Introduction à la deuxième partie
p. 187-191
Texte intégral
1Le stéréotype actuel du « politicien » est caricaturé en deux gestes. Le premier est cette main tendue, cherchant désespérément à serrer celle de tous ceux qu’il rencontre. Certains éprouvent même le besoin de « palper » quiconque les approche, et de courber leur bouche vers les oreilles pour susurrer les arguments et manipuler plutôt que séduire. Le second est ce sourire large, débordant de vitalité et de victoire, que les vrais professionnels savent garder en toutes circonstances, même après les défaites électorales.
2Si un homme d’avant la Seconde Guerre mondiale s’était interrogé sur ces mêmes critères, la réponse aurait largement différé. Il aurait invoqué la force, la puissance des traits, la virilité, l’habileté, la volonté, l’intelligence ou, plus rarement, la douceur et la sérénité. La gaieté aurait été très secondaire. Le stéréotype du sourire s’est construit plus tard.
3L’évolution des mœurs politiques étonne. Les transformations sont difficilement visibles à court terme. Elles ne se limitent pas à la seule dimension constitutionnelle et organisationnelle de la vie publique. Les partis jouent largement sur les images perçues et les sentiments qui s’y greffent. Michel Crozier a déjà souligné l’importance des émotions dans les phénomènes bureaucratiques et entrepreneuriaux1. L’historien du politique constate la pertinence de ces remarques dans l’univers partisan car, là comme dans les affaires, un homme doit savoir se plier aux exigences de sa hiérarchie, supporter les sautes d’humeur et les obsessions de son entourage, faire bonne figure autant que possible.
4Cette conscience de l’apparence que l’on doit donner est le point nodal pour tenter de comprendre comment, progressivement, le monde occidental a vu basculer son univers partisan de la gravité vers le sourire et, au-delà, comment le statut même de l’homme politique a été bouleversé : hier comptable de la mort, aujourd’hui gestionnaire de la vie. Certes, le renversement de perspective ouvert par l’arme atomique a entraîné une modification de la stratégie et de la conception de la guerre qui ne pouvait plus être cet acte d’annihilation pensée par Bonaparte, Clausewitz et tant de leurs éminents épigones jusqu’à Ludendorff et Hitler...
5Mais l’apparition des nouveaux comportements est antérieure. Leur montée est sensible sur le siècle. Les attitudes et les postures collectives ont été travaillées par un ensemble de représentations mentales dont une partie provient du choc subi pendant la Première Guerre mondiale et une autre de l’ampleur du travail idéologique qui en a résulté2. Ces bouleversements rejouent pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faut attendre encore presque deux décennies après le premier usage de l’arme atomique pour voir pleinement s’exprimer les nouvelles postures publiques.
6L’image et les figurations sont déterminantes pour établir la chronologie de cette évolution et prendre acte des glissements comportementaux. Il faut donc revenir sur l’histoire de la fabrication du sens en matière iconique pour chercher les moments et les lieux fondateurs de la nouvelle éthique politique. Ce parcours commence nécessairement par un retour sur la conscience de soi et sur le rapport qui unit figuration et représentation. Les anciens combattants de la Grande Guerre ont introduit une manière moins conventionnelle de se tenir face à l’appareil et de jouer les relations partisanes. Leur volonté d’embrasser tous les secteurs de la vie sociale dans la politique est pour beaucoup dans cette mutation. Les constructions totalitaires renforcent ce processus en tronquant le rapport visuel à la violence. Elles exaltent l’opposition ami-ennemi et s’appuient sur les émotions pour fonder leur lecture des comportements. Les postures de victime et de bourreau jouent de façon paradoxale dans ces univers où la violence est instrument de gouvernement et mode de légitimation. L’extension de la propagande comme outil d’interprétation du dialogue civique modifie parallèlement les représentations du comportement. La gravité liée à la liturgie est bousculée par la caricature et la mise en scène d’autres expressions dans l’espace public. Le sourire se déploie. La Seconde Guerre mondiale n’interrompt pas cette évolution, au contraire. La lecture propagandiste finit par englober toute la représentation de l’activité élective ; elle généralise le principe de séduction comme moteur des pratiques démocratiques. Le monde parlementaire rend compte de ces changements. Les députés laissent transparaître la joie comme manière d’attirer les électeurs. Un prélude au bonheur ?
Notes de bas de page
1 Crozier (Michel), Qu’est-ce que la sociologie des organisations ?, Paris, Seli Arslan, 2000, 2 vol.
2 Pour saisir cette rupture, l’école française analyse la question de la culture de guerre, voir Audoin-Rouzeau (Stéphane), Becker (Annette), Becker (Jean-Jacques), Krumeich (Gerd), Winter (Jay) dir., Guerre et cultures, Paris, Armand Colin, 1994, 445 p. ; Audoin-Rouzeau (Stéphane), Becker (Annette), 1914-1918 Retrouver la guerre... op. cit. Voir aussi les cultures douloureuses issues de la guerre et occultées en partie, Becker (Annette), Oubliés de la Grande Guerre – Humanitaire et culture de guerre – Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris, Noêsis, 404 p. ; Audoin-Rouzeau (Stéphane), L’enfant de l’ennemi... op. cit. Pour un point de vue italien Isnenghi (Mario), La Première Guerre mondiale, Paris, Casterman-Giunti, 1993, 164 p. Voir aussi du même auteur pour re-cadrer dans la longue durée, Le guerre degli Italiani – Parole, immagini, ricordi 1848-1945, Milan, Mondadori, 1989, 381 p. ; le classique Melograni (Piero), Storia politica della Grande Guerra, Bari, Laterza, éd. 1981, 529 p. ; sur la construction historiographique et le lien avec le fascisme Bracco (Barbaro), Storici italiani e politica estera – tra Salvemini e Volpe 1917-1925, Milan, Franco Angeli, 1998, 228 p.
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