Chapitre 8
1912-1915, les Balkans et l’empire italien naissant
p. 427-499
Texte intégral
1Dans son ouvrage de référence sur l’impérialisme italien, Richard Webster se représentait l’année 1912 comme un tournant, le moment d’une brusque accélération de la pénétration économique italienne dans les Balkans1. Une telle affirmation semble aujourd’hui bien contestable, tant les initiatives reconstituées par Webster lui-même paraissent précaires ; en outre, la conquête de la Libye absorbe absorbe l’essentiel des énergies et des ressources disponibles2. Reste que l’aventure libyenne amène l’Italie à mettre en place des modèles d’influence, d’administration et d’occupation en partie reproduits et perfectionnés en Albanie et dans le Dodécanèse. En effet, c’est en 1912 que l’Italie hérite de cet archipel majoritairement peuplé de Grecs et situé à quelques encablures d’une côte turque également convoitée par Rome. Pour autant, ces occupations aux marges méditerranéennes des Balkans ne peuvent être considérées uniquement comme des sous-produits de la colonisation. Même si l’attaque de l’Empire ottoman par la coalisation de la Bulgarie, de la Grèce, du Monténégro et de la Serbie à l’automne 1912 surprend les grandes puissances, celles-ci maintiennent le Sud-Est européen sous leur tutelle collégiale. Ce cadre multilatéral demeure extrêmement avantageux pour la puissance incomplète qu’est l’Italie.
8.1. L’Italie et la conférence de Londres
8.1.1. Reconstruire les Balkans dans un cadre multilatéral
2Antonino di San Giuliano voit d’abord dans la guerre balkanique une excellente occasion de donner des gages à Berlin et à Vienne, tout en obtenant éventuellement des avantages territoriaux sur la base de la parité d’action avec l’Autriche-Hongrie prévue par l’article 7 du traité de Triple Alliance3 ; cette dernière est d’ailleurs reconduite le 5 décembre 1912 avec deux ans d’avance sur son arrivée à échéance. Dans le même temps, l’Italie demeure viscéralement attachée à une action dans le cadre multilatéral du concert des six grandes puissances, perpétuant une doctrine et des pratiques de négociations dont nous avons vu l’élaboration à l’occasion des crises crétoise et macédonienne. À l’automne 1912, les puissances ont été totalement prises de court par les rapides victoires des coalisés balkaniques sur l’Empire ottoman4. Toutefois, elles reprennent rapidement la main, imposant, au début du mois de décembre, un armistice aux belligérants, puis réunissant, à partir du 17, leurs ambassadeurs dans la capitale britannique, dont les réunions informelles mais régulières sont ensuite désignées comme « Conférence de Londres »5. Présidée par le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères britannique, Edward Grey, elle rassemble explicitement les représentants des puissances signataires du traité de Berlin (Imperiali pour l’Italie), qui se donnent mandat de dessiner une nouvelle carte des Balkans en vue d’éviter, comme en 1878, une guerre générale6. L’historiographie s’est surtout intéressée à la dimension territoriale de ces négociations, dans la mesure où les ambassadeurs ont l’immense tâche de tracer les frontières issues de la première guerre balkanique, dans l’ancienne Macédoine ottomane mais aussi en mer Égée et surtout en Albanie, où la guerre continue7.
3Il n’en reste pas moins que la conférence de Londres, autour de laquelle gravitent un certain nombre de réunions et commissions, se préoccupe aussi des aspects juridiques, commerciaux, financiers, techniques ou encore humanitaires qui découlent de ces mêmes changements territoriaux. L’article 7 du traité de Londres du 30 mai 1913 précise ainsi que « Les questions concernant les prisonniers de guerre, les questions de juridiction, nationalité et commerce seront réglées par des conventions spéciales ». Ainsi l’Autriche-Hongrie propose-t-elle « de faire discuter à la réunion de Londres les questions ayant trait au règlement définitif de la navigation internationale du Levant »8. Très méconnue, la conférence de Londres préfigure celles qui régleront la Première Guerre mondiale, il est vrai d'une toute autre ampleur. Elle s’inscrit aussi dans la continuité des réunions des années précédentes sur le sort de l’Empire ottoman. La ligne de conduite observée par l’Italie à Londres ne diffère guère, d’ailleurs, de celle qui fut la sienne dans les décennies précédentes. Il s’agit de faire droit, autant que possible, aux revendications des jeunes nations balkaniques, dès lors que ces revendications ne menacent pas les intérêts italiens. C’est ainsi que sur la question de la navigation, Rome conteste la position de Vienne, soutenue par Berlin, qui entend interdire aux États balkaniques l’imposition de droits de douane. Ici la liberté des peuples balkaniques est menacée par l’impérialisme austro-hongrois, et l’Italie peut s’en faire le champion. A contrario, elle se range à l’avis général des puissances quant au maintien des droits issus des capitulations ottomanes dans les territoires de l’ex-Turquie d’Europe, avec peu de succès cependant, puisque, sur le terrain, les conquérants imposent immédiatement leur législation nationale9. L’Empire ottoman finit d’ailleurs par abolir les capitulations peu avant son entrée dans la Grande Guerre, le 9 septembre 191410. En règle générale, les travaux des grandes puissances sont constamment interrompus ou remis en cause par la reprise des combats, au sein d’un continuum belliqueux, depuis la guerre de Libye en 1911 jusqu’au traité de Lausanne en 1923. Le traité de Bucarest du 28 juillet 1913 voit les États balkaniques s’emparer du tracé de leurs propres frontières, la Serbie, la Grèce et la Roumanie constituant avec la Bulgarie vaincue des commissions paritaires ad hoc11.
4De même, une commission internationale est convoquée à Paris, en vertu de l’article 6 du traité de Londres pour le règlement financier de la première guerre balkanique. En effet, dans les territoires ottomans conquis par les coalisés balkaniques se trouvent des activités économiques dont les revenus étaient affectés au règlement de la dette ottomane. Pour la commission de Paris, il s’agit donc d’obtenir un transfert de ces charges aux États vainqueurs, ou du moins d’obtenir des compensations pour les créanciers12. De la même façon, l’Autriche-Hongrie entend que cette commission fasse admettre la pérennité des concessions ferroviaires ottomanes, qui favorisent les Chemins de fer orientaux qu’elle contrôle13. La commission voit toutefois ses travaux ajournés dès le mois de juillet 1913 pour cause de reprise des combats dans les Balkans14. Pour l’Italie, c’est une opportunité de gagner du temps : elle assure l’Autriche-Hongrie de son appui quant aux concessions ferroviaires ottomanes, tout en envoyant Giuseppe Volpi, du « groupe vénitien », à Vienne renforcer l’entente franco-russo-italo-serbe. Constituée en 1908 (supra, chap. 7), cette entente vise à construire des lignes trans-balkaniques perpendiculaires aux lignes contrôlées par l’Autriche-Hongrie :
(Meno per l’Albania ove abbiamo accordi speciali con l’Austria) a noi conviene politicamente moltiplicare le intese pro capitale italiano e capitale francese nei Balcani. Difatti il capitale francese è ligio alle direttive politiche russe e l’interesse russo (e slavo) è di intensificare il traffico commerciale dall’interno della penisola balcanica, attraverso Montenegro e Albania, e attraverso l’Adriatico, per l’Italia. Invece la politica finanziaria e ferroviaria austriaca è stata ed è di isolare il littorale adriatico e intensificare il solo traffico interno balcanico a Sud per Salonicco15.
5Le 28 mai 1914, le Monténégro accorde une concession ferroviaire à un consortium italo-franco-russe dirigé par Volpi, qui lance enfin la transbalkanique16. Mais la guerre arrête tout. Avant cela, au mois de juin, la « Commission financière des affaires balkaniques » reprend toutefois ses travaux, mais sous une forme officieuse et limitée. En 1913, l’Italie s’y fait représenter par deux « délégués diplomatiques »17 et trois « délégués techniques », dont le premier n’est autre que Volpi, flanqués de deux experts de l’administration des finances18. Afin de contrebalancer l’influence de Volpi, on profite de l’affectation de l’un des deux experts, Carlo Conti Rossini, en Tripolitaine, pour le remplacer par Alberto Theodoli, un banquier lié à la finance vaticane (et donc à Romolo Tittoni, frère de Tommaso) qui depuis 1905 est le délégué italien auprès de l’administration de la dette ottomane19. Le déclenchement de la Grande Guerre met cependant fin aux travaux de cette commission financière.
8.1.2. « Empêcher l’Autriche de faire la guerre »
6L’Italie se trouvant satisfaite du renforcement des États balkaniques, ainsi capables de faire contrepoids à l’Autriche-Hongrie, une part significative de son action diplomatique consiste à « empêcher l’Autriche de faire la guerre », comme l’expose le ministre des Affaires étrangères Antonino di San Giuliano au président du Conseil, Giovanni Giolitti, en février 1913 :
Il nuovo assetto balcanico è in fondo una vittoria per l’Italia e per la Russia ed una sconfitta per l’Austria, a cui chiude la via pel suo ingrandimento in Oriente. Questo risultato può essere compromesso se l’Austria fa la guerra, e per impedire che l’Austria la faccia, per impedire che il partito militare prevalga sulle tendenze pacifiche dell’Imperatore, è necessario che l’Austria ottenga qualche soddisfazione, almeno apparente20.
7À plusieurs reprises, en effet, l’Autriche-Hongrie envisage une intervention militaire dans les Balkans occidentaux : entre mars et mai 1913 contre le Monténégro21, en juillet 1913 contre la Serbie22, en mai 1914 en Albanie23. De telles opérations risquent, surtout dans les deux premiers cas, de provoquer une intervention russe, et de déclencher la mécanique des alliances. C’est évidemment ce qui advient lors de la dernière des crises balkaniques, celle de juillet 1914. D’autre part, l’Italie est elle-même tentée d’adopter une attitude menaçante face à la Grèce, afin de la dissuader d’avancer ses troupes ou leurs relais locaux en Albanie méridionale : au début du mois d’avril 1913, San Giuliano estime que la Grèce est définitivement passée du côté de l’Entente24, et menace même de lui déclarer la guerre à la fin du mois de mai25.
8La crise du printemps 1913 donne toutefois au gouvernement italien l’occasion de se forger une doctrine en la matière, qui consiste à défendre les intérêts italiens en Albanie tout en gardant pour objectif principal le maintien de la paix européenne. On le comprend, le pacifisme du gouvernement italien est de raison plutôt que de principe, et n’exclut pas la possibilité d’actions militaires ponctuelles. Dans un échange de lettres avec San Giuliano en date du début du mois d’avril Giovanni Giolitti exprime une position on ne peut plus claire, qu’il faut garder en tête pour comprendre les événements de 1914-1915 :
Né Scutari né lo stretto di Corfù valgono una guerra europea. [...] Evitare che avvenga una guerra europea ; se questa avvenisse non averne responsabilità e non esservi implicati. Tutto il resto per noi non ha valore alcuno, e non mi presterei mai a cavare le castagne dal fuoco per gli altri26.
9Giolitti, qui, en dehors de l'aventure libyenne, entend concentrer la politique italienne sur les réformes intérieures, a donc décidé dès le printemps 1913 que l’Italie restera neutre si un conflit balkanique dégénère en conflit généralisé. Un an plus tard, l'homme forte de Rome ayant été écarté du pouvoir, c’est Antonino Di San Giuliano, resté ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement Salandra, qui engage l’Italie dans la voie de la neutralité, estimant que l’agression austro-hongroise contre la Serbie délie Rome de ses obligations d’alliée à l’égard de Vienne27. Le déclenchement de la Grande Guerre trouve donc une diplomatie italienne très sûre de ses choix face à un embrasement balkanique, qui n’est toutefois pas celui qu’elle avait imaginé au départ. Dans ses échanges avec Giolitti sur l’Albanie au printemps 1913, San Giuliano représente au président du Conseil que l’Italie aurait beaucoup à perdre d’une guerre européenne, même si elle restait neutre – c’est d’ailleurs l’un des arguments mobilisés à l’automne 1914 par les interventionnistes de la Consulta, estimant qu’une Italie restée neutre sera punie par les vainqueurs, quels qu’ils soient28. Le ministre des Affaires étrangères s’emploie donc à démontrer au président du Conseil la nécessité d’éviter qu’un tel conflit n’éclate ; il convient pour cela de ne pas se désintéresser des affaires balkaniques. San Giuliano est ainsi partisan d’une politique de containment à l’égard de l’Autriche :
Non ho mai creduto, né credo alla riconoscenza degli albanesi, ma, se si lascia ch’essi credano che l’Austria è più forte e più ricca di noi, che da essa possono, per loro individualmente e pel loro paese, sperare ed ottenere, in danaro ed altrimenti, più che da noi, parteggeranno tutti per essa contro di noi, la sua influenza prevarrà sulla nostra, i suoi commerci prevarranno sui nostri, e alla parità formale, faticosamente ottenuta, se pure rimarrà, non corrisponderà la desiderabile parità di fatto29.
10Giolitti n’est d’ailleurs pas totalement hostile à la poursuite d’une politique d’influence en Albanie30.
11L’important est de ne pas céder le terrain à l’Autriche-Hongrie. Le meilleur moyen de procéder est alors d’agir d’accord avec la monarchie rivale et alliée. Le moment est d’autant plus favorable que le ministre des Affaires étrangères, Berchthold, affecte une attitude très conciliante envers l’Italie, dont il veut l’accord pour une action conjointe contre le Monténégro. En effet, l’armée monténégrine, appuyée de façon plus ou moins discrète par l’armée serbe, assiège Scutari, un port d’une importance économique cruciale mais indubitablement peuplé d’Albanais, dont beaucoup sont catholiques31. Qui plus est, les bombardements n’épargnent pas les religieux catholiques, dont bon nombre sont italiens. San Giuliano, Giolitti et le roi cherchent à imposer à Vienne l’idée d’un mandat européen pour faire plier le Monténégro, en échange d’importantes « compensations financières »32. Ces compensations, qui s’inscrivent dans la lignée de la satellisation économique et financière de la principauté par l’Italie que nous avons présentée supra, doivent prendre la forme d’un prêt33, destiné à sauver la dynastie Petrović-Njegoš et à empêcher ainsi l’absorption du Monténégro par la Serbie, qui constituerait pour Vienne un casus belli. Une telle solution éviterait la guerre, et ménagerait une opinion publique italienne dont une partie est attachée au Monténégro du fait de la popularité de la reine Hélène34.
12Le 8 mai 1913, néanmoins, l’Autriche-Hongrie et l’Italie signent une convention secrète par laquelle elles procéderaient à une action commune en Albanie si les pays voisins devaient empiéter sur son territoire : la question monténégrine au nord est donc connectée à la question grecque au sud, et la convention prévoit la répartition provisoire du pays en deux zones d’influence35. Ce même mois, un « détachement spécial » est constitué à Brindisi, sous le commandement du colonel Gonzaga, et subdivisé en deux contingents, l’un destiné à la Libye, l’autre à l’Albanie36. Le Monténégro cédant face au blocus mis en place par une flotte des puissances, c’est la solution du mandat européen qui l’emporte : le 14 mai, la ville est remise aux collège des amiraux commandant la flotte internationale, et occupée par un contingent international dont font partie les troupes italiennes de Brindisi37.
13Le scénario d’une répartition de l’Albanie en deux zones d’influence n’est qu’un pis-aller, comme le confirme San Giuliano à Giolitti en décembre 1913 : « Le nostre direttive, che ti son ben note, tendono all’internazionalizzazione dell’Albania piuttosto che alla preminenza duale dell’Italia e dell’Austria-Ungheria »38. La convention de mai 1913 jette cependant les bases d’une intervention en Albanie méridionale, c’est-à-dire à Valona, dont les modalités concrètes sont les suivantes : préparation politique sur place par le consul, chargé d’acheter des complicités ; débarquement d’un corps d’occupation limité à quelques milliers d’hommes, en avant-garde d’un corps d’armée ; plan de développement économique et administratif dans le respect des populations locales39. Nous verrons infra que c’est très exactement ce qui advient en décembre 1914. Pour l’heure, il convient d’empêcher une guerre entre l’Autriche-Hongrie et les clients slaves de l’Entente : dès 1913, Rome avertit Vienne que dans ce cas, elle se considérerait comme déliée de la Triple Alliance40. Là encore, C’est ce qui se produit en août 1914.
8.1.3. La question des frontières albanaises
14L’Italie et l’Autriche-Hongrie sont en tout cas d’accord pour doter le futur État albanais des frontières les plus étendues, face aux revendications des Serbo-monténégrins au nord, et des Grecs au sud, tous soutenus par l’Entente. L’article 3 du traité de Londres confie aux puissances « le soin de régler la délimitation des frontières de l'Albanie ». Ces dernières mandatent, selon le système inauguré à l’époque du congrès de Berlin, deux commissions ad hoc. La commission pour les frontières septentrionales part de Scutari sous l’escorte de deux détachements austro-hongrois et italien d’un peu plus d’une centaine d’hommes chacun, et débute ses travaux le 23 septembre 1913, pour en clore la première phase le 12 décembre de la même année41. Ayant repris ses travaux le 21 avril 1914 pour achever la délimitation de la frontière serbo-albanaise et entreprendre celle de la frontière albano-monténégrine, elle doit les cesser brutalement le 29 juillet 1914 avec le déclenchement de la Grande Guerre. Outre l’escorte, l’Italie fournit divers services médicaux, topographiques, géodésiques et photographiques. Elle prête également une équipe de télégraphistes du génie42. Quant au délégué auprès de la commission, il s’agit du colonel Valentino Marafini, qui dirigeait précédemment l’Ufficio coloniale de l’état-major ; il est flanqué du consul à Scutari, Vincenzo Galanti, délégué adjoint. D’après le délégué allemand, Marafini et leur homologue austro-hongrois ne sont d’accord que sur une chose : « étendre aussi loin que possible les frontières de l’Albanie43 ».
15Marafini est en tout cas doté d’une forte personnalité, et la Consulta doit lui recommander de faire preuve d'un minimum de souplesse vis-à-vis des revendications du Monténégro. Défendre à outrance l’Albanie à ses frontières septentrionales peut en effet faire le jeu de l’Autriche-Hongrie, et si Rome tient à l’intégrité du nouvel État, « è fermo intendimento del R. Governo di coltivare e rendere sempre più intimi i rapporti col Montenegro »44.
16La situation est bien différente au sud, où l’Italie soutient sans la moindre réserve les revendications albanaises et entend recevoir à ce sujet le complet soutien de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne face à la Grèce, qui est un peu leur Monténégro puisque la Duplice germanique courtise le roi Constantin. C’est que les côtes de l’Épire et l’île de Corfou qui leur fait face constituent pour l’Italie un enjeu stratégique de première importance.
17Au début du printemps 1913, l’état-major fait rédiger une série de rapports sur la question du canal de Corfou à son expert en la matière, le capitaine Eugenio Barbarich, qui avait écrit un ouvrage sur l’Albanie quelques années auparavant (supra, chap. 5) et dont nous savons par la correspondance d’Antonio Baldacci qu’il fait partie du petit milieu des spécialistes italiens de l’Adriatique orientale. Le rapport final de Barbarich permet à l’état-major de représenter à Giolitti la nécessité d’une position intransigeante face aux revendications territoriales de la Grèce45. L’objectif prioritaire consiste à garantir le partage du canal de Corfou entre l’Albanie et la Grèce : en effet, si la Grèce tient les deux rives, elle – ou plutôt l’un ou l’autre de ses puissants patrons – peut transformer l’île de Corfou en une base avancée permettant de contrôler le canal d’Otrante et la sortie de l’Adriatique.
18Cette position est aussi celle de la Marine : l’amirauté, en particulier, est pénétrée de son rôle dans la lutte pour la survie de la nation, qui doit notamment passer par le contrôle des routes stratégiques. Elle se prépare donc à la bataille décisive qui doit permettre de détruire la flotte ennemie46. En l’occurrence, la saisie du Dodécanèse par l’Italie inquiète fortement Paris et Londres, poussant Rome à réfléchir, à partir de janvier 1913, à un plan d’action navale commun avec Vienne, qui aboutit à la signature d’une convention entrant en vigueur le 1er novembre 1913 : cet accord prévoit que pour affronter la flotte franco-britannique dans le bassin occidental de la Méditerranée, la marine austro-hongroise devra sortir de l’Adriatique pour converger avec l’italienne entre Tarente et Messine47. La Grèce étant fortement soupçonnée de pencher pour l’Entente48, lui abandonner le canal de Corfou laisserait peser une grave menace sur ce plan, menace d’ailleurs valable également dans le cas où l’Italie mènerait sa propre politique et voudrait voir sa propre flotte libre de sortir de l’Adriatique. Seul l’ambassadeur d’Italie à Athènes, De Bosdari, demeure philhellène, affirmant a posteriori n’avoir jamais cru à l’argument de la menace stratégique sur le canal d’Otrante, qui semble pourtant cristalliser un consensus minimal au sein de la sphère de décision49.
19D’après Eugenio Barbarich, on peut se résoudre à ce que la frontière continentale de la Grèce remonte plus au nord que la ligne du fleuve Kalamas initialement préconisée par l’état-major, mais sous deux conditions : le canal de Corfou doit être neutralisé ; la Grèce ne doit pas contrôler les deux rives de l’embouchure nord du canal : large de 2,5 kilomètres, ce détroit, appelé « Skala », constitue en effet la pièce maîtresse de l’ensemble. Un simple partage de ses rives ne peut toutefois convenir ; la rive corfiote s’articule en effet autour d’un promontoire haut de près de 1000 mètres, le mont Pantokrator. La rive albanaise s’élève quant à elle de 150 mètres seulement, au niveau de Butrint. La frontière doit donc s’incliner légèrement vers le sud-ouest, de façon à atteindre la mer à la hauteur du cap Stylos. En aucun cas la frontière ne peut se situer au nord de Butrint, où se trouve d’ailleurs un ancien fort vénitien destiné à surveiller la passe. L’officier recommande en outre de profiter de ces concessions pour obtenir que les hautes vallées du Drinos et de la Vjosa restent à l’Albanie, qui disposerait (ou l’Italie pour elle) de la profondeur stratégique nécessaire à la défense de Valona.
20Les recommandations de Barbarich sont intégralement suivies par San Giuliano et par Guglielmo Imperiali, qui représente l’Italie à la conférence des ambassadeurs de Londres, signe que la production d’un savoir sur les Balkans en Italie, aussi fragmentée soit-elle, est d’une utilité certaine pour la sphère de décision. La frontière gréco-albanaise doit donc partir du cap Stylos pour remonter jusqu’à la source du Drinos et inclure enfin une partie significative de la vallée de la Vjosa50. Appuyée par l’Autriche-Hongrie, l’Italie obtient, moyennant quelques concessions, gain de cause auprès des autres puissances : la frontière part de la baie de Phtelia au sud du cap Stylos, l’îlot de Saseno (Sazan), le port de Santi Quaranta ainsi que les villes d’Argyricastro, Koritza et Tepeleni étant attribués à l’Albanie51.
21Comme pour le tracé des frontières septentrionales de l’Albanie, c’est à une commission composée de délégués des grandes puissances, à l’exclusion de l’Albanie et de la Grèce, qu’est attribué celui des frontières méridionales52. Ce sont le capitaine Fortunato Castoldi, de l’Ufficio Albania, et le consul à Janina, Natale Labia, qui y représentent l’Italie. La commission commence ses travaux le 4 octobre 1913 et les achève le 17 décembre à Florence, où elle s’est transportée pour bénéficier du pôle de ressources cartographiques le plus proche, celui de l’Istituto geografico militare53. Sur le terrain, elle doit faire face à l’hostilité des autorités grecques et des comités panépirotes. Ces derniers tentent de mettre en scène l’unanimité du sentiment hellénique des populations, et réduisent au silence l’expression d’une identité culturelle albanaise ou simplement locale. Athènes respectant la volonté des puissances exprimée par le protocole de Florence, une assemblée panépirote proclame l’indépendance de la République d’Épire du Nord le 2 mars 1914. Avec l’aide d’éléments nationalistes grecs, notamment des officiers de l’armée et des bandes macédoniennes et crétoises, les Épirotes déclenchent une campagne de purification ethnique à laquelle le front désuni des puissances ne parvient guère à s’opposer, si bien que le tout jeune État albanais ne contrôle pas la partie méridionale du territoire qui lui a été attribué54. Plus généralement, et bien que l’Autriche-Hongrie et l’Italie aient, pour des raisons stratégiques qui n’excluent pas, surtout du côté italien, la prise en compte du principe des nationalités, tenté d’offrir à l’Albanie des frontières étendues, le compromis avec les puissances de l’Entente qui défendent en revanche les ambitions de leurs clients balkaniques laisse une part significative des populations albanaises en dehors du nouvel État albanais, au Kosovo notamment55.
8.1.4. L’Italie et la construction de la principauté autonome d’Albanie
22Dès janvier 1913, l’Italie et l’Autriche-Hongrie négocient une proposition de statut d’autonomie albanaise à adresser aux puissances. Bien que le gouvernement provisoire de Valona ait proclamé l’indépendance, les puissances privilégient, dans un premier temps, une autonomie sous l’autorité nominale de la Porte56. Le projet italien puise dans un certain nombre d’opérations de co-gestion menées précédemment par les puissances dans le cadre de la question d’Orient ; la suzeraineté théorique du sultan (point 1 du projet italien) évoque celle de la Bulgarie en 1878 (article 1er du traité de Berlin) ; l’organisation internationale de la gendarmerie rappelle les affaires de Crète et de Macédoine : on prétend recourir à des officiers ressortissants d’États secondaires pour organiser les forces de sécurité locales :
4) La sécurité et l’ordre public seront assurés par l’organisation internationale de la gendarmerie. Cette organisation sera confiée à des officiers étrangers qui auront le commandement supérieur de la gendarmerie. Ces officiers seront choisis dans les armées européennes, comme par exemple la Belgique, Hollande, Suisse, Suède, Norvège, Espagne à l’exclusion des 6 Puissances, des États balkaniques et des gouvernements ayant des intérêts directs dans les questions balkaniques. La mission des officiers instructeurs étrangers ne portera pas atteinte ni à l’uniformité du service ni à l’emploi d’officiers, sous-officiers et gendarmes indigènes.
23Bien que l’idée existe depuis les années 1870, elle n’avait jamais été appliquée, car les puissances comptaient parmi elles une puissance suffisamment inoffensive pour qu’on lui confie la maîtrise d’œuvre de ce genre de réorganisation : l’Italie. En Albanie, l’Italie est désormais trop menaçante, et cela Rome le sait. On se garde donc bien de proposer les services des carabiniers, et ce seront de fait des officiers néerlandais qui seront choisis pour la réorganisation57.
24Quant aux finances, à la justice et au « statut personnel des sujets étrangers », c’est explicitement au « régime introduit en Égypte depuis l’année 1876 » que se réfère le point 5 du projet italien ; là encore, l’Italie avait été étroitement impliquée dans cette réforme et entend en reproduire les avantages en Abanie. De même, le point 7 perpétue le régime des capitulations et tous les privilèges concédés par l’Empire ottoman aux Occidentaux, ces derniers ayant seuls la faculté d’y renoncer graduellement. Enfin les points 8 et 9 envisagent la nomination d’un prince qui n’appartienne à aucune des confessions présentes en Albanie, comme le gouverneur du Liban, Carol de Roumanie ou Ferdinand de Bulgarie, note San Giuliano dans ses commentaires aux ambassadeurs58. Bien que l’Italie ne cesse de se présenter comme la championne de la nationalité albanaise, ses propositions à la conférence de Londres contribuent à en faire un énième « congrès du mépris »59 :
9) L’Italie et l’Autriche-Hongrie proposent qu’il soit laissé aux Albanais la faculté d’exprimer leurs propres désirs en tant que ces derniers, bien entendu [c’est moi qui souligne], soient compatibles avec les dispositions générales prises par les puissances.
25Pour l’Autriche-Hongrie, une souveraineté étendue de l’Albanie est la garantie de moindres empiètements de la part des autres puissances, et donc de coudées franches pour elle-même, puisqu’elle exerce depuis plusieurs décennies une influence prépondérante dans ce pays, en particulier dans le nord. Dès lors, Vienne impose à Rome quelques amendements en ce sens.
26En mai, la conférence de Londres envisage la création d’une Commission internationale de contrôle, composée de délégués des six puissances et d’un représentant albanais. Elle serait chargée de mettre graduellement en place les nouvelles institutions, à commencer par la gendarmerie internationale60. Enfin, partant du traité de paix imposé par les puissances aux belligérants balkaniques le 30 mai 1913, la conférence de Londres dresse les contours du futur État lors de sa session du 29 juillet 1913. Ces contours sont établis sans tenir compte du gouvernement provisoire albanais établi à Valona en novembre 1912, et entérinent l’essentiel des dispositions prises à l’issue des négociations austro-italiennes du printemps61 :
1 - L'Albanie est constituée en principauté autonome, souveraine et héréditaire par ordre de primogéniture, sous la garantie des six Puissances. […] 4 - Le contrôle de l’administration civile et des finances de l'Albanie est confié à une commission internationale composée des délégués des six Puissances et d'un délégué de l'Albanie. […] 6 - Cette commission sera chargée d’élaborer un projet d'organisation détaillé de toutes les branches de l’administration de l’Albanie62.
27L’Albanie sort donc définitivement du giron de l’Empire ottoman, et se trouve provisoirement gérée par une organisation internationale émanant des six puissances, la Commission internationale de contrôle (CIC). De semblables organismes avaient été à l’œuvre pour régler certains aspects de la question d’Orient, soit au niveau local : commissions pour le tracé des frontières, commission pour la Bosnie et l’Herzégovine, puis pour la Roumélie orientale, commission consulaire lors des massacres de Crète, etc., soit au niveau national, mais pour exercer certaines prérogatives d’un État, en l’occurrence la Grèce dont les finances avaient été mises sous tutelle en 189763. Du reste, l’Italie parvient à maintenir son contrôle sur certains secteurs économiques, qu’elle avait réussi à s’arroger dans le cadre de sa participation au Conseil d'administration de la dette publique ottomane. Son délégué, le marquis Theodoli, avait placé des Italiens parmi le personnel dirigeant chargé de l’administration de certains revenus, comme ceux des salines d’Albanie. Bien que le cadre ottoman ait disparu, l’Italie maintient son influence dans ce secteur64. Plus généralement, c’est la première fois que la totalité des pouvoirs publics d’un État est, même de manière transitoire, assurée par un tel organisme. Dans ce genre d’instances à six, la voix de l’Italie n’était souvent pas la plus forte. Dans le cadre de la CIC pour l’Albanie, elle est en revanche, avec celle de l’Autriche-Hongrie, prépondérante.
28C’est le consul d’Italie à Valona, Alessandro Leoni, que Rome nomme délégué auprès de la commission65. Le 14 juin 1914, le consul général à Scutari, Carlo Galli, lui succède : « non si potrà battagliare che sott’acqua e con argomenti giuridici e finanziari », écrit-il66. La commission, qui siège à Valona, débute ses travaux le 14 octobre 1913, et se réunit à cent reprises jusqu’à la clôture de ses travaux le 15 avril 1914. Elle n’exerce qu’une autorité théorique, la réalité du pouvoir étant partagée entre la rébellion gréco-épirote et le gouvernement provisoire de Valona au sud, le « Sénat de l’Albanie centrale » sous l’autorité d’Esad Pashë Toptani à Durazzo, et diverses autorités tribales, notamment au nord où seul le gouvernement militaire international obéit à la CIC67. S’appuyant, selon les dispositions de la Conférence de Londres68, sur la nouvelle gendarmerie dirigée par des officiers néerlandais, la CIC parvient à empiéter sur les prérogatives du gouvernement de Valona, créant au passage de nombreux conflits juridictionnels. L’Italie et l’Autriche-Hongrie ayant retiré leur soutien au gouvernement de Valona, dont l’autorité est sapée par le gouvernement concurrent d’Esad, la CIC le force à lui remettre ses pouvoirs le 22 janvier 1914, avant de se retourner contre Esad, qui cède à son tour le 21 février69. Le 7 mars, la CIC se rend à Durazzo pour y recevoir le prince de Wied et lui remettre ses pouvoirs. Elle achève ses travaux le 15 avril 1914, après avoir, conformément à l’article 6 du protocole du 29 juillet de la conférence de Londres, doté l’Albanie d’un statut organique (10 avril 1914)70. D’après le rapport d’activité envoyé par les délégués aux ministres des Affaires étrangères des puissances,
La Commission internationale a tenu compte, en premier lieu, des décisions de la Conférence de Londres en ce qui concerne l’essence constitutionnelle de la principauté, et, en second lieu, des chartes des divers États balkaniques qu’elle a cherché de conformer [sic] à la mentalité albanaise, à l’histoire, aux habitudes, aux mœurs, aux divisions de religion, de race, de langue, à l’état de civilisation primitive du nouvel État71.
29Comprenant 216 articles, le statut fonde une monarchie censitaire garantissant théoriquement les principales libertés (art. 29-39). Son régime d’application est cependant reporté à une date ultérieure, de même que l’abolition des capitulations, maintenues par le statut sous réserve d’une décision ultérieure des puissances (art. 4). Le cadre autoritaire de ce régime libéral dans ses grandes lignes est conçu comme l’adaptation des principes occidentaux à un pays considéré comme arriéré et maintenu comme tel sous la tutelle des puissances. De la même façon, s’il confère aux Albanais certains attributs de la souveraineté, ce statut imposé de l’extérieur comporte une dimension coloniale72. Les puissances garantissent l’existence même de l’Albanie (art. 1), sa neutralité (art. 3), ainsi que ses frontières, sur lesquelles elles gardent un droit de regard (art. 2). Le trône échoit au prince Guillaume de Wied et à sa famille : c’est un aristocrate allemand de confession protestante, qui a été désigné par les puissances en novembre 1913, sur la base de revendications italiennes formulées dès janvier pour éviter la nomination d’un catholique qui pourrait être hostile à l’Italie73. De même les puissances se réservent-elles le droit de désigner un régent « en cas d’urgence » (art. 11). L’administration locale (art. 98-138) reprend assez largement le cadre ottoman, avec une organisation du territoire en sandjaks, cazas et nahiés, confiés à des mutasserifs, caimakans, mudirs. En outre, dans les principales localités, des municipalités sont mises en place. La CIC continue cependant d’exercer un pouvoir parallèle : le 3 mai, elle prend son propre règlement, lequel lui confère mandat de superviser, pour dix ans, l’application du statut organique et la marche de l’État en général74. Le même mois, elle se rend à Corfou pour négocier avec les Gréco-épirotes un statut d’autonomie pour l’Albanie méridionale (Épire du nord) qu’elle impose au prince75. Bien que le statut organique ne le précise pas, la CIC exerce également un contrôle sur les finances, qui dépendent il est vrai essentiellement des subventions austro-hongroises et italiennes76. Enfin, le prince dispose d’un « cabinet civil » dont les deux principaux membres sont deux ex-délégués austro-hongrois et italien à la commission de délimitation des frontières méridionales de l’Albanie, Carl Buchberger et Fortunato Castoldi77.
30La légation d’Italie s’installe dans la nouvelle capitale, Durazzo, en même temps que le prince, en mars 1914 (voir infra). Manquant des financements promis, entravé par le contrôle des puissances, manquant lui-même de caractère, de Wied est incapable de faire face aux rébellions endémiques, que la gendarmerie dirigée par les officiers néerlandais ne parvient pas à réduire. Deux mois après l’arrivée du prince, l’attaché militaire à Vienne soupçonne l’Autriche-Hongrie de préparer l’envoi d’un corps expéditionnaire de 40 à 50 000 hommes en Albanie, ce qui incite le lieutenant-général Pollio, chef d’état-major, à présenter au ministre de la Guerre les possibilités de réponse de l’armée italienne78. Deux options sont sur la table : appliquer le plan de mobilisation d’un corps d’armée entier « destinato ad operare in zone montuose d’oltremare », soit environ 40 000 hommes, en trois semaines, et au prix du rappel d’une classe complète et du rappel partiel d’une autre ; ou bien réduire le corps expéditionnaire à quelques bataillons dont un de carabiniers. Alors que le premier scénario a été préparé dès 1906, le second est encore à l’étude. C’est pourtant ce dernier plan qui sera, en substance, appliqué lors de l’occupation de Valona à la fin de l’année. En ce printemps 1914, cependant, rien ne se fait, l’Autriche-Hongrie renonçant à son action.
31Reste que les relations austro-italiennes en Albanie s’enveniment graduellement, Rome soupçonnant Vienne de violer l’accord de parité en exerçant une influence prépondérante sur le prince, et Vienne reprochant à Rome de vouloir évincer de Wied pour remettre l’Albanie aux mains de la CIC79. L’Autriche-Hongrie estime en effet que l’internationalisation de l’Albanie fait le jeu de l’Italie et de l’Entente80. Ces dissensions se traduisent par la disgrâce des hauts fonctionnaires italiens placés au cœur de l’appareil d’État albanais. Le capitaine Fortunato Castoldi, membre de l’Ufficio Albania devenu conseiller du prince de Wied, est ainsi écarté en juin 191481 ; le lieutenant-colonel Vincenzo Muricchio, attaché à la légation, est de même arrêté et retenu quelques heures par la gendarmerie le 582. Cette affaire suscite une vive émotion dans les journaux et vaut trois interpellations parlementaires à San Giuliano (deux venant de la gauche radicale et socialiste et une de la majorité). À Montecitorio, le ministre doit affirmer s’être concerté avec son collègue austro-hongrois pour que les agents des deux pays en Albanie observent une conduite réciproque plus amicale83. Le déclenchement de la Grande Guerre en août 1914 provoque le retrait des puissances, leur concert ayant cessé de fonctionner. Comme De Wied refuse d’entrer dans le conflit du côté de l’Autriche-Hongrie, celle-ci lui retire son soutien financier et sa position devient intenable. Le 3 septembre, la CIC le convainc de quitter l’Albanie, Durazzo étant prise le même jour par les troupes d’ Esad Pashë Toptani84. Des six puissances garantes, l’Italie est la seule à demeurer neutre ; avec l'accord des cinq autres, elle continue donc à exercer son mandat sur l’Albanie « au nom des puissances empêchées », même si dans les faits, l’Albanie est aux mains des factions déjà évoquées, Serbo-monténégrins, Austro-hongrois et Ottomans cherchant par ailleurs à tirer parti du désordre85. L’autorité de l’Italie se réduit à celles de ses agents diplomatiques et consulaires à Valona, Durazzo et Scutari. Ces derniers sont les acteurs privilégiés d’une politique d’influence développée à partir de 1913. Cett action est d’une toute autre ampleur que la précédente « politique des expédients » (supra, chap. 7).
8.2. L’Albanie, un condominium austro-italien au sein du concert
8.2.1. Pour 250 000 lires de plus : le plan d’influence italien en Albanie
32Dès le début de l’année 1913, Giolitti admet la nécessité de financer une politique d’influence en Albanie pour garantir la parité d’action avec l’Autriche-Hongrie86, parité prévue par les accords passés sur les Balkans depuis la fin du XIXe siècle87. On commence par naviguer à vue, par des secours ponctuels aux populations en détresse et surtout par des gratifications aux notables albanais favorables à l’Italie, notamment Prenk Bib Dodë au nord et Esad Pashë Toptani au sud. En mars, le président du Conseil donne l’ordre au ministre du Trésor, Francesco Tedesco, de prévoir 250 000 lires de « fondi speciali per la nostra azione in Albania affinché l’influenza austriaca non prevalga a danno della nostra », dont 30 000 lires pour les premières nécessités88. Cet argent est prélevé sur les fonds consacrés à la conquête de la Libye, d’abord pris sur le budget des Colonies puis sur celui de la Guerre89.
33Le 9 mai, San Giuliano présente à Giolitti un plan d’action en Albanie90. Cette action doit se situer prioritairement dans le cadre de la tutelle exercée collectivement par les puissances sur le futur État albanais, sans pour autant laisser l’Autriche-Hongrie exercer une influence prépondérante. La politique italienne en Albanie semble donc moins relever d’un expansionnisme décidé que d’une réaction à la politique de Vienne : « occorre che [il nostro intenso lavoro diplomatico] sia rafforzato con una serie di provvedimenti di natura diversa, ma tutti indirizzati all’unico fine di neutralizzare le forze rivali operanti in quella regione ». Face à une Autriche-Hongrie inondant d’argent des Albanais « primitifs » et « vénaux », l’Italie, moins riche, doit procéder à des investissements ciblés dans des domaines qui correspondent à sa tradition d’impérialisme humanitaire reposant sur le soft power. Les domaines d’intervention sont les suivants : a) l’action caritative b) le développement de services publics c) l’influence culturelle. Les agents en sont avant tout les consuls, mais aussi les autres fonctionnaires, les missionnaires et les Italo-albanais, considérés comme le principal atout d'une puissance comme l'Italie, pauvre en capitaux mais riche d'hommes. Sur les 250 000 lires disponibles, une grosse moitié doit servir à stipendier les beys et chefs de tribus : il s’agit de ne pas être en reste des largesses autrichiennes, mais aussi d’assurer la sécurité d’une occupation éventuelle de Valona. Dès cette époque, l’hypothèse d’une intervention militaire massive est écartée au profit d’une saisie de ce port méridional qui contrôle la rive droite du canal d’Otrante. Il faut la préparer par l’action d’un réseau d’agents, ayant notamment pour mission d’acheter des complicités sur place. Comme nous le verrons infra, cette tactique se traduit en décembre 1914 par un succès complet, mais il faut dire que les leçons de l’expédition de Libye ont été apprises :
Non dovranno ancora ripetersi i fatti occorsi a Tripoli in occasione della prima spedizione militare allorquando influenti capi tribù dell’Interno furono lasciati per parecchi giorni abbandonati, mentre chiedevano di accordarsi politicamente colle nostre autorità, finché il Comando turco li richiamò a sé. Occorre che fin d’ora vadano uomini a noi devoti a Valona perché si trovino sul posto al momento opportuno. Già abbiamo mandato albanesi influenti, amici nostri, colla nota spedizione di viveri per gli indigenti di Valona. Beninteso a questi inviati non diremo nulla, di possibili complicazioni politiche ; ma essi andranno colà a far propaganda italiana, e, quando avvenissero tali complicazioni essi si troverebbero sui luoghi pronti ad esercitare la necessaria azione politica nel senso di togliere ogni diffidenza della popolazione91.
8.2.2. De nouveau, l’action humanitaire
34Dans l’immédiat, l’urgence consiste à secourir des populations albanaises réduites à une profonde misère par les invasions des voisins balkaniques. Ce sont d’abord les consuls qui organisent des distributions de céréales grâce aux premiers fonds débloqués par le gouvernement : au début du mois de février, Domenico De Facendis achète pour 20 000 lires de farine de maïs aux propriétaires accapareurs pour distribuer 5000 rations quotidiennes aux réfugiés de Valona92. Bien vite, cependant, ce sont des opérations militaro-humanitaires d’envergure qui sont montées, l’Italie demeurant, jusqu’aux semaines qui précèdent son entrée dans la Grande Guerre, fidèle à cette stratégie qui lui avait réussi lors de la crise de 1897. En février 1913, ce sont deux navires-hôpitaux qui sont envoyés dans les eaux albanaises93. Dans les derniers jours de mars 1913, le commandant de la base navale de Tarente, le vice-amiral Ernesto Presbiterio, fait ainsi envoyer à Valona via Brindisi et sous l’autorité du médecin militaire Rosati 9000 lires dont 6000 or, 22 tentes médicalisées, 216 lits d’hôpital, 10 000 rations alimentaires, plusieurs cuisines de campagne, du matériel d’éclairage et des vivres et médicaments en quantité94. Une section de la Croix rouge composée de 14 médecins et 15 infirmiers est envoyée à Valona un mois plus tard, « accompagnata da nostri fautori albanesi ed italo-albanesi in modo da costituire un servizio d’informazioni non sospetto »95. Deux « missions sanitaires » sont également envoyées à Durazzo et Scutari. À Durazzo, en l’absence de toute autre structure médicale, la mission de la Marine soigne les habitants de toutes classes et religions, au contraire du dispensaire (ambulatorio) de la colonie italienne qui ne s’occupe que des nationaux ; au début de 1914, elle en prend le contrôle. En septembre de la même année, le docteur Gino Zucchi, qui commande la mission, entreprend des tournées dans l’intérieur, jusqu’à Tirana, dans un but explicite de propagande par la médecine, à travers notamment des distributions de quinine96. À la fin du printemps 1915, on entreprend la construction d’un hôpital italien, une initiative cependant tuée dans l’œuf par la descente austro-hongroise l’année suivante. À Scutari, c’est dès le 10 juin 1914 que la première pierre de l’hôpital de l’Associazione nazionale per soccorrere i missionari italiani est posée, en présence du corps médical et du corps consulaire, des détachements internationaux, de la colonie italienne et du député nationaliste Foscari97. Au même moment, le consul d’Italie à Valona, Lori, négocie l’achat d’un terrain appartenant à la famille Vlora, cliente de l’Italie98. Située à l’entrée de la ville sur la route menant au port, la parcelle doit accueillir un hôpital. Comme à Scutari, c’est l’ANSMI qui se porte acquéreuse via les consuls et sous la supervision du colonel Rosati.
35Enfin, l’action humanitaire consiste en des tournées dans l’intérieur. Giuseppe Schirò et un officier du nom de Sanmartino semblent avoir ainsi mené une « mission sanitaire », de même que le lieutenant-colonel Muricchio dans la région de Dibra (Debar) au cours de l’hiver 1913-191499. L’Autriche-Hongrie et l’Italie organisent également des tournées conjointes dans les montagnes du nord-est depuis Scutari. Flanqué de deux homologues autrichiens, le capitaine Francavilla et le sous-lieutenant médecin Malice, servant dans le corps expéditionnaire international de Scutari, parcourent les territoires des tribus Gashi et Kraniqi100, ravagés par l’invasion serbo-monténégrine et par les guerres privées causées par « le solite controversie tra vecchie e nuove idee ». Les quatre hommes distribuent près de 33 000 francs, versés par les consulats d’Italie et d’Autriche-Hongrie ainsi que par le gouvernement albanais101. Ces secours sont versés tantôt par tête, tantôt par maison brûlée, selon la volonté des populations locales. Ils prennent aussi la forme d’une aide médicale volante, dans des régions privées de toute infrastructure et où prédominent « la malaria, la tuberculosi, la sifilide, [...] le polmoniti, le bronchiti acute, il reumatismo articolare acuto, le dissenterie e il tifo [...], le malattie degli occhi, come il tracoma e quelle della pelle »102. En plus de conquérir les cœurs, ces promenades ont pour but de reconnaître les voies de communication dans ces régions très méconnues. De la même façon, le major Stefano Santucci effectue un « viaggio di soccorso nell’Albania settentrionale » du 2 novembre 1913 au 16 février 1914103, avant d’accompagner, de mars à mai 1914, la commission internationale chargée de tracer la frontière albano-monténégrine. Cela lui donne l’occasion de soigner 3325 malades parmi les populations misérables de ces confins, tout en prenant des notes scrupuleuses sur « la viabilità, la geografia fisica e medica, […] la vita, i costumi e le tradizioni delle popolazioni »104.
8.2.3. « L’organisation » italienne en Albanie
36En dehors des secours aux réfugiés et aux populations réduites à la misère par la violence, l’action italienne, toujours calquée sur celle de l’Autriche-Hongrie, consiste à développer des services publics. Scutari, placée sous gouvernement militaire international, en est le terrain privilégié. L’administration y est confiée à une « commission internationale des finances », et une commission de réorganisation de la gendarmerie y est créée. L’Italie est représentée dans ces instances par le capitaine Francesco Devoto et par le capitaine des carabiniers Giuseppe Borgna105, lequel avait déjà servi dans la gendarmerie internationale en Macédoine106. C’est d’ailleurs un autre vétéran de ce corps, le capitaine Tommasini, qui avait d’abord été pressenti pour occuper ces fonctions visant à préparer le remplacement des troupes d’occupation par une gendarmerie albanaise107. L’action italienne consiste aussi à bâtir, conjointement avec l’Autriche-Hongrie, des infrastructures modernes, ainsi une ligne ferrée Scutari-Valona dont le projet est confié en 1913 à la Società italiana delle strade ferrate del Mediterraneo108, ou encore la construction d’un tramway entre Valona et son port. Cette dernière n’est d’aucune rentabilité économique, mais l’Autriche-Hongrie l’ayant engagée, l’Italie ne peut que se lancer dans le consortium en octroyant 20 000 lires de subventions au concessionnaire Paolo Masci109, l’ancien élève de Giuseppe Schirò à l’Orientale de Naples devenu homme à tout faire de la politique italienne en Albanie.
37Il s’agit aussi de s’appuyer sur les structures proprement italiennes, héritées des dernières années de l’époque ottomane (supra, chap. 7) et que Rome développe dans l’Albanie indépendante pour y augmenter son influence :
L'Italie encadre cette colonie [de Valona] comme à Durazzo et comme à Scutari par une organisation à elle, dont le chef est le consul et dont les linéaments sont formés des écoles royales, des postes italiennes et de l'agence de la compagnie de navigation la Puglia avec les intérêts qui gravitent autour de celle-ci. D'après un rapport de la direction générale des écoles italiennes à l'étranger, Vallona comme Durazzo possédait en 1913 trois écoles royales, une de garçons, une de filles, et une école du soir avec 400 élèves environ dans chacune de ces villes ; à Scutari, cinq écoles, dont deux crèches, recevraient un nombre un peu plus grand d'enfants110.
38L’implantation de services publics italiens à l’étranger et leur utilisation comme moyen d’influence n’est pas chose neuve. En revanche, l’Italie se dote de structures administratives et politiques spécialisées pour mener à bien sa politique d’influence vis-à-vis du nouvel État albanais, et cela alors même que l’appareil bureaucratique colonial connaît un redéploiement substantiel avec la conquête de la Libye et la création du ministère des Colonies en 1912. La bureaucratie spécialisée dans les affaires albanaises est beaucoup plus modeste que celle qui est consacrée à l’Afrique, mais des transferts d’hommes, de compétences et de fonds de l’une à l’autre sont fréquents.
39Du côté de l’Armée, c’est toujours l’Ufficio coloniale qui a compétence sur les Balkans, dont l’Albanie ; il est dirigé par le colonel Valentino Marafini puis par le lieutenant-colonel Pietro Mozzoni. Toutefois, un contingent italien est, depuis juillet 1913, présent à Scutari au sein des troupes internationales d’occupation venues remplacer les marins depuis l’intervention navale de mai 1913 (voir supra). C’est le capitaine Alessandro Vigliani qui le commande, prenant ses ordres auprès de l’état-major du XIe corps d’armée de Bari pour les questions militaires, auprès du contre-amiral Patris pour les questions politiques111. C’est en effet sous le commandement de cet officier supérieur que la marine entretient une présence constante dans les eaux albanaises depuis le début de 1913. Elle exerce des missions humanitaires, mais aussi de surveillance et d’intervention, avec la mise à disposition de la conférence des ambassadeurs d’une flottille de trois croiseurs et la participation à l’occupation de Scutari. Néanmoins, c’est le ministère des Affaires étrangères qui a la haute main sur les affaires albanaises, coordonnant l’action de l’armée et de la marine avec l’assentiment de la présidence du Conseil, notamment en Albanie même où marins et militaires travaillent en étroite collaboration avec le personnel diplomatique et consulaire. Lors des crises diplomatiques, les militaires se plaignent d’ailleurs de n’être informés qu’au dernier moment par les civils, qui n’hésitent pas à brider leur activité : en mai 1913, San Giuliano interdit à la marine d’envoyer un officier en mission de reconnaissance à Valona112, et censure une interview que le général Nava, commandant du corps expéditionnaire pré-positionné pour une intervention en Albanie, donne imprudemment au journal bolonais La Sera113.
40En mai 1913 est créé à la Consulta un « bureau albanais » (Ufficio Albania), dont la direction est confiée à l’Inspecteur général des Écoles italiennes à l’étranger, Angelo Scalabrini, un ancien partisan de Crispi114 :
Alla Consulta, come è noto, fu costituito un ufficio speciale per l’Albania, in seguito alle decisioni di massima di dare fondi. Esso è composto così : Comm. Scalabrini Direttore Generale per le Scuole all’Estero ; Comm. A. Leoni Console Generale che fu già a Scutari 15 anni ; Capitano De Vincentis che fu in Macedonia ; Giudice Cauttero, già console giudice a Costantinopoli, e, provvisoriamente, del Capitano Castoldi della Gendarmeria Macedone.
L’Ufficio compie le sue funzioni politiche, amministrative e commerciali e provvede alla nostra azione tenendosi in corrispondenza coi consoli, e in relazione diretta o mediata cogli individui e colle organizzazioni albanesi ed italo-albanesi, preparando insomma gli elementi di quel lavoro di penetrazione commerciale e politica che dovrà iniziarsi, appena conclusa la pace e compiuto il lavoro diplomatico115.
41Ce bureau semble avoir été constitué suite à un rapport de l’attaché militaire à Vienne, le colonel Albrici, sur « les sphères dirigeantes austro-hongroises et l’Italie » : « presso questo Ministero degli Esteri è stato impiantato un ufficio speciale che dirige tutto il movimento politico verso l’Albania, con a capo certo Rappaport, già console a. u. in Macedonia »116. L’Albanien-Abteilung était en effet dirigé par Alfred Rappaport, qui avait servi dans plusieurs postes consulaires dans les Balkans117. L’Ufficio Albania ne dispose ni de l’expérience, ni des moyens de l’Albanien-Abteilung, mais parvient peu à peu à asseoir ses prérogatives au sein de la sphère de décision italienne : ainsi exige-t-on, dans une note d’avril 1914, qu’il soit systématiquement consulté lors de la nomination d’agents consulaires albanais en Italie : le cabinet du ministre des Affaires étrangères, le bureau du personnel et le ministère de l’Intérieur, normalement seuls concernés, passeront désormais par l’Ufficio Albania118. Sous les ordres de Scalabrini, le bureau compte quatre fonctionnaires, deux d’entre eux provenant de l’appareil consulaire en Orient (Leoni et le magistrat Cauttero, expert ès capitulations) et les deux autres étant des officiers ayant servi dans la gendarmerie macédonienne (Castoldi et De Vicentis). À la faveur de sa participation aux interventions militaro-humanitaires dans les Balkans et, plus généralement, à la tutelle de l’Empire ottoman, l’Italie est en effet parvenue à former des spécialistes.
8.2.4. Le réseau diplomatique et consulaire : spécialistes et militants
42Comme nous l’avons démontré dans cet ouvrage, c’est le service consulaire qui constitue la colonne vertébrale de la politique italienne dans les Balkans. C’est évidemment le cas dans l’Albanie indépendante, bien que les consuls italiens disposent de moyens très inférieurs à ceux dont peuvent bénéficier leurs collègues austro-hongrois :
Il personale consolare d’ordine è in numero molto maggiore del nostro ; a Scutari, Durazzo, Valona noi non abbiamo che un console ; essi hanno, oltre il console, due vice-consoli nella prima città ed uno in ciascuna delle altre due. Anche il personale d’ordine, dragomanni, cavass, è più numeroso, e quel che è peggio, pare sia anche molto meglio pagato, lo che fa sì che i nostri dipendenti sono tratti spesso a fare dei paragoni poco simpatici119.
43À l’exception de leur doyen Alessandro Leoni, qui a dépassé les soixante ans, les consuls d’Italie en Albanie sont des hommes jeunes : en 1914 ils ont tous entre 30 et 38 ans. Sans être des spécialistes exclusifs des Balkans, ils y ont tous servi, et connaissent parfois très bien l’Albanie. Domenico De Facendis y a fait toute sa jeune carrière, à Valona puis à Scutari. De même Cesare Lori sert-il à Constantinople, Durazzo et Valona où il meurt des fièvres en 1916, à l’âge de 34 ans. Giovanni Battista Dolfini, Carlo Durazzo, Natale Labia et Domenico Nuvolari ont des profils plus éclectiques, avec des étapes sud-américaines120. Dans ce petit groupe, l’agent le plus remarquable est Renato Piacentini, si l’on excepte Carlo Galli dont nous reparlerons. Né en 1880, Piacentini est affecté à Aden à 28 ans, en réalité pour être commissaire pour la Somalie septentrionale. En 1911-1913, il fait la guerre de Libye, assumant des fonctions importantes puisqu’il est commissaire pour les affaires civiles en Cyrénaïque. En 1912-1913 il est même mis à disposition du tout nouveau ministère des Colonies pour diriger le bureau politico-militaire de cette même province. Il est en somme l’alter-ego de Fortunato Castoldi qui exerce les mêmes fonctions à Tripoli. De février à juin 1914 il est en mission spéciale à Rhodes, et arrive tardivement en Albanie : il est affecté à Durazzo en octobre 1914. Renato Piacentini aura donc fait le tour du cadran impérial121.
44En Albanie, ces hommes s’acquittent des missions qui sont celles des consuls dans tous les pays : faciliter le commerce et donc l’influence économique de l’Italie ; collecter des renseignements ; protéger les nationaux122. La situation particulière de l’Albanie, envahie par les forces serbo-monténégrines au nord et par les gréco-épirotes au sud, rend dans un premier temps la tâche des consuls difficile : absents depuis le déclenchement de la guerre de Libye, ils ne font leur retour en Albanie qu’entre la fin de 1912 et le début de 1913, lorsque les armistices imposés par les puissances prennent effet123. Assez vite, toutefois, ils se trouvent au plus près des réalités du terrain via leur réseau d’informateurs albanais et italiens. C’est ainsi que le consul à Valona, De Facendis, annonce dès juillet 1913 le mouvement insurrectionnel gréco-épirote124. Le fonctionnaire est excellemment renseigné, détectant très tôt un mouvement qui donne sa pleine grandeur l’année suivante, une fois que le tracé de la frontière gréco-albanaise est entériné par les puissances. Les consuls et autres agents italiens en Albanie discernent mal, toutefois, la complexité des rapports de force du côté hellénique. « Les Grecs » sont essentialisés en une seule force hostile, alors que le gouvernement d’Athènes, dirigé par Elefthéros Venizélos, est sensible aux pressions diplomatiques, sans avoir nécessairement la capacité à les relayer sur le terrain. Les autonomistes épirotes d’une part, les nationalistes grecs d’autre part, y jouent leur propre partition. Les consuls d’Italie dans leur ensemble ont tendance à prendre le parti de l’Albanie contre la Grèce, alors que l’ambassade d’Italie à Athènes demeure philhellène125.
45Même si les consuls, directement confrontés à la détresse des populations, ont tendance à prendre des positions interventionnistes que la Consulta ne peut que désavouer, ils sont sur place des instruments précieux de la politique italienne. Ce sont eux qui développent les instruments d’influence présentés supra, traitent les clients de l’Italie et surveillent ses opposants. Certains d’entre eux exercent même localement un pouvoir considérable. Ainsi De Facendis, qui après avoir exercé à Valona en 1913 est à Scutari en 1915 : le gouvernement international de la ville ayant disparu en août 1914, le consul d’Italie administre la ville avec les autorités locales, et assume les fonctions d’un véritable préfet de l’annone, par l’approvisionnement de la ville livrée à la disette126.
46Outre des spécialistes des Balkans comme De Facendis, Lori ou Castoldi, la politique italienne en Albanie s’appuie sur des fonctionnaires au profil plus militant. Carlo Galli prend ainsi la direction du consulat de Scutari en mai 1913 avant d’être nommé membre de la Commission internationale de contrôle qui supervise le nouvel État albanais127. D’ascendance dalmate par sa mère, il passe de l’extrême gauche républicaine au nationalisme, se liant à Corradini, Federzoni ou Foscari. Pour sa première affectation dans la carrière consulaire, il obtient d’être nommé en 1905 applicato volontario à Trieste où il développe un réseau d’agents irrédentistes128, en rupture complète avec les consignes de prudence qui avaient jusqu’alors été observées par les consuls italiens en Autriche-Hongrie129. En 1911, il devient le « dernier consul d’Italie à Tripoli », où il prépare de l’intérieur le débarquement, en dépit d’une méconnaissance du terrain qui est la cause d’erreurs dans la stratégie italienne130. Il est ensuite renvoyé à Trieste où il reprend ses activités irrédentistes. Les erreurs commises en Libye n’empêchent pas la Consulta de lui confier des responsabilités majeures en Albanie. Ces erreurs avaient pourtant été dénoncées par Castoldi lui-même, qui sert un temps à l’Ufficio politico-militare de Tripoli131 avant de partir, à peu près en même temps que Galli, s’occuper des affaires albanaises.
47Or c’est un autre fonctionnaire au profil militant qui coiffe le réseau politique italien en Albanie. Le baron Carlo Aliotti prend ses fonctions de ministre d’Italie en Albanie au printemps 1914. Né à Smyrne en 1870, il arrive alors du Mexique. Deux ans auparavant, alors qu’éclate la première guerre balkanique, il sollicite la recommandation du maire de Turin, Teofilo Rossi, auprès de San Giuliano, afin de se voir attribuer « qualche posto di combattimento ad esempio nella penisola balcanica e particolarmente a Durazzo »132. Nommé le 5 mars 1914, c’est à lui qu’il revient d’installer le siège de la légation. Cette structure qui inclut aussi le consulat d’Italie est bâtie sur un terrain d’abord acheté par l’ANSMI à Esad Pashë Toptani, et que le gouvernement rachète pour 15 000 lires en l’absence d’autre parcelle disponible, la superficie étant quasiment doublée grâce à un don d’Esad133. Ce sont deux « palazzine » en plaques de fibro-ciment « Eternit » (autrement dit en amiante) et armées par des structures en bois qui sont construites. Elles sont réalisées par l’entreprise Ferruccio Gay, sise via Labicana 126 à Rome, et qui s’est spécialisée dans la réalisation de villini légers de style éclectique134, dérivés d’habitations d’urgence telles que les 50 baraques commandées en 1909 par le comité romain Pro Calabria e Sicilia à destination des sinistrés du tremblement de terre de Messine135. Livré avec retard le 25 février 1915, le siège de la légation d’Italie à Durazzo est affligé de graves malfaçons : infiltrations d’eau dans le vide sanitaire, toilettes inutilisables136. L’anecdote est symptomatique d’une tendance à la captation parasitaire de la dépense publique impériale que nous avons pu diagnostiquer supra (chap. 7). Aliotti lui-même voit dans les demandes de compensations formulées par l’entreprise au titre des difficultés liées à la situation en Albanie une tentative de « gains illicites »137. La chose ne manque d’ailleurs pas de sel si l’on considère que le ministre d’Italie à Durazzo, et plus généralement une partie des fonctionnaires impliqués dans les relations économiques et politiques entre l’Italie et l’Albanie, sont liés à des trafics louches138. Reste que le baron Aliotti occupe une position clé dans le dispositif italien en Albanie. En peu de temps, Aliotti est devenu le héros d’une partie de l’opinion italienne139, apparaissant dans les journaux comme le défenseur de l’honneur national en Albanie140. Ses coups d’éclat et ses projets grandioses – au début de 1915, il propose à Sonnino d’obtenir du sénat albanais un vote en faveur du protectorat italien – indisposent successivement San Giuliano et le tandem Salandra – Sonnino141.
8.2.5. La propagande : subsides et journaux
48Sur le terrain, l’action des fonctionnaires est relayée par différents canaux. Il y a d’abord les obligés des consuls. On sait par exemple qu’en 1913, le consul général à Scutari, Carlo Galli, verse à Prenk Bibë Doda et à l’abbé des Mirdites Preng Doçi 12 000 lires chacun. La même année, Galli verse plus de 28 000 lires à différents religieux, dont 5000 aux franciscains victimes des bombardements monténégrins142. « Per la prima volta la Consulta non lesina e si può spendere largamente ed anche senza la preventiva autorizzazione. Così si fa molta strada », écrit le consul dans ses mémoires143. À Durazzo, on sait qu’Aliotti consomme, de mai à juillet 1914, pour 8000 lires de fonds secrets, dépensés au fil de sommes diverses allant généralement de quelques dizaines à quelques centaines de lires pour des secours et gratifications, ainsi que pour des remboursements ponctuels à des fonctionnaires italiens en mission de surveillance ou de secours. Deux versements sont plus considérables, puisqu’ils atteignent 2000 et 2600 lires, prêtées ou offertes à deux notables albanais, dans le premier cas moyennant rapport au ministre, sans aucune justification dans le second144.
49La Consulta entend également diffuser la propagande italienne par le biais de journaux stipendiés. Dans un premier temps, on songe à s’appuyer sur le journal La Nazione albanese, soit directement dans son édition italienne, soit en créant une édition publiée en Albanie. Ce périodique bimensuel avait été créé par le patriote arbëresh Anselmo Lorecchio pour être l’organe de la Società nazionale albanese, fondée lors du congrès de Corigliano Calabro en 1895145. Toutefois, les liens de l’association et son journal avec le gouvernement italien étant trop évidents, on avait renoncé à le solliciter146. Il se peut aussi que les positions de Lorecchio, explicitement hostiles à un protectorat italien et attentives à la promotion d’une indépendance pleine et entière147, aient pu déranger. En juillet 1913, San Giuliano propose donc à Giolitti une ambitieuse opération à 30 000 lires : installer deux imprimeries, l’une à Durazzo et l’autre à Elbasan, afin d’y créer deux journaux confiés à des Albanais ou Italo-albanais liés à l’Italie, recrutés si possible parmi des journalistes de la diaspora albanaise dans l’Empire ottoman ou aux États-Unis148. Le projet fait long feu, même si on sait qu’une imprimerie a été installée dans une école italienne de Valona, toutefois vendue en 1914 à Paul Siebertz, un journaliste allemand qui organise l’influence austro-hongroise dans la ville et fait parfois affaire avec les Italiens (dans la concession du tramway par exemple)149. La même année, on tente de s’appuyer sur deux périodiques albanais, mais à l’évidence les renseignements du ministère sont approximatifs. En effet le premier d’entre eux n’est autre que Koha (Le Temps), fondé en 1911 à Koritza par une figure littéraire albanaise, Mihal Grameno150. Or en 1914 ce journal se trouve fermé par les autorités grecques qui occupent la ville, et Aliotti redoute le « pseudo nationalisme » de Grameno, qui en effet est un authentique patriote albaniste151 ; quant au Zaha, c’est une revue littéraire tenue par « une dame », et il n’a qu’un lectorat réduit152.
50La solution retenue en juin 1914 consiste, en définitive, à créer une édition albanaise du Corriere delle Puglie. Le choix de ce journal est tout indiqué : fondé en 1887, il s’agit du principal quotidien de Bari. Moderne et ambitieux, il est philo-gouvernemental tout en adoptant, dès les années 1910, des tons nationalistes et irrédentistes, en tout cas favorables à une expansion dans les Balkans153 – une traduction partielle en langue albanaise semble même avoir existé dès 1910154. Le gouvernement investit 2000 lires dans l’achat de matériel typographique (pour les caractères spéciaux notamment) confié au journal, lequel reçoit en outre une subvention mensuelle de 400 lires155. C’est Aliotti qui déniche le rédacteur : « certo Sotir Gjica [Gjika], giovane albanese noto al Comm. Scalabrini e che fece parte del Comitato di Milano »156. Gjika, dont ni Aliotti, ni le ministre, ni les rédacteurs du Corriere ne parviennent à écrire correctement le nom, est convoqué à Bari tous frais payés. Dans l’esprit du ministère, il doit se contenter de rédiger en albanais la propagande établie par la légation d’Italie à Durazzo : « Attendo [...] che la S. V. la quale, sul posto, è in grado di giudicare meglio sull’opportunità dell’indirizzo da dare al periodico, suggerisca qualche importante argomento di propaganda da trattare nel giornale »157. Dès le 7 juillet, Gjika publie un article à la gloire de la politique albanaise de l’Italie dans l’édition principale du journal158 ; ce n’est que dans l’édition du 9 août qu’est annoncée la publication d’une troisième édition en langue albanaise159. Assez vite, toutefois, Gjika outrepasse son statut de simple rédacteur : le 27 juillet, il publie dans l’édition principale du Corriere un rapport qu’il a adressé à San Giuliano, et dans lequel il appelle à une intervention militaire italienne en Albanie méridionale pour faire cesser les exactions grecques160. Autant dire qu’à quelques jours du déclenchement de la Grande Guerre, c’est la dernière chose que souhaite la Consulta. L’Autriche-Hongrie semble d’ailleurs lâcher brusquement son journal de Valona, le Populli, ce qui amène l’Italie à baisser elle aussi d’un ton161. La Consulta doit d’ailleurs, à plusieurs reprises, faire avertir Gjika par Castoldi, Lori ou Masci lorsque ces derniers passent par Bari à l’occasion de leurs voyages entre Rome et l’Albanie : « Per incarico di questo Ministero, [hanno] severamente ammonito il Signor Sotir Gjika di asternersi [...] da qualsiasi apprezzamento non consono alle direttive generali della nostra azione in Albania »162. Les réprimandes adressées à Gjika sont symptomatiques du mépris paternaliste dans lequel les fonctionnaires italiens tiennent toute expression du patriotisme albanais : point de vue personnel, ignorance des réalités, intentions équivoques sont les défauts habituellement attribués aux albanistes, même quand ils travaillent pour l’Italie. Calquant son action sur celle de l’Autriche-Hongrie, l’Italie légitime et complète pourtant sa politique albanaise via des comités inspirés et soutenus par la Consulta.
8.2.6. Les « comités albanais »
51Du 27 février au 6 mars 1913 se tient à Trieste un « congrès albanais », réuni à l’initiative d’un journaliste albanais soutenu par la Ballplatz, Stefan Zurani (Tefë Curani)163. Réunissant près de 300 délégués albanais, des journalistes et plusieurs membres de la haute aristocratie et des cercles dirigeants de Vienne, il est présidé par Faik bey Konitza, la principale figure intellectuelle de la diaspora albanaise du temps. Formé par les jésuites de Scutari, puis au Collège de France et à Harvard, il avait animé divers journaux albanais en Belgique et aux États-Unis, avant d’aller plaider la cause de l’Albanie devant la conférence des ambassadeurs164. Sont également présents plusieurs prétendants au trône d’Albanie : le duc de Montpensier, Albert Ghica et le marquis Castriota, venu de Naples. Un certain nombre d’Italo-albanais ont de même fait le voyage, ainsi qu’au moins un agent du gouvernement de Rome, qui renseigne l’attaché militaire à Vienne165. Ce dernier identifie le groupe d’agents austro-hongrois en charge de la politique albanaise de Vienne, notamment le baron Nopcsa166, et avertit Rome de la création, sous les auspices du gouvernement, de l’armée, de la haute banque et de la presse, d’une association pour le développement de l’Albanie. Il s’agit de l’Österreichische Verein zur Förderung Albaniens (Union autrichienne pour le développement de l’Albanie), ou Albanien-Komitee, dirigé officieusement par le baron Leopold Freiherr von Chlumecky, journaliste expansionniste lié à la Ballplatz et extrêmement hostile à l’Italie167.
52Rome suscite alors son propre comité albanais. Un certain nombre d’initiatives existent déjà depuis plusieurs années parmi les Italo-albanais, mais leur trop fort ancrage italien obère leur influence (supra, chap. 3, 5 et 7). En mars 1913 est fondé à Milan un comité nationaliste albanais italophile autour de Prênk Bibë Doda, chef de la confédération des Mirdites168. L’organisation du comité est confiée à deux Italo-albanais : Giuseppe Schirò, que nous connaissons pour être le titulaire de la première chaire de langue albanaise créée au Regio Istituto Orientale de Naples et qui agit sous la couverture d’inspecteur des écoles italiennes en Albanie169, et son ancien élève Paolo Masci, devenu fonctionnaire au ministère des Travaux publics (supra, chap. 5). Les deux agents recrutent les membres du comité parmi les Albanais réfugiés en Italie, et ce en ayant soin de représenter les trois confessions et les principales tribus170. Derrière toute cette action, et notamment la connexion avec Bibë Doda dont le prestige sert de ciment à l’affaire, se trouve l’ingénieur Vismara. Nous avons déjà présenté ses tentatives de mise en place d’une exploitation forestière d’envergure dans le nord de l’Albanie (supra, chap. 7). Les études qui ont minutieusement reconstitué cette entreprise et son coût faramineux pour les finances publiques italiennes ont insisté sur son rôle dans la « pénétration économique » italienne en Albanie171. Il me semble que dans l’esprit de San Giuliano, la dimension économique de l’entreprise sert surtout d’écran : elle se fait à fonds perdus, dans un but principalement politique. À l’été 1912, le gouvernement italien fait verser 330 000 lires à Vismara pour qu’il puisse acheter les forêts à Bibë Doda. Cette somme est prélevée sur le « fondo guerra » (pour la Libye) et dès janvier 1913, san Giuliano entend confier les reliquats de ce fonds à Vismara afin qu’il lance une « propagande pacifique » dans le nord de l’Albanie, où il accompagnerait Bibë Doda pour le sourveiller172. Autrement dit, il semble que l’argent déposé à Milan pour les entreprises de Vismara ait constitué la mise de fonds initiale de la politique italienne dans l’Albanie indépendante qui, face à la menace autrichienne, fait au printemps 1913 l’objet du plan d’envergure présenté plus haut. Si l’on a d’abord choisi de concentrer les efforts sur Bibë Doda et l’Albanie du nord, c’est que l’Autriche y est traditionnellement très influente, grâce à son statut de puissance protectrice des catholiques notamment. Le comité Shqiperia e re / Giovane Albania, fondé en mars par Vismara, ne comprend, en dehors de Schirò et Masci, que des Albanais, recrutés notamment dans la clientèle d’Ismail Qemal bey Vlora, chef du gouvernement provisoire qui a proclamé l’indépendance du pays173. Fort de ces appuis politiques, Vismara tente de développer ses affaires, dans l’espoir de continuer à les faire subventionner par la puissance publique.
8.2.6.1. L’action économique et commerciale
53Étant donné la rentabilité très faible des activités commerciales italiennes en Albanie, il est difficile de faire la part de leur impact économique et celle de leur influence politique. En juin 1913, Giacomo Vismara et son associé, un certain Spartaco Cannarsa, soumettent au gouvernement italien un projet mirifique à 2 000 000 de lires. Le ministère des Affaires étrangères aurait commandité à Cannarsa une série d’études sur le commerce italien en Albanie, démontrant que la plus grande partie des importations albanaises proviennent de la vallée du Pô, mais via le commerce austro-hongrois ou grec174. En prétendant faciliter le commerce italien, le duo Vismara-Cannarsa empiète largement sur les prérogatives d’un service public explicitement voué à cette mission, le réseau consulaire. Comme Antonio Baldacci, mais dans des perspectives d’une toute autre ampleur, ces affairistes entendent assumer des missions de service public, mettre l’État devant le fait accompli et en retirer les subventions correspondantes. Ils projettent de créer à Bari un « emporio commerciale » comparable à ceux de Trieste et Fiume, pour expédier le flux de marchandises italiennes vers des « agences commerciales » à créer dans les principaux ports albanais, et de là dans l’intérieur via un réseau de commis voyageurs. Il est aussi question d’une ligne de cabotage diurne le long de la côte albanaise, et d’une ligne de navigation nocturne entre l’Albanie et l’Italie, en remplacement du service notoirement calamiteux de la société de navigation subventionnée Puglia.
54Pour cette fois, il ne semble pas que le gouvernement ait suivi Vismara dans ses projets. Si l’on en croit un mémoire rédigé en 1919 par l’intéressé, qui cherche à profiter de l’après-guerre pour relancer ses activités parasitaires, il a bel et bien créé, le 25 juillet 1913, la Società italo-albanese di commercio e di navigazione, dont le siège se trouve à Milan avec des succursales à Bari, Valona, Durazzo et Scutari175. En juillet 1914, on trouve cette entreprise au bord de la liquidation176, ce qui peut expliquer que Vismara écrive au président du Conseil et ministre des Affaires étrangères par intérim, Antonio Salandra, quelques jours à peine après la mort de San Giuliano, sans succès semble-t-il177. Néanmoins, au début de l’année 1915, on trouve l’Italo-albanese en situation de quasi-monopole dans les trafics entre l’Italie et l’Albanie, et pressant le gouvernement italien de l’aider à concurrencer le commerce grec178.
55Ayant son siège à Milan, l’Italo-albanese exporte depuis Bari, qui émerge comme nouveau pôle de l’expansion italienne dans les Balkans au cours des années qui précèdent la Première Guerre mondiale. Sa dimension régionale explique sans doute que ce pôle soit demeuré pratiquement inconnu de l’historiographie dynamique des années 1970-1980 sur l’expansion dans les Balkans. Bari vient pourtant concurrencer Naples comme capitale méridionale des intérêts italiens dans les Balkans. Les projets de Vismara s’étaient déjà appuyés sur des institutions et personnalités méridionales, ainsi le député de Monopoli Semmola ou Antonio Salandra lui-même, mais les capitaux provenaient des industriels du Nord179. Or la région des Pouilles connaît, dans les décennies qui suivent l’unification, un développement économique marqué, né d’un désenclavement soudain. L’arrivée du chemin de fer côtier depuis le nord, puis la réalisation d’une transversale Tarente – Brindisi sciant le talon de la botte conduisent à l’ouverture de Bari et Brindisi au grand commerce international – à partir de 1870 et de l’ouverture du Canal de Suez, la valise des Indes ne part plus de Marseille mais de Brindisi – ce qui met à mal un commerce reposant jusqu’alors sur de petits trafics de proximité, au départ notamment des ports minuscules d’un Salento de plus en plus marginalisé. Le port de Bari connaît au contraire une expansion rapide animée par sa chambre de commerce, multipliant par quatre le mouvement de ses navires entre 1873 et 1912 et par deux le volume de ses marchandises entre 1900 et 1909180. Des milieux d’affaires spécialisés dans le commerce entre les Pouilles et l’Albanie se développent donc, avec le soutien de la chambre de commerce de Bari et du gouvernement.
56Pour les élites de Bari, le commerce avec les Balkans constitue le moyen de convertir une position périphérique en Europe occidentale en centralité méditerranéenne181. Une fièvre balkanique s’empare donc de la ville, à grand renfort d’articles et brochures, et dès mars 1912 le président de la chambre de commerce, Antonio De Tullio, entreprend de fédérer les milieux d’affaires apuliens autour de l’expansion en Albanie182. En juin 1913, De Tullio est contacté par le ministre serbe du Commerce extérieur, Costa Stoianovitch [Kosta Stojanović], qui sollicite l’adhésion de la chambre de commerce de Bari au Comitato italo-serbo, créé au lendemain des guerres balkaniques à l’initiative du groupe vénitien avec le soutien du Museo commerciale de Venise183. De Tullio ne semble pas connaître l’existence du comité italo-serbe. On peut donc se demander si l’historiographie n’a pas surestimé le caractère organique de l’impérialisme économique italien dans les Balkans, voyant dans le comité de Belgrade une initiative du groupe vénitien184. Stojanović est un mathématicien serbe, qui promeut une politique économique et notamment douanière rationnelle visant à faire sortir la Serbie de la dépendance en se passant de l’intermédiation obligée de l’Autriche-Hongrie185 – constat du reste partagé, côté italien, par Vismara et Cannarsa et une partie de la Consulta. Au service de cette politique, Stojanović lance ainsi la création d’un réseau d’agences commerciales en Europe. De Tullio demande alors à la légation d’Italie à Belgrade de lui communiquer les publications et imprimés du comité italo-serbe, si bien qu’il est permis de penser que ce comité a servi de modèle, notamment pour sa structure et ses statuts, au Comitato Puglia e Balcania qui est fondé quelques semaines plus tard, le 19 août 1913186.
57Font partie du comité la Società di navigazione a vapore Puglia, grassement subventionnée par le gouvernement pour assurer les liaisons avec la façade adriatique des Balkans, mais aussi la Società commerciale d’Oriente à travers sa succursale de Bari, plusieurs grandes banques italiennes et quelques commerçants albanais187. Comme le comité de Belgrade, il se veut apolitique, et sans but lucratif pour lui-même. Il est un peu moins ambitieux que son homologue serbe : ce dernier prévoit de fédérer tous les organismes officiels serbes et italiens, de créer un réseau de correspondants dans tous les ports de l’Adriatique et des Balkans, et d’organiser des cours de langue et des congrès188. Le comité de Bari se contente des objectifs suivants :
a) di promuovere e sviluppare con tutti i mezzi le relazioni morali, commerciali ed industriali fra le Puglie ed i Paesi balcanici, sia per mezzo di propri rappresentanti, corrispondenti ed aderenti nelle altre provincie d’Italia e nei Paesi balcanici, come dei R. Consolati, delle Camere di Commercio, delle Associazioni e degli Enti commerciali ed industriali ;
b) di formare elenchi d’indirizzi e di commercianti ed industriali, raccogliere dati statistici e notizie, diffondendoli e tenendoli a disposizione di qualunque aderente ;
c) di provvedere alla formazione di mostre campionarie di merci e di cataloghi illustrati189.
58Bien que le Comitato Puglia e Balcania se veuille apolitique, dans l’esprit de ses promoteurs l’Albanie doit jouer, pour le développement des Pouilles, celui que la Libye est censée garantir à la Sicile190. Du reste, quelques mois avant la création à Bari du Comitato Puglia e Balcania, la chambre de commerce promeut un organisme du même genre en faveur du développement des relations économiques entre les Pouilles et les « nouvelles terres italiennes » de Tripolitaine et de Cyrénaïque, moins ambitieux cependant puisqu’il entend organiser des voyages d’études pour comprendre quelles marchandises peuvent être exportées191. En outre, si de tels comités naissent partout en Italie à la faveur de la conquête de la Libye, l’initiative apulienne vers les Balkans n’a d’équivalent qu’à Milan (l’Italo-albanese) et à Venise (Museo commerciale, qui crée une éphémère succursale à Scutari192).
59Financée par souscription, cette initiative privée entend assumer une partie des prérogatives qui sont celles des consuls : la collecte d'informations commerciales et l'établissement de statistiques. Elle se met cependant immédiatement en rapport avec les consuls d’Italie en Albanie, qui lui font bon accueil, de même que d’importants acteurs économiques tels que l’Associazione fra le società italiane per azioni193. Mais dès le mois de septembre, le président du comité, De Tullio, émet la crainte que « per opera di interessati venga fatta una subdola guerra a questi nostri forzi di dare impulso ai rapporti fra le Puglie e l’Albania »194. Ces soupçons sont démentis par le consul Dolfini195, mais leur existence même laisse croire que c’est l’action de Vismara et consorts, dont on connaît la propension à étouffer toute concurrence196, qui est redoutée par De Tullio. En ce même mois de septembre, soit peu de semaines après la création du comité Puglia-Balcania, De Tullio a la surprise de recevoir des demandes d’information sur l’arrivée imminente en Italie d’une « mission commerciale albanaise » de la part de l’Istituto per gli scambi internazionali197, du Museo commerciale de Venise, et des musées commerciaux des chambres de commerce de Milan et de Turin. La mission commerciale albanaise est en fait un groupe de grossistes albanais, dont le consul à Durazzo a souhaité informer la Consulta de leur volonté de se rendre à Bari pour y rencontrer d’éventuels fournisseurs et ainsi se passer d’intermédiaires. Or la Direction générale des affaires commerciales du ministère des Affaires étrangères a cru bon d’annoncer la nouvelle urbi et orbi198. De cette affaire, on peut retenir le caractère problématique de la circulation de l’information au sein de la multitude d’organismes publics et privés qui cherchent à promouvoir les échanges extérieurs de l’Italie, ainsi que la propension des milieux expansionnistes à grossir démesurément les faits. Comme le résume efficacement le journaliste Leonardo Azzarita :
[La nostra politica commerciale] spesso si gingilla, si trastulla oziosamente in preparativi, altre volte agisce senza preparazione o con preparazione insufficiente, e altre volte ancora si appalesa ingorda di immediati successi, di lauti guadagni e vuota di scopi pratici e positivi ad un tempo199.
60Reste que l’action du Comitato Puglia e Balcania, et plus généralement l’expansion économique en Albanie, font l’objet d’une promotion journalistique200. Leonardo Azzarita justement, qui sera un des grands noms du journalisme italien au XXe siècle, est originaire de Molfetta dans les Pouilles, et durant toute sa carrière un actif promoteur du commerce régional (il dirige la Fiera di Levante de Bari, ainsi que le Corriere delle Puglie de 1919 à 1923)201. Voyageant en Orient pour le compte de plusieurs journaux italiens entre 1911 et 1915, il vante, dans une monographie publiée en 1914, la politique albanaise de la Consulta, pour mieux appeler à une action économique plus résolue, passant par des investissements massifs en Albanie, qu’il qualifie de « Suisse des Balkans » et au Monténégro202. Cet écrit est riche des lieux communs du temps en matière d’expansion commerciale : l’Italie trouvera dans la mise en valeur des terres vierges des Balkans un surcroît de puissance d’autant plus facilement que ces contrées sont très similaires au sud de l’Italie. C’est un des arguments qui est d’ailleurs produit pour justifier la conquête de la Libye, et paraît aujourd’hui un non-sens dans la mesure où les territoires de l’expansion vont faire concurrence à un Midi italien déjà en difficulté au lieu de lui servir de débouché ou d’approvisionnement. Enfin, comme Vismara, Azzarita réclame pour Bari le statut de port franc, à l’instar de Trieste qui peut ainsi offrir à la navigation des prix défiant toute concurrence et monopoliser les trafics203.
61Au sein de la sphère de décision, cette idée est reprise par le major d’artillerie Silvio Egidi, qui du 28 septembre au 22 octobre 1913 dirige la partie italienne d’une mission scientifique en Albanie organisée conjointement avec l’Autriche-Hongrie. Du côté italien, l’expédition est officiellement commanditée par la Società per il progresso delle scienze, qui s’était réunie en congrès à Bari204. La mission italienne regroupe deux agronomes : les professeurs Umberto Rosati, directeur de la Scuola Agraria de Todi, et Gaetano Baudin, directeur de la Cattedra ambulante di agricoltura de Chiaromonte en Basilicate, ainsi qu’un géologue et un géographe de l’Université de Padoue : les professeurs Giorgio Dal Piaz, président de la Società Geologica Italiana, et Roberto Almagià, flanqué de son assistant Antonio De Toni. Ces savants sont accompagnés d’un ingénieur, le Milanais Mazzochi, et du secrétaire général de la Società geografica italiana, Giovanni Roncagli205. De ce fait, un fonds photographique relatif à la mission est encore conservé dans les archives de la SGI206. Le rapport final de la commission présente son chef, Silvio Egidi, comme un « professeur ». C’est en réalité un militaire de carrière qui a participé à des relevés topographiques en Érythrée et en Somalie en 1910-1911207. Arrivé dès le 12 août en Albanie, sa mission consiste à surveiller la partie austro-hongroise – absolument déficiente selon lui – et à mener des observations qui lui permettront de formuler un certain nombre de recommandations pour la mise en valeur économique de l’Albanie.
62Ayant certainement en tête la propagande sur la colonisation agraire de la Libye, qui vise à justifier la conquête par une résolution de la « question agraire » et par là de la « question méridionale », Egidi est très hostile au lancement d'une telle entreprise en Albanie, car on ferait des paysans italiens les dépendants de beys albanais « abituati a trattare i loro contadini come persone di una razza inferiore », et ruinerait ainsi le prestige italien en inversant la hiérarchie coloniale208. Il recommande en revanche de faire de Bari la capitale commerciale et intellectuelle de l’Albanie en 10 à 15 ans, afin de profiter de la « notevole affinità etnica, l’identità di terreno, di clima fra l’Albania e la Puglia ». Il s’agit là encore de doter Bari d’un port franc à l’instar de Trieste209, et d’y attirer la classe moyenne naissante qui peut seule développer une conscience nationale en Albanie :
Dobbiamo fare di tutto per attirare studenti e commercianti verso di noi, i primi sopratutto, che dovranno in seguito rafforzare quella borghesia la quale sola, se colta e educata, potrà redimere l’Albania. E se questa borghesia avrà assimilato la nostra cultura, la nostra civiltà, allora la nostra influenza diverrà per questo solo imbattibile. È perciò che insisto sul fatto non solo di permettere ai giovani albanesi nella più gran quantità possibile di frequentare le scuole pugliesi, ma di allettarli a farlo, ed all’occorrenza di istituire, non foss’altro in vista degli immensi beneficii che ci sarebbe sull’altra sponda dell’Adriatico, qualche facoltà universitaria a Bari. Per un albanese andare a Bari è cosa da niente per tempo e spesa ; andare a Napoli diventa già per molti un viaggio che dà pensiero.
63C’est ce plan, peu ou prou, qui est mis en place dans l’entre-deux-guerres, avec la création en 1925 de « l’Université de Bari Benito Mussolini » et en 1929 de la Fiera di Levante210. En attendant la réalisation de ces desseins grandioses, l’urgence consiste à sillonner le pays, car « L’Austria conosce il paese meglio di noi, perchè vi manda un numero di emissari molto superiore al nostro ». Egidi recommande donc de multiplier les voyages de commerce et de tourisme, voire de financer un reportage illustré. Il se propose de guider une nouvelle mission d’exploration agronomique et géologique, et d’entreprendre une cartographie à échelle fine en vue de se passer de la carte austro-hongroise au 1:200.000e. Dans ce but, le major a lui-même cartographié le çiflik d’un latifondiaire ami de l’Italie, Gemil Bey Vlora, au 1 :5000e. Indubitablement, son expérience africaine l’a marqué : « Un buon medico ben fornito di medicinali potrebbe accompagnare la commissione mineraria ; in quei paesi, come in Africa, l’opera sua sarebbe utilissima per rendere bene accetto il nome italiano ».
8.2.6.2. Les Italo-Albanais
64« Io mi sono valso e mi varrò largamente in avvenire di un mezzo di cui nessuna altra potenza può disporre : degli italo-albanesi, forza poderosa di 200 mila individui che parlano agli albanesi dell’altra sponda in nome della patria e nella loro lingua »211. Parmi les lignes directrices de la politique albanaise que San Giuliano présente à Giolitti au printemps 1913, figure le recours aux 100 à 200 000 Arbëresh d’Italie du sud. Depuis le milieu du XIXe siècle, les communautés italo-albanaises ont activement participé au mouvement national albanais (supra, chap. 5), et nous avons évoqué le rôle de la Società Nazionale Albanese, qui le 20 février 1913 expédie d’ailleurs une adresse à Giolitti au nom des « Italo-albanais de Rome »212. Manifestement conscients de leur valeur aux yeux de la Consulta, les Italo-albanais n’hésitent d’ailleurs pas à agir en groupe de pression, utilisant la forme de mobilisation classique de l’adresse au gouvernement par télégramme213. Entre le 7 février et le 2 mars 1913, alors que l’Albanie semble menacée de disparition, le président du Conseil Giolitti reçoit ainsi les appels à une intervention militaire italienne de la part des « comités albanais » regroupant associations et notabilités des localités méridionales suivantes : Campomarino, Casalvecchio di Puglia, Castroregio, Castrovillari, Gizzeria, Greci, Lungro, Naccarito, San Cosmo Albanese, San Costantino Albanese, San Demetrio Corone, Spezzano Albanese214. Le dernier, en date du 9 février, est éloquent par sa capacité à situer l’hypothétique intervention italienne dans le cadre d’un long Risorgimento italo-albanais, cimenté à la fois par le libéralisme politique et par la parenté ethnique pélasgienne :
Autorità comunali cittadinanza popolo spezzanese mentre acclamano festosamente manipolo di prodi reduci guerra libici protestano contro feroce insania slavi greci che uniti ibrido connubio massacrano donne fanciulli vecchi inermi madrepatria Albania implorando ansiosi patrio italico governo intervento armato debellare barbarica iattanza salvare ultime reliquie stirpe pelagische difendendo diritti umani integrando opera politica civile italiana iniziatasi riconoscimento indipendenza albanese. Sindaco Mortati Comitato Avv. Marini Dott. Ribecco Dott. Nociti Avv. Cassiani Avv. Luigi Cucci Achille Staffa Cav. Presidente Società Operaja Farmacista Marchianò Farmacista Diodati.
65Le 26 juin, ce sont les ambassadeurs des grandes puissances à Rome qui reçoivent un ordre du jour du « Comité central italo-albanais » basé à Naples et revendiquant l’affiliation des 63 « colonies » italo-albanaises d’Italie. L’association avait été fondée en 1897 sous la présidence du marquis d’Auletta, prétendant au trône d’Albanie215. En 1913, c’est désormais Francesco Mauro qui la préside. En revanche le père Gerardo Conforti, recteur du collège de San Demetrio Corone, en est toujours le secrétaire. Le comité avait envoyé un mémorandum aux puissances en janvier afin de revendiquer la création d’une grande Albanie, et proteste désormais contre la décision, imminente, d'une réduction de ses frontières par la conférence de Londres216.
66La communauté italo-albanaise constitue un atout précieux pour la diplomatie italienne, le seul certainement dont l’Autriche-Hongrie ne puisse disposer, même si elle essaie de s’appuyer sur sa petite colonie de Borgo Erizzo en Dalmatie217. Toutefois, ce n’est pas la masse italo-albanaise que San Giuliano cherche à utiliser. Il y voit plutôt un vivier où puiser des compétences de terrain, à travers la connaissance de la langue et les réseaux relationnels : « Mi son valso con qualche successo dei migliori fra i nostri connazionali italo-albanesi », se flatte-t-il en exposant son plan d’action à Giolitti218. Sans doute pense-t-il à Giuseppe Schirò et Paolo Masci, qui sont chargés des missions les plus délicates sur le terrain. Le ministre caresse même l’espoir de constituer un contingent de 150 carabiniers italo-albanais à intégrer au corps expéditionnaire constitué à la fin du printemps 1913 pour occuper Scutari. L’état-major de l’Arma ne parvient cependant qu’à dénicher 17 carabiniers « familiari dell’idioma albanese ». Pour atteindre le chiffre de 150, on propose d’en sélectionner d’autres en fonction de leur expérience, dynamisme, intelligence et résistance aux fatigues219. Dans la continuité de l’affaire de Crète s’exprime ici très clairement la foi des élites italiennes dans leur capacité à disposer, dans le corps des carabiniers, d’un instrument spécifique à l’Italie et propre à discipliner de façon efficace et bienveillante les populations méditerranéennes, pour en être lui-même issu. Un besoin criant en connaissance de la langue albanaise remonte cependant du terrain quelques mois plus tard.
67Le colonel Marafini, délégué à la commission de délimitation des frontières septentrionales de l’Albanie, observe ainsi avec inquiétude la compétence en la matière des officiers austro-hongrois. Alerté, le chef d’état-major Pollio transmet au gouvernement un plan pour assurer aux officiers italiens une formation équivalente220. Encore une fois, l’Italie doit rattraper dans la précipitation le retard accumulé face à l’Autriche-Hongrie, inspiratrice permanente de sa politique albanaise. Depuis des décennies, Vienne forme patiemment des officiers aux choses albanaises via des cours académiques mais aussi des missions de terrain221. Dès lors, il s’agit de parer au plus pressé en affectant d’ores et déjà auprès du détachement de Scutari et des consulats en Albanie les quelques officiers qui connaîtraient déjà l’albanais, tout en en formant d’autres par des cours spéciaux à dispenser à l’Orientale de Naples ou bien directement à l’état-major. En dernier lieu, il s’agirait de flanquer, à l’instar de l’Autriche-Hongrie, tout voyage officiel italien en Albanie, qu’il soit savant, technique, commercial ou autre, d’officiers en vue de les former au terrain et aux « tendances politiques » de son peuple.
68Ces projets rencontrent parfaitement ceux de San Giuliano, qui répond avec enthousiasme et propose de puiser dans le vivier des officiers italo-albanais, de préférence issus de familles notables. Le ministre propose même le lieutenant Leopoldo De Rada, parent de l’illustre poète et patriote Girolamo, pour être affecté à la future légation d’Italie à Durazzo auprès du baron Aliotti222. De Rada étant mal noté pour faits d’indiscipline, ce sont finalement les lieutenants Albano Boscia, dont la famille albanophone réside à Greci dans la province d’Avellino, et Americo Andreoli, qui n’est pas italo-albanais mais reste excellent officier, qui sont envoyés à Durazzo. Afin d’identifier les officiers italiens locuteurs de l’albanais, l’état-major fait par ailleurs diligenter une enquête par les légions de carabiniers d’Ancône, Bari, Naples et Palerme, « in quei territori cioè di rispettiva giurisdizione in cui risiedono famiglie italo-albanesi »223. Les carabiniers ayant identifié les officiers italo-albanais, l’armée adresse un questionnaire aux intéressés, afin d’évaluer leur connaissance de l’albanais ou, à défaut, du dialecte arbëresh, ainsi que leurs relations en Albanie, le tout étant mis en regard de leur notation générale.
69Les résultats de l’enquête sont édifiants : sur 26 officiers italo-albanais identifiés, deux seulement parlent l’albanais d’Albanie. Le major Pietro Dramis dei Dramis est toutefois trop gradé pour exercer une simple fonction d’interprète ; quant au lieutenant-colonel Vincenzo Muricchio, originaire de Portocanone dans la province de Campobasso, nous savons qu’il se trouve déjà à Durazzo où il exerce une mission de la plus haute importance. Parmi les officiers italo-albanais, il apparaît comme la perle rare : « conosce perfettamente, parla e scrive l’albanese di Albania. Ha relazioni personali in Albania per la lunga permanenza fattavi ». De fait, à l’époque où il servait dans la gendarmerie macédonienne, il avait été remarqué et redouté par les agents austro-hongrois pour l’excellence de son albanais et l’entregent qu’il en retirait224. Les autres officiers italo-albanais font pâle figure en comparaison : ils ont une connaissance plus ou moins complète de « l’albanais d’Italie » (plusieurs semblent avoir confessé ne connaître que le dialecte local, ce qui est plus vraisemblable), et ne mentionnent que rarement des relations en Albanie, ce qui n’a rien de surprenant, tant l’idée d’une continuité transadriatique entre Albanais et Italo-albanais reste une fiction intellectuelle et politique.
70Quatorze ans après la création de la chaire d’albanais au Reale Istituto Orientale de Naples, l’état-major décide donc d’y inscrire un petit nombre d’officiers à compter de l’année académique 1914-1915225. On le voit, le patrimoine institutionnel et humain dont peut disposer l’Italie en vue d’une politique d’influence en Albanie ne semble guère avoir été mobilisé de façon systématique avant le coup d’accélérateur de 1913-1914.
71Il en va de même dans le domaine de l’action religieuse, pour laquelle la présence, parmi les Italo-albanais, d’une Église gréco-catholique semble pourtant constituer un atout. En février 1913, Antonino Di San Giuliano commande à l’ambassade d’Italie à Vienne un récapitulatif des traités fondant le Kultusprotektorat autrichien sur l’Albanie226. Dans son plan d’action en Albanie du printemps 1913, San Giuliano envisage de s’attaquer à ce qu’il considère comme le cœur (fulcro) de l’influence austro-hongroise : la prépondérance auprès du clergé catholique (supra, chap. 3). Il s’agit pour cela de fédérer les institutions religieuses italiennes susceptibles de contribuer à la formation d’un clergé national albanais affranchi du protectorat séculaire de Vienne227. L’idée de San Giuliano est d’installer un séminaire italo-albanais dans l’antique Collegio Corsini, fondé en 1732 par le pape Clément XII dans la localité calabraise de San Benedetto Ullano, et inoccupé depuis 1794, date à laquelle les activités didactiques ont été transférées au monastère basilien Sant’Adriano situé à une quarantaine de kilomètres, à San Demetrio Corone (supra, chap. 5)228. Le collège ayant été laïcisé à la faveur de l’Unité, n’y demeure qu’un évêque ordinant rétribué par le ministère des Cultes, si bien que l’ancien siège de San Benedetto, propriété domaniale, est vide. San Giuliano entend faire converger sur ce site les efforts alors dispersés entre le collège illyrien de la Sainte Maison de Lorette, qui accueille une douzaine de jeunes séminaristes albanais, et les basiliques palatines des Pouilles. Ces institutions religieuses dynastiques richement dotées accordent en effet des secours pour les malades albanais venus se faire soigner à Bari, et même une bourse d’études commerciales. San Giuliano ne semble pas avoir connaissance de la présence à Valona des basiliens de l’abbaye de Grottaferrata, mais croit pouvoir compter sur le soutien de la Propagande de Rome en raison du caractère pontifical de la fondation de 1732. En dépit du soutien de Giolitti et du ministre de la Grâce, de la Justice et des Cultes, Camillo Finocchiaro Aprile, l’initiative ne semble pas avoir eu de postérité, du moins du côté de l’État italien. En revanche, la Curie romaine crée en 1919 l’éparchie de Lungro, également située en Calabre, 18 ans avant celle de Piana dei Greci (puis degli Albanesi) en Sicile, l’œuvre de prosélytisme auprès des Albanais de rite byzantin étant confié aux moines de Grottaferrata229.
72Le collège italo-albanais de San Demetrio Corone ne parvient donc pas à se constituer en pôle unique d’influence culturelle et religieuse en Albanie. Ce séminaire, laïcisé au cours du XIXe siècle, est pourtant érigé, en 1903, en « Institut international albanais » par l’inspecteur des écoles Angelo Scalabrini, dans le but d’attirer des étudiants albanais auprès du lycée-gymnase de l’école normale et de l’école technique agraire qui le composent désormais. Anselmo Lorecchio, qui est l’un des promoteurs les plus actifs de l’initiative, compte sur l’environnement arbëresh de San Demetrio pour favoriser les recrutements outre-Adriatique. À vrai dire les étudiants albanais ne semblent avoir été qu’une poignée : sept en 1904-1905, tous boursiers du ministère italien des Affaires étrangères230. En outre, derrière les discours auto-célébratifs des responsables, semble se cacher une réalité moins reluisante, si l’on en croit, du moins, le témoignage du major Egidi dans son rapport de novembre 1913 :
Ho potuto constatare che le famiglie albanesi mandano mal volentieri i loro figli a S. Demetrio Corone, e questo sia per la distanza, sia perché la fama dell’istituto è più cattiva che buona. Questo mi è stato confidato da diverse persone serie ed istruite, aliene da pettegolezzi e senza che una sapesse dell’altra. Non mi hanno specificato accuse, ma la concordia delle voci fa sospettare che qualcosa possa effettivamente esistere che alieni da quell’istituto la gioventù231.
73Le jugement est certainement sévère, car plusieurs membres de la future élite albanaise sont passés par San Demetrio, en tant qu’élèves (Avni Rustemi, Luigj Gurakuqi) ou enseignants (Aleksandër Xhuvani)232. La réserve de soft power que peut représenter la communauté italo-albanaise trouve néanmoins ses limites dans la position marginale de cette dernière, enclavée dans un midi ultra-périphérique, et dans la faiblesse et la dispersion des moyens consacrés à la politique albanaise de l’Italie. L’urgence et les circonstances contraignent cependant l’Italie à recourir, pour la première fois, au hard power à la lisière méditerranéenne des Balkans.
8.3. Les occupations : le Dodécanèse et Valona
8.3.1. Le gouvernorat militaire du général Ameglio dans le Dodécanèse
74En mai 1912, l’Italie, incapable d’emporter la décision en Tripolitaine et en Cyrénaïque, élargit le conflit en saisissant l’archipel égéen du Dodécanèse. Sur le plan diplomatique, le sort de ces îles est longtemps très incertain, en raison notamment de l’indécision de San Giuliano en la matière. Si les autres puissances avaient respecté le statu quo territorial dans les Balkans, le ministre, foncièrement philhellène, n’aurait eu aucune difficulté à céder les îles à la Grèce. Elles deviennent toutefois, au cours des longues discussions diplomatiques qui suivirent les deux conflits balkaniques, une monnaie d’échange commode, tant vis-à-vis de la Turquie en Libye que de la Grèce en Albanie233.
75Plus encore qu’en Libye, les Italiens s’installent dans le Dodécanèse sans disposer d’un quelconque plan d’occupation, qui n’était pas prévue lorsque la guerre a été déclarée. Comme en Libye et comme plus tard à Valona, c’est une administration militaire coiffant des services civils qui se met en place. Le 13 mai 1912, le général Ameglio, commandant les troupes d’occupation, se félicite auprès de Giolitti de ce que l’administration ait été rétablie dans les 24 heures234, certainement en raison du souvenir très récent de l’anarchie qui a suivi la prise de Tripoli235. Il faut dire que dans un premier temps l’arrivée des Italiens ne dérange ni les Grecs, qui espèrent une union rapide à la Grèce, ni les Ottomans, qui croient au contraire, et à raison, que la présence italienne préservera les îles des appétits territoriaux d’Athènes236. Comme en Libye précédemment et en Albanie ultérieurement, les occupants insistent sur la nécessité de prendre des mesures immédiates pour conjurer le désordre. À Tripoli, le pouvoir est d’onction militaire : l’Amiral Favarelli, qui commande la flotte d’invasion, nomme le contre-amiral Borea-Ricci gouverneur de la ville237. Après quelques semaines d’hésitation, c’est l’Ufficio politico-militare qui concentre l’essentiel des pouvoirs, un Ufficio civile étant cependant confié au juriste Domenico Caruso Inghilleri238. À Rhodes, c’est le général Ameglio qui endosse les fonctions de gouverneur. De même qu’à Tripoli, le consul général Carlo Galli a, pendant quelques semaines, dirigé les affaires civiles239, à Rhodes le général Ameglio nomme, dès le 5 mai 1912, le consul général Gino Macchiorò Vivalba « R[egio]. Commissario per l’amministrazione dell’isola », lui déléguant, « sotto i [suoi] ordini », la gestion des affaires civiles240. Comme Galli, Piacentini ou Lodi Fè, Macchiorò Vivalba fait partie de ces consuls qui sont aussi des agents d’empire, puisque ce Triestin qui a opté pour la nationalité italienne est aussi gouverneur par intérim en Somalie avant d’être affecté à Rhodes241. Le Commissario per l’Amministrazione dei Servizi Civili y supervise progressivement toutes les autorités civiles : administrations, tribunaux, municipalité242. Les militaires conservent cependant d’importantes prérogatives : ce sont leurs tribunaux qui connaissent les causes les plus importantes, et surtout la vie quotidienne est progressivement régie par quantité de règlements et décrets. Comme à Valona, l’absence de résistance ouverte à l’occupant incite toutefois ce dernier à reconduire la plupart des employés administratifs locaux, seuls les fonctionnaires ottomans liés au Comité Union et Progrès étant épurés243. De même, les institutions coutumières sont de préférence maintenues.
76Les Italiens sont ainsi d’une grande prudence vis-à-vis des institutions religieuses locales. Aussi recourent-ils de façon modérée aux services pourtant offerts de façon insistante par l’Associazione nazionale per soccorrere i missionari Italiani (ANSMI, voir supra, chap. 3). La lunga manus des catholiques conciliateurs est ainsi pleinement associée aux négociations de paix italo-turques244. Antonino Di San Giuliano souhaite laisser carte blanche à l’ANSMI en Libye, qui a dans son esprit vocation à rester sous domination italienne. Il n’en va pas de même pour le Dodécanèse, où l’ANSMI a pourtant entrepris d’implanter ses activités dès les premiers moments de l’occupation. Son président, Ernesto Schiaparelli, obtient que des salésiens et des sœurs d’Ivrée (« Rappresentanti di due Comunità che l’Associazione tiene completamente nelle sue mani ») soient envoyés à Rhodes, officiellement comme aumôniers et infirmières militaires, officieusement comme propagateurs de l’influence italienne. Dans l’esprit de Schiaparelli, il faut profiter de l’occupation pour implanter des écoles italiennes : « [Le nostre scuole] sono non solo aperte a tutti, ma sono anzi particolarmente frequentate ovunque da musulmani, israeliti, eretici di ogni maniera, che vi trovano, insieme ad una educazione ottima per ogni riguardo, il più assoluto rispetto dei loro sentimenti religiosi »245. Quel que soit le sort futur de l’archipel, l’italianité y serait ainsi encouragée, sans que les missionnaires de l’ANSMI, qui est une association privée, ne soient soumis à la juridiction religieuse française, et cela sans que le gouvernement italien soit lui-même directement impliqué.
77Parmi les nouvelles possessions italiennes de Méditerranée, Rhodes se distingue par la place dévolue à la mise en valeur du patrimoine archéologique. Dès décembre 1912, le ministre de l’Instruction publique représente à San Giuliano la nécessité d’entreprendre des fouilles : l’occupation étant alors considérée comme provisoire, il importe d’en retirer rapidement les bénéfices archéologiques246. Malgré l’opposition du général Ameglio, qui veut ménager la susceptibilité ottomane pour des raisons politiques, malgré aussi celle des Grecs et des archéologues danois déjà présents dans l’île qui crient au pillage, un service de « conservazione dei monumenti di Rodi » est confié à un lieutenant du génie, Giacomo Biondi247. Rapidement, cependant, les archéologues professionnels arrivent dans l’archipel : en mai 1912, Giuseppe Gerola est mandaté par la Direzione Generale delle Antichità e belle Arti pour rééditer l'œuvre d’inventaire des monuments qu’il avait pu réaliser en Crète248. La Scuola archeologica di Atene envoie, quant à elle, quelques uns de ses élèves dans l’intérieur ainsi qu’à Rhodes même249. Pour résoudre les frictions avec les militaires, accusés de pratiquer des restaurations destructrices dans un unique but de glorification nationale, et face aux accusations internationales de pillage, une mission archéologique est créée en mars 1914 et confiée à Amedeo Maiuri. Le 23 septembre 1914 est fondé le Museo storico-archeologico, qui est ouvert au public le 1er janvier 1915. 1914 voit aussi le début d’un vaste programme de restauration du patrimoine médiéval à travers la coopération des archéologues et du génie militaire.
78On le voit, l’administration militaire du Dodécanèse est marquée, dès ses débuts, par de grandes ambitions. Le général Ameglio est d’ailleurs l’auteur d’un plan d’occupation mal dissimulé derrière une enquête statistique réalisée par les officiers italiens250. C’est un modèle d’organisation administratif inspiré du protectorat britannique à Chypre qui est proposé. Tout l’enjeu est de dissocier le Dodécanèse de la Grèce, afin d’en faire un tremplin économique vers l’Asie mineure, une idée très répandue dans les milieux expansionnistes italiens251. Il s’agit de faire de Rhodes une plate-forme industrielle et logistique, traitant les matières premières de l’Orient méditerranéen et les réexportant sous forme de produits manufacturés. L’industrialisation étant, pour Ameglio, la condition du développement agricole de l’île, il faut se garder dans l’immédiat de céder au mirage d’une colonisation agricole venue d’Italie, quoiqu’en disent les publicistes, et créer de toute pièce un port franc, une idée en vogue qui concerne aussi Antivari252 et Bari (voir supra). On peut d’ailleurs se demander si Ameglio n’a pas en tête le modèle d’Antivari-Marghera, qui inspire au même moment les projets de construction d’un port moderne à Antalya253.
79Tournée vers l’Orient, bénéficiant d’une prospérité nouvelle grâce aux – hypothétiques – investissements italiens, Rhodes se détournerait alors de la Grèce. Pour Ameglio, la communauté grecque de l’île a en effet hérité de l’occupation ottomane un nationalisme outrancier, inculqué par des lettrés formés à Athènes et par un clergé qui tient la paysannerie à sa main. Quoique le peuple grec soit, d’après Ameglio, naturellement enclin à la jactance et à l’argutie, un occupant décidé et organisé peut le détacher du royaume de Grèce254. Les moyens d’un tel programme sont les suivants : des écoles laïques, dont certaines dévolues à l’enseignement de la langue italienne ; une Église indépendante du patriarcat de Constantinople, dont les évêques seraient nommés par l’administration italienne. Enfin, un bon gouvernement, capable d’assurer la prospérité générale. Pour Ameglio, l’occupant peut compter sur les « éléments d’ordre » que constituent les musulmans et les juifs. Propriétaires fonciers pour les uns, commerçants et banquiers pour les autres, ils sont perçus comme industrieux et respectueux des lois, peu enclins à la politique pourvu qu’on leur permette de vaquer à leurs affaires. Ameglio note en outre que le départ des Italiens aurait sans doute des conséquences néfastes pour les communautés non-grecques – très certainement une réminiscence de l’expérience crétoise.
80Derrière ces projets de développement se cache la réalité d’une crise économique profonde en dépit d’une tranquillité enviable par rapport aux autres régions concernées par l’effondrement de l’Empire ottoman255. La guerre de Libye puis les guerres balkaniques ayant coupé le Dodécanèse de ses approvisionnements en céréales dans l’Empire ottoman, les autorités italiennes font face à de graves pénuries alimentaires. L’armée met en place un service d’annone, consistant à distribuer de la farine aux pauvres et aux écoles, ou encore à prélever dans ses stocks pour vendre à bas prix256. Entre janvier 1913 et août 1914, les circuits commerciaux avec l’Asie mineure sont rétablis. Toutefois, l’entrée en guerre de l’Empire ottoman les interrompt de nouveau, de sorte qu’en 1915, le Dodécanèse doit être approvisionné en farines depuis l’Italie257. Une situation très semblable existe en Albanie, précipitée dans la crise alimentaire par le cycle de guerres commencé en 1911-1912. Avec le départ de l’Autriche-Hongrie et des autres puissances en août 1914, c’est l’Italie qui doit assurer l’approvisionnement des principales villes en farines, sous peine de voir son prestige s’effondrer258. Ses consuls deviennent de véritable préfets de l’annone, et en retirent une autorité considérable auprès des commissions municipales qui ont émergé du vide du pouvoir consécutif au départ du prince de Wied. Comme dans le Dodécanèse, le ravitaillement n’est pas assuré par les autorités italiennes mais par des grossistes privés qui entretiennent des relations équivoques avec les premières. En Albanie, il faut payer des mancie (pourboires) aux consuls, aux employés du ministère du Commerce et à ceux des douanes259. À Rhodes, les grossistes traitent magnifiquement les officiers italiens, qu’ils font adhérer au Circolo Italia pour sa sociabilité luxueuse, en vue de faciliter l’obtention des permis260. Enfin, en Albanie comme dans le Dodécanèse, la nécessité, politiquement cruciale, d’approvisionner les populations en blé se heurte à la mesquinerie des petits bureaucrates, qui multiplient les tracasseries sans se soucier des desseins impériaux. Reste que dans le Dodécanèse, les opérations sont d’une toute autre ampleur qu’en Albanie, où l’Italie ne contrôle, à partir de décembre 1914, que le petit port méridional de Valona.
8.3.2. Valona, un mutesarif albanais sous occupation italienne
81C’est dès la crise du printemps 1913 que le gouvernement italien envisage la saisie de Valona, malgré les doutes de Giolitti261. En mai, Antonino Di San Giuliano le note : si l’Italie occupe Valona, elle doit absolument éviter de répéter les erreurs commises à Tripoli (voir supra). Il est vrai qu’en Libye, les troupes avaient été laissées sans consignes claires262. À Valona la situation est à la fois plus facile et plus complexe qu’à Tripoli. Ici, aucune armée organisée à défaire ; pour autant, l’action doit être suffisamment modeste pour que les puissances avoisinantes n’en tirent pas prétexte à une action militaire d’envergure, même si Grecs et Serbo-monténégrins ne se privent pas d’agir plus ou moins discrètement263. Surtout, comme la Tripoli de 1911 dont les faubourgs étaient peuplés de populations rurales déracinées, Valona est un chaudron avec ses réfugiés installés parfois depuis 1912, et surtout depuis l’invasion du sud de l’Albanie par les bandes gréco-épirotes à l’été 1914264. Comme le note un voyageur français, « non contente d'être sans grâce, Valona est aussi sans salubrité ; elle est entourée de marécages et la malaria sévit265 ». Le publiciste italien Azzarita, en revanche, vante les attraits économiques de la bourgade, comme ses confrères ceux de Tripoli :
Il commercio e l’industria italiana, dunque, possono lavorare tranquillamente a Vallona, dove troveranno agenzie delle società di navigazione italiane, di alcune case di esportazione, di qualche impresa di costruzione, un grande albergo italiano, un ufficio postale, delle scuole maschili e femminili, una società operaia di beneficenza, circa 230 italiani fra operai, commercianti, impiegati e professionisti, e un console, il cav. Domenico Defaccendis [sic], giovane, attivo, molto popolare fra la popolazione indigena. Vallona è scalo frequentato da tutti i piroscafi di tutte le bandiere dell’Adriatico e del Mediterraneo ed è centro di una vasta regione dove crescono e fruttificano l’olivo e le altre culture nostre meridionali, e dove convergono i centri dell’interno quali : Fieri, Berat, in parte Elbassan, Tepeleni, Ducati e tutta l’altra miriade di paesi e villaggi circostanti266.
82Même si le port albanais est beaucoup plus modeste que la capitale de la Tripolitaine, il convient de s’assurer que le corps expéditionnaire italien, absolument symbolique, pourra s’installer sans craindre une véritable opposition armée. Dès lors, si l’opération se déroule, du strict point de vue militaire, en quelques heures, elle est précédée d’une longue préparation diplomatique et politique.
83Le site de Valona était connu par des missions de reconnaissances opérées par la marine et l’armée dans les premières années du siècle ; les plans élaborés prévoyaient cependant des actions d’envergure à partir de l’ensemble des ports albanais267. Le 26 septembre 1914 a lieu une réunion autour du président du Conseil Salandra. On y décide d’envoyer à Valona un régiment d’infanterie et une batterie, « al solo scopo di inalberarvi la bandiera italiana per fare una affermazione di possesso »268. Le chef d’état-major, le lieutenant-général Cadorna, cherche à limiter au maximum l’ampleur du corps expéditionnaire, afin de ne pas distraire de troupes d’une éventuelle mobilisation générale en vue d’une intervention dans la guerre européenne :
Occorre che il piccolo corpo di spedizione trovi la popolazione di Vallona assolutamente favorevole e che si abbia inoltre l’assoluta certezza che non avverrà un attacco delle città da parte di bande epirote o di insorti albanesi, poiché, data la struttura del terreno, non è possibile, con così poche forze, costituire una testa di sbarco con efficienza difensiva tale da garantire la onorata permanenza della nostra bandiera e la nostra presa di possesso di Valona269.
84Dès lors, Cadorna recommande la saisie par la marine de l’îlot de Saseno (Sazan) qui clôt la baie de Valona270. Cette petite opération permettrait une prise de possession symbolique sans pour autant mettre en danger les troupes, et offrirait même la possibilité d’un incident austro-italien si l’on voulait disposer d’un prétexte pour l’Intervention. San Giuliano s’assure que ni l’Entente, ni les empires centraux, qui courtisent également l’Italie, ne s’opposeront à ses plans, mais meurt de maladie le 16 octobre. Le président du Conseil Antonio Salandra, qui prend l’intérim des Affaires étrangères, maintient cependant le projet d’occupation. Le 30 octobre, Saseno est occupé, et la veille une « mission sanitaire » est débarquée à Valona même, en vertu de trois arguments : premièrement, l’Italie demeurée neutre conduit seule le mandat sur l’Albanie que le concert s’est auto-attribué lors de la conférence de Londres ; en outre, des raisons « humanitaires » conduisent l’Italie à porter secours aux populations de l’Albanie méridionale affligées par la guerre civile ; en troisième et dernier lieu, il s’agit de garantir la sécurité sanitaire des côtes apuliennes menacées par la propagation des épidémies271.
85Au sein de la sphère de décision italienne, cependant, les avis sur la suite à donner sont extrêmement divers. Nous avons dit l’opposition résolue de Cadorna à une intervention militaire en Albanie. Salandra et son nouveau ministre des Affaires étrangères, Sidney Sonnino, entendent en revanche soutenir le projet d’occupation de Valona, avec le soutien de l’ambassadeur à Paris Tittoni et, sur le terrain, du consul Lori272. À la mi-décembre, cette ligne reçoit, face aux militaires, le soutien du roi qui y voit la possibilité d’une politique dynastique dans les Balkans273. Parmi les ministres, seuls ceux de la Guerre et de la Marine sont informés274.
86Toutefois, une troisième ligne, favorable à une intervention plus massive en Albanie, existe également, et elle provient du cœur de la politique italienne sur le terrain. Depuis la Légation d’Italie à Durazzo, le ministre Aliotti persiste à mener sa propre politique avec l’appui de son partenaire albanais Esad Pashë Toptani : le ministre cherche à susciter un appel des Albanais en faveur d’une intervention italienne au sud mais aussi au nord du pays. Le 4 novembre, le consul Lori et le contre-amiral Patris écrivent, furieux, à Rome : Aliotti aurait organisé l’envoi de 500 partisans d’Esad à Valona, où ils se livrent à des pillages et arrêtent les notables. À l’évidence, le diplomate s’est laissé berner par Esad, dont les menées sont parfaitement nuisibles aux projets italiens275. Dans une note de synthèse rédigée pour le nouveau ministre des Affaires étrangères, Sonnino, Esad est d’ailleurs accusé d’œuvrer pour l’Autriche-Hongrie et l’Empire ottoman276. De façon plus anecdotique, à la même époque le ministre du Commerce Vittorio Cottafavi transmet à Sonnino et Salandra un rapport anonyme dû à un « noto pubblicista », dans lequel on affirme que Scutari se trouve dans un tel état d’anarchie que la population accueillerait les Italiens en libérateurs277. Le mémoire exhorte à rompre avec la politique de l’argent dépensé en vain (comprendre : celle de San Giuliano) au profit d’une action immédiate. Connaissant d’une part les liens troubles entre Cottafavi et les frères Baldacci278, d’autre part la présence de Giovanni à Scutari, d’où il informe la Consulta, il est permis de penser que c’est des Baldacci qu’émane cet appel, sèchement repoussé par Salandra.
87En dépit de ces exhortations maladroites à agir vite et fort, le gouvernement poursuit l’organisation méthodique d’une opération qu’il entend bien limiter à Valona. Le transport du corps expéditionnaire est organisé au début du mois de novembre, par le transfert de Naples à Brindisi et Bari de quatre navires de transports initialement destinés à l’approvisionnement des troupes de Libye, et dont on prolonge la location à grands frais279. Sur place, le débarquement est préparé au consulat, où le titulaire, Cesare Lori, agit en concertation avec le contre-amiral Patris qui depuis le navire Dandolo, ancré à Valona, commande la « division spéciale » croisant dans les eaux albanaises. Le consulat noyaute une commission municipale mise en place à Valona pour distribuer les secours aux réfugiés ; aux notables qui la composent, on représente qu’une occupation italienne aurait pour seul but le rétablissement de l’ordre et serait une garantie de sécurité pour les biens et les personnes280.
88Sonnino profite du passage à Rome de Carlo Galli pour lui communiquer ses instructions à Aliotti et Lori281. Au consul à Valona, il appartient de provoquer un incident, de façon à ce que la commission municipale puisse appeler l’Italie à l’aide. Le capitaine Castoldi, de l’Ufficio Albania, suggère même d’utiliser les réfugiés pour faire pression sur la commission. Quant à Aliotti, il devra s’assurer qu’Esad ne viendra pas en aide à la commission de Valona si elle fait appel à lui. C’est toutefois avec difficulté que Sonnino parvient à se faire obéir des deux fonctionnaires : Aliotti persiste dans ses combinaisons avec Esad et dans son projet d’un appel à l’occupation du pays entier282. Lori ne croit pas, quant à lui, aux chances de réussite du plan de Sonnino en raison des oppositions sur place, et recommande une intervention massive, par l’envoi de 8 à 10 000 hommes chargés de contrôler Valona et son territoire jusqu’à la Vjosa et l’Épire, et par le déploiement de navires à Durazzo à Scutari283. Carlo Galli penche de même pour une occupation étendue ; arrivé le 17 à Valona, il gagne Durazzo où il paraît avoir répété les consignes du ministre à Aliotti284. Sonnino doit donc donner des ordres positifs pour que seule la ville de Valona soit occupée, selon les modalités prévues. Le 22 décembre, Lori câble le message suivant :
Stasera stessa, per mezzo persona fidata, ho dato disposizioni per incidente. Avverto V. E. che questo non potrà prodursi domani stesso, occorrendomi un poco di tempo per organizzarlo e dovendo servirmi di un gruppo di profughi di Kurvelesci, gente risoluta, i quali sono accampati a qualche [kilometro] da Valona. Loro capo, chiamato stanotte, sarà qui nella mattinata ; gli farò dare istruzioni e danaro da persona sicura.
In Valona non troveremmo elementi abbastanza fidati, numerosi e audaci285.
89Le jour de noël, Sonnino communique aux ambassadeurs auprès des grandes puissances les éléments de langage, comme nous dirions aujourd’hui, quant aux raisons de l’intervention italienne286. L’Italie a répondu à un appel à l’aide lancé le 20 par le gouvernement albanais de Durazzo face aux désordres à Valona (ici les intrigues d’Aliotti auprès d’Esad, qui tient Durazzo, semblent tout de même avoir eu leur utilité). Le 25, des coups de feu ayant retenti à Valona, la colonie italienne s’est réfugiée au consulat, le consul Lori demandant à l’amiral Patris de débarquer les fusiliers marins du Sardegna. L’intervention est provisoire, limitée à la ville, et s’inscrit dans le cadre des accords de Londres de 1913287. Voilà pour la version officielle.
90Le 29, c’est le 10e régiment de bersagliers, détaché du XIe Corps d’Armée stationné à Bari, qui est débarqué, puis renforcé au début du mois de janvier 1915 par le 1er régiment de bersagliers. Le « corps d’occupation », dirigé par le colonel Emanuele Mosca, ne compte alors que 2000 hommes environ288. C’est donc une opération bien modeste, tenable militairement uniquement parce que des accords politiques avec les puissances environnantes ont été prises. Il est donc exagéré d’affirmer que l’Italie contrôle les deux rives du canal d’Otrante289. En vérité, elle empêche surtout la Grèce de s’en approcher.
91La présence italienne à Valona est absolument méconnue : dans la mesure où la ville est perdue dès 1920, une certaine perspective téléologique a amené l’historiographie à s’en désintéresser. Pourtant, en 1915, la présence italienne à Valona n’est pas plus précaire qu’à Rhodes, Tripoli ou Benghazi et les cinq années d’occupation peuvent être comparés à celles de l’Éthiopie de 1935 à 1941. Comme à Tripoli et à Rhodes, une administration militaire est mise en place. Sous l’autorité du commandant de la division navale, le contre-amiral Patris, le gouvernement de Valona est confié au colonel Emanuel Mosca, qui installe son état-major dans le château byzantin situé sur la hauteur de Kanina290. L’administration militaire se fait en concertation avec le consulat d’Italie, et derrière lui l’administration des Affaires étrangères ; en effet, Valona demeure un territoire étranger. C’est le 5 janvier 1915 que Mosca reçoit les instructions relatives à l’administration de la ville291. Elles sont le fruit de quelques hésitations, Sonnino ayant d’abord préconisé d’écarter tout le personnel administratif local « non fiable » ou lié au gouvernement de Durazzo292. Aliotti obtient cependant qu’on n’en fasse rien pour éviter une explosion de mécontentement, et Sonnino donne à Patris consigne de ménager l’administration locale293.
Criterio di massima concertato, eseguito poi nella pratica esecuzione, fu quello di adattare insensibilmente le varie istituzioni locali alle nostre norme e consuetudini, evitando bruschi passaggi che avrebbero urtato abitudini e sentimenti senza forse raggiungere lo scopo prefissoci, di esercitare su tutte le manifestazioni della vita pubblica un controllo, una direzione effettiva, salvaguardando però quelle forme alle quale queste popolazioni tengono moltissimo, sì da apparire anzichè come nuovi padroni, collaboratori e dirigenti disinteressati294.
92Le cadre du mutesarif, prévu par le statut organique de l’Albanie et appelé par les Italiens « préfecture », est conservé. Son titulaire, « Osman Effendi, persona di non grande elevatura, ma docile strumento alla nostra volontà », reste en fonction, tout comme à Tripoli le maire Hassuna Pacha Caramanli est maintenu en tant que « chef arabe » et non en tant qu’autorité municipale295, et à Rhodes Sava Paulides l’est « per gravi ragioni di convenienza politica », tout en étant flanqué d’un commissaire italien296. De même, dans la coquille albanaise du mutesarif se logent deux bureaux créés et contrôlés par les Italiens.
93L’Ufficio politico e degli affari generali est dirigé par le capitaine Fortunato Castoldi, qui confond explicitement cette structure avec la préfecture297. Les affaires générales sont confiées à Paolo Masci, dont nous savons qu’il est l’un des hommes de confiance de la Consulta pour les affaires albanaises. Promu capitaine le 5 janvier 1911, Castoldi embarque pour la Libye le 12 octobre de la même année, où il sert à l’Ufficio politico de Tripoli jusqu’en décembre 1912. Créé fin 1911, ce bureau est chargé de l’espionnage et du renseignement, des relations avec les chefs locaux et avec la population, et de l’étude des archives ottomanes298. Notons qu’en Italie même, la création d’un Ufficio politico chargé des affaires sensibles au ministère de l’Intérieur remonte à 1880, dans le cadre de la réorganisation de la police consécutive à l’attentat de Passannante299. Pour son action en Libye, Castoldi reçoit la croix de Chevalier de l’ordre militaire de Savoie, comme le rappellent ses états de service :
[All’Ufficio politico contrasse] esaurimento nervoso conseguente alle fatiche sostenute a causa dell’eccessivo e complicato lavoro durante il quale dové superare difficoltà di ogni genere per le molteplici e delicate mansioni affidategli nel suddetto periodo di tempo. […]
Seppe talvolta anche con serio rischio della vita procurare al Comando utili informazioni sul nemico. Svolse opera veramente preziosa nelle trattative coi turchi, ma ancor più in quella cogli arabi. Profondo conoscitore dell’ambiente, di rara sagacia, egli fu un collaboratore efficacissimo del Comando. Pieno di zelo ebbe gran merito nella buona riuscita delle trattative stesse300.
94Le 12 mars 1913, il est décoré de la grand-croix de l’Ordre des Saints-Maurice-et-Lazare, puis rapatrié en avril. Le 5 juillet 1913, il se trouve « comandato al Ministero Affari Esteri » ; son dossier au bureau du personnel des Affaires étrangères n’en indique pas la raison, toutefois on sait que c’est pour être affecté à l’Ufficio Albania de création récente mais officieuse. Le dossier est de même muet sur ses activités, bien qu’on sache qu’il fut notamment membre de la commission de délimitation des frontières méridionales de l’Albanie, conseiller privé du prince de Wied d’Albanie et chef du bureau politique de Valona à l’occupation de laquelle il concourt en assistant le consul Lori dans le montage de l’incident301. Aussi épuisante qu’elle ait pu être, son expérience à l’Ufficio politico de Tripoli lui est extrêmement utile à Valona :
In tutto il campo [amministrativo] poi, converrà prender norma da quanto regola già tutta questa materia nella Libia, che per moltissimi punti se non per tutti, può essere adottato anche per l’Albania ; basti pensare che l’una e l’altra non erano infatti che provincie ottomane, rette da leggi e da funzionari ottomani302.
95Castoldi est donc partisan de renforcer les éléments administratifs locaux et d’en reconduire les pratiques, en vue notamment de restaurer Valona comme mutesarif albanais parmi d’autres, afin de restaurer les communications avec le reste du pays en d’en retirer de précieuses informations. C’est qu’il mène à Valona le même genre de missions qu’à Tripoli : surveillance politique des acteurs locaux et collecte d’informations. En Albanie, le renseignement est transmis à l’état-major local sous la forme de bulletins réguliers, l’état-major de Rome faisant à son tour la synthèse de ces bulletins et de l’information collectée par les carabiniers et le consulat à Valona, mais aussi en Albanie jusqu’à Tirana, Elbasan, Fieri et l’Épire.
96Le second bureau est celui des finances, confié à un comptable militaire, le capitaine Francesco Devoto, qui a exercé des fonctions comparables pour l’administration militaire internationale de Scutari. En un mois (février), le bureau de Valona collecte 565 000 piastres (environ 25 000 francs), doublant l’encaisse de la ville. Ces nouveaux revenus proviennent essentiellement des droits de douanes. Le colonel Mosca se félicite d’avoir épuré la quasi totalité d’un personnel albanais corrompu, restaurant la confiance des habitants qui payent désormais l’impôt de bonne grâce. De la même façon, c’est à un officier ayant servi à la municipalité de Scutari, le lieutenant de vaisseau Perricone, qu’est d’abord confiée l’administration du beledié, le municipio des Italiens. L’ordre public est assuré par la gendarmerie locale, encadrée par un corps de 23 carabiniers, répartis en six stations, à Valona même, au port, sur les deux hauteurs d’Arta et de Kanina, ainsi qu’à Mifoli et Selenitza, localités situées à une vingtaine de kilomètres sur le fleuve Vjosa303. Peu de troupes sont situées à Valona même : une compagnie de bersagliers, un peloton du génie, le train, deux postes télégraphiques, la batterie et la section de mitrailleuses – en somme, le matériel lourd. Pour des raisons stratégiques et sanitaires, le reste est réparti sur les hauteurs autour de la ville, dans de petits postes et blockhaus.
97La justice pénale est exercée par un tribunal militaire, qui dans un premier temps applique le code pénal militaire italien à tous les justiciables, civils comme militaires. À la fin de l’année 1915, sur proposition du consul Lori, il reçoit compétence de tribunal pénal ordinaire304, appliquant aux civils un code « adapté aux habitudes locales »305. Le tribunal de première instance albanais, dont les compétences sont définies par l’article 162 du statut organique, est en revanche restauré dès janvier 1915 pour assurer la justice civile, et sa présidence est confiée à l’avvocato Tchaco, qui fut ministre de Wied et « noto per il suo attaccamento all’Italia » (c'est le moins qu'on puisse dire, car c'est Jorgji Çako qui mobilise les réfugiés épirotes pour le compte du consul Lori306. Quant aux douanes et services techniques, ils fonctionnent grâce à du personnel militaire italien, augmenté de quelques civils italiens et albanais.
98Dès les premières semaines de l’occupation, l’action italienne consiste en une mise en ordre coloniale : des travaux de voirie sont confiés à des entreprises privées sous la supervision des officiers du génie afin de remédier à l’absence quasi complète de routes carrossables, d’abord au port et dans la ville, puis dans le reste du caza. Dans l’esprit du commandement italien, ces travaux, conjugués au « rétablissement » de l’ordre, suscitent un « réveil » parmi la population, qui améliore spontanément son habitat, « sì che in complesso la città va guadagnando in fatto di estetica che si traduce poi in miglioramento igienico e conseguente benessere di tutti »307. La pénurie de logements et magasins, la multiplication anarchique des chantiers, notamment dans la zone du débarcadère, incitent cependant le consul Lori à proposer que Valona soit dotée d’un plan régulateur308. Ce « support administratif d’une manifestation de souveraineté institutionnelle municipale sur l’espace urbain, et parfois d’un projet politique »309, est appliqué depuis la fin du XIXe siècle aux principales villes italiennes, empire compris. Asmara est dotée du sien en 1913-1914 pour faire face à la croissance urbaine, et selon un principe de séparation des « indigènes » et des colons impensable à Valona310. Celui de Tripoli est conçu en 1912 par l’ingénieur Luigi Luiggi ; si ses ambitions sont sans commune mesure avec ce que l’on peut envisager dans une bourgade comme Valona, on y retrouve l’idée d’organiser la ville sous l’impulsion de l’État mais par l’initiative privée, à laquelle serait confiée la réalisation des infrastructures et bâtiments publics, autour desquels se développerait ensuite l’urbanisation311. Salandra accepte l'idée pour Valona, recommandant cependant de n’y envoyer qu’une mission du génie civil réduite en raison des besoins criants liés au tremblement de terre qui vient de frapper les Abruzzes, mais aussi des ratés de l’expérience tripolitaine, marquée par « une accumulation de fonctionnaires »312.
99L’autre chantier d’ampleur est celui de l’assainissement, la mission sanitaire réalisant une étude de gestion hydrique en vue d’assurer l’approvisionnement de la population en eau potable. À Rhodes, des travaux d’ampleur sont menés dès la première année d’occupation par le génie militaire pour la restauration de l’adduction d’eau, de la voirie, ainsi que de l’hôpital « in completa disorganizzazione », pour créer deux dispensaires ainsi qu’un service de nettoyage de la voirie et en règle générale pour règlementer l’hygiène quotidienne : inspection des pharmacies, des latrines, mais aussi des commerces de boissons, fruits et poissons, sous l’autorité d’un bureau de l’hygiène et de la santé commandé par un médecin militaire313. À Rhodes et à Valona comme dans d’autres opérations coloniales à la même époque314, l’action sanitaire vise à protéger le colonisateur d’un environnement naturel et humain hostile, ce qui nécessite d’éduquer les indigènes, y compris pour leur propre régénération.
È certo che in materia sanitaria qui [a Valona] è tutto da fare : l’arrivo e la permanenza di molti profughi con le loro infinite miserie è contribuito a creare un ambiente malsano saturo di miasmi d’infezione, quasi non bastasse l’indolenza e la sporcizia abitudinaria di queste popolazioni ad aumentare i pericoli di malattia delle quali la natura non fu avara colle sue acque stagnanti e con la conseguente malaria315.
100L’action sanitaire est en tout cas une marque de la supériorité du colonisateur sur le colonisé, supériorité toute relative si l’on songe aux reportages de Luigi Barzini dans les Calabres ravagées en 1911-1912 par une épidémie de choléra aggravée par « la bestiale stupefacente ignoranza » des populations. Ugo Ojetti ne manque pas, d’ailleurs, d’y trouver matière à railler les propos de Corradini sur la mission civilisatrice de l’Italie en Libye316. À Valona est envisagée l’implantation d’un élément supplémentaire du paysage urbain et sanitaire colonial, la maison close. En effet, la démographie de la ville se caractérise par sa surmasculinité (en raison de la présence des soldats italiens, qui dans le Dodécanèse également suscite une augmentation drastique de la prostitution317, mais aussi des ouvriers recrutés pour les nouveaux chantiers). La peur des maladies vénériennes peut expliquer un tel projet, de même que la crainte de tensions dans une société majoritairement musulmane où les Italiens ne sont pas en complète position de force. En mars 1915, un certain Carlo Giacomo Gorgerino, résident à Turin et « già autorizzato dal Governo Militare della Tripolitania ad esercire in Tripoli via Zanchet Buraj n. 5 casa di meretricio », écrit au ministre de la Guerre en vue d’ouvrir un établissement « nei nuovi possedimenti italiani di Vallona », et ce dans la mesure où les autorités militaires viennent d’interdire aux sujets italiens d’exercer de telles activités en Tripolitaine et Cyrénaïque318. On ne sait, cependant, quelle est la réponse de l’état-major, ni s’il prend la peine de répondre (la lettre comporte la mention manuscrite [agli] atti, « archiver », en marge). L’anecdote révèle en tout cas la circulation des modèles et des pratiques dans l’empire italien naissant. La surveillance, le contrôle et la répression des activistes hostiles à l’Italie ou considérés comme tels, qu’ils soient austro-hongrois, ottomans, grecs, albanais ou même italiens, contribue de même à dessiner un espace de circulation à la fois impérial et transnational.
8.3.3. Surveiller et punir à l’échelle impériale
101Dans le Dodécanèse, les Italiens font face à l’opposition des nationalistes grecs. Ces partisans de l’union de l’archipel à la Grèce contestent la présence italienne pendant une période relativement brève, de juin 1912 à 1914. Cette opposition s’apaise lorsqu’il devient clair que l’Italie ne rendra pas les îles à l’Empire ottoman319. Le 17 juin 1912, les comités panhelléniques se réunissent à Patmos où ils proclament un État de l’Égée, avant d’organiser, le 18 décembre, un plébiscite en faveur de l’Enosis, dont le résultat est ensuite adressé aux gouvernements des puissances. Les autorités italiennes ont toutefois la conviction que le sentiment national hellénique est très peu répandu parmi la population orthodoxe. Comme en Libye et en Albanie, l’hostilité aux Italiens est considérée comme le fait de quelques intellectuels exaltés et d’agitateurs venus de l’extérieur. Dans le cas du Dodécanèse et de l’Épire, il s’agit des « menées » grecques ; en Albanie, ce sont celles de l’Autriche, de la Serbie, et surtout des « Jeunes-Turcs », appellation fourre-tout pour désigner tout opposant à la présence italienne en pays musulman320. Ces infiltrations étrangères ne sont toutefois pas toujours de pures inventions321, de même que l’indifférence ou la crainte des populations pour une agitation politique dont elles redoutent les conséquences : l’historiographie du nationalisme a amplement démontré l’indifférence persistante de vastes pans des sociétés européennes aux entreprises de politisation, notamment dans les régions de frontières322. Cela n’exclut pas, cependant, que l’action des comités panhelléniques, albanistes ou jeunes-turcs trouve parfois un écho parmi les populations locales, ce que les agents italiens ne peuvent expliquer que par l’ignorance, la vénalité ou le fanatisme. En Albanie, certains patriotes misent tour à tour sur les Italiens et les Autrichiens, exactement comme les Italiens misent alternativement sur Ismail Qemali, Esad Pashë, de Wied et d’autres. Les Italiens qualifient néanmoins ceux qui refusent leur patronage exclusif du vocable d’« austriacanti » hérité du Risorgimento, et qui n’est pas loin de la notion de collaborateur ou traitre. Ainsi, pour San Giuliano lui-même, l’Autriche-Hongrie a-t-elle réussi à se constituer « une clientela fedele e fanatica, tale da superare, in moltissimi, anche il sentimento nazionale »323. Les catégories du Risorgimento forgées face à l’ennemi autrichien rencontrent celle, plus coloniale, du « fanatisme » musulman (mais aussi grec) : la crainte du complot aux dimensions panislamiques et panottomanes mêlées traverse les empires324.
102Dans le Dodécanèse, les autorités italiennes, au départ bienveillantes à l’égard du nationalisme grec, finissent par le réprimer dès lors que la Grèce et l’Entente risquent d’en tirer argument dans les négociations diplomatiques qui suivent les guerres balkaniques. Les délégués au congrès de Patmos sont arrêtés et conduits à Rhodes pour y être interrogés325. Les 26 et 27 février 1913, les réunions et manifestations politiques sont interdites, et le maire de Rhodes, Savas Paulidis, est destitué et remplacé par un Italien, Attilio Brizzi. Pratiquement tous les avocats de Rhodes et plusieurs ecclésiastiques sont expulsés, et plusieurs démogéronties remplacées par des commissions nommées par le général Ameglio326.
103À Valona, bien que l’intervention italienne ait été justifiée par la nécessité de rétablir l’ordre, la bourgade est en réalité tranquille327. Une fois le corps d’occupation installé, les mesures prises en faveur de la « sécurité publique » consistent en une « stretta sorveglianza sugli elementi sospetti di propaganda e di intrigo a nostro danno »328. Une bonne partie de l’activité consiste à surveiller les communications avec l’extérieur : les carabiniers surveillent les frontières du caza et perquisitionnent les navires ; les journaux étrangers et les télégrammes sont soumis à la censure militaire et les communications téléphoniques écoutées. Quant au maintien de l’ordre proprement dit, il consiste surtout, comme en Crète, en des patrouilles diurnes, mais aussi nocturnes, signe que la situation sécuritaire est bien plus favorable à Valona que dans l’île égéenne. Toutefois, bien que les sources soient muettes sur ce point, il est permis de penser que l’étendue des pouvoirs conférés aux carabiniers stationnés dans des postes périphériques conduit aux mêmes abus que dans le Dodécanèse329.
104Notons que ces procédures de surveillance, contrôle et répression ne se limitent pas aux populations et territoires de l’outre-mer impérial de l’Italie. Elles concernent aussi le territoire italien lui-même, et outre-mer certains sujets italiens. Rappelons qu’à l’époque des Fasci siciliani, Crispi n’avait pas hésité, en vertu de l’article 5 du Statuto, à proclamer l’état de siège330. Les militaires se voient alors conférer les prérogatives de l’état de guerre, notamment la faculté de légiférer de façon expéditive via des proclamations (bandi) en vertu de l’article 251 du code pénal militaire. En Libye, dans le Dodécanèse et à Valona, pas d’état de siège mais un état de guerre qui aboutit aux mêmes pratiques. En la matière, on peut observer un continuum, des théâtres opérationnels d’outre-mer à la métropole et inversement. Un dispositif de surveillance transadriatique connectant l’Albanie et les Pouilles est ainsi mis en place. On sait que plusieurs policiers et carabiniers sont affectés à la légation de Durazzo pour des missions de contrôle politique. Le brigadier Francesco Vona est ainsi envoyé à Saint-Jean-de-Médoua (Shëngjin) durant trois mois pour « sorveglianza albanesi sospetti », sous la couverture d’agent de la compagnie de navigation Puglia331. C’est que Saint-Jean est un des ports d’où l’on s’embarque pour la côte apulienne.
105Brindisi et surtout Bari deviennent en effet des laboratoires de la surveillance impériale italienne. Pour qui veut quitter l’Albanie ou y entrer, Brindisi est une rupture de charge obligée. De là, il faut se rendre à Bari pour y trouver les grandes lignes ferroviaires qui mènent à Rome ou Naples, mais aussi Trieste et Vienne ou encore Genève et Paris. La préfecture y travaille en étroite collaboration avec l’Ufficio Albania pour y surveiller non seulement les agents austro-hongrois, ottomans ou grecs qui y transitent, mais aussi les Albanais, qu’ils soient voyageurs, réfugiés, patriotes, espions ou tout simplement résidents. En effet, une communauté peu nombreuse mais active habite Bari, et son café le « Tarabosc » (Taraboshi, une montagne qui surplombe Scutari) en constitue le centre politique et l’objet de toutes les attentions de la police. Parmi les nombreux télégrammes échangés entre la préfecture de Bari et la Consulta, citons celui qui rend compte de la demande de surveillance d’un Albanais suspecté d’être lié au meneur d’une insurrection contre le prince de Wied :
Sabri Bectasci Bey di Zacran passa buona parte giornata questo caffè Taraboschi [sic] dove ha manifestato che dovrà recarsi Durazzo presso il fratello Bectasci per festeggiare Principe Wield [sic]. Interpellato riservatamente da persona a lui amica ha dichiarato non conoscere Eiub Sacci Bey. Pare egli si trattenga qui per acquisto mobili che deve spedire Durazzo. Egli ha altri due fratelli nel proprio villaggio di Zacran. Continua su di lui attenta vigilanza332.
106La surveillance des cafés et autres lieux publics est chose courante à l’époque de l’Italie libérale333. De la même façon, la presse fait l’objet d’un contrôle étroit : la présidence du Conseil, les grands ministères ont leur Ufficio stampa, dont bien sûr celui des Esteri334. La surveillance qui pèse, parfois en vertu de soupçons assez minces, sur la communauté albanaise de Bari s’étend au reste de la vie de cette cité : craignant que l’édition albanaise du Corriere delle Puglie ne finisse par être noyautée par les nombreux nationalistes albanais qui se sont réfugiés à Bari, le consul Lori préconise de faire surveiller le journal335.
107En Albanie même, les consuls conservent justement d’importants pouvoirs de coercition sur les sujets italiens, en vertu des capitulations. Dans tout l’Orient, les consuls peuvent surveiller, perquisitionner, arrêter et expulser leurs propres administrés. Les consuls italiens, chargés de surveiller les complots bourboniens (supra, chap. 1) puis démocrates et anarchistes, ne se privent pas d’exercer ces prérogatives. En juin 1913, le consul d’Italie à Scutari fait expulser, escorter et remettre à la préfecture de Brindisi un certain Luigi Baldini, aventurier engagé comme volontaire dans l’armée monténégrine avant de chercher quelque bonne fortune en Albanie, se faisant passer pour un officier italien336. Nous avons vu qu’en concevant le statut organique de l’Albanie, les puissances ont bien veillé à reporter aux calendes grecques l’abolition des capitulations héritées de l’Empire ottoman. Le journaliste radical et albaniste Terenzio Tocci fait les frais de ces dispositions. D’abord très lié à la Consulta en raison de son activisme au sein des milieux arbëresh, il est surveillé à partir de 1912 et devient franchement gênant lorsqu’il dénonce, dans son journal Taraboshi, le poids de la tutelle italienne sur l’indépendance albanaise. Après plusieurs avertissements, il est expulsé de Scutari par le consul général De Facendis, et assigné à résidence jusqu’en 1920 dans son village calabrais natal de San Cosmo Albanese337. La pratique du domicilio coatto est courante dans l’Italie libérale, les forces de police en faisant un usage discrétionnaire à des fins de contrôle social puis politique338.
108L’obsession des « menées anti-italiennes » conduit donc l’appareil d’État à mettre en accusation des Italiens eux-mêmes, le plus souvent d’extrême-gauche, et cela avec le soutien de la bruyante minorité nationaliste. En juin 1914, l’Italie est secouée par une vague d’agitation sociale appelée « semaine rouge » (settimana rossa). Pourtant, le sabotage présumé de l’influence italienne outre-adriatique n’est pas encore attribué aux socialistes, mais plutôt à la gauche républicaine traditionnelle, selon des schémas post-Risorgimento anciens que l’on a déjà vus à l’œuvre en sens inverse à l’époque du congrès de Berlin, l’Estrema étant alors accusée de compromettre les efforts pacificateurs de la monarchie libérale (supra, chap. 3). Fin juillet 1914, alors que la crise austro-serbe tourne déjà à la catastrophe, un procès retentissant se tient à Rome, autour du litige entre le journal nationaliste L’Idea Nazionale339, et un journaliste démocrate, Luciano Magrini. Lors du procès, la spectaculaire mise en minorité du journaliste révèle combien le philhellénisme républicain traditionnel est désormais exsangue en Italie. Magrini avait couvert les événements balkaniques pour le grand journal de la démocratie italienne, Il Secolo340. L’Idea Nazionale l’accuse alors d’œuvrer contre l’Italie en Épire et dans le Dodécanèse. Les nationalistes semblent devenus les fervents défenseurs d’une politique balkanique ambitieuse : au cours d’une des premières audiences, le député nationaliste Piero Foscari, dont nous avons déjà évoqué le rôle dans les entreprises de Volpi, mentionne la réunion, le 22 juin 1913, du « comité central » nationaliste, qui conclut à la nécessité d’inciter le gouvernement à la fermeté au sujet du canal de Corfou341.
109Lors de la session du 24 juillet 1914, Magrini est accablé par les journalistes, tels que Paolo Scarfolgio, l’un des fils d’Edoardo, ou Olindo Bitetti, correspondant du Corriere della Sera, et par les soldats et fonctionnaires venus en nombre, jusqu’au secrétaire général des Esteri Giacomo De Martino342, pour témoigner en faveur de L’Idea Nazionale. Tous interprètent le philhellénisme de Magrini comme une trahison de l’Italie, notamment lorsqu’il affirme que les populations du Dodécanèse souhaitent être rattachées à la Grèce. Pour ces témoins, les habitants ne désirent que la garantie de leur tranquillité, l’exemption du service militaire et peut-être l’autonomie ; on le voit, ce sont, en substance, les thèses du général Ameglio. Magrini est notamment accusé d’avoir assisté au congrès de Patmos, et même d’y avoir activement participé. Il est également mis en cause pour ses liens avec les Grecs dans l’affaire l’Épire, où il s'est rendu pour couvrir les combats.
110À ce sujet, Magrini doit faire face aux accusations du capitaine Fortunato Castoldi lui-même. Ce dernier accuse Magrini d’avoir reçu des drachmes en récompense d'articles partiaux. Ayant, comme le journaliste, visité les régions d’Épire où fait rage la guerre civile, Castoldi conteste de façon circonstanciée les observations du journaliste. L’officier accuse Magrini de systématiquement taire les destructions de villages albanais et d’avancer de fausses statistiques, Castoldi leur opposant les recensements ethnographiques auxquels il a lui-même contribué au sein de la commission de délimitation des frontières méridionales de l’Albanie343. La péroraison du capitaine constitue un florilège d’arguments albanophiles destinés à gagner la bataille de l’opinion publique. D’auxiliaires des Ottomans, les Albanais sont devenus les victimes du nationalisme grec, ce qui n’est pas complètement faux étant donné que les Grecs sont sur le terrain les plus forts, étant bien entendu que dans les faits, les Albanais se livrent eux aussi à des exactions344.
111Le seul témoin prestigieux que Magrini parvienne à faire déposer est le député Barzilai, qui se lance dans une profession de foi philhellène, citant Mazzini345. L’avocat du journaliste est plus efficace, évoquant les relations qu’entretiennent les témoins de L’Idea Nazionale avec la diplomatie secrète italienne, demandant « che cosa facevano a Vallona, quale razza di missione avevano tutti quei competenti di archeologia che sono venuti qui a deporre »346. L’un des accusateurs de Magrini, le journaliste Mastroviti du Mattino de Naples, est d’ailleurs confondu par un autre journaliste, révélant qu’il est payé par le gouvernement italien. Mastroviti s’est effectivement rendu dans la partie de l’Épire contrôlée par les insurgés, et adresse des renseignements au consul à Valona sur leur organisation politique et militaire347. Pour ce service, nous avons effectivement trouvé trace d’une rétribution d’au moins 100 lires dans les archives de la légation à Durazzo348. Enfin, la correspondance d’Antonio Baldacci confirme, si besoin est, l’étroite collusion entre journalistes et diplomates. Baldacci installe son frère Luigi à Scutari, d’où il informe Antonio qui transmet lui-même à la Consulta ; dans le même temps, Luigi écrit pour le Corriere della Sera, et Antonio est en rapport avec Rodolfo Foà, qui lance un projet de Correspondance diplomatique franco-italienne349. Cette conception du journalisme est efficacement résumée par Federico Valerio Ratti, un jeune publiciste florentin en recherche de subsides : écrivant au baron Aliotti, Ratti l’assure de sa volonté de « perseverare nella mia opera non di giornalista, ma d’italiano che si vale del giornalismo come di uno strumento »350. Il existe donc bel et bien un faisceau d’initiatives regroupant hommes politiques conservateurs, affairistes, fonctionnaires de l’outil diplomatico-militaire et journalistes pour garder le Dodécanèse et surtout pour pousser à l’action en Albanie, alors que le gouvernement italien cherche à éviter que l’Italie ne soit précipitée dans la guerre européenne qui se dessine à l’horizon.
Notes de bas de page
1 Webster 1974, p. 441 sq.
2 Basciani 2017, p. 87.
3 Ferraioli 2007, p. 543-548. L’article VII, qui s’appuie sur les accords austro-italiens de 1897 et 1900, est constamment opposé par l’Italie à l’Autriche-Hongrie dans ses vélléités d’intervention unilatérale dans les Balkans : Mazzetti 1973, p. 244.
4 Erickson 2003.
5 Duce 1983, p. 309 sq. : ces analyses reposent en grande partie sur ASDMAE, AG 1910-1920, cas. 29, fasc. 406, Conferenza di Londra. Löhr 2010, p. 55-69 ; assez significativement, cette étude ignore largement le rôle de l’Italie, voyant dans la conférence un affrontement entre l’Autriche-Hongrie, soutenue par l’Allemagne, et la Russie, soutenue par la France.
6 Hall 2000, p. 72.
7 Schmidl 2014.
8 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 0, s. fasc. 176, aide-mémoire 2164 de l’ambassade d’Autriche-Hongrie à Rome au MAE italien, rome, 18 juin 1913.
9 Jesné – Jestin 2014, p. 183-198.
10 Sciarrone 2015, p. 191-195.
11 Articles 2 à 5 : http://mjp.univ-perp.fr/traites/1913bucarest.htm
12 Conte 2018, p. 263-264.
13 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, copie d’une note réservée et confidentielle de San Giuliano à l’ambassade d’Italie à Vienne, Rome, 31 octobre 1913.
14 MAE 1913.
15 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 729, l. de Giacomo De Martino (secrétaire général du MAE) à Camillo Peano (chef de cabinet du PCM), s.l. [Rome], 18 juillet 1913.
16 Webster 1974, p. 570.
17 Les Ministres plénipotentiaires Ernesto Koch et Mario Ruspoli Di Poggio Suasa.
18 Carlo Conti Rossini, chef de division au ministère du Trésor, et Tito Canovai, directeur du Secrétariat général de la Banque d’Italie. MAE 1913, et Webster 1974 p. 563-566.
19 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 7, s. fasc. 497, copie d’une l. s.n. de San Giuliano (MAE) à Giolitti (PCM), Rome, 10 juin 1914. Sur Theodoli, Webster 1974, p. 453 ; Conte 2018, p. 255-256.
20 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 0, s. fasc. 427, l. s.n. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 14 février 1913.
21 Mazzetti 1973.
22 Torre 1958.
23 AUSSM, G33, b. 40, n. 1007/10044 urgente du lieutenant-général Pollio (chef d’état-major) au ministère de la Guerre, Rome, 23 mai 1914.
24 ASDMAE, AG , cas. 28, fasc. Conferenza di Londra. Guerra fra gli Stati balcanici e la Turchia, t. 1969 de San Giuliano (MAE) à Bollatti (ambassadeur à Berlin), Rome, 3 avril 1913.
25 Ferraioli 2007, p. 620.
26 ASDMAE, AG, cas. 28, fasc. Conferenza di Londra. Guerra fra gli Stati balcanici e la Turchia, l. de Giolitti à San Giuliano, Rome, 6 avril 1913.
27 M. Mazzetti y voit deux positionnements opposés. Si des divergences entre Giolitti et San Giuliano existent, nous croyons pourtant qu’ils parviennent à élaborer une ligne cohérente. Jesné 2105a, p. 20-22.
28 Jesné 2105, p. 23-24.
29 ASDMAE, AG, cas. 27, fasc. 314, l. p. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 7 avril 1913.
30 Ibid., l. p. de Giolitti à San Giuliano, Rome, 6 avril 1913.
31 Mazzetti 1973.
32 ASDMAE, AG, cas. 27, fasc. 314, l. p. de Giolitti à San Giuliano, Rome, 6 avril 1913.
33 ASDMAE, AG, cas. 28, Prestito franco-italiano di sei millioni al Montenegro.
34 Mazzetti 1973, p. 231 et 238.
35 Duce 1983, p. 328-329 n. 36.
36 Gustapane 2005, p. 39.
37 Borgogni 2007, p. 16-18 ; Schmidl 2014, p. 174-177.
38 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 1016, l. 66011/291 de San Giuliano à Giolitti, Rome, 6 décembre 1913.
39 Mazzetti 1973, p. 255-257.
40 Friz – Gabriele 1982, p. 243.
41 Löhr 2010, p. 157-163.
42 Gustapane 2005, p. 42 et 45.
43 « Die Grenzen Albaniens […] so weit wie möglich zu stecken », AA-GP 36-1, doc. 13961, r. 6 de von Laffert à Bethmann Hollweg, lac d’Ohrid, 23 octobre 1913, p. 186.
44 DDI 4.12.146, San Giuliano à Paternò (chargé d’affaires à Cetinje) et Marafini, Rome, 11 juillet 1914.
45 AUSSM, G33, b. 23, fasc. 304, r. s. n. du capitaine d’état-major Barbarich au commandant de l’Ufficio coloniale, Rome, 16 avril 1913. Pour le détail des différents tracés envisagés, Rudi 2017, p. 894-899.
46 Sur la mentalité des milieux navals, Friz – Gabriele 1982, p. 15. Sur les pressions exercées par l’armée et la marine sur San Giuliano, et en retour par San Giuliano sur Giolitti, Mazzetti 1973, p. 219-262, en particulier p. 243 sq.
47 Friz – Gabriele 1982, p. 225-230.
48 Ibid., p. 235.
49 Jesné 2014a, p. 94.
50 Ferraioli 2007, p. 614-631.
51 Rudi 2017, p. 906.
52 Löhr 2010, p. 163-117.
53 Guy 2008, p. 106.
54 Jesné 2014a, p. 99-101.
55 Duce 1983, p. 356.
56 ASDMAE, AG 1910-1920, cas. 27, fasc. 358, l. de San Giuliano à Avarna (ambassadeur à Vienne), Rome, janvier 1913, transcrites en partie dans Duce 1983, p. 314-316.
57 Delaroche 2016, p. 155-161.
58 Duce 1983, p. 316-318.
59 Georgeon 2003, p. 101.
60 Duce 1983, p. 333.
61 Ibid., p. 353-357.
62 Giannini 1940, p. 195.
63 Jesné 2018a.
64 Conte 2018, p. 263-264.
65 ASDMAE, AIT, b. 223, fasc. 1, r. 312 de Leoni (délégué auprès de la CIC) à San Giuliano, Valona, 15 avril 1914.
66 Galli 1951, p. 220.
67 ASDMAE, AIT, b. 223, fasc. 1, Aperçu historique sur l’œuvre de la Commission internationale de contrôle, annexe n° 2 au r. 312 de Leoni à San Giuliano, Valona, 15 avril 1914.
68 Goslinga 1972.
69 Pour un point de vue nourri de l’historiographie albanaise : Bekteshi 2014, p. 36-37.
70 Le texte du statut est transcrit dans Giannini 1940, p. 197-230.
71 ASDMAE, AIT, b. 223, fasc. 1, Il R. Delegato presso la Commissione internazionale di controllo per l’Albania al Ministro degli affari esteri, annexe n° 3 au r. 312 de Leoni (délégué auprès de la CIC) à San Giuliano, Valona, 15 avril 1914.
72 Bekteshi 2014, p. 43.
73 Duce 1983, p. 316-317.
74 Löhr 2010, p. 208.
75 Galli 1951, p. 211.
76 DDI, 4.2.296, Aliotti (ministre) à San Giuliano, Durazzo, 16 juillet 1914.
77 Löhr 2010, p. 194.
78 AUSSM, G33, b. 40, fasc. 440, n. urgente ris. 492/M.S. du lieutenant-général Pollio à Domenico Grandi (ministre de la Guerre), Rome, 24 mai 1914.
79 Guy 2008, p. 139.
80 Löhr 2010, p. 208.
81 AUSSM, G33, b. 40, fasc. 431, s. fasc 1, t. 55574 de Mirabelli, secrétaire général du ministère de la Guerre, à Paolo Spingardi (ministre), Rome, 5 octobre 1914.
82 Sulliotti 1914, p. 134 sq.
83 AP-CD, XXIV-1, 10 juin 1914, interpellations des députés Chiesa (Sull’arresto di due connazionali a Durazzo la sera del 5 giugno corrente, non prononcée), Magliano (Sull’arresto del colonnello Muricchio, avvenuto in Albania, con offesa al diritto delle genti ed alla dignità della patria che il colonnello Muricchio serve con zelo ed onore) et Di Giorgio (Sulle nostre relazioni col Governo austro-ungarico nei riguardi degli ultimi avvenimenti d’Albania), p. 3932-3937.
84 Galli 1951, p. 225-228.
85 Jesné 2015a, p. 28-25.
86 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 74, l. de Giolitti à San Giuliano, Rome, 26 janvier 1913.
87 Grange 1994, p. 1310.
88 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 270, l. ris. de Giolitti à Tedesco (ministre du Trésor), Rome, 10 mars 1913.
89 Ibid., s. fasc. 496, l. ris. de Giolitti à Tedesco, Rome, 13 mai 1913.
90 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, r. ris. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 9 mai 1913 : Provvedimenti e spese urgenti e transitorie per l’Albania.
91 Ibid., r. ris. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 9 mai 1913.
92 Ibid., fasc. 2, minute de la l. 289 de Giolitti à San Giuliano, Rome, 17 mars 1913.
93 Borgogni 2007, p. 16.
94 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, copies des r. 1327 et 1383 d'Ernesto Presbitero (commandant en chef du département maritime et de la place de Tarente), au ministère de la Marine, Tarente, 26 et 28 mars 1913.
95 Ibid., t. 1197 du MAE à Giolitti, Rome, 30 avril 1913. Le document est validé d’un « stabene » de la main de Giolitti.
96 ASDMAE, LA, b. 3, fasc. VII, Istituzioni italiane, t. 3472/338 de Carlo Galli (chef de poste par intérim) à San Giuliano, Durazzo, 12 septembre 1914, et t. 34299/354 de réponse, Rome, 28 septembre 1914.
97 Ibid., copie du t. 1217 de Carlo Galli (consul) à la Légation à Durazzo, Scutari, 10 juin 1914.
98 Ibid., sous-dossier e), ospedale italiano a Valona e a Scutari.
99 Sulliotti 1914, p. 135.
100 Sur ces groupes lignagers, Elsie 2015, p. 160-170.
101 ASDMAE, LA, b. 3, fasc. VIII, Riservata. Soccorsi a popolo albanese, copie du r. s.n. de Carlo Galli (consul) à San Giuliano (MAE), [Scutari], 29 avril 1914.
102 Ibid., Missione per la distribuzione dei soccorsi Gasi e Krasnice, rapport du capitaine Francavilla au consul Galli, Scutari, 25 mars 1914.
103 Galli 1951, p. 200.
104 Santucci 2007 (1914), p. 2.
105 Gustapane 2005, p. 39.
106 Delaroche 2016, p. 147.
107 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 960, copie de la l. ris.ma 157 de Patris (commandant le contingent italien à Scutari) au ministère de la Marine, Scutari, 23 juillet 1913.
108 Webster 1974, p. 558.
109 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, s. fasc. 1010, décembre 1913 ; Azzarita 1914, p. 85-86.
110 Jaray 1914, p. 19.
111 Gustapane 2005, p. 39.
112 Mazzetti 1973, p. 250-251.
113 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, l. s.n. ris. alla persona de San Giuliano au ministre de la Guerre, Spingardi, Rome, 8 mai 1913.
114 Bosworth 1975, p. 574.
115 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, r. ris. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 9 mai 1913.
116 Ibid., fasc. 2, r. 35/84 du lieutenant-colonel Albrici (attaché-militaire à Vienne), au commandant en second de l’état-major, Vienne, 14 avril 1913, transmis par l’Ufficio orientale à la présidence du Conseil : Le sfere dirigenti austro-ungariche e l’Italia.
117 Gostentschnigg 2017, p. 255.
118 ASDMAE, FP, s. IV, Albania b. 22, fasc. 3 Comune, note manuscrite anonyme s.n., Rome, 14 avril 1914.
119 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 1, s. fasc. 119, Relazione sull’Albania del Capo della missione scientifico agraria, novembre 1913.
120 On pourrait ajouter à ce groupe Romano Lodi Fè, qui ne sert pas en Albanie au sens strict, mais à un profil comparable : né en 1881, entré dans la carrière consulaire en 1908, il sert en Égypte et en Amérique du Nord avant d’occuper des responsabilités dans l’administration du Dodécanèse en 1912. En 1914 il est affecté à Monastir, en 1915 à Salonique. Annuario 1937, p. 364-365.
121 Sur Domenico De Facendis, Giovanni Battista Dolfini, Carlo Durazzo, Alessandro Leoni, Cesare Lori, Domenico Nuvolari et Renato Piacentini : FDN 1987, p. 244, 293-294, 302-303, 401, 415, 424, 543-544, 577-578.
122 Je renvoie à mes travaux sur la question : Jesné 2015c, 2018 et Jesné – Jestin 2014.
123 Jesné 2014a, p. 89.
124 Ibid., p. 96 sq.
125 Ibid., p. 93-94.
126 Jesné 2017, p. 496-497.
127 FDN 1987, p. 341 ; Galli 1951, p. 219 sq.
128 Mengarelli 1998.
129 En 1907, le consul d’Italie à Fiume veille ainsi à ce que les célébrations du centenaire de la naissance de Garibaldi restent limitées à un congrès de notables réunis au consulat, à l’exclusion de tout projet de manifestation de rue : ASDMAE, LF, b. 1-2, copie de la l. ris. 929/II du consul d’Italie à Fiume à l’ambassadeur d’Italie à Vienne, Fiume, 5 juillet 1907.
130 Dumasy 2006, p. 94.
131 Ibid., p. 95.
132 ASDMAE, FP, s. VII, A6, Aliotti Carlo, l. de Teofilo Rossi (maire de Turin), à San Giuliano (MAE), Turin, 7 décembre 1912. Copropriétaire des vermouths Martini e Rossi, sénateur, maire « giolittien et libéral » de Turin, Teofilo Rossi s’oppose à l’Intervention, avant de devenir après la guerre ministre de l’Industrie et du Commerce du premier gouvernement Mussolini. Ad indicem dans Tranfaglia 1998.
133 ASDMAE, LA, b. 3, t. urgent 6763 de Sonnino (MAE) à la Légation à Durazzo, Rome, 28 novembre 1914.
134 Par exemple une réalisation de style Liberty, via Ludovico Muratori 30, à Rome : https://www.info.roma.it/monumenti_dettaglio.asp ? ID_schede =559
135 Gazzetta ufficiale del Regno d’Italia, 1909, n° 14, 18 janvier, p. 282. Gay 1908.
136 ASDMAE, LA, b. 3, verbale di consegna, Durazzo, 25 février 1915, et promemoria anonyme [Andreoli ?] s.n., s.l., 25 mars 1913.
137 Ibid., copie du t. 3359/321 d’Aliotti (ministre) à San Giuliano (MAE), Durazzo, 22 août 1914.
138 Jesné 2017.
139 Ferraioli 2007, p. 809.
140 Anonyme, Le richieste degli insorti albanesi. L’opera spiegata dal barone Aliotti. La libertà dei prigionieri ottenuta dal ministro d’Italia, dans Corriere della Sera, 25 mai 1914, p. 6. Cette popularité est telle que Vienne croit le gouvernement italien incapable de l’écarter sans provoquer sa propre chute : Löhr 2010, p. 213.
141 DDI 5.2.551, l. de Salandra (PCM) à Sonnino (MAE), Rome, 5 janvier 1915.
142 ACS, PCM Gab., AG 1913, Note dactylographiée s.n., s.l.n.d. [1913] : Spese politiche per Albania già impegnate.
143 Galli 1951, p. 207.
144 ASDMAE, LA, b. 3, Fondo politica, bilan comptable annexé à la minute de la l. 100/VIII d’Aliotti (ministre d’Italie) à De Martino (secrétaire général du MAE), Durazzo, 29 juillet 1914.
145 Skendi 1967, p. 215 ; Caccamo 2008, p. 129 sq.
146 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, doc. 757, l. p. de San Giuliano à Giolitti, [Rome], 28 juillet 1913.
147 D’Alessandri 2013, p. 59-60.
148 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, doc. 757, l. p. de San Giuliano à Giolitti, [Rome], 28 juillet 1913.
149 Sur la vente de l’imprimerie : ASDMAE, LA, b. 3, t. 22771/72 du secrétariat général du MAE à Aliotti (ministre d’Italie à Durazzo), Rome, 24 avril 1914. Sur Siebertz : Gostentschnigg 2017, p. 309-310.
150 Elsie 2010, p. 170-171.
151 Ad indicem dans Clayer 2007.
152 ASDMAE, LA, b. 3, copie du t. 3329/315 d’Aliotti à San Giuliano, Durazzo, 16 août 1914.
153 Fornari 2012, p. 349 sq.
154 Ibid., p. 355.
155 ASDMAE, LA, b. 3, t. 34562/268 du secrétariat général du MAE à Aliotti, Rome, 17 juin 1914.
156 Ibid., copie d’un t. s.n. d’Aliotti au MAE, Durazzo, 12 mai 1914.
157 Ibid., t. 34562/268 du secrétariat général du MAE à Aliotti, Rome, 17 juin 1914.
158 S. Gjika, I rapporti italo-albanesi, dans Corriere delle Puglie, 7 juillet 1914.
159 Il Corriere albanese, dans Corriere delle Puglie, 9 août 1914.
160 S. Gjika, Le atrocità greche in Albania descritte in una relazione all’on. Di San Giuliano, dans Corriere delle Puglie, 27 juillet 1914.
161 ASDMAE, LA, b. 3, t. posta espresso de Lori (consul) à Aliotti (ministre d’Italie à Durazzo), Valona, 5 août 1914.
162 Ibid., t. 69925/14 du secrétariat général du MAE à Aliotti, Rome, 18 janvier.
163 Nopcsa 2001, p. 296 sq.
164 Elsie 2000, p. 239. Voir également Skendi 1967, p. 267-268, et Guida 1981, p. 115.
165 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, r. 35/84 du lieutenant-colonel Albrici, attaché-militaire à Vienne, au commandant en second de l’état-major, Vienne, 14 avril 1913, transmis par l’Ufficio orientale à la présidence du Conseil : Le sfere dirigenti austro-ungariche e l’Italia.
166 Le baron Franz (ou Ferenc) Nopcsa von Felső-Szilvás est un paléontologue, géologue et albanisan hongrois qui met sa connaissance de l’Albanie au service de la Ballplatz. Ad indicem dans Gostentschnigg 2017 ; Nopcsa 2001.
167 Gostentschnigg 2017, 315 sq.
168 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, l. ris. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 9 mai 1913.
169 Elsie 2005, p. 61.
170 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 1, Mémoire anonyme [Spartaco Cannarsa ?], Rome, 5 juin 1913.
171 700 000 lires s’évaporent entre 1912 et 1914, absorbés par un groupe d’intermédiaires italiens et albanais que Richard Bosworth qualifie de « cast of crooks and charlatans » : Bosworth, 1975, p. 586. Voir également Webster 1974, p. 555-556.
172 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 74, l. 24 de San Giuliano à Giolitti, Rome, 24 janvier 1913.
173 Elsie 2010, p. 475-476.
174 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 1, Mémoire anonyme [Spartaco Cannarsa ?], Rome, 5 juin 1913.
175 Jesné 2017,
176 Gazzetta Ufficiale del Regno d’Italia, Foglio delle inserzioni, n° 167, 15 juillet 1914, p. 1526.
177 Bosworth 1975, p. 585.
178 Jesné 2017.
179 Webster 1974, p. 555-556.
180 Pasimeni 2003, p. 54 ; Ritrovato 2003.
181 Lovecchio 2013.
182 ASBa, CC, b. 202, s. fasc. 29e, Per il commercio fra le Puglie e l’Albania.
183 Webster 1974, p. 547. Le musée commercial de Venise est créé en 1906 et est spécifiquement tourné vers l’Orient, à la différence de ceux de Milan et Turin qui datent de 1884 et 1885. Tous dépendent du MAIC et de la chambre de commerce locale, et ne brillent guère par leur efficacité : Grange 1994, p. 1171.
184 Webster 1974, p. 547.
185 Matić 2011.
186 ASBa, CC, b. 202, s. fasc. 29a, Comitato Puglia-Balcania Bari ; Cassani 1991 ; Azzarita 1914, p. 153.
187 Ibid., minute d’une l. de De Tullio au journaliste Leonardo Azzarita, s.l. [Bari], s.d.
188 ASBa, CC, b. 202, s. fasc. 29d, Adesione del comitato italo-serbo.
189 Ibid., Comitato « Puglia e Balcania » Bari, Statuto, Bari, Stab. Avellino & C., s.d. [1913], p. 1.
190 Lovecchio 2013, p. 178.
191 ASBa, CC, b. 203, fasc. 31, Comitato Tripolitania e Cirenaica.
192 Jesné 2017, p. 493-494 ; Webster 1974, p. 574.
193 ASBa, CC, b. 202.
194 Ibid., s. fasc. 29S, Relazioni commerciali con l’Albania, minute de la l. ris. urgente 7750 de De Tullio ((président de la chambre de commerce de Bari) à Dolfini (consul à Durazzo), Bari, 23 septembre 1913.
195 Ibid., l. 639 de Dolfini (consul) à De Tullio, Durazzo, 28 septembre 1913.
196 Jesné 2017.
197 Créé à Gênes en 1912 par Bernardino Frescura : Visocchi 1998.
198 ASBa, CC, b. 202.
199 Azzarita 1914, p. 11.
200 Fornari 2012, p. 337 sq.
201 Chi è ? 1928, p. 56.
202 Azzarita 1914.
203 Ibid., p. 153.
204 Leuzzi 2008, p. 31.
205 Baudin – Dal Piaz – De Toni – Rosati 1915.
206 http://www.archiviofotografico.societageografica.it.
207 Egidi – Gurgo 1911; IGM 1912.
208 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 1, s. fasc. 119, Relazione sull’Albania del Capo della missione scientifico agraria, novembre 1913, et s. fasc. 962, Memoria del Maggiore d’artiglieria Egidi Cav. Silvio circa l’Albania, Rome, 31 octobre 1913.
209 On trouve la même idée dans Azzarita 1914, p. 153.
210 Sur les liens entre Bari et l’Albanie dans l’entre-deux-guerres : Jesné 2019.
211 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 270, l. ris. de San Giuliano à Giolitti , Rome, 4 avril 1913.
212 Ibid., l. des Italo-albanais de Rome à Giolitti, Rome, 20 février 1913.
213 Brice 2010, p. 361-365.
214 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2.
215 Clayer 2007, p. 403.
216 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, Ordre du jour du comité central des Italo-albanais adressé aux ambassadeurs des grandes puissances à Londres, Naples, 26 juin 1913, joint à une l. de Francesco Mauro à Giolitti, Naples, 27 juin 1913.
217 Gostentschnigg 2017, p. 378.
218 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, l. ris. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 9 mai 1913.
219 Ibid., s. fasc. 553, l. s.n. du commandant général des carabiniers à Giolitti, Rome, 11 juin 1913.
220 AUSSM, G33, b. 39, fasc. 421, l. 4600 de Pollio à Spingardi (ministre de la Guerre), Rome, 25 octobre 1913.
221 Gostentschnigg 2017, 462-470.
222 AUSSM, G33, b. 39, fasc. 421, l. 67654/1369 de San Giuliano à Spingardi, Rome, 15 décembre 1913.
223 Ibid., l. ris. urgente 508 de l’Ufficio coloniale au ministère de la Guerre, Rome, 10 février 1914.
224 Deusch 2009, p. 720 ; Muricchio 1935.
225 AUSSM, G33, b. 39, fasc. 421, n. anonyme 7791 « a firma di S. E. il Ministro », Rome, 5 mai 1914. Ces cours d’albanais s’ajoutent aux cours de serbo-croate et de slovène professés par Bruno Guyon : Renko 1982, p. 83.
226 ASDMAE, APSP, b. 573, fasc. 1, r. 228/93 d’Avarna (ambassadeur) à San Giuliano, Vienne, 11 février 1913.
227 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 14, fasc. 3, s. fasc. 343, notamment l. s.n. de San Giuliano à Giolitti, Rome, 28 mars 1913.
228 Cucci 2008, p. 405-406.
229 Croce 1990.
230 Fortino 2013.
231 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 1, s. fasc. 119, Relazione sull’Albania del Capo della missione scientifico agraria, novembre 1913.
232 Elsie 2010, p. 178, 393, 490.
233 Ferraioli 2007, p. 604-631.
234 Espinoza 2017, p. 103.
235 Dumasy 2006, p. 170-173.
236 Espinoza 2017, p. 79 et 82.
237 Dumasy 2006, p. 170-173.
238 Caruso Inghilleri 1914; Dumasy 2006, p. 181.
239 Dumasy 2006, p. 173.
240 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 1, fasc. 2, s. fasc. 319, Comando del corpo di spedizione nell’Egeo 6a Divisione Speciale, Raccolta degli Atti per l’ordinamento provvisorio delle isole dell’Egeo. 1° fascicolo Maggio-settembre 1912, Rome, Lab. tip. del Comando del Corpo di Stato Maggiore, 1912, doc. 3, p. 9.
241 Jesné – Jestin 2014, p. 195.
242 Espinoza 2017, p. 103-110.
243 Ibid., p. 107, n. 23.
244 Cf. la correspondance entre le ministre des Affaires étrangères et le président de l’ANSMI, Ernesto Schiaparelli, lors de la signature du traité d’Ouchy : ASDMAE, AG 1910-1920, cas. 27.
245 ASDMAE, AG 1910-1920, cas. 27, l. 7182 de Schiaparelli à San Giuliano (MAE), Turin, 1er octobre 1912.
246 Petricioli, 1990, p. 150-152.
247 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 1, fasc. 2, s. fasc. 505, r. 2871 d'Ameglio (gouverneur du Dodécanèse) à San Giuliano, Rhodes, 5 mai 1913.
248 Gerola 1905-1932 ; Curuni 1991, p. 61-62.
249 Livadiotti 1996, p. 7-8.
250 AUSSM, G33, b. 9, fasc. 95, Materiale non classificato. Studi e informazioni (Rodi), rapport d'Ameglio, Rhodes, s. d. [printemps 1913].
251 Webster 1974, p. 463 sq., 544.
252 Ibid., p. 549.
253 Ibid., p. 466.
254 AUSSM, G33, b. 9, fasc. 95, Materiale non classificato. Studi e informazioni (Rodi), d'Ameglio, s.l. n.d. [1913], p. 88-89.
255 Espinoza 2017, p. 117-118.
256 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 1, fasc. 2, s. fasc. 505, r. 2871 d'Ameglio à San Giuliano, Rhodes, 5 mai 1913.
257 Espinoza 2017, p. 119-120.
258 Jesné 2017.
259 Ibid., p. 496 et 501.
260 Espinoza 2017, p. 121.
261 Borgogni 2007, p. 16.
262 Dumasy 2006, p. 118. Voir également ibid., p. 102-105 et 112 sq.
263 Jesné 2015a, p. 33-34.
264 Borgognoni 2007, p. 19.
265 Jaray 1914, p. 10.
266 Azzarita 1914, p. 82-83.
267 Montanari 1978, p. 12-16 ; Borgogni 2007 p. 14. Battaglia – Sciarrone 2013, en revanche, ne propose qu’une paraphrase de l’étude du colonel Vittorio Trombi en 1903.
268 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 321, minute d’une n. de Vittorio Italico Zupelli (ministre de la Guerre) à Salandra (PCM), Rome, 29 septembre 1914.
269 Ibid., n. 740 ris. pers. de Cadorna (chef de l’état-major) à Zupelli, Rome, 27 septembre 1914.
270 Sur cet îlot arride mais à la position stratégique : Nathanaili 2002.
271 Borgogni 2007, p. 20-21.
272 Ibid., p. 49, n. 55 et 56.
273 Mack Smith 2012.
274 Galli 1951, p. 234.
275 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 321, t. 95 rr. du contre-amiral Patris aux ministres des Affaires étrangères et promemoria ris.mo 877 de l’état-major aux ministères de la Guerre et de la Marine, Rome, 5 novembre 1914.
276 DDI 5.2.313, anonyme, Appunto per il Ministro degli Esteri, Sonnino, s.l.n.d. [novembre 1914].
277 ACS, PCM Gab., AG 1914, b. 13, fasc. 1, s. fasc. 742.
278 BCABo-FAB, CR, 38.92.4, l. de Giovanni à Antonio Baldacci, Scutari, 3 janvier 1915.
279 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 321, n. 2804 ris. spec. de Cadorna à Zupelli, Rome, 5 novembre 1914.
280 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 321, promemoria ris.mo 877 de l’Ufficio informazioni aux ministres de la Guerre et de la Marine et à l’état-major, Rome, 5 novembre 1914.
281 DDI 5.2.416, Sonnino (MAE) à Aliotti (ministre à Durazzo) et à Lori (consul à Valona), Rome, 17 décembre 1914. Galli 1951, p. 233-234 ; la chronologie indiquée dans ces mémoires ne correspond toutefois pas parfaitement à celles des télégrammes diplomatiques.
282 DDI 5.2.442, Aliotti à Sonnino, Durazzo, 20 décembre 1914.
283 DDI 5.2.444, Lori à Sonnino, Valona, 20 décembre 1914.
284 DDI 5.2.443, Galli (délégué auprès de la CIC) à Sonnino, Durazzo, 20 décembre 1914.
285 DDI, 5.2.460, Lori à Sonnino, Valona, 22 décembre 1914.
286 Repris pratiquement tels quels dans une étude parue en 2013, qui exalte l’« opera di civiltà » italienne en Albanie : Scalia 2013.
287 DDI, 5.2. 484, Sonnino aux principaux ambassadeurs, Rome, 25 décembre 1914.
288 Borgogni 2007, p. 24.
289 Sette 2018, p. 376.
290 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, schizzo n. 6. Lavori eseguiti nelle mura del castello di Kanina.
291 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, copie du r. ris. 207 d’Emanuele Mosca (commandant le corps d’occupation à Valona) à l’état-major du XIe corps d’armée de Bari, Valona, 7 mars 1915. Ce document présente un bilan complet de l’organisation administrative de Valona occupée.
292 DDI 5.2.495, Sonnino à Aliotti et Lori, Rome, 27 décembre 1914.
293 DDI 5.2.510, du même au même, Rome, 29 décembre 1914.
294 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, copie du r. ris. 207 d’Emanuele Mosca (commandant le corps d’occupation à Valona) à l’état-major du XIe corps d’armée de Bari, Valona, 7 mars 1915.
295 Dumasy 2006, p. 179.
296 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 1, fasc. 2, s. fasc. 505, r. 2871 d’Ameglio (gouverneur du Dodécanèse) à San Giuliano (MAE), Rhodes, 5 mai 1913.
297 ACS, PCM Gab., AG 1915, b. 9, fasc. 1, s. fasc. 3 Albania, mémoire de F. Castoldi, Occupazione di Valona. Appunti sulle Amministrazioni locali e proposte, Rome, 31 janvier 1915.
298 Bossaert 2016, p. 589.
299 Tosatti 1997, p. 217.
300 ASDMAE, FP, s. VII, C42, Castoldi Fortunato, 1re partie des note caracteristiche jointes à la l. s.n. de Castoldi à Mussolini (MAE), Rome, 31 mars 1928.
301 DDI 5.2.416, Sonnino (MAE) à Aliotti (ministre à Durazzo) et à Lori (consul à Valona), Rome, 17 décembre 1914.
302 ACS, PCM Gab., AG 1915, b. 9, fasc. 1, s. fasc. 3 Albania, mémoire de F. Castoldi, Occupazione di Valona. Appunti sulle Amministrazioni locali e proposte, Rome, 31 janvier 1915.
303 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, copie du r. 344 d’Emanuele Mosca (commandant le corps d’occupation à Valona) à l’état-major du XIe corps d’armée de Bari, Valona, 12 mai 1915.
304 ACS, PCM Gab., AG 1915, b. 9, fasc. 1, s. fasc. 3 Albania, n. 62071/308 de Sonnino (MAE) à Salandra (PCM), Rome, 28 novembre 1915.
305 Ibid., n. 251 gab. d’Orlando (ministre de la Justice) à Salandra (PCM), Rome, 4 décembre 1915.
306 Ikonomi 2016, p. 389-391.
307 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, copie du r. ris. 207 d’Emanuele Mosca (commandant le corps d’occupation à Valona) à l’état-major du XIe corps d’armée de Bari, Valona, 7 mars 1915.
308 ACS, PCM Gab., AG 1915, b. 9, fasc. 1, s. fasc. 3 Albania, l. 07878/35 de Sonnino à Salandra, Rome, 9 février 1915.
309 Boquet 2007, p. 339.
310 Canali 2016, p. 94-95.
311 Dumasy 2006, p. 257-271.
312 ACS, PCM Gab., AG 1915, b. 9, fasc. 1, s. fasc. 3 Albania, minute de la l. 76 de Salandra à Sonnino, Rome, 12 février 1915.
313 Ibid., b. 1, fasc. 2, s. fasc. 505, r. 2871 d’Ameglio (gouverneur du Dodécanèse) à San Giuliano (MAE), Rhodes, 5 mai 1913.
314 Voir le cas d’une colonisation contemporaine qui se veut bienveillante et réformatrice, celle des Américains aux Philippines : Anderson 2006.
315 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, copie du r. ris. 207 d’Emanuele Mosca (commandant le corps d’occupation à Valona) à l’état-major du XIe corps d’armée de Bari, Valona, 7 mars 1915.
316 Colarizi 2017, p. 30-32.
317 Espinoza 2017, p. 129.
318 AUSSM, G33, b. 40, fasc. 446, l. de Carlo Giacomo Gorgerino au ministre de la Guerre, Turin, 15 mars 1915.
319 Espinoza 2017, p. 82-88.
320 Dorlhiac – Jesné 2017, p. 56-57.
321 Jesné 2018b, p. 77-78.
322 Zahra 2010.
323 ACS, PCM Gab., AG 1913, b. 9, fasc. 2, s. fasc. 270, l. ris. de San Giuliano à Giolitti , Rome, 4 avril 1913.
324 Chantre 2013 évoque ainsi les empires britannique, français, italien et néerlandais. Sur le panislamisme et son « incarnation », le sultan Abdülhamid II : Georgeon 2003, p. 208 sq.
325 Doumanis 2003, p. 52.
326 Espinoza 2017, p. 83-88.
327 DDI 5.2.507, Lori à Sonnino, Valona, 28 décembre 1914.
328 AUSSM, G33, b. 34, fasc. 322, copie du r. ris. 207 d’Emanuele Mosca (commandant le corps d’occupation à Valona) à l’état-major du XIe corps d’armée de Bari, Valona, 7 mars 1915.
329 Espinoza 2017, p. 108.
330 Adorni 2002, p. 298. Sur l’aspect particulier des tribunaux militaires et de leur action en Italie même, Cordova 1983.
331 ASDMAE, LA, b. 1, fasc. 8, RR. Carabinieri e altri militari, s. fasc. a) Brigad. Vona Francesco.
332 ASBa, P-G1, b. 80, fasc. 502, s. fasc. Albania agitatori turchi pel nuovo Stato, minute du t. 288 du préfet de Bari aux ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, Bari, 1er mars 1914.
333 Davis 1989, p. 255.
334 D’une inefficacité toutefois proverbiale : Bosworth 1979, p. 119 sq.
335 ASDMAE, LA, b. 3, t. 62843/389 du secrétariat général du MAE à Aliotti (ministre à Durazzo), Rome, 14 novembre 1914.
336 ASDMAE, APSP, b. 678, fasc. Baldini Luigi, t. 387/99 de Galli (consul général) à San Giuliano, Scutari, 1er juillet 1913.
337 Caccamo 2012, p. 81-82.
338 Davis 1989, p. 250-254.
339 Le premier numéro de cet hebdomadaire paraît le 1er mars 1911, à l’occasion du quinzième anniversaire de la défaite d’Adoua, par Enrico Corradini, Giovanni Papini et Giuseppe Prezzolini. Son lectorat demeure cependant limité. Bosworth 1979, p. 40.
340 Magrini [1913 ?].
341 Anonyme, I primi testimoni a difesa nel processo contro L’Idea Nazionale. La deposizione dell’on. Foscari, dans Corriere della Sera, 21 juillet 1914, p. 4.
342 Anonyme, Testimonianze movimentate di giornalisti e funzionari al processo Magrini - Idea Nazionale, dans Corriere della Sera, 29 juillet 1914, p. 5. Sur Giacomo De Martino, FDN 1987, p. 272-273.
343 Anonyme, Al processo Magrini – Idea Nazionale. L’azione del Magrini nella deposizione di alcuni testimoni, dans Corriere della Sera, 24 juillet 1914, p. 2.
344 Jesné 2014a, p. 100-101.
345 Anonyme, La deposizione dell’on. Barzilai nel processo contro L’Idea Nazionale. L’accusa di Mastroviti a Luciano Magrini – Contestazioni e confronti movimentati, dans Corriere della Sera, 28 juillet 1914, p. 5.
346 Ibid., loc. cit.
347 AUSSM, G33, b. 28, fasc. 255, t. 4748 de De Facendis (consul) au MAE, Valona, 21 mai 1913.
348 ASDMAE, LA, b. 3, fasc. VIII Riservata, t. ris. 8680/41 du MAE à Aliotti (ministre à Durazzo), Rome, 3 avril 1913.
349 BCABo-FAB, CR, 37.90.51, l. de Luigi à Antonio Baldacci, Scutari, 3 septembre 1914 ; 36.89.477, l. de Rodolfo Foà à Antonio Baldacci, Paris, 28 juin 1914.
350 ASDMAE, LA, b. 3, fasc. VIII Riservata, l. p. de Federico Valerio Ratti à Aliotti (ministre à Durazzo), Florence, 8 novembre 1914.
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