Chapitre 6. L’origine des Austuriani et des Laguatan
p. 209-249
Texte intégral
1L’abandon complet de la théorie des migrations nous oblige d’abord à réexaminer le problème de l’émergence tardive des Austuriani et des Laguatan : si ces tribus ne venaient pas du désert préégyptien, il faut supposer qu’elles occupaient depuis longtemps avant leur apparition au Bas-Empire l’arrière-pays de la Cyrénaïque ou de la Tripolitaine, mais en étant ignorées des sources antérieures. Comment alors expliquer ce silence ?
2Une première hypothèse serait que les deux groupes ne formaient, avant la fin du iiie siècle, que de toutes petites unités, plus ou moins marginales. Ils auraient ainsi échappé à Pline l’Ancien et à Ptolémée, et n’auraient pas eu les moyens, par ailleurs, d’attirer l’attention sur eux. Dans la mesure où nous sommes dans l’impossibilité d’évaluer la représentativité des listes des géographes anciens, cette éventualité ne peut être entièrement exclue. Toutefois, elle oblige à imaginer un renforcement singulier de ces tribus au cours du iiie siècle, pour qu’elles soient devenues capables, au siècle suivant, d’apparaître comme les ennemis majeurs de Rome en Tripolitaine et en Cyrénaïque.
3Plus originale est la proposition de R. W. Bulliet1 : Austuriani et Laguatan auraient été, avant le ive siècle, « des Berbères semi-sédentaires de Tripolitaine qui fournissaient en main d’œuvre agricole les régions de Tunisie et de Libye mises en culture par les Romains ». C’est le développement de l’élevage du chameau qui les aurait rendus « capables de mener une existence purement nomade, dans les zones désertiques hors du contrôle des Romains, et de lancer des raids sur les campagnes qu’ils avaient jadis cultivées ». Dans cette perspective, le silence de nos sources pourrait se comprendre par une partielle « détribalisation » de ces gens, trop intégrés pour être pris en compte dans les listes des gentes maures.
4La difficulté de ce schéma réside dans le fait que les Austuriani apparaissent comme des pillards nomades et chameliers dès au moins le milieu du ive siècle. Or, les prospections archéologiques dans les vallées de Tripolitaine intérieure et orientale montrent, nous le verrons2, que se maintenait à cette époque une population sédentaire, qui multipliait simplement ses établissements fortifiés. On ne perçoit guère dans ces régions agricoles d’évidence archéologique suggérant un passage des populations jusque là gravitant dans la mouvance romaine à une vie nomade. Ces phénomènes sont plus tardifs, postérieurs à l’apparition des Austuriani et des Laguatan. Pour suivre R. W. Bulliet, il faudrait voir dans les « ouvriers agricoles semi-sédentaires » qu’il évoque des populations extérieures au limes, pénétrant occasionnellement dans les zones agricoles pour certains travaux, comme celles évoquées par Publicola dans une célèbre lettre à saint Augustin3. Mais dans ce cas, ces gens pouvaient déjà disposer du dromadaire et étaient certainement organisés en tribus, ce qui nous ramène au problème initial : pourquoi ont-ils été ignorés, sous leur nom d’Austuriani ou de Laguatan, de tous les documents que nous possédons ?
5Ces réflexions nous conduisent à avancer une troisième hypothèse qui, en dépassant les deux qui précèdent, aura cependant l’avantage de ne pas entrer en contradiction avec tous les éléments qu’elles comportent : Austuriani et Laguatan occupaient l’actuel territoire libyen avant le ive siècle ; c’étaient déjà des tribus relativement importantes et pratiquant un certain nomadisme ; mais elles ne figurent pas dans les textes parce qu’elles portaient alors d’autres noms. Plutôt que de supposer de grands mouvements migratoires, de soudains accroissements de puissance, ou de profonds et précoces bouleversements sociaux, on aurait plus simplement à faire face à une simple évolution onomastique. Une telle hypothèse suppose cependant plusieurs conditions pour être envisageable. Il faut prouver qu’il existait déjà sur le sol de la Libye moderne une ou des tribus dont la localisation et les caractères étaient relativement proches de ceux des Austuriani et des Laguatan. Il faut relever des indices, dans les sources évoquant ceux-ci, qui les relient aux tribus préalablement identifiées. Il faut pouvoir enfin justifier une telle évolution onomastique. La tâche est complexe, mais il existe de nombreux éléments qui permettent de remplir, plus ou moins complètement, ces conditions et d’étayer ainsi cette hypothèse, bien mieux que la théorie des migrations.
1– LE PAYS DES AUSTURIANI AU ive SIÈCLE
6Le chapitre précédent a permis de mettre en valeur la remarquable permanence des Austuriani et des Laguatan sur l’actuel territoire libyen jusqu’à la fin du viie siècle. Il est temps maintenant de préciser plus exactement les foyers réels de ces peuples, et leurs bases de départ. Le schéma élaboré à partir de leurs mentions dans les sources grecques et latines entre le ive et le vie siècle (supra p. 190) révèle un mouvement alternatif dans la direction de leurs raids, tournés tantôt vers la Tripolitaine, tantôt vers la Cyrénaïque. Ce mouvement de balancier avait frappé R. G. Goodchild qui, à plusieurs reprises, suggéra qu’il pouvait s’expliquer par la situation du foyer originel des Austuriani entre les deux provinces, dans la région du fond de la Grande Syrte4. Notre interprétation du passage de Philostorge, dans lequel l’écrivain arien décrivait l’habitat ordinaire de cette tribu, entre l’Afrique et la Libye, confirme, nous l’avons vu, cette hypothèse5. Elle est encore renforcée par plusieurs remarques d’Ammien Marcellin et de Synésios. Lorsque le premier signale que les Austoriani sont des barbares voisins de ces régions en parlant de la provincia africana Tripoleos, et qu’il ajoute qu’ils firent irruption hors de leur (propre) territoire6, il établit l’existence d’un foyer central pour la tribu, mais de manière encore très imprécise, tant la chôra des trois cités, notamment celle de Lepcis, était vaste7. Plus utile, Synésios, en déplorant les raids des mêmes barbares, affirme de son côté que si les généraux romains le voulaient, des expéditions punitives jusqu’au cœur de leur territoire seraient possibles et relativement faciles. Cette déclaration, en confirmant l’existence d’un point de repli habituel des Ausourianoi, suggère qu’au début du ve siècle celui-ci devait se trouver plus près de la Cyrénaïque que de la Tripolitaine8. De fait, Ammien Marcellin fournit ici un détail dont on a rarement souligné l’intérêt à ce point de vue. On sait que le comte d’Afrique Romanus, appelé à l’aide par les Tripolitains, exigea pour intervenir que les cités lui fournissent quatre mille chameaux9. Le passage a été souvent cité dans l’interminable débat sur l’histoire de cet animal en Afrique. Mais son intérêt majeur est peut-être ailleurs : il révèle surtout, selon nous, que Romanus prévoyait un long trajet dans des régions désertiques pour réussir son expédition punitive contre les Austoriani. Seule une telle perspective, à laquelle il ne se sentait pas préparé, pouvait le conduire à une demande aussi étonnante10. Dès lors, une localisation de l’ennemi dans les oasis du fond de la Grande Syrte paraît très vraisemblable : ce secteur est plus accessible depuis la Pentapole que depuis Lepcis Magna, dont il est séparé de plus de 600 km de régions très arides, dans lesquelles l’usage du dromadaire était effectivement une nécessité. De plus, se trouvent sous la Syrte au moins deux grandes oasis pouvant servir de bases de repli à une grande tribu, Zella et surtout Augila.
7Aucune autre localisation ne peut autant correspondre aux informations fournies par les textes. Les régions de l’ouest de la Tripolitaine étaient bien protégées par le limes Tripolitanus11, et sont de toute façon trop loin de la Cyrénaïque. Les régions du sud, au-delà du Gebel, forment la zone inhabitable de la Hamadah al Hamra, qui isole encore plus au sud le pays garamante. On pourrait certes se demander si les Austuriani n’étaient pas issus des Garamantes. Mais ceux-ci vivaient au Fezzan, vraiment très éloigné de la Pentapole, et donc très peu accessible, contrairement aux dires de Synésios. D’autre part, les Garamantes existaient toujours au Bas-Empire, et ils n’avaient pas changé de nom : les ostraca de Bu Njem au iiie siècle, des textes de Servius, de saint Augustin, de l’Ambrosiaster et d’Orose à la fin du ive et au début du ve siècle, et des mentions de Luxorius et de Jean de Biclar au vie siècle le prouvent12. C’est donc presque avec certitude vers les terres situées au sud de la Grande Syrte, entre Zella et Augila, qu’il faut placer la base de départ des Austuriani et des Laguatan au moment où émerge leur puissance.
2 – LES PEUPLES DE LA SYRTE AU HAUT-EMPIRE : MACES ET NASAMONS
8Ce point établi, il faut maintenant tenter de connaître la population de la région de la Grande Syrte, dans laquelle les deux tribus ont pris naissance. Il existe environ une dizaine de textes, à caractère géographique ou ethnographique, qui fournissent des informations sur le peuplement de cette région avant le ive siècle. Le tableau suivant en résume l’apport essentiel13 :
9Les informations de ce tableau peuvent sembler de prime abord assez confuses. Mais, comparée à des regroupements équivalents pour d’autres régions, la situation qui apparaît ici offre plutôt une remarquable cohérence. Deux noms reviennent en effet régulièrement pendant près de huit siècles : les Nasamons (dans neuf documents sur dix14), et les Maces (six sur dix). A part ces deux peuples, n’apparaissent que des groupes isolés, particuliers à chaque source : les Cisippades de Pline l’Ancien, les Elaones et les Bakatai de Ptolémée, les Seli de la Table de Peutinger. Il est possible que ces diverses tribus, dont on ne sait rien en dehors de ces textes, aient été, pour au moins plusieurs d’entre elles, englobées parmi les Gétules évoqués par Strabon15, car ce nom avait un sens très large dans l’Antiquité. Mais avant de risquer toute hypothèse sur leur importance, peut-être faudrait-il d’abord s’interroger sur le niveau de précision propre à chacune de nos sources. Tous les textes, de ce point de vue, ne peuvent en effet être mis sur le même plan. On ne peut, sans précautions, comparer Ptolémée, qui livre en tout plus de 170 noms de peuples africains, et Pline l’Ancien qui en donne une soixantaine, et encore moins comparer ces deux auteurs avec Diodore de Sicile dont l’ethnographie africaine se limite à cinq noms. Les deux premiers ont une ambition différente de tous les autres, qui ne s’en tiennent qu’à une vue souvent très générale du peuplement de l’Afrique. Or, si l’on admet que cette perspective générale est majoritaire dans nos sources, l’intérêt que manifestent la plupart des auteurs pour les Nasamons et les Maces ne peut s’interpréter que de deux manières : soit ces peuples étaient réellement les deux principaux groupements tribaux de la Syrte, retenant ainsi légitimement l’attention ; soit les noms de Nasamons et Maces recouvraient une réalité ethnologique complexe, une union de tribus ou une confédération, dont Pline et Ptolémée auraient distingué certaines fractions. Cette seconde hypothèse peut sérieusement être envisagée, car on devine à travers le texte de Ptolémée des rapprochements significatifs. Il signale par exemple, en trois passages différents, des Makaioi Syrtites, des Makooi, et des Makatoutai qui ont toutes les chances, étant donné leur proximité géographique, d’être autant de fractions des Maces simplement évoqués par d’autres auteurs16. La même diversité peut être soupçonnée derrière l’ethnique Nasamons. Dans tous les cas, la prédominance des Maces et des Nasamons dans le peuplement de la Grande Syrte semble un fait assuré pour la période antérieure au milieu du iiie siècle, les deux hypothèses étant parfaitement complémentaires.
a) Les Maces
10Existe-t-il dès lors des indices permettant de relier ces deux peuples aux futurs Austuriani et Laguatan ? Le rapport paraît difficile à établir dans le cas des Maces. On retient du tableau présenté précédemment qu’ils occupaient essentiellement le rivage occidental de la Grande Syrte. Cependant, leur extension vers l’ouest a été précisée récemment par R. Rebuffat17, qui estime qu’ils représentaient très probablement non seulement la population des vallées de la Syrte, mais aussi celle des « wadis » plus occidentaux, Wadi Bei el Kebir, Wadi Zemzem et Wadi Sofeggin. On peut, nous le verrons, au moins dans un cas nuancer cette conclusion, mais sans en bouleverser la leçon essentielle. Or, les vallées ainsi identifiées étaient riches en établissements sédentaires, depuis le premier siècle et jusqu’au delà du ive siècle. Certaines, dans la partie la plus orientale, ont révélé des traces d’abandon après le iie siècle, mais la majorité, à Ghirza par exemple18, semblent être restées prospères au ive siècle, malgré la multiplication des fermes fortifiées. Et on sait depuis la découverte du cimetière de Bir ed Dreder par R. G. Goodchild que des unités indigènes, peut-être des Maces, conduites par des tribuni de culture latino-punique, continuaient à monter la garde au milieu du ive siècle19. Il semble donc difficile d’imaginer que ces pacifiques « fermiers du désert » se soient mués, en quelques décennies, en pillards capables, avec leurs chameaux, de raids foudroyants sur de longues distances. Certes, des Maces paraissent, à une date inconnue, s’être rapprochés de la Cyrénaïque. Synésios fait en effet allusion à des Maketai au début du ve siècle20, que l’on peut raisonnablement identifier aux Maces, d’autant que l’Edit d’Anastase évoque au siècle suivant des Makai au même endroit21. Mais, dans les deux cas, ces groupes sont définis d’une façon originale, qui les distingue bien des autres tribus berbères. Synésios qualifie ainsi les Maketai de mixobarbares. D. Roques, pour soutenir sa thèse d’une grande migration depuis la Proconsulaire à la suite de la défaite de Gildon en 398, a proposé de ce terme une très curieuse interprétation22. Selon lui, les Maketai, assimilés arbitrairement aux Mazikes de Philostorge, auraient été l’avant-garde des envahisseurs de la Cyrénaïque. Mais, plus pacifiques que les autres, ils auraient, dans un premier temps, trouvé un modus vivendi avec les Romains, qui leur aurait valu le nom de mixobarbares. Ce modus vivendi n’aurait duré que sept ans, puisqu’à partir de 405 ils auraient participé aux raids sur la Pentapole puis à des expéditions sur l’Egypte...
11Cette interprétation nous paraît d’une extrême fragilité. Le rapprochement des noms Maketai et Mazikes est totalement dénué de fondement sur le plan philologique et onomastique. En réalité, s’il faut associer les Maketai à un groupe connu, c’est évidemment aux Makai. Et le terme mixobarbares nous y invite d’ailleurs expressément. Car ce mot suppose une intégration ou du moins une familiarité avec l’Empire qui n’est envisageable que pour un peuple depuis longtemps voisin des cités, et non pour des envahisseurs arrivés depuis moins de sept ans23. La thèse de D. Roques nous semble d’autant moins acceptable que Synésios ne dit jamais que les mixobarbares ont participé aux raids sur la Cyrénaïque. Les Maketai ne sont, en effet, nommés qu’une seule fois dans toute l’œuvre de l’évêque de Ptolémaïs : il s’agit de la lettre 130, où Synésios expose les origines de la guerre qui frappe son pays. Après avoir mis surtout en cause les méfaits du gouverneur Kéréalios, qui a désorganisé la défense de la province, il conclut : Les Maketai comprirent rapidement cela, et la nouvelle s’en transmit de chez les mixobarbares jusque chez les barbares. Suit, pour achever le propos, un vers d’Homère, sans autre commentaire :
Ils sont alors venus comme les fleurs et les feuilles au printemps24.
12Rien ne permet d’affirmer que le mouvement ainsi évoqué par la citation homérique se rapporte aux deux groupes, et non aux seuls Ausourianoi, les barbares du texte de toute évidence. Tout ce que l’on peut prouver de ce passage est qu’il existait des relations entre les Maketai, mixobarbares, et les barbares (Ausourianoi). Mais la transmission d’informations n’implique absolument pas la participation aux raids de pillage. Il serait d’ailleurs étonnant que le très barbarophobe Synésios ait pris la peine de distinguer les Maketai par l’expression mixobarbares, si ceux-ci s’étaient immédiatement empressés de se mêler aux barbares. En réalité, ce qui se dégage selon nous de ce texte est une image pacifique des Maketai, qui devaient disposer d’une position privilégiée en Cyrénaïque. Or, c’est exactement ce que met en valeur l’Edit d’Anastase un siècle plus tard, à propos des Makai, parents des Maketai de toute évidence. Enumérant un dispositif de précautions très complexe vis-à-vis de ceux qu’il appelle les barbares, ce règlement introduit une exception notable pour les Makai, seuls autorisés à se rendre dans le territoire des cités de la Pentapole25. C’est dire clairement qu’on ne les considérait pas aussi « barbares » que les autres, donc qu’ils étaient certainement aussi plus pacifiques : exactement ce que suggérait Synésios au siècle précédent.
13L’étude de ces Maces de Cyrénaïque au Bas-Empire confirme ainsi le jugement porté sur les Maces de Tripolitaine pour la période antérieure, et elle rend dès lors très difficile tout rapprochement avec les Austuriani. En fait, en dehors d’une éventuelle identité des localisations, pour le moins incertaine, on ne dispose d’aucun véritable indice qui fonderait une ressemblance. Telle n’est heureusement pas l’impression que dégage une comparaison avec les Nasamons, mais le dossier, pour être prometteur, s’avère ici beaucoup plus complexe.
b) Les Nasamons
14Les sources anciennes évoquant les Nasamons sont exceptionnellement nombreuses : leur nom, avec des développements d’ampleur très variable, figure en effet dans plus d’une quarantaine de textes. De ceux-ci se dégagent un certain nombre d’indices en faveur de l’hypothèse présentée ici, qui viennent compléter la similitude des localisations. Le témoignage d’Hérodote est le premier, et aussi le plus riche. Les Nasamons, note-t-il, sont un peuple pasteur, qui se déplace entre la côte syrtique et l’oasis d’Augila selon les saisons, pratiquant donc un véritable nomadisme26. Certains d’entre eux fréquentent l’oasis de Siwah et son temple d’Ammon, et ils sont capables d’expéditions lointaines dans le désert27. Enfin, c’est un peuple nombreux, dans lequel existe un groupe de chefs ou de notables28. Diodore de Sicile confirme, comme le pseudo-Scylax, la localisation donnée par Hérodote. Mais il évoque aussi à propos des Nasamons et de trois autres tribus l’existence de bandes de pillards dans cette région, dans un passage longtemps méconnu :
Ils n’obéissent pas à un roi et ne font aucun cas du droit des gens, dont ils n’ont pas même l’idée ; ils vivent d’un brigandage perpétuel. Surgissant du désert, ils se jettent à l’improviste sur leurs victimes, raflant tout ce qu’ils trouvent, et regagnent aussitôt leur repaire. Tous ces Libyens vivent comme des bêtes fauves29.
15F. Chamoux a justement fait le rapprochement entre ce texte et les raids des Austuriani au temps de Synésios. Mais on pourrait citer aussi Ammien Marcellin :
Les Austuriani sont des barbares voisins de ces régions, toujours disposés à de rapides expéditions, habitués à vivre de rapines et de meurtres... Ils firent irruption hors de leurs territoires, semblables à des fauves mus par la rage30.
16Certes, on retrouve derrière ces notations très ressemblantes une série de clichés, comme l’image de la bête fauve, qui sont usuels chez les auteurs classiques quand ils évoquent les nomades et les barbares en général. Mais on ne peut pour autant nier toute valeur aux informations qu’elles livrent. La principale nous semble être l’ancienneté des phénomènes décrits par Ammien Marcellin et Synésios : dès au moins le premier siècle avant J.-C., la Cyrénaïque était l’objet de raids soudains de tribus venues du désert, parmi lesquelles figuraient des Nasamons.
17D’autres textes confirment ce caractère belliqueux. Une inscription de Cyrène, datée du ive siècle avant J.-C., signale déjà une victoire des Grecs sur une coalition de Maces et de Nasamons31. Lucain et Silius Italicus présentent ces derniers comme de terribles pilleurs d’épaves32. A partir d’un fragment d’Eustathe, J. Desanges a montré aussi qu’au début de notre ère ils assassinèrent Lucius Cornelius Lentulus, proconsul en mission en Afrique, ce qui déclencha une guerre33. Les Nasamons finirent par être soumis, mais ils reprirent les armes sous Domitien, et faillirent alors être victorieux du légat de la IIIe légion envoyé contre eux34. De cette première partie de leur histoire, on retient donc l’image d’une puissance indéniable, et une réputation particulièrement belliqueuse.
18La suite est plus confuse. Plusieurs textes indiquent que la victoire du légat Suellius Flaccus en 86 fut réellement décisive. Zonaras parle d’un « anéantissement », Eusèbe d’un « massacre », et Denys le Périégète, au début du iie siècle, écrit que les armes Ausoniennes ont détruit les Nasamons35. Contrairement à ce qui est parfois déduit de ces textes, les Nasamons survécurent cependant, mais dans une position pour un temps fort difficile. On les retrouve, en effet, chez Ptolémée au iie siècle, mais ils n’apparaissent alors plus que comme une modeste tribu, perdue dans la masse des peuples de la « Libye intérieure ». Le géographe alexandrin les place à côté des Augilai, habitants de l’oasis d’Augila, donc loin à l’intérieur des terres36. En elle-même, cette localisation n’est pas surprenante, puisque Hérodote signalait déjà que des Nasamons fréquentaient Augila au ve siècle avant J.-C. Mais elle suggère un refoulement probable de la tribu par les Romains, loin de la route côtière unissant Tripolitaine et Cyrénaïque. Un demi-siècle plus tard, la Table de Peutinger confirme cette situation continentale. Elle place en effet les Nesamones sous des populations côtières de la Syrte (les Syrtites), au pied de montagnes intérieures, et à proximité des Autels des Philènes37. Reportées sur une carte moderne, ces indications nous renvoient aux régions situées à l’ouest d’Augila, où figurent de petits ensembles montagneux, modestes certes (le Gebel Zelten et le Gebel Marada). Mais l’intérêt de la Table de Peutinger réside surtout dans le fait même qu’elle cite les Nasamons. Car les ethniques sont relativement rares sur ce document, et, en Afrique, ils semblent correspondre toujours à d’importantes entités tribales. Ainsi, pour le territoire libyen actuel, cinq noms seulement apparaissent. Outre les Nasamons, sont cités : les Garamantes, bien connus par ailleurs, et dont l’importance n’est pas à démontrer ; les Ethiopiens, un nom qui recouvre l’ensemble des populations noires du Sahara ; les Gétules, dont nous avons déjà rappelé la diversité ; les Syrtites, un terme plutôt géographique et qui doit désigner les nombreux groupes de paysans des vallées de Tripolitaine orientale et de la Syrte ; et les Seli. Ceux-là sont plus mystérieux, mais la Table de Peutinger elle-même, en qualifiant Macomades et Digdiga de villes « des Seli » (Selorum), et en citant ailleurs une natio Selorum, indique leur importance et leur extension38. Les Nasamons sont donc mis sur le même plan que de grands peuples, et on peut, dès lors, supposer que, dans ce document à finalité essentiellement pratique, ils ont été nommés d’abord parce qu’ils étaient perçus eux-aussi comme un groupe de réelle importance. Certes, la date de la Table de Peutinger reste discutée, comme l’origine de ses informations. On s’accorde en général cependant pour attribuer l’essentiel de celles-ci à l’époque sévérienne, en particulier pour cette partie du territoire libyen39. Dans ces conditions, il est légitime d’avancer que cette carte témoigne, un siècle après leur défaite, de la reconstitution de la puissance des Nasamons. Mais d’une puissance recentrée sur l’intérieur du désert syrtique, avant tout autour de l’oasis d’Augila. Celle-ci semble, en effet, être devenue le cœur de leur territoire. Un passage peu connu de Servius, le commentateur de Virgile, à la fin du ive siècle, le confirme peut-être, car il évoque la ville d’Aucela chez les Nasamons40. La tentation est grande de lire ici Augila, Aucela étant un toponyme inconnu par ailleurs.
19Tout cela nous conduit à voir dans les Nasamons d’après le premier siècle à la fois un peuple puissant, mais aussi un peuple de plus en plus extérieur à la romanité. D. Roques a souligné à ce sujet qu’à la fin du ive siècle, Synésios, qui connaît pourtant bien l’arrière-pays de la Pentapole, ignore totalement Augila : « il désigne ces terrae incognitae comme les plates étendues du continent où se réfugient les barbares »41. De fait, à Augila, on ne connaît aucune ruine qui puisse être rapportée à l’époque romaine42, et aucun texte n’évoque une intégration de cette région à l’empire. Procope, au vie siècle, et dans une Afrique largement christianisée, la présente comme un foyer de paganisme contre lequel Justinien s’employa à lutter43. Et dans cette perspective, on peut rappeler ici que l’oasis se trouve dans la zone d’où partaient très probablement les Austuriani au ive siècle.
20Repliés donc sur Augila, hors de l’Empire, les Nasamons ont certainement continué, cependant, à faire l’objet de la surveillance des Romains, au moins jusqu’au milieu du iiie siècle. R. Rebuffat a montré, en effet, la qualité et l’importance du dispositif militaire en Tripolitaine orientale et dans la Syrte : outre le fort de Bu Njem, il a en particulier révélé l’existence du poste de Zella, à relative proximité d’Augila44. Mais il a interprété ce déploiement en profondeur d’un réseau de surveillance du désert essentiellement en fonction des Gara-mantes, donnés sur un graffiti de Bu Njem comme les plus grands [des Berbères ?] et signalés sur des ostraca à l’occasion de passages au poste45. Cependant, le pays des Garamantes se trouve très loin au sud de la Syrte, et l’axe de leur mouvement était plutôt sud-nord. C’étaient assurément de hardis caravaniers, mais on peut douter qu’ils aient mis la main sur tout le trafic à l’est de Zella. R. Rebuffat, pour établir leur influence sur les routes d’Egypte, s’appuie également sur leurs liens avec le culte d’Ammon46. Or, nous le verrons en détail plus loin, les Nasamons entretenaient aussi d’étroits rapports avec ce dieu. Il paraît donc très possible que les établissements romains de Bu Njem, carrefour des pistes venant de l’est et du sud vers la Tripolitaine, et de Zella, plus tourné vers Augila et l’Egypte, avaient pour but de surveiller les Nasamons autant que les Garamantes, et de détecter tout éventuel rapprochement entre les uns et les autres. La chronologie peut confirmer cette hypothèse, car les installations de Bu Njem et de Zella ont été réalisées à partir de 201, soit plus d’un siècle après le désastre de 85/86, à une époque où les sources suggèrent un redressement notable des Nasamons. Même si leur puissance à ce moment n’est pas certaine, la zone qu’ils occupaient, autour d’Augila, s’avère aussi marginale par rapport aux centres de romanisation que le Fezzan des Garamantes : ce fait seul permet de supposer qu’ils ont conservé tout leur particularisme, redoutable dans les siècles précédents, et lourd de menace pour l’Empire.
21Ces menaces sont devenues plus graves après le milieu du iiie siècle, même si elles ne se sont pas immédiatement traduites dans les faits : Bu Njem est en effet évacué dans les années 260, tout comme les postes avancés (dont Zella)47. Trente ans plus tard, Corippe mentionne la première guerre avec les Laguatan, plus ou moins confondus avec les Austuriani, qui lancent leurs raids sur Lepcis dans les années 360 : or ces peuples semblent bien, nous l’avons vu, s’élancer depuis le fond de la Grande Syrte et ses oasis, c’est-à-dire depuis ce que nous venons de définir comme le territoire nasamon au début du iiie siècle. Tant de coïncidences conduisent logiquement à une hypothèse : un rapport étroit existe entre les Nasamons et les Laguatan/Austuriani, qu’il est peut-être possible d’interpréter comme une identité, en admettant une évolution onomastique qu’il reste à expliquer.
22Mais une difficulté se présente alors : des textes postérieurs au iiie siècle, et donc contemporains des attaques explicitement attribuées par les sources aux Austuriani et aux Laguatan, citent encore des Nasamons. Cette anomalie apparente peut cependant s’expliquer aisément. La simultanéité des mentions peut d’abord simplement être due à la structure confédérale du peuple nasamon : il est possible que certaines fractions aient gardé le nom générique de Nasamons, tandis que d’autres, désormais plus autonomes, se reconnaissaient progressivement sous un nouvel « emblème onomastique ». Cependant, dans presque tous les cas, cette hypothèse n’est pas nécessaire, tant les textes en question s’avèrent, à l’examen, peu probants.
23Certains de ces textes sont des passages d’œuvres poétiques de Claudien et de Sidoine Apollinaire. Claudien évoque les Nasamons en 397-398 dans une de ses diatribes contre la révolte du comte d’Afrique Gildon48 : énumérant les alliés maures du rebelle, il cite pêle-même Nasamons, Garamantes, Autololes et Nubiens. Il n’est guère besoin d’insister, comme nous l’avons montré naguère, sur le caractère totalement fantaisiste de cette liste, dont le but est seulement, par une multiplication de noms exotiques, d’accentuer l’image de pur barbare que Claudien s’efforce de donner de Gildon49. Tout prouve que le poète ne s’est pas donné la peine ici de consulter un état mis à jour des peuples africains : il s’est seulement contenté de puiser dans l’œuvre de ses prédécesseurs. Plus précisément, comme pour de nombreux autres éléments de sa description des Maures, ses sources ont vraisemblablement été ici les textes de Lucain et de Silius Italicus, qui citent souvent les Nasamons50.
24Une même explication s’applique au poème de Sidoine Apollinaire51. Celui-ci fait des Nasamons un peuple allié du roi vandale Genséric, à côté des Autololes et des Garamantes. En réalité, l’autorité des rois vandales n’a jamais atteint le Maroc des Autololes. Ce nom, comme celui des autres groupes évoqués, est très probablement issu d’un répertoire poétique de la barbarie depuis longtemps en usage. La similitude des listes de Claudien et de Sidoine révèle d’ailleurs l’identité des procédés : il est, dès lors, vain de chercher dans les écrits de ces poètes, totalement étrangers aux réalités africaines, de quelconques précisions ethnographiques.
25Les Nasamons apparaissent cependant aussi après le iiie siècle dans une seconde catégorie de textes, des nomenclatures ethnogéographiques52. La Chronique de saint Hippolyte dans la version du codex Matritensis, le Liber Generationis I, le Liber Generationis II, la Chronique Alexandrine (appelée aussi Excerpta latina barbari), le Liber Genealogus (appelé aussi Origo humani generis), et la Chronique Pascale53, rédigés entre le iiie et le vie siècle, comportent tous, dans des chapitres d’exégèse biblique sur la descendance de Noé et la dispersion des races et des langues, des listes de peuples, parfois accompagnées de brèves localisations. Mais ces listes, compte tenu de déformations engendrées par des fautes de copistes, s’avèrent presque rigoureusement identiques pour ce qui concerne les peuples africains de la Syrte, comme le prouve le tableau suivant :
26Le tableau illustre très clairement la dépendance complète par rapport à la Chronique d’Hippolyte de toutes ces listes, dont on retrouve encore d’autres copies dans les œuvres d’Epiphane, d’Anastase le Sinaïte et de Georges le Syncelle54. Celle-ci arrête, en un autre passage, sa liste des empereurs romains à Alexandre Sévère, d’où sa datation habituellement placée peu après 235. Ses sources sont cependant antérieures, et certaines remonteraient à Jules Africain, ce qui nous ramène au début du iiie siècle55. C’est donc peut-être à cette époque seulement que doivent être rapportées les informations sur la Syrte. Dans tous les cas, à aucun moment, au moins pour cette partie africaine, les auteurs du Bas-Empire qui ont recopié ensuite Hippolyte n’ont cherché à modifier et à actualiser le document qu’ils avaient en main, y compris dans ses formes les plus aberrantes, comme le suggère la mention répétée des étranges Tautamei, totalement inconnus et qui doivent résulter de la corruption d’un autre mot56. Il nous semble donc impossible de faire état de ces nomenclatures pour une étude des tribus après le iiie siècle. Dans ces conditions, la mention des Nasamons qu’on y trouve ne contredit pas notre hypothèse sur la recomposition de ce peuple : elle confirme seulement, en étant contemporaine de la Table de Peutinger, le redressement de la tribu après la catastrophe de 85-86.
27Subsistent alors, à l’exception de Corippe sur lequel nous reviendrons de manière détaillée plus loin, seulement deux documents tardifs, plus spécifiquement géographiques, qui citent les Nasamons. Le premier est la Cosmographie de l’Anonyme de Ravenne, dans un passage assez confus : Ad frontem autem ejusdem Garamantium patriae sunt arida deserta, montana, quae dicuntur Marmarides, Nassamones, Lotofagi atque Blegmies. In qua patria nunquam civitates fuisse legimus57.
28L’auteur semble explicitement se référer à une source livresque (legimus), qui devait être très ancienne, à en juger par la mention de certains groupes comme les Lotophages. Pour ce qui concerne les Nasamons, il donne, d’autre part, l’impression d’évoquer plus une région qu’un peuple proprement dit. Et il le fait d’une manière telle que son témoignage inspire d’emblée le doute. De fait, on a souligné depuis longtemps les problèmes posés par son œuvre, même si les études critiques qui lui ont été consacrées sont encore insuffisantes. On y relève des allusions à des réalités du vie ou du viie siècle ; il cite les homélies de Grégoire le Grand, et il connaît Isidore de Séville. Mais le plus souvent, il recopie ou résume une carte ou un itinéraire très ancien, qui n’est pas la Table de Peutinger, comme l’a montré E. H. Bunbury, et probablement pas non plus, malgré J. Oliver-Thomson, l’Itinéraire Antonin, tout en remontant, de toute évidence, au Haut-Empire, ainsi que l’ont vu tous les commentateurs depuis le premier éditeur, Porcheron, au xviie siècle58. Tout cela nous ramène donc à nouveau à une époque où les Nasamons étaient un peuple clairement identifié et bien connu.
29Ne reste alors que la Cosmographie de Julius Honorius, d’une tout autre qualité comme nous l’avons montré dans un précédent chapitre59. Cette nomenclature, qui cite les Nasamons entre les Marmarides et les Garamantes, a été composée en effet très vraisemblablement dans la deuxième moitié du ive siècle, à partir de sources de datations diverses, mais qui avaient été, dans la partie africaine, actualisées60. La mention des Nasamons peut s’expliquer ici par le maintien de fractions ayant conservé ce nom, à côté des fractions réorganisées sous un nouvel emblème onomastique, comme les Austuriani et les Laguatan. Mais comme la Cosmographia, malgré sa date, omet simultanément de citer ces derniers, pourtant alors très présents au moins à partir de 363 aux dires d’Ammien Marcellin, il nous semble beaucoup plus probable qu’en réalité Julius Honorius a préféré ici, simplement, faire état de sa connaissance de l’origine et du vieux nom de ces gens qui faisaient tant parler d’eux. Son évocation des Nasamons juxtaposée à son oubli des Austuriani constitue ainsi peut-être un témoignage indirect, mais significatif, du lien évident qui existait entre les deux ethnonymes.
3 – CORIPPE ET LES NASAMONS
30Mais nous n’avons jusqu’ici envisagé ce lien qu’à travers une démarche négative. Il faut maintenant mettre en valeur les indices positifs qui permettent réellement de l’affirmer, et la Johannide de Corippe, volontairement laissée de côté jusqu’à présent, va nous en fournir plusieurs.
31Donnant souvent dans son récit une place privilégiée aux Austuriani et aux Laguatan, Corippe est amené aussi à désigner fréquemment les peuples insurgés au vie siècle par des termes larges, à valeur générique. C’est ainsi qu’il utilise beaucoup les mots Maurus ou Maurusius, et Massylus, qui avaient perdu depuis longtemps toute valeur ethnographique précise61. Les emplois de Mazax ou Marmarides, ou encore de Syrticus correspondent également à des acceptions très étendues62. Le procédé n’était pas neuf, surtout chez les poètes, et n’a donc rien de surprenant. Beaucoup d’historiens ont estimé qu’il fallait juger les apparitions du mot Nasamon dans la Johannide selon le même critère, et lui refuser donc toute valeur significative sur le plan ethnographique63. Un examen rapide des seize occurrences du terme dans l’œuvre de Corippe semble à première vue confirmer cette interprétation64. Ainsi, au chant VIII, lorsque Carcasan, chef de la seconde coalition berbère des années 547-548, explique à ses troupes la nécessité de livrer bataille, car
Jam farris ab omni
defecit Nasamone genus65.
32L’expression Nasamone genus ne peut se rapporter qu’à toute l’armée maure, où figurent de nombreuses tribus, et pas seulement à une hypothétique unité de Nasamons. Un exemple du même genre est fourni peu après par le discours d’un autre chef, Autiliten, quand il définit une tactique de combat pour l’armée des insurgés. Il faut de préférence frapper Jean Troglita et son allié Cusina, affirme-t-il, car alors
Alios nec nominet hostes
his victis Nasamon...66
33Cette phrase n’a de sens que si l’on entend par Nasamon l’ensemble des troupes de Carcasan : le mot a donc bien un sens assez large. Un passage a cependant suscité le doute sur ce sujet : au chant VI, Corippe décrit la formation de la seconde coalition, dont Carcasan prend le commandement, et il signale l’arrivée de nouveaux éléments dans celle-ci :
(...) nec solus Ilaguas
aut gentes tantum egerunt quae bella priores,
convenere sibi, sed si quis Syrtica rura
asper arat Nasamon, si quis Garamantibus arvis
proximus arva colit, pinguis qui margine Nili
stagna bibunt, venere viri. Quis dicere gentes
aut numerare queat !67
34Plusieurs savants ont estimé, à partir de ces vers, que des éléments des peuples Nasamon et Garamante, les mêmes que ceux évoqués par Ptolémée quatre siècles auparavant, avaient rejoint en 547 la révolte berbère68. Cette interprétation est discutable. L’insistance ici n’est pas mise en effet sur les ethniques, mais sur les localisations géographiques. Ce refus de précision ethnonymique, exceptionnel dans la Johannide, apparaît nettement dans la répétition des mots si quis, qui. Il est clair, par exemple, que le poète ne nomme pas les Garamantes, contrairement à ce qui est souvent affirmé. Il évoque seulement des gens qui cultivent des champs près du pays des Gara-mantes, sans les désigner précisément. De la même façon, il fait allusion à des riverains du Nil, mais sans donner leur nom. Dans ces conditions, l’expression « le rude Nasamon qui laboure les plaines syrtiques » n’a peut-être pas l’intention de citer explicitement des Nasamons, mais seulement des Maures en général, localisés et non définis ethniquement. Cette traduction, qui correspond à tous les autres emplois du mot Nasamon dans la Johannide, restitue mieux la tonalité de ce passage très vague, dont on n’a pas assez remarqué le contraste qu’il offre avec la liste du chant II.
35A défaut d’apporter une information ethnographique précise, les vers cités précédemment contiennent cependant des indications géographiques non négligeables. Visiblement, Corippe veut souligner ici le caractère nettement plus libyen (au sens moderne) de la coalition dirigée par Carcasan, par rapport à celles qui s’étaient formées antérieurement. Or, cette particularité de l’armée maure des années 547-548, que nous avons déjà mise en valeur69, est indiscutable. Les chants VI, VII, et VIII de la Johannide, où est évoquée la révolte de Carcasan, constituent un ensemble à part dans l’œuvre. Dans les chants précédents, en effet, qui correspondent essentiellement aux années 544-547, la première place est accordée au chef Antalas, qui commande les Maures de Byzacène ; à ses côtés, on voit figurer également le roi de l’Aurès, Iaudas. Très différente est la situation dans la dernière partie du poème : c’est l’Ifurac Carcasan, habitant la Tripolitaine, qui dirige le soulèvement70 ; Antalas ne le rejoint que tardivement, et Corippe souligne qu’il n’a plus le commandement suprême71. La coalition a changé de nature : les Maures de Byzacène ont un rôle secondaire, et les Aura-siens se sont mis au service des Byzantins72. L’armée de Carcasan est donc bien avant tout libyenne, comme les vers cités plus haut le suggèrent expressément.
36Cette conclusion doit alors nous amener à revenir sur les emplois du terme Nasamon dans la Johannide. Il est très frappant en effet de constater qu’il n’apparaît qu’au chant VI, c’est-à-dire exactement lorsque commence l’aventure de Carcasan et de la seconde coalition. Cest seulement à partir de ce moment qu’il sert au poète pour désigner les tribus insurgées qui ont, nous venons de le noter, une origine géographique commune. On peut donc raisonnablement se demander si Corippe n’accordait quand même pas à ce mot un sens un peu plus précis que celui de Maure en général, en jouant sur son pouvoir d’évocation du désert libyen.
37Mais il faut aller plus loin. Car un poète connaissant bien ses devanciers comme Corippe avait à sa disposition un large éventail de noms évoquant ce désert libyen. Pourquoi, avec un sens générique, ne parle-t-il pas par exemple de Maces ou, mieux, de Garamantes ? Ces termes appartenaient aussi au répertoire poétique de la barbarie africaine : les Maces figurent chez Silius Italicus73, les Garamantes chez presque tous les poètes faisant allusion à l’Afrique, en particulier chez Virgile74, modèle de prédilection de Corippe. Les historiens qui ont tendance à douter des informations ethnographiques fournies par la Johannide n’ont pas assez remarqué le silence quasi total de son auteur à propos des Garamantes, pourtant le premier nom qui venait à l’esprit des poètes latins quand il fallait décrire l’Afrique et surtout les hommes du désert. Pourtant, depuis Iarbas, né selon Virgile d’une nymphe garamantide75, ce peuple représentait dans l’imaginaire romain tous les éléments d’une barbarie africaine idéale : le désert, les caravanes, les richesses secrètes, les divinités exotiques... En dehors de la vague allusion commentée précédemment, Corippe n’en parle pourtant jamais, préférant qualifier de Nasamons les peuples de l’Afrique orientale particulièrement. Ce choix délibéré d’un nom et le refus d’un autre nous amènent à une hypothèse : Corippe ne voudrait-il pas suggérer un lien entre les grandes tribus libyennes insurgées et les Nasamons d’antan ? Plus précisément entre les Laguatan, toujours au cœur des combats malgré la direction de l’Ifurac Carcasan, et les Nasamons ? Cette hypothèse, le meilleur commentateur de la Johannide, J. Partsch, l’avait avancée dès 1879, écrivant dans la longue introduction à son édition du poème : Laguantenses, Austurianos, Ifuraces, Nasamones illos, omnes denique hos populos Syrticos partes tantum distinctas magnae illius nationis Nasamonicae fuisse suspicor76. Mais Partsch n’alla pas au-delà de cette intuition, vite oubliée par ses successeurs. Celle-ci peut pourtant être confirmée par deux autres séries d’éléments fournis par la Johannide.
38La première se trouve dans une curieuse épithète dont sont affublés plusieurs personnages du poème. Misantas, Antifan, Alacanza et Varinnus, tous des guerriers maures insurgés, sont en effet, chacun dans des circonstances différentes, appelés pinnatus77. Ce mot est utilisé par Corippe à propos de tours de défense, et semble alors signifier « crénelé »78. Il sert aussi ailleurs à évoquer la vitesse, à propos de la renommée ou d’une nouvelle, et peut se traduire alors par l’adjectif « ailé »79. Dans le cas des soldats berbères, le seul sens possible est « emplumé », comme le proposait Gsell80, alors que Partsch restait hésitant81. Ce serait donc une allusion à un type d’ornement porté sur la tête par certains guerriers. On ne sait rien de Misantas, Antifan et Alacanza. Mais Corippe nous donne sur Varinnus une indication décisive pour préciser ce point : il l’appelle en effet au chant VII le Nasamon pinnatus82, établissant ainsi un lien fort éclairant. Car le port de plumes sur la tête était un des traits caractéristiques des Nasamons avant le iiie siècle. On le sait par un passage de Dion Chrysostome, où il énumère diverses excentricités vestimentaires de son temps (début du iie siècle) : Et certains, plus bizarres encore que ceux-là [les Perses, les Parthes et les Bactriens], ont l’habitude de visiter votre ville [Rome ?] en portant des plumes dressées sur la tête, exactement comme font les Nasamons83. Ce texte fut repris plus tard par Eustathe : Du reste, les Nasamons, lorsqu’ils voyagent, portent des plumes dressées sur la tête, ainsi que l’affirme Dion84. Cette pratique est avant tout signalée dans les textes pour les Nasamons. On en connaît aussi l’usage, par des documents iconographiques, chez les Garamantes85, mais il n’est pas question de ceux-ci dans la coalition maure. A une époque très antérieure, elle est également attestée pour les Libyens du iie millénaire avant J.-C. qui attaquèrent l’Egypte86. C’était cependant une spécialité des Nasamons au Haut-Empire, s’il faut en croire Dion Chrysostome87. Nous pouvons donc constater sur ce point que Corippe attribue à certains Berbères, à qui il donne occasionnellement le nom de Nasamons, un trait caractéristique des anciens Nasamons. On pressentait déjà une volonté d’établir une liaison entre les deux groupes : voici un élément concret qui réalise cette liaison.
39Il en est un autre plus important et d’ordre religieux. Les tribus venues de l’actuelle Libye, et en particulier les Laguatan, apparaissent dans la Johannide très impliquées dans le culte d’Ammon. Le chef des Laguatan en 546, Ierna, est en même temps le prêtre du grand dieu de sa tribu, Gurzil88. Or ce dieu est présenté ainsi :
Huic referunt gentes
Pater est quod corniger Ammon
Bucula torvo parens89.
40Plus loin, Gurzil est qualifié de « fils d’Ammon » (Gurzil Ammonii90). Sa place dans la religion des Laguatan est considérable, mais elle n’est pas exclusive. Car son père Ammon Corniger est aussi honoré pour lui-même. Le phénomène est net dans ce passage du chant VIII où sont décrites les cérémonies religieuses des Maures avant l’ultime bataille :
Hi mactant Gurzil, alii tibi, corniger Ammon91.
41De même, Carcasan, lorsqu’il exhorte ses troupes à reprendre le combat, affirme solennellement : Toute l’assistance des dieux ne nous a pas quitté dans ces plaines. Ammon ne veut pas qu’il en soit ainsi, et Gurzil non plus qui souffre que sa divinité ait été de la sorte outragée92. Cette dévotion à Ammon apparaît manifeste dans le recours aux oracles du dieu : Carcasan, avant de lancer son armée à l’assaut des provinces romaines, le consulte, et il est souvent évoqué par la suite pour expliquer la mobilisation des tribus93. Ainsi dans cet extrait du chant VIII, où Varinnus, le Nasamon pinnatus, affirme à Jean Troglita qui l’interroge94 :
At modo, cum donet responsis certior Ammon
Prospera bella suis, Laguatan cedere suis
Aut fugisse putas ?
42Il est remarquable que ce lien religieux avec Gurzil et Ammon soit surtout le fait, dans le poème, des chefs venus de Tripolitaine et de la Syrte, et beaucoup moins des hommes de Byzacène ou de l’Aurès comme Antalas ou Iaudas95.
43Or, Ammon était aussi le grand dieu des Nasamons avant le Bas-Empire. Hérodote rapporte, dès le ve siècle avant J.-C., que certains Nasamons fréquentaient l’oasis de Siwah, où se trouvait le principal temple du dieu en Afrique96. Le pseudo-Scylax, au siècle suivant, signale un bois sacré d’Ammon à la frontière entre Maces et Nasamons97. Lucain, au premier siècle, cite conjointement les Marmarides, les Nasamons et les Garamantes, ces derniers adorateurs d’Hammon cornibus tortis et possesseurs d’un temple de la divinité que le texte oblige en fait à placer en territoire nasamon98. De la même façon, Silius Italicus, un peu plus tard, les confond avec les Garamantes et Ammon en évoquant des liens de sang entre le « Garamante » Hiarbas, fils d’Ammon, et les Nasamons (dans une liste où figurent aussi les Autololes et les Getules pour lesquels, alors, de tels liens ne sont pas mentionnés99). De même encore, Stace, à la même époque, en voulant évoquer Alexandre, le qualifie de fils du Nasamonii Tonantis100 : la référence renvoie évidemment au Zeus Ammon de Siwah, consulté par Alexandre et qui s’était identifié, selon le prêtre intercesseur, comme le père du roi de Macédoine. L’intérêt pour nous des vers de Stace est qu’ils prouvent qu’on rapprochait couramment Ammon des Nasamons, en le considérant comme leur dieu par excellence, au point de lui donner leur ethnique. Dans le même ordre d’idées pourrait être citée aussi l’indication erronée, mais significative, de Quinte Curce lorsqu’il fait des Nasamons les voisins de l’oasis de Siwah101 : précision géographique fantaisiste, mais révélatrice d’une identification reconnue de tous entre le dieu et la tribu. A la fin du ive siècle, Claudien se fera l’héritier de cette tradition en disant du Nasamon que son impétueuse ardeur n’était pas même retenue par les sinistres prédictions d’Ammon102.
44Ce lien entre les Nasamons et Ammon a depuis longtemps été reconnu, et il a paru si fort à certains historiens qu’ils ont proposé de voir dans le nom même de la tribu une référence à la divinité. O. Bates103 a suggéré ainsi de comprendre Nasamon par « les hommes d’Ammon » (étymologie sémitique), ou « les gens du sud d’Ammon » (étymologie égyptienne). Plus récemment, J. Desanges a avancé, avec beaucoup de prudence, en se référant à la forme donnée par Pline et Servius, Mesammones104, une étymologie libyque, avec un préfixe Mes ou Mas, bien connu en berbère, conduisant à un sens du type : « les fils d’Ammon »105. Tout cela reste naturellement hypothétique, mais vient s’ajouter à un dossier riche et dont la leçon paraît, elle, indiscutable : un lien étroit était reconnu dans l’Antiquité entre les Nasamons et le dieu Ammon. Ce point admis, on ne peut alors qu’être troublé par le lien identique que Corippus établit au vie siècle entre cette même divinité et les Laguatan, dans les mêmes contrées. Un rapport entre Nasamons et Laguatan n’en devient que plus plausible.
4 – AUGILA, TRAIT D’UNION ENTRE NASAMONS ET LAGUATAN
45Ce rapport peut encore être renforcé par l’examen d’un dernier dossier, directement issu du précédent. Il s’agit de la question des oracles mentionnés dans la Johannide, déjà brièvement signalée. Corippe raconte en effet dans son poème deux consultations de l’oracle d’Ammon. La première aurait été le fait de Guenfan, père d’Antalas, au moment de la naissance de ce dernier, vers 500. La seconde est celle prêtée à Carcasan au début de sa révolte, en 547. On a beaucoup discuté la réalité de ces consultations, mais sans jamais leur consacrer une véritable étude critique. Le tableau qui suit offre une grille de comparaison qui peut, selon nous, éclaircir considérablement ce débat :
46Il apparaît manifestement, à la lecture de ce tableau, que les deux récits ne peuvent être placés sur le même plan. La consultation de Guenfan semble extrêmement douteuse, pour au moins trois raisons. Son contexte d’abord : en 500, Corippe le dit lui-même, les Frexes, la tribu de Guenfan, formaient un petit groupe (humilis gens) de Byzacène, et le poète ne nous donne aucune raison pour expliquer l’initiative prêtée à son chef. Le rite décrit, d’autre part, est pour le moins curieux, puisqu’on y trouve pêle-même Jupiter à côté d’Apollon, et un examen haruspicial à côté du délire d’une pythie en transes. Le contenu de la prophétie, enfin, fait sourire, puisque Corippe semble lui faire résumer à l’avance presque toute l’histoire de l’Afrique dans les cinquante années qui devaient suivre. Comme l’avait pressenti J. Leclant, cette visite de Guenfan chez Ammon « semble un souvenir du pays des Muses plus qu’un témoignage sur l’oracle africain du désert »106.
47Toute différente au contraire est la consultation de Carcasan. Elle s’inscrit dans un contexte politique précis et agité, rendant plausible l’événement. Elle décrit un rite simple, centré sur le seul Ammon. Elle aboutit enfin à une prophétie correspondant strictement à la situation dans laquelle elle est évoquée. Rien ne permet donc a priori de suspecter l’historicité de ce second épisode oraculaire de la Johannide, qui a fort bien pu inspirer le premier au poète.
48Le problème est qu’il ne correspond en rien à ce que l’on sait de l’oracle d’Ammon. Lorsqu’il est question de ce phénomène religieux en Afrique, c’est toujours l’oasis de Siwah qui est évoquée : on appelait d’ailleurs souvent celle-ci « l’oasis d’Ammon » ou l’Ammoniakê107.
49Les rites pratiqués à Siwah nous sont assez bien connus grâce à la visite d’Alexandre et aux récits qu’en font Diodore de Sicile et Quinte Curce. F. Chamoux, en les analysant, a montré que la mantique de Siwah était exclusivement égyptienne : elle consistait surtout à interpréter les mouvements de la statue du dieu, portée en procession sur une barque sacrée, exactement comme à Thèbes108. A partir d’une analyse identique, H. W. Parke a conclu qu’il fallait rejeter en bloc le témoignage de Corippe : « de toute évidence, il a tiré son interprétation non de la pratique normale de l’oracle d’Ammon, mais du matériel traditionnel de la poésie épique classique. Il serait impossible de prouver la nécessité de considérer Corippus comme un témoin sérieux d’une véritable consultation de l’oracle. Son récit peut être purement imaginaire, et inséré dans le poème pour fournir un type approprié d’épisode romantique ». Plus loin, le même auteur ajoute : « il est impossible de croire que le rituel égyptien ait été réellement transformé en cette orgie »109. Cette opinion radicale était d’ailleurs déjà celle de Gsell, qui parlait de « fictions poétiques »110.
50Elle demeure cependant contestable. Ceux qui la soutiennent se fondent en effet toujours sur le même raisonnement : ils comparent le récit de Corippe avec la mantique connue à Siwah, et l’absence complète de ressemblances les conduit à nier la valeur du témoignage du poète. Mais, ce faisant, ils négligent de s’interroger sur l’existence, chez les Berbères, des rites décrits dans la Johannide. Or, nous avons la chance de posséder un texte de Procope qui confirme la description des rites pratiqués lors de la consultation de Carcasan. L’historien grec, en racontant le premier soulèvement des Maures après la reconquête byzantine, en 534, signale en effet que les insurgés trouvèrent d’abord leur audace dans des prophéties. Et il précise à ce sujet : Dans ce peuple, il est interdit à un homme de prophétiser ; mais les femmes, par l’effet de certains sacrifices (ιερουργίας), entrent en transes (κάταχοι) et prédisent l’avenir, de la même façon que les anciens oracles111. La comparaison de ce texte avec le passage de Corippe sur Carcasan est édifiante : on y retrouve, outre le fait que ce soit une femme qui officie, le même ordre cérémoniel : le sacrifice, les transes, la prophétie. Il y a là une analogie, négligée jusqu’ici, et qui vérifie la valeur des informations fournies par la Johannide.
51La question qui se pose à nous change alors de sens. Une consultation oraculaire est très possible : mais a-t-elle eu lieu dans l’oasis de Siwah, ou ailleurs ? Pour apporter une réponse indiscutable à cette question, il faudrait d’abord bien connaître l’histoire de Siwah à la fin de l’Antiquité. La thèse récente de E. Wagner montre que nous en sommes encore assez loin112. A part de rares et brèves mentions dans quelques textes, on ne sait rien de l’oasis après le iiie siècle. J. Leclant estime, en se fondant sur Corippe dont il ne méprise pas le témoignage, que les Maures avaient pris le contrôle de Siwah et y avaient imposé leur propre mantique oraculaire113. Les textes cités par E. Wagner semblent plutôt suggérer le maintien de la région dans l’empire. Hiéroclès et Georges de Chypre, vers 600, donnent en effet Ammoniakê comme une cité de « Libye inférieure »114. On sait qu’Athanase d’Alexandrie visita, au ive siècle, l’oasis, dès son élévation à l’épiscopat. A la même époque, l’endroit servait de lieu d’exil pour certains évêques. Il semble surtout que, depuis le début de ce siècle, c’était un siège d’évêché115. Certes, cette christianisation ne s’est guère traduite sur le plan monumental116. Mais au vie siècle, à l’époque de Corippe, il est établi que des moines vivaient, retirés dans des cellules, dans l’oasis117. Tout cela nous conduit à dissocier le « séjour d’Ammon » évoqué par la Johannide et Siwah.
52Corippe, en situant seulement la consultation de Carcasan au « pays des Marmarides »118, un terme très général pour évoquer les Maures des Syrtes, autorise une telle dissociation. Il faut donc supposer l’existence d’un autre sanctuaire d’Ammon, berbère celui-là, et actif au vie siècle. Or, il nous est, en fait, connu, grâce encore à Procope. Dans son Traité des édifices, après avoir achevé la description de la Cyrénaïque, l’historien grec écrit en effet :
Il y a deux cités du même nom, chacune des deux s’appelant Augila. Elles sont distantes de Boreium d’environ quatre jours de voyage pour un voyageur au pas alerte, vers le sud. Et ce sont toutes deux de véritables villes, dont les habitants ont gardé leurs antiques coutumes, car ils étaient tous adonnés au polythéisme jusqu’à mon époque. Là, depuis longtemps, il y avait des sanctuaires dédiés à Ammon et à Alexandre de Macédoine, et les indigènes leur sacrifiaient jusqu’au règne de Justinien. Il y avait là une grande quantité de ceux qu’on appelle hiérodules119.
53Ce texte a fait l’objet de sévères critiques de plusieurs historiens. Tour à tour, J. Leclant, H.W. Parke et E. Wagner120 ont estimé que Procope avait confondu Augila et Siwah, à qui la description aurait dû seule s’appliquer. Mais R. Rebuffat, en analysant, le premier, de manière détaillée, les données géographiques fournies par l’historien grec, a montré qu’il évoquait bien Augila121. La distance par rapport à Boreium (Bou Grada actuel) est juste, et Augila est effectivement une oasis à plusieurs foyers. Aujourd’hui encore les cartes y indiquent deux centres, appelés Augila et Jallu, deux termes étroitement parents qui pourraient révéler l’existence de deux noms identiques ou quasi identiques dans l’Antiquité. Le témoignage de Procope mérite donc le respect. Or, il nous signale formellement un sanctuaire d’Ammon qui a toutes les chances d’être celui décrit par Corippe. Certes, l’historien grec parle seulement de sacrifices, sans employer le mot « oracle » dans sa description. Mais ce silence partiel n’est guère significatif au regard de tous les autres éléments qui suggèrent une identification. Nous avons déjà noté, en effet, qu’Augila échappait depuis longtemps à tout contrôle romain, ce qui est loin d’être le cas des autres sanctuaires d’Ammon connus auparavant. Par sa localisation, l’oasis se trouvait obligatoirement dans le territoire des tribus berbères, depuis au moins le IVe siècle, et en particulier au cœur du pays des Laguatan, encore les principaux combattants de la coalition dirigée par Carcasan. Le fait que Corippe différencie le chef du lieu de l’oracle qu’il va consulter (Carcasan, acclamé chef, « gagne le pays des Marmarides, séjour d’Ammon qui porte des cornes ») implique d’ailleurs que ce lieu se trouvait en dehors du territoire des Ifuraces, que nous savons avoir été situé en Tripolitaine, et assez loin. Aucun autre site qu’Augila, foyer des Austuriani et des Laguatan, ne convient mieux à ces indications. Les pratiques païennes qu’y évoque Procope étaient à coup sûr celles de ces tribus, et l’identification proposée ici paraît donc de loin la plus raisonnable122.
54Nous pouvons donc avancer désormais qu’au vie siècle l’oasis d’Augila était un des grands foyers religieux des tribus insurgées du désert libyen, en particulier des Laguatan, principalement autour du culte d’Ammon. Mais, d’autre part, Augila était aussi depuis toujours dans le territoire des Nasamons : et cela se comprend aisément, puisque ce peuple vouait un culte attentif à Ammon. Enfin, nous avons vu que l’oasis était devenue, après le règne de Domitien, le lieu de repli de ces Nasamons, près duquel tous les documents postérieurs les situent. Augila établit ainsi une remarquable continuité, non seulement géographique mais aussi religieuse, entre les Nasamons et les Laguatan. C’est une nouvelle pièce au dossier des rapports entre les deux groupes, que nous pouvons maintenant résumer.
5 – CONCLUSION : DES NASAMONS AUX LAGUATAN
55Cinq éléments les caractérisent. Le territoire d’où surgissent les Austoriani au ive siècle est le même que celui où s’étaient réfugiés les Nasamons après le premier siècle et où ils se trouvaient encore au début du iiie siècle. Corippe appelle au vie siècle Nasamons les peuples de l’actuel désert libyen, dirigés par les Austuriani et les Laguatan. Il indique que certains de leurs guerriers portaient des plumes sur la tête, ce qui était un signe distinctif des Nasamons au Haut-Empire. Il les présente aussi comme des adorateurs d’Ammon, ce qui était également une caractéristique de leurs prédécesseurs. Enfin, nous pouvons déduire de la juxtaposition des textes de Procope et de Corippe que les Laguatan consultaient un oracle dans le sanctuaire d’Ammon situé dans l’oasis d’Augila, précisément devenu le foyer principal des Nasamons après le premier siècle. Tout cela constitue finalement une accumulation d’indices rendant très probable un apparentement étroit, déjà supposé par Partsch et Diehl, entre ces Nasamons et les Laguatan.
56Reste à expliquer, cependant, la différence onomastique. Or, en fait, réduite à elle-même, celle-ci n’a rien de réllement énigmatique dans le contexte nord-africain. Nous avons signalé que le terme « Nasamon » s’appliquait à un grand peuple. Alors qu’en Tripolitaine occidentale les auteurs anciens livrent une liste abondante d’ethnonymes, dans la Syrte, avons-nous constaté, seuls reviennent surtout les Maces et les Nasamons. Certes, il s’agit d’une région désertique et forcément moins peuplée ; mais on doit hésiter néanmoins avant de mettre les noms des Maces et des Nasamons sur le même plan que les autres. Ces ethniques devaient recouvrir une réalité tribale plus large, dont les subdivisions étaient plus mal connues qu’ailleurs, parce que se rapportant à des espaces marginaux. Pour les Maces, Ptolémée suggère fortement l’existence de fractions-sœurs, en nommant Makaioi Syrtites, Makooi, et Makatoutai123. Hérodote peut laisser entendre la même chose quand il indique qu’il existait plusieurs chefs chez les Nasamons124. Chaque fraction porte normalement, dans les peuples ainsi organisés, un nom qui lui est propre : nous en montrerons des exemples plus loin. Mais tant que le groupe est fort et indépendant, on le connaît surtout sous son nom générique : la puissance des Nasamons jusqu’à la fin du premier siècle explique que les auteurs anciens les désignent toujours de la sorte. La guerre de 85-86 et l’écrasement, puis le refoulement probable des Nasamons, ont bouleversé cette situation. Le groupe s’est disloqué et a été vraisemblablement dispersé géographiquement sous l’action des Romains. Dès lors, chaque fraction a suivi son destin propre, et s’est fait connaître sous un nom particulier, caché autrefois par l’unité du groupe. Ce phénomène est peut-être illustré par une inscription de Sirte, datée de 87 après J.-C., et qui mentionne une délimitation de territoire entre deux tribus inconnues jusque là, les Muduciuvii et les Zamucii, après accord entre les deux nationes, et sous l’autorité de Suellius Flaccus125. L’identité du légat, qui est l’homme qui a mis fin à la révolte de 85-86, la date de l’inscription (juste après), et sa localisation, bien loin des cités de Tripolitaine, ont conduit plusieurs historiens à la relier à l’écrasement des Nasamons en 85-86. P. Romanelli écrit ainsi : « Les Nasamons vaincus et dispersés, le gouvernement romain dut voir la nécessité de régler les rapports entre les tribus plus petites, qui auparavant obéissaient vraisemblablement au chef des Nasamons : d’où la délimitation du territoire des Muduciuvii et des Zamucii »126. M. Bénabou évoque de son côté le processus de fractionnement voulu par Rome pour éliminer certaines tribus « considérées comme irrécupérables ou indésirables »127, et qui aboutit au refoulement des sous-groupes jugés dangereux, et à la délimitation et à la surveillance des autres128.
57C’est probablement dans un tel contexte qu’émergèrent peu à peu, selon nous, les Austuriani et les Laguatan, et peut-être d’autres tribus citées par Corippe. Séparés du reste des anciens Nasamons, refoulés sur Augila et l’intérieur de la Syrte, ces groupes ainsi disloqués ont progressivement reconstitué leurs forces, mais avec une structure au début plus éclatée, que leur nomadisme accentué renforçait.
58De manière générale, le processus de fragmentation d’un ethnique large, au profit du développement d’autres ethniques correspondant à des groupements au départ plus réduits, a été souvent relevé à l’époque moderne, en particulier en Kabylie129. Mais on en connaît aussi des exemples dans l’Antiquité. Un premier cas est peut-être celui des Bavares, d’après les analyses de G. Camps130. Il relève en effet que la branche orientale de ce peuple associait au moins quatre gentes au IIIe siècle. Or, leur localisation permet d’en identifier probablement au moins une, dans la massif des Babors, les Koidamousoi, cités par Ptolémée. Le géographe, écrit G. Camps, « ne cite pas les Bavares : il considère donc les Koidamousoi comme étant la gens la plus importante de la région ». Mais un siècle après, il n’est ici question que de Bavares, alors que plus tard, au ve siècle, on trouve des Ucutamani, puis à l’époque arabe, des Kotama, toujours au même endroit. G. Camps donne de ces variations une explication fort éclairante pour notre propos : « le nom même de Bavares peut très bien avoir été celui d’une des gentes de la confédération, qui, au cours du iiie siècle, supplanta momentanément la gens principale, celle des Koidamousoi, qui avant (Ptolémée) et après, sous le nom d’Ucutamani-Kotama (Ibn Khaldoun), exerça la primauté sur l’ensemble de la fédération. La gens bavare qui donna son nom à la fédération dut s‘épuiser dans les insurrections du IIIe siècle, et après un temps d’incertitude et d’anarchie, qui correspond au ive siècle et à la guerre de Firmus, les Ucutamani reprirent leur prépondérance ».
59Cette analyse de la structure complexe d’un groupement berbère antique et des variations de l’onomastique peut être complétée, pour le même exemple, par un texte arabe peu connu. Il s’agit d’un extrait de l’Iftitâh d’Al-Qâdi al-Nu’mân. Ce texte rapporte les propos échangés, à la fin du ixe siècle, entre le missionnaire chiite Abû ‘Abd Allâh et des pèlerins de la tribu des Kutâma, qu’il allait convertir. A la question du premier, Constituez-vous une tribu (qabîl) unique ?, les Kutâma répondirent : Non, le nom de Kutâma s’applique à nous tous, mais nous nous ramifions en diverses tribus (qabâ’il), clans (afhâd) et familles (buyûtât)131. On connaissait déjà cette structure originale des peuples berbères dans l’Antiquité grâce à la Table de Banasa132. Dans le cas des Kutâma, elle éclaire les changements de noms qui affectèrent le groupe au cours de son histoire. Ce texte renforce donc l’hypothèse de G. Camps, mais il peut aider aussi à comprendre l’histoire du peuple nasamon. G. Camps avance pour expliquer le déclin de l’ethnique Bavares des raisons militaires, et en particulier une série de défaites graves : nous avons vu que le même processus peut s’être appliqué aux Nasamons.
60Un autre exemple de la souplesse onomastique des groupes berbères anciens nous est fourni par Pline l’Ancien. Décrivant les tribus de Maurétanie Tingitane, le Naturaliste évoque des peuples gétules : « les Baniurae, les Autoteles, de beaucoup les plus puissants, et une ancienne fraction de ceux-ci (horum pars quondam), les Nesimi, qui s’en sont séparés (avulsi his) et ont formé un peuple indépendant (propriam gentem)133 ». Les Autoteles sont un groupe tout à fait comparable aux Nasamons, puissant et nombreux comme le dit Pline. On les trouve d’ailleurs dans les énumérations poétiques tardives à côté des Nasamons et des Garamantes134. Or, le texte cité montre bien que derrière ce nom d’Autoteles se cachait une grande diversité tribale, et que des recompositions se produisaient parfois : le même processus a pu affecter les Nasamons.
61Il nous manque, certes, un document décisif qui apporterait la preuve indiscutable de la filiation existant entre les Laguatan et eux135. Mais nous avons pu accumuler dans ce chapitre suffisamment d’indices pour fonder solidement notre hypothèse. L’histoire des Bavares ou des Autoteles prouve que les phénomènes de changements de noms étaient courants au sein des peuples berbères, du fait même de leur structure fragmentée. Nous soupçonnons fort que l’aventure des Nesimi, fraction séparée qui devient une tribu indépendante, fut aussi celle des Austuriani et des Laguatan. Et l’unanimité des textes pour décrire la catastrophe subie par les Nasamons au premier siècle apporte une explication très satisfaisante pour un tel processus. Ceux-ci furent connus encore pendant un peu plus d’un siècle sous leur nom ancien parce qu’ils ne faisaient plus parler d’eux. Puis ils s’illustrèrent à partir de la fin du IIIe siècle sous l’emblème des Austuriani et des Laguatan, fractions désormais dominantes dans un peuple qui, contrairement à une théorie dénuée de preuves, n’entreprit probablement jamais de grandes migrations, pas avant le Moyen Age en tout cas.
Notes de bas de page
1 R. W. Bulliet, « Botr et Béranès, hypothèses sur l’histoire des Berbères », dans Annales ESC, 36, 1981, p. 104-116. Cet article est en fait, et malgré les apparences, directement issu des idées de E.-F. Gautier sur l’origine orientale des Botr, assimilés aux nomades chameliers, et sur leur migration vers le Maghreb central. Son originalité est de chercher à les confirmer par des arguments ethnographiques, en particulier à partir de recherches sur les types d’araires et de costumes des différents groupes berbères. Mais les conclusions qu’il tire de cette approche nouvelle et intéressante sont faussées par sa dépendance par rapport à la théorie de Gautier. Si on conteste celle-ci, comme on est selon nous en droit de le faire, les éléments ethnographiques mis en valeur peuvent être lus tout autrement. N’ayant pas vraiment de valeur probatoire par eux-mêmes, ils ne s’éclairent que par des textes que R. W. Bulliet ne prend pas le soin d’analyser à nouveau.
2 Cf. infra chapitre 7 dans cette deuxième partie.
3 Saint Augustin, Epistulae, 46 et 47. Commentaire infra p. 364-365 et 457-458.
4 Cf. notamment R. G. Godchild, « The limes Tripolitanus II », réédité dans le recueil de ses articles intitulé Libyan Studies, Londres, 1976, p. 37. Voir aussi dans le même recueil p. 92 et p. 184.
5 Cf. supra p. 166-171.
6 Ammien Marcellin, Histoires, XXVIII, 6, 1-2 et 4 : Ad Tripoleos Africanae provinciae veniamus aerumnas... Austoriani his contermini partibus barbari... [sunt] Hujus necem ulcisci ut propinqui damnatique injuste causantes, ferarum si-miles rabie concitarum, exsiluere sedibus suis...
7 Cf. G. Di Vita, « Quatre inscriptions du Djebel Tarhuna : le territoire de Lepcis Magna », dans Quaderni di Archeologia della Libia, 10, 1979, p. 67-98.
8 Synésios, Catastase I, éd. N. Terzaghi, Rome, 1944, p. 284 l. 14-16 : Nous demanderons [d’avoir en tout] 200 Hunnigardes sous le commandement d’Anysios, et, chez les barbares, ils iront délivrer nos compatriotes. Cf. le commentaire de D. Roques, Synésios de Cyrène et la Cyrénaïque du Bas-Empire, Paris, 1987, p. 247.
9 Ammien Marcellin, Histoires, XXVIII, 6, 5 : [Romanus] qui cum venisset militaris copias ducens, ferreque opem rebus rogaretur afflictis, non nisi abundanti commeatu aggesto, et camelorum quattuor millibus apparatis, castra firmabat esse moturum.
Trad. M.-A. Marié : « Celui-ci, arrivé à la tête de ses troupes et prié de leur porter secours dans leur désastre, déclarait ne pas vouloir se mettre en campagne si on ne lui apportait des vivres en abondance et si on n’équipait quatre mille chameaux ».
10 Ce contexte militaire original doit conduire à relativiser les accusations des Lepcitains et d’Ammien contre Romanus. Il était confronté à un ennemi trop éloigné et trop mobile, contre lequel il ne pouvait faire campagne avec l’équipement habituel de l’armée romaine. Sa demande n’était contraire ni aux lois, ni aux circonstances, mais elle excédait simplement les possibilités des cités.
11 Toujours entretenu et même renforcé au ive siècle dans ce secteur, comme l’a montré notamment pour la partie située dans l’actuel sud tunisien P. Trousset, Recherches sur le limes Tripolitanus du Chott el Djérid à la frontière tuniso-libyenne, Paris, 1974.
12 Cf. R. Marichal, Les ostraka de Bu Njem, Tripoli, 1993, no 28, 71, 72 et 147 : ce dernier texte, du milieu du IIIe siècle, est surtout intéressant parce qu’on y lit cette phrase : maiores sunt Garama[ntes]... A la fin du IVe siècle, Servius, dans son commentaire de Virgile, donne à plusieurs reprises, des précisions sur les Garamantes. Ainsi à propos de Bucoliques VIII, 44 : « Extremi Garamantes » : populi Africae. « Extremi » autem saevi, quasi a consortio humanitatis remoti, ut extremique hominum Morini Rhenusque bicornis ; ou encore à propos de Enéide VIII, 794 : « Garamantas » : populi inter Libyam et Africam, juxta kekaymenhn. La citation de saint Augustin est une référence littéraire empruntée à Pline l’Ancien (V, 36), mais que l’auteur ne paraît pas considérer anachronique : Apud Garamantes, quemdam fontem tam frigidum diebus et non bibatur... (Cité de Dieu, XXI, 5). De même pour Orose, qui mentionne les Garamantes dans son introduction géographique, après la Cyrénaïque : Post se habet usque ad Oceanum meridianum gentes Libyaethiopum et Garamantum... (Historiae adversus paganos, I, 2, 88). Le passage de l’Ambrosiaster est plus énigmatique quant à ses sources : Garamantum, qui supra Tripolim Afrorum sunt, regibus tauri placuerunt ad sessum. (Quaestiones ex utroque Testamento mixtim, 115, dans Patrologie latine, t. XXXV, col. 2350 ; pour l’attribution de cette œuvre à l’Ambrosiaster, cf. J. Quasten, Patrologia, t. III, Rome, 1978, p. 170 et 173). Luxorius, poète très prisé aux derniers temps de l’Afrique vandale, raille de son côté la laideur de la femme garamante, opposée à la beauté des filles du Pont : cf. le poème no 43 dans l’édition de M. Rosenblum, Luxorius. A Latin Poet among the Vandals, New York-Londres, 1961, p. 136. Enfin (mais notre liste n’est pas exhaustive), Jean de Biclar atteste de manière indiscutable du maintien du peuple garamante encore dans la deuxième moitié du vie siècle, en racontant l’envoi d’une ambassade auprès des Byzantins en 569 : Garamantes per legatos paci Romanae rei publicae et fidei christianae sociari desiderantes poscunt, qui statim utrumque inpetrant.
13 Les éditions des différents textes utilisés figurent dans la liste des souces donnée à la fin de cet ouvrage. Le périple du pseudo-Scylax est cité d’après l’édition et la traduction de J. Desanges dans sa thèse, Recherches sur l’activité des Méditerranéens aux confins de l’Afrique, Rome, 1978, p. 406-407. Nous avons, pour établir ce tableau, beaucoup utilisé les analyses et remarques du même auteur dans son Catalogue des tribus africaines de l’Antiquité classique (Dakar, 1962) et dans son édition du livre V, 1 de Pline l’Ancien (Paris, 1980). Les textes des poètes et des historiens, qui n’apportent rien sur les localisations, sont cités et commentés infra, à l’intérieur du chapitre.
14 Nous comptons dans ce chiffre le texte de Pomponius Mela, qui attribue en efffet aux Augiles plusieurs traits caractéristiques des Nasamons et semble confondre sous un même nom les deux peuples (cf. J. Desanges, commentaire de Pline V, 1, 45, dans son édition citée supra, p. 472-473).
15 Strabon, Géographie, II, 5, 33 : Les Gétules sont présentés comme un peuple vivant au nord des Garamantes, mais au sud des tribus du littoral, parmi lesquelles figurent les Nasamons.
16 Ptolémée, Géographie, IV, 3, 6 : Makaioi Surtitai ; IV, 6, 6 : Makkooi ; IV, 4, 6 : Makatoutai. On ajoutera les Maces Cinyphii mentionnés par Silius Italicus (II, 60 et III, 275), qui sont probablement identiques aux Kinuphioi de Ptolémée (IV, 3, 6 bis, édition Müller p. 638), et devaient constituer une quatrième fraction du même peuple.
17 R. Rebuffat, « Les fermiers du désert », dans L’Africa romana V, Atti del V convegno di studio, Sassari, 1987, Sassari, 1988, p. 35-43 surtout.
18 O. Brogan et D. J. Smith, Ghirza, a Libyan settlement in the Roman period, Tripoli, 1984. Cf. aussi le résumé commode donné par D. J. Smith, « Ghirza », dans D. J. Buck et D. J. Mattingly ed., Town and Country in Roman Tripolitania, B.A.R., int. Ser., 274, Oxford, 1985, p. 227-239.
19 R. G. Goodchild, Libyan Studies, Londres, 1976, p. 59-71.
20 Synésios, lettre 130, éd. A. Garzya, Rome, 1979, p. 222 l. 14 : Μακέται.
21 Edit d’Anastase, publié par G. Oliverio dans Documenti antichi dell’Africa italiana, II, p. 135-163. Repris dans SEG IX, 356, §11, l. 50 : [το]ύς δε ὲκ τοῦ εθνου(ς) (τ)ῶν Μακῶν.
22 D. Roques, Synesios de Cyrène et la Cyrénaïque du Bas-Empire, Paris, 1987, p. 268-273.
23 Cf. A. Chauvot, « Remarques sur l’emploi de semibarbarus », dans A. Rousselle éd., Frontières terrestres, frontières célestes dans l’Antiquité, Perpignan, 1995, p. 255-271.
24 Synésios, lettre 130, éd. A. Garzya, Rome, 1979, p. 222.
25 Edit d’Anastase, dans SEG, IX, 356, §11, l. 46-52 : Les soldats des forts doivent employer tout leur soin à monter la garde et interdire à quiconque d’aller chez les barbares pour s’y approvisionner et de faire des échanges avec eux. Ils doivent au contraire surveiller les routes elles-mêmes pour que ni les Romains ni les Egyptiens ni personne d’autre ne trouve accès auprès des barbares. Les gens de la tribu des Makai recevront sur présentation d’une lettre du préfet clarissime l’autorisation de fréquenter les terres de la Pentapole (trad. D. Roques, op. cit., p. 270).
26 Hérodote, IV, 172. Texte et traduction dans S. Gsell, Hérodote, Alger, 1916, p. 11 : Les Nasamons viennent après les Auschises à l’Occident et forment un peuple nombreux. En été, ils laissent leurs troupeaux sur le bord de la mer et montent ves le pays d’Augila pour y faire la récolte des dattes.
27 Hérodote, ibid., II, 32 : Etéarque [roi de l’oasis d’Ammon] raconta qu’un jour des Nasamons étaient venus chez lui...
28 Hérodote, ibid., II, 32 : [récit des Nasamons à Etéarque] : Il y avait chez eux de jeunes fous, fils de grands personnage (gene¥suai aßndrw˜n dynaste¥wn) qui, devenus adultes, avaient imaginé... d’aller voir les déserts de Libye.
29 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, III, 49. Traduction et commentaire de F. Chamoux, « Diodore de Sicile et la Libye », dans Cirene e i Libyi, Quaderni di archeologia della Libya, 12, 1987, p. 61-62.
30 Ammien Marcellin, XXVIII, 6, 2 et 4 : Austoriani his contermini partibus barbari, in discursus semper expediti veloces, vivereque adsueti rapinis et caedibus..., ferarum similes rabie concitarum exsiluere sedibus suis.
31 SEG IX, 77. Commentaire dans A. Laronde, Cyrène et la Libye hellénistique, Paris, 1987, p. 52-58.
32 Lucain, La guerre civile, IX, 141-144 :
Nam litoreis populator harenis
imminet et nulla portus tangente carina
novit opes ; sic cum toto commercia mundo
naufragiis Nasamones habent.
Silius Italicus, la guerre punique, III, 320-321 :
Huc coit aequoreus Nasamon invadere fluctu
audax naufragia et praedas avellere ponto.
33 J. Desanges, « Un drame africain sous Auguste : le meurtre du proconsul L. Cornelius Lentulus par les Nasamons », dans Hommage à Marcel Renard, tome 2, Bruxelles, 1969, p. 197-213.
34 Les Nasamons étaient soumis à Rome au début des années 80, puisque Flavius Josèphe les cite parmi les peuples africains vaincus (Guerre des Juifs, II, 381-383). D’autre part, Zonaras, qui raconte leur soulèvement sous Domitien, les présente d’abord comme des « tributaires » dont la révolte commença par le meurtre des percepteurs du tribut (Annales, XI, 19). Ces événements ont fait l’objet d’une étude toujours solide de S. Gsell dans son Essai sur le règne de l’empereur Domitien, Paris, 1893, p. 234-237. Cf. aussi J. Desanges, Recherches sur l’activité des Méditerranéens..., Rome, 1978, p. 210-213.
35 Zonaras, Annales, XI, 19 (éd. Pinder, t. II, 1844) : De nombreux tributaires des Romains se révoltèrent à cause des prélèvements sévères qui étaient effectués. Ce fut le cas des Nasamons. Ceux-ci tuèrent les percepteurs du tribut, vainquirent le légat de Numidie Flaccus, et s’emparèrent de son camp. Ayant découvert dans ce camp, outre d’autres vivres, une grande quantité de vin, ils s’énivrèrent et s’endormirent. Mis au courant de cela, Flaccus les attaqua et les détruisit tous, et il n’épargna pas même ceux qui étaient inaptes au combat. Domitien, gonflé d’orgueil par ce succès, déclara au sénat : « J’ai interdit aux Nasamons d’exister » ; Denys le Périégète, Description de la terre, 208-210 (dans C. Müller, Geographi Graeci minores, t. 2, Paris, 1861, p. 112) : Plus loin dans cette région on trouve le pays désert des Nasamons, contempteurs de Jupiter, dont la race a été détruite par la lance ausonienne (d’où la version de Priscien, Périégèse, 193-194 : Hos licet ad fines desertas cernere terras,/ Extinctis populis Nasamonum Marte Latino.) ; Eusèbe, Chronique, éd. Schoene, p. 160-161 : Les Nasamons et les Daces entrèrent en guerre avec les Romains et furent massacrés. C. Müller (op. cit. p. 113) et S. Gsell (op. cit. p. 235) doutaient de la réalité d’un anéantissement total des Nasamons, ce que confirment les documents analysés dans la suite de ce chapitre.
36 Ptolémée, Géographie, IV, 5, 12 (éd. C. Müller, t. I, 2, Paris, 1901) : Habitent la région du nord de la Marmarique les Libyarchoi et les Aneiritai et les Bassakitai, sous lesquels sont les Apotomitai ; ensuite, plus au sud, on trouve les Augilai sur 52o 30’ 28 », après lesquels les Nasamons et les Bakatai. Ibid., IV, 5, 13 : Et chez les Augilai et les Nasamons (se trouvent) Augila et Ma-gros. L’association des deux noms est ici très significative.
37 Table de Peutinger, segment VIII, 2-3. A noter que Pline l’Ancien (XXXVII, 104) plaçait lui aussi les Nasamons près de montagnes.
38 O. Bates (The Eastern Libyans, Londres, 1914) propose de voir dans les Seli les Psylles, peuple syrtique dont Pline dit qu’il fut presque totalement détruit par les Nasamons (VII, 14), ce que répète Solin (éd. Mommsen, Berlin, 1895, p. 125). Ptolémée atteste cependant une survivance des Psylles (Géographie, IV, 4, 6) qui rend possible l’hypothèse de Bates. Dans tous les cas, les Seli ne sont plus connus après la Table de Peutinger. Mais Ch. Tissot (Géographie comparée de la province romaine d’Afrique, t. 1, Paris, 1884, p. 469) a suggéré de voir dans les Silcadenit, Silvacae, et Silvaizan de Corippe des fractions des Seli. L’hypothèse n’est pas absurde car ces tribus, nous l’avons vu (supra p. 107-108), sont vraisemblablement à situer en Tripolitaine.
39 Cf. R. Rebuffat, « Gholaia », dans Libya Antiqua, IX-X, 1972-73, p. 142-144.
40 Servius Honoratus, Commentaire sur l’Enéide (éd. G. Thilo et H. Hagen, tome 1), ad XI, 265 : Et oppidum Aucela inter Nasamones condidisse...
41 D. Roques, Synésios de Cyrène et la Cyrénaïque du Bas-Empire, Paris, 1987, p. 121.
42 A. di Vita (« Il limes romano di Tripolitania », dans libya Antiqua, 1, 1964, p. 94) fait allusion à « il forte cirenaico di Gialo », sans autre précision. Nous avons vainement cherché trace de ce fort dans les publications archéologiques. En fait, Augila ne semble avoir jamais fait l’objet de fouilles ni même d’une véritable prospection. Seul l’article « Augila » de l’Enciclopedia Italiana (tome 5, 1949, p. 335-336) indique : « A l’époque romaine, il semble aussi qu’il existait un fort de protection de caravanes, mais nous manquons de données archéologiques ». Ce renseignement provient probablement du récit de J. R. Pacho (Relation d’un voyage dans la Marmarique, la Cyrénaïque et les oasis d’Audjelah et de Maradeh, 1827, réimp. Marseille, 1979, p. 278) : « [A Augila], les seuls édifices antiques dont on puisse apercevoir des traces... consistent en grands massifs de briques crues au nombre de trois, contenant chacun un puits au milieu. Il n’en reste à peu de choses près que les fondements ; mais, autant qu’on peut en juger par la disposition de l’ensemble, ce devaient être de grandes tours semblables à celles que j’ai rencontrées sur le plateau cyrénéen ». Pacho concluait qu’il s’agissait de constructions libyennes. Il est possible en réalité que ces édifices aient été construits à l’époque médiévale. Les textes arabes témoignent en effet d’un réel intérêt alors pour Augila, oasis réputée pour sa prospérité. Ainsi Al-Bakrî : Aoudjela, ville très peuplée qui possède beaucoup de dattiers (trad. De Slane, JA, 1858, t. 12, p. 443) ; ou Ibn Hawkal, au xe siècle, qui signale que le gouverneur de Barka a un représentant qui commande dans cette ville (trad. De Slane, JA, 1842, p. 163). Ces indices permettent de supposer un développement architectural tardif.
43 Procope, De Aedificiis, VI, 2, 14-20. Commentaire infra p. 243-244.
44 R. Rebuffat, « Zella et les routes d’Egypte », dans Libya Antiqua VI-VII, 1969-70, p. 181-187.
45 Cf. supra note 12.
46 R. Rebuffat, « Zella et les routes d’Egypte », Libya Antiqua, VI-VII, 1969-70, p. 182 ; et « Routes d’Egypte et de la Libye intérieure », dans Studi Magrebini, III, 1970, p. 6-10 et 16.
47 R. Rebuffat, « Dix ans de recherches dans le prédésert de Tripolitaine », dans Libya Antiqua, XIII-XIV, 1976-77, p. 79-91.
48 Claudien, De consulatu Stilichonis, I, 254-256 : venerat et parvis reditimus Nuba sagittis et velox Garamas, nec quamvis tristibus Hammon responsis alacrem potuit Nasamona morari... Ibid. I, 354 : Sternitur ignavus Nasamon...
49 Cf. notre étude « Gildon, les Maures et l’Afrique », dans MEFRA, t. 101, 1989, 2, p. 821-872.
50 Lucain, La guerre civile, IV, 679 ; IX, 439, 444, 458. Silius Italicus, La guerre punique, I, 408 ; II, 62, 117 ; III, 320 ; VI, 44 ; VII, 609 ; IX, 221 ; XI, 180 ; XIII, 481 ; XVI, 630 ; XVII, 246. Cf. également Ovide, Métamorphoses, V, 129, et Stace, Silves, II, 7, 93 ; IV, 6, 75.
51 Sidoine Apollinaire, Carmina, V, 335-338, à propos de Genséric : propriis nil conficit armis : Gaetulis, Nomadis, Garamantibus Autololisque Arzuge, Marmarida, Psyllo, Nasamone timetur segnis, et ingenti ferrum iam nescit ab auro.
52 Sur ces chroniques, cf. A. Bauer, Die Chronik des Hippolytos in Matritensis graecis 121, Leipzig, 1905 (2e éd., 1929), et H. Inglebert, Les Romains chrétiens et l’histoire de Rome, Paris, 1995, p. 63-67, 191-195 et 599-604.
53 Une certaine confusion sur les titres et le nombre de ces chroniques a été entretenue par la parution simultanée, sous le même nom de Chronica minora, des deux éditions de Mommsen (pour les MGH) et de Frick (pour Teubner) en 1892, avant l’étude décisive, et qui fait toujours référence, de Bauer en 1905 (2e éd., 1929), citée à la note précédente. Excerpta Latina Barbari est un titre donné par Scaliger et repris par Frick pour le texte latin publié par Mommsen sous le nom de Chronique Alexandrine, qui est une traduction tardive du texte grec du même nom, lui-même très proche de l’original (supposé) d’Hippolyte, mais continué jusqu’en 412. Origo humani generis est le titre donné sur le codex Taurinensis à un texte très proche de celui qui est appelé Genealogiae sur un codex Lucensis et Liber genealogus sur deux autres manuscrits (Sangallensis et Florentinus) : Frick a retenu le premier nom, Mommsen le troisième (des variantes non négligeables existent entre les quatre manuscrits). Le problème qui se pose à tous les historiens depuis longtemps est d’identifier la version originale du texte d’Hippolyte. Bauer croyait la trouver sur le manuscrit grec de Madrid, en l’associant à une traduction arménienne de 685. En comparant leur contenu historique, H. Inglebert estime, après d’autres, que la traduction latine la plus ancienne, et la plus incomplète, est celle du Liber Generationis II, antérieure à 334, mais, de manière novatrice, il propose aussi de dater le liber Generationis I, pour lui le plus fidèle à l’original grec, entre 354 et 381 (op. cit., p. 196).
54 Epiphane de Salamine, Ancoratus (écrit en 374), éd. K. Holl, Leipzig, 1915, p. 138-139 ; Anastase le Sinaïte (viie siècle), Quaestiones, éd. Migne, PG t. 89, col. 559-560 ; Georges le Syncelle (ixe siècle), Chronique, éd. Dindorf (CHSB), Bonn, 1829, p. 90.
55 Cf. R. Amman, « saint Hippolyte », dans Dictionnaire de Théologie catholique, tome 6, Paris, 1947, col. 2501. Et H. Inglebert, op. cit. p. 63-67.
56 Ce nom pourrait n’être, en fait, que le résultat d’une mauvaise lecture du mot Garamantes, dont la mention ici, dans une conception large de la Syrte, s’expliquerait aisément. La Chronique Alexandrine déforme en effet, dans une autre liste, ce mot en Taramantii (éd. Mommsen, MGH, a.a. IX, p. 107), probablement par suite d’une confusion du G avec un T. On peut supposer, à la suite, une confusion entre r et t, d’où un passage Garamantes → Taramantes → Tatamantes qui nous mènerait aux mystérieux Tautamaious ou Tautamona.
57 Ravennatis Anonymi Cosmographia, III, 3 (éd. Pinder et Parthey, Berlin, 1860, p. 136-137).
58 E. H. Bunbury, A History of Ancient Geography, (1883, rééd. New York, 1959), tome II, p. 700-701. J. Oliver Thomson, History of ancient Geography, New York, 1948, p. 379 (« A copy of the same road map of Caracalla’s time which was used by the Antonine itinerary »). Cf. encore le vieux livre de d’Avezac et Gravier, Le Ravennate et son exposé cosmographique, Rouen 1888, et surtout l’article « Karten » de Kubitschek (1919), dans la Real Encyclöpedie, tome X, 2, §71, avec un schéma reconstituant les liens entre les différentes cartes et itinéraires qui sont conservés.
59 Supra p. 83-104.
60 Supra p. 85-91.
61 L’évolution du sens de Maurus a été souvent signalée et expliquée par G. Camps depuis son article pionnier « L’inscription de Beja et le problème des dii Mauri », paru dans la Revue africaine, 1954, p. 253-254 particulièrement. Cf. sur tous ces noms infra p. 447-450.
62 Pour Mazax, cf. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 5, p. 118, et G. Camps, Berbères..., p. 89. Pour Marmarides, cf. supra p. 156-157. Le sens de Syrticus est également très large, et désigne tous les Berbères venus de Libye actuelle, voire tous les Maures révoltés lorsque les Libyens font partie de l’insurrection (cf. ainsi Johannide V, 462).
63 Ainsi J. Desanges, Catalogue... p. 154 note 5 : « Les Nasamons sont mentionnés au vie siècle dans la Johannide de Corippus mais semblent appartenir au matériel poétique ».
64 Liste des occurrences : Johannide, VI, 198, 552, 589, 593, 692 ; VII, 465, 510 ; VIII, 95, 177, 234, 248, 274, 423, 428, 446, 639.
65 Johannide, VIII, 247-248.
66 Johannide, VIII, 273-274.
67 Johannide, VI, 195-201 : Et ne se rassemblent pas uniquement le seul Ilaguas ou les tribus qui autrefois firent la guerre, mais aussi le rude Nasamon qui laboure les champs de la Syrte, mais aussi celui qui, voisin des plaines garamantiques, cultive des champs, et ceux qui boivent l’eau des lagunes au voisinage du Nil fertile ; tous accourent. Qui pourrait nommer ou dénombrer ces peuples ? Nous adoptons ici, au vers 198, la correction Garamantibus suggérée par Diggle et Goodyear.
68 Ainsi Ch. Diehl, l’Afrique byzantine, p. 372.
69 Cf. Supra p. 75.
70 Cf. infra ive partie p. 629-633 pour l’analyse de la révolte de 547-548.
71 Johannide, VIII, 239-242 :
Guenfeius una,
aspera bella ciens, animo consulta revolvit
impatiens differe diu. Tamen ordine primus
Carcasan sic orsus ait...
72 Johannide, VII, 277-78 :
Auxiliumque dedit rebus famulatus Iaudas
cum nato comites bis senis millibus armans...
73 Silius Italicus, La guerre punique, III, 275 : liste où figurent aussi Marmarides, Gétules, Autololes, Garamantes et Nasamons.
74 Par exemple Enéide VI, 794 : Super et Garamantas et Indos proferet imperium.
75 Enéide IV, 198 : [Hiarbas] hic Hammone satus rapta Garamantide nympha.
76 J. Partsch, proemium de la Johannide dans MGH, a.a., t. III, 2, Berlin, 1879, p. XIII.
77 Johannide, V, 264 : Misantas pinnatus erat.
V, 328 : pinnatum Antifan Dorotis arundine fixit.
VII, 510 : tunc Nasamon pinnatus ait... [il s’agit de Varinnus]
VII, 417-419 :
obvius ecce venit Varinnus, belliger ille
terribilis quondam nostris stipante caterva. Hic pinnatus erat.
VIII, 543 : Tunc Alacanza ruit magnum pinnatus in hostem...
78 Johannide, VII, 482-483 : (à propos de la cité de Junci) non turribus illam ardua pinnati defendunt culmina tecti.
79 Johannide, VII, 154-155 : [la nouvelle de la défaite de Jean en 547 arrive à Carthage]
conjugis interea miserae pervenit ad aures
haec eadem pinnata ducis...
80 Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, tome V, Paris, 1927, p. 31.
81 J. Partsch, proemium de l’édition MGH de la Johannide, index, p. 186 : « quid hoc epitheto significetur, parum constat ».
82 Johannide, VII, 510 : tunc Nasamon pinnatus ait...
83 Dion Chrysostome, Discours, 72, 3 (éd. J. W. Cohoon, Londres, 1951). La suite du texte est intéressante : Et pourtant, pour ce qui concerne les Gètes, les Perses, ou les Nasamons, alors que certains d’entre eux ne viennent ici qu’en petit nombre et d’autres très rarement, le monde entier est aujourd’hui rempli de gens comme ceux que j’ai décrits. Visiblement, les Nasamons constituent pour l’auteur un peuple toujours vivant.
84 Eustathe, Periégèse, 209 (éd. Müller, Geographi Graeci minores, t. 2, Paris, 1861, p. 253).
85 Cf. C. Daniels, The Garamantes of Southern Libya, New York, 1970, p. 32 : gravure de l’oued El Agial. Tertullien fait également allusion aux plumes des Garamantes dans le De virginibus velandis, X, 2.
86 Cf. F. Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades, Paris, 1952, p. 4647 et planche I, 1. Voir également les peintures du tombeau de Séti I dans M. Ebert, Reallexicon des Vorgeschichte, t. 7, planche 203. Dans divers sites du Sahara, on trouve aussi des gravures rupestres avec des personnages portant des plumes sur la tête : cf. P. Graziozi, L’arte rupestre della Libia, tome 2, Naples, 1942, planches 35 et 105 (Fezzan), et 133a (Tassili oriental).
87 Pour Gsell (Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 5, p. 31), les pinnati seraient en général les chefs maures, le port des plumes étant « un insigne distinguant du menu peuple les gens de qualité ». Il renvoie aux vers 263-264 du chant V, où Corippe oppose deux personnages :
Tiseras de plebi rebelli,
Misantas pinnatus erat
Selon lui, ces vers exprimeraient une opposition entre les simples soldats (plebs) et les chefs (pinnati). Cette interprétation est séduisante, mais ne contredit pas le lien entre le port des plumes et les Nasamons. Des tribus comme les Laguatan et les Austur jouaient en effet un rôle majeur dans la coalition, et leurs notables devaient donc être aussi les premiers mis en valeur : on pourrait donc comprendre, dans les vers cités, que Tiseras appartenait à la masse rebelle, et que Misantas était, lui, un personnage éminent d’une des tribus issues des anciens Nasamons.
88 Johannide, II, 109 : Ierna ferox his ductor erat Gurzilque sacerdos.
89 Johannide, II, 110-111 : Ces tribus rapportent que le père (de ce Gurzil) est Ammon porteur de cornes et qu’une génisse farouche est sa mère.
90 Johannide, V, 25.
91 Johannide VIII, 304.
92 Johannide, VI, 114-117 : non omne deorum sublatum auxilium campis discessit in illis non ita vult Ammon, non iam qui numina Gurzil sic violata dolet.
93 Cf. infra p. 239-244.
94 Johannide, VII, 534-536.
95 Le seul lien entre Antalas et Ammon dans le poème est la consultation oraculaire qu’aurait effectuée Guenfan, père du héros, peu après sa naissance. Mais cet épisode semble bien être une invention littéraire destinée à assimiler Antalas aux Laguatan, les ennemis par excellence (cf. infra p. 239-240). Nulle part ensuite Corippe n’associe le chef de Byzacène et la divinité, à la différence de ce qu’il fait pour Ierna et Carcasan. Quant à Iaudas, le silence est total sur sa religion. Cf. sur ces deux personnages troisième partie, infra p. 331-333 et 415.
96 Hérodote, II, 32. Cf. supra note 27.
97 Périple du pseudo-Scylax, éd. et trad. J. Desanges, Recherches sur l’activité des Méditerranéens aux confins de l’Afrique, Rome, 1978, p. 406-407 : Au plus creux de la Syrte, dans le repli qu’elle forme, les autels des Philènes, un entrepôt, le bois sacré d’Ammon. Ce bois sacré d’Ammon est probablement à rapprocher des sources d’Ammon évoquées par le Stadiasme tout près d’Automalax, à proximité des autels des Philènes. J. Desanges (éd. de Pline, V, 1, p. 370-371) propose de le localiser à Maaten Bescer, à 30 km à l’est d’Automalax (Ras bu Sceefa).
98 Lucain, la guerre civile, IV, 679 (pour la mention des Nasamons et des Garamantes) Le temple d’Ammon est évoqué lors du récit de l’aventure de Caton en Afrique (chant IX). La flotte de Caton a été dispersée par la tempête à l’entrée des Syrtes. Caton continue à pied vers l’ouest et traverse le territoire nasamon (IX, 438-460). Après avoir affronté une tempête de sable, il arrive près du temple d’Hammon, le seul temple qui fut en Libye et que possèdent les sauvages Gara-mantes. Lucain précise qu’il est entouré par une forêt, la seule de la Libye : car toute la région de sables arides qui sépare la brûlante Berenicida de la tiède Lepcis ne connaît pas le feuillage (frondes) ; Hammon seul a obtenu les bois (nemus) (IX, 523-525). Ce passage oblige à situer le temple entre Berenike et Lepcis. Caton ne pouvant raisonnablement s’éloigner du rivage, on peut penser que le temple était en territoire nasamon ou mace. La mention d’une forêt conduit à le rapprocher du bois sacré d’Ammon évoqué par le pseudo-Scylax (cf. supra note précédente, et J. Aumont, « Caton en Libye », dans REA, 1968, p. 315-317). Lucain attribue le contrôle du temple aux Garamantes : le fait est surprenant car, en son temps, la puissance des Nasamons était encore considérable. Peut-être la fréquentation de l’édifice était-elle commune aux Nasamons et aux caravaniers Garamantes. A moins que le poète n’use indifféremment des termes Nasamons et Garamantes selon les besoins de la versification. L’hypothèse ne peut être exclue quand on considère l’expression inops Nasamon mixti Garamante perusto (IV, 679), ou encore les vers 456-460 du chant IX, à propos de la tempête de sable :
pars plurima terrae
tollitur et nunquam resoluto vertice pendet.
Regna videt pauper Nasamon errantia vento
discussasque domos, volitantque a culmine raptae
detecto Garamante casae.
J. Duff concluait de ces vers qu’ici, « Garamantian seems to be used loosely for Libyan » (dans l’édition Loeb de Lucain, p. 532 note 2).
99 Silius Italicus, La guerre punique, II, 58-64 :
venerat Asbyte, proles Garamantis Hiarbae.
Hammone hic genitus, Phorcynidos antra Medusae
Cyniphiumque Macem et iniquo a sole calentis
Battiadas late imperio sceptrisque regebat ;
cui patrius Nasamon aeternumque arida Barce
cui nemora Autololum atque infidae litora Syrtis
parebant nulloque levis Gaetulus habena.
100 Stace, Silves, II, 7, vers 93-95 :
sic natum Nasamonii Tonantis
post ortus obitusque fulminatos
angusto Babylon premit sepulcro.
101 Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 7, 19 : A septentrione Nasamones sunt.
102 Claudien De consulatu Stilichonis, I, 255-256 :
nec quamvis tristibus Hammon
responsis alacrem potuit Nasamona morari.
103 O. Bates, Eastern Libyans, Londres, 1914, p. 52 note 8.
104 Pline l’Ancien, V, 33 : Nasamones, quos antea Mesammones Grai appelavere ab argumento loci, medios inter harenas sitos ; Servius, Commentaire sur l’Enéide, XI, 265 : eosque initio Mesammones, postea corrupte Nasamones appellatos...
105 J. Desanges, dans son édition de Pline V, 1, p. 370.
106 J. Leclant, « Per Africae sitientia ». Témoignages des sources classiques sur les pistes menant à l’oasis d’Ammon », dans Bulletin de l’Institut français d’Archéologie Orientale, t. 49, Le Caire, 1950, p 194, note 2 : « La consultation de Carcasan (V, 147-180) atteste des pratiques indigènes ; celle de Guenfan au contraire (III, 81-85) semble un souvenir du pays des Muses plus qu’un témoignage sur l’oracle africain du désert ».
107 Cf. les données recueillies et analysées par E. Wagner, Les oasis d’Egypte à l’époque grecque, romaine, et byzantine d’après les documents grecs, dans Bibliothèque d’Etude de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, tome C, 1987, p. 137-138.
108 F. Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades, Paris, 1953, p. 331-334.
109 H. W. Parke, The Oracles of Zeus, Dodona, Olympia, Ammon, Oxford, 1967, p. 232-233 et 250-51.
110 S. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. VI, p. 169.
111 Procope, La guerre vandale, II, 8, 13 : άνδρα γάρ μαντευεσθαι έν τφ εθνει τουτωούθεμις, αλλα γυναίκες σφίσι καταχοι έκ δη τινος ιερουργίας γινομεναι προ-λεγουσι ταεσόμενα των παλαι χρηστηρίων ουδενος ησσον.
112 E. Wagner, op. cit. supra note 107, p. 264 et p. 369-370.
113 J. Leclant, « Per Africae sitientia », op. cit. supra note 106, p. 194 : « L’oracle dispensa ses réponses vraisemblablement pendant plus d’un millénaire, puisqu’au vie siècle encore, dans la Johannide de Corippus, Guenfan et Carcasan interrogent le dieu fatidique ».
114 E. Honingman éd., Le synekdemos d’Hiéroclès et l’opuscule géographique de Georges de Chypre, Bruxelles, 1939, p. 48 et p. 61. Cf. E. Wagner, op. cit., p. 264.
115 Cf. E Wagner, op. cit. p. 369-370.
116 On n’avait retrouvé en effet en 1990 encore ni monuments, ni inscriptions ou même graffites chrétiens. Mais comme le notait E. Wagner (op. cit. p. 370), « il faut toutefois tenir compte de ce qu’il n’y a eu que peu de fouilles à Siwah ».
117 Cf. Jean Moschus, Le pré spirituel, 123 : [récit de l’abbé Zosime] Lorsque j’étais jeune, je quittai le Mont Sinaï et je m’en allai à Ammoniakê pour m’y fixer dans une cellule. Et je trouvai là un moine qui portait un manteau (trad. M. J. Rouet de Journel, dans l’édition Sources Chrétiennes, Paris, 1946).
118 Johannide, VI, 147-148 :
Marmaridum fines, habitat quo corniger Ammon
inde petit, durique Iovis responsa poposcit.
119 Procope, De Aedificiis, VI, 2, 14-18 : Πόλεις δε πούείσι δύο έπ'όνόματος ενος φκημεναι. Αύγίλα γαρ εκατερα εκληθη. Αύται τού Βορείου διεχούσιν όδφ τετ-ταρων ημερων μαλιστα ειβζιί)ν(ρ ανδρί, τετραμμεναι μεν αύτού προς ανεμον νοτον, αρ-χαΐαι δεούσαι καιτων οίκητορων αρχαιοτροπα ταεπιτηδεύματα εχούσαι. Θρη-σκείαν γαρ πάντες καιείς εμετην της πολύθεΐας ενοσούν. ενταύθα εκ παλαιού τφ τε "Αμμωνι και 'Αλεξανδρω τφ Μακεδονι ανεκειτο ε'δη. Οίς δη καί εσφαγιαζοντο μεχρι ες την Ίούστινιανού βασιλείαν οί επιχωριοι. ᾖν δε καιομιλος αύτοΐς των ίερο-δούλων καλούμενων πολιίς.
120 J. Leclant, op. cit. supra note 106, p. 194 note 2 : « Procope situe à Augila ces événements de la lutte contre le polythéisme ; mais le contexte incite à les localiser à Siwah, qui est l’oasis traditionnelle d’Ammon, et à qui était lié d’étroite façon le souvenir d’Alexandre » ; H. W. Parke, The Oracles of Zeus, p. 232-233 : « Il semble que Procope a par erreur dédoublé le nom de l’oasis d’Augila et qu’il évoque l’oasis de Siwah comme un des deux noms » ; E. Wagner, op. cit. supra note 107, p. 369 note 6 : « Procope place ce culte par erreur à Augila mais il s’agit sans aucun doute de Siwah ».
121 R. Rebuffat, « routes d’Egypte et de la Libye intérieure », Studi Magrebini, III, 1970, p. 6-7.
122 Cette remarque répond à un important et récent article de D. Roques qui, sans nous nommer mais en songeant peut-être à la première version (1990) de notre thèse, dont il a eu connaissance, s’efforce de nier la localisation de l’oracle décrit par Corippe à Augila (« Procope de Césarée et la Cyrénaïque du vie siècle ap. J.-C. », dans Rendiconti dell’Accademia di Archeologia, Lettere, et Belle Arti [Naples], vol. lxiv, 1993-1994, p. 393-434, surtout p. 429-430). Son raisonnement repose uniquement sur le silence de Procope quant à l’oracle, mais délaisse tous les autres arguments qui, par élimination, nous conduisent à retenir Augila. Nous ne voyons vraiment pas pourquoi, sinon en vertu d’une pétition de principe, il faudrait rejeter ce site, connu de Procope pour être un sanctuaire actif d’Ammon au vie siècle, pour préférer une mystérieuse et anonyme « autre oasis de Tripolitaine ou du Fezzan ». Le texte de Corippe suggère clairement l’éloignement de l’oracle par rapport à la Tripolitaine, le pays de Carcasan, et le Fezzan des Gara-mantes est toujours resté à l’écart des guerres libyques du vie siècle : les solutions ne sont donc pas nombreuses, et Augila paraît de loin la plus logique.
123 Cf. supra note 16.
124 Hérodote, II, 32. Cf. supra note 28. Chaque chef peut être à la tête d’une fraction du peuple des Nasamons.
125 IRT 854 [Sous l’autorité de l’empereur Domitien et sous les ordres du légat Suellius Flaccus] terminus positi (sic) inter nationem Muduciuviorum e(t) Zamuciorum ex conventione utrarumque nationum.
126 P. Romanelli, « Le inscrizioni volubilitane dei Baquati e i rapporti di Roma con le tribu indigene dell’Africa », dans Hommages à Albert Grenier, t. 3, Bruxelles, 1962, p. 1358.
127 M. Bénabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, 1976, p. 443. Cf. aussi p. 436-437.
128 Pour D. J. Mattingly, cependant, l’inscription de Sirte évoquerait une délimitation entre des groupes du peuple des Maces (Tripolitania, Londres, 1995, p. 32).
129 Cf. Hanoteau et Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, t. 2, Paris, 1873, p. 67 : « Il arrive quelquefois, soit à la suite de longues guerres civiles, soit lorsqu’elle ne se sent pas assez forte pour lutter seule contre ses ennemis, que la tribu se démembre ou s’incorpore tout entière à une autre ». Les auteurs donnent plusieurs exemples et concluent : « ces exemples que des recherches spéciales multiplieraient sans aucun doute, font voir comment des noms de tribus peuvent disparaître sans que pour cela les habitants aient péri ou quitté le pays par suite d’un exil forcé ou volontaire » (nous soulignons). Au temps de l’occupation française, la dislocation des tribus était un objectif majeur, jugé indispensable à la réussite de la colonisation. X. Yacono en donne des exemples dans sa thèse sur La colonisation des plaines du Chélif, concluant (t. 2, Alger, 1956, p 284-294) : « Il est un but que l’on cherche toujours à atteindre..., c’est la dislocation de la tribu ». Le même auteur, en étudiant dans un autre ouvrage l’histoire des Ouled Kosseir, montre bien comment cette tribu agrégea au cours de son histoire des éléments extérieurs qui prirent ensuite le nom commun d’Ouled Kosseir (Les bureaux arabes et l’évolution des genres de vie indigènes dans l’ouest du Tell algérois, Paris, 1953, p. 173-175).
130 G. Camps, « Bavares », dans EB, t. IX, Aix, 1991, p. 1394-1399.
131 Texte cité et traduit par M. Talbi dans sa thèse, L’Emirat Aghlabide, Paris, 1966, p. 595.
132 Cf. M. Euzennat et W. Seston, « Un dossier de la chancellerie romaine : la Tabula Banasitana. Etude de diplomatique », CRAI, 1971, p. 479 ; et M. Euzennat, Les Zegrenses, dans Mélanges d’histoire ancienne offerts à William Seston, Paris, 1974, p. 184-185.
133 Pline l’Ancien, V, 17 : Gaetulae nunc tenent gentes, Baniurae multoque validissimi Autoteles et horum pars quondam Nesimi, qui avulsi his propriam fecere gentem...
134 Cf. Claudien, De consulatu Stilichonis, I, 354-356 :
Sternitur ignavus Nasamon, nec spinula supplex
iam torquet Garamas ; repetunt deserta fugaces
Autoteles ; pavidus proiecit missile Mazax...
135 Citons cependant un argument supplémentaire qui nous est fourni par le Stadiasme, texte que l’on date généralement du IIIe siècle (mais A. di Vita le place à l’époque augustéenne : cf. Mélanges P. Boyancé, Rome, 1974, p. 229-249). En suivant le littoral libyen, cet itinéraire maritime décrit des stations côtières : 57 : Berenike..., 62 : Boreion..., 64 : De Chersis à Amastoros, 110 stades ; 65 : De Amastoros à Heracleion, 80 stades etc... (éd. C. Müller, Geographi Graeci minores, tome 1, Paris, 1855, p. 452). Cette station de Amastoros, à 250 stades à l’ouest de Boreion, se trouvait tout près des Autels des Philènes, donc dans le fond de la Grande Syrte. Or, C. Müller, en reprenant une idée de Movers, a suggéré de lire Amastoros comme un mot composé, Am-Astor, qui en phénicien se comprendrait alors la tribu Astor. Le rapprochement Astor/Austur apparaît ensuite évident. Si la lecture de Müller est juste, ce texte témoignerait ainsi d’une présence des Austu riani dans la région syrtique environ un siècle avant Ammien Marcellin, ce qui confirmerait leur implantation ancienne dans le pays des Nasamons, dont ils ne seraient qu’une fraction.
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