Chapitre 4. Histoire d’une théorie
p. 131-152
Texte intégral
1– LES ORIGINES : L’ŒUVRE DE TAUXIER
1Avant le xixe siècle, les mentions des Austuriani et des Laguatan étaient en général fort brèves chez les historiens, et toujours isolées. Lenain de Tillemont, en relisant Ammien, signale ainsi les raids de pillage sur Lepcis des années 363-367, sans autres considérations1. Gibbon assimile les Austuriani, responsables de ces agressions, aux « sauvages de Gétulie », ce qui implique qu’ils appartenaient à ses yeux aux groupes déjà connus dans les siècles antérieurs. Ailleurs, il raconte la guerre des Laguatan contre Solomon en 544-546, mais sans plus les distinguer des autres Maures2. Ce peu d’intérêt du monde savant pour les deux tribus était dû à l’insuffisance des sources, qui empêchait de percevoir la longue durée de leur existence. Les circonstances changèrent dans la première moitié du xixe siècle, avec les premières éditions de la Johannide de Corippe3 (1820 et 1836) et les traductions des auteurs arabes, en particulier de Ibn Khaldûn4 (1852). Il était désormais possible d’établir une série de manifestations des Austuriani et des Laguatan commençant au iiie siècle en Tripolitaine, et se prolongeant jusqu’au xive siècle à travers tout le Maghreb.
2L’homme qui le premier prit alors conscience de l’importance de leur histoire est un auteur aujourd’hui bien oublié. Henri Tauxier5 est pourtant un personnage essentiel dans notre perspective : dès le début de ses recherches, il n’envisagea en effet la destinée des deux peuples qu’en fonction de la théorie des migrations. Certes, nous y reviendrons bientôt, celle-ci avait déjà été esquissée à propos d’autres tribus. Mais c’est véritablement Tauxier qui le premier perçut l’intérêt du cas des Laguatan et énonça à leur propos les principes fondamentaux de la théorie. « Sergent-chef en garnison à Fort-Napoléon (Kabylie) », il apparaît en 1862 dans la Revue africaine, par une lettre au président Adrien Berbrugger où, en des termes d’une grande humilité révélant une timidité de novice se présentant au monde savant, il proposait une « série d’études sur les migrations des populations africaines avant l’islamisme6 ». Berbrugger fut immédiatement séduit, et la publication de ce travail commença dès le deuxième semestre 18627. Prudent, Tauxier avait proposé simultanément des versions réduites et un peu différentes de la même étude au Journal Asiatique8 et aux Petermann’s Mitteilungen de Gotha9. Leur parution rapide, dans des numéros de 1862 de ces deux revues, prouve l’intérêt immédiat que suscitèrent ses idées. Fort cependant de l’appui de Berbrugger, et probablement sensible au prestige de la Revue africaine, c’est à cette dernière qu’il réserva désormais l’essentiel de ses recherches. Celles-ci, pendant plus de vingt-cinq ans, allaient développer, avec de plus en plus d’ampleur, sa théorie des migrations berbères, dont il se proclama fièrement, dans un article de 1880, le seul et unique inventeur10. Sa gloire fut pourtant très éphémère. Contesté, dès 1879, sur bien des points par Partsch à propos de sa lecture de Corippe11, il sombra dans un oubli quasi total après 1890. Diehl, dans sa grande synthèse sur L’Afrique byzantine, en 1896, signale une fois un de ses articles, sans long commentaire12. Gsell fait de même en 1913, au travers d’une note exprimant un jugement sans appel à l’égard de ses œuvres13. A l’exception des livres du Père Mesnage et de N. Slouschz14, Tauxier disparaît ensuite complètement des bibliographies de l’Afrique du Nord. La Revue africaine, à laquelle il donna pendant près de trente ans des centaines de pages, ne lui a même jamais accordé l’honneur d’une notice nécrologique...
3Si le nom de Tauxier n’est jamais cité non plus dans les publications actuelles défendant la théorie des migrations, ses idées s’y retrouvent cependant fort souvent. Ce militaire érudit a découvert en effet les arguments fondamentaux de la théorie. Ainsi l’explication de l’apparition soudaine des Laguatan à la fin du iiie siècle : s’ils ne figurent pas dans la nomenclature de Ptolémée, c’est qu’il faut « admettre, non pas que les tribus du pays, dans l’intervalle, ont changé de dénomination, mais qu’elles ont été remplacées par d’autres peuplades qui les ont détruites15 ». L’hypothèse de modifications onomastiques est éliminée a priori, au profit exclusif de l’idée de migration. Ce choix arbitraire et sans appel deviendra aussi l’option de tous les partisans de la théorie des migrations, qui ne songeront plus à examiner d’autres pistes de recherches.
4Une autre anticipation remarquable de Tauxier est l’origine orientale résolument proposée pour les tribus migratrices : « Au milieu de tous ces déplacements confus, de ces migrations en tous sens, de ces tempêtes furieuses, l’œil de l’historien, embrassant l’ensemble des faits, distingue un mouvement général et persistant qui porte sans cesse les tribus orientales vers les régions de l’Occident, du bord des Syrtes aux rivages les plus éloignés de l’océan Atlantique16 ». Dans ces mouvements, ajoute-t-il, le chameau a joué un rôle essentiel, en particulier pour les Laguatan, car, « les premiers en Afrique, ils en élevèrent des troupes nombreuses17 ».
5Ces différentes affirmations ne sont que rarement étayées par des références véritables. La démonstration de l’origine orientale des Laguatan est, à cet égard, exemplaire. Dans un article de 1877 consacré surtout à cette question, Tauxier développe deux « arguments ». Corippe signale que la tribu de Ierna adorait un dieu Gurzil, représenté par un taureau. Or, la Bible mentionne un culte du Veau d’or chez les Juifs du temps de Moïse. Les deux rites sont évidemment parents : les Laguatan sont donc originaires de Palestine ou des régions voisines. Pour atteindre le Maghreb, il leur a fallu nécessairement traverser l’Egypte : par chance, Ptolémée évoque dans ce pays une tribu portant le nom de Rouaditai. L’équivalence onomastique est aussitôt prononcée : les Laguatan, dans leur grande marche vers l’ouest, stationnaient donc en Egypte au second siècle, conclut Tauxier18. Ces curieux raisonnements n’ont naturellement jamais été repris, mais l’affirmation d’une origine libyo-égyptienne des Laguatan se retrouve chez de nombreux historiens modernes19. Ceux-ci ont d’ailleurs parfois aussi suivi la « méthode » de Tauxier, notamment quand ils ont voulu utiliser l’œuvre d’Ibn Khaldûn et ses passages sur les généalogies berbères, que ce glorieux pionnier n’avait pas négligés.
6Tant de similitudes rendent ainsi, au premier abord, surprenant l’oubli dans lequel est tombé Tauxier dès la fin du xixe siècle. Le phénomène s’explique pourtant aisément : il est en grande partie la conséquence de la perspective générale dans laquelle celui-ci avait voulu situer son œuvre. Pour lui, en effet, l’étude des Austuriani et des Laguatan n’était qu’un élément dans une recherche bien plus vaste sur l’origine du peuple berbère tout entier. Comme il l’expliquait dans une lettre à E. Mercier en 1880, son œuvre avait eu d’abord pour but de réagir contre les thèses bibliques ou mythologiques encore très suivies au milieu du xixe siècle, et en particulier contre « l’opinion assez généralement répandue que les Berbères étaient un peuple unique, venu en une seule fois et à une même époque dans le continent africain »20. Au contraire, il entendait montrer « qu’il s’est produit dans le nord de l’Afrique non pas des variations de nom, mais de véritables émigrations et des invasions réelles, des mouvements de population qui ont changé à plusieurs reprises la face du pays »21. L’idée essentielle de Tauxier était plus précisément de prouver que le peuple berbère s’était formé très progressivement, par une longue série de migrations étalées sur plus de deux millénaires, avec des apports principalement arabes, longtemps avant l’islam. Les Laguatan n’offraient qu’un exemple de ces migrations, mais le mieux connu : cela leur valut trois articles successifs, au terme desquels ils furent définis comme des Arabes Amalécites22.
7La deuxième moitié du xixe siècle fut fertile en hypothèses sur les origines des Berbères, souvent plus fantaisistes les unes que les autres. L. Bertholon, chronologie à l’appui, leur trouvait des ancêtres « cypro-cappadociens, troyens, et thraco-phrygiens »23. Pour L. Rinn, ils représentaient le résultat de migrations d’à peu près toutes les branches indo-européennes24. Quant à J. Urvoy de Closmadeuc, G. Médina, et Ch. Tissot, ils découvraient en eux les probables descendants des Atlantes25 ! Travaillant sur un sujet identique, Tauxier partagea aussi avec tous ces érudits une même faiblesse méthodologique, caractérisée par les présupposés idéologiques, les textes sortis de leur contexte, et surtout les rapprochements linguistiques et onomastiques les plus imprudents. On comprend donc que lorsque parurent, à la fin du siècle, les premières grandes thèses universitaires sur le passé de l’Afrique du Nord, l’œuvre de Tauxier sombra dans le même discrédit que celles de Rinn ou de Bertholon, avec lesquelles elle avait trop de défauts communs. Gsell, quand il aborde le problème des origines berbères dans le premier tome de son Histoire ancienne de l’Afrique du Nord n’accorde que quelques lignes, dans de petites notes, à ces chercheurs qui, moins de vingt ans auparavant, avaient publié des centaines de pages sur le même sujet. Son jugement sur Tauxier est impitoyable : aucun argument solide26...
8De manière générale, la génération de Gsell, dont les ouvrages restent souvent aujourd’hui encore indispensables, élimine presque totalement l’idée de migration dans ses recherches sur les Berbères de l’Antiquité. J. Partsch, dans son long commentaire introductif de la Johannide27, l’exclut pour expliquer l’origine des Laguatan. R. Cagnat, dans le récit des guerres maures inclus dans L’armée romaine d’Afrique, n’y fait jamais allusion28. La même absence se relève dans la grande synthèse de Ch. Diehl sur L’Afrique byzantine, où les Laguatan tiennent pourtant un rôle majeur. Les seules exceptions se trouvent en fait chez deux auteurs aux objectifs moins scientifiques qu’apologétiques, le Père Mesnage et N. Slouschz. Le premier ne cessa pendant une vingtaine d’années, de 1899 à 1915, dans une série d’études sur la christianisation des Berbères, de faire référence à Tauxier29. Le second, sans le citer, et avec des arguments encore bien plus fragiles, en répéta l’idée essentielle dans un étrange ouvrage intitulé Judéo-Hellènes et Judéo-Berbères, paru en 190930. Aucun ne réussit à convaincre à l’époque le monde savant, et la théorie des migrations connut bien alors une éclipse presque totale, qui rend d’autant plus extraordinaire sa résurrection moins d’un quart de siècle plus tard.
2 – EMILE-FÉLIX GAUTIER ET LA RENAISSANCE DE LA THÉORIE DES MIGRATIONS
9Celle-ci est avant tout due à l’intervention d’un écrivain dont on mesure souvent mal aujourd’hui l’influence tout à fait exceptionnelle qu’il exerça sur l’historiographie française consacrée à l’Afrique du Nord : Emile-Félix Gautier, dont le célèbre livre sur Les siècles obscurs du Maghreb parut en 192731. Gautier avait-il lu Tauxier ? Il ne le cite jamais, mais son livre ne contient pas un appareil de références très rigoureux, et ce silence n’est donc pas significatif. Une étude comparée révèle en effet une étonnante identité des arguments avec Tauxier, même si la perspective, la construction, et surtout l’habileté des Siècles obscurs du Maghreb sont sans commune mesure avec les articles de l’ex-sergent-chef de Fort Napoléon.
10Comme Tauxier, Gautier part de l’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldûn, mais en s’intéressant d’abord aux classifications généalogiques des tribus. Cela le conduit à interpréter la division en deux grandes familles évoquée par les auteurs arabes, les Botr et les Branès, comme une opposition entre les nomades et les sédentaires32. Croyant établir ensuite l’absence de toute mention du chameau dans le Maghreb avant le iiie siècle, il en déduit que les nomades Botr, inséparables de cet animal selon lui, ne sont pas apparus dans ces régions avant cette date : « Zénètes (Botr) et chameau apparaissent en même temps »33. Cela suppose des migrations, dont la preuve est aussitôt découverte dans les divergences entre la nomenclature tribale de Ptolémée et celle de Corippe. L’exemple des Laguatan s’impose ensuite naturellement, puisqu’il permet de suivre dans le détail une de ces migrations, du Sahara libyen au Maghreb central, du iiie au xive siècle34. Quant à l’origine de la migration, elle est expliquée par la révolte des Juifs de Cyrénaïque sous Trajan. Ibn Khaldûn cite en effet des tribus zénètes juives dans l’Aurès, note Gautier sur la foi de la traduction De Slane. Ce lien entre grands nomades et judaïsme lui paraît décisif : « C’est l’épée juive qui mit fin à la Cyrénaïque grecque au début du iie siècle après J.-C. Et c’est la Cyrénaïque, à l’orée du Sahara, le coin du monde méditerranéen où il est naturel de chercher le point de départ probable de la poussée Zénata. N’y a-t-il pas là un ensemble de faits entre lesquels il est légitime de soupçonner un lien ? »35. Cette hypothèse devient en fait immédiatement une certitude, qui permet d’affirmer que les tribus juives de l’Aurès, soi-disant citées par Ibn Khaldûn, étaient venues de Cyrénaïque après 117, marquant par leur mouvement le début d’une grande migration où allaient s’illustrer les Laguatan.
11Comme Partsch et Gsell après Tauxier, il se trouva aussitôt un universitaire rigoureux pour souligner tout ce que cette thèse avait d’hasardeux. Ce fut l’orientaliste W. Marçais, qui, dans un long compte rendu, releva minutieusement les approximations et les affirmations non démontrées de Gautier36. Cet article contestait en particulier l’interprétation proposée des classifications tribales d’Ibn Khaldûn, et l’assimilation systématique des Botr/Zénata à des grands nomades chameliers. La critique, solidement argumentée, privait la nouvelle théorie de son premier pilier. Le second pilier, l’apparition tardive du chameau, ne tarda pas à subir le même sort, grâce à C. Courtois puis surtout à E. Demougeot, qui montrèrent que cet animal était connu en Afrique du Nord bien avant Septime Sévère37. Dépossédée ainsi de ses deux principaux fondements, la théorie paraissait condamnée. Ce ne fut pourtant pas le cas.
3 – LE TRIOMPHE DE LA THÉORIE APRÈS GAUTIER
12Probablement parce que personne ne prit le temps d’entreprendre une réfutation méthodique complète des idées de Gautier, dans la voie ouverte par W. Marçais, celles-ci réussirent à s’imposer peu à peu, comme par défaut38. Les remarques remettant en cause la thèse furent de plus en plus interprétées comme des nuances à un schéma qui, globalement, restait recevable, et s’avérait surtout très commode. Cette attitude est nettement perceptible chez M. Simon lorsqu’en 1946 il décide de réexaminer, après Slouschz, la question du judaïsme berbère dans l’Antiquité39. Tout en faisant en effet état des critiques portées contre la thèse de Gautier, il en reprend l’élément essentiel : « toutes réserves faites sur l’interprétation du terme Botr, le fait de l’intrusion des grands nomades dans l’histoire africaine subsiste »40. Convaincu dès lors de l’existence d’une migration de ces grands nomades vers l’ouest, il réaffirme ensuite le schéma prêtant à des « juifs berbérisés » de Cyrénaïque, écrasés en 117, un grand mouvement vers l’Aurès pour y devenir les Berbères juifs d’Ibn Khaldûn.
13Une démarche très semblable caractérise aussi l’œuvre de C. Courtois. Se montrant volontiers très caustique vis-à-vis de Gautier, contestant en particulier très fermement ses affirmations sur la question du chameau, il n’en recourt pas moins de façon péremptoire à la théorie des migrations lorsqu’il lui faut expliquer les guerres maures de l’Antiquité tardive. Avec pour unique référence un passage d’Ibn Khaldûn, qui n’est ni cité ni réellement commenté, il suppose démontrée « une marée de grands nomades qui de proche en proche va gagner la Berbérie et la submerger au Moyen Age »41. Les Austuriani et les Laguatan en furent les premiers acteurs :
Ce sont des nouveaux venus, appartenant au groupe des Berbères Botr, et leur habitat primitif semble devoir être placé dans la partie septentrionale du désert égyptien, à l’ouest du Nil inférieur et jusqu’en Cyrénaïque42.
14Chameliers, « ayant un moment sévi en Cyrénaïque », ils furent ensuite « attirés vers l’ouest par une sorte de mystérieux appel »43. La théorie étant de la sorte postulée, elle s’impose ensuite naturellement à Courtois lorsqu’il entreprend l’étude détaillée des événements de la fin de l’époque vandale. L’aventure du Maure Cabaon en Tripolitaine, dont nous avons montré le caractère en réalité strictement local44, devient ainsi, dans le livre de Courtois, le premier exemple de la pénétration des « grands nomades chameliers » en Byzacène.
15Certes, on ne peut douter de la sincérité de M. Simon ou de C. Courtois quand ils critiquent Gautier. Tous deux pensaient se différencier nettement de l’auteur des Siècles obscurs du Maghreb. Pourtant, ils en apparaissent d’une certaine façon les disciples, dans la mesure où ils ne s’interrogent jamais sur la valeur même du concept de « migration des grands nomades ». Celui-ci surgit au milieu de leurs raisonnements comme une évidence, éclairée au mieux d’un vague renvoi à Ibn Khaldûn. Il n’est jamais argumenté.
16Or l’adhésion de ces deux savants, et surtout de Courtois, a certainement constitué le tournant décisif dans l’histoire de la théorie des migrations. Confortée de l’immense prestige scientifique de l’historien des Vandales, celle-ci a pris en effet à partir de 1955 la valeur d’un acquis sûr de la recherche historique sur l’Afrique ancienne45, en particulier chez les élèves du maître. Les nombreux travaux de G. Camps réaffirment ainsi plusieurs fois la thèse d’un lent glissement des tribus libyennes nomades, et en particulier des Laguatan, dans un sens est-ouest, à partir du ive siècle46. Ce savant y voit la suite des mouvements pré – et protohistoriques qu’il a contribué à mettre en valeur : « tout se passe comme si au cours des siècles ces grandes tribus nomades avaient lentement progressé de la Cyrénaïque vers le Maghreb central. Il s’agit en fait d’une de ces pulsations qui, depuis la préhistoire, conduit toujours au Maghreb des populations venues de l’est47 ». Ces grands nomades sont, pour l’auteur, radicalement différenciés des autres Berbères : « ces Zénètes ne sont pas les descendants des Numides et des Maures ; ils prennent la place des Gétules... Ce sont des Néoberbères48 ». Certes, il ne saurait être question ici de mettre en parallèle les travaux scientifiques de G. Camps avec les ouvrages plutôt « intuitifs » de Gautier, mais force est de constater que sur cette question les arguments du père de l’Encyclopédie Berbère sont singulièrement réduits. La migration des Laguatan n’est justifiée, quant aux sources, que par une comparaison rapide des textes d’Ammien Marcellin, de Corippe et d’Ibn Khaldûn. Or ceux-ci sont lus a priori en fonction du schéma migratoire : tout autre hypothèse est exclue, sans avoir été réellement examinée. Comme pour C. Courtois, la théorie des migrations semble en fait s’imposer naturellement à l’esprit de l’historien.
17Sa force est telle d’ailleurs qu’elle devient désormais un recours commode pour élucider les questions les plus diverses. Voulant commenter en 1961 une stèle de Banasa représentant une divinité cornue, H. Morestin songe d’emblée au Gurzil des Laguatan, qui aurait atteint avec eux durant l’Antiquité la Tingitane depuis la Tripolitaine49. Lorsque P. Trousset étudie les voies de circulation dans le nord du Sahara, il cite aussitôt les Laguatan qui auraient emprunté au cours de leur migration la « grande rocade » passant au sud des chotts50. M. Euzennat, envisageant dans une synthèse aux perspectives très larges « les troubles de Maurétanie », s’inspire de la même façon de cet exemple, jugé sûr, pour réinterpréter l’histoire des Baquates et des Bavares : il avance que ces deux peuples pouvaient être arrivés de l’est, comme les Laguatan plus tard, les trois représentant « un grand courant venu d’Orient dont les origines remontent à la préhistoire »51. De même encore, P. Boyer, s’interrogeant sur le passé du phénomène tribal au Maghreb, ne croit pouvoir expliquer l’existence de tribus nombreuses au moment de la conquête arabe, après des siècles de romanisation, que par l’apport décisif des migrations zénètes : ces Néoberbères auraient, en quelque sorte, « retribalisé » le Maghreb peu avant l’islam52...
18Dans les quatre cas, on chercherait vainement la moindre preuve à une thèse qui est toujours supposée connue et admise. Un archéologue britannique engagé dans une recherche sur la Tripolitaine antique, et conscient de l’importance des Laguatan dans cette région au Bas-Empire, D. J. Mattingly, a fini par noter cette singulière absence de démonstration d’une théorie si souvent reprise. Il a donc entrepris dans un article de 1983, résumé ensuite dans sa thèse, de présenter, le premier, les principaux arguments qui, dans ce cas précis, permettraient d’étayer le schéma migratoire53. Nous verrons plus loin la valeur de ces arguments, mais il est essentiel de noter ici la démarche de Mattingly : confronté aux Laguatan, il ne semble jamais avoir envisagé d’autre explication à leur apparition et à leur comportement que la théorie des migrations, qu’il fallait seulement illustrer : la théorie, comme à ses prédécesseurs français, lui a, de toute évidence, paru constituer le fondement nécessaire de toute recherche, sans qu’il ressente même, et c’est tout le problème, le besoin de justifier son option initiale. Et pourtant, et il sera aisé de le montrer, d’autres solutions pouvaient, au moins au départ, être simplement signalées...
19Le travail de Mattingly s’appuie d’ailleurs essentiellement sur des textes connus depuis longtemps. Partsch, Gsell, Diehl, en particulier, les avaient lus et analysés. Aucun de ces maîtres n’a pourtant jamais fait allusion à un courant migratoire d’Orient en Occident qui aurait rythmé l’Antiquité tardive nord-africaine. Cette constatation, curieusement, n’est jamais faite : elle suggère cependant bien que la théorie des migrations n’est nullement marquée au sceau de l’évidence, ce qui rend encore plus étranges les raisons de son succès. Nous avons souvent remarqué la préférence apparemment inconsciente qui a conduit nombre de savants à l’adopter. Certes, celle-ci peut se comprendre par la tentation d’un parallélisme avec les phénomènes de migrations des peuples germaniques qui perturbèrent la partie européenne de l’Empire romain54. Elle nous paraît cependant s’expliquer aussi par des facteurs plus spécifiquement propres à l’historiographie de l’Afrique du Nord.
4 – ESSAI D’EXPLICATION D’UN MYSTÈRE HISTORIOGRAPHIQUE
20Comme le montre une série de textes grecs et latins que nous analyserons de manière détaillée plus loin, la thèse prêtant aux Berbères de multiples mouvements migratoires d’est en ouest possède des racines fort anciennes. Au iiie siècle, se fondant sur la généalogie des fils de Noé présentée dans le dixième livre de la Genèse, des commentateurs chrétiens, à la suite d’interprétations déjà avancées par des savants juifs dès le premier siècle avant J.-C.55, avaient associé le matériel ethnographique africain connu à leur époque et le texte de l’Ancien Testament. La Chronique de saint Hippolyte et le Liber Generationis affirment ainsi que Chanaan a engendré dix enfants, dont l’habitat allait de l’Egypte à Gadira (Gadès). De ces enfants sont nés divers peuples, dont « les Libyens, les Marmarides, les Maures, les Numides56... ». Cette interprétation impliquait déjà une migration, depuis le Proche Orient, pour ceux qui allaient former le peuple berbère. Elle fut précisée progressivement, pour attribuer logiquement à ces groupes issus de Chanaan les vicissitudes des Cananéens, chassés de Palestine par Josué et les Juifs. Saint Augustin semble y faire brièvement allusion, lorsqu’il signale, et admet, que les paysans punicophones de la région d’Hippone se disent Chanani, c’est-à-dire, corrige-t-il sans étonnement, Chananei57. Procope expose la thèse plus longuement, avec de nouveaux développements, dans une digression de la Guerre vandale :
[En Phénicie] vivaient des tribus qui comptaient une multitude d’hommes, les Gergéséens, les Jébuséens, et d’autres encore qui sont nommés dans l’histoire des Hébreux. Cette population, lorsqu’elle vit qu’il était impossible de résister au général étranger [Josué], sortit de sa patrie et se rendit en Egypte. Mais constatant que la place lui manquerait dans une contrée qui fut de tous temps très peuplée, elle se dirigea vers la Libye. Les nouveaux venus l’occupèrent tout entière, jusqu’aux colonnes d’Héraclès, et y fondèrent un grand nombre de cités ; leur descendance y est restée et parle encore aujourd’hui la langue des Phéniciens58.
21Dès l’Antiquité tardive, le peuplement berbère était donc expliqué par une migration est-ouest conçue soit comme une conséquence de la dispersion des fils de Noé, soit comme une suite des conquêtes de Josué. Les deux interprétations furent reprises et enrichies par les Arabes, mais elles furent aussi, la première surtout, répétées à l’époque moderne par les commentateurs chrétiens. Bochart, dans sa monumentale Geographia sacra publiée en 1646, affirme ainsi que Cham lui-même s’établit en Afrique, « car il y fut adoré pendant de nombreux siècles sous le nom de Jupiter Ham ou Hammon59 ». Ce rapprochement étrange entre le dieu de Siwah et le fils de Noé, fondé sur une lecture raccourcie du nom du premier (Ham pour Hammon), fut accepté par Bayle dans son Dictionnaire historique et critique60, et par le Père Calmet dans son Histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament61. D’autres érudits ne se risquèrent pas à de telles hypothèses, mais admirent simplement l’idée d’un peuplement de l’Afrique par essaimage progressif d’est en ouest des fils de Noé, sans autres précisions. Le rôle de Josué ne fut, en fait, remis en valeur que dans la première moitié du xixe siècle, dans les travaux du premier grand spécialiste moderne du monde phénicien, Movers. Sous l’influence des textes juifs post-bibliques et de Procope, celui-ci affirma en effet que Didon avait été précédée en Afrique par une véritable série de migrations cananéennes, entre le temps de Josué et celui de Salomon62. Son livre eut un succès considérable, et Tauxier le connaissait probablement lorsqu’il entreprit ses premières recherches en 1862.
22Âgé alors de trente-quatre ans, engagé jeune dans l’armée, ce militaire probablement en partie autodidacte avait des ambitions intellectuelles qui l’apparentaient au courant moderniste et pré-positiviste : il entendait en effet lutter, disait-il, contre toutes les « légendes » sur l’histoire africaine63, et ses travaux montrent qu’il visait par là aussi bien les récits des Anciens, encore trop facilement admis à son époque, que les textes d’origine judéo-chrétienne, et en particulier, nous l’avons vu, la thèse d’une migration unique à l’origine du peuple berbère (la venue des enfants de Cham). Défendant une autre chronologie, étalée non en des temps bibliques mais sur l’époque romaine, il s’efforçait, dans une perspective scientifique, de démontrer l’existence d’une succession de mouvements de populations d’Orient en Occident, qui auraient plusieurs fois renouvelé le peuple berbère avant l’arrivée de l’islam. Mais pour originale qu’ait été alors sa démarche, résolument novatrice par son utilisation des sources arabes, elle restait pourtant, dès le départ, prisonnière du schéma migratoire lui-même, adopté sans qu’aucune autre hypothèse ne soit envisagée. Nullement compromis par les assauts répétés contre une histoire limitée à l’exégèse biblique, ce modèle d’explication des grands phénomènes historiques connaissait en effet, au milieu du xixe siècle, une seconde jeunesse, et un succès à l’influence duquel aucun jeune savant ne semblait pouvoir échapper. Le mouvement était venu d’Allemagne, où dès 1837 les Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hégel avaient énoncé la thèse d’un renouvellement incessant des hommes et des cultures dans le temps, qui se traduisait géographiquement par une migration d’est en ouest des civilisations dominantes64. Mieux comprise que d’autres idées du grand philosophe, l’idée avait rapidement séduit les Français, et donnait lieu, depuis, à divers commentaires ou prolongements, parfois chez des auteurs aussi inattendus qu’Alexandre Dumas65. Le plus remarquable avait paru peu avant le premier article de Tauxier, en 1856 : E. de Lassaux, dans son Nouvel essai d’une philosophie de l’histoire ancienne fondée sur la vérité des faits, avait très précisément découvert dans les migrations vers l’ouest un des principes essentiels de l’évolution historique66 : le déplacement d’est en ouest des hommes, mais aussi des animaux, des plantes, et même des maladies pestilentielles était, écrivait-il, « une loi objective de la vie ». Directement ou indirectement, Tauxier, dans sa croisade contre les « légendes », dut subir l’influence de ce courant67.
23Malgré les apparences de ses origines antiques, la théorie des migrations apparaît ainsi, à sa naissance, indissociable de l’atmosphère intellectuelle des années 1850-1860. Fondée sur un concept ancien revalorisé par la philosophie hégélienne, elle était aussi porteuse d’une signification idéologique nouvelle, au service d’une modernité scientifique libérée du carcan biblique.
24Il ne nous paraît pas abusif d’expliquer les premiers, et très isolés, ralliements qu’elle suscita ensuite en fonction de considérations également idéologiques, mais d’un tout autre ordre. Dans le cas du Père Mesnage, une perspective apologétique chrétienne est ainsi manifeste. Dès 1899, dans un gros mémoire resté inédit mais qui préfigurait ses futurs ouvrages sur l’histoire du christianisme en Afrique68, il révélait la raison de son intérêt pour les migrations berbères. Une trentaine d’années avant, un autre ecclésiastique, l’abbé Godard, une des personnalités marquantes de la première génération d’érudits de l’Algérie française, avait mis en valeur un problème fort troublant pour les chrétiens modernes. En comparant l’onomastique des listes épiscopales tardives et de la Johannide de Corippe, le savant curé avait remarqué le petit nombre de noms berbères dans un cas, et l’absence de Berbères chrétiens dans l’autre, d’où une question angoissante :
N’en faut-il pas conclure le manque presque total d’un clergé indigène au sein de l’Église d’Afrique ? Dans ce cas le clergé romain ne se serait-il pas rendu coupable d’une grande faute, d’une grande négligence ? Par là s’expliqueraient peut-être plusieurs faits de l’histoire du christianisme dans ce pays : l’hostilité des races..., la facilité avec laquelle les musulmans ont enlevé ces contrées à l’Empire, et la faiblesse des racines que l’Evangile avait jetées au cœur des populations montagnardes69 ?
25L’interrogation de l’abbé Godard était en fait, depuis longtemps, celle de tous les érudits chrétiens dans la colonie : comment comprendre que l’Afrique ancienne, patrie de Tertullien, de saint Cyprien et de saint Augustin, où l’on retrouvait des églises et des tombes chrétiennes à profusion, avait pu s’islamiser aussi vite ? Comment admettre que les Berbères, s’ils avaient été évangélisés par une telle Église, aient pu ensuite renier le Christ ? Ce fut une des ambitions du Père Mesnage, dans toute une partie de son œuvre, du mémoire de 1899 à son livre de 1915 sur le « déclin et l’extinction » du christianisme en Afrique, que de trouver une solution à ce problème, et celle-ci lui vint de la théorie des migrations. Car la « découverte » de Tauxier permettait de prouver que les Berbères de l’Antiquité tardive n’avaient pu être christianisés, ce qui disculpait la grande Église d’Afrique : tous ceux que Rome affronta, à partir du moment où le christianisme gagna les masses, étaient en effet des envahisseurs récemment arrivés, non des autochtones que l’Église aurait pu convertir. Dès l’étude des événements de la fin du iiie siècle, la manière dont le Père Mesnage envisage les fameux Quinquegentanei de Grande Kabylie résume toute sa thèse :
Les Quinquegentiens soumis en 297 par Maximien Hercule étaient-ils simplement des révoltés ou bien des envahisseurs ? On le voit, ce point est très important relativement à notre sujet, car si ces peuples n’ont été que des révoltés habitant déjà le pays depuis longtemps, il leur a été possible d’entendre parler de Jésus-Christ... Si au contraire ce sont des envahisseurs, la question est tranchée, car ayant jusque là été dans l’impossibilité d’avoir la moindre connaissance de la religion chrétienne, ils n’étaient à la fin du iiie siècle ni convertis, ni même évangélisés70.
26Or, sans hésiter, allant plus loin que Tauxier qui n’avait jamais songé à mettre en doute le caractère kabyle autochtone de ce groupe, le Père Mesnage opte résolument pour le second terme de l’alternative, en recourant à une des sources probablement les plus étranges (dans un ensemble pourtant bien chargé) qui aient alimenté la théorie des migrations : il renvoie en effet à une idée de Berbrugger, elle-même empruntée en fait à l’humaniste agenais Joseph-Juste Scaliger, qui vivait à la fin du xvie siècle. Dans son commentaire de la Chronique d’Eusèbe, celui-ci avait noté : les Quinque gentiani, ou cinq nations africaines, étaient les cinq grandes villes, la Pentapole de la faible province de Cyrène71. Poursuivant dans cette voie, le fondateur de la Revue africaine avait écrit dans un article de 1859, où il publiait et commentait la célèbre inscription d’Aurelius Litua à Saldae :
A peu près en même temps que les Maures de Tingitane se battaient entre eux (289), les Quinquegentiens, mentionnés dans l’inscription de Bougie, quittent la Cyrénaïque (291), région de la Tripolitaine qui s’appelle aujourd’hui Djebel al Akhdar, ou montagne verte, pour venir se jeter sur la partie orientale de la Maurétanie Césarienne72...
27Bien que Gibbon ait dès le xviiie siècle ironisé sur cette interprétation pour le moins fantaisiste73, le Père Mesnage la reprit entièrement, concluant :
Les généraux romains ont affaire à des envahisseurs dans la personne de ces Babares et de ces Quinquegentiens de la fin du iiie siècle : ces peuples sont tout à fait nouveaux et absolument sauvages. Ce point éclairci, la question religieuse va être facile à résoudre74.
28On ne pouvait mieux dire : le procédé ainsi éprouvé est systématiquement réutilisé dès lors pour l’analyse de toutes les guerres maures postérieures, et en particulier celles du vie siècle. Le recours à Tauxier est alors flagrant, et le schéma grandiose :
C’est ainsi que, pendant trois siècles au moins depuis 260, nous voyons des peuples venant de l’Est pousser d’autres peuples devant eux, les jeter les uns sur les autres, souvent à de grandes distances du chemin parcouru par eux... Quand une trombe ou un volcan sous-marin a remué un point quelconque de la mer, l’océan tout entier en subit le contrecoup. Des vagues, énormes comme des montagnes, s’élèvent, se poussent, se culbutent jusqu’à ce qu’elles viennent expirer avec plus ou moins de violence sur un rivage situé quelquefois à des milliers de kilomètres du lieu où s’est produit le cataclysme75...
29Son lyrisme ne faisait pourtant pas oublier au bon Père son propos initial :
De tous ces faits deux conclusions s’imposent : 1o Le pays ayant été souvent envahi par des populations neuves et païennes, l’assimilation des vaincus a été rendu impossible. 2o Il a été, par le fait même, impossible à l’Église d’agir efficacement sur la masse de ces mêmes tribus indigènes76.
30Ainsi l’angoissante et dérangeante question soulevée par l’abbé Godard était-elle définitivement résolue : confrontée à un interminable tsunami ethnographique, la grande Église d’Afrique de saint Augustin ne pouvait être accusée d’avoir failli à sa tâche. Complètement à l’inverse de ce à quoi la destinait Tauxier, la théorie des migrations devenait, sous la plume du Père Mesnage, un nouvel instrument d’une certaine apologétique chrétienne.
31Elle eut tendance aussi, à la même époque, à servir aussi une forme d’apologétique juive, peut-être même de plus longue portée. N. Slouschz, dans un étonnant livre77 de 1909, fut en effet le premier, avant beaucoup d’autres, à tenter de démontrer l’existence d’un puissant judaïsme berbère antéislamique. Se fondant pour cela, au départ, sur les commentaires post-bibliques de la dispersion des fils de Noé ou de la descendance d’Abraham, sur des traditions orales indatables, et sur une mauvaise lecture d’un célèbre passage d’Ibn Khaldûn, il admettait d’emblée que, dès le iiie siècle, nombre de tribus berbères, en Tripolitaine, dans l’Aurès, et aussi en Maurétanie, « jusqu’aux confins de l’Atlas », étaient juives. Comment expliquer leur origine ? Certaines, affirme Slouschz en réinterprétant curieusement la légende dont Procope s’était fait l’écho, étaient issues des Cananéens. Mais beaucoup étaient arrivées récemment, à la suite d’un mouvement de migration, depuis la Cyrénaïque vers l’Occident. L’historien revient alors à nouveau, mais sans le citer, à l’explication première donnée par Tauxier, l’écrasement de la révolte des Juifs de Cyrénaïque sous Trajan :
Les réfugiés juifs de la Cyrénaïque se groupèrent avec les Libyens Himyarites [les Berbères d’origine yéménite, selon des textes arabes médiévaux...], dont certaines fractions étaient déjà pénétrées d’une influence juive. Ils s’adaptèrent à la vie du désert, s’assimilant les mœurs berbères, et formèrent à leur tour deux grandes tribus qui devaient exister dès le ive siècle, et dont le judaïsme ne fait pas de doute. C’étaient notamment les Djeraoua... Dans la marche vers le sud-ouest, [ces tribus] s’établirent d’abord dans la Tripolitaine méridionale et s’y maintinrent jusqu’en 268-270, lorsque l’invasion des Zenata les repoussa dans l’Aurès. Les fractions d’avant-garde de ce mouvement allèrent échouer aux environs de Tlemcen et d’Agadir... Cette présence des Juifs explique seule les soulèvements des Berbères qui harcelèrent depuis lors les possessions romaines78.
32Nous reviendrons plus loin sur la fragilité extrême de la thèse des Berbères juifs à l’époque romaine. L’essentiel est ici de souligner la manière dont la théorie des migrations, dans ses traits principaux, sert à nouveau un projet qui, consciemment ou non, n’est pas uniquement scientifique. Juif lui-même, confronté en ce début du siècle à une opinion publique française, en Algérie comme ailleurs, travaillée par l’antisémitisme, ce savant, comme beaucoup le referont après lui, voulait absolument démontrer l’ancienneté, à ses yeux légitimante, de la présence juive au Maghreb, et il lui fallait pour cela plus que des témoignages isolés : une explication réelle, d’apparence scientifique, de cette présence. La théorie des migrations la lui apportait.
33Ces premiers succès de la théorie correspondaient à un temps où l’histoire du Maghreb commençait à peine à prendre une forme moderne. Mais après les travaux de Gsell, de Diehl et de G. Marçais, on aurait pu croire passé le temps des approximations philologiques et des apologies pseudo-scientifiques. Comment expliquer alors la résurrection et le triomphe de la même théorie à partir de 1927 ? Sans vouloir prêter un quelconque machiavélisme intellectuel à E.-F. Gautier et à ses successeurs, le contexte idéologique peut cependant expliquer à nouveau bien des enthousiasmes et certains raccourcis dont nous verrons bientôt l’extrême témérité. A l’âge héroïque des conquérants de l’Afrique du Nord, encore souvent idéalistes comme le montre le succès du mythe kabyle, avait succédé en effet celui des administrateurs, de plus en plus préoccupés par les problèmes d’assimilation, d’intégration, et de résistance des « indigènes79 ». Or, la théorie des migrations, qu’ils redécouvrirent, leur apparut alors lumineuse parce qu’elle offrait finalement une vision rassurante de « l’aptitude des Berbères à la civilisation », selon la formule si évocatrice de J. Carcopino80. Dire en effet, comme le firent Gautier puis Courtois, que les Laguatan étaient de grands nomades venus d’ailleurs, en sachant qu’ils furent une des principales sources de difficultés pour les Romains dans l’Antiquité tardive, c’est implicitement sous-entendre que les Berbères de l’intérieur, les seuls connus et côtoyés jusque là, n’avaient posé, eux, aucun véritable problème. E.-F. Gautier emploie d’ailleurs sur ce sujet un vocabulaire sans équivoque : la distinction entre les grands nomades Zénètes et les sédentaires Paléoberbères Branès oppose, pour lui, des « fauves humains » à des individus « plus ou moins latinisés81 ». Son schéma, en rejetant l’essentiel de la responsabilité des révoltes et guerres maures sur des éléments étrangers, aboutit ainsi, indirectement, à réhabiliter l’action romanisatrice menée jusque là sur les populations insérées dans les provinces. Certes, Gautier ne développera pas cette conséquence de sa thèse, et Courtois la nuancera en soulignant le maintien, à ses yeux évident, de montagnards irréductibles dans l’Afrique romaine. Mais elle prendra toute sa valeur, avec une vigueur nouvelle, au cours des vingt dernières années, à la faveur du mouvement de réaction déclenché contre le livre de M. Bénabou82.
34M. Euzennat, en revenant, avec de nouveaux arguments, à la théorie d’une origine lointaine des Bavares de Maurétanie, a été à cet égard parfaitement explicite dans sa conclusion : « On ne sait rien dire de plus, en toute certitude, de l’histoire militaire de la Maurétanie de l’ouest, des crises, des révoltes, des rivalités de groupes, de la « résistance à la romanisation » ; et je ne distingue, tout au long, qu’un seul fil conducteur : l’importance décisive des inruptiones de populations allogènes83 ». L’allusion à la thèse de M. Bénabou est évidente. Là où cet historien voyait chez les Baquates et les Bavares une résistance têtue à la progression romaine menée par des populations autochtones, M. Euzennat, s’inspirant ouvertement de l’exemple des Laguatan et du schéma de Mattingly, substitue, dans un contexte implicitement supposé plus paisible, l’irruption d’étrangers migrateurs et fauteurs de troubles. En intervenant après cette communication, F. Chamoux a été encore plus explicite : « Ces troubles [les guerres maures], semble-t-il, ne dérivent pas d’une situation conflictuelle permanente entre deux communautés hostiles l’une à l’autre, celle des Romains et des indigènes romanisés, et celle des tribus demeurées libres. Ils sont plutôt la manifestation d’un problème constant..., le lent mouvement de tribus qu’on perçoit d’est en ouest au long des siècles84 ». C’est en se fondant sur le même raisonnement, mais en inversant le schéma migratoire (d’ouest en est), que D. Roques affirme pareillement que « tout le malheur de la Pentapole à l’époque de Synésios provient d’abord et essentiellement de l’étranger85 » [les Austuriani, venus selon lui de Tunisie et engagés dans une marche qui les conduira en Palestine].
35Il paraît difficile de ne pas relier le succès actuel de la théorie de Tauxier à cette tendance à interpréter de manière optimiste, voire idyllique, les rapports entre les Romains et les Berbères de l’intérieur des provinces africaines : le renvoi de la responsabilité de tous les soulèvements sur l’étranger, le mystérieux grand nomade oriental, sert trop bien ce qui est en train de devenir un dogmatisme bien plus rigide que ne l’étaient les idées de M. Bénabou. Sans doute faut-il y voir le reflet des désillusions contemporaines sur les grandes idéologies révolutionnaires, mais au profit de ce qui est aussi, en dernière analyse, une idéologie.
36Cela, naturellement, n’invalide pas pour autant la théorie d’office, et à l’analyse historiographique doit succéder l’étude proprement historique. Mais la première était nécessaire pour offrir au moins une explication au paradoxe qui va désormais apparaître tout au long de notre enquête : l’extraordinaire faiblesse de la plupart des arguments de la théorie des migrations, qui contraste si fortement avec le nombre et l’obstination de ses partisans.
Notes de bas de page
1 Lenain de Tillemont, Histoire des empereurs, tome 5, Paris, 1720, p. 25.
2 Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’empire romain, trad. Buchon, t. 1, Paris, 1837, p. 598 et t. 2, p. 135.
3 Editio princeps par P. Mazzuchelli, Flavii Cresconii Corippi : Iohannidos seu de bellis Libycis libri VII, Milan 1820. La seconde édition, due à E. Bekker, Merobaudes et Corippus, pour le Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae, Bonn, 1836, eut une meilleure diffusion et fut longtemps la seule consultée.
4 Ibn Khaldoun (sic : nous reprenons dans les citations bibliographiques, et parfois dans les extraits reproduits lorsque les moyens de correction nous ont fait défaut, les transcriptions adoptées par les éditeurs), Histoire des Berbères, traduction du baron Mac Guckin de Slane, 4 volumes, Alger, 1852-1856.
5 H. Tauxier, né en 1828, militaire de carrière, acheva celle-ci à Saint Lô en 1883 au rang de capitaine. Ses travaux historiques, consacrés surtout à l’Afrique antique et médiévale et à la Normandie romaine, semblent avoir commencé lors de son cantonnement en Algérie (à partir au moins de 1862) et se poursuivirent sans interruption jusqu’à sa mort, à Paris, le 23 octobre 1896. Seule en Algérie l’Académie d’Hippone annonça son décès (Bullletin de l’Académie d’Hippone, 29, 1896, compte rendu de la séance du 19 décembre) mais elle ne publia jamais ensuite la notice sur ses travaux annoncée par A. Papier. Le seul hommage un peu détaillé consacré à cet érudit très original se trouve, de ce fait, dans une publication métropolitaine, les Notices, Mémoires et documents publiés par la Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire naturelle du département de la Manche, 14e volume, Saint Lô, 1896, p. 138-140.
6 Lettre à A. Berbrugger publiée dans la Revue africaine, tome 6, 1862, p. 394-395
7 H. Tauxier, « Etude sur les migrations des tribus berbères avant l’Islamisme », dans RAf, t. 6, 1862, p. 353-363 et p. 441-461, et tome 7, 1863, p. 24-35. Une suite parut sous le titre « Ethnographie de l’Afrique septentrionale au temps de Mohammed » dans la même revue, t. 7, 1863, p. 453-472, t. 8, 1864, p. 54-71, t. 9, 1865, p. 458-475 et t. 11, 1867, p. 146-157, 220-232, 257-273, 327-356, 435-446.
8 H. Tauxier, « Etudes sur les migrations berbères avant l’Islamisme », JA, septembre-octobre 1862, p. 340-354.
9 H. Tauxier, « Examen des traditions grecques, latines, et musulmanes relatives à l’origine du peuple berbère », Petermann’s Mitteilungen, 1862, p. 353 et ss.
10 H. Tauxier, « Une émigration arabe en Afrique un siècle avant J.-C. Réponse à M. Mercier », dans RAf, t. 24, 1880, p. 374.
11 J. Partsch, proemium de son édition MGH de la Johannide, Berlin, 1879, p. xiii-xiv, xviii note 80, xxviii note 148, xxxi, xxxii, xxxvii note 209.
12 C. Diehl, L’Afrique byzantine, Paris, 1896, p. 368, à propos d’un article de Tauxier sur la Johannide (RAf, t. 20, 1876, p. 289-299) jugé « plein d’inexactitudes »...
13 S. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 1, Paris, 1913, p. 279 n. 2.
14 Sur ces ouvrages, cf. infra notes 68 et 77.
15 H. Tauxier, article cité supra note 7, RAf, 1862, t. 6, p. 443.
16 H. Tauxier, ibid. p. 443-444.
17 H. Tauxier, « La religion des taureaux divins en Afrique », RAf, t. 21, 1877, p. 188.
18 H. Tauxier, ibid. p. 185-197.
19 En particulier chez C. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, Paris, 1955, p. 103, ou chez D. Mattingly dont la carte fait débuter la « migration » des Laguatan dans les oasis d’Egypte occidentale (« The Laguatan. A Libyan tribal confederation in the Late Roman Empire », Libyan Studies, 14, 1983, p. 96-108).
20 H. Tauxier, RAf, t. 24, 1880, p. 373.
21 H. Tauxier, RAf, t. 6, 1862, p. 395.
22 H. Tauxier, « La religion des taureaux divins en Afrique », RAf, t. 21, 1877, p. 185-197 ; « Une émigration arabe en Afrique un siècle après J.-C. », RAf, t. 24, 1880, p. 373-397, et t. 25, 1881, p. 138-157.
23 L. Bertholon, « Le peuplement du nord-est de l’Afrique avant les Phéniciens », RT, 1911, p. 391-414. Cf. en particulier l’extraordinaire tableau récapitulatif des pages 411-412. Voir aussi du même auteur, et tout aussi étonnant, « La race de Néanderthal en Afrique du Nord », RT, 1895, p. 21-26.
24 L. Rinn, « Essai d’études linguistiques et ethnologiques sur les origines berbères », douze articles ( !) de la Revue africaine de 1885 à 1889.
25 J. Urvoy de Closmadeuc, « Conférence sur l’origine des Berbères », dans RT, 1897, p. 465-472 ; G. Médina, « L’Atlantide et la race de Cro-Magnon », RT, 1896, p. 169-174 ; Ch. Tissot, Géographie comparée de la province romaine d’Afrique, t. 1, Paris, 1884, p. 671. Cf. sur les avatars littéraires de ce mythe des Berbères de l’Atlantide, les études de L. Galand, « Les Berbères de l’Atlantide », dans Y. Le Bohec (éd.), L’Afrique, la Gaule, la religion à l’époque romaine. Mélanges à la mémoire de Marcel Le Glay, Bruxelles, 1994, p. 300-308, et de D. Lengrand, « Le mythe de l’Atlantide et le roman de Pierre Benoit, Quaderni di Storia, 37, 1993, p. 137-149.
26 S. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 1, Paris, 1913, p. 279 note 2.
27 Proemium de l’édition MGH de la Johannide, Berlin, 1879.
28 R. Cagnat, L’armée romaine d’Afrique et l’occupation militaire de l’Afrique sous les empereurs, 2e éd., Paris, 1913.
29 J. Mesnage, Etude sur l’extension du christianisme chez les Berbers aux différentes époques de l’histoire, manuscrit reprographié du fonds Duchesne de la bibliothèque de l’Ecole Française de Rome, cote 4o Du 65, copié vers 1899 ; id., Le chistianisme en Afrique, I, Paris, 1914, et Le christianisme en Afrique II, Déclin et extinction, Paris, 1915.
30 N. Slouschz, Judéo-Hellènes et Judéo-Berbères. Recherches sur les origines des Juifs et du Judaïsme en Afrique, Paris, 1909. S. Gsell juge ce travail aussi sévérement que celui de Tauxier (cf. Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 1, p. 279).
31 L’ouvrage fut réédité avec assez peu de modifications en 1937 sous un nouveau titre, Le passé de l’Afrique du Nord. Les siècles obscurs, puis réimprimé sans changements en 1942, 1952 et 1964. Toutes nos citations se rapporteront à l’édition de 1942.
32 E.-F. Gautier, ibid, p. 239 : « Les fils de Bernès (Béranès) sont les montagnards sédentaires, les fils de Madghis (Botr) sont les nomades des plaines. C’est vraiment indiscutable dans les limites du Maghreb proprement dit » (sic).
33 Ibid. p. 227.
34 Ibid. p. 230.
35 Ibid. p. 226.
36 W. Marçais, compte-rendu du livre de E.-F. Gautier Les siècles obscurs du Maghreb, dans Revue critique d’histoire et de littérature, tome 96, juin 1929, p. 255-270.
37 C. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, p. 98-101 ; E. Demougeot, « Le chameau dans l’Afrique romaine », Annales ESC, 1960, p. 209-247. Cf. également sur cette question les études ultérieures de J. Kolendo, « Epigraphie et archéologie : le praepositus camellorum dans une inscription d’Ostie », Klio, 1969, p. 287-298, et H. Lhote, « Problèmes sahariens », dans Bulletin d’Archéologie Marocaine, VII, 1967, p. 57-89.
38 Le succès de la théorie dans les années 30 était déjà considérable. Nous n’en donnerons que deux exemples. Pour A. Maitrot de la Motte Capron, la « grande basilique » de Tébessa fut ainsi détruite au début du vie siècle « par les Berbères Lawâta venus des bords du Nil. Ces Berbères passèrent sur la région comme un souffle de tempête, laissant derrière eux des ruines et de la désolation ». Ce sont ces incursions de Lawâta qui auraient été, en général, responsables de ce que l’auteur appelle « les fortifications vandales », soit « la réunion de certaines maisons par groupes ceints de murailles (« La quatrième époque de la basilique de Tébessa », dans Recueil de la société de préhistoire et d’archéologie de Tébessa, Tébessa, 1936-37, p. 309-320, ici p. 311). Or, et la comparaison est sur ce point édifiante pour mesurer l’effet des idées de Gautier, le même Maitrot de la Motte Capron, en énonçant une première fois cette théorie en 1916, n’expliquait ces « fortifications » que par la menace « des pillards de la montagne », les « Berbères invaincus », sans jamais citer les Lawâta... (« La fortification nord-africaine », dans Archives berbères, 1, 1916, p. 161-199, ici p. 173-174). Plus lyrique encore, le commandant Cauvet n’hésitait pas, en 1936, à identifier purement et simplement les Lawâta aux Lebou des sources pharaoniques, en leur prêtant durant l’Antiquité une série de migrations dans toutes les directions, notamment en Afrique noire, où ils auraient donné naissance, entre autres, « aux Ouolofs du Sénégal, aux Peuls Laobé, aux Lobi de Haute Volta », et même aux Baluba du Congo, dont le nom devrait se décomposer en Ba(nu)-Luba... ! (Cdt Cauvet, « Que sont devenus les Libyens des Anciens ? », dans RAf, t. 79, 1936, p. 387-400).
39 M. Simon, « Le judaïsme berbère dans l’Afrique ancienne », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 1946, p. 1-31, réimprimé dans M. Simon, Recherches d’histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, p. 30-87 (édition ici utilisée).
40 M. Simon, ibid. p. 75.
41 C. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, p. 103. Le même auteur est cependant plus nuancé à la page suivante (p. 104), quand il écrit à propos des grands nomades chameliers : « leur progression est lente d’ailleurs... Ce n’est qu’au-delà de la reconquête byzantine, sans doute au moment où l’invasion arabe déferlera à son tour, qu’ils s’enfonceront davantage vers l’Occident ». Malheureusement, cette correction essentielle à la thèse n’a guère été prise en compte par les disciples de Courtois.
42 C. Courtois, ibid., p. 103.
43 C. Courtois, ibid., 104.
44 Cf. Y. Modéran, « Les premiers raids des Sahariens en Byzacène et la Johannide de Corippus », dans Actes du ive colloque international d’histoire et d’archéologie de l’Afrique du Nord, Strasbourg, 1988, tome 2 : L’armée et les affaires militaires, Paris, 1991, p. 479-490. Cf. également l’article Cabaon, dans EB, t. XI, Aix, 1992, p. 1686-1687.
45 Sans parler évidemment de tous les savants qui n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet, citons néanmoins quelques exceptions parmi ceux qui ont écrit sur les Berbères de l’Antiquité tardive : R. Rebuffat, qui a toujours manifesté dans ses nombreux travaux sur le Sahara libyen un silence remarquable sur la théorie des migrations ; et, plus explicite, H. Lhote, qui n’a pas hésité à affirmer : « les envahisseurs chameliers, faute de preuves archéologiques et de textes, demeurent du domaine de l’hypothèse gratuite » (« Problèmes sahariens », dans Bulletin d’Archéologie marocaine, 7, 1967, p. 62). D. Roques a également fermement dénoncé cette thèse : « il convient de renoncer à la théorie des grands nomades chameliers qui repose sur des bases franchement erronées » (Synésios de Cyrène et la Cyrénaïque du Bas-Empire, Paris, 1987, p. 426-428). Mais ce savant substitue malheureusement à cette théorie une autre théorie des migrations, d’ouest en est, encore plus fragile (cf. infra p. 168).
46 Cf. notamment Berbères. Aux marges de l’histoire, Toulouse, 1980, p. 124125, et l’introduction du tome 1 de l’Encyclopédie berbère, Aix, 1984, p. 28.
47 G. Camps, Berbères. Aux marges de l’histoire, Toulouse, 1980, p. 125.
48 G. Camps, ibid. p. 128.
49 H. Morestin, « Le dieu au chef cornu de Banasa », dans Hesperis-Tamuda, II, 1961, p. 337-344
50 P. Trousset, « Le franchissement des chotts dans le sud tunisien dans l’Antiquité », dans AA, 18, 1982, p. 58-59, et note 2 p. 59.
51 M. Euzennat, « Les troubles de Maurétanie », CRAI, 1984, p. 372-391, en particulier p. 388-390.
52 P. Boyer, « Reflexions sur la constitution des tribus algériennes du xve au xixe siècle », dans Atti della Settimana Internazionale di Studi Mediterranei Medioevali e Moderni, Cagliari, 1979, p. 146-147 notamment.
53 D. J. Mattingly, « The Laguatan, a Libyan tribal confederation in Late Roman Empire », Libyan Studies, 1983, p. 96-108, et Tripolitania, Londres, 1995, p. 173-180.
54 Cf. ainsi J. Mesnage, Le christianisme en Afrique. Déclin et extinction, Alger-Paris, 1915, p. 25 : De même que dans les races celtique, germanique, slave, il y a eu plusieurs vagues ethniques qui se sont succédé, quelquefois à de longs intervalles, puis se sont fondues sous un même nom, tout en se partageant en divers peuples, de caractère et de tempérament différents, ainsi dans notre race berbère l’histoire nous permet de distinguer plusieurs couches de populations qui ont envahi à diverses époques l’Afrique Septentrionale et sont aujourd’hui fondues ensemble sous la grande dénomination de Berbères.
55 Sur les origines juives des généalogies des peuples africains et des mythes migratoires, cf. l’article essentiel de L. Gernet, « L’origine des Maures selon Procope », dans les Mélanges de Géographie et d’Orientalisme offerts à E.-F. Gautier, Tours, 1937, p. 234-244. Le texte le plus significatif provient de Flavius Josèphe : Les fils de Cham possédèrent la terre de Syrie et les montagnes d’Amanos et du Li-ban... [Parmi ces fils] il y eut Chus dont les Ethiopiens furent les sujets... et Phut. Phut occupa la Libye... [Et il y eut aussi] Evilas, qui engendra les Eviléens, qui sont appelés Gétules... (Antiquités juives, I, 6, 2)
56 Liber Generationis I, éd. Mommsen, MGH, a.a., t. IX, 1, § 131-133 p. 101 : Ex his autem nascuntur gentes hae :...Lybyes, Marmaredae... Maurosii, Numidiae... Hi possident ab Aegypto usque ad Oceanum.
57 Saint Augustin, Epistula ad Romanos inchoata expositio 13, dans CSEL, t. 84, 1971, p. 162 : Interrogati rustici nostri quid sint, punice respondentes Chenani, corrupta scilicet voce, sicut in talibus solet, quid aliud respondent quam Chananei ?
58 Procope, Guerre vandale, II, 10, 17-20. Nous reprenons ici la traduction de Gsell (Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 1, Paris, 1913, p. 339).
59 S. Bochart, Geographiae sacrae pars prior. Phaleg seu de dispersione gentium et terrarum, Caen, 1651, p. 5 : Cham seu Ham, vel quia fratrum minimus (Gen. 9, 24), vel propter anathema a patre in illius caput contortum, in Africae steriles arenas ablegatus est, ubi per multa saecula cultus est sub nomine Iovis Ham seu Hammonis.
60 P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, 5e édition, 1740, t. 2, p. 131.
61 P. A. Calmet, Histoire de l’ancien et du nouveau Testament et des Juifs, Nîmes, 1780, tome 1, p. 40 et 44.
62 F. C. Movers, Die Phönizier, t. II, 2, Bonn, 1850, p. 46 et p. 424-426.
63 Cf. surtout la « réponse » de H. Tauxier « aux questions de M. l’interprète Mercier », dans RAf, t. 24, 1880, p. 373-375.
64 G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’Histoire, éditions Vrin, Paris, 1979, p. 82-86.
65 A. Dumas, Les Mohicans de Paris (roman de 1854), Le livre de poche, Paris, 1973, p.5 : Au contraire de la civilisation qui marche d’orient en occident, Paris, cette capitale du monde civilisé, marche du sud au nord...
66 E. de Lasaulx, Nouvel essai d’une philosophie de l’histoire ancienne fondée sur la vérité des faits, Paris, 1856.
67 Même s’il n’en dit rien, il est possible également que Tauxier ait subi l’influence de deux ouvrages qui appliquaient directement les théories sur les migrations à l’Afrique du Nord. Il s’agit des livres de P. Duprat, Essai historique sur les races anciennes de l’Afrique septentrionale, leur origine, leurs mouvements et leurs transformations depuis l’Antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, Paris, 1845, et du capitaine E. Carette, Recherches sur l’origine et les migrations des principales tribus de l’Afrique septentrionale, Paris, 1853. L’un et l’autre, pour des raisons diverses, nous sont restés jusqu’à ce jour inaccessibles : il semble cependant, d’après des remarques de Gsell qui les connaissait, que l’essentiel de leur contenu était consacré à la période post-antique.
68 J. Mesnage, Etude sur l’extension du christianisme chez les Berbères aux différentes époques de l’histoire, manuscrit reprographié du fonds Duchesne de la bibliothèque de l’Ecole Française de Rome, cote 4o DU 65.
69 Abbé L. Godard, « Noms africains renfermés dans le Iohannidos de Corippus », RAf, t. 12, 1868, p. 203-209, ici p. 208-209.
70 J. Mesnage, Etude... manuscrite citée supra note 68, p. 160. La même idée, résumée, est reprise dans id., Romanisation de l’Afrique. Tunisie. Algérie. Maroc, Paris, 1913, p. 152-153.
71 J-J. Scaliger, Animadversiones ad Eusebium, dans le Thesaurus temporum, Amterdam, 1658, p. 243.
72 A. Berbrugger, « Une expédition romaine inédite », RAf, t. 4, 1859-60, p. 436.
73 E. Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’empire romain, trad. Buchon, t. 1, Paris, 1837, p. 220.
74 J. Mesnage, Etude... manuscrite citée supra note 68, p. 164-165. Même idée résumée dans id., Le christianisme en Afrique. Déclin et extinction, Alger-Paris, 1915, p. 35.
75 J. Mesnage, Le chistianisme en Afrique. Déclin et extinction, p. 37-38.
76 J. Mesnage, Etude... manuscrite citée supra note 68, p. 229-230.
77 N. Slouschz, Judéo-hellènes et Judéo-Berbères, Paris, 1909.
78 N. Slouschz, ibid. p. 163-166.
79 Cf. notamment Ch. R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France 1870-1919, Paris, 1968. Rappelons ici que E.-F. Gautier lui-même avait d’abord été administrateur colonial à Madagascar de 1896 à 1899 (cf. la notice nécrologique que lui consacra M. Larnaude dans la RAf, 1941, p. 161-169).
80 J. Carcopino, « L’aptitude des Berbères à la civilisation », dans l’ouvrage publié par la Reale Academia d’Italia. Fondazione Alessandro Volta sous le titre Atti dei Convegni 8 : Convegno di scienze morali et storiche, 4-11 ottobre 1938-XVI, Rome, 1939, p. 621-633.
81 E-F. Gautier, Le passé de l’Afrique du Nord, Paris, 1942, p. 196 et p. 233.
82 M. Bénabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, 1976.
83 M. Euzennat, « Les troubles de Maurétanie », CRAI, 1984, p. 387.
84 F. Chamoux, intervention après la communication de M. Euzennat, CRAI, 1984, p. 392.
85 D. Roques, Synésios de Cyrène et la Cyrénaïque du Bas-Empire, Paris, 1987, p. 294.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la « Cité de Dieu » au « Palais du Pape »
Les résidences pontificales dans la seconde moitié du XIIIe siècle (1254-1304)
Pierre-Yves Le Pogam
2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007