu dans un journal scientifique. [...] Tu comprendras que ce n’est pas une belle perspective pour moi que de m’exposer à un fiasco presque assuré au Consiglio superiore. Tu me feras donc le plaisir d’écrire tout net à Depretis que ça ne va pas du tout comme ça [...]84.
69Car Garibaldi, entre temps, a remis le projet Amadei dans la course, et choisissant de confier la partie technique de son projet sur le Tibre à son ami politique, il a mis en difficulté les ingénieurs qui lui sont favorables au sein du ministère, au premier rang desquels Baccarini.
70Voici la lettre d’Amadei, qui a tant choqué Baccarini :
Vous vous êtes mis en avant, grâce à votre position et à vos relations, avec une idée qui était mienne, et que le général Garibaldi avait déjà approuvée [...]. La provenance de votre travail est trop claire, d’autant plus que vous étiez au courant du fait que, depuis 1847 je travaille sur ce projet [...]. À qui, par mérite ou bien par chance, se trouve haut placé, incombent des devoirs plus grands [...]. Vous devez admettre en toute conscience que votre travail ne pourra se défaire d’une question personnelle, et je vous déclare responsable du préjudice que vous avez porté à mon travail et à ma réputation85.
71Au mois de juillet, Amadei publie de nouveau son projet pour le Tibre. La proximité de l’auteur avec Garibaldi est, plus que jamais, le fondement de sa rhétorique. Le texte est daté du 15 juillet 1875. Il porte en dernière page la phrase suivante : « J’approuve et je recommande au Sig. Comm. Barilari le présent rapport. Civitavecchia, 14 juillet 1875, G. Garibaldi »86. En ce début d’été, il semble par ailleurs que le ministère des Travaux publics fasse de nouveau et à dessein traîner la procédure au sujet du Tibre, afin à la fois de se laisser le temps de la réflexion, et de ne pas avoir à affronter dans un débat trop vif les partisans des thèses garibaldiennes.
72Le maire, Venturi, s’était ainsi inquiété du sort du piano di esecuzione qu’avaient rédigé ses services techniques. Au bout de plusieurs mois, le ministre Spaventa finit par lui faire savoir, dans le plus beau style bureaucratique, que le dossier a été transmis au Sénat87. La lettre du maire était du 20 décembre 187488, la réponse du ministre, du 24 juin 1875 ! De toute évidence, ni l’un ni l’autre n’avaient envie que le dossier du Tibre n’avance trop vite dans les méandres de la négociation parlementaire. C’est sans doute encore Garibaldi qui a contraint les deux parties à rompre une inertie qui, jusque-là, leur était commode : le 18 juin, le vieil homme, depuis Frascati, demande ainsi au maire de remettre au ministre des Travaux publics le piano di esecuzione établi par les services municipaux89. Ce dernier avait dû user de l’argument du retard municipal pour éluder les questions de Garibaldi sur le Tibre.
Après l’approbation du projet de loi dont j’ai eu l’initiative par la Chambre des Députés, j’ai demandé à ce que soient transmis au Ministère des Travaux publics les documents émanant de la commission parlementaire chargée de l’examen du projet. J’aimerais que vous fassiez de même avec le projet élaboré par le bureau technique municipal, afin que tous les documents soient transmis au Sénat, puis au Conseil supérieur des Travaux publics.
73Le 20, Venturi écrit donc au ministre pour lui annoncer que l’ingénieur Vescovali lui apportera les documents dont Garibaldi a demandé la transmission90. Une lettre de l’illustre général ne pouvant rester sans réponse, dès le 21 juin le maire fait savoir au grand homme que sa demande a été satisfaite91. Un obstacle est donc levé. Le ministère saura en trouver d’autres. La mairie aussi d’ailleurs : le maire n’hésite ainsi pas à réclamer au président de la Chambre des députés, Biancheri, les documents qu’il lui avait fait parvenir, ce qui montre l’état d’esprit qui règne à la mairie : « Puisque la commission parlementaire a fini d’examiner le projet d’aménagement du Tibre, que mes services avaient remis à la représentation nationale, je vous prie de rendre les documents à l’ingénieur Vescovali »92.
74On peut presque lire entre ces lignes l’irritation du maire face au rôle qu’est amenée à jouer la municipalité, dans ces échanges éminemment politiques autour du Tibre. Le même jour, arrive de Reggio Calabria au Capitole la proposition d’un franc-maçon de financer, grâce à un héritage de cinquante millions de francs, les travaux du Tibre prônés par Garibaldi93. Elle tombe au mauvais endroit, au mauvais moment.
75Mais le mois de juillet 1875 est aussi marqué par un événement, à la fois capital et dilatoire pour le chantier du Tibre : le vote d’une loi spéciale par la Chambre des députés. Réponse contrainte à l’agitation garibaldienne et aux menées parlementaires de Depretis, elle s’avère en effet surtout le moyen de faire semblant de décider quelque chose. Aux travaux de la commission Depretis, en effet, ne pouvaient pas ne pas suivre des conséquences législatives. Mais la majorité n’allait pas, non plus, voter les propositions, trop marquées politiquement, de l’opposition. On aura donc une loi de circonstance, qui deviendra la référence législative principale pour le Tibre pendant environ cinquante ans, mais dont le contenu est modeste.
76La loi du 7 juillet 1875, n°2583, déclare en effet les travaux du Tibre d’utilité publique. Des dépenses, jusqu’à 60 millions de lires, dont la moitié serait payée par l’État et le reste aux 3/4 par la mairie et à 1/4 par la province, sont autorisées. Les travaux devront être approuvés par le Conseil supérieur des Travaux publics, instance du Génie civil. Une commission de vigilance, dépendant aussi du Génie civil et composée de deux membres nommés par le gouvernement, deux par la mairie et un par la province, est chargée de surveiller leur exécution. Mais sur le fond (déviation ou pas) rien n’est vraiment tranché. Pour déclarer l’aménagement du Tibre d’utilité publique, sans plus de précision, il n’a guère été difficile de trouver une vaste majorité, et, par cette manœuvre, la gauche a été contrainte de baisser d’un ton dans l’utilisation du dossier du Tibre dans le débat politique et parlementaire. La majorité parlementaire parvient ainsi à minimiser l’ampleur de l’emprise garibaldienne sur la capitale.
77Dès le 13 juillet, le ministre des Travaux publics invite d’ailleurs le Conseil supérieur des Travaux publics à s’occuper du dossier du Tibre, et nomme une commission spéciale de cinq inspecteurs du Génie civil afin de préparer les réunions du conseil. Encore une commission, toujours sans but précis autre que d’affirmer la compétence d’une instance donnée. Mais un des acquis de la loi de 1875 est le renforcement de l’emprise ministérielle et étatique sur le fleuve urbain. Entre le moment où est nommée la commission parlementaire Depretis, et le moment où, à la suite de la loi de 1875, l’administration ministérielle se remet en marche, le Génie civil a considérablement gagné en légitimité pour intervenir directement sur le Tibre dans son tracé urbain. Au-delà de l’affrontement politique, donc, qui à ce moment est loin d’être apaisé, la rivalité institutionnelle entre État et mairie a connu un tournant important.
78Ayant perdu la mairie, et abandonné toute velléité de conquérir la capitale depuis le Capitole, la gauche a lancé sur le Tibre une offensive parlementaire d’envergure, dont, par ricochet, un des résultats a été la validation de la tutelle ministérielle sur le fleuve en ville.
79Pour le ministère et le génie civil, l’agitation garibaldienne a donc été, d’une certaine manière, l’occasion de faire un pas de plus dans le contrôle du dossier du Tibre. La mairie a perdu sur tous les fronts.
80On a alors deux cheminements du dossier : l’un politique, autour des diverses déclarations du général et de ses amis, l’autre bureaucratique, autour de l’avancée du génie civil dans la maîtrise d’un chantier central dans le devenir de la capitale. Ces cheminements se croisent parfois, et parfois divergent tout à fait. Au mois de septembre 1875, une lettre de Augusto Brancianti, de Ravenne, à Farini, laisse deviner combien la personne même de Garibaldi est encore au cœur des enjeux politiques dans la capitale : « J’espère que la présence de Garibaldi à Rome forme une base de réconciliation entre les diverses factions du parti libéral. [...]. Il est urgent que la Droite cesse son attitude partisane et sectaire »94. Les travaux du Tibre sont à replacer dans ce contexte, à la fois de lutte contre l’hégémonie de la droite historique dans le choix du destin de la capitale, et de recherche par les garibaldiens d’un terrain fédérateur pour leur propre camp. Après l’obtention d’une loi spéciale pour le Tibre, reste à mettre de nouveau en danger le gouvernement sur le contenu des projets pour le fleuve. L’obliger, aussi, à prendre position.
81Garibaldi occupe donc le terrain, et organise plusieurs excursions en vaporetto, par lesquelles, en ce début d’été 1875, la volonté de la gauche de prendre en main l’avenir de la ville se donne à voir à l’opinion95. Le fleuve se fait théâtre politique de ce que l’on pressent déjà être un tournant important pour l’Italie libérale. À l’automne, le conflit de personnes entre Baccarini et Amadei autour du Tibre garibaldien connaît un nouvel épisode : dans une lettre à Garibaldi, l’ingénieur bafoué fait part de ses conditions pour accepter de serrer la main d’Amadei, comme le lui demandé le général, dans une volonté de redonner de la crédibilité à sa campagne en réconciliant deux des principaux acteurs :
En cinquante ans, je n’ai jamais eu de raison de me plaindre. J’ai vraiment été un enfant gâté de la chance. Je n’ai donc pas de rancœur, et il ne me coûte rien de satisfaire à votre désir de me voir serrer la main de l’ingénieur Amadei, faisant comme s’il n’avait jamais écrit la lettre qu’il a cru bon de me faire parvenir [...]. Mais puisqu’il a aussi médit de moi, devant un public dans lequel on compte mes frères, ma famille, mes amis et même mes enfants, désormais en âge de comprendre, je lui demande de clarifier l’équivoque de la même manière, en public. Seulement alors, je pourrai lui serrer la main, puisqu’en jeu est le seul patrimoine dont je suis riche, et que je me dois de défendre : l’honneur [...]. Je serais désolé si cette réponse ne vous satisfaisait pas complètement, car je n’ai d’autre désir que de vous faire plaisir, et de vous rendre service96.
82Comme quoi, les affinités politiques et la fraternité maçonnique ont parfois du mal à transcender les rivalités professionnelles et les susceptibilités de corps, voire la simple et banale animosité entre rivaux. Mais à l’automne, loin de ces conflits, ou plutôt discrètement dans le sillage de ceux-ci, le Génie civil parvient à asseoir, un peu plus, son emprise sur le Tibre et le gouvernement à officialiser un peu plus la ligne Canevari : le 25 novembre 1875, la commission interne au corps soumet en effet au Conseil supérieur ses conclusions, qui valident, à peu de chose près, celles de la commission gouvernementale de 1871. Le conseil les entérine par son vote du 29 novembre 187597. La mairie n’est pas au courant de ces décisions.
83Le tout début de l’année 1876 voit Garibaldi poursuivre son intense activité de promotion des projets de dérivation. Le 29 décembre 1875, il écrivait à Silvio Spaventa, ministre des Travaux publics, à la fois pour demander des informations sur l’état d’avancement des procédures en cours, et pour tenter de voir s’il ne serait pas possible de réviser, dans un sens qui lui conviendrait, les décisions prises auparavant pour l’aménagement du Tibre98. La réponse99, quelques jours plus tard, rappelle au général que le gouvernement avait présenté à la Chambre un projet de loi en vue de permettre un démarrage rapide des travaux, mais que l’examen de ce projet a été retardé par la volonté de la commission des Finances de prendre en compte des études encore en cours, notamment au sujet de l’éventuelle suppression du méandre de San Paolo, en aval de la ville.
84Évidemment, Garibaldi ne peut être dupe, et sait parfaitement que la commission des Finances est partie intégrante du dispositif gouvernemental pour diluer la pression et ôter au chantier du Tibre son caractère de trop forte actualité. Le ministre fait savoir à Garibaldi qu’il souhaiterait cependant, en attendant les résultats des études, commencer les travaux dans le tronçon urbain tels qu’ils avaient été fixés. La tentative est donc de faire semblant d’étudier une dérivation, mais en aval de la ville, en chargeant l’ingegnere capo del Genio civile, Natalini, d’une nouvelle étude, tout en prenant soin de clore tout débat quant au cours du fleuve dans son tracé urbain. Mais comme, en ce début d’année 1876, il est impossible pour le ministre de heurter trop frontalement l’opposition garibaldienne, et surtout la susceptibilité politique et personnelle de son chef, Spaventa fait montre d’une certaine volonté de conciliation : « puisqu’il est dans l’intention du Gouvernement de ne pas se prononcer sans avoir tous les éléments nécessaires à une décision sûre et pondérée » l’ingénieur Natalini sera également chargé de poursuivre des études, non pas sur les projets du camp garibaldien, mais, habile manœuvre, sur tous ceux livrés au débat. « Je ne vous dissimule point, cependant, que, malgré toute l’alacrité déployée, il faudra du temps ». Du temps, en pleine crise politique, c’est ce dont le gouvernement a besoin face à l’intense activité politique et technique des garibaldiens à Rome.
85C’est alors qu’au sein du Génie civil se dessine l’hypothèse d’un bureau spécial pour le Tibre. La prise de contrôle de l’artère fluviale au cœur de l’espace urbain par l’appareil d’État se fait plus que jamais dans le contexte de la rivalité entre droite risorgimentale et gauche garibaldienne, profitant du fait que, dans ces circonstances, le monde catholique et propriétaire a tout intérêt à laisser faire la droite, et à ne pas enflammer les débats en lançant la mairie dans l’arène. Parallèlement, le réseau garibaldien continue également de se mettre en place. Au mois de mars, arrive ainsi de Barcelone une belle lettre de recommandation, écrite trois jours après la chute du ministère Minghetti, d’un fidèle maçon pour son modeste père, batelier du Tibre. Elle montre qu’à tous les niveaux on s’affaire :
Barcelone, 21e jour du 3e mois de la vraie lumière 5876, F...
Je vous recommande mon père, le plus expérimenté des pilotes du Tibre. Vous pourrez vous en servir pour avoir des informations sur la question du Tibre. Vous pourriez le charger de quelque tâche, il vous sera fidèle comme je le suis moi-même, et comme ça il pourra gagner sa vie100.
86D’une manière générale, notons que le déploiement du réseau garibaldien dans la capitale se fait non seulement hors de la structure municipale (où le général n’a pas d’allié dans les services techniques) mais aussi hors du Génie civil où ses affidés ont dû revenir à une modération incompatible avec le besoin d’accents rhétoriques forts au moment de la campagne électorale.
87L’alternance politique, évidemment, donne une nouvelle chance aux partisans du général de faire entendre leur voix. Le but n’est jamais de conquérir la mairie – l’échec de Pianciani a été analysé –, mais directement de contraindre l’État à rouvrir le débat sur la capitale. Et la controverse technique est sans doute à ce moment donné le meilleur moyen pour le faire. Le Capitole n’est cependant pas totalement exclu de l’agitation : les sièges de conseillers municipaux de Garibaldi et de quelques-uns des ses partisans servent de caisse de résonance à leurs projets.
88La situation change ainsi totalement avec l’arrivée de la gauche et de Depretis au pouvoir. Toujours au mois de mars, arrivent à Garibaldi de nombreux conseils de sympathisants pour contourner les obstacles et objections mis en avant par le conseil supérieur des Travaux publics dans le but de repousser la solution Filopanti de déviation du cours du Tibre. Entre stratégie politique et arguments techniques, ces suggestions montrent combien, en cette période, la technique est soumise aux rigidités et aux tensions du cadre politique, administratif et bureaucratique. C’est par exemple F. De Grandis qui propose à Garibaldi d’amender la proposition Filopanti dans un sens qui ôte aux fonctionnaires du ministère tout argument contre elle101. D’autant plus que la situation politique est désormais tout à fait différente : au ministère commencent à s’installer, dans des positions dirigeantes, des ingénieurs issus des rangs de la gauche.
89L’ufficio tecnico speciale del Genio civile per la sistemazione del Tevere, dont la création est entérinée par le nouveau ministre, Zanardelli, s’occupera du fleuve102. L’alternance a confirmé et approfondi l’emprise du Génie civil. On entre alors dans une nouvelle phase, où les périples du projet du Tibre suivent les difficultés de la gauche nouvellement au pouvoir à s’unir. Les projets de dérivation seront tantôt gênants, tantôt d’utiles aiguillons. Le bureau spécial pour le Tibre incarne la réussite de la prise de contrôle par les ingénieurs de l’État du chantier du Tibre. Ils rédigeront les plans d’exécution des travaux. Vescovali, de nouveau marginalisé, sera allègrement pillé, ce qui est après tout un moyen de médiation avec la mairie : l’État s’inspire dans ses plans de ce dont rêvait le Capitole, à quelques nuances près103.
90Mais une fois au pouvoir, la gauche n’a plus aucun intérêt à agiter le thème de l’anticléricalisme et à envisager de faire passer un fleuve le long du Vatican pour en repousser l’aire d’influence. Avec la dégradation du climat politique, et la fin de la cordialité interne à la gauche affichée, à la fin de l’été 1876, l’embarras gouvernemental face à la pression garibaldienne dans la capitale sort du domaine de la technique : au début du mois de septembre, la presse conservatrice accuse Garibaldi d’avoir accepté du ministre Nicotera 130 000 lires en fonds secrets comme dot pour ses filles. C’est Luigi Amadei qui, après une rencontre avec le ministre, rédige lui-même la réponse de Garibaldi, qui à ce moment s’est déjà retiré à Caprera : « J’ai lu, dans certains périodiques, que le Ministre Nicotera aurait prélevé 130 000 lires des fonds secrets de son ministère pour doter mes filles. Cela est faux, et constitue une offense à mon nom et à celui du Ministre »104.
91Ce type d’attaque semble avoir contribué à décourager et fatiguer encore un Garibaldi qui avait déjà, en partie, renoncé à sa bataille romaine en se retirant à Caprera. De son refuge de tranquillité, Garibaldi propose à Amadei de lui céder son poste de député. Après la victoire électorale, le Tibre intéresse nettement moins le grand homme, et la vieillesse, mêlée à une certaine lassitude face aux bassesses de la vie politique, commence à prendre le dessus.
92Dix jours plus tard, dans une nouvelle lettre à Garibaldi, Amadei tente de convaincre le vieil homme de ne pas abdiquer. C’est une réponse à la volonté exprimée par le général de se démettre de ses fonctions électives à Rome, tant de député que de conseiller municipal. La lettre est publique, destinée à être imprimée dans la presse :
Illustre Général Garibaldi,
Les grands hommes appartiennent à la patrie, non plus à eux-mêmes ; et Rome reconnaissante doit avec orgueil consacrer la représentation de la Nation et de la Municipalité au Citoyen à qui elle doit une grande part de son indépendance et de son unité.
Général, la singulière estime dont vous m’honorez me fait espérer que ma prière, avec les autres, influentissime, que je vous remets, pourra être de quelque valeur pour vous faire revenir sur une décision qui constituerait une grande douleur nationale.
Vos puissants amis feront valoir vos justes idées pour Rome, et soyez sûr que les obstacles n’en arrêteront pas le triomphe.
Recevez, et transmettez à toute votre famille, mes plus cordiales salutations, et sachez, illustre général Garibaldi, député au Parlement, que je vous suis tout dévoué105.
93Le même jour, Amadei écrit au général, cette fois de manière confidentielle :
Je suis profondément bouleversé de l’estime et de l’immense honneur dont vous me faites preuve en me proposant pour votre poste de député. Mais cela n’est pas possible : vous devez absolument faire le sacrifice de retirer votre démission et conserver vos postes aussi bien au Parlement qu’à la mairie, comme menace continuelle, grâce à votre puissante parole, contre l’arbitraire et le mauvais gouvernement (sgoverno).
Il importe peu que vous soyez à Rome, si cette demeure ne vous convient pas, mais vous devez présenter votre héroïque personne dans ces moments graves et solennels afin d’amener les masses vers leurs droits, vers les devoirs envers la patrie. J’attends de vous la réponse suivante : colonel Amadei, je retire ma démission sur la demande de mes amis politiques les plus chers106.
94La lettre se termine cependant par les suggestions suivantes : d’une part amener Nicotera à faire pression sur Zanardelli pour le Tibre, et d’autre part... proposer la candidature d’Amadei lui-même dans une autre circonscription du Latium, « pour mieux défendre vos projets pour le Tibre et l’Agro romano ».
95Dans un post-scriptum adressé à Basso, secrétaire particulier de Garibaldi, Amadei rédige un brouillon de lettre de Garibaldi au ministre Nicotera dans laquelle le général retire sa démission,
à condition que vous vouliez bien soutenir mes arguments face au ministre des Travaux publics, selon les instructions que j’ai données à mes ingénieurs Amadei et Landi. Il est temps que les cardinaux de l’ingénierie cessent tout équivoque et n’abusent plus de la bonté du ministre Zanardelli. Je saurai ainsi si on veut réellement faire du bien à Rome, ou seulement satisfaire l’ambition et les intérêts de ces Cardinaux. Je vous demande enfin d’appuyer la candidature d’Amadei, avec certitude de réussite, s’agissant de la seule personne en qui sont incarnées mes idées pour Rome107.
96Basso a donné suite. On sent bien au ton de la lettre que ce que dénoncent les garibaldiens, c’est la manière dont la gauche, une fois arrivée au gouvernement, reprend la ligne de conciliation avec le monde catholique que la droite avait mise en place. Le dossier du Tibre est le parfait exemple de ce qui va devenir le phénomène du trasformismo.
97Au mois d’octobre, Amadei fait parvenir à Garibaldi une nouvelle lettre. Mais nous sommes cette fois de nouveau en pleine campagne électorale108. L’ingénieur se présente à Anagni, et demande que le général fasse parvenir des lettres de recommandation au préfet de Rome, au sous-préfet de Frosinone, à la presse (La Capitale, Il Giornale), aux divers maires de la circonscription, dont Sterbini, fils du garibaldien de 1848, et aux associations ouvrières.
Votre puissante parole pourrait me donner la certitude de la réussite, non pas tant pour moi que pour défendre vos idées sur la bonification de l’Agro romano et l’aménagement du Tibre. [...] À la vérité, il s’agit de neuf lettres en tout. J’abuse un peu trop de votre bonté. Mais c’est que je lutte contre le parti des prêtres, puissant en ces lieux, et si je n’ai pas ces saints-là pour moi, ma candidature échouera109.
98Il semble que le colonel Basso ait bien donné suite à ces requêtes, et que les neuf lettres de bénédiction aient été signées.
99Le parcours bureaucratique du projet du Tibre se poursuit quant à lui avec une parfaite logique. Le 13 décembre 1875 et le 20 mai 1876, la commission générale du budget approuve le projet du gouvernement, qui est validé par la loi 3201 du 30 juin 1876. Le directeur du bureau du Tibre, Natalini, rédige quant à lui avec ses ingénieurs un projet exécutif pour le tronçon jouxtant le Château Saint-Ange110.
100Le 25 août 1876, le ministère des Travaux publics demande au conseil municipal son avis sur trois interrogations relatives au Tibre. Il n’est plus question de participation de la mairie à la décision, mais seulement d’un avis consultatif. Le ministère et les ingénieurs du Génie civil, qui sont parvenus à prendre les affaires du Tibre en main, lui demandent seulement son opinion sur trois questions précises, qui ne remettent en aucun cas en cause la suprématie administrative du ministère111. L’État, travaillant au bien-être de la ville, demande son avis aux autorités locales sur quelques points précis. Telle est la rhétorique utilisée. Les questions techniques sont d’une importance capitale, mais sont insérées dans un schéma administratif qui sanctionne déjà la défaite de la mairie.
101Voici les trois questions posées :
- Dans la partie urbaine du cours du Tibre, la municipalité préfère-t-elle des murs droits, ou légèrement penchés ?
- Le plan des Lungoteveri doit-il se situer à 17 ou à 16,57 m au-dessus du zéro de l’hydromètre de Ripetta ?
- Doit-on dévier le cours du Tibre dans les Prati di Castello ?
102Le débat technique, en apparence, est donc de nouveau totalement ouvert. Sauf que le débat administratif et institutionnel est cette fois bien verrouillé. Avec les pressions garibaldiennes, et la campagne électorale, on a assisté à la fois à une étape supplémentaire dans le processus de mise à l’écart de la mairie et à l’avancée de l’option administrative étatique au-delà, voire au travers, des vicissitudes de la décision technique. Quelle que soit la décision désormais, le Génie civil s’en occupera. La mairie n’est consultée que pour avis, on peut donc se permettre de feindre de lui laisser la plus grande latitude imaginable. Son avis peut aussi servir d’argument la faction la plus modérée des ingénieurs du Génie face aux maximalistes.
103Comme d’habitude, l’arrivée des questions sur le bureau du maire provoque la création d’une commission municipale. Sont donc nommés pour en faire partie F. Vitelleschi, R. Canevari, L. Gabet, F. Rattti, et E. Ruspoli.
104Notons, qu’encore une fois, Vescovali ne fait pas partie de la commission. Cet ingénieur, un des plus prolifiques, et assurément des plus compétents au sujet du Tibre, aura passé sa carrière à être exclu des pourtant nombreuses commissions créées. La lecture des délibérations et du rapport de la commission montre combien sa marge de manœuvre était étroite. Pour la réponse à la première question, par exemple, l’avis de Vescovali, partisan des murs en pente, est écarté, au motif que puisque c’est le Génie civil qui décide et qui conduira les travaux, il vaut mieux se ranger à son avis :
Comme c’est le Conseil supérieur des Travaux publics, et donc le Génie civil, qui assume la responsabilité des travaux, et est, par la loi, chargé de les mettre en œuvre, il a semblé à la commission que les méthodes prescrites par le Conseil supérieur devaient servir de base à notre jugement »112. Les murs verticaux sont beaucoup plus chers, mais les expropriations plus chères dans le cas de murs obliques. La commission se range à l’avis du Génie civil, qui en 1873 signalait aux ingénieurs de la mairie que « les rives inclinées conviennent aux bourgades (borgate) et aux villages (vilagi) où l’embellissement est affaire secondaire113.
105Tant pis pour l’ingénieur municipal et pour ceux dont il défendait les intérêts. La mairie accepte une réduction des indemnités d’expropriation contre la certitude ne pas voir le cours détourné. À la deuxième question, la commission répond 17 m, afin de ne pas avoir à utiliser les parapets comme protection contre les crues. Réduire la dénivellation entre les lungotevere et les rues adjacentes devient donc un objectif secondaire. À la troisième, la réponse est claire : la mairie ne veut pas d’une déviation du cours du fleuve « contre laquelle l’opinion publique s’est clairement manifestée ». De toute façon, la commission ne dispose pour juger que d’un « schéma ». Elle formule de « graves préoccupations » sur ce point.
106Il semble que les réponses de la municipalité romaine parviennent au ministère le 20 février 1877114. Là, l’ufficio tecnico speciale del Genio civile per la sistemazione del Tevere a commencé son travail de préparation d’un piano esecutivo pour la première tranche des travaux. Ses archives montrent que l’avis de la municipalité compte peu, et que le travail avance vite115.
107On choisit cependant de ne pas invalider encore d’emblée l’hypothèse d’une déviation du cours du fleuve, et les plans préparés sont d’abord ceux du tronçon qui, a priori, ne serait pas concerné. Toute l’année 1877 est consacrée à ce travail. Le 31 mars, le directeur général pour les travaux hydrauliques au ministère écrit à Natalini, directeur du bureau du Tibre, qu’il est important d’avancer désormais, de nombreuses « pressions » s’exerçant sur le gouvernement. Ce dernier, écrit le directeur général, « devra rendre des comptes sur l’avancement des travaux de la première série »116. Le 20 avril, un premier projet est remis, mais le conseil supérieur des travaux publics demande à ce qu’il soit amélioré.
108En novembre cependant Zanardelli quitte le ministère, et, lorsque Perez le remplace, de nouvelles directives sont encore données, par des lettres estampillées « urgentissimo ». Il s’agit d’arriver au plus vite au premier appel d’offres. Les 29 décembre 1877 et 30 mars 1878 est présenté le premier piano esecutivo117 par l’ufficio speciale au Conseil supérieur des Travaux publics. L’ingénieur Vincenzo Clerici semble y avoir donné la plus forte contribution. Une version du projet est envoyée, pour information, à la mairie le 15 janvier. Le maire accepte, avec des réserves sur l’île tibérine et sur les ponts, désormais seul domaine restant aux services municipaux et au talent de Vescovali118. La mairie se plaint encore malgré tout de devoir donner un avis sans être en possession de l’ensemble des documents119.
Zucchelli, l’ufficio speciale, et le Tibre
109Le Génie civil avait déjà commencé de préparer un plan d’exécution des travaux, sous la direction de Natalini. Mais par rapport au plan Natalini, marqué par la volonté de suivre à la lettre le projet Canevari tel qu’il avait été voté, et qui avait donné lieu à de vives négociations avec le Ministère de la Guerre, conclues dans une certaine incompréhension par une rencontre devant le Château en octobre 1876120, celui du nouveau directeur, Zucchelli, qui a eu des instructions directes du ministre, vise à une efficacité immédiate. On choisit donc un tronçon sans débat, et une solution qui ne mette pas en péril l’intégrité des bastions du Château Saint-Ange. Cinq ponts doivent être construits ou modifiés, l’élargissement du lit concernera la rive droite, et un port fluvial à Ripetta est prévu. Le rapport introductif, par le directeur du bureau du Tibre, souligne que c’est à la suite d’un ordre du Conseil que ce plan a été rédigé. Les appels d’offres se font de manière parallèle, sous la tutelle la plus directe du ministère. Le but est maintenant d’aller vite, et Zucchelli reçoit des félicitations de ses supérieurs pour sa rapidité et son efficacité121.
110Le 19 juin 1878, est signé un contrat avec l’entreprise Santini Carlo, pour les travaux en aval de Ponte Sisto122. Avec Zucchelli, cependant, resurgit l’hypothèse de la déviation. Jamais, même, elle n’avait été évoquée avec autant de sérieux et à un si haut niveau hiérarchique dans le ministère. Les combats internes à la gauche autour du ministère des Travaux publics se manifestent par de forts changements de cap dans la gestion du chantier du Tibre.
111L’Archivio di Stato di Roma renferme deux beaux cartons sur les projets Zucchelli123, et même si les plus beaux dessins sont sans doute allés enrichir la collection de quelque ingénieur parmi ses successeurs, avant le versement aux archives, il en reste suffisamment pour se faire une idée précise de la manière dont le projet a été évoqué pendant plusieurs mois comme hypothèse prioritaire au ministère.
112Giacomo Zucchelli, directeur du bureau spécial pour le Tibre, a donc bel et bien étudié la possibilité de dévier le fleuve au travers des Prati di Castello124. Cet ingénieur qui, quelques années plus tôt, avant sa nomination dans la capitale, s’était occupé des eaux dans la province de Mantoue125, a consacré plusieurs mois à la préparation d’un projet de déviation extrêmement détaillé. Plusieurs de ses ingénieurs du bureau spécial l’assistent dans cette tâche.
113Mais avec l’apaisement du climat politique et administratif, ce projet, qui n’a servi en fait que moyen d’une sorte de chantage des techniciens garibaldiens face aux modérés est abandonné quelques mois plus tard. On assiste ainsi à un retour à la procédure normale et au projet Canevari. Les plans de Natalini, inspirés du projet Canevari (et des déclinaisons imaginées par Vescovali), servent de base au lancement effectif du chantier. L’important, dès lors, réside dans les appels d’offres et dans le contrôle de la sphère des entrepreneurs par le Génie civil gouvernemental. Mais derrière l’impression d’un renoncement aux principes garibaldiens, cette décision en masque en fait une autre bien plus cruciale : avec le projet Natalini le Ministère écarte de fait la mairie et le projet Vescovali dans la rédaction du plan exécutif des travaux du Tibre, confirmant ainsi les attendus d’une loi de 1875 que les débats électoraux auraient pu fragiliser. Le chantier se fera dans la tranchée domaniale, sous la conduite exclusive des ingénieurs gouvernementaux. Ce coup de force discret (car on continue de disserter en public sur la déviation), est aussi un acte unilatéral qui, en quelque sorte, propose une voie médiane (à défaut de médiation) à la mairie : nous renonçons à venir sur votre terrain, mais nous restons maîtres sur le nôtre.
114Entre 1873 et 1878, on a donc assisté à divers retournements dans la controverse technique sur le Tibre, qui, à chaque fois, étaient subordonnés à un enjeu politique. Le fleuve a ainsi servi de caisse de résonance à la rhétorique risorgimentale dans la capitale, et de moyen de porter le débat sur le terrain de l’anticléricalisme sans pour autant attaquer directement l’Église. Mais l’étude de l’impact des projets les plus ambitieux sur la procédure bureaucratique montre que d’autres logiques sont aussi à l’œuvre, entre esprit de corps, conciliation avec le camp adverse autour d’un minimum acceptable, et avancées destinées en fait à contraindre l’autre à passer à l’action. Ce que cette lecture des vicissitudes de la procédure montre, c’est aussi l’importance des dissensions internes à la gauche au moment de prendre le pouvoir, et la manière dont, pour les milieux désormais gouvernementaux se dessine rapidement la ligne de la modération.
115On ne parle plus dès lors de détournement du Tibre. Mais, par les appels d’offres, l’esprit du chantier reste à détourner (sinon la manne financière mise en jeu). Le monde catholique, qui a passivement mais sûrement contribué à imposer le projet modéré, aura ainsi de nouvelles occasions de rentrer dans le jeu de la modernisation de la capitale, et par là dans la vie nationale. En 1894, lorsqu’Emile Zola visite Rome, il exprime de la sympathie pour le projet de détournement du Tibre :
Garibaldi avait soumis à la Chambre, en se résignant à prêter serment à la monarchie, le projet de détourner le Tibre, de le faire passer hors de Rome, pour en fouiller ensuite le lit. Projet grandiose, qui n’aurait pas coûté plus cher que les quais nouveaux et dont les résultats pouvaient être incalculables pour la grandeur de Rome126.
116Mais au-delà des considérations esthétiques, ce que l’analyse du parcours de la décision sur le Tibre au moment de l’alternance montre, c’est la grande ductilité d’un projet technique dont les composantes en viennent peu à peu à constituer la grammaire d’un langage codé. Par les projets pour le Tibre, on construit, entre 1873 et 1878, les différentes visions non seulement de ce que doit être l’apparence de la capitale, mais surtout de comment doivent s’articuler les différents pouvoirs : local et central ; censitaire des propriétaires et bien commun par exemple. Chaque projet porte en lui une ressource rhétorique, qu’il convient ensuite d’utiliser dans les débats. Quitte ensuite à revenir à la case départ. C’est-à-dire au projet Canevari tel que laissé dans son état de 1871. Les débats techniques et les rivalités spatio-institutionnelles se déplaceront alors sur d’autres terrains.
Notes de bas de page
1 V. Segalen, Équipée, Paris, 1929, rééd 1983, p. 39.
2 Sur ce point, voir : G. Marongiu, op. cit., t. 2, La politica fiscale della sinistra storica (1876-1896), p. 38 et s. Voir aussi : S. Rogari, La Sinistra in Parlamento : da Depretis a Crispi, dans L. Violante (dir.), Il Parlamento. Storia d’Italia. Annali 17, Turin, 2001, p. 125-161.
3 Sur ces questions : G. Candeloro, Storia dell’Italia moderna, op. cit., Vol. 6 ; R. Romanelli, L’Italia liberale, op. cit., p. 109 et s. ; M. Piretti, op. cit.
4 En novembre 1874, la gauche sicilienne remporte 40 postes de député sur les 48 de l’île.
5 Voir à ce sujet le discours de Depretis à Stradella, publié par Il Diritto, 10 octobre 1875. On peut voir aussi la lecture de ce tournant politique par G. Candeloro, op. cit., ainsi que R. Romanelli, op. cit.
6 Sur ce point, voir G. Candeloro, op. cit., p. 84-101.
7 Crispi est accusé de bigamie par le journal Il Bersagliere. Voir G. Candeloro, op. cit., p.102 ets.
8 Sur l’œuvre de ce personnage à la tête des instances techniques de l’État : M. Minesso, Gli ingegneri del genio civile e la riforma Baccarini, dans G. Melis et A. Varni (dir.), op. cit., p. 151-181.
9 Par exemple : I. Villa, Proposta sociale avente un fondo di lire 50 milioni per le generali operazioni dell’Agro Romano, cioè intera bonificazione agricola, lavori idraulici, porto, incanalamento del Tevere e relativa ferrovia. Con progetto pratico per la tassa unica e quadri sinottici finanziari di 72 Stati, Milan, 1872. Cette proposition devient en 1875 : I. Villa, La bonificazione dell’Agro romano da farsi senza alcuna operazione di prestito. Considerazioni tecniche, Amministrative, Idrauliche, Agricole e Direttive. Seconda proposta del Cav. Ignazio Villa dedicata al Generale G. Garibaldi, Rome, 1875. ASC. Biblioteca 11 599 (26).
10 ASC, Atti Consiglio Comunale, 1872.
11 Il le fait aussi imprimer sous forme d’opuscule, pour une diffusion aux conseillers municipaux : A. Vescovali, Piano d’esecuzione pei lavori di sistemazione del tronco urbano del Tevere, Rome, 1875. ASC. Biblioteca 15 614 (6).
12 Idem, p. VIII.
13 L. Galli et E. Durup de la Baleine, Projet d’édification du quartier des Prati di Castello à Rome, Rome, 1872. ASC. Biblioteca, 11 552 (16).
14 Voir : M. I. Venzo, La grande deviazione dell’Aniene. Inventario dei fondi Commissione per i lavori all’Aniene (1826-1829) e Amministrazione della deviazione dell’Aniene (1831-1847), dans Rivista storica del Lazio, 1996, 4, p. 195-264.
15 J. Rullier, Inondazioni della città di Roma. Progetto di deviazione del Tevere, Gênes, 1874, 70 p.
16 J. Rullier, La deviazione del Tevere. Osservazioni complementari sul progetto della deviazione del Tevere, Gênes, 1873. ASC. Biblioteca, 15 055 (29).
17 Pour une histoire du Ghetto de Rome depuis le xvie siècle, voir : M. Ricci, L’ampliamento del Ghetto di Roma al tempo di Pio V, dans Rivista storica del Lazio, 1995, 3, p. 117-132. C’est à partir de la bulle du Pape Paul IV Carafa dite Cum nimis absurdum, en 1555, que les conditions d’habitat des Juifs dans la ville sont restreintes. L’architecte Sallustio Peruzzi construit un mur autour de la zone destinée à devenir ghetto. Sous Pie IV, en 1562, la décision est prise d’agrandir le quartier. Les travaux sont réalisés sous Pie V, en 1566. Pour une histoire des quartiers juifs en Italie, voir : D. Calabi et P. Lanaro (dir.), La città italiana e i luoghi degli stranieri (xiv-xviii secolo), Rome-Bari, 1998, et notamment l’article de Donatella Calabi, Dalle contrade ebraiche ai ghetti. Gli Ebrei nelle città italiane tra xv e xvii secolo, p. 123-167.
18 J. Rullier, Idem, p. 10.
19 R. Pareto, Relazione della Commissione per l’esame del progetto Rullier di deviazione del tronco urbano del Tevere, Rome, 1873. ASC. Biblioteca 11 610 (1).
20 Ce pré-rapport est imprimé en annexe de celui de Pareto, op. cit.
21 R. Pareto, op. cit., p. 8.
22 R. Pareto, op. cit., p. 10.
23 R. Pareto, op. cit., p. 21.
24 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1873, posizione 149, Rullier. 8 mars 1873.
25 Idem.
26 R. Pareto, op. cit., p. 47.
27 J. Rullier, Risposta al rapporto redatto in data 15 marzo 1873 dalla commissione incaricata dal Signor Conte Pianciani, Pro-Sindaco di Roma dell’esame del progetto di derivazione del Tevere dell’Ingegnere J. Rullier, Gênes, 1873. ASC. Biblioteca 11 893 (11).
28 Idem, p. 3.
29 Idem, p. 28.
30 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1873, posizione 149, Rullier, lettre du 11 mai 1873 au pro-syndic Pianciani.
31 Lettre de J. Rullier à Victor-Emmanuel II, 12 novembre 1873, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1873, posizione 149, Rullier.
32 Lettre de Pianciani à Rullier, 29 novembre 1873, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1873, posizione 149.
33 J. Rullier, Le inondazioni della città di Roma. Progetto di deviazione del Tevere per I. Rullier, ingegnere civile, Gênes, 1874. ASC. Biblioteca 8683.
34 Les archives du Génie civil, telles que déposées dans le fonds du Tibre à l’Archivio di Stato di Roma (ASR), dans l’annexe suburbaine, ne semblent pas porter trace de ce parcours.
35 J. Rullier, 1874, p. VII.
36 Idem, p. VIII.
37 Idem, p. 28-29.
38 Idem, p. 32-33.
39 Idem, p. 34.
40 E. Verda, Sistemazione del Tevere in Roma con annesso progetto di un nuovo quartiere, Rome, 1873. ASC. Biblioteca 17 719 (2).
41 Idem, p. 5.
42 Idem, p. 10.
43 Idem, p. 14.
44 F. Mora, Di un canale di derivazione dal Tevere. Abbozzo di progetto dell’ingegnere Francesco Mora, Rome, 1873. ASC. Biblioteca 15 276 (19).
45 Idem.
46 Idem, p. V.
47 Idem, p. 45.
TI. CLAUDIUS. DRUSI. FF. CAESAR.
AUG. GERMANICUS. PONTI. MAX.
TRIB. POTEST. VI. COS. III. DESIGN. IIII. IMP. XII. P.P.
FOSSIS. DUCTIS. A. TIBERI. OPERIS. PORTU.
CAUSSA. EMISSIQUE. IN. MARE. URBEM.
INUNDATIONIS. PERICULO. LIBERAVIT.
48 Idem, p. 59.
49 Sur l’action locale de la gauche garibaldienne contre les gouvernements de la droite historique, voir aussi, à partir de l’exemple de Lecco : M. Maggioni, La sinistra e i governi della destra storica a Lecco (1870-1876). Garibaldini e mazziniani nelle pagine dell’Adda, dans Rassegna storica del Risorgimento, juillet-septembre 1998, p. 309-366.
50 Voir J.-P. Viallet, Anticléricalisme et laïcité en Italie. Bilan historiographique, dans MEFRM, 98, 1986, p. 837-862.
51 Voir G. Verucci, L’italia laica prima e dopo l’Unità. 1848-1876, Rome-Bari, 1996, p. 300 et s.
52 Idem.
53 G. Innocenti, Cenni storici dell’anno 1848 all’anno 1872 nello svolgimento politico, sociale, economico, industriale, intellettuale del Regno d’Italia, ossia Lacrimoso dei Romani al Parlamento Nazionale, Rome, 1872, ASC. Biblioteca 11 511 (27).
54 Lettre de Gadda à Pianciani, 7 décembre 1873, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1873, Posizione 86, Tevere.
55 Lettre de Gadda à Pianciani, 17 décembre 1873, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1873, Posizione 86, Tevere.
56 Brouillon de la réponse de Pianciani à Gadda, idem.
57 Sur la maçonnerie en Italie voir : A. Mola, op. cit. ; L. Polo Friz, La massoneria in Italia nel decennio post-unitario, Milan, 1999 et J.-P. Viallet, Anatomie d’une obédience maçonnique : le Grand-Orient d’Italie (1870-1890 circa), dans MEFRM, 90, 1978, p. 171-237. Voir aussi : G. M. Cazzaniga (dir.), op. cit. Massoneria, et particulièrement dans cet ouvrage, les articles d’Anna Maria Isastia sur les États du Pape (p. 484-511), de Fulvio Conti sur l’ère libérale (p. 579-609), de Francesca Sofia sur les spécificités de l’engagement maçonnique des juifs du Risorgimento (p. 244-264) et de Giovanni Miccoli sur l’époque de Léon XIII (p. 193-242). Sur les circonstances de l’élection de Garibaldi à la charge de Grand Maître, voir P. Friz, op. cit., p. 81 et s. Pour des études sur le rôle de la maçonnerie durant le Risorgimento, les œuvres de Leti et Luzio demeurent indispensables : G. Leti, Carboneria e Massoneria nel Risorgimento italiano, Gênes, 1925, rééd. Bologne, 1966 ; A. Luzio, La Massoneria e il Risorgimento italiano, Bologne, 1925, rééd. Bologne, 1966. Voir aussi : F. Conti, Fra patriotismo democratico e nazionalismo. La massoneria nell’Italia liberale, dans Contemporanea, Aprile 1999, p. 221-248.
58 Loc. cit., p. 177.
59 Voir P. Friz, op. cit., p. 81.
60 Idem.
61 Museo centrale del Risorgimento in Roma (MCRR), Busta 50, n°3 (3).
62 MCRR, busta 50, n°3 (4). Sur le fonctionnement de la recommandation d’ordre maçonnique en Grande Bretagne, voir, à partir du cas de l’industrie minière : R. Burt, Freemasonry and business networking during the Victorian period, dans Economic History Review, 2003, 4, p. 657-688.
63 Lettre 14 février 1875, MCRR, busta 50, n°3 (5).
64 Lettre de Wilkinson et Smith à Garibaldi le 15 février 1875, MCRR, busta 50, n°3 (8).
65 Lettre de Strutt à Garibaldi, 14 février 1875, MCRR, busta 50, n°3 (6).
66 MCRR, busta 50, n°3 (7).
67 MCCR, busta 50, n°3 (12).
68 Lettre du 20 février 1875 de Van Montenarken à Garibaldi, MCRR, busta 50, n°1 (88).
69 Voir : A. Preti (dir.), Un democratico del Risorgimento : Quirico Filopanti, Bologne, 1997.
70 Ibid., p. 19.
71 Lettre de Filopanti à Garibaldi, 25 mars 1875, MCRR, busta 45, n°27 (4).
72 29 avril 1875, MCRR, busta 45, n°27 (37).
73 Voir : G. C. Calcagno, L’ingegnere : innovazione tecnologica e progresso sociale, dans A. Preti (dir.), op. cit., p. 121-156.
74 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
75 Sur le rôle, en général, des ingénieurs dans la vie politique italienne, voir : F. Cammarano et M. S. Piretti, I professionisti in Parlamento (1861-1958), dans M. Malatesta (dir.), I professionisti, op. cit., p. 523-589.
76 Lettre du maire Venturi à Depretis, 6 mars 1875, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
77 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
78 Idem.
79 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere. Lettre du maire et accusé de réception du président de la Chambre, 1er mars 1875.
80 A. Baccarini, Sull’altezza di piena massima del Tevere urbano e sui provvedimenti contro le inondazioni. Considerazioni proposte dall’Ingegnere A. Baccarini, dans Pol. Giorn. Ing. Arch., 1875, p. 649-732.
81 La Capitale, mai 1875.
82 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere, convocation pour le 7 mars 1875 à 21h.
83 Lettre d’Alfredo Baccarini à Domenico Farini, 1er juin 1875. MCRR, busta 283, n°102 (6).
84 Lettre de Baccarini à Farini, 25 juin 1875, MCRR, busta 283, n°102 (8).
85 Lettre d’Amadei à Baccarini, 17 juin 1875, recopiée par Baccarini et envoyée à Farini. MCRR, busta 283, n°103.
86 L. Amadei, Memoria riassuntiva del progetto del Tevere del generale Garibaldi all’eccelentssimo Consiglio Superiore dei Lavori pubblici per Luigi Amadei, Ingegnere-Architetto, colonello del Genio in ritiro, già professore di meccanica applicata, Rome, 1875.
87 Lettre de Spaventa, Ministre des Travaux publics, au maire de Rome, 24 juin 1875. ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
88 Lettre SPQR 1874 n°560 du maire de Rome au ministre des Travaux publics, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875.
89 Lettre de Garibaldi au maire de Rome, 18 juin 1875, ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
90 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
91 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere.
92 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere, lettre du 19 juin 1875.
93 ASC, Gabinetto del Sindaco, 1875, posizione 108, Tevere, signature illisible. L’auteur dit avoir envoyé sa proposition au Général lui-même, mais sans doute à une adresse erronée.
94 MCRR, busta 283, n°102 (9).
95 La correspondance entre Baccarini et Farini se fait l’écho de ces excursions, Baccarini se demandant à chaque fois s’il doit ou non accompagner le général. Par exemple : MCRR, busta 283, n°102 (11).
96 Lettre de Baccarini à Garibaldi, 11 novembre 1875, MCRR, busta 45, n°26 (71).
97 ASR, Galla Placidia, carte Tevere, primo versamento, 1876.
98 Cette lettre de Garibaldi est citée dans la réponse du Ministre, quelques jours plus tard : Lettre de Spaventa à Garibaldi, 5 janvier 1875 (en fait 1876), MCRR, busta 50, n°3 (1).
99 Idem.
100 Lettre de Domiziano Curci à Garibaldi, MCRR, busta 45, n°26 (129).
101 Lettre de De Grandis à Garibaldi, 30 mars 1876, MCRR, busta 45, n°26 (155).
102 Les archives de ce bureau technique spécial du Génie civil pour l’aménagement du Tibre se trouvent dans l’annexe suburbaine de l’Archivio di Stato di Roma située via Galla Placidia. Les documents ont été versés en deux fois pour les années 1876-1966, et sont encore en cours de classement. J’ai pu consulter, après plus de cinq ans d’attente, et même de doute sur la réelle existence de ce fonds, la cinquantaine de cartons conservés pour les années 1876-1920 environ. Les références données ci-après sont celles telles qu’elles existaient en 2001. Il n’existe qu’un inventaire très sommaire, et souvent faux, et le classement en cours devrait dans les prochaines années remettre en question la nomenclature actuelle. Pour cette raison, les archives citées le sont de la manière la plus descriptive possible, afin de permettre au chercheur éventuellement intéressé de les retrouver. Pour un premier point archivistique sur la question, voir : D. Sinisi, Per una storia del Tevere : fonti e documenti dell’Archivio di Stato di Roma, dans P. Buonora (dir.), op. cit., p. 125-131 et M. L. San Martini Barrovecchio, A. Balestra et L. Bettarini, L’archivio dell’Ufficio speciale del Genio civile per il Tevere e l’Agro romano (1876-1950), idem, p. 133-139.
103 Voir : A. Vescovali, Appendice agli studi idrometrici sul fiume Tevere e considerazioni sulla convenienza della rettificazione dell’ingegnere Angelo Vescovali capo della divisione idraulica del Municpio di Roma, Rome, 1876. ASC. Biblioteca 15 035 (31).
104 Lettre de Amadei à Garibaldi, 14 septembre 1876, MCRR, busta 45, n°26 (9).
105 Lettre d’Amadei à Garibaldi, 24 septembre 1876, 24 septembre 1876, MCRR, busta 45, n°26 (10).
106 Lettre d’Amadei à Garibaldi, 24 septembre 1876, « riservata », MCRR, busta 45, n°26 (12).
107 Idem.
108 Sur les campagnes électorales en Italie, des banquets aux partis, voir : P. L. Ballini et M. Ridolfi (dir.), Le campagne elettorali in Italia, Milan, 2002.
109 Lettre d’Amadei à Garibaldi, 13 octobre 1876, MCRR, busta 45, n°26 (11).
110 ASR, Ufficio tecnico speciale del Genio civile per la sistemazione del Tevere, Primo versamento, busta 1-2, 1878. Le document de Natalini est daté du 30 avril 1876.
111 E. Ruspoli, Relazione della Commissione incaricata di riferire sui tre quesiti relativi alla quistione del Tevere, Rome, 1877.
112 Idem.
113 Idem.
114 Archivio Centrale dello Stato (ACS), inventario 30/3, busta 30, fascicolo 50
115 ASR, Galla Placidia, fondo Tevere, 1877.
116 ASR, Ufficio tecnico speciale del Genio civile per la sistemazione del Tevere, Primo versamento, busta 23-3. Lettre du 31-3-1877.
117 ASR, Ufficio tecnico speciale del Genio civile per la sistemazione del Tevere, Primo Versamento (désormais Ufficio speciale), Buste 1A et 1-2. Progetto di massima dei lavori di sistemazione del Tevere dal Mattatojo a S. Angelo.
118 Ufficio speciale, busta 23-3.
119 Viviani et Vescovali protestent. Ufficio speciale, busta 23-3.
120 Ufficio speciale, busta 23-3.
121 Lettre 9 février 1878. Ufficio speciale, busta 23-3.
122 Ufficio speciale, busta 23-3, 1883-1889. On trouve de nombreuses archives du contrat Santini classées avec les papiers des années 1880, quand, face à l’incapacité de Santini de faire face aux travaux (et aux exigences du Génie civil), c’est l’entreprise Zchokke-Terrier qui reprend le contrat. Les livres de compte et le journal des travaux de Santini sont dans ce carton.
123 Ufficio speciale, buste 28-4 et 28.
124 G. Zucchelli, Relazione che accompagna il progetto di una nuova inalveazione del Tevere attraverso i Prati di Castello, 1879. ASC. Biblioteca 8434.
125 G. Zucchelli, Sulle condizioni attuali della inondazione e sui provvedimenti relativi alla difesa idraulica. Rapporto dell’Ingegnere Capo Cav. Zucchelli al Prefetto di Mantova, Mantoue, 1873. Dans ce rapport au préfet Borghetti, Zucchelli évalue les mérites et coûts respectifs des projets Dall’Acqua et Martinelli pour la province de Mantoue.
126 Extrait cité par Y. Hersant (éd.), Italies. Anthologie des voyageurs français aux xviiie et xixe siècles, Paris, 1988, p. 549.
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