Préface
p. IX-X
Texte intégral
1Il y a plusieurs manières d’étudier les religions antiques. On passe généralement en revue les dieux qui composaient les panthéons ou on étudie avec attention les lieux qu’ils occupaient – les temples continuent de focaliser la curiosité des archéologues, sans doute parce qu’il s’agit là d’un domaine étranger en comparaison avec les structures domestiques. Une autre façon d’aborder les religions de l’Antiquité est de considérer les communautés gestionnaires des cultes au premier rang desquelles la cité, cellule fondamentale de l’organisation politique des Anciens. Plus rarement cependant, on étudie la pratique religieuse dans le jeu des ramifications sociales qui innervaient la société ; plus rarement on examine comment la place de l’individu dans la communauté, son rapport aux autres, à son entourage, pouvaient influencer son activité religieuse ; l’histoire des religions n’est-elle pas finalement au premier chef histoire sociale ? Ainsi, en proposant d’étudier la religion des esclaves, Bassir Amiri nous amène sur un terrain riche et stimulant, aussi parce que les sujets de l’enquête sont considérés juridiquement et dans nos discours convenus, enfermés dans des bocaux pour reprendre une formule de Paul Veyne, comme des individus privés de droit et comme des objets que l’on possède. Cela alors que la documentation étudiée depuis longtemps montre bien que les esclaves formulaient des vœux auprès des dieux et participaient aux sacrifices. Comment alors des individus socialement morts pouvaient-ils avoir une existence religieuse ? Parce que la religion romaine est affaire communautaire et que les esclaves, avant d’être des objets que l’on possède ou de la main d’œuvre, sont d’abord des domestiques ou des serviteurs ; ils occupent dès lors bien souvent une fonction, subalterne certes ou étroitement soumise à l’autorité du maître, mais qui les intègre au cœur du jeu social, dans les plus profonds remous de la société romaine. Servir impliquait également une place omniprésente dans les cérémonies, publiques et privées, qu’il fallait préparer, orchestrer, organiser. Alors, plutôt que d’orienter le discours sur le versant négatif de l’exclusion des esclaves, Bassir Amiri choisit à juste titre le versant positif en explorant les mille et une implications serviles dans les cérémonies religieuses, qui témoignent bien d’une participation réelle et même d’une appropriation de certaines pratiques rituelles parce que l’autonomie des esclaves était permise au cas par cas, dans le cadre des relations familiales et du groupe de travail. Participer dans la famille ou par le travail : émerge dans ce livre la force des liens sociaux, la force du quotidien qui transcendent la rigidité des institutions trop souvent étudiées comme des vérités intangibles et intemporelles auxquelles on ne peut opposer que des rapports de force. C’est que les relations humaines permettent de contourner les rigidités sociales : comme le remarque Bassir Amiri, la domination ne signifie pas forcément aliénation. L’auteur du livre qu’on va lire montre ainsi que l’individu subalterne qu’était l’esclave, malgré une condition peu envieuse ou abominable selon les cas, existait bel et bien en communauté et dans les rapports que celle-ci entretenait avec le divin. Cette existence sociale des esclaves et plus encore des affranchis ouvre, à n’en pas douter, des lignes de recherches nouvelles sur une population qu’il s’agit désormais d’étudier au plus près, autrement dit dans son agir quotidien et sa façon de mourir qui se faisaient bien avec le reste de la société
Auteur
École Pratique des Hautes Études, Paris - william.vanandringa@ephe.psl.eu
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