Chapitre 15. L'Empire et les Maures, de la victoire de 548 à la conquête Arabe
p. 645-681
Texte intégral
1- POLITIQUE BERBÈRE ET ÉVANGÉLISATION DES TRIBUS DE TRIPOLITAINE
1Depuis le début de son règne, Justinien n'avait cessé dans son discours d'associer ses projets politiques à des justifications religieuses. La reconquête de l'Afrique elle-même, en 533, avait été officiellement lancée pour des motifs religieux : l'empereur avait invoqué songes et apparitions saintes pour prendre sa décision1, et l'expédition avait commencé à Constantinople par un geste hautement significatif :
Epiphanios, l'archevêque de la cité se rendit [au port] et y prononça toutes les prières appropriées, puis, après avoir choisi dans les troupes un soldat qui venait d'être baptisé et de prendre le nom chrétien, il le fit embarquer dans ce navire2...
2Cette scène étrange ne visait à rien d'autre qu'à proclamer clairement que l'opération de reconquête avait une vocation missionnaire, en l'occurrence à ce moment tournée contre les Vandales ariens et ceux des Africains qui les avaient rejoints dans l'hérésie. Par la suite, lorsqu'on passa de la guerre vandale aux guerres libyques, la thématique de la croisade réapparut dans la propagande byzantine, en se tournant cette fois contre le paganisme maure. Toute la Johannide est empreinte de cette idéologie et tend, pour la servir, à assimiler tous les adversaires de l'Empire à des ennemis du Christ3, en évoquant parfois des scènes aussi douteuses que la première consultation de l'oracle d'Ammon par Guenfan, père d'Antalas. En cela, Corippe répondait sans ambiguïté aux obligations d'une œuvre à caractère officiel, ce qu'il voulait que la Johannide fût. Mais on chercherait vainement, tant dans son poème que dans les autres sources, trace de véritables actions d'évangélisation des Maures au cours des années 533-548.
3Certes, ce souci n'avait jamais dû être absent des pensées de l'empereur depuis la reconquête ; mais l'obligation d'agir dans l'urgence qu'avaient connue ses généraux jusque-là, et le principe assez flou d'un refoulement des barbares aux extrémités du monde, n'avaient jamais permis d'en envisager réellement la mise en pratique. A partir de 548, le contexte changea, au contraire : l'Empire, après les coups portés aux tribus, pouvait croire la paix établie pour longtemps, et il savait aussi que les refuges sahariens de ses ennemis n'étaient jamais tant éloignés qu'ils ne pussent permettre un jour leur retour inopiné. Il fallait donc concevoir une politique à long terme qui neutraliserait le danger maure, et la christianisation en parut, à côté des démonstrations de force militaire, l'instrument le plus efficace4.
4De manière prévisible, la Tripolitaine, principal foyer d'agitation maure depuis 544, fut le terrain d'expérimentation privilégiée de cette politique. Aucune mission, aucune conversion nouvelle n'est en effet signalée par les textes au vie et au viie siècle en Byzacène, en Numidie, ou sur les marges méridionales de ces provinces, alors que les Grecs y combattirent souvent. Si répétitif sur les constructions d'églises en Tripolitaine, le De Aedificiis de Procope n'en dit soudain plus un mot dès qu'il franchit le Chott el Djérid. C'est, nous l'avons vu, un indice parmi d'autres qui confirme que la christianisation des Maures de l'intérieur était déjà largement réalisée à l'arrivée des Byzantins, même si elle paraissait imparfaite à certains5. Inversement, on ne peut s'étonner de l'importance des missions en Tripolitaine au regard des nombreux témoignages sur la vitalité du paganisme dans cette région entre le ive et le vie siècle.
5Pour que le projet byzantin de « missions politiques » réussisse, il fallait cependant l'appui de l'Église. Mais il fut apparemment acquis sans problème. Les Maures du désert libyen étaient en effet les plus puissants et les plus obstinés des païens en Afrique au vie siècle. Ils s'inscrivaient tout à fait, à ce titre, dans cette catégorie de barbares dangereux dont saint Augustin ne croyait pas la conversion possible de manière spontanée : la « pacification » était pour ce type d'individus le préalable nécessaire à l'évangélisation6. Fidèle à sa pensée, l'Église d'Afrique ne dut donc pas avoir de scrupules à prêcher à la suite des armées impériales.
a) Le problème des Laguatan
6Face à cette grande tribu, le trait le plus remarquable de la politique byzantine fut d'abord l'effort entrepris pour la frapper jusqu'au cœur de son territoire, ce qui depuis 533 n'avait apparemment jamais été essayé. Les fouilles de Ghirza et les traces d'incendie constatées, datées approximativement du milieu du vie siècle, marquent probablement une étape de la poussée byzantine contre ses bases7. Ici, nulle trace de constructions militaires ou religieuses après le passage des armées romaines. Apparemment, Jean Troglita avait décidé de repousser l'ennemi le plus loin possible des cités cô-tières. L'insistance des sources arabes sur la concentration des La-wâta en Cyrénaïque un siècle plus tard pourrait confirmer ce choix. Mais le général romain savait aussi que, même éloignés, les Laguatan pouvaient rester dangereux. Il poursuivit donc sa marche en avant jusqu'au foyer originel de ses adversaires, Augila, dont Pro-cope atteste implicitement de l'occupation8. Certes, l'historien grec, préoccupé uniquement par les conséquences édilitaires de cette occupation en raison du thème du livre dans laquelle il l'évoque (le De Aedificiis), ne parle pas d'opération militaire. Mais Augila était au Bas-Empire une oasis extérieure à la province de Cyrénaïque et à l'Empire en général9, comme suffit à le prouver le fait, aux dires mêmes de Procope, que des sanctuaires païens y demeuraient en activité avant l'intervention de Justinien. Terre berbère, elle était aussi, nous l'avons vu, très probablement le foyer religieux essentiel des Laguatan. Son occupation ne put donc nullement être naturelle. Il faut très vraisemblablement reconstituer, en amont de la description de l'historien grec, une expédition armée de conquête, dont les La-guatan durent être les principales victimes.
7Dans toutes ces opérations, le souci missionnaire paraît avoir été indissociable des actions militaires. En brûlant Ghirza, les Byzantins détruisirent le centre d'un culte d'Ammon et peut-être de Gurzil, où on célébrait bruyamment au ive siècle d'impressionnantes hécatombes. L'occupation d'Augila fut d'abord l'occasion de la fermeture du sanctuaire d'Ammon, suivie de la construction d'une église dédiée à la Théotokos10. Dans les deux cas, on perçoit bien qu'il ne s'agissait pas d'actes isolés, mais de la mise en application d'un vrai projet. Comme le dit Procope, à Augila, dès lors, la doctrine de la vraie foi était enseignée aux habitants du lieu, faisant de toute cette population des chrétiens.
8Pour que cette ambitieuse politique d'éloignement et de conversion des Laguatan réussisse, il fallait cependant que le pouvoir byzantin se donne les moyens de l'entretenir sur une longue durée. On ne pouvait pas compter en effet à court terme sur le dynamisme propre d'un christianisme imposé par la force. Or, rien dans les sources chrétiennes ni dans le paysage archéologique des régions de la Syrte ne vient ensuite confirmer l'effort entrepris sous Justinien. Certes, l'absence de fouilles à Augila est ici particulièrement préjudiciable car, en admettant qu'on la retrouve, l'église consacrée à la Théotokos nous permettrait probablement de reconstituer l'évolution de la greffe religieuse tentée par l'empereur. Mais le silence des sources sur un épiscopat d'Augila, en dehors du très hypothétique Théodoros d'Ingelôn cité en 55311, n'incite guère à l'optimisme, surtout au regard des indications ultérieures des sources arabes.
9Les Laguatan réapparaissent en effet brutalement en position dominante à l'époque de la conquête arabe. Ils sont alors par excellence les Berbères de la Cyrénaïque (Barka), en étant aussi présents, selon certains textes, dans la Syrie et en Tripolitaine12. Mais redevenus puissants, ils semblent aussi être redevenus païens13, car il n'est plus jamais question de leur christianisme, à la différence par exemple des Nafûsa, pas plus que d'éventuels traités avec les Byzantins. Comme jadis leurs ancêtres les Nasamons après le désastre de 86, tout suggère en fait qu'ils ont réussi, après quelques décennies, à retrouver une pleine indépendance, politique et religieuse, en reprenant même leur progression vers les cités littorales.
10Aucun document ne permet avec certitude de reconstituer les modalités de cette spectaculaire renaissance, mais plusieurs indices indirects en existent. Une étape possible dans le redressement politique de la grande tribu pourrait d'abord être située vers 582. Le chroniqueur jacobite Jean de Nikiou14 (deuxième moitié du viie siècle) signale en effet qu'à cette époque, au début du règne de Maurice, le général Aristomaque, rétabli dans son commandement de l'armée romaine d'Egypte, vainquit les barbares de la province de Nubie ( ?) et de l'Afrique appelés Mauritani et d'autres barbares appelés Ma(z)iques. Il les tailla en pièces, dévasta leur pays, leur enleva leurs biens, et les ramena tous enchaînés en Egypte15. La mention des Maziques ne surprend pas, puisque ces Berbères orientaux sont plusieurs fois signalés au ve et au vie siècle pour leurs raids sur les oasis égyptiennes, ou contre les monastères du désert. Leur nom, très général, désigne vraisemblablement ici un groupe de tribus de l'intérieur de la Marmarique16. En revanche, l'évocation de l'Afrique et des Mauritani est plus étonnante. Dans un passage antérieur de sa chronique, lorsqu'il évoque au temps de Moïse la célèbre invasion des Libyens sur l'Egypte, Jean de Nikiou désigne ceux-ci par l'expression les barbares appelés Mauritani, qui venaient de la Pentapolis17. Mais l'évêque jacobite paraît aussi, comme c'était l'usage dans les siècles antérieurs, faire commencer l'Afrique avec la Tripolitaine (il parle en 608 de la Tripolitaine d'Afrique18), en en distinguant la Pentapolis. Le terme Mauritani est d'autre part plusieurs fois utilisé par les chroniqueurs tardifs pour désigner les Maures de Tripolitaine ou de régions plus occidentales mobilisés par Héraclius en 608 (cf. infra). Nous sommes donc tentés d'identifier derrière ces mystérieux Mauritani des Berbères situés très certainement à l'ouest des Maziques, dans les régions du fond de la Grande Syrte, c'est-à-dire dans le pays des Laguatan. L'hypothèse d'une intervention de ces derniers n'aurait rien d'absurde, surtout si on se souvient des troubles évoqués par Philostorge vers 395-399 : alors, nous l'avons vu, les Maziques et les Auxorianoi, qui vivent entre la Libye et l'Afrique, désolèrent à l'est la Libye et ne détruisirent pas une partie peu importante de l'Egypte19... Nous avons hésité, certes, sur la réalité de ce raid des Laguatan, mais un déplacement vers l'est des éléments les plus hostiles de la grande tribu après la catastrophe de 548 est fort possible. Les sources arabes insistent en effet sur la concentration des Lawâta dans l'intérieur de la Cyrénaïque, qui était devenue selon beaucoup de documents leur pays par excellence à la veille de la conquête de 641-64220, et un texte d'Al-Kindî mentionne même une attaque qu'ils menèrent sur l'Egypte peu après la conquête, vers 660-66121. Ce déplacement, sur lequel certains historiens ont fondé une théorie des migrations inversée22 (d'ouest en est !) est probablement, nous l'avons vu, la conséquence de la politique d'expulsion menée par les Byzantins au temps de Justinien. Dans ces conditions nouvelles, un rapprochement des Laguatan et des Maziques est très possible. La participation des premiers à des attaques contre l'Egypte, qui provoquèrent l'intervention d'Aristomaque, peut donc aussi être envisagée comme le premier signe de leur survie et de leur redressement.
11On restera en revanche beaucoup plus prudent face au second épisode dans lequel Jean de Nikiou évoque des Maures. Selon le chroniqueur, en 608 :
Héraclius [alors exarque d'Afrique] leva l'étendard de la révolte ; il distribua beaucoup d'argent aux barbares de la Tripolitaine et de la Pentapole et les détermina à l'aider dans la guerre. Puis il appela auprès de lui son lieutenant nommé Bônâkîs ( ?) avec 3 000 hommes et un grand nombre de barbares et les fit partir pour la Pentapole où ils devaient l'attendre. Un peu plus loin, Jean de Nikiou ajoute : Les habitants de la Tripolitaine d'Afrique qui aimaient Héraclius et haïssaient Phocas firent venir des barbares sanguinaires ; et ils attaquèrent le gé-néral Mardios, et ils voulaient le tuer, ainsi que deux autres généraux nommés Ecclésianos et Isidore. Lorsque ces barbares vinrent, ils tournèrent leurs armes contre la province d'Afrique, puis ils s'enrôlèrent sous les drapeaux d'Héraclius l'aîné... Héraclius l'aîné fit partir Héraclius le jeune, son fils, pour Byzance avec des vaisseaux et un grand nombre de barbares, afin d'attaquer Phocas23.
12D'autres textes confirment, en le complétant, le chroniqueur égyptien. Jean d'Antioche indique ainsi que la flotte d'Héraclius emportait une très grande masse de Mauritoi (sic), et Nicéphore, plus précis, écrit qu'on envoya Héraclius, fils d'Héraclius, avec une grande force navale qui portait une armée nombreuse composée d'Africains et de Maures, tandis que Nicétas, fils de Gregorios, partait avec des cavaliers et des troupes terrestres24. Les deux historiens ont probablement la même source, déformée par Théophane25 (Héraclius conduisait une grande armée venue d'Afrique et de Maurétanie) qui confond eth-nonymes et toponymes.
13La célèbre révolte d'Héraclius contre Phocas, qui est ici relatée, se traduisit effectivement par l'envoi de deux armées vers Byzance : l'une par voie terrestre, qui eut pour premier objectif la soumission de la Pentapole, l'autre par voie navale directement contre la capitale de l'Empire26. Dans les deux cas, Jean de Nikiou, le plus précis de nos auteurs, signale explicitement la participation de « barbares », qui ne peuvent être, comme le révèlent les autres textes, que des Maures. Mais son récit, fractionné en deux parties, est confus et nécessite d'abord une remise en ordre chronologique. Ce qui survint en premier lieu dut être en fait la révolte des citoyens de Tripolitaine évoquée dans le deuxième fragment. Cette province, depuis la création de l'exarchat sous Maurice, était en effet rattachée administra-tivement au diocèse d'Egypte27. Héraclius n'y avait donc pas autorité, et il est vraisemblable qu'il ne put y intervenir que lorsqu'elle se souleva en sa faveur, probablement à l'annonce de sa révolte. Le moyen employé par les Tripolitains pour ce soulèvement fut, selon le chroniqueur, l'appel à des « barbares sanguinaires », qu'ils ne parvinrent pas, dans un premier temps, à contrôler. Ces deux aspects de leur action n'ont, en eux-mêmes, rien d'exceptionnel. Déjà en 533, les citadins de la province s'étaient insurgés, alors les seuls en Afrique, contre le roi vandale Gélimer28. Quant à l'appel par les cités elles-mêmes, et non le gouverneur, des tribus maures, il en existe un précédent célèbre en 69, lorsque Oea, en conflit ouvert avec Lepcis Magna, appela à la rescousse les Garamantes, « nation intraitable » dit Tacite, « qui finit par mettre tout le pays au pillage »29.
14Le cumul des deux événements, soulèvement des cités et troubles introduits par les Maures, justifia en tout cas l'intervention rapide d'Héraclius en Tripolitaine. Et c'est alors, dans un deuxième temps donc, qu'il obtint, moyennant un engagement financier, le ralliement des tribus et qu'il les lança dans une offensive navale avec ses propres troupes contre Byzance. Même si le chroniqueur égyptien paraît songer à un recrutement de mercenaires, on peut penser que, dans ces circonstances, l'exarque utilisa à son profit des accords existant avec certaines tribus comme jadis Solomon en 544, qui eut un moment à ses côtés les Ifuraces et les Mecales30 ; les généreuses distributions d'argent ne seraient, dans cette perspective, qu'un complément aux pensions habituellement versées à la suite des traités.
15Mais le chroniqueur ajoute qu'Héraclius réussit aussi à négocier une alliance avec d'autres Maures, originaires de Pentapole, province où il n'avait pas autorité et qui ne manifestait aucune volonté de le suivre ; et il signale que l'exarque utilisa ces Maures et ceux de Tripolitaine pour organiser une seconde expédition, terrestre, contre la Pentapole elle-même et de là vers l'Egypte. Ce dernier détail est pour nous le plus précieux pour tenter d'identifier les tribus impliquées dans ces événements.
16Malgré l'analogie signalée, on exclura d'abord les Garamantes, depuis longtemps repliés sur le Fezzan et qui entretenaient, depuis leur conversion au christianisme (cf. infra), de bonnes relations avec l'Empire. On devrait aussi en principe exclure les tribus du Djebel Nafusa, alors largement christianisées, et qui montreront en 643 leur respect des accords passés avec les Romains. Même si un barbare était souvent par définition « sanguinaire » chez les anciens, l'é-pithète, qui n'apparaît qu'à cette occasion chez Jean de Nikiou à propos des Maures, et surtout l'attitude imprévisible et violente des « alliés » des Tripolitains, conviendraient plutôt à des groupes Lagua-tan. L'hypothèse serait d'autant plus tentante que, de toute évidence, Héraclius conclut son alliance avec ces Berbères de Cyrénaïque alors qu'il ne contrôlait que la Tripolitaine. Dans ses négociations, l'exarque dut donc utiliser des intermédiaires, qui firent jouer des liens particuliers unissant les tribus des deux provinces. L'ombre des Laguatan réapparaît alors logiquement, puisque quarante ans après, dans les sources arabes, ils sont les seuls à être cités simultanément en Cyrénaïque, dans la Syrie et en Tripolitaine31.
17Toutefois, tout ce que nous savons par ailleurs de l'histoire de la grande tribu oblige à rester prudent devant cette hypothèse. Leur décalage global vers l'est, leur passé (et aussi peut-être leur attitude belliqueuse en 582), et plus tard leur comportement au moment de la conquête arabe, avec l'absence de soutien aux Grecs et une soumission rapide aux musulmans à la différence de ce que feront par exemple les Nafûsa, n'incitent guère en effet à supposer leur participation à l'aventure d'Héraclius. D'autre part, tous les textes prouvent que les Maures, s'ils ne formaient pas le seul élément des forces d'Héraclius, y tinrent certainement une grande place, peut-être décisive puisque la révolte fut victorieuse. Or, l'importance de l'engagement, l'éloignement de l'objectif et la durée de l'expédition supposaient une discipline qui ne s'accorde guère, cette fois encore, avec le passé des Laguatan.
18Le dossier de la révolte d'Héraclius en 608-610 reste néanmoins important pour nous, parce qu'il atteste de l'établissement de liens réguliers entre le pouvoir byzantin et des tribus de Tripolitaine. Au delà du problème compliqué posé par les Laguatan, il nous invite à envisager les autres aspects de la politique impériale dans la province, en remontant nécessairement à nouveau au temps de Jean Troglita. L'ampleur des opérations nécessaires à la neutralisation des Laguatan après 548 permet en effet de penser que de nombreuses autres tribus libyennes, impliquées dans les guerres des années 544-48, et dont les territoires étaient moins excentrés, eurent à subir le passage des troupes byzantines. Certes, aucun texte n'évoque explicitement ces opérations militaires. Mais comme à Augila, il faut les supposer en amont de l'œuvre d'évangélisation réussie alors à l'initiative du pouvoir impérial.
b) Les autres groupements maures de Tripolitaine
19Un premier exemple significatif de cette politique nous est fourni par le destin des Gadabitani. Selon Procope, ces « barbares » établis dans le voisinage de Lepcis Magna s'étaient adonnés avec excès, jusqu'à son époque, à ce qui est appelé la forme grecque de l'athéisme, c'est-à-dire au paganisme32. Or, Corippe mentionne parmi les tribus libyennes engagées dans la coalition de 546, après les Laguatan et la Muctuniana manus qui habite les déserts de la Tripolis, Gadabis la perfide qui envoie ses guerriers depuis ses murs33. Certes, le voisinage de Lepcis mentionné par l'historien grec paraît différent de la localisation suggérée par Corippe, qui renvoie plutôt à la côte syrtique, beaucoup plus à l'est34. Mais Procope, dans le De Aedificiis, est très imprécis dans son évocation de la Tripolitaine et il est donc fort possible qu'il s'agisse du même groupe. On ne sait si ces Maures suivirent encore les Laguatan en 547-548, mais ce que dit d'eux l'historien grec est très probablement à relier aux suites de la catastrophe de Latara : l'Empereur fit de ces barbares de zélés chrétiens. Les mentions dans un cas de révoltés et dans l'autre de païens convertis sont évidemment à relier : l'évangélisation forcée a été pour les Gadabitani la conséquence de la défaite militaire.
20De manière plus hypothétique, la conversion des habitants du Djebel Nafusa pourrait s'inscrire aussi dans la même perspective. Nous avons vu que de nombreux indices conduisent à situer dans ce massif plusieurs des tribus insurgées en 54635. Or, si des traces de christianisation y existent avant le vie siècle (ainsi, l'église d'El Asa-baa qui, dans sa première forme, est probablement à dater de la fin du ive ou du ve siècle36), le mouvement semble s'être surtout intensifié au vie siècle, auquel on peut rattacher la majorité des édifices de culte qui ont été découverts. En reprenant l'étude de ces édifices, A. Di Vita a montré que sur les neuf basiliques connues dans le Djebel ou le pré-désert, trois ont été construites après la reconquête byzantine, et que trois autres ont subi d'importantes modifications au même moment, avec pour les deux séries une même caractéristique : l'adoption d'un plan et d'aménagements manifestement copiés sur le modèle des églises des cités romaines de la côte37. Pour l'historien italien, l'intervention, directe ou indirecte, du pouvoir byzantin dans cette évolution architecturale et religieuse est plus que probable : « Il n'y a pas à s'étonner, conclut-il, que les Byzantins aient essayé d'étendre leur sphère d'influence sur le pays du Djebel et le pré-désert de Tripolitaine en se servant aussi, sinon surtout, d'une pénétration religieuse renouvelée dont l'archéologie nous a conservé les traces »38. Cette hypothèse peut être renforcée par certaines sources écrites. Attestée archéologiquement, la conversion est en effet également affirmée sans nuances par les sources arabes au moment de la conquête de la Tripolitaine en 643 : pour Al-Bakrî, 'Amr soumit les Nafûsa qui étaient alors des chrétiens, et il ne sortit de leur pays qu'après avoir reçu un lettre du calife 'Umar39 ; et le Kitâb al-Istibsâr précise, en ne laissant aucun doute sur l'identité de ces Nafûsa : 'Amr arriva jusqu'au Djebel Nafûsa, dont les habitants étaient chrétiens, et le conquit40. Mais l'intérêt de ces textes arabes est surtout qu'ils soulignent l'existence de relations politiques avec les Romains, qui accompagnaient la conversion. Selon Ibn 'Idhârî, lorsque 'Amr arriva ainsi devant leurs murs, les habitants d'Oea (Tripoli) demandèrent secours à la tribu berbère des Nafûsa41 ; et Al-Tîdjânî, évoquant la longueur du siège, précise que cette demande ne fut pas vaine : 'Amr n'avait pas encore réduit la place qui résistait vigoureusement grâce au courage de ses habitants et au secours des Berbères Nafûsa qu'ils avaient appelés à leur aide42. Il faut supposer, derrière ces mentions d'appels à l'aide, l'existence de traités liant les tribus au pouvoir romain, probablement conclus pour la première fois dans les mois ou les années qui suivirent la victoire de Jean Troglita. Il est même temps de revenir, à propos de ces Nafûsa, aux accords de 608610 entre l'empereur, les cités de Tripolitaine, et les « barbares » qui furent engagés dans l'expédition contre Constantinople : peut-être, malgré le comportement peu amène de certains d'entre eux au début de ces événements, devinrent-ils les alliés privilégiés des Romains de la côte.
21Une stèle funéraire chrétienne du cimetière militaire de Constantinople récemment publiée43 pourrait venir à l'appui de cette hypothèse, si du moins on suit la réinterprétation qu'en a proposée C. Zuckerman44 :
[Ενθαδε κα-]
[τ]α[κι]τε Θεόδωρος ο τις
μακάριας μνιμι[ς]
[σ]τρατευομενος. [ωρ]
μισε α[π] ιλουστρα[ς]
επαρχίας Μαυριτανίας,
προφευκτους ονομα
Ζαρ γενος Ζ-αρακιανο[ς] εν μερι
Τριπολεος.
[τ]ελευτα μη(νι)
Οκ-[τοβρι]ου...
[Ci-] gît Théodore, soldat de bienheureuse mémoire ; il est venu de l'illustre province de Maurétanie ; (son) préfet est nommé Zar, de la tribu des Zarakianoi, dans la contrée de Tripolis ; il est mort le 9 du mois d'octobre [de l'indiction N].
22La principale difficulté du texte vient de la série de mots qui suit la mention de la province de Maurétanie :
προφευκτους ονομα Ζαρ γενος Ζαρακιανο(ς) εν μερι Τριπολεος.
23Le premier terme, profeuctous, n'a apparemment aucun sens, et C. Zuckerman propose d'y voir une adaptation du latin praefectus, ce qui le conduit alors à une conclusion logique : un second personnage est mentionné à partir d'ici dans l'inscription. Le savant byzan-tiniste, probablement inspiré par le mot genos qui apparaît peu après, estime qu'il faut ensuite distinguer dans le texte le nom de ce préfet, Zar, et l'indication de son peuple, les Zarakianoi de la « contrée » (méris) de Tripolis. L'ethnique Zarakianoi lui paraissant africain (bien qu'inconnu par ailleurs), il propose finalement de l'identifier à un des groupes maures de Tripolitaine qui suivirent Héraclius en 609-61045.
24L'obstacle le plus évident à ce raisonnement très séduisant est le rapprochement, que l'on est tenté de faire, et que les premiers éditeurs avait fait, entre les Zarakianoi et les Zarakênoi, les Arabes, rapprochement qui ne serait peut-être pas totalement absurde si on comprend en mer(e)i Tripoleos comme une allusion à l'arrière-pays de Tripoli de Syrie. Il faudrait voir alors dans Théodore un soldat africain intégré à une unité commandée par un préfet arabe, Zarge-nos le Saracène, à une époque indéterminée de l'histoire byzantine. Les curieux latinismes du texte, et ses fautes de grec, s'expliqueraient par le fait qu'il aurait été rédigé non par le préfet comme le pense C. Zuckerman, mais, ce qui est au moins aussi vraisemblable, par un compagnon d'armes de Théodore, un autre soldat africain, ne parlant pas un grec parfait. Il n'y aurait en effet rien d'étonnant à ce qu'un Maurétanien, tellement habitué aux suffixes tribaux de son pays, ait transformé Zarakenos en Zarakianos, et cela expliquerait aussi l'étrange surnom, totalement insolite comme le reconnaît C. Zuckerman, donné à l'eparchia Mauritanias : « illustre ». Seul un enfant du pays pouvait songer à l'époque byzantine à qualifier ainsi l'une ou l'autre des deux provinces de Maurétanie, réduites après 550 à vraiment fort peu de choses46...
25Nous restons cependant indécis face à ce texte car l'interprétation proposée par C. Zuckerman est parfaitement cohérente, et peut même être renforcée d'arguments auxquels il n'a pas songé. Si on admet comme lui que l'auteur du texte est le préfet « Zar », il paraît en effet logique d'admettre que ce personnage était lui-même chrétien, et pouvait commander des Maures chrétiens. Or, nous venons de le voir, l'existence de tels groupes est attestée en Tripolitaine, et en particulier dans le Djebel Nafusa. Le nom des Zarakianoi pourrait donc s'ajouter à ceux des Gadabitani et des Nafûsa et témoignerait du succès de la politique d'évangélisation et de « pacification » (accompagnée d'alliances) des Byzantins après 548. L'onomastique ne s'oppose pas non plus, malgré les apparences, à l'interprétation de C. Zuckerman. Si le nom Zar, pour un individu, est un hapax, on connaît en effet sur une inscription d'Upenna un personnage nommé Zarzio47, tandis que Polybe évoque un chef numide nommé Zar-zas48 : l'existence d'un dérivé abrégé de ces noms n'est donc pas inenvisageable. Quant aux Zarakianoi, si aucune tribu du catalogue de J. Desanges ne peut en être rapprochée, leur ethnonyme n'est pourtant pas absolument étranger à l'onomastique africaine, comme en témoigne cette inscription méconnue de Capsa49 :
DMS
AFL VICTORIA
ZARACAIA VIXIT
ANNIS VIII DIE
BUS CVL
OTBQ
26D(is M(anibus) s(acrum). Ael(ia) Victoria, Zaracaia, vixit annis VIII, diebus CXLV. O(ssa) t(ua) b(ene) q(uiescant).
27Certes, R. Cagnat, qui publia le premier ce texte50, hésite sur la première et les deux dernières lettres du mot Zaracaia. La qualité générale de ses lectures incite cependant à lui faire confiance. Or, comme il le note aussitôt, ce nom, en vertu des règles épigraphiques en matière d'onomastique féminine, est « sans doute un ethnique » plus qu'un banal surnom. Sans justifier un rapprochement direct entre des Zaracaii et les hypothétiques Zarakiani, l'inscription de Capsa tendrait donc au moins à prouver la possibilité d'existence d'un tel ethnonyme dans les régions méridionales et berbères de l'Afrique antique.
28Rien de tout ceci n'est cependant décisif, et on ne peut donc accueillir qu'avec prudence les Zarakiani comme un troisième exemple, à côté des Gadabitani et des tribus du Djebel Nafusa, des succès de la politique de soumission, d'alliance, et de christianisa-tion menée par les Byzantins après 548 en Tripolitaine proprement dite.
c) Diplomatie et mission au Sahara libyen
29L'Empire ne voulut cependant pas, après 548, s'en tenir à un essai de contrôle politique et religieux des seules tribus libyennes qui s'étaient opposées à lui. Il chercha aussi à prévenir les troubles que pourraient susciter des peuples plus éloignés, établis dans des oasis du Sahara profond, avec lesquels il n'était pas encore directement entré en contact. Cette politique, qui traduisait aussi, par-delà les soucis stratégiques, une prétention retrouvée à l'universalisme, rappela l'effort des empereurs du Haut-Empire, qui avaient établi des stations militaires en des points aussi isolés que Castellum Dimmidi ou Zella pour mieux surveiller et détecter les mouvements des nomades. Mais elle s'en différencia par l'économie systématique des moyens militaires et surtout par le recours à l'évangélisation comme instrument diplomatique.
30Telle fut d'abord, au témoignage de Procope, l'attitude employée vis-à-vis des Maures de Kidamê, c'est-à-dire, semble-t-il, de Ghadamès51. J. Desanges a proposé naguère d'identifier ces gens avec les Gadabitani cités précédemment, en supposant une confusion de l'historien grec52. Mais celui-ci dit des habitants de Kidamê qu'ils avaient été en paix avec les Romains depuis des temps anciens, ce qui ne convient pas aux Gadabitani nommés par Corippe parmi les insurgés de 54653. Il faut donc les différencier, comme il faut aussi distinguer leur mode de conversion. Pour Procope, les indigènes de Kidamê, après avoir été « soumis » par l'empereur Justinien (πεισθέν-τες : le mot n'implique pas une guerre), furent appelés pacati parce qu'ils avaient un traité permanent avec les Romains, et ils adoptèrent volontairement (εθελούσιοι) la doctrine chrétienne. Tout ceci diffère nettement de la méthode employée à l'égard des Laguatan. A Ghadamès, oasis très éloignée des régions effectivement tenues par les Grecs54, l'armée byzantine n'intervint certainement pas : l'écho des victoires de Jean Troglita, une diplomatie active et l'envoi de prêtres par une Église étroitement associée au projet d'extension de l'autorité impériale suffirent à assurer le succès. On ignore malheureusement ce qu'il advint ensuite de la population de Kidamê. L'oasis de Ghadamès disparaît des sources jusqu'à la conquête arabe : elle aurait été alors prise par 'Ukba ibn Nâfi', vers la fin des années 660, mais les textes ne disent rien de la religion de ses habitants55.
31La conversion des Garamantes, qui ne sont mentionnés dans aucune des guerres du VIe siècle56, fut probablement obtenue quelques années après celle des gens de Kidamê, selon une méthode identique. Cosmas Indicopleustès la considère acquise lorsqu'il rédige, vers 550, sa Topographie chrétienne :
Il en va de même (...) des Garamantes, de l'Egypte, de la Libye et de la Pentapole, de l'Afrique et de la Maurétanie jusqu'à Gadira, vers le sud. Partout, il y a des églises chrétiennes, des évêques, des martyrs, des moines hésychastes, partout où l'on proclame l'Evangile du Christ57.
32Le ton de ce passage est certes un peu trop triomphal, et sa perspective très générale, mais il n'y a pas de raison de mettre en doute, comme le fait U. Monneret de Villard58, son affirmation sur une pénétration du christianisme chez les Garamantes. Il est même fort possible, comme le suggère J. Desanges, que cette évangélisation fût la conséquence de celle de Ghadamès59. Cependant, selon Jean de Biclar60, les Garamantes ne se convertirent que plus tard, à une date difficile à situer exactement, entre 567 et 569 (la chronologie étrange de ce chroniqueur reste en effet mal expliquée, surtout dans ses premiers chapitres61), et à la suite d'une démarche unilatérale de leur part : Garamantes per legatos paci Romanae reipublicae et fidei chris-tiani sociari desiderantes poscunt, qui statim utrumque inpetrant. L'affirmation n'est pas nécessairement en contradiction avec le témoignage de Cosmas : celui-ci n'évoque que l'existence de « chrétiens » chez les Garamantes, qui peuvent refléter une première évan-gélisation, minoritaire, à la suite de missions isolées. Ce que Jean de Biclar décrit, au contraire, c'est la conversion officielle d'un peuple entier, à la suite d'une décision prise par ses dirigeants, comme l'atteste la mention de « légats » envoyés auprès des Romains.
33On peut douter en revanche du caractère strictement indépendant et spontané de la démarche elle-même. Sans doute, la diplomatie byzantine avait-elle préparé l'accord, qui lui assurait à la fois une garantie de sécurité, et un moyen de contrôle sur les Garamantes : l'ambassade des « légats » dut en effet aboutir à la signature d'un traité, et à l'envoi au Fezzan de clercs de l'Afrique byzantine pour encadrer cette nouvelle Église. Les termes de Jean de Biclar ne diffèrent guère ici de ceux employés par Procope à propos des Gadabitani : les Garamantes sont eux aussi désormais des Maures pacati et chris-tiani. L'Empire, une quinzaine d'années après le succès de Jean Tro-glita, poursuivait visiblement encore la grande ambition de contrôle et de surveillance du désert qu'avait définie Justinien, en associant toujours étroitement politique et religion62.
34Avec des peuplades restées à l'écart des conflits de la première moitié du vie siècle comme l'étaient les gens de Ghadamès et les Garamantes, cette stratégie, qui avait évité l'emploi de la force, avait peut-être plus de chances de réussir à long terme. Malheureusement, l'archéologie n'a pas jusqu'ici éclairci le destin de l'Église des Garamantes, et les sources écrites sont muettes après 567-569. Les textes arabes ne nous apprennent rien des populations du Fezzan, si ce n'est que Jarma (ou Djerma, c'est-à-dire l'Antique Garama) était leur capitale et qu'elle avait un roi63. Comme pour Ghadamès, ces textes, à forte tonalité légendaire, appartiennent tous à la geste de 'Ukba b. Nâfi', et ils se soucient plus de glorifier les violences commises par leur héros que de décrire la situation des indigènes qu'il soumit64.
35Le bilan de nos connaissances sur les Maures de l'actuelle Libye dans le siècle qui suivit la victoire de Jean Troglita s'avère ainsi, on le voit, particulièrement décevant, avant tout parce qu'un grand hiatus documentaire, de près de trois cents ans, s'établit entre le temps de Procope et de Corippe et la deuxième moitié du ixe siècle, l'époque des premiers historiens arabes qui nous ont laissé des textes. Les faibles lueurs qui éclairent le destin de la Libye berbère entre 548 et 642 proviennent de quelques pauvres chroniques latines, grecques, ou éthiopiennes, et des rares renseignements, très subjectifs et souvent fort déformés, recueillis par les conquérants musulmans dont les souvenirs firent la matière des ouvrages d'Ibn 'Abd al-Hakam, d'Al Balâdhûrî et d'autres érudits médiévaux. L'absence de fouilles ou même parfois de prospections sur les sites qui pourraient éclairer le destin des Laguatan ou des Garamantes ne fait ici qu'aggraver un désastre heuristique qui paraît, de toute façon, irrémédiable. Nous parvenons bien à analyser le grand projet de contrôle, de surveillance et de christianisation du territoire libyen lancé par Justinien et Jean Troglita, ainsi que ses premières applications. Mais nous ignorons presque tout ensuite de ses succès ou de ses échecs.
2 - L'EMPIRE ET LES MAURES DE L'INTÉRIEUR, DE JEAN TROGLITA À GENNADIUS
a) La fin du règne de Justinien
36La perte de la fin de la Johannide, et le subit passage chez Pro-cope à la technique du résumé pour les années 547-548 (une page de la Guerre vandale dans l'édition Loeb contre 32 pour les années 544-546 !) nous privent de toute information sur le sort des trois grands chefs des tribus de l'intérieur après la victoire de Jean Troglita. Selon Jordanès65, 17 praefecti maures furent tués dans la bataille finale (Latara probablement). Le terme surprend un peu, mais doit avoir la même valeur très générale que lui donne parfois Corippe, en évoquant donc aussi des chefs pleinement indépendants, qui restent malheureusement ici anonymes. Antalas et Iaudas, à en croire un passage unique et très isolé de la Guerre gothique de Procope, ne furent cependant pas au nombre des victimes. L'historien grec, en concluant son récit des événements d'Italie, ajoute en effet :
En Libye, les affaires avaient pris aussi une tournure favorable pour les Romains. Car il arriva que Jean, que l'empereur Justinien avait nommé général en ce pays, eut une chance extraordinaire : après s'être assuré de l'allégeance d'un des chefs maures nommés Koutzinas, il vainquit les autres au combat et, peu après, réduisit à la soumission Antalas et Iaudas qui commandaient les Maures de Byza-cène et de Numidie, qui le suivirent désormais comme des esclaves. Et les Romains n'eurent alors plus d'ennemis en Libye66...
37Ce texte peu connu évoque bien, semble-t-il, les suites de la bataille de Latara, en Byzacène et en Numidie. Jean poursuivit ses adversaires sur leur territoire, et il les força à capituler. Les modalités de cette capitulation restent cependant obscures. La fin de la phrase de Procope peut signifier une véritable réduction en esclavage des deux chefs, mais elle peut n'être aussi qu'une reprise du vocabulaire officiel qui accompagnait les traités byzantino-berbères : les chefs, aux termes de ces traités, se reconnaissaient, nous l'avons vu, « esclaves de l'empereur »67. L'alternative conduit évidemment à des interprétations assez différentes : dans le premier cas, il faut supposer que l'Empire fit passer les tribus du sud-ouest de la Byzacène en administration directe, ou bien qu'il leur imposa un nouveau chef jugé docile, peut-être avec le titre de préfet, et sur un territoire probablement réduit. Dans le second cas, Antalas et Iaudas auraient simplement reconnu la souveraineté romaine en conservant leur pouvoir et leur territoire. L'attitude réaliste de Jean Troglita depuis son arrivée en Afrique conduirait plutôt à privilégier cette hypothèse, qui n'exclut pas un réel affaiblissement des deux chefs, dont les peuples avaient accumulé les défaites sanglantes depuis 546. Ce phénomène d'affaiblissement paraît sûr pour Iaudas qui, même maintenu en Numidie, dut être placé sous la surveillance étroite de son ancien protégé, Cusina.
38Nous avons en effet, exceptionnellement, quelques informations sur la suite de la carrière de ce personnage. Jean Malalas et Théo-phane (qui s'inspire manifestement du premier) donnent deux récits très proches et complémentaires, qu'on peut combiner ainsi68 :
En décembre 562 (Théophane), ou en janvier 563 (Malalas), une rebellion des Mauritanoi éclata dans certaines parties de l'Afrique. Koutzinas, exarque de son peuple [om exarque des Mauritanoi] avait l'habitude de recevoir du gouverneur de l'Afrique [om du chef des Romains] une certaine quantité d'or depuis qu'il commandait le peuple des Maures. Jean Rogathinos, gouverneur de l'Afrique, à son arrivée, refusa, contre la coutume, de le payer et au contraire le tua par ruse alors qu'il venait chercher cette somme. Les fils de Koutzinas prirent alors les armes pour venger leur père ; ils dévastèrent une partie de l'Afrique et en occupèrent certains lieux (merê tina), tuant et pillant. Apprenant cela, l'empereur Justinien envoya au secours de l'Afrique son neveu le général Marcien avec une armée, pour ramener les Maures à la paix. Ils se soumirent à Marcien et l'Afrique retrouva la paix.
39Les deux auteurs emploient le terme exarchos pour qualifier le pouvoir de Cusina à la veille de sa mort. L'usage de ce mot est exceptionnel pour un « barbare », et ne se rencontre, à notre connaissance, qu'en cette occasion pour un chef maure. A l'origine, exarchos était un nom commun et évoquait simplement un commandement militaire, avec à partir du ve siècle une tendance à le réserver surtout pour les grands commandements69. Mais Justinien, dans la novelle 130 de 545 consacrée aux déplacements des armées, venait de l'introduire dans le vocabulaire législatif officiel70, en en faisant l'équivalent de dux, voire en le latinisant même en certains passages de son texte (ainsi au chapitre 6 : Ad haec iubemus ut exarchi nostri, vel etiam illi qui exercitum deducunt....). Or, peu après, le terme apparaît dans une inscription copte du royaume des Nobades, datée du 22 janvier 559 et trouvée à Dendûr, dans le sud de l'Egypte. Les No-bades étaient alors depuis peu convertis au christianisme, et en rapports étroits avec l'Empire, dont ils formaient un Etat satellite et al-lié71. L'inscription célèbre le roi Eirpanome, mais aussi après lui plusieurs de ses hauts dignitaires, en commençant par Joseph, exarque de Talmis72 (ville située un peu plus au nord). Comme l'a montré U. Monneret de Villard, ce titre, qui paraît faire de Joseph une sorte de préfet du roi, ne peut se comprendre qu'en fonction des relations nouvelles établies entre les Nobades et Constantinople, et il traduit nécessairement une influence byzantine73.
40A la lumière de la novelle 130 et de l'inscription de Dendûr, le titre d'exarchos attribué à Cusina par Jean Malalas, un contemporain de Justinien et d'Eirpanome, n'a peut-être pas le sens banal de « chef » qu'on lui a toujours reconnu. Car nous avons vu aussi que Cusina détenait depuis longtemps déjà une place particulière et privilégiée dans la politique berbère des Grecs. Soumis en 539, investi d'une large autorité sur « 30 chefs » de Numidie dans l'hiver 547-548, son rôle de représentant principal du pouvoir byzantin auprès des Maures n'avait dû que s'accroître après la victoire de Jean Troglita, à laquelle il avait beaucoup contribué74. On peut donc se demander si Jean ne fit pas du vieux chef une sorte de gouverneur général des tribus maures de Numidie et peut-être du sud-ouest de la Byzacène, en s'inspirant de l'exemple suivi en Orient avec les Ghassanides : là, au dessus des simples phylarques (chefs) de tribus, les Byzantins avaient investi quelques grands chefs, qui fondaient dès lors leur autorité à la fois sur le pouvoir coutumier et sur la délégation impériale. En 529-530, Justinien inventa même, comme on l'a écrit récemment, un « troisième niveau » du phylarcat, en faisant de Harith ben Djabala le « phylarque général » de toutes les tribus arabes alliées, une institution qui dura jusqu'au début des années 58075. Le pouvoir de Cusina a pu correspondre à un de ces deux « niveaux », et s'accompagner d'un titre nouveau et à la mode, désormais à valeur officielle : exarque des Maures.
41Mais l'expérience, dans les deux cas, s'acheva brutalement à l'initiative des Byzantins. Cusina fut traîtreusement assassiné en 563 ; selon un scénario étrangement analogue, mais sans y laisser sa vie, le phylarque Mundhir tomba dans un guet-apens tendu par un général romain en 581. Et en Orient comme en Afrique, le traquenard déclencha la révolte violente des fils du chef autrefois protégé76... Nous ignorons si les causes de la rupture furent aussi les mêmes (une accusation de trahison pour Mundhir). Peut-être l'Empire estima-t-il simplement que Cusina, qui restait un Maure, détenait désormais une puissance excessive. Il est aussi possible, plus simplement, que Jean Rogathinos ait été un nouveau Sergius, et qu'il ait agi sans instructions. La conséquence de son acte fut en tout cas une guerre, sur laquelle nos deux textes sont malheureusement très imprécis. Ils ne parlent cependant, et à plusieurs reprises, que de « certaines parties de l'Afrique »77, ce qui laisse penser que seule la Numidie, où vivait Cusina, avec peut-être le sud-ouest de la Byzacène, fut concernée. Un indice sur l'extension limitée de la révolte pourrait aussi, comme le pensait Diehl78, se déduire de la seule mention des fils de Cusina comme chefs de guerre (cependant, si Cusina détenait un pouvoir d'exarque général des Maures en Numidie, l'argument perdrait une bonne part de sa valeur).
42La question chronologique est plus embrouillée. Les dates, légèrement différentes, indiquées par Malalas et Théophane ne correspondent en effet qu'au début de la crise. Rien ne prouve dès lors, contrairement à qu'on dit souvent, que celle-ci fut brève. Au bout de combien de temps envoya-t-on Marcien ? Quelle fut la durée de son action ? Nous n'en savons rien. Dans ces conditions, on ne peut exclure que l'évocation par Corippe dans le court Panégyrique du questeur Anastase des malheurs des Africains, nécessairement antérieurs à sa date de rédaction (entre mars 565 et fin 566)79, ne reflète encore les effets de cette insurrection. Il est possible aussi que les difficultés personnelles mentionnées par le poète à la même époque dans ce texte80 et dans l'Eloge de Justin II81 ne soient pas que rhétoriques et s'inscrivent dans le même contexte. Peut-être même faut-il relier encore à ces événements l'allusion à un succès diplomatique qui accompagne la mention laudative du nouveau préfet d'Afrique Thomas dans l'Eloge de Justin II :
Et Thomas, Libyae nutantis destina terrae
qui lapsam statuit, vitae spem reddidit Afris
pacem composuit, bellum sine milite pressit,
vicit consiliis quos nullus vicerat armis82.
43Diehl associait ce passage à la conversion des Garamantes, qui eut pourtant lieu plus tard83. On peut penser plutôt à une remise en ordre postérieure aux victoires de Marcien, avec la conclusion de traités de paix. L'équilibre instauré par Jean Troglita, avec un système reconnaissant la présence maure à l'intérieur des provinces de Numidie et Byzacène sous la responsabilité d'un superpréfet aux ordres de Constantinople, après avoir été remis en cause de manière grave et durable vers la fin 562, avait donc été rétabli. Mais l'avenir allait vite montrer que malgré les efforts de Marcien et de Thomas, ce retour à la paix était fragile : une fracture profonde s'était à nouveau creusée entre Maures et Romains, qui devait rapidement se traduire par une crise d'une exceptionnelle gravité, dont malheureusement nous ignorons presque tout.
b) La grande crise des règnes de Justin II et Tibère II
44Nous entrons en effet vraiment désormais, à partir de 565, et jusqu'à la conquête arabe, dans des temps très obscurs, avec une documentation squelettique. Il serait aisé de juger la difficulté insurmontable et de renoncer à toute interprétation si, à plusieurs reprises, nos pauvres textes ne mentionnaient en quelques mots des événements réellement étonnants, en particulier sous le règne de Justin II (565-578).
45Les pièces essentielles du dossier se limitent à quatre ou cinq phrases de la Chronique de Jean de Biclar, brèves, et obscurcies par les références chronologiques confuses de cet auteur. Selon ce texte :
Durant la troisième année du règne de Justin, Théodore, préfet d'Afrique fut tué par les Maures (...). Durant la quatrième année de Justin, Theoctistus, magister militum de la province d'Afrique, vaincu au combat par les Maures, fut tué (...). Durant la cinquième année de Justin, Amabilis, magister militiae d'Afrique fut tué par les Maures (...)84.
La Chronique ne dit plus rien sur l'Afrique ensuite, jusqu'à :
La deuxième année de l'empereur Tibère, qui est la dixième année du roi Leovigild : [cette année-là], Gennadius, magister militum en Afrique, sema la désolation chez les Maures ; il vainquit au combat le très puissant roi Garmul [ou Gasmul], qui avait tué les trois chefs de l'armée romaine déjà nommés précédemment, et il mit à mort de son épée ce roi lui-même85.
46Un silence total retombe après cela sur l'Afrique dans ce texte qui se poursuit jusqu'à la huitième année de l'empereur Maurice, et qui, nous le verrons plus loin, aurait pu pourtant évoquer à nouveau des guerres maures.
47Il n'y a pas lieu de mettre en doute la valeur des informations de Jean de Biclar : cet ecclésiastique vécut de 567 à 576 à Constantinople, où les nouvelles d'Afrique arrivaient régulièrement, et il gagna ensuite un monastère en Espagne, un pays dans lequel commençaient à s'installer des refugiés africains86. Sa Chronique est donc considérée comme une source de valeur, malheureusement compliquée, nous l'avons déjà signalé à propos de la conversion des Garamantes, par des incertitudes chronologiques87. Les trois premiers épisodes cités plus haut, à prendre leur texte à la lettre, devraient ainsi se situer en 567/68, 568/69, 569/70. Mais Mommsen a depuis longtemps montré qu'il faut prêter à la Chronique, dans cette partie, un ou probablement deux ans de retard88 : pour cette raison, il situe la mort des trois généraux romains contre les Maures en 569, 570, et 571. En revanche, selon le même savant, à partir des chapitres correspondant à la fin du règne de Justin, le décalage s'inverserait : la victoire de Gennadius, placée la deuxième année de Tibère (théoriquement en 579/80), devait donc être datée plutôt de 578. Ces conclusions ont été acceptées par Diehl, qui a cependant fait remarquer qu'un préfet nommé aussi Théodore était le destinataire d'une novelle de Justin II en mars 57089. Si l'homme est identique au Theodore de la Chronique, tué par les Maures « durant la troisième année de Justin », il faudrait décaler le début de celle-ci non de deux, mais de trois années... La question, en l'état actuel de la documentation, est à peu près insoluble. Les tentatives faites à partir des événements de l'histoire espagnole mentionnés chaque année n'ont pas réussi à éclaircir le mystère : en évoquant l'avènement du roi Léovigild, placé par Jean de Biclar la même année que cette première crise africaine, marquée par la mort de Théodore, H. Wolfram90 a repris, très prudemment, les dates de 568 ou 569, ce qui nous maintient dans les mêmes années, sans autres précisions.
48A une date incertaine donc, vers la fin des années 560, une grande insurrection maure éclata, qui nécessita l'intervention des plus hauts responsables de l'armée byzantine. Elle connut, par la défaite et la mort de trois de ces généraux, des succès au moins aussi grands que ceux jadis remportés par Antalas et ses alliés, et comme à cette époque aussi, un chef suprême l'incarna, Garmul ou Gasmul, dont seule la disparition, une dizaine d'années après, permit le retour à l'ordre romain.
49Tout essai d'interprétation, au demeurant nécessairement hypothétique, de cette crise, apparemment comparable par sa longueur et sa gravité à celle du début de l'époque byzantine, ne peut reposer que sur une identification préalable de ses protagonistes. Or, depuis Diehl, et malgré les réserves judicieuses de D. Pringle, cette question a été résolue de manière très peu satisfaisante. Le grand byzantiniste voulut en effet éclairer le soulèvement maure par deux autres passages de la Chronique de Jean de Biclar, qui évoquent le peuple des Maccuritae : la même année (569 selon Mommsen) qui vit la conversion des Garamantes et la mort du « préfet d'Afrique » Théodore, la gens des Maccuritae se fit chrétienne ; or, quatre ans plus tard (573 ?), des légats de la gens des Maccuritae vinrent à Constantinople ; ils offrirent à titre de munus à l'empereur Justin des défenses d'éléphant et une girafe, et ils conclurent une alliance avec les Romains91. Pour Diehl, ces Maccuritae seraient en fait les Makkourai cités au iie siècle par Ptolémée en Maurétanie Césarienne, au pied de l'Ouarsé-nis92. Or, ajoute-t-il, si ce peuple, converti en 569, a dû en 573 venir renouveler sa soumission à l'Empire, c'est qu'entre ces deux dates « il participa à quelque soulèvement : il est permis de supposer que ce fut celui de Garmul ». Et l'historien de conclure : « Il paraît donc vraisemblable que ce roi était un grand chef maurétanien qui s'opposa aux progrès des Grecs vers l'Ouest »93.
50Diehl était certainement conscient de la fragilité de son raisonnement, d'ailleurs seulement présenté dans une note. Sa conclusion n'en a pas moins été largement acceptée ensuite, au point d'être reprise comme une certitude par beaucoup d'historiens94 qui parlent de « Garmul, le roi de Maurétanie ». Tout pourtant conduit à la rejeter. L'hypothèse d'une révolte pour expliquer l'envoi d'une ambassade quatre ans après une conversion est d'abord injustifiée : cette démarche peut tout aussi bien, comme l'a noté Pringle95, être simplement une confirmation d'accords antérieurs. On pourrait même supposer que comme les Garamantes, les Maccuritae ont d'abord été convertis par une mission officieuse, avant d'être pris en main officiellement par l'Église byzantine et d'être entraînés par le partenaire obligé de celle-ci dans une alliance politique. Même si les Maccuritae étaient des Maurétaniens, leur aventure ne nous permettrait donc pas de situer la révolte de Garmul en Maurétanie. Mais cette localisation doit elle-même être définitivement abandonnée.
51Déjà J. Desanges, puis G. Camps, avaient remarqué que la capture et l'offrande d'une girafe, et même de défenses d'éléphant s'accordaient mal avec ce que l'on sait de la faune du Maghreb à l'époque romaine96. J. Desanges, suivi sur le même ton par D. Pringle, avait donc suggéré dubitativement que les Maccuritae devraient peut-être s'identifier aux Makoura de Nubie, tout en notant que « selon Jean d'Ephèse, les Makoura étaient encore païens vers 580 », ce qui semble évidemment entrer en contradiction avec la conversion des Maccuritae attestée par Jean de Biclar vers 569. Or, U. Monneret de Villard a clairement démontré, dès 1938, que le récit de Jean d'E-phèse est sur cette question totalement faussé par les convictions monophysites de son auteur. De même qu'il ment en affirmant que les Nobades furent convertis vers 542-543 par des monophysites, il travestit la réalité en faisant des Makoura des païens vers 580 : en réalité, cette population était déjà convertie, mais au catholicisme, ce qui contredisait son apologie de l'œuvre des missionnaires monophysites en Nubie97. Il n'y a donc aucun obstacle à assimiler Mac-curitae et Makoura, d'autant que la lecture attentive du texte syriaque de Jean d'Ephèse montre, comme l'avait bien signalé E. W. Brooks dans sa traduction latine, que l'historien monophysite emploie la forme Maqûrîta98 et non Makoura : les Maccuritae sont donc un peuple de Nubie, et les péripéties de leur conversion ou de leurs rapports avec les Byzantins n'ont strictement rien à voir avec la grande insurrection maure dirigée par Garmul à partir de la fin des années 560.
52L'Empire n'avait, semble-t-il, reconquis de la Maurétanie Césarienne dans les années 530 que quelques cités côtières, comme Rusguniae, Rusuccuru et Caesarea99. Quant à la Maurétanie Sitifienne, occupée par Solomon en 539, elle se réduisit vite, comme l'a montré Y. Duval, à un petit nombre de cités, Sétif avant tout, associées peut-être dès les années 550 à la Numidie100. Dans ces conditions, même si rien ne permet en principe d'y exclure des troubles, la Maurétanie a peu de chances d'avoir été au cœur de la crise commencée vers 569. Il en va probablement de même aussi de la Tripolitaine. Ici, l'adversaire potentiellement le plus dangereux, le peuple Laguatan, s'était replié, nous l'avons vu, vers la Cyrénaïque, à partir de laquelle il a peut-être été mêlé à des troubles en Egypte vers 582. D'autre part, c'est alors que la guerre maure était déjà gravement engagée, l'année de la mort du préfet Théodore, que se produisit, au sud de la Tripolitaine, la conversion officielle des Garamantes, accompagnée de négociations et de la conclusion d'une alliance avec l'Empire : autant d'événements qui ne sont pas strictement incompatibles, mais qui se comprendraient quand même mal si la Tripolitaine était au même moment à feu et à sang. Par éliminations successives, nous en venons ainsi à la conclusion que la grande insurrection de Garmul dut plutôt frapper une ou plusieurs, sinon la totalité, des trois provinces centrales de l'Afrique byzantine, Numidie, Byzacène et Proconsulaire. Or, cette déduction, la mieux fondée à notre sens, peut être renforcée par des arguments autres que négatifs, fournis par les textes de Jean de Biclar.
53Même si les titres donnés aux quatre généraux byzantins cités sont tous différents, il n'est pas douteux, en effet, que plusieurs de ces hommes exerçaient, au moment de leur intervention, les plus hautes responsabilités militaires de la préfecture d'Afrique. Théodore, qualifié depraefectus Africae, doit être, comme le suggère aussi la novelle de 570 si on admet l'identité des deux personnages nommés, le préfet du prétoire d'Afrique, investi exceptionnellement d'un commandement suprême en raison des circonstances. Et, comme peut-être déjà Amabilis, Gennadius était le titulaire, si l'on suit J. Durliat, d'un nouvelle fonction de Magister militum Africae, couvrant à la fois la direction des affaires civiles et militaires de toute la préfecture, et qui fut créée à l'occasion de la révolte de Garmul101. Tout ceci témoigne de la gravité des événements et de l'inquiétude qu'ils suscitèrent à Carthage et bientôt à Constantinople. De toute évidence, c'est la survie même de l'Afrique byzantine qui fut en jeu à cette époque, ce qui ne se comprend que si les Maures insurgés agissaient au cœur de celle-ci. Compte tenu du passé récent, les soupçons de l'historien doivent se porter alors inévitablement, pour identifier l'origine de Garmul et de ses hommes, vers la Numidie et le sud-ouest de la Byzacène. De fait, c'est peut-être de la Numidie précisément que devait s'occuper le quatrième général cité par Jean de Biclar, Theoctistus, désigné par une formule un peu différente (magister militum de la province d'Afrique) : un sceau de plomb découvert à Carthage mentionne en effet un personnage du même nom, [m]agist(er) mil(itum) p[er] Numi[d(iam)], qui pourrait bien être identique au héros malheureux de la défaite romaine de 570102.
54Or, l'évolution du réseau de fortifications byzantines après Justi-nien ne contredit pas, au contraire, cette présomption. D. Pringle a noté que le règne de Tibère II, qui suit immédiatement la crise et fut pourtant bref (4 ans), voit soudain, comme après la victoire de Solo-mon sur Iaudas en 539, l'édification d'une série de nouvelles forteresses, disséminées dans les trois provinces centrales, le long de certaines grandes routes, mais aussi sur une ligne plus significative103. Deux de ces forteresses sont en effet situées en Numidie, immédiatement au nord de l'Aurès, et nous sont bien connues par leurs dédicaces. L'une est à Mascula et fut, semble-t-il, une enceinte urbaine : sa construction s'accompagna en effet de l'attribution du nom de l'empereur à l'urbs, qui devint Tiberia104 ; l'autre, plus modeste, mais significative, fut un castrum élevé par les cives d'un village (locus) sous contrôle impérial, à Aïn el Ksar105. Les deux édifices, très différents dans leur conception, paraissent témoigner d'une prise de conscience d'un danger à tous les niveaux de la société, et, malgré toutes les réserves que l'historiographie récente a émises sur une interprétation uniquement militaire des murs, leur érection à cette date est certainement à mettre au titre des leçons tirées de la révolte de Garmul. Dans ces conditions, leur situation en Numidie, immédiatement au nord de l'Aurès, n'est probablement pas un hasard, et suggère que le grand massif, comme en 539 ou en 563, a dû être un des foyers de l'insurrection.
55Mais celle-ci eut certainement une beaucoup plus grande extension, et par sa durée et ses violences, suscita une émotion et une inquiétude à l'échelle de l'ensemble de l'Afrique, avec de vrais phénomènes de panique. Outre les constructions de nouvelles forteresses sur des sites comme Henchir Sguidan en Proconsulaire106, à l'entrée de la zone de forte urbanisation de la province, nous avons en effet à ce moment un témoignage sur des mouvements de fuite de communautés africaines directement en relation avec les troubles. En 570 ou 571, au moment donc où les généraux Theoctistus et Amabilis étaient vaincus et tués :
Le moine Donatus, dont le monastère était en Afrique..., voyant la menace des violences des tribus barbares (barbararum gentium), et redoutant les dangers et la dispersion de ses moines, s'embarqua pour l'Espagne avec 70 moines et de nombreux manuscrits de livres (copiosisque librorum codicibus)107.
56L'épisode est célèbre parce qu'il signale pour la première fois explicitement un phénomène que les philologues devinent souvent, pour la période ultérieure, par l'étude des manuscrits : l'émigration du patrimoine littéraire africain vers l'Espagne à la fin de l'Antiquité. Il nous intéresse ici par son contexte : en décrivant un mouvement de panique devant des tribus barbares en Afrique vers 570-71, Hildefonse évoque très probablement la révolte de Garmul. Certes, on pourrait s'étonner que Donatus, s'il vivait comme nous le supposons dans le tiers oriental de l'Afrique, ait choisi l'Espagne comme terre d'accueil. Mais à cette date, l'Italie était depuis deux ans soumise aux assauts des Lombards, et ne pouvait représenter un refuge sûr108. La Gaule était lointaine et en proie aux conflits des différents royaumes mérovingiens. En Occident, l'Espagne wisigothique pouvait finalement paraître ainsi le lieu d'exil le plus favorable, et ce n'est pas un hasard si la Vie des Pères d'Emerita signale un autre cas d'exil d'un clerc africain dans le pays vers la même époque, celui de l'abbé Nanctus109.
57La grande crise du règne de Justin II doit donc s'inscrire, selon nous, dans la continuité des deux grands soulèvements africains qui l'avaient précédée. Elle ne fut possible que parce que les grands groupements maures de l'intérieur, contrairement au système conçu par Justinien au début de la reconquête, avaient réussi à faire admettre leur présence, par Jean Troglita d'abord, puis probablement par Thomas. Les louanges de Corippe à celui qui vainc par ses conseils ceux que personne n'a vaincu par les armes110 ne sont en effet qu'une habile présentation d'une réalité : le maintien à l'intérieur des provinces, contre une garantie de soumission, des anciennes tribus de Iaudas, Antalas et Cusina.
58Si nous cernons bien le contexte politique général de l'insurrection, ses causes précises nous échappent cependant complètement cette fois. Pour quelles raisons les peuples de l'intérieur s'insurgèrent-ils à nouveau vers 569 derrière Garmul ? Rien dans notre pauvre dossier de sources ne nous autorise à formuler des hypothèses...
59Seule la répétition des conflits quelques années après, et plus tard la mention par les textes arabes de grandes tribus berbères dans les mêmes régions, nous permettent de supposer que les victoires de Gennadius n'aboutirent à rien d'autre qu'à un nouveau retour au régime défini jadis par Jean Troglita.
3 - L'ENIGME DES GUERRES MAURES DE LA FIN DU vie SIECLE
60a) Gennadius resta très longtemps à la tête des armées d'Afrique, à tel point qu'il bénéficia le premier de la réorganisation administrative décidée par l'empereur Maurice et qui aboutit à la création de l'exarchat. A une date antérieure à juillet 591, où il est désigné du titre d'exarque dans une lettre du pape Grégoire le Grand111, fut créée en effet cette charge nouvelle qui réunissait officiellement le commandement militaire suprême et la direction de l'administration civile africaine112. Il n'est nul besoin de supposer une situation militaire ou politique exceptionnelle dans le pays pour expliquer cette décision, puisque l'Italie connut la même mesure en 584 au plus tard113. Néanmoins, plusieurs allusions des rares textes qui évoquent l'Afrique byzantine à cette époque signalent à nouveau, dans les années 580, un contexte militaire agité, qui a pu favoriser la réforme.
61Ce dossier est à la fois encore plus pauvre et encore plus embrouillé que les précédents. Sa première pièce est un court passage de la Chronique de Théophylacte Simocatta, qui s'insère dans une suite hétérogène d'événements : « Rome repoussa un assaut des Lombards. En Afrique, les troupes des Maures, de plus en plus affaiblies par le courage des Romains, furent ramenées à l'humilité et déposèrent les armes ; elles choisirent la paix et se soumirent aux Romains »114. Le chroniqueur cite ensuite un exploit de prisonniers romains originaires de Dara qui réussirent à s'évader de la forteresse perse de Lethé après avoir tué leurs gardiens.
62Traditionnellement, sur la foi d'une affirmation d'Ewald, éditeur des lettres de Grégoire le Grand115, les historiens situent cette défaite maure en 584 : Diehl, et après lui Goubert et Pringle116, ont admis cette date sans s'interroger. Et tous la distinguent d'une guerre évoquée par un autre texte, qui figure dans la Chronique de Théophane, lui bien daté de 587-588117 : « Cette année-là, au mois de septembre de la sixième indiction, les Lombards portèrent la guerre contre les Romains, et les tribus des Maures déclenchèrent en Afrique de grands troubles ».
63Curieusement, ces historiens n'ont pas remarqué que Théo-phane insère son allusion dans la même suite d'événements que Théophylacte Simocatta : non seulement une attaque des Lombards précède la guerre africaine, mais surtout on retrouve après celle-ci le même épisode édifiant : chez Théophane, vient en effet également à la suite le récit de l'évasion des prisonniers romains de la forteresse perse de Léthé118. Cette coïncidence ne peut être fortuite : de toute évidence, ce sont les mêmes événements que rapportent les deux chroniqueurs, l'un privilégiant le début de la guerre, l'autre la victoire romaine. L'hypothèse nous semble d'autant mieux fondée que la Chronique de Jean de Biclar ne signale à cette époque de guerre en Italie entre Lombards et Romains qu'en 586-587119, ce qui est proche de la date donnée de manière précise par Théophane, et non en 584. Tout ceci nous amène à supposer l'existence d'un seul épisode de crise et non de deux. De graves troubles survinrent vers 587-588, mais qui furent peut-être rapidement réprimés, ce qui expliquerait le ton de Théophylacte Simocatta.
64Où se situa cette guerre de 587-588, et quels furent les Maures qui l'animèrent ? Nos textes en eux-mêmes n'autorisent aucune réponse à ces deux questions, tant ils sont imprécis. Les événements ultérieurs laissent cependant penser que les tribus de l'intérieur n'y furent peut-être pas impliquées, contrairement à ce qui est souvent suggéré.
65b) La paix acquise après 587-588 ne fut en effet pas longue. C'est du moins ce qu'on peut déduire de la lettre de Grégoire le Grand à Gennadius en juillet 591 : le pape y félicite l'exarque pour le succès de « ses actions guerrières ». Il a fait la guerre, dit-il :
Pour étendre la République dans laquelle nous voyons Dieu honoré ; de sorte que le nom du Christ se répand tout à l'entour par la prédication de la foi chez les nations soumises (per subditas gentes).
Et le pape conclut :
Nous prions notre Seigneur et Sauveur qu'il protège votre Emi-nence dans sa miséricorde, pour l'assistance de la Sainte République, et qu'il donne à son bras de plus en plus de force pour répandre son nom à travers les nations voisines (per finitimas gentes)120.
66Diehl et Pringle n'ont guère commenté ce texte, simplement cité dans la liste des guerres maures. Or, la lettre pontificale n'est pas aussi imprécise qu'elle paraît : elle suggère clairement en effet que l'ennemi vaincu et désormais « soumis » était païen. Cela ne convient guère à des Maures de l'intérieur, et fait plutôt songer à des tribus des confins méridionaux des frontières provinciales. De fait, le pape souhaite comme un prolongement naturel de l'œuvre accomplie la défaite et la conversion des finitimae gentes, de toute évidence extérieures aux provinces dirigées par Gennadius, et certainement sahariennes.
67Le conflit du début des années 590 est donc peut-être un épisode de l'histoire des relations entre l'Empire et les tribus de Tripolitaine après Jean Troglita. Nous avions signalé que c'est en 582, peu de temps avant, qu'apparaissait le premier signe possible du redressement des Laguatan, avec un raid sur l'Egypte121. La coïncidence chronologique est troublante. Elle autorise même à se demander, étant donné l'extrême imprécision des textes, si les troubles de 587588 ne furent pas dûs aussi à ces mêmes tribus, qui auraient à cette occasion réussi une percée à l'intérieur des provinces. Après les avoir repoussées, Gennadius, comme Jean Troglita, aurait entrepris une expédition vengeresse sur leurs terres libyennes, ce qui expliquerait la terminologie du document pontifical de 591.
68c) Tout ceci, on le voit, conduit à réduire la liste des grandes insurrections des Maures de l'intérieur après Jean Troglita. On nous objectera cependant qu'après la révolte des fils de Cusina et la guerre de Garmul, ces tribus ont été certainement au cœur de la dernière des guerres berbères du VIe siècle, celle de 595. A cette date en effet, selon Théophylacte Simocatta122 :
Les Maures fomentèrent une conjuration en Afrique contre les Romains. Leur coalition suscita une grande peur chez les Carthaginois (Karkêdonioi). C'est pourquoi Gennadius, alors gouverneur de l'Afrique, qui craignait la guerre contre une armée si nombreuse, agit par la ruse contre ces barbares. Il feignit de consentir à tout ce que les barbares voulaient et, alors qu'ils fêtaient leur succès par un festin, il profita de leur relâchement et les attaqua. Il en massacra ainsi un grand nombre, prit un important butin, et mit fin de la sorte de manière éclatante à la guerre carthaginoise (Karkêdonios polemos).
69La chronologie de ces événements, dont la conclusion rappelle beaucoup le stratagème utilisé contre les Nasamons sous Domi-tien123, est établie par la mention, juste auparavant, de la mort du patriarche Jean de Constantinople, survenue en 595. Leur déroulement est beaucoup plus obscur. A première vue, se serait reproduite à cet époque une crise d'une exceptionnelle gravité, qui comme en 545-546 au temps de Guntarith, aurait amené les Maures jusqu'aux portes de Carthage. C'est ainsi en tout cas que dès le ixe siècle Pho-tios124 comprenait le texte : selon son résumé, « Il (Simocatta) parle des Maures qui se tournèrent contre la ville de Carthage (Katà Kar-chêdonos tês poleôs) et dit comment l'audace de Gennadius étouffa la guerre ». Et c'est ainsi également que Diehl et Goubert l'ont interprété, le second parlant même d'une occupation de Carthage par les Maures125. Le précédent de 545-546 prouve certes qu'une remontée jusqu'à la capitale n'était pas impossible, mais on peut aussi s'interroger, comme D. Pringle126, sur le sens que pouvait recouvrir le terme Karchêdonios chez Théophylacte Simocatta. L'emploi unique de cette forme adjective, alors que Georges de Chypre à la même époque écrit Kartagenna127, est étrange, et il se peut, comme le suggère l'historien britannique, que le chroniqueur ait pris ici le mot comme un synonyme de l'adjectif africain.
70Dans tous les cas, que la capitale ait été ou non atteinte, rien ne permet d'identifier les Maures en question. Le vocabulaire employé, évoquant un complot et une coalition, est très vague et pourrait convenir, après les succès des années précédentes, aussi bien à une réaction des peuples des marges méridionales que des tribus de l'intérieur. L'incertitude reste pour nous totale, mais elle particulièrement irritante parce que cette crise, apparemment grave, est en même temps la dernière dans laquelle, selon nos pauvres sources, ont pu être impliqués les Maures de l'intérieur. Le silence retombe ensuite pour plus d'un demi-siècle sur ces groupes, jusqu'au premier raid arabe de 641 en Byzacène.
71On mesure ainsi à quoi se résument nos connaissances sur l'évolution des populations maures et sur leurs rapports avec l'Empire après 548. La carence des sources atteint sur ces questions un niveau jamais atteint depuis le milieu du IIIe siècle avant J.-C. Or, si le silence des chroniqueurs gaulois ou la concision extrême des Espagnols peuvent s'expliquer par les difficultés internes de ces pays et la faible intensité de leurs relations avec l'Afrique, l'attitude des auteurs byzantins est plus déconcertante : à les lire, l'exarchat de Car-triage paraît être une terre du bout du monde, d'où les nouvelles n'arrivent pas, ou plutôt dont on se désintéresse presque totalement. Si ce silence n'est pas dû à la médiocrité des écrivains conservés, on peut se demander jusqu'à quel point la passivité relative que manifesta ensuite le pouvoir impérial devant l'assaut arabe ne refléta pas plus généralement l'indifférence des Orientaux envers les provinces occidentales... L'absence de textes purement africains surprend aussi, alors même que nous savons que les provinces conservèrent une certaine prospérité, et que leur Église fut animée d'un réel dynamisme. Mais sans doute faut-il incriminer ici le grand désastre qui frappa le patrimoine littéraire africain dès avant l'invasion arabe, avec ces fuites de moines et surtout de manuscrits, dont beaucoup disparurent irrémédiablement.
72Le peu que nous savons laisse cependant deviner que les grands clivages qui caractérisaient le monde maure au temps de Corippe demeurèrent. Or la situation géographique et politique des « Berbères » que découvrirent les Arabes à partir de 642 ressemble aussi tellement, nous allons le voir, à ce qu'elle était en 548, qu'on peut, malgré tout, se risquer à conclure qu'avec ou non de nouvelles guerres, les Byzantins restèrent toujours fidèles, pendant ce siècle sans textes, à la politique définie par Jean Troglita.
Notes de bas de page
1 Cf. supra p. 574-575, et le début de notre chapitre « L'Église d'Afrique et la reconquista byzantine », dans J.-M. Mayeur, Ch. et L. Piétri, A. Vauchez et M. Ve-nard, Histoire du christianisme, t. III, Paris, 1998, p. 699-717.
2 Procope, Guerre vandale, I, 12, 2.
3 Cf. J. U. Andres, Das Gottliche in der « Iohannis » des Corippus, Trêves, 1997 ; H. Hoffmann, « Corippus as a patristic author ? », dans Vigiliae Christianae, 43, 1989, p. 361-377 ; et, avec une bibliographie complète sur le sujet, V. Zarini, « Goétique, poétique, politique : réflexions sur un passage de la Johannide de Co-rippe (3, 79-155) », dans J. Dion (éd.), Culture antique et fanatisme, Nancy-Paris, 1996, p. 117-140.
4 Sur l'importance des perspectives « missionnaires » dans la politique extérieure byzantine, cf. Is. Engelhardt, Mission und Politik in Byzanz. Ein Beitrag zur Strukturanalyse byzantinischer Mission zur zeit Justins und Justinian, Munich, 1974, et W. H. C. Frend, « the Missions of the early Church 180-700 A.D. », dans Miscellanea Historiae Ecclesiasticae, III, 1961, p. 17, qui qualifie l'action de Justi-nien ainsi : « a mixture of religion and political idealism ».
5 Cf. supra p. 331-334 et 344-347.
6 Cf. supra 3e partie p. 520-521.
7 Cf. supra p. 291.
8 Procope, De Aedificiis, VI, 2, 19.
9 Cf. supra p. 243-244.
10 De Aedificiis, VI, 2, 19.
11 Cf. D. Roques, Synésios de Cyrène et la Cyrénaïque du Bas-Empire, Paris, 1987, p. 338. Cet auteur a récemment proposé d'identifier Théodôros avec un évêque de l'Ingilène, en Arménie quatrième (« Procope de Césarée et la Cyré-naïque du vie s. ap. J.-C. », dans Rendiconti dell'Academia di archeologia, lettere, et belle arti, vol. lxiv, 1993-94, p. 429 note 70).
12 Cf. supra 2e partie p. 186.
13 La question est extrêmement difficile à éclaircir. Les textes arabes se contentent de dire que les Lawâta n'étaient pas musulmans à l'arrivée des conquérants, ce qui est évident, mais ils ne livrent aucun terme précis qui permettrait de connaître leur religion. On pourrait penser que le statut fiscal qui leur fut imposé pourrait offrir une solution, puisque l'islam frappait inégalement les « gens du Livre » et les païens. Mais les exemples d'abus commis en ce domaine par les Arabes vainqueurs sont innombrables, et le vocabulaire fiscal employé dans les textes est trop variable pour qu'une conclusion s'impose : cf. R. Brunsch-wig, « Ibn 'Abdalh'akam et la conquête de l'Afrique du Nord par les Arabes », dans Annales de l'Institut d'Etudes Orientales (Alger), vol. vi, 1942-47, p. 111-113, et nos remarques sur la conversion à l'islam, infra, p. 781. Il semble cependant, en dernière analyse, que le silence absolu sur une éventuelle christianisation des Lawâ-ta en 642, à la différence de ce qui est dit ailleurs d'autres groupes berbères, autorise à conclure qu'ils étaient perçus comme des païens.
14 Cet évêque égyptien avait écrit une chronique en grec, avec probablement certains passages en copte. Mais nous ne possédons ce texte que par une version éthiopienne de 1602, elle-même traduite d'une paraphrase arabe faite à partir de l'original. Cette succession de traductions rend évidemment très fragiles toutes les remarques qui peuvent être faites sur l'emploi de tel ou tel mot, malgré les efforts de Zotenberg pour restituer la langue de Jean de Nikiou. Outre le travail de ce savant cité à la note suivante, il existe une traduction anglaise : The Chronicle of John (c. 690 A.D.) Coptic Bishop of Nikiu, par R. H. Charles, Londres, 1916.
15 Jean de Nikiou, Chronique, éd. et trad. H. Zotenberg, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, XXIV, 1883, p. 524. Le texte éthiopien porte la leçon Mârikôs, mais il s'agit vraisemblablement des Mazices comme l'a avancé R. Basset (Le dialecte de Syouah, Paris, 1890, p. 7-8 note 2).
16 Cf. supra chap. 5 notes 34 et 52.
17 Jean de Nikiou, éd. Zotenberg citée supra, chapitre XXXI, p. 378.
18 Jean de Nikiou, ibid., p. 551.
19 Philostorge, Histoire ecclésiastique, XI, 8. Cf. supra p. 167-170.
20 Supra 2e partie p. 186.
21 Al-Kindî, éd. Guest, p. 32. Cf. supra chap. 5 note 34.
22 Ainsi O. Bates, The Eastern Libyans, Londres, 1914, p. 71-72, U. Monneret de Villard, Storia della Nubia cristiana, Rome, 1938, p. 87-91, ou K. Jongeling, « Materials furnished by Arab geographers for the history of some Berber tribes in the « provincia Barca », dans Actes du 1er Congrès d'Etudes des Cultures méditerranéennes d'influence arabo-berbère, Malte, 1972, Alger, 1973, p. 209-213.
23 Jean de Nikiou, trad. Zotenberg, p. 541 et p. 551.
24 Jean d'Antioche, fragment 218f, dans Muller, Fragmenta historicorum grae-corum, t. V, p. 38 ; Nicéphore le Patriarche, éd. De Boor, p. 3.
25 Théophane, Chronographia, éd. De Boor, p. 298.
26 Cf. sur cette expédition Diehl, L'Afrique byzantine, p. 517-521.
27 Cf. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 467, et Pringle, The Defence of Byzantine Africa, p. 42, les deux auteurs se fondant sur le classement de Georges de Chypre (éd. Honingman, Bruxelles, 1939, p. 61) qui place la Tripolis à la suite de la Pentapolis dans la liste des subdivisions du diocèse d'Egypte.
28 Cf. supra p. 290.
29 Tacite, Histoires IV, 50.
30 Cf. supra p. 634.
31 Cf. supra p. 186.
32 Procope, De Aedificiis, VI, 4, 12.
33 Johannide, II, 117 :
Muctuniana manus calidis descendit ab oris,
quae Tripolis deserta colit ; Gadabisque maligna
mittit ab arce viros...
34 Corippe nomme en effet aussitôt après (Johannide, II, 118-119), venus de vicinis ripis, les gens de Digdiga, un site de la Syrte orientale (cf. infra p. 298).
35 Cf. supra p. 104-108.
36 Cf. Ward-Perkins et Goodchild, « The Christian Antiquities of Tripolita-nia », dans Archaelogia XCV, 1953, p. 35-37 ; A. Di Vita, « La diffusione del cris-tianesimo nell'interno della Tripolitania attraverso i monumenti e sue sopra-vivenze nella Tripolitania araba », dans Quaderni di archeologia della Libia, 5, 1967, p. 121-142, et D. J. Mattingly, Tripolitania..., p. 211-212.
37 A. Di Vita, ibid., p. 122-131.
38 A. di Vita, ibid., p. 130-131.
39 Al-Bakrî, trad. De Slane, Alger, 1913, p. 26.
40 Kitâb al-Istibsâr, trad. Fagnan, dans RSAC, 1898, p. 58.
41 Ibn 'Idhârî, trad. Fagnan, t. 1, Alger, 1901, p. 2.
42 Al-Tidjânî, trad. A. Rousseau, dans JA, 1853, p. 138.
43 H. Kalkan et S. Sahin, « Epigraphische Mitteilungen aus Istanbul II : Kreuzfôrmige Grabstelen aus Konstantinopolis », dans Epigraphica Anatolica, 24, 1995, p. 143-144.
44 C. Zuckerman, « Epitaphe d'un soldat africain d'Héraclius servant dans une unité indigène découverte à Constantinople », dans Antiquité tardive, 6, 1998, p. 377-382.
45 C. Zuckerman (ibid., p. 379) estime aussi que Zar devait être un Praefectus gentis, parce que l'épitaphe mentionne aussitôt après son nom l'indication genos Zarakianos. A moins de pouvoir reconnaître dans le mot profeuktous un grade de l'armée byzantine, cette hypothèse est légitime, même si la forme hellénisée de praefectus était plutôt πραιφεκτος (cf. l'édit d'Anastase cité infra), et même si l'usage était en Afrique d'associer en une seule formule le mot praefectus et le nom de la gens commandée (cf. par exemple ILAlg II, 1, 3411 : pr(a)ef(ectus) gentis Sa-las(sum)). Nous hésitons en revanche à suivre l'auteur lorsqu'il cite comme exemple de préfet de tribu en Afrique, « oublié de Ph. Leveau et de Cl. Lepelley », le préfet clarissime mentionné dans l'édit d'Anastase sur la Libye (ibid., p. 379 note 12) : le titre de clarissime est très étonnant, même à la fin du ve siècle, pour un préfet de tribu, à une époque où ceux-ci sont des chefs indigènes, et le texte n'est pas parfaitement clair quant à l'affectation de ce « préfet », qui n'est nulle part donné comme préfet des Maces : (cf. SEG, IX, 356 § 11 lignes 46-51, et supra p. 219).
46 Cf. Y. Duval, « La Maurétanie Sitifienne à l'époque byzantine », Latomus, 1970, p. 157-161.
47 CIL VIII, 23046.
48 Polybe, Histoires, I, 84, 3 : un contingent sous les ordres du Libyen Zarzas...
49 CIL VIII, 11240.
50 Archives des Missions 3e série, tome XII, 1886, p. 68 no 109.
51 Procope, De Aedificiis, VI, 3, 9-11 : Ici aussi est une cité, Kidamê ; et là vivent des Maures qui ont été en paix avec les Romains depuis des temps anciens. Tous ont été soumis par l'empereur Justinien, et ils ont adopté volontairement le christianisme. Ces Maures sont maintenant appelés pacatoi, parce qu'ils sont en permanence liés par un traité avec les Romains (la paix se dit en effet pacem dans la langue latine). Sur l'équivalence Cidamus/Ghadamès cf. IRT 907 (= AL7, 1952, 96).
52 J. Desanges, Catalogue..., p. 91, et id., compte-rendu du livre d'Is. Engel-hardt cité supra note 4, dans Byzantinische Zeitschrift, t. 70, 1, 1977, p. 136.
53 Johannide, II, 117. Cf. supra note 33.
54 Puisque selon Procope les gens de Ghadamès « étaient depuis des temps anciens en paix avec les Romains », il paraît en effet peu probable que les Byzantins aient ressenti le besoin d'envoyer une garnison dans un endroit aussi isolé. Ils se contentèrent certainement d'une reconnaissance officielle de leur souveraineté.
55 Ibn 'Abd al-Hakam, trad. Gateau, dans RT, 1931, p. 252-253 : 'Ukba envoya un corps de cavalerie vers Gadâmis, qui fut prise ; Ibn al-Athir, trad Fagnan, RAf, t. 40, 1896, p. 365 : En l'an 41 (661-662), 'Ukba poussa jusque chez les Lowâta et les Mezâta... Il dirigea contre eux une expédition où il leur tua du monde et leur fit des prisonniers. En l'an 42 (662-663), il conquit Ghadamès et y agit de même ; Al-Bakrî, trad. De Slane, dans JA, 1858, p. 445 : [En l'an 46 (666-667)], 'Ukba, s'étant avancé jusqu'à Ghadams, dans le territoire de Sort, y laissa le gros de son armée... et prit la route de Waddan. Cf. sur ces régions au début de l'islam, T. Lewicki, « Les petits Etats du désert libyque et du Sahara tripolitain dans le Haut Moyen Age, excepté le Fezzan et le Kaouar », dans Atti della Settimana Internazionale di Studi Mediterranei Medioevali e Moderni, Cagliari, 1979, p. 123-135. Avec ces textes arabes, il faut noter que les chroniques espagnoles du viiie siècle affirment dès le début du califat de 'Uthmân (644-656) la soumission d'une Phazania qui paraît bien inclure Ghadamès (cf. infra p. 784-785).
56 Contrairement à une assertion parfois émise, Corippe ne les cite pas lors de l'insurrection de 547 dirigée par Carcasan : il parle seulement, de manière très imprécise, d'un groupe anonyme voisin des champs Garamantides (Johannide, VI, 198-199).
57 Cosmas Indicopleustès, Topographie chrétienne, III, 66 (éd. W. Wolska, t. 1, Paris, 1968).
58 U. Monneret de Villard, Storia della Nubia cristiana, Rome, 1938, p. 64.
59 J. Desanges, dans le compte-rendu du livre de Is. Engelhardt, Byzanti-nische Zeitschrift, t. 70, 1, 1977, p. 137.
60 Jean de Biclar, Chronica, éd. Mommsen, dans MGH, a.a., t. XI, Berlin, 1894, p. 212.
61 A lire naïvement la Chronique, qui situe la conversion des Garamantes lors de « la troisième année de l'empereur Justin (II) », il faudrait choisir 567/68, puisque Justin succéda à Justinien le 13 novembre 565. Mais Jean de Biclar a voulu établir dans chaque chapitre une équivalence entre années de Justin et années des rois des Wisigoths, ce qui l'a conduit à des déformations dont la logique nous échappe parfois. Mommsen a proposé finalement de décaler la chronologie de deux années (+2) par rapport à l'avènement de Justin II, tandis que d'autres s'en tiennent à une année. Mais d'autres systèmes ont été supposés (jusqu'à +3 pour certaines indications), et le problème, que nous retrouverons malheureusement plus loin, reste entier.
62 D. Pringle assimile par erreur les Garamantes aux habitants de Kidamê (Ghadamès). Comme ces derniers, selon Procope, étaient paisibles et christianisés au temps du De Aedificiis, au milieu des années 550, il suppose que les Gara-mantes se révoltèrent en 563 aux côtés des fils de Cusina (cf. infra p. 664), ce qui rendit nécessaire ensuite, vers 569, un nouveau traité et une nouvelle conversion (The Defence of Byzantine Africa, t. 2, p. 372, note 23). Tout ceci paraît purement imaginaire.
63 Ibn 'Abd al-Hakam, trad. A. Gateau, dans RT, 1931, p. 251 ; Al-Bakrî, trad. De Slane, dans Journal asiatique, 1858, p. 446 : [.En l'an 46 (666-67)], après une marche de huit nuits, ‘Ukba arriva auprès de Djerma et somma les habitants d'embrasser l'islamisme. Ils y consentirent et leur roi sortit pour visiter le chef arabe qui avait fait halte à six milles de là. Quelques cavaliers envoyés par ‘Ukba se jetèrent entre le roi et son cortège, l'obligèrent à mettre pied à terre, et le conduisirent auprès de leur chef. Comme il était d'un tempérament délicat, il arriva excédé de fatigue et crachant le sang. « Pourquoi me traiter ainsi, dit-il à 'Ukba, ne venais-je pas de bon gré ? « C'est pour te donner une leçon, lui répondit 'Ukba, tu t'en souviendras toujours et tu ne songeras jamais à combattre les Arabes ». Après lui avoir infligé un tribut de trois-cent soixante esclaves, il se dirigea, sans tarder davantage, vers les Ksour du Fezzan, et les emporta l'un après l'autre jusqu'au plus reculé.
64 Sur les doutes entourant les récits de la conquête de Jarma, cf. R. Brunschwig, op. cit. supra note 13, p. 121 et p. 137 : ce savant cite un texte méconnu du ixe siècle qui laisse entendre que la conquête et l'islamisation du Fez-zan n'auraient eu lieu, en réalité, que dans la deuxième moitié du VIIIe siècle (cf. du même auteur, « Un texte arabe du ixe siècle intéressant le Fezzan », dans RAf, 1945, p. 21-25).
65 MGH, a.a., t. V, p. 51. Cf. supra chap. 14 note 102.
66 Procope, Guerre gothique, IV, 17, 20-21 :
Ταμέντοι επί Λιβύης άπαντα 'Ρωμαίοις εύ τε καί καλως καθειστήκει. Τφ γιχρ Ίωιχννη, Ονπερ ενταύθα βασιλεύς Ιουστινιανός στρατηγον κατεστησατο, ευτυχήματα λογού τε καί ακοης κρείσσω ξύνηνεχθη γενεσθαι. ὄς δὴ ἕνα των εν Μαύρούσίοις αρχοντων εταιρισιαμενος, Κούτζίναν ονομα, τα τε προτερα μαχη τούς αλλούς ενίκησε καί ού πολλφ ύστερον Άνταλαν τε καί Ίαύδαν, οι Μαύ-ρούσίων των εν Βύζακίω τε καί Νούμιδίατο κραατος εΐχον, ύποχειρίούς πε-ποίηται, εί'ποντο τε αύτφ εν ανδραποδων λόγερ. Καίαπ'αύτού πολεμιον 'Ρωμαίοις ούδει ύπο τούτον τον χρονον εν γε Λιβύη εγενετο.
67 Supra p. 638.
68 Jean Malalas, Chronographia, éd. Dindorf, p. 495 (= trad. E. et M. Jeffreys, et R. Scott, Melbourne, 1986, p. 304) ; Théophane, Chronographia, éd. De Boor, p. 238-239 (= trad. C. Mango et R. Scott, Oxford, 1997, p. 350). Le récit de Mala-las s'arrête à la mention de Marcien, Théophane seul indiquant l'heureux dénouement de cette guerre pour l'Empire. Cf. aussi la version latine de la Chrono-graphia tripertita d'Anastase le Bibliothécaire (ixe siècle), qui reflète comme toujours un excellent état du texte de Théophane (éd. De Boor, t. 2, Leipzig, 1885, p. 148) : Eodem mense captae sMnt qMaedam partes Africae a MaMritanis insMrgen-tibMs adversMs Africam ita. CMtzinas nomine qMidam ex ipsa gente exarchMs MaMri-tanormm habebat consmetmdinem accipiendi a principe Africae, qmi per tempms erat, certam qMantitatem aMri. CMm aMtem venisset, Mt acciperet illMd, Iohannes princeps Africae occidit eMm. Porro insMrrexerMnt filii CMtzinae vindicantes paternMm accep-tMm et erecti contra illam ceperMnt eiMs partes aliqMas depraedantes. Imperator itaqMe hoc agnito misit in aMxiliMm Africae MarcianMm magistrMm militMm, nepo-tem sMMm, cMm exercitM ad pacificandos MaMros ; et conflMxerMnt ad eMm, sicqMe pace potita est Africa.
69 Cf. Diehl, Etudes sur l'administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, Paris, 1888, p. 15-16, qui cite une série d'inscriptions latines antérieures à l'époque byzantine, et un passage de Théophane où Basiliscus est désigné, en 468, comme stratège et exarque de la flotte chargée de reconquérir l'Afrique vandale (éd. De Boor, t. 1, p. 115).
70 Novelle, 130, De transitu militum, dans Corpus Juris Civilis, III, Novellae, éd. Kroll et Schoell, 9e éd., Berlin, 1954, p. 650-654.
71 Cf. U. Monneret de Villard, Storia delle Nubia cristiana, Rome, 1938, p. 6170, et K. Michalowski, « La christianisation de la Nubie », dans G. Mokhtar, Histoire générale de l'Afrique (UNESCO), t. 2, Paris, 1980, p. 347-362.
72 Cf. étude du texte dans U. Monneret de Villard, Storia della Nubia cristia-na, p. 84-86.
73 U. Monneret de Villard, ibid. p. 85.
74 Supra p. 347-348.
75 Cf. A. G. Grouchevoy, « Trois niveaux de phylarques », dans Syria, t. LXXII, 1995, p. 105-131.
76 Cf. M. Sartre, Trois études sur l'Arabie romaine et byzantine, Bruxelles, 1982, p. 189-191.
77 Théophane, Chronographia, éd. De Boor, t. 1, p. 239 : (...)
και έπαναστάντες τη Άφρικη παρέλαβον αυτής μέρη τινά πραιδεύσαντες.
78 Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 456.
79 Corippe, Panégyrique du questeur Anastase, (éd. S. Antès, Paris, 1981) :
(...) generaliter orbi
quamquam provideas, miseri specialiter Afri
in te oculos atque ora ferunt. Agit Africa grates
et vestram iam sentit opem gaudetque quod ampla
semper Anastasii referunt solacia cives. [Bien que tu portes ton attention sur le monde en général, ce sont spécialement les pauvres Africains qui tournent vers toi leurs yeux et leurs visages. L'Afrique rend grâce, elle sent déjà les effets de votre aide et se réjouit de voir ses citoyens ne cesser de remporter les larges secours accordés par Anastase].
80 Corippe, ibid., vers 48-49 : Fessae miserere senectae vulneribusque meis so-lita pietate medere...
81 Corippe, Eloge de Justin II, éd. S. Antès, praefatio, vers 39-44 :
(...) Cui vincere fas est
indomitas gentes et barbara subdere regna,
vince meae saevam fortunae, deprecor, iram.
Vincere fortunam plus est quam vincere bella.
Nudatus propriis, et plurima vulnera passus
Ad medicum veni...
[Toi qui peux vaincre des peuples indomptables et soumettre des royaumes barbares, sois vainqueur, je t'en supplie, de la cruelle colère de la fortune à mon égard. Vaincre la fortune vaut mieux que vaincre à la guerre. Dépouillé de mes propriétés et atteint de blessures sans nombre, je suis venu chez le médecin...].
82 Eloge de Justin II, I, 18-21 : « Et Thomas, soutien de la terre d'Afrique, quand elle chancelait, qui la releva de sa chute, qui redonna un espoir de vie aux Africains, qui organisa la paix, qui n'eut pas besoin de soldats pour mettre fin à la guerre, qui vainquit par la sagesse de ses conseils ceux que nul n'avait vaincus par les armes ».
Ce texte a été composé entre la fin 566 et le début 568, ce qui situe donc aussi l'œuvre de Thomas à une date antérieure, vers 565-566. On ne peut, dans tous les cas, suivre J. Durliat, qui refuse la datation traditionnelle des poèmes de Corippe et ne croit qu'à une préfecture de Thomas en Afrique vers 572-578 (Les dédicaces... p. 61). Conclusion identique à celle proposée ici chez D. Pringle, The De-fence of Byzantine Africa, p. 40, qui pense même que Thomas fut nommé par Justinien, en 564 ou 565.
83 Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 458.
84 Jean de Biclar, éd. Mommsen, MGH, a.a., t. XI, p. 212.
85 Jean de Biclar, ibid., p. 215.
86 Sur Jean de Biclar, cf. l'introduction de Mommsen, MGH, a.a., t. XI, Berlin, 1904, p. 207-210, et l'introduction de la traduction anglaise donnée par K. B. Wolf, Conquerors and Chroniclers of Early Medieval Spain, Liverpool, 1990.
87 Cf. supra note 61.
88 Mommsen, dans MGH, a.a., t. XI, p. 207-210.
89 Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 597-599.
90 Histoire des Goths, p. 260 (renvoie aux travaux antérieurs des spécialistes de l'histoire des Wisigoths).
91 Jean de Biclar, éd. Mommsen, p. 212 et p. 213.
92 Ptolémée, IV, 2, 5.
93 Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 328 et p. 460.
94 Ainsi encore très récemment P.-A. Février (Approches du Maghreb romain, tome 1, Aix, 1989, p. 128) ou P. Salama (De Rome à l'Islam, dans G. Mokhtar, Histoire générale de l'Afrique, t. 2, Paris, 1980, p. 548).
95 The Defence of Byzantine Africa, p. 373, note 27.
96 J. Desanges, Catalogue..., p. 257 ; G. Camps, « Rex gentium Maurorum et Romanorum », dans AA, t. 20, 1984, p. 209.
97 U. Monneret de Villard, Storia della Nubia cristiana (Orientalia Christiana Analecta, 118), Rome, 1938, p. 61-69. Les conclusions de ce savant ont été acceptées et reprises par L. P. Kirwan (cf. « Prelude to Nubian Christianity », dans Mélanges K. Michalowski, Varsovie, 1966), puis confirmées par les fouilles polonaises des années 60-70 en Nubie (cf. un bilan et une bibliographie par K. Micha-lowski, « La christianisation de la Nubie », dans G. Mokhtar, Histoire générale de VAfrique, tome 2, Paris, 1980, p. 351 notamment).
98 Jean d'Ephèse, éd./ trad. E. W. Brooks, dans CSCO, Scriptores Syri, t. 55, Louvain, 1936 : trad. p. 178 et p. 181-182 ; texte syriaque, p. 237, l. 3 : « le nom du peuple est Maqûraita(h) » ; p. 241, l. 11 : « le roi des Maquritân » ; p. 241, l. 14 : le pays de ce roi est appelé Maqûrîtîs. Je dois ces lectures du syriaque, faites à Rome dans l'hiver 1990, à mon camarade et ami M Perrin.
99 La question de l'extension de l'autorité byzantine en Maurétanie Césarienne est cependant aussi obscure que celle de la réalité du pouvoir vandale dans les mêmes régions. L'occupation de Rusguniae est sûre sous Justinien (cf. N. Du-val, « Les Byzantins à Rusguniae », dans BAC, n.s., 19 B, 1985, p. 341-360), comme celle de Caesarea, évoquée par deux fois par Procope (Guerre vandale, II, 5, 5 et II, 20, 31-32) : Bélisaire la fit investir en 534, mais en 539, ajoute l'historien, elle ne pouvait plus être jointe que par mer, parce que les Maures tenaient tout l'intérieur du pays. Pour Rusuccuru, les choses sont déjà moins claires, puisque notre seule source est la liste de Georges de Chypre (éd. Honingman, Bruxelles, 1939, p. 56), au prix d'une correction du texte. Pour le reste, il y eut peut-être d'autres cités réoccupées, puisque, comme le notait déjà Diehl (L'Afrique byzantine, p. 260-263), des fortifications « de type byzantin » ont été vues au xixe siècle, mais apparemment surtout sur la côte. Au total, cette pauvreté des sources a conduit généralement à admettre, depuis Diehl, que la Maurétanie Césarienne recréée par Justinien en 534 avait été en réalité très théorique. Sans aller contre cette thèse, il faut signaler cependant que plusieurs sources arabes la contredisent. C'est d'abord la mention, par plusieurs textes, d'une armée de Rûm aux côtés des Berbères à Tiaret pour combattre les Arabes lors de la fameuse expédition de 'Ukba vers l'ouest (ainsi Ibn al-Rakîk ( ?), Ta'rîkh Ifrikiya wa-l-Mag-hrib, éd. Al-Kaabî, Tunis, 1968, p. 42, ou Al-Mâlikî, trad. H. R. Idris, Revue des études islamiques, XXXVII, 1, 1969, p. 137). Diehl connaissait ces textes, et les éliminait, en avançant que les Rûm en question devaient être des Africains romani-sés de la cité, et non des soldats byzantins (L'Afrique byzantine, p. 265-266), ce qui est admis aussi par G. Camps (« Rex gentium Maurorum et Romanorum », dans AA, 20, 1984, p. 217). Mais Diehl repoussait aussi le témoignage d'Ibn Khal-dûn qui, non loin de Tiaret également, signalait, en citant Ibn al-Rakîk, que le troisième calife fatimide, Al-Mansour, dans une expédition contre la ville, en 947948, avait découvert sur un des Djédars du Djebel Lakhdar une inscription grecque dont le sens aurait été : Je suis Soleiman le Serdeghos. Les habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre eux ; et Dieu mayant permis de les vaincre, j'ai fait élever ce monument pour éterniser mon souvenir (trad. De Slane, t. 1, p. 234 ; traduction différente pour la fin du texte par F. Kadra, Les Djédars, Alger, 1983, p. 15 : pour commémorer ce fait extraordinaire). De Slane, sans prendre parti sur l'authenticité du texte, notait que Serdeghos est la déformation courante chez Ibn Khaldûn de strategos, un terme qu'il emploie ailleurs pour désigner des généraux byzantins. Malgré cela, à l'exception de Gsell (Les monuments antiques de l'Algérie, t. II, p. 425-426), les historiens ont toujours mis en doute la réalité de cette inscription, dont aucune trace lisible ne subsiste sur les Djédars (cf. F. Kadra, Les Djédars, p. 257). Or, comme l'a montré récemment un orientaliste allemand, H. Halm (« Eine Inschrift des Magister Militum Solomon in Arabischer Uberlieferung », dans Historia, vol. xxxvi, 2, 1987, p. 250-256), un autre auteur arabe du xve siècle, Idrîs ‘Imâdaddîn, dans une histoire des Fati-mides nommée ‘Uyûn al-akhbâr (éd. M. Ghâlib, Beyrouth, 1975, vol. V, p. 315) mentionne aussi, lors de l'expédition d'Al-Mansour, la découverte de la même inscription écrite dans la « langue des Rûm », mais avec une traduction beaucoup plus troublante pour les historiens du vie siècle : Je suis Sulaimân le sardaghus (Solomon le général) ; cette ville s'appelle Maurîtâniya. Les habitants de cette ville se sont révoltés contre l'empereur Yustîniyânus et sa mère Thiyûdûra, qui m'ont envoyé contre eux, et j'ai construit cet édifice pour conserver le souvenir de la victoire que Dieu m'a donnée (d'après la traduction allemande de H. Halm, op. cit. p. 252-253). Devant de telles précisions, renvoyant à des réalités historiques peu connues a priori des auteurs arabes, H. Halm défend l'authenticité de ce texte et estime qu'il oblige à reconnaître, au moins vers 539, l'existence d'un raid à longue distance de Solomon en Césarienne, que Procope aurait oublié. Il serait pourtant étonnant que l'historien grec ait négligé un tel exploit, ce qui nous encourage à rester aussi sceptique que Diehl jadis. Peut-être, mais ce n'est là que pure hypothèse, existait-il simplement sur un des Djédars une inscription de ce genre, témoignant par exemple d'une reconnaissance théorique de la souveraineté de Justinien par un royaume berbéro-romain de Maurétanie. Au xe siècle, les interprètes d'Al-Mansour auraient mal compris le sens général de l'inscription, dont la traduction aurait été encore ensuite déformée d'un témoin à l'autre.
100 Y. Duval, « La Maurétanie Sitifienne à l'époque byzantine », Latomus, 39, 1970, p. 157-161.
101 Sur tout ceci, cf. J. Durliat, « Magister militum-STPATHAATHS dans l'empire byzantin », dans Byzantinische Zeitschrift, 72, 2, 1979, p. 306-320.
102 Cf. BAC 1927, p. 479. Un autre sceau, avec apparemment le même texte, avait été publié dans BSNAF, 1915, p. 300, no 1.
103 D. Pringle, The Defence of Byzantine Africa, p. 41.
104 J. Durliat, Les dédicaces d'ouvrage de défense dans l'Afrique byzantine, p. 67-71 ; D. Pringle, The Defence... p. 218.
105 J. Durliat, ibid. p. 71-77 ; D. Pringle, The Defence... p. 179.
106 J. Durliat, ibid. p. 64-67 ; D. Pringle, The Defence... p. 181-182.
107 Hildefonse, De viris illustribus, IV, dans Patrologie latine, t. 96, Paris, 1862 : Donatus, et professione et opere monachus, cuiusdam eremitae fertur in Afri-ca exstitisse discipulus. Hic violentias barbararum gentium imminere conspiciens, atque ovilis dissipationem et gregis monachorum pericula pertimescens, ferme cum septuaginta monachis copiosisque librorum codicibus navali vehiculo in Hispa-niam commeavit.
108 Cf. infra p. 677-678.
109 Vitae patrum Emeritensium, III, dans Acta Sanctorum, t. 62, Novembre, t. 1, p. 321 : Narrant itamque plurimi ante multa curricula annorum, temporibus Leuvigildi, Visegothorum regis, ab Africanis regionibus in provinciam Lusitaniae Nanctum (ou Nunctum) nomine advenisse abbatem. L'épisode est situé sous le règne de Léovigild (568-586).
110 Eloge de Justin II, II, 1, 21.
111 Grégoire le grand, Lettres, I, 72.
112 Sur la création de l'exarchat, cf. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 466-482.
113 Cf. Diehl, Etudes sur l'administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, Paris, 1888, et C. Wickam, Early Medieval Italy : Central Power and Local Society, 400-1000, Londres, 1981.
114 Théophylacte Simocatta, III, 4, 9, éd. De Boor, p. 117 :
'Ρώμη δ’ή πρεσβϋτις ταΐς των Λογοβάρδων άντεΐχεν έφόδοις, τη δε Λιβύη ai των Μαύρούσίών δυνάμεις διετελούν έξίτηλοι και τφ πλήθει τών 'Ρώμαϊκών ανδραγαθημάτων προς το ταπεινον και κατητονημενον άπεκλινον. Ούτώ μεν ούν έκεΐναι μετατών ασπϊδών καϊ τας ηνϊας κατεθεντο τον αύχενα 'Ρώμαϊοις ύποχαλασασαι, καϊ την [τε] ηρεμϊαν ένηγκαλϊζοντο.
115 Grégoire le Grand, Epistulae, éd. Ewald, dans MGH, epist., t. 1, p. 82 (note sur lettre I, 59).
116 Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 463 ; P. Goubert, Byzance avant l'Islam, t. II, 2, Rome. Byzance. Carthage, Paris, 1965, p. 183 ; Pringle, The Defence of Byzantine Africa, p. 41.
117 Théophane, éd. De Boor, p. 261, et trad. Mango/Scott p. 384, avec notes p. 387 et 388.
118 Théophane, AM 6080, éd. De Boor, p. 261 : En Perse se trouve une prison appelée Léthé, dans laquelle l'empereur des Perses avait enfermé de nombreuses personnes issues de peuples divers, parmi lesquels des prisonniers originaires de la cité de Daras. Ceux-ci, craignant pour leurs vies, s'insurgèrent contre leurs gardiens et, après avoir tué Marousas, emportèrent sa tête avec eux et se rendirent à Byzance.
119 Jean de Biclar, éd. Mommsen, MGH, a.a., t. XI, p. 217.
120 Grégoire le Grand, Lettres, I, 73, éd./trad. P. Minard t. 1, coll. Sources chrétiennes no 370, Paris, 1991, p. 285-289.
121 Supra p. 649.
122 Théophylacte Simocatta, VII, 6, éd. De Boor p. 255.
123 Cf. supra p. 221.
124 Photius, Bibliothèque, 65, éd/trad. R. Henry, Paris, 1959 p. 91.
125 Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 482 ; P. Goubert, Byzance avant l'Islam, t. II, 2, p. 201-208.
126 D. Pringle, The Defence of Byzantine Africa, p. 311 note 11.
127 E. Honingman, Le Synekdemos d'Hiéroclès et l'opuscule géographique de Georges de Chypre, Bruxelles, 1939, p. 54.
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