Chapitre 17. Ibn Khaldûn et le dualisme berbère
p. 743-760
Texte intégral
1Pour E.-F. Gautier, la singularité d’Ibn Khaldûn était au fond de ne pas être vraiment un historien arabe : « cet oriental a une conception occidentale de l’histoire » écrivait-il, parlant ailleurs d’une « sorte de prodige parmi les écrivains musulmans »1. Les recherches des orientalistes, sans remettre en question le génie de l’auteur du Kitâb al-‘Ibar, ont depuis une trentaine d’années largement montré la superficialité d’un tel jugement, qui n’éclaire en fait que les préjugés de celui qui l’a formulé2. Certes, remarque par exemple A. Cheddadi, l’originalité de la démarche d’Ibn Khaldûn est incontestable, et frappantes sont « les analogies entre sa pensée et bien des aspects des sciences modernes de l’homme, en premier lieu la constitution de la société comme objet de pensée, et l’élaboration d’un réseau de concepts pour en rendre compte »3. Plus précisément, par rapport à l’histoire telle que la concevaient la plupart de ses prédécesseurs, le Târîkh, avant tout simple juxtaposition de récits4, le Kitâb al-ʽIbar est novateur par sa vision totalisante, sa volonté de considérer la société comme un tout, analysé d’abord en fonction des notions de « civilisation » et de « nation ». Dès qu’il aborde l’étude des Berbères, Ibn Khaldûn s’interroge ainsi sur ce qui définit leur nation, et il met aussitôt en valeur ce qui lui semble en être les trois modes de structuration : la généalogie, les modes de vie, et l’organisation du pouvoir. Cette logique seule explique qu’il ordonne à partir de là son livre en fonction de la succession des grandes tribus qui ont exercé leur domination sur le Maghreb, puisque chacune pour lui se reconnaît à une généalogie et à une « civilisation » particulière : d’où par exemple un livre entier sur les Sanhâdja, divisé en trois sections intitulées Sanhâdja de la première, de la deuxième, et de la troisième race, qui recouvre en fait la succession Zirides, Almoravides et Almohades à laquelle nous sommes plus habitués.
2Il faudrait cependant éviter de pousser plus loin les analogies avec nos propres classifications. Car, pour conserver cet exemple, la généalogie n’est nullement accessoire dans la pensée d’Ibn Khaldûn : il ne s’agit pas d’un enjolivement superficiel qu’il suffirait d’éliminer pour retrouver une interprétation historienne au sens moderne. Comme l’écrit en effet A. Cheddadi, « si le Kitâb al-{Ibar se distingue nettement de toutes les œuvres de târîkh par son organisation globale aussi bien que par les éléments de sa structure interne, il a en commun aussi avec ces œuvres la matière : mêmes objets, mêmes récits »5. En d’autres termes, les sources de notre auteur restent exactement identiques à celles des autres savants de son temps. Pour lui comme pour eux, la matière de l’histoire, ce sont les akhbar, les récits transmis par la tradition. Il en discute certes la valeur en faisant preuve d’esprit critique, adoptant les uns, rejetant les autres, mais sans aller au-delà. « Le problème essentiel que se pose Ibn Khaldûn est celui de l’établissement de la vérité des akhbar. Il ne s’agit pas des faits eux-mêmes, du « fait historique », notion moderne qui lui reste étrangère. L’idée qu’il y a des faits existant en eux-mêmes que l’historien doit découvrir dans les monuments et les documents, établir et ordonner pour finalement reconstruire un passé, n’a pas sa place dans sa pensée. Pour Ibn Khaldûn comme pour tous les auteurs de târîkh, il n’y a jamais que des récits (akhbar), où les faits ont déjà reçu leur configuration, où le passé, quand il s’agit de passé, montre son visage à découvert, sa forme achevée »6.
3Le recours systématique à la généalogie comme mode de classement des Berbères, et surtout le rôle de la dichotomie Botr/Branès dans les exposés généalogiques du Kitâb al-{Ibar permettent de vérifier immédiatement la pertinence de ce jugement.
1– IBN KHALDÛN ET LES GÉNÉALOGISTES
4A aucun moment on ne voit en effet Ibn Khaldûn citer des sources réellement originales, ou faire référence à des enquêtes qu’il aurait effectuées auprès des tribus. Même s’il lui arrive, pour des raisons d’invraisemblance, de rejeter un schéma ou un nom7, sa méthode reste toujours celle de la juxtaposition des traditions fixées par les seuls savants, berbères ou arabes, de l’Espagne des xe et xie siècles. Considérons par exemple le début d’un des chapitres essentiels de son livre pour notre propos, la présentation des Zenâta, souvent prise en référence par les savants modernes qui lui font confiance8 :
Les généalogistes qui appartiennent à la race berbère s’accordent tous à dire que les Zenâta tirent de Chana leur origine et leur nom. Abou Mohammed ibn Hazm écrit dans son Djemhera : « Quelques uns d’entre eux (les généalogistes berbères) disent que Chana est le même personnage que Djana, fils de Yahya, fils de Soulat, fils d’Ourçak, fils de Dari, fils de Zeddjîk, fils de Madghis, fils de Berr ». Dans le même livre, il (Ibn Hazm) dit : « La généalogie suivante m’a été communiquée par Youçof el Ouerrac, qui la tenait d’Ayoub, fils d’Abou Yezid... Chana, me dit-il, est le même que Djana, fils de Yahia, fils de Soulat, fils d’Ourçak, fils de Dari, fils de Chacfoun, fils de Bendouad, fils d’Imla, fils de Madghis, fils d’Herak, fils d’Herik, fils de Bedian, fils de Canaan, fils de Cham ».
D’après cette liste, Madghis ne descend pas de Berr. Nous (Ibn Khaldûn) avons déjà indiqué la diversité d’opinions à ce sujet ; mais nous regardons celle-ci comme vraie, car l’autorité d’Ibn Hazm mérite toute confiance et ne saurait être contrebalancée par celle d’aucun écrivain. D’ailleurs il rapporte la généalogie en question d’après le fils d’Abou Yezid, chef des Zenâta. En adoptant cette liste, on est obligé de reconnaître que les Berbères seuls descendent de Bernès et que les Botr, c’est-à-dire les enfants de Madghis el Abter, n’appartiennent pas à la race berbère.
5L’importance apparente de ce texte n’a pas besoin d’être démontrée : nulle part ailleurs dans son œuvre Ibn Khaldûn n’énonce aussi radicalement le sens de la dichotomie Botr/Branès : il s’agirait au fond, dit-il ici, d’une division entre vrais (les Branès) et faux (les Botr) Berbères. On y a vu récemment9 un témoignage probant en faveur de la thèse d’une opposition, dès la fin de l’Antiquité, entre Paléoberbères (les Branès, véritables autochtones au Maghreb) et Néo-berbères (les Botr, arrivés du Sahara libyen seulement à partir du ve siècle de notre ère). Mais saisir ainsi une citation isolée revient à renoncer à toutes les règles de la critique historique. Or, dans ce cas précis, la simple application de ces règles conduit à une tout autre conclusion.
6Qu’on observe d’abord le contexte du passage. Ibn Khaldûn ne s’intéresse pas ici aux Botr ou aux Branès, mais aux Zenâta, opposés depuis le xe siècle aux Sanhâdja dans une rivalité toujours très vive à son époque. Après l’introduction générale sur les Berbères, cette opposition ordonne le plan de son livre : à une série de chapitres sur les tribus Sanhâdja succède une partie sur les tribus Zenâta, dans laquelle tout le but de l’auteur est de démontrer les différences à ses yeux insurmontables entre les deux groupes. Avant le célèbre développement sur le genre de vie nomade, ces différences sont d’abord exprimées à travers un exposé généalogique. Mais sur quoi repose celui-ci ? Uniquement en fait sur les ouvrages des généalogistes des xe et xie siècles ayant vécu ou séjourné en Espagne. Ibn Khaldûn cite d’abord sans précision l’école berbère10, puis choisit de s’appuyer sur le principal représentant de l’école arabe, Ibn Hazm. Or son esprit critique se limite apparemment ici à la prise en compte d’un critère de notoriété : l’autorité d’Ibn Hazm mérite toute confiance. En fait, elle lui semble d’autant plus fiable qu’elle sert son projet qui consiste à ce moment à souligner de toutes les manières possibles l’originalité des Zenâta. Mais Ibn Khaldûn ne se contente pas de reprendre une généalogie à ses yeux validée par la tradition : il en épouse aussi entièrement la logique, et fonde sur elle seule son raisonnement « historique ». A y bien regarder, sa conclusion essentielle, excluant les Botr du peuple berbère, ne repose en effet que sur un détail anthroponymique : d’après cette liste, Madghis ne descend pas de Berr... C’est en fait parce que l’ancêtre éponyme Berr, supposé être le père nécessaire de tous les Berbères, est absent d’une généalogie de Djana (lui-même aïeul éponyme des Zenâta ou Zanâta) par Madghhis el Abter qu’obligatoirement les Botr, et par voie de conséquence les Zenâta, ne sont pas des Berbères ! La méthode d’Ibn Khaldûn démontre là toutes ses limites : le grand savant ne s’appuie que sur des ouvrages antérieurs consacrés par la tradition, et il reste prisonnier de la logique qui les anime.
7Mais il y a plus grave. Comme nous l’avons signalé plus haut en évoquant l’œuvre des généalogistes des xe et xie siècles eux-mêmes11, ceux-ci ont multiplié les variantes dans leurs schémas, sans trop se préoccuper de leurs contradictions. Or, Ibn Khaldûn lui aussi, en d’autres chapitres de son livre, animés par d’autres préoccupations, répète les mêmes incohérences. Ainsi surtout dans ce passage de son introduction générale sur les Berbères, qui précède de loin les développements sur les Sanhâdja et les Zenâta :
Madghis et Bernès s’appelaient chacun fils de Berr... Ibn Hazm dit sur l’autorité de Youçof el Ouerrac qui tenait ses renseignements d’Ayoub, fils d’Abou Yézid, qu’ils étaient fils du même père12...
8Non seulement l’œuvre de référence donnée ici est la même, Ibn Hazm, mais même la source citée, Ayûb, fils réfugié en Espagne du fameux Abû Yazîd. Or la leçon généalogique est complètement différente : Madghis et Bernès sont frères, et Botr et Branès appartiennent donc à la même « race »... Mais le plus étonnant pour nous est de constater la conclusion qu’en tire aussitôt Ibn Khaldûn, après avoir cité d’autres schémas : « La déclaration d’Ayoub lui-même, telle qu’Ibn Hazm nous l’a transmise, doit être accueillie de préférence, à cause de l’exactitude bien reconnue de cet auteur13. Et c’est cette première conclusion qui, sur l’ensemble du Kitâb al-Ibar, semble avoir été sa préférée puisqu’on lit, non sans surprise, à la fin de l’introduction généalogique sur les Zenâta qui avait commencé par la négation de leur appartenance au peuple berbère, une dénonciation de « l’orgueil bien faux des généalogistes Zenâta qui cherchent à nier que ce peuple soit berbère d’origine », et cette phrase lapidaire : « Que les Zenâta partagent la même origine que les Berbères n’enlève rien à leur domination ni à leur puissance »14...
9Comment pourrait-on dès lors considérer l’œuvre d’Ibn Khaldûn comme une source fondamentale pour l’établissement d’une dichotomie berbère antique ? Tout ce que savait le grand érudit de la fin du xive siècle s’appuyait en fait sur les œuvres des généalogistes des xe et xie siècles. Celles-ci, nous l’avons vu, étaient extrêmement confuses parce qu’elles avaient été élaborées pour servir d’argument idéologique et politique dans le contexte d’une double rivalité, celle des ligues Zenâta et Sanhâdja, mais aussi celle des Arabes d’Espagne en général face aux Berbères. Les deux passages cités et apparemment contradictoires d’Ibn Hazm ne s’expliquent qu’ainsi : le savant arabe s’efforçait d’abord de rassembler tous les Berbères y compris les Zenâta derrière un même ancêtre, Cham, ce qui les différenciait radicalement des Arabes descendants de Sem (deuxième citation) ; mais il distinguait aussi les Zenâta et autres Botr des Branès, parce que l’histoire de la péninsule était émaillée des conflits entre ces deux ligues (première citation). Cet arrière-plan ibérique n’intéressait plus Ibn Khaldûn, qui n’en percevait en tout cas plus l’importance pour comprendre les variantes de ses sources. Son esprit critique se limite donc ici à privilégier le texte d’Ibn Hazm face aux traités des généalogistes berbères, mais sans pouvoir, ni même semble-t-il vouloir, en surmonter les apparentes contradictions.
10Faire du Kitâb al-‘Ibar une source originale pour une histoire des origines de la dichotomie Botr/Branès n’a donc guère de sens. Sur ce plan, le livre d’Ibn Khaldûn n’a en réalité d’intérêt que par les extraits des généalogistes des xe et xie siècles qu’il reproduit. Nous avons vu, pour expliquer l’intérêt de ces savants pour le dualisme berbère et le sens de leurs constructions, dans quel contexte et au service de quelles causes ils avaient rédigé leurs œuvres. L’unique question qui demeure, qui seule peut éclairer la situation du viie siècle et devra pour cela nous retenir plus tard, reste celle des sources de ces généalogistes eux-mêmes, sur lesquelles Ibn Khaldûn ne nous dit rien.
2 – IBN KHALDÛN HISTORIEN DE LA CONQUÊTE ?
11Les épisodes de la conquête de l’Afrique du Nord par les Arabes font l’objet de plusieurs notices, assez dispersées sur l’ensemble du Kitâb al-‘Ibar : la vue la plus large et la plus détaillée est donnée dans l’introduction générale sur les Berbères15, après l’exposé très confus de leur généalogie ; mais on retrouve ensuite des développements plus ponctuels, souvent brefs, à propos de nombre des grandes tribus Sanhâdja ou Zenâta, chaque fois qu’une tradition les associait à un événement de cette époque.
12L’apport d’Ibn Khaldûn sur l’histoire des débuts de l’avance musulmane est globalement peu original dans le premier cas. Très bref sur la soumission de la Cyrénaïque et la Tripolitaine16, il résume surtout ses prédécesseurs lorsqu’il arrive au raid de 647-648 et à la défaite de Grégoire, sans faire intervenir les Botr et les Branès dans les événements de cette époque17. Ceux-ci n’apparaissent, indirectement, que dans une notice tribale sur les Botr Maghrâwa de l’Algérie occidentale18, dont le chef Ouezmar, affirme-t-il, aurait été capturé par ‘Abd Allâh Ibn Abi Sarh dès cette époque : envoyé à Médine, converti et couvert de cadeaux par le calife ‘Uthman lui-même, son dévouement ne se démentit jamais ensuite19. Souligner ce que cette tradition recèle d’invraisemblances n’est que trop aisé et ne mérite guère qu’on s’y attarde. Aucun historien n’y fait allusion avant Ibn Khaldûn, et à juste titre : car tous les textes et les documents naguère réunis et commentés par H. Slim à propos du raid de 647-648 montrent que ‘Abd Allâh n’a pas dépassé les limites de la Byzacène20. Or les Maghrâwa, probablement identiques aux Macurebi de Pline et aux Makkhourebi de Ptolémée21, étaient un peuple du nord de l’Ouarsenis, établi au viie siècle dans une Maurétanie Césarienne occidentale qui échappait complètement à l’autorité de l’exarque Grégoire22 : ils n’ont donc pu rencontrer les Arabes parce qu’ils auraient participé à la bataille de Sbeitla. De toute évidence, le témoignage isolé d’Ibn Khaldûn ne fait ici que refléter une de ces légendes ennoblissantes chères à nombre de tribus berbères médiévales, qui cherchaient à faire remonter leur conversion à la date la plus haute possible, en l’associant à un héros de la conquête et à un des compagnons du prophète23.
13Ibn Khaldûn n’accorde apparemment lui même qu’assez peu d’importance à cette affaire. Sa perspective, en revanche, est tout autre dès qu’il aborde, avec les années 670, la conquête de l’Ifrîkiyya, les aventures de ‘Ukba ibn Nâfi’, et la fondation de Kairouan. A cette époque, écrit-il en effet,
Le droit de commander aux Berbères appartenait à la tribu d’Aureba et fut exercé par Koceila, fils de Lemezm, chef des Béranès. Koceila avait pour lieutenant Sekerdid ibn Roumi ibn Marezt, l’Aurébien24.
14La même formule se retrouve beaucoup plus loin, dans la notice particulière consacrée aux Aureba (Awraba) : chef de ce groupe au temps de la conquête, « Koceila ibn Lemezm el Aurebi fut aussi le chef de toutes les autres tribus de Bernès »25. On attendrait alors quelques précisions sur cette singulière union tribale, mais curieusement les récits qui suivent des péripéties de la résistance de ce chef, jusqu’à sa mort, sont alors beaucoup plus classiques, sans qu’il ne soit plus question des Branès26. Le rôle de la dichotomie chère à E.-F. Gautier ne redevient central que lorsqu’Ibn Khaldûn aborde l’histoire de la Kâhina, à la fin des années 680 ( ?) :
(alors) parmi les chefs les plus puissants, on remarqua la Kahena, reine du mont Aurès... Sa famille faisait partie des Djeraoua, tribu qui fournissait des rois et des chefs à tous les Berbères descendus d’El Abter27.
15La notice spécifique consacrée aux Djeraoua (Djarâwa) reprend les mêmes termes, ainsi que celle des Beni Ifren, autre tribu Botr :
Après la mort de Koceila..., les Beni Ifren ainsi que toutes les tribus zénatiennes et berbères Botr de l’Ifrîkiyya étaient venus se joindre aux troupes de la Kahena...28
16De nombreux historiens modernes ont accordé une importance capitale à ces passages du Kitâb al-‘Ibar. Ch.-E. Dufourcq n’a pas hésité même à reconstituer toute l’histoire de la résistance berbère aux Arabes à la lumière de la dichotomie Botr/Branès ici énoncée, avançant l’hypothèse d’un « commandement rotatif », traditionnel au sein du monde berbère, entre Botr et Branès29. La singularité du témoignage d’Ibn Khaldûn n’a, semble-t-il, pas été relevée. Elle est pourtant absolue.
17Aucun des historiens et chroniqueurs qui le précèdent n’a en effet, à notre connaissance, fait intervenir les Botr et les Branès dans les vies de Kusayla et de la Kâhina. Cette absence est particulièrement remarquable chez Ibn ‘Abd al-Hakam, à la fois le plus ancien des chroniqueurs et le seul qui mentionne au viie siècle la dichotomie berbère. Kusayla ben Lamzam, qui de manière générale n’a pas pour lui la même importance que pour Ibn Khaldûn, apparaît dans son récit vers 683, peu avant la mort de ‘Ukba : il inflige alors aux Arabes la terrible défaite de Tahûdâ (Thabudeos), grâce à la « multitude de Rûm et de Berbères » qui le suivent30. Appelé ensuite à trois reprises « le fils de la Kâhina »31, il est présenté simplement comme un « Berbère », sans aucune référence aux Branès que l’auteur évoquera pourtant ensuite comme des vaincus de l’Ifrîkiyya. Dans le livre d’Al-Mâlikî, fondé en particulier sur l’historien tunisien Ibn al-Rakîk, la présentation du héros est tout aussi sobre : Kasila al-Aurabi est un « des chefs berbères de l’Ifrîk iyya » qui firent la paix avec le gouverneur Abû-l-Muhâdjir à son arrivée en 676-677 ; plus tard, en 681-82 ou 682-683, à l’appel des Rûm de Tahûdâ, il « rassemble une masse énorme de Rûm et de Berbères »32 contre ‘Ukba et le vainc ; il s’empare ensuite de Kairouan avec une multitude de Berbères et de Rûm33, avant d’être écrasé à Mems (Mammès) cinq après, alors qu’il était toujours à la tête de la même coalition. Le récit d’Ibn al-Athîr, si précieux par la qualité de ses sources selon H. Slim, n’est guère différent : Kusayla est un Berbère qui s’était converti à l’islam avant l’arrivée de ‘Ukba, est contraint par lui de le suivre au Maroc, et qui, au retour, est appelé par les Rûm de Tahûdâ à se révolter contre le chef arabe. Vainqueur, il est dès lors « un des chefs berbères »34 alliés aux Rûm, qui voit « toutes les populations de l’Ifrîkiyya se joindre à lui »35. Plus tard, rassemblant autant qu’il peut les Berbères et les Rûm36, il est tué à Mems. Et l’image est encore la même chez Al-Nuwayrî, qui utilisait lui aussi des sources très anciennes : « Koceila ibn Behrem el-Aorbi, homme influent sur les Berbères », d’abord converti à l’islam sous Abû-l-Muhâdjir entre 675 et 682, s’allie aux Rûm à Tahûdâ, est victorieux de ‘Ukba « à la tête d’une immense multitude »37, avant d’être plus tard vaincu à Mammès en 688-689 « avec les officiers des Rûm et des Berbères, leurs nobles et leurs princes »38, qui l’accompagnaient. Pas un seul des historiens des ix-xiiie siècles ne semble ainsi avoir eu connaissance de la prétendue « union de toutes les tribus descendues de Bernès ». Et même les contemporains d’Ibn Khaldûn semblent en fait l’ignorer : Ibn ‘Idhârî et ‘Ubayd Allâh, s’ils appellent Kusayla le Bernesi, ne lui donnent en effet qu’un commandement sur les Rûm et les Berbères, sans autre précision39.
18La singularité d’Ibn Khaldûn est encore plus grande dans le cas de la Kâhina. Pour Ibn {Abd al-Hakam, elle était, à l’arrivée de Hassân (début des années 690 ?) « la reine des Berbères qui avait subjugué la majeure partie de l’Ifrîkiyya »40. Non seulement l’historien égyptien ne parle pas à son propos de Botr, mais il n’emploie même ce mot que pour désigner les alliés de son adversaire, le général arabe41. Pour Al-Bâlâdhûrî, qui semble n’avoir jamais entendu parler de la résistance antérieure de Kusayla, elle était simplement la reine des Berbères42. Compilateur attentif des récits les plus divers des historiens des ix et xe siècles, Al-Mâlikî ne définit pourtant la Kâhina que comme « une femme qui se tient dans les montagnes de l’Aurès : les habitants de l’Ifrîkiyya la redoutent et les Rûm lui obéissent sans murmurer »43. Recopiant Ibn ‘Abd al-Hakam, il ne connaît ensuite de Botr qu’alliés de Hassân44. Toujours très précieux par la richesse de ses sources, Ibn al-Athîr n’offre pas de version contradictoire : citant Al-Wâkidî, mort en 823 et en fait le plus ancien historien connu de la conquête, il écrit seulement : « la Kâhina se révolta par suite de l’indignation qu’elle ressentit de la mort de Koceila »45. Et ailleurs, évoquant l’arrivée de Hassân, il fait dire à un de ses informateurs : « la Kâhina est une femme berbère régnant dans l’Aurès... qui dévoile l’avenir aux Berbères qui se sont ralliés à elle après la mort de Koceila »46. Al-Nuwayrî, n’est guère plus original dans sa version de ce rapport : « c’est une femme qui gouverne les Berbères et qui demeure sur le mont Aurès ; depuis la mort de Koceila, les Berbères se sont ralliés à elle »47. Après eux, et peu avant Ibn Khaldûn, Ibn ‘Idhârî se contente dans un premier temps de recopier Al-Mâlikî (c’est une femme qui habite dans l’Aurès ; tous les Rûm d’Ifrîkiyya la redoutent et tous les Berbères lui obéissent48), avant d’ajouter que la reine avait deux fils, l’un berbère, l’autre romain49 : détail original que reprendra ‘Ubayd Allâh50, mais sans jamais, comme tous ses prédécesseurs, faire intervenir les Botr ou les Branès dans son histoire. On chercherait de même en vain dans les digressions des géographes comme Al-Bakrî ou Al-Idrîsî mention de cette dichotomie et du gouvernement alternatif des Berbères qu’elle aurait provoqué.
19Ainsi, tout ce que nous apprennent les auteurs antérieurs à Ibn Khaldûn, c’est que Kusayla et la Kâhina étaient des « Berbères ». le premier, assez tôt surnommé l’Aurabi, devait être un notable ou le chef de la tribu des Aureba ou Awraba, inconnue auparavant ; l’origine de la Kâhina est plus mystérieuse, puisqu’aucun texte ne lui attribue de tribu51 : tel Iaudas au vie siècle, elle est définie seulement par son pouvoir sur un ensemble géographique, l’Aurès. L’un et l’autre, selon ces textes, ont dirigé une coalition de Byzantins (Rûm) et de Berbères, le rôle des seconds devenant prédominant avec la Kâhina52. Enfin, toutes les sources établissent un lien entre les deux personnages, la reine de l’Aurès apparaissant comme le successeur de Kusayla, avec même, selon certains, derrière elle des anciens soldats du chef des Awraba53.
20Tout ceci est bien éloigné de la grande fresque de l’historien des Berbères, avec ses deux confédérations Branès et Botr qui se seraient succédé dans la résistance aux Arabes, et repose le problème des sources du Kitâb al-‘Ibar. Faut-il croire qu’Ibn Khaldûn, par une recherche d’un type nouveau, aurait découvert seul, sept siècles après les événements, des traditions et des textes à la fois anciens et inconnus de tous ? Si tel était le cas, il faudrait alors que ces documents se soient eux-mêmes surtout intéressés à la dichotomie berbère. Car un examen attentif montre vite que les allusions aux Botr et aux Branès sont, dans les passages consacrés à Kusayla et à la Kâhina, les seuls vraiment originaux chez Ibn Khaldûn. Pour le reste en effet, on retrouve sans peine dans son récit trace des œuvres de ses multiples prédécesseurs. L’exemple de Kusayla est sur ce point particulièrement édifiant. Ibn Khaldûn est le seul auteur à l’appeler Kusayla ibn Lemezm al-Awrabi54. Mais ce détail onomastique, apparemment singulier, est illusoire : l’auteur ne fait en réalité qu’assembler les témoignages d’Ibn {Abd al-Hakam, Al-Bakrî et Ibn ‘Idharî qui donnent Kusayla ibn Lamzam55, et ceux d’Ibn al-Rakîk et AlMâlikî qui donnent Kusayla al-Awrabi56. De la même manière, la 0capture du chef berbère à Tlemcen par Abû-l-Muhâdjir et sa conversion qui suivit, autres détails apparemment précieux donnés par Ibn Khaldûn57 (en deux extraits assez confus), combinent en fait, en les déformant légèrement, un passage d’Al-Mâlikî58 et une tradition rapportée par Ibn al-Athîr et Al-Nuwayrî59 : le premier écrit qu’après avoir fait la paix avec les Berbères d’Ifrîkiyya et Kusayla, Abû-l-Muhâdjir conquit le pays jusqu’à Tlemcen ; les deux autres auteurs affirment, quant à eux, que Kusayla s’était converti sous Abû-l-Muhâdjir. Plutôt que de déduire à partir du seul témoignage d’Ibn Khaldûn que le célèbre chef berbère était d’origine maurétanienne, il nous semble aussi logique de retrouver ici un exemple d’assemblage tardif (xive siècle...) et trompeur des récits anciens. La même remarque s’applique aussi ensuite à tous les épisodes de l’histoire de Kusayla : les humiliations que lui infligea ‘Ukba, la bataille de Tahûdâ, la prise de Kairouan, et sa mort à Mammès. La seule véritable originalité du Kitâb al-‘Ibar n’est, dans toute cette aventure, que la mention de l’appartenance du héros aux Branès60. Or, une originalité aussi spécifique est trop étrange pour ne pas susciter le doute, d’autant plus qu’elle renvoie trop clairement vers les généalogistes qu’Ibn Khaldûn appréciait tant. Mais aucun des textes conservés de ces savants, du moins à notre connaissance, ne parle d’un rôle particulier des Branès ou des Botr dans les événements de la conquête arabe61. Sachant dès lors, comme tout ce qui précède l’a montré, et comme l’ont souligné de manière plus générale les spécialistes d’Ibn Khaldûn, que l’auteur du Kitâb al-‘Ibar n’a jamais été un historien au sens moderne, est-il réellement pertinent de croire à un effort heuristique exceptionnel de sa part ? Il a, certes, eu entre les mains des recueils spécifiques de traditions propres à certaines tribus, comme ces histoires des Sanhâdja mentionnées parfois62. On ne peut exclure non plus qu’il ait, au cours de ses voyages, recueilli des récits oraux propres à certaines tribus et qui contenaient des allusions à des confédérations Botr ou Branès. Mais même dans cette hypothèse que vaudraient de telles traditions postérieures de sept siècles aux événements ?
21Il nous paraît plus raisonnable, et surtout peut-être plus en accord avec le génie de ce savant, de reconnaître d’abord dans ce dossier l’effet de l’esprit de système d’Ibn Khaldûn. Toute la partie de son livre consacrée aux Berbères est en effet conçue, nous l’avons vu, en fonction de l’opposition Sanhâdja/Zenâta, expliquée par une division généalogique Botr/Branès. Toute l’histoire du Maghreb depuis des siècles s’expliquait ainsi. Est-il trop audacieux ou trop impertinent de supposer qu’Ibn Khaldûn a pu arbitrairement transférer sur les premiers temps de l’Islam aussi cette opposition ? Plutôt que d’imaginer le recours à une source inconnue, ce serait alors un raisonnement qu’il faudrait reconstituer. A titre d’hypothèse, nous nous risquerons à proposer le suivant : Ibn Khaldûn remarqua dans les œuvres de certains de ses prédécesseurs que Kusayla était surnommé al-Awrabi et que la Kâhina venait de l’Aurès ; il savait d’autre part par les généalogistes que les Awraba étaient des Branès et que l’Aurès était un pays dominé par des tribus classées Botr, comme les Djarâwa ; il croyait enfin, sur la foi de ces généalogistes, que ces divisions étaient très anciennes et remontaient aux origines du peuple berbère ; dès lors, il lui parut logique, en fonction de son système d’interprétation de la société berbère et de son histoire, de considérer Kusayla comme le chef des Branès et la Kâhina comme la reine des Botr.
22D’autres hypothèses pourraient évidemment être avancées pour expliquer l’originalité du témoignage du Kitâb al-‘Ibar sur les Berbères de la deuxième moitié du viie siècle. Puisque nous savons par Ibn ‘Abd al-Hakam qu’une distinction Botr/Branès fut perçue par les Arabes dès au moins le temps du gouvernement de Hassân, il est certain qu’Ibn Khaldûn, qui connaissait l’œuvre de l’historien égyptien, avait toutes les raisons de croire en l’existence de la dichotomie au temps de la conquête arabe. Peut-être dans ce cas chercha-t-il seulement à harmoniser les récits de ses prédécesseurs, les schémas des généalogistes et certaines traditions tribales. Dans tous les cas, en attendant le jour où paraîtra la grande étude critique sur les sources des chapitres « berbères » du Kitâb al-‘Ibar, qui à notre connaissance fait toujours défaut, mieux vaut se défier d’une singularité aussi prononcée, surtout quand elle est le fait d’un auteur aussi brillant. S’il a construit, comme l’en félicitait E.-F. Gautier, la seule synthèse cohérente et logique des événements de la conquête, Ibn Khaldûn a probablement aussi reconstruit l’histoire à sa manière.
23Et comme tout historien à n’importe quelle époque, il n’a d’ailleurs en cela agi aussi qu’en homme de son temps. L’opposition Botr/Branès, nous l’avons vu, n’est pas en effet dans son œuvre que matière à interprétation d’épisodes du passé. Elle est partie intégrante de ce qui constitue véritablement l’essence de son système d’explication du monde berbère, la dichotomie tribale. Or celle-ci n’était rien d’autre que la réalité politique de son temps, qu’il cherchait à expliquer avec d’autant plus de zèle qu’il y était directement impliqué. Longtemps homme de pouvoir, Ibn Khaldûn servit d’abord en effet les Hafsides Sanhâdja de Tunis, puis passa dix ans chez les Mérinides Zenâta de Fez, avant, par un détour par l’Espagne et le royaume de Tlemcen, de revenir chez les Hafsides63. A l’époque, ces deux dynasties berbères s’affrontaient farouchement, et mobilisaient au service de leur cause un appareil idéologique dans lequel la généalogie et l’histoire tenaient une place considérable64. Ibn Khaldûn a été inévitablement marqué par ce type de débats et le mode d’analyse qui le sous-tendait, et il n’a cherché finalement qu’à l’approfondir par la plus grande enquête jamais tentée sur les origines et les composantes de la dichotomie Sanhâdja/Zenâta. L’opposition Botr/Branès a été une des découvertes faites au cours de cette enquête65, et parce qu’elle était auréolée du prestige de l’ancienneté et marquée d’un certain archaïsme, elle est devenue le fondement de toutes ses analyses sur l’origine et le passé préislamique des Berbères.
24Ce genre de reconstruction de l’histoire n’est d’ailleurs pas unique dans l’œuvre d’Ibn Khaldûn, comme le montre la place qu’il attribue aux Ifrandj dans les événements du viie siècle. Ce mot, qui n’a cessé d’embarrasser depuis De Slane les lecteurs attentifs du Kitâb al-‘Ibar, désigne dans son œuvre, sans ambiguïté possible, les Francs, avec le sens que l’on donnait à ce nom à son époque : les peuples de langue latine du nord de la Méditerranée, et particulièrement ceux qui avaient mené les Croisades du xie au xiiie siècle66. Or, ces Francs sont présents très tôt dans la vision historique de notre auteur : dès après la mort de Grégoire en 647, écrit-il en effet,
Les Berbères ne se présentèrent plus en masse devant les troupes arabes ; mais chacune de leurs tribus combattit dans son propre territoire, en se faisant aider par un détachement de Francs67.
25Et ailleurs, dans une vigoureuse mise en garde, il n’hésite pas à éclaicir son propos :
A l’époque où l’islamisme vint étendre sa domination sur les Berbères..., ce furent les Francs qui exerçaient l’autorité suprême en Ifrîkiyya, car les Rûm n’y jouissaient d’aucune influence : il ne s’y trouvait de cette nation que des troupes employées au service des Francs ; et si l’on rencontre le nom des Rûm dans les livres qui traitent de la conquête de l’Ifrîkiyya, cela ne provient que de l’extension donnée à la signification du mot. Les Arabes de cete époque ne connaissaient pas les Francs, et n’ayant eu à combattre en Syrie que des Rûm, ils s’étaient imaginé que cette nation dominait les autres peuples chrétiens68.
26Les historiens trop pressés d’extraire du livre d’Ibn Khaldûn quelques détails au service de leurs théories évitent de s’attarder sur ces passages, en se contentant des notes de De Slane postulant l’équivalence « Francs = Romains » (sous-entendu « d’Afrique »)69. Le procédé est facile mais ne résout rien. L’erreur demeure en effet, non seulement flagrante mais énoncée comme un résultat remarquable de la réflexion critique de l’auteur : il croyait réellement en la présence au temps de Grégoire des ancêtres des Francs de son époque. Or ceux-ci sont bien évidemment absents de toutes les autres sources arabes avant le Kitâb al-‘Ibar. En revanche les plus anciennes de celles-ci évoquent souvent, aux côtés des Rûm (Byzantins), les Afârik, qui étaient les Africains romanisés70. Mais cette population, avec l’islamisation et l’arabisation, disparut progressivement du Maghreb, et son nom, pourtant encore expliqué par Ibn ‘Abd al-Hakam, devint peu à peu une énigme pour les savants arabes, surtout au temps d’Ibn Khaldûn. Celui-ci ne l’emploie jamais, sauf dans une citation d’Al-Bakrî qu’il livre sans commentaire71, dans ses pages consacrées au Maghreb à l’époque de la conquête. A l’inverse, il introduit péremptoirement ces Ifrandj dont personne ne parlait avant lui. On ne voit guère, pour résoudre le mystère de cette substitution, comment éviter de supposer à nouveau un effet de l’esprit de système de l’auteur. Il ne saisissait plus, de toute évidence, le sens du mot Afârik qui apparaissait dans ses sources, parce que ce mot n’évoquait pour lui aucune réalité humaine. Mais il comprenait bien qu’existait en Afrique un autre peuple que les Berbères et les Rûm, et qui était de culture romaine et chrétienne. Comme à son époque, face aux Grecs de Byzance, le peuple chrétien et latin par excellence était les Francs72, il estima logique de corriger ses sources, seul contre tous, et de faire de ces derniers les vrais maîtres de l’Afrique du VIIe siècle. Comme De Slane l’avait vu dès 1852, « Francs » dans son texte signifie donc bien « Africains », mais l’énoncé de cette équivalence l’aurait probablement beaucoup étonné...
27Ces remarques paraîtront peut-être fort irrévencieuses. Notre propos n’est pourtant nullement de porter sur Ibn Khaldûn, comme le faisait E.-F. Gautier envers tous les autres auteurs arabes, un jugement de valeur qui ne pourrait être qu’entaché d’anachronisme. Il s’agit seulement ici de le ramener à ses justes dimensions : celles d’un savant doué d’un exceptionnel don d’analyse et d’écriture, mais qui restait un homme du xive siècle. Le beau et clair système dichotomique qui sous-tend son exposé de la société et de l’histoire berbères ne doit pas être lu autrement. Sans doute l’ampleur des vues et la qualité des synthèses du Kitâb al-{Ibar sont-elles dues pour partie à l’existence de cette dichotomie. Mais il n’est que trop évident qu’inspiré par celle-ci, le livre est bien plus une source pour l’histoire politique et intellectuelle du xive siècle que pour la connaissance de l’Afrique du viie siècle. A tout prendre, le génie d’Ibn Khaldûn est ainsi probablement bien plus dangereux pour l’historien de ce temps que les naïvetés et les confusions des chroniqueurs antérieurs.
Notes de bas de page
1 E.-F. Gautier, Le passé de l’Afrique du Nord. Les siècles obscurs, Paris, 1942, p. 95 et p. 85. Cf. de manière générale tout le chapitre consacré à Ibn Khaldûn, p. 80-102.
2 Cf. en particulier A. Cheddadi, « Ibn Khaldoun, anthropologue ou historien ? », introduction à sa traduction partielle Ibn Khaldoun : peuples et nations du monde, t. 1, Paris, 1986, p. 15-56 ; id., « Lectures d’Ibn Khaldoun », introduction à la traduction de l’autobiographie d’Ibn Khaldoun, parue sous le titre Le voyage d’Occident et d’Orient, Paris, 1980 ; et id., « Le système du pouvoir en Islam d’après Ibn Khaldoun », dans Annales ESC, 1980, p. 534-550.
3 A. Cheddadi, Ibn Khaldoun : peuples et nations du monde, t. 1, p. 20 (à propos des Prolégomènes).
4 Cf. A. Cheddadi, ibid. p. 19-36.
5 A. Cheddadi, ibid. p. 51.
6 A. Cheddadi, ibid. p. 42-43.
7 Ainsi quand par exemple il critique une généalogie donnée par Ibn Kutayba : Cet auteur déclare les Berbères enfants de Goliath, et il ajoute que celui-ci était fils de Caïs fils de Ghailan : bévue énorme ! En effet, Caïs, fils de Ghailan, descendait de Mâdd, lequel était contemporain de Nabuchodonosor... Ce Nabuchodonosor est le même qui détruisit le temple de Jérusalem bâti par David et Solomon environ 450 ans auparavant. Donc Mâdd a dû être postérieur à David d’environ ce nombre d’années. Comment alors son fils Caïs aurait-il pu être le père de Goliath, contemporain de David ? Cela est d’une absurdité si effrayante que je le regarde comme un trait de négligence et d’inattention de la part d’Ibn Kutayba. (trad. De Slane, t. 1, p. 184). Le passage est aussi intéressant parce qu’il démontre qu’Ibn Khaldûn, en énonçant ses généalogies tribales et les différentes versions du mythe d’origine berbère, avait une chronologie précise en tête, et que celle-ci le conduisait à situer le mouvement de peuplement du Maghreb et d’essaimage des tribus près de vingt siècles avant la conquête arabe. Les thèses des historiens qui cherchent à décomposer le mythe en parties légendaires et en souvenirs historiques d’une migration dans l’Antiquité tardive (cf. supra 2e partie p. 175) l’auraient bien étonné...
8 Trad. De Slane, t. 3, p. 180-181.
9 Cf. supra 5e partie intr. note 95.
10 Cf. sur cette école supra p. 728.
11 Supra p. 728-733.
12 Trad. De Slane t. 1, p. 168-169 (= Trad. Cheddadi, t. 2, p. 465).
13 Trad. De Slane, t. 1 p. 169.
14 Trad. De Slane t. 3, p. 183-184 (= trad. Cheddadi t. 2, p. 550).
15 Trad. De Slane t. 1, p. 198-199 et 206-215.
16 Ibid. t. 1, p. 192, 197, 208. La seule originalité de l’auteur est de mentionner, parmi les vassaux d’Héraclius, El-Macoucos, seigneur d’Alexandrie, de Barca et de l’Egypte à l’arrivée des Arabes (p. 208). Mais hormis le nom du personnage, le légendaire gouverneur d’Egypte al-Muqawqis qui aurait offert au Prophète une mule, un âne, et une femme, Marie la Copte (cf. Ibn Khaldûn, trad. Cheddadi, t. 1, p. 171), tout le passage se retrouve chez Ibn ‘Idhârî, qui cite à cette occasion sa source, Ibn al-Rakîk (cf. trad. Fagnan, t. 1, p. 11). Il serait intéressant de vérifier si d’autres auteurs identifiaient le « comte d’Alexandrie et de Barka » (Ibn Idhârî) avec ce personnage issu d’une tradition différente, ou si nous n’avons pas ici à nouveau un exemple d’assemblage d’éléments hétérogènes illustrant, avec toutes ses faiblesses, l’esprit de synthèse d’Ibn Khaldûn.
17 Ibid. t. 1, p. 209-210.
18 Ibid. t. 3, p. 227 : Le pays qu’ils avaient l’habitude de parcourir est situé dans le Maghreb central et s’étend du Chélif jusqu’à Tlemcen, et de là aux montagnes de Mediouna. Sur la tribu, cf. le très riche article de T. Lewicki, EI2, t. 5, 1986, p. 1163-1173.
19 Ibid. t. 1, p. 199, et t. 3, p. 227-228 (dans ces passages, Ibn Khaldûn n’emploie pas le terme Botr).
20 H. Slim, op. cit. supra chap. 16 note 2, p. 80-93 : après la victoire de Sbeitla, sont cités des raids sur Gafsa, Marmadjanna (au nord-ouest de Sbeitla) et à l’est vers Thysdrus et Rougga.
21 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, V, 21 ; Ptolémée, géographie, IV, 2, 5. Pour la localisation exacte ce ce peuple, cf. le commentaire de J. Desanges dans son édition de Pline, Histoire Naturelle, livre V, 1-46, Paris, 1980, p. 183-184. Après De Slane (appendice au tome IV de sa traduction d’Ibn Khaldûn, Paris, 1856, p. 575) et J. Desanges (Catalogue... p. 58), T. Lewicki a retenu aussi l’identification des Macurebi aux Maghrâwa (EI2, t. 6, p. 1164).
22 Comme Procope le notait dès 539, la Maurétanie Césarienne recréée par Justinien se limita, semble-t-il, à quelques quelques villes côtières comme Caesarea et Rusguniae ; Quant à la Sitifienne, elle paraît avoir été fort réduite dès les années 550 comme l’a montré Y. Duval (« La Maurétanie Sitifienne à l’époque byzantine », dans Latomus, 1970, p. 157-161). Certes, il y eut en 533 des chefs de Maurétanie qui vinrent assurer Bélisaire de leur soumission (Guerre vandale, I, 25, 3), mais Procope ne mentionne ensuite les Berbères de ces régions que de manière allusive, et ils ne semblent plus avoir été liés à l’Empire. D’autre part, la présence de Rûm à Tiaret lors du raid de ‘Ukba vers l’Océan, citée par plusieurs auteurs comme Al-Mâlikî (trad. Idris p. 138) et Ibn al-Athîr (trad. Fagnan, RAf, 1896, p. 368-69) ne peut guère être invoquée pour affirmer l’existence d’une garnison byzantine : sans doute, comme le pense G. Camps (AA, t. 20, 1984, p. 217), faut-il comprendre ici Rûm par « Africains ». Le seul témoignage attesté de rapports entre la Maurétanie et le reste de l’Afrique au temps de Grégoire n’est donc que la tenue d’un concile provincial en 646, en même temps que dans les autres provinces, pour condamner le monothélisme (R. Riedinger éd., Concilium Lateranense celebratum a. 649, Berlin, 1984, p. 67, auquel on joindra Théophane, Chronographia, éd. De Boor, A.M. 6121, p. 331, qui évoque les conciles provinciaux et confirme l’existence d’un véritable concile de Maurétanie : Divers évêques d’Afrique, de Byzacène, de Numidie et de Maurétanie s’assemblèrent et jetèrent l’anathème sur les Monophysites). Mais la survie du christianisme dans ces régions est un phénomène manifestement indépendant, qui n’implique nullement une dépendance politique vis-à-vis de Carthage.
23 Dans le cas des Maghrâwa, H. R. Idris a avancé aussi une autre explication, complémentaire de la nôtre : dans la légende, compterait surtout la mention du calife ‘Uthmân, un Omeyyade, dynastie à la mémoire de laquelle au Moyen Age les Maghrâwa restèrent fidèles, par opposition à leurs adversaires Sanhâdja, liés aux Fatimides, et qui s’attribuaient un ralliement précoce au calife ‘Alî ben Abî Tâlib, mort en 661 (cf. La Berbérie orientale sous les Zirides, t. 1, p. 8).
24 Trad. De Slane, t. 1, p. 211.
25 Ibid. t. 1, p. 286.
26 Ibid. t. 1 p. 211-213 et p. 286-290 : seule exception dans ce deuxième passage, la mention après la prise de Kairouan par Kusayla d’une « apostasie générale parmi les Zenâta et les tribus descendues de Bernès » (p. 289).
27 Trad. De Slane t. 1, p. 213.
28 Ibid. t. 3, p. 193.
29 Ch.-E. Dufourcq, « Berbérie et Ibérie médiévales. Un problème de rupture », dans Revue historique, t. 238, 1968, p. 293-324, et en particulier p. 296-303.
30 Trad. A. Gateau, RT 1931 p. 256.
31 Ibid. p. 257.
32 Trad. H. R. Idris, p. 136 et 138.
33 Ibid. p. 140.
34 Trad. E. Fagnan, RAf, t. 40, 1896, p. 370.
35 Ibid. p. 371-372.
36 Ibid. p. 372-373.
37 Trad. De Slane, dans JA, 3e série, t. 11, 1841, p. 127 et p. 130.
38 Ibid. p. 132.
39 Ibn ‘Idhârî, trad. Fagnan, t. 1, Alger, 1901, p. 18-19 ; ‘Ubayd Allâh, trad. Lévi-Provençal dans Arabica, t. 1, 1954, p. 39-40.
40 Trad. Gateau, RT 1932, p. 71.
41 Ibid. p. 73.
42 Trad. Hitti et Murgotten, t. 1, New-York, 1916, p. 360.
43 Trad. H. R. Idris, Revue des Etudes Islamiques, t. 37, 1, 1969, p. 143-144.
44 Ibid. p. 145.
45 Trad. Fagnan, RAf, t. 40, 1896, p. 379.
46 Ibid. p. 376.
47 Trad. De Slane, JA, 3e série, t. 11, 1841, p. 557.
48 Trad. Fagnan, t. 1, Alger, 1901, p. 25.
49 Ibid. p. 27. Sur ces deux fils de la Kâhina, cf. les remarques de M. Talbi, dans Cahiers de Tunisie, t. XIX, 1971, p. 41, qui conclut au caractère « berbéroromain » de la reine.
50 Trad. Lévi-Provençal, Arabica, t. 1, 1954, p. 40-41.
51 Ce silence des historiens arabes avant Ibn Khaldûn se retrouve aussi chez les géographes, qui ne mentionnent jamais les Djarâwa dans leurs descriptions ou leurs nomenclatures. Seul Al-Bakrî emploie le nom, mais pour désigner une tribu d’hérétiques marocains, puis comme toponyme pour un lieu éloigné de l’Aurès (cf. supra 5e partie, intr. note 69). La tribu existait-elle vraiment sous ce nom et dans l’Aurès au viie siècle ? On peut en douter.
52 Plusieurs sources, mais pas toutes, font état d’une rebellion des « Romains » contre la reine au bout de quelques années, notamment en raison de la politique de « terre brûlée » qu’elle aurait appliquée : cf. par exemple Al-Mâlikî, trad. Idris, p. 145.
53 L’affirmation d’un lien direct entre les deux chefs est la plus nette chez Ibn {Abd al-Hakam, qui qualifie Kusayla de « fils de la Kâhina » (cf. supra note 31). Curieusement, cette tradition apparemment ancienne n’a plus été reprise ensuite. Sur l’union des soldats de Kusayla avec la reine, cf. Al-Bakrî : l’avant-garde de la Kâhina était commandée par un des anciens généraux de Koceila Ibn Lemezm (trad. De Slane, Alger, 1913, p. 22-23).
54 Ibn Khaldûn, trad. De Slane, t. 1, p. 286.
55 Ibn ‘Abd al-Hakam, trad. Gateau, RT, 1931, p. 259 ; Al-Bakrî, trad. De Slane, JA, 1859, p. 130 ; Ibn {Idharî, trad. Fagnan, t. 1, p. 20.
56 Al-Mâlikî, trad. Idris, p. 136.
57 Ibn Khaldûn, trad. De Slane, t. 1, p. 211-212 et p. 286.
58 Al-Mâlikî, trad. Idris, p. 136.
59 Ibn al-Athîr, trad. Fagnan, RAf, t. 40, 1896, p. 370 ; Al-Nuwayrî, trad. De Slane, JA, t. 11, 1841, p. 127.
60 Pour la Kâhina, en dehors de la mention des Botr, la seule véritable originalité d’Ibn Khaldûn réside dans les détails onomastiques et généalogiques fournis sur la reine, une première fois limités à trois noms (trad. De Slane, t. 1, p. 213), puis une seconde fois portés à huit (ibid, t. 3, p. 193). Leur source est vraisemblablement le généalogiste berbère du xe siècle Hâni al-Darîsî cité aussitôt après (t. 3 p. 193), qui a pu les indiquer dans une notice sur les Djarâwa.
61 L’hypothèse ne peut cependant être complètement exclue : certains généalogistes, comme Hâni al-Darîsî (cf. note précédente), avaient peut-être, à l’occasion d’une notice tribale, cité brièvement des épisodes plus ou moins légendaires de la conquête. Très tôt en effet, nous le verrons, nombre de tribus ont cherché à ennoblir leur histoire en faisant remonter leur conversion aux expéditions de personnages célèbres comme ‘Ukba ibn Nâfi’ ou Mûsâ ibn Nusayr. Ces traditions, réinsérées et dispersées dans des schémas généalogiques sans perspective d’ensemble, ont pu servir de matériaux à Ibn Khaldûn.
62 Cf. par exemple trad. De Slane t. 2, p. 3 : Certains historiens de la même nation déclarent que le nombre de branches dans laquelle la tribu de Sanhâdja se partage est de soixante-dix. A en juger d’après ce type de détails, ces « historiens » semblent aussi avoir fait la part belle aux généalogies...
63 La vie d’Ibn Khaldûn nous est assez bien connue grâce à l’autobiographie qu’il a laissée, qui a été traduite par De Slane en introduction des Prolégomènes, t. 1, Paris, 1863, p. vi à xcvi.
64 Cf. sur tout ceci, M. Shatzmiller, L’historiographie mérinide. Ibn Khaldoun et ses contemporains, Leiden, 1982.
65 Il est possible qu’Ibn Khaldûn ait même eu connaissance très tôt de la dichotomie par tradition familiale. Un de ses ancêtres, le plus prestigieux probablement, Kuraib Ibn ‘Uthmân Ibn Khaldûn avait été en effet en Espagne, dans les années 890, le chef des Banu Khaldûn, une des principales familles arabes nobles de la région de Séville. Or ce Kuraib fut directement mêlé aux conflits qui ensanglantèrent le pays à cette époque : ce fut même sa décision de prendre les armes en alliance avec les Berbères Branès contre un autre groupe arabe, les Mudarites, alliés eux aux Berbères Botr de Morón, qui causa la principale guerre (cf. E. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. 1, Paris, 1950, p. 356-365). Dans son Autobiographie, Ibn Khaldûn, qui commence par raconter l’histoire de ses ascendants, accorde une place exceptionnelle à Kuraib, et il relate sa révolte dans tous les détails (cf. trad. De Slane, en introduction aux Prolégomènes, t. 1, Paris, 1863, p. ix-xiii). Nul doute que dès son enfance il avait eu connaissance de cette histoire, qui devait faire l’orgueil de son clan. Dans ces conditions, autant que par ses lectures d’œuvres généalogiques, on pourrait avancer que sa propre culture familiale le portait aussi à s’interroger sur l’origine et le passé des Botr et des Branès.
66 Cf. sur ce point A. Cheddadi, Ibn Khaldoun. Peuples et nations du monde, t. 1, Paris, 1986, p. 244 note 98.
67 Trad. De Slane, t. 3, p. 192.
68 Trad De Slane, t. 1, p. 208.
69 Histoire des Berbères, t. 3, p. 191.
70 Cf. ainsi Ibn ‘Abd al-Hakam, trad. A. Gateau, RT 1931 p. 243 : évocation des Afârika et explication du mot.
71 Trad. De Slane, t. 1, p. 177 : citation très étrange en fait, puisqu’elle évoque côte à côte les Francs et les Africains comme les peuples primitifs de l’Afrique chassés par l’arrivée des Berbères au Maghreb après la mort de Goliath. Il semble étonnant qu’Al-Bakrî, en reprenant une légende par ailleurs connue depuis longtemps (cf. supra p. 175) et qui nommait les Rûm et les Afârik, ait remplacé le premier nom par celui des Ifrandj. Ce genre de substitution est probablement plutôt une correction effectuée par Ibn Khaldûn sur le texte du géographe espagnol, puisqu’il était convaincu, comme il le dit ailleurs, que tous ceux qui nomment des Rûm en Afrique préarabe en oubliant les Francs se trompent (De Slane, t. 1 p. 208).
72 Cf. J. F. P. Hopkins, article « Ifrandj », dans EI2, t. 3, 1971, p. 1072.
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