Chapitre 7
Construire l’ennemi
Texte intégral
1Les événements de la première décennie du XVIIe siècle firent ressortir les divers enjeux des tensions nées de l’Union avec Rome. Ils permirent également d’estimer les forces respectives qui, de toute évidence, se révélaient insuffisantes pour que l’une des deux Églises ruthènes pût garantir durablement son autorité auprès de l’ensemble de la communauté. De même, il devenait manifeste que la rhétorique de dénonciation réciproque, consolidée par les litiges en justice, rendait illusoire l’espoir d’une conciliation entre les meneurs de chacune des tendances, sans modifier les bases posées dans les années 1590. En 1608, la publication de l’ouvrage d’Hipacy Pociej, Harmonie ou concordance de la foi, au lieu de désarmer les arguments dogmatiques, ne fit qu’alimenter la contestation.
2Uniates et orthodoxes durent donc relever un défi déjà présent en filigrane dès les années 1590, mais qui devint essentiel face à l’impasse institutionnelle évidente : se démarquer clairement d’un adversaire encore trop proche afin de rendre audible leur propre position et renforcer leurs structures internes pour les rendre plus aptes à la confrontation. Un tel projet ne se limitait pas à formuler une nouvelle définition de la métropolie kiévienne, partagée entre les obédiences, mais exigeait d’introduire dans la pratique de nouvelles structures et surtout des normes plus nettes qui renforceraient la cohérence du clergé et de son rapport aux fidèles.
La désunion des moines
3La place des moines dans les structures des Églises orientales soulève tout naturellement la question de leur participation aux processus qui accompagnèrent l’Union de Brest. Pourtant, ils sont souvent considérés à travers le prisme dualiste d’une « crise » et d’une « réforme », qui reproduit fidèlement la vision traditionnelle des évolutions de l’Église ruthène à cette période1. L’impression est d’ailleurs renforcée par l’indigence des sources qui, pour le XVIe siècle, ne mentionnent généralement les monastères que comme de simples objets des luttes financières pour les bénéfices. Cette lecture s’accompagne en outre de l’idée que la majorité des communautés monastiques restèrent dans l’obédience constantinopolitaine et furent ravivées par les frictions, comme foyers de la tradition spirituelle orthodoxe. En face, le clergé uniate aurait suppléé ce désaveu par la fondation d’une structure monastique nouvelle, inspirée du modèle latin – l’ordre basilien. S’il est difficile de remettre en cause certains aspects de cette thèse, celle-ci n’évite pas pour autant plusieurs paradoxes. D’une part, même si la majorité de l’épiscopat des années 1590 n’avait pas de véritable expérience monastique, le métropolite Rahoza ou l’évêque de Pinsk-Turaw Jonasz Hohol avaient servi pendant longtemps comme archimandrites et rallièrent pourtant les projets unionistes des autres hiérarques2. Surtout, il semble contradictoire de souligner à la fois la crise profonde des couvents et affirmer dans le même temps qu’ils constituèrent dès l’origine les principaux centres de l’opposition à l’Union. Il faut donc accepter que le monachisme ruthène offrait un tableau plus complexe et vraisemblablement plus éclaté.
Un conservatisme en question
4Dans sa récente étude, Piotr Chomik revisita et nuança le tableau peu reluisant de l’état des monastères ruthènes de la grande-principauté de Lituanie au XVIe siècle. L’auteur y indique en effet que, jusqu’au règne de Sigismond II Auguste (1548-1572), les monastères orthodoxes lituaniens étaient des institutions à la fois relativement riches et bien organisées, avec un incontestable rayonnement religieux, grâce au culte des saints et des icônes miraculeuses, qui attiraient de nombreux pèlerins3. Dans la seconde moitié du siècle, la crise aurait moins touché ces fonctions cultuelles que l’état économique des monastères, affectés par la pratique de la commende et surtout par l’éclatement confessionnel des fidèles avec l’arrivée de la Réforme. Les conclusions de Piotr Chomik corrigent une présentation trop linéaire de l’affaiblissement des structures monastiques, mais conservent implicitement la vision du monachisme comme garant privilégié de la tradition dans les institutions ecclésiastiques orthodoxes.
5La question paraît pourtant moins évidente si on l’examine dans le détail. Tout d’abord, les conflits entre uniates et orthodoxes ne peuvent se réduire à une simple opposition entre tendances innovatrices et attachement inconditionnel à l’ancienne tradition orthodoxe. Ainsi, les confréries qui, pour la plupart d’entre elles, rallièrent et même façonnèrent la position anti-unioniste, défendirent dans le même temps un vaste programme de réforme de la vie religieuse locale, avec des solutions parfois contraires aux cadres anciens de l’Église orthodoxe4. D’autre part, malgré les arguments développés dans la controverse, les partisans comme les détracteurs de l’Union se trouvaient dans une rupture avec les équilibres instaurés dans la métropolie kiévienne au cours du XVIe siècle. Les premiers devaient ainsi justifier le changement d’obédience, qui avait un sens ecclésiologique fort, puisqu’il était fondé sur une Union locale et devenait un objet à part dans les contacts entre Rome et Constantinople. Les seconds étaient confrontés, à leur tour, à la nécessité de légitimer le rejet de leur hiérarchie ecclésiastique, qui avait pourtant été instituée par les patriarches orientaux. Surtout, les réactions des monastères ne furent pas unanimes ou, du moins, révélèrent une nette différence entre les territoires.
6Pour les synodes parallèles tenus à Brest en octobre 1596, les différentes sources mentionnent trois archimandrites ruthènes présents au synode uniate et douze archimandrites ou higoumènes parmi les rangs du clergé orthodoxe5. Alors que la moitié de ces derniers venait du diocèse de Luc’k-Ostroh, ceux qui prirent le parti de l’Union étaient tous originaires de la partie lituanienne du diocèse métropolitain. Le territoire placé directement sous l’autorité de Michał Rahoza présentait ainsi le tableau le plus contrasté. D’un côté, les deux monastères parmi les plus actifs à la fin du XVIe siècle – celui des Grottes de Kiev et de l’Annonciation à Supraśl – dénoncèrent le projet unioniste et se placèrent en conflit ouvert avec le métropolite. Dans le même temps, plusieurs couvents de la Lituanie occidentale, dotés d’un fort prestige local, reconnurent l’obédience romaine : Saints-Boris-et-Gleb de Hrodna, le monastère de l’Annonciation de Braslaw, le monastère de la Très-Sainte-Mère-de-Dieu de Lawryšava et le monastère de l’Ascension de Minsk, dirigé par Rahoza avant son accession à la métropolie6. À Vilnius, la situation de la Sainte-Trinité paraissait d’autant plus complexe que le monastère se trouvait intimement lié à la confrérie orthodoxe de la ville. Toutefois, le premier archimandrite connu après 1596, Sofroniusz, resta au départ loyal envers le métropolite, même s’il paraissait peu favorable à l’Union elle-même. En somme, l’élite monastique ruthène des capitales du diocèse métropolitain suivit son hiérarque et se trouva intégrée dans l’Église uniate7.
7Les raisons précises de cette disparité territoriale ne peuvent donner lieu qu’à des suppositions. Néanmoins, il semblerait que le droit de patronage ou, du moins, l’influence de certains magnats jouèrent ici un rôle non négligeable. L’engagement massif des moines des voïvodies de Kiev et de Volhynie en faveur de l’orthodoxie pouvait renvoyer en effet à leur dépendance à l’égard du prince Ostrogski qui exerçait son influence sur ces régions. La même situation, mais avec des enjeux différents, se retrouvait précisément à Supraśl qui était une fondation privée. Le patron, Hieronim Chodkiewicz, était un catholique latin qui était à d’autres occasions parfaitement disposé à soutenir l’Union, mais qui se montrait soucieux de limiter l’influence du métropolite sur l’un des principaux sanctuaires de la famille. Au départ, il veilla donc à protéger l’archimandrite Hilarion Massalski dont l’engagement dans le camp orthodoxe arrangeait d’une certaine manière ses propres intérêts. Il fallut attendre que le conflit entre Massalski et le métropolite Pociej se transformât en une véritable affaire publique, avec l’intervention du roi, pour que Chodkiewicz se résigne, en 1603, à nommer un nouveau supérieur à Supraśl8. Les archimandrites passés à l’Union s’inscrivaient à leur tour dans les rapports issus du droit de patronage, puisque leurs bénéfices relevaient directement du patronage royal et se trouvaient sous une influence plus étroite du pouvoir métropolitain. Par conséquent, même si cet aspect ne devait pas constituer l’unique raison de leurs choix, il est indéniable que le ralliement aux orthodoxes aurait rendu leur position particulièrement fragile et sans doute entraîné à terme leur déposition.
Des communautés réduites
8Quel fut donc l’état du monachisme ruthène de la Lituanie occidentale au moment de la division de l’Église kiévienne entre deux obédiences ? Malgré les informations rassemblées par Piotr Chomik, le sujet est loin d’être complètement exploré. Par exemple, comme le souligne l’auteur lui-même, nous ne savons presque rien des monastères de Losk ou de Hal’šany9. Une autre difficulté provient notamment de l’extrême variété des structures, difficiles à classer en raison du corpus documentaire relativement restreint. Pour certains couvents, la désignation paraît étonnante, comme dans le cas du « petit monastère presbytéral » (popowski) situé au cœur de Hrodna10. L’origine du nom reste relativement obscure et ne permet pas de savoir s’il s’agissait d’une désignation populaire associée à l’ancienne église séculière ou au statut des moines, établis ici au cœur de la ville et pourvus du sacerdoce. Quoi qu’il en soit, l’exemple prouve que l’appellation de « monastère » pouvait renvoyer à des réalités variées, qui ne laissèrent pas les mêmes empreintes dans les archives en fonction de leur importance. Piotr Chomik relève pour l’ensemble de l’espace lituanien 66 monastères orthodoxes, fondés avant la fin du XVIe siècle11. Parmi eux, dix se situaient dans les voïvodies de Vilnius et de Trakai. Ce chiffre ne constitue toutefois qu’une valeur indicative, car plusieurs fondations modestes purent échapper à ce recensement et, inversement, l’existence de certaines communautés paraît contestable. Néanmoins, il suffit à montrer que la place du monachisme ruthène y restait relativement modeste, puisque pour un cinquième du territoire et un tiers de la population de la grande-principauté, d’après les données du milieu du XVIIe siècle (tab. n° 3), cet espace ne comptait que près d’un monastère sur sept.
9La vie interne des communautés à la veille de l’Union de Brest demeure mal connue, mais les quelques informations disponibles laissent supposer que leurs effectifs baissèrent dans la seconde moitié du XVIe siècle. Jusqu’aux années 1570, le monastère de Supraśl compta ainsi en moyenne plus de trente moines et la communauté atteignit même trente-huit individus à la mort de l’archimandrite Joachim en 157212. Cette même année, la région vit l’arrivée d’une épidémie qui en quelques années emporta près des deux tiers de la communauté qui vers 1575 ne comptait plus que douze moines13. Pour autant, l’effondrement de la population monastique ne fut pas qu’un effet des contingences car, au cours des trente années suivantes, elle resta limitée à ces effectifs réduits, sans parvenir à retrouver son état antérieur. Cette stabilité numérique, sur une période relativement longue, suggère alors qu’un tel état correspondait également à la volonté des patrons, probablement désireux de réduire les dépenses de la communauté afin de pouvoir récupérer une partie des revenus monastiques.
10Le même panorama apparaît pour le monastère de la Sainte-Trinité à Vilnius. Pour la fin du XVIe siècle nous ne disposons pas de données chiffrées de la communauté, mais plusieurs indices soulignent sa taille réduite. La place occupée par la confrérie orthodoxe dans le couvent montre à elle seule le relatif effacement des moines à la fois dans l’espace de l’ensemble monastique (avec l’abandon du réfectoire) et dans le service cultuel, confié par la municipalité aux prêtres séculiers de la cité et assuré partiellement par le clergé de la confrérie14. Un autre détail qui corrobore cette impression renvoie au déclin du couvent féminin qui avait été fondé sur le même territoire vers le milieu du XVIe siècle et fut mentionné dans les sources en 158915. Pourtant la communauté dut cesser d’exister quelques années plus tard puisque la première supérieure connue, Wasylissa (Barbara) Sapieżanka, fut considérée au XVIIe siècle comme la « restauratrice » du couvent16. Enfin, la désolation du plus ancien couvent ruthène de la capitale devint par la suite un lieu commun des écrits de controverse et de la rhétorique uniate, dans l’intention de montrer l’importance de la tâche accomplie par les premiers réformateurs de l’ordre basilien. Là encore, le témoignage de l’higoumène de Polack au procès de béatification de Jozafat Kuncewicz, parmi les diverses détails fournis sur les premières années de la vie de ce dernier, insistait sur le déclin du sanctuaire. Au moment de l’entrée de Kuncewicz dans le monastère, il n’y aurait trouvé qu’un seul moine et, les jours de fête, les messes célébrées dans l’église de la Sainte-Trinité ne rassemblaient qu’une vingtaine de personnes des deux sexes17. Le caractère évidemment hagiographique de ce récit ne lui enlève pas toute crédibilité si l’on considère que, déjà en 1584, Étienne Báthory acceptait d’accorder le patronage sur le monastère à la municipalité de Vilnius précisément parce qu’il était tombé « en grande ruine », à la fois par l’état de ses constructions et par sa discipline interne18.
11Ce recul des vocations pouvait être à la fois la conséquence de l’affaiblissement économique des institutions monastiques et celle des nouvelles formes de spiritualité, plus éloignées du monachisme orthodoxe. Toutefois, le délabrement de la richesse foncière des couvents ne doit pas être exagéré. Sans cela, il serait difficile de comprendre les luttes pour les bénéfices monastiques qui suivirent l’Union de Brest et qui, d’une manière plus locale, étaient déjà présentes dans les années 1590. Il faut en réalité prendre garde à ne pas confondre ici la valeur même des bénéfices et l’affectation des sommes prélevées. Tout naturellement les détenteurs du bénéfice et, indirectement, certains patrons étaient tentés de diminuer la taille des communautés présentes dans le monastère afin d’augmenter leurs propres revenus. Ce phénomène ne constitue pas pour autant une règle univoque. D’une part, le droit de patronage et ses abus n’étaient pas une nouveauté de la seconde moitié du XVIe siècle et, d’autre part, maintenir un sanctuaire dans un état de délabrement revenait à ne plus attirer de nouvelles fondations et s’avérait donc contraire aux intérêts financiers du patron et du bénéficiaire. En un mot, si les monastères ruthènes de la fin du XVIe siècle vivaient certes sur un héritage antérieur, celui-ci était encore loin d’être complètement dilapidé. La crise, telle qu’elle était perçue par une partie des élites orthodoxes, affecta bien davantage la discipline et plus encore l’aura qui entourait les moines. Il est vrai que nous n’avons que les traces des regards extérieurs, sans pouvoir plonger au cœur de la vie interne des communautés monastiques, mais ce silence à lui seul en dit long sur leur position face aux courants spirituels de l’époque.
12Pourtant, cette apparente inertie généralisée cache des situations hétérogènes ou, du moins, des exceptions notoires. L’exemple le mieux connu concerne le monastère de Supraśl, qui formait indéniablement un cas particulier à l’échelle de la métropolie. Grâce aux inventaires conservés, nous savons qu’en 1557 sa bibliothèque comptait au moins 203 ouvrages, réunis par les efforts des premiers archimandrites19. Les moines du couvent composèrent même au cours du XVIe siècle plusieurs œuvres de controverse dirigées contre les protestants, mais également les juifs et, surtout, les catholiques20. Les bibliothèques et l’activité culturelle des autres couvents restent très peu connues mais des mentions éparses attestent de l’existence dans plusieurs d’entre eux de collections d’ouvrages parfois anciens. En juillet 1601, le métropolite Pociej informait en effet Lew Sapieha qu’il avait trouvé dans le monastère de la Trinité de Vilnius plusieurs ouvrages vieux de plus de cent ans, dont l’un renfermait le privilège du pape Eugène IV, traduit en slavon et relatif au concile de Florence21. Il serait donc abusif de considérer qu’il n’y eut que des moines ignorants, en oubliant que certains s’inscrivirent directement dans les controverses brûlantes de leur époque.
13Et pourtant, à la lecture des sources, une impression de dichotomie se maintient entre les aspirations laïques et la vie monastique. Les confréries religieuses ruthènes – qui sont malheureusement la seule expression directement visible de la religion laïque dans les sources – restaient attachées aux églises monastiques dans lesquelles elles fondaient généralement leurs autels, parlaient parfois du monachisme mais, au fond, avaient des contacts assez superficiels avec les moines. Alors que les statuts de la confrérie de Vilnius autorisaient en principe l’accès à l’association à tous les individus clercs ou laïcs, quel que fût leur statut, aucun moine ne figurait sur le registre des confrères des années 1590, à l’exception d’un hiéromoine grec, Pakhomios (Pachomiusz)22. De même, après avoir quitté le monastère de la Sainte-Trinité, les confrères mirent vraisemblablement quelques années à organiser institutionnellement leur propre monastère autour de leur nouvelle église du Saint-Esprit23. Durant les vingt premières années de son existence, entre 1584 et 1604, la confrérie n’entretint que des clercs séculiers même s’ils officiaient dans l’église monastique. Cela paraît donc indiquer que l’attachement des élites orthodoxes à la sacralité des anciens monastères de la métropolie se conjuguait avec une certaine distance avec les membres des communautés monastiques24. Ces dissonances en appelaient indirectement à une réforme du monachisme qui, dans l’esprit des fidèles, devait être ravivé, voire réorganisé en profondeur.
Le monachisme au service de l’Union : entre tradition orientale et inspiration latine
14Les enjeux du lien entre les moines et l’ensemble des fidèles de « rite grec » furent perçus de manière précoce par la hiérarchie uniate et, en particulier, Józef Rutski revenu à Vilnius comme simple laïc mais doté d’une solide formation théologique dans l’esprit missionnaire tridentin. Très tôt, ses activités éducatives menées dans le séminaire uniate de Vilnius, rattaché à la Sainte-Trinité, l’amenèrent à formuler des propositions censées donner les cadres nécessaires à une réforme d’ensemble des monastères ruthènes, voire au-delà. Pour lui, le redressement de l’Église kiévienne nécessitait un renouveau disciplinaire, dont les résultats pourraient servir de vitrine face aux laïcs et assurer la diffusion de l’Union dans l’ensemble de la métropolie.
15L’accent mis sur les communautés monastiques dépassait le mimétisme face aux ordres latins de la Réforme tridentine. L’activité et les écrits de Rutski montrent parfaitement que le renouveau devait se faire par l’éducation du clergé et par la place accordée à l’activité pastorale, ce qui le plaçait à la marge des représentations « classiques » du monachisme oriental. Ses choix étaient donc guidés par le pragmatisme et le constat des insuffisances du premier établissement scolaire fondé par le métropolite Pociej. Pour le théologien, ces moines « nouveaux » devaient devenir la pierre angulaire de la réforme car ils pouvaient à la fois fournir des enseignants pour les futurs séminaires et initier indirectement la réforme de la hiérarchie, à condition de leur réserver les charges épiscopales de la métropolie25. En somme, le monachisme ruthène devait servir à relier les réformes locales du clergé in membris et in capite. Ces considérations sont un reflet net de la vision romaine de l’époque, où le rétablissement de l’autorité exigeait au préalable un rétablissement de la discipline et de la dignité dans le clergé de l’Église.
16Dans son raisonnement, Rutski pensait tout naturellement faire appel aux religieux latins dont la règle serait proche de la tradition érémitique orientale. En effet, au cours de son séjour dans la capitale pontificale, il avait pu côtoyer les représentants des divers ordres latins et, en particulier, des carmes déchaux qui venaient de mettre en place leurs structures italiennes. Profitant du passage dans la République d’une délégation formée par les représentants de l’ordre, qui se dirigeaient vers la Perse, le jeune théologien n’avait pas hésité à s’adresser aux pères pour leur suggérer de fonder un nouveau couvent dans l’espace lituanien et servir ainsi d’exemple aux moines de rite grec26. Dès le 1er septembre 1604, le chef de la mission, Paulus Simon, informa la Curie de cette proposition et manifesta son enthousiasme pour le projet27. Après une tentative infructueuse pour entrer en Moscovie, les religieux durent rebrousser chemin et passer plusieurs mois en Pologne-Lituanie, ce qui leur donna l’occasion de s’entretenir plus longuement avec l’ancien pensionnaire du collège Saint-Athanase et d’examiner ses propositions.
17Parallèlement, celui-ci parvint à convaincre le métropolite de ne pas laisser échapper une telle occasion. Les registres du chapitre des carmes déchaux indiquent en effet qu’en avril 1605 Hipacy Pociej et son « vicaire » – titre derrière lequel se cachait vraisemblablement Józef Rutski – avaient adressé des lettres aux supérieurs romains pour demander à l’ordre de leur envoyer des pères pour une nouvelle fondation lituanienne, destinée à soutenir les efforts de l’Église uniate28. Dans les propositions de Rutski, il s’agissait d’employer les frères du Carmel, qui accepteraient de passer au rite grec, pour former des recrues locales et servir d’exemple à la réforme des moines basiliens. Le choix des carmes déchaux paraissait le plus pertinent car leurs usages étaient proches de ceux des moines de rite grec. Comme ces derniers, ils ne consommaient pas de viande et leur règle reprenait plusieurs points des Grandes et Petites Règles de saint Basile. Le premier chapitre général de la Congrégation italienne de l’ordre accueillit favorablement cette demande mais préféra établir sa maison à Cracovie, afin de répondre également aux sympathies que les missionnaires carmes avaient pu susciter auprès de la noblesse polonaise29. Cependant, les religieux dépêchés de Rome n’arrivèrent en Pologne qu’à la fin novembre 1605 et l’aide demandée par le clergé ruthène ne prit la forme que de promesses sans lendemain, en raison de l’ampleur de la tâche et de la faible implantation de l’ordre sur le territoire polono-lituanien30. Józef Rutski remit donc ses projets à plus tard et proposa d’accompagner l’ambassade pontificale du père Simon qui s’apprêtait à reprendre la route de la Moscovie, profitant de l’installation de Faux Dimitri sur le trône des tsars31.
18Ce voyage joua un rôle important dans les réflexions du futur métropolite. Il faut remarquer que le nouveau souverain moscovite avait accueilli avec un grand intérêt ces idées de réforme monastique et essaya même de retenir le théologien pour aider à la mise en œuvre de ces mesures32. L’expérience moscovite fut sans suite mais amena Rutski à ajuster ses plans initiaux. Les solutions abordées à Moscou avec Dimitri devaient être soumises à l’approbation de la Curie et il fut donc décidé que le représentant uniate se rendrait à Rome dans la suite du légat et neveu du nonce de Varsovie, Alessandro Rangoni. La délégation arriva dans la capitale pontificale à la mi-juin 1606. Peu après, Rutski présenta à Paul V un document qui n’était plus son texte de janvier 1605 mais un nouveau document, intitulé De aliis mediis iuuandi Graecos et Ruthenos33.
19La différence majeure entre les deux projets réside dans la place accordée au clergé basilien local. Alors que dans le premier cas les religieux occidentaux ne devaient être que des initiateurs d’une réforme interne du monachisme oriental, dans le texte de 1606 toute l’attention se portait sur des représentants des ordres latins, passés au rite grec, qui constitueraient un vivier croissant et quasi exclusif pour le recrutement de la future hiérarchie uniate34. Le second texte fut également débarrassé des développements sur la spiritualité orientale, présents dans le projet précédent, car son but était de s’adresser directement aux Latins, en exposant des moyens adéquats à une démarche efficace auprès des Églises de « rite grec »35. Il s’ouvrait par une annonce particulièrement explicite :
Deux choses sont particulièrement nécessaires dans toute conversion, ou plutôt dans la conversion ou dans l’Union des Grecs et des Ruthènes à l’Église catholique romaine : l’une est que [...] ceux qui traitent de la conversion des âmes doivent s’adapter à la nature et aux représentations de ceux qu’ils prétendent convertir. [...] L’autre chose requise est la persévérance36.
20Quel sens doit-on donner à cette évolution lexicale et même conceptuelle de Rutski qui assimilait presque ouvertement l’Union à une « conversion » ? Ce point est d’autant plus important que l’organisation du futur ordre de moines uniates basiliens se rapprocha davantage des idées originelles, énoncées en 1605. Les positions exprimées à Rome n’étaient pas une simple réaction éphémère. Il serait plus prudent de supposer que les observations faites à Moscou montrèrent à l’auteur l’ampleur des difficultés et l’inefficacité des actions jésuites. Son second mémoire était donc moins une renonciation à ses desseins initiaux qu’un document destiné à un autre public. Dans celui-ci, l’ancien élève du Collège grec voulait convaincre les supérieurs romains d’introduire une série de modifications pratiques dans l’activité menée par les ordres missionnaires, sans exclure la possibilité d’une réforme parallèle, interne, du monachisme local. À terme, cela aurait permis une rencontre et une fusion de ces deux tendances. Dans le même temps, Rutski semblait avoir pleinement conscience que Rome regardait l’Église ruthène à travers le prisme de la conversion des « schismatiques » et que le clergé kiévien devait manifester des évolutions visibles pour, d’une certaine façon, prouver au grand jour sa catholicité. Pour cela, il se montrait donc prêt à dépasser les cadres d’un jeu de similitudes entre religieux latins et orientaux pour se tourner directement vers l’aide des missionnaires latins37. Au fond, le succès de l’Union reposait selon le théologien, bien moins sur une question d’accord théologique que sur celle de l’efficacité quotidienne des pasteurs. Un an après son retour de Rome, Rutski donna lui-même l’exemple et entra dans la communauté monastique de la Sainte-Trinité de Vilnius le 16 (6) septembre 160738.
21Les conceptions religieuses de Józef Rutski s’inspiraient de manière intime de son propre parcours et de ses hésitations entre les rites grec et latin. Il ne s’agissait pas tant d’une question de hiérarchie entre les deux traditions chrétiennes car il se montrait convaincu que les modèles spirituels et liturgiques ruthènes étaient parfaitement valables à condition de les purifier des abus qui s’étaient immiscés dans la pratique au cours des siècles. Dans De aliis mediis, il appelait d’ailleurs à ce que les Latins envoyés chez les Ruthènes puissent célébrer selon le rite oriental, puisque c’était selon lui l’une des conditions principales pour être accepté par les fidèles. Le problème renvoyait donc ici à une conception plus globale de l’Église et de son unité. En d’autres termes, il témoignait de la difficulté à concevoir la possibilité d’exprimer une même vérité par deux pratiques différentes, dont l’une était très proche de l’Église « schismatique ». Le dilemme n’était pas une simple spéculation théologique car il touchait directement au problème du salut, devenu une préoccupation obsédante de l’âge baroque, et, dans un monde où la plupart des fidèles considérait la religion avant tout comme une pratique, il posait la question de la validité des sacrements face à la diversité des rituels. Paradoxalement, et les élites ruthènes qui s’inscrivaient dans les nouveaux courants spirituels en étaient pleinement conscientes, l’Union introduisait la division puisqu’elle établissait deux modèles spirituels à l’intérieur d’une même Église39. Or, était-il légitime de diviser la sacralité ? Plusieurs autres contemporains du futur métropolite, comme Melecjusz Smotrycki ou Kasjan Sakowicz, se confrontèrent à la même interrogation et, dans une démarche semblable, apportèrent des réponses parfois extrêmes, en prétendant que tous les « schismatiques » étaient voués à la damnation ou bien en préconisant de passer au rite romain, vu comme plus pur et donc plus sûr40. Plusieurs ecclésiastiques du début du XVIIe siècle durent affronter le point épineux de la définition de l’Union, à un moment où la papauté n’avait pas encore produit une législation suffisamment précise et abondante pour insérer le catholicisme oriental dans un cadre formel particulier.
22La solution proposée par Rutski releva du domaine institutionnel. La réforme commença dans le monastère de la Sainte-Trinité de Vilnius avec l’aide de Jozafat Kuncewicz et les conseils des jésuites de l’académie de la ville. Après l’ouverture du noviciat, le prestige de l’institution connut une croissance rapide et, vers 1613, le couvent aurait compté près de 60 moines41. Les débuts du renouveau monastique sont très mal connus mais nous conservons néanmoins les Règles communes, en latin et en polonais, destinées à la nouvelle communauté et qui furent rédigées vraisemblablement vers le milieu des années 161042. La démarche du réformateur se voit dans les emprunts faits aux jésuites, puisque, d’après Porfirij Pidručnyj, sur les soixante-six règles, dix étaient directement une copie des Règles de la Compagnie et d’autres s’en inspiraient fortement43. À la même période, la réforme fut étendue au monastère féminin qui se trouvait près de l’église de la Sainte-Trinité. Sophia Senyk considère que les règles données à la communauté de moniales étaient une adaptation ou une simple transposition du texte rédigé par Rutski pour le monastère masculin voisin44. Comme l’original de l’époque ne fut pas conservé et que la première version de la Règle basilienne féminine ne fut imprimée qu’en 1771, il est difficile de se prononcer sur ses origines. Toutefois, le témoignage d’Antoni Sielawa au procès de béatification de Kuncewicz indique clairement que ce dernier était l’initiateur de la réforme des moniales et le rédacteur de leur règle45. Si l’on croit ce témoignage (Sielawa était alors présent dans le monastère), il est possible de supposer que les Règles communes furent également composées par les deux hommes, puis traduites en latin par Rutski.
23En 1617, les moines uniates réformés tinrent le premier chapitre général de la congrégation basilienne qui comptait à cette date cinq monastères (Vilnius, Navahrudak, Minsk, Žyrovičy et Bycen’)46. Cette première réunion servit à préciser les structures de la nouvelle congrégation et à instaurer la réunion régulière des chapitres généraux qui devaient avoir lieu tous les quatre ans47. L’ordre dépendait directement du métropolite mais les affaires internes étaient confiées à un protoarchimandrite et à ses assistants (consultores), élus à vie et chargés notamment d’effectuer les visites des couvents. Le protoarchimandrite nommait les higoumènes des monastères qui ne devaient rester en place que quatre ans. Pour garantir l’efficacité de sa réforme, le métropolite précisa que seuls les moines basiliens auraient accès aux charges épiscopales uniates. Cette règle, d’abord introduite comme un usage appliqué de manière stricte par le métropolite, fut reconnue par le privilège royal de Ladislas IV en 163548. En 1624, la création de la « Congrégation de la Trinité » reçut la confirmation de la Propaganda Fide dont le décret fut confirmé par Urbain VIII en 163149.
24Ces tendances unificatrices s’étendaient là encore aux communautés féminines mais de manière moins explicite. En effet, au moins trois monastères uniates de cette époque avaient été fondés ou réformés par les anciennes sœurs issues de la communauté de la Sainte-Trinité de Vilnius50. Les moniales participaient ainsi à diffuser une règle de vie commune unique et, surtout, maintenaient un réseau de contacts personnels entre les couvents.
25Cependant, dès l’origine, les principes énoncés par Rutski se heurtèrent aux pratiques de l’époque qui se prêtaient mal à la rationalisation voulue par le métropolite. De fait, lors du chapitre général de 1617, les religieux avaient passé sous silence les distinctions qui existaient entre les statuts des monastères51. En particulier, se posait le problème des archimandritats qui dépendaient du droit de patronage des grands seigneurs laïcs et jouissaient d’une large autonomie par rapport à la hiérarchie ecclésiastique52. Dans la majorité des cas, ces couvents purent garder leur supérieur désigné à vie, sans se soumettre à l’autorité du protoarchimandrite53. Parfois les patrons pouvaient initier eux-mêmes des réformes de la communauté monastique, mais ils conservaient néanmoins leurs droits sur le monastère et limitaient fortement l’intervention de la hiérarchie54. L’archimandritat de Supraśl fournit là encore un exemple particulièrement intéressant et bien documenté.
26Si, dès 1603, le monastère fut placé sous l’autorité des métropolites uniates de Kiev, sa véritable intégration dans l’ordre basilien ne put avoir lieu que vers 1635, quand Rutski donna une nouvelle règle à la communauté55. La raison de ce décalage provient du contrôle étroit exercé par les Chodkiewicz sur le couvent. Dans les documents rassemblés par l’auteur de la Chronique du monastère se trouvent plusieurs « règles », ou plutôt des prescriptions pour la vie interne de l’institution, destinées à l’usage du monastère et rédigées par les patrons56. La dernière, établie en 1627 par Krzysztof Chodkiewicz, insistait en effet sur la nécessité de son accord ou de celui de son représentant pour l’ensemble des affaires internes du monastère57. Un grand nombre de mesures, telles un compte rendu annuel des revenus monastiques, la libre disposition des terres laissée au représentant du patron, logé et entretenu par le monastère, la rédaction d’un registre précis et actualisé du mobilier du couvent ainsi que l’impossibilité d’accepter de nouveaux moines sans le consentement préalable de Chodkiewicz, montrent clairement que l’objectif principal était de protéger les intérêts économiques des patrons58. D’ailleurs, le chroniqueur précisait que le prince n’avait pas hésité à se loger lui-même dans le couvent pendant plusieurs semaines, en compagnie de sa suite et avec femme et enfants. Ce texte suscita une vive réaction de la part du métropolite qui intenta une série de procès contre Chodkiewicz. Le conflit dura plusieurs années avant de parvenir à un compromis entre les parties59. L’histoire de Supraśl au cours des premières décennies du XVIIe siècle prouve que la réforme basilienne connut des avancées inégales et nécessita du temps pour s’imposer comme modèle principal du monachisme ruthène catholique.
27Malgré ces difficultés et incohérences, l’élan lancé par Rutski fut un succès indéniable pour l’Union. Vers 1637, date de la mort du métropolite, l’ordre comptait au moins trente-six établissements60. En revanche, les basiliens connurent une réussite moindre dans l’augmentation de leurs effectifs car, d’après le rapport de Filip Borowik de 1647, plusieurs archimandritats ne comptaient jamais plus du tiers du nombre de moines qu’ils pouvaient accueillir, et certains se réduisaient à quelques personnes61. La communauté de Vilnius se composait ainsi de moins de 20 individus, à Supraśl ils n’étaient que 16 et à Hrodna et à Braslaw il n’y avait selon l’auteur du rapport pas plus d’un moine en dehors de l’archimandrite lui-même.
28La situation des orthodoxes de la même époque paraît comparable par certains aspects. Là encore, nous ne possédons que des informations sur les monastères mais relativement peu de données sur les communautés elles-mêmes. Par conséquent, même si les auteurs évoquaient déjà à l’époque le cas du monastère des Grottes de Kiev avec ses centaines de moines, cet exemple ne peut servir de référence aux autres couvents. Tomasz Kempa, qui consacra un article à la question des fondations monastiques orthodoxes, prétend que dans la première moitié du XVIIe siècle plus d’une centaine de monastères ruthènes se trouvaient dans l’obédience de Constantinople, parmi lesquels une cinquantaine étaient apparus précisément au cours de cette période62. Bien entendu, en raison du statut « illégal » de l’Église orthodoxe kiévienne entre 1596 et 1633, ceux-ci étaient des fondations privées. Beaucoup d’entre elles dataient de la fin des années 1620 et d’autres profitèrent par la suite de la politique de tolérance menée par Ladislas IV. En raison des moyens dont ils disposaient, il s’agissait d’établissements de taille modeste dont l’importance était surtout de quadriller le territoire avec un réseau de sanctuaires orthodoxes et d’engager les fidèles à ne pas se rendre dans les églises uniates63.
29Le phénomène le plus marquant de cette période concerne toutefois les réseaux monastiques uniates mais aussi orthodoxes qui d’une certaine façon se répondaient l’un à l’autre. Face à la constitution de l’ordre basilien, les orthodoxes organisèrent en effet des regroupements autour des monastères les plus prestigieux. En Lituanie, trois ensembles de ce type fonctionnaient autour du couvent Saint-Esprit de Vilnius, un autre autour de l’archimandritat de la Sainte-Trinité de Sluck et le dernier autour du monastère de l’Épiphanie à Kucejna (Orša), dont la construction débuta en 162764. Au total, ces regroupements comptaient un peu moins d’une trentaine de monastères vers le milieu du XVIIe siècle et se rapprochaient donc de la taille de la congrégation basilienne de la même époque. Cette similitude cachait néanmoins des aspects singuliers, puisque pour les orthodoxes la structure était généralement façonnée de l’extérieur, par les fondateurs, qui souhaitaient placer leurs sanctuaires sous la tutelle des monastères les plus prestigieux de leur communauté, qui se trouvaient à leur tour sous l’autorité directe du métropolite de Kiev orthodoxe65.
30L’intérêt de telles structures était à la fois disciplinaire et financier. D’une part, elles permettaient de contrôler la vie des communautés et de veiller à ce qu’elles ne basculassent pas dans l’Union, voire de déplacer les moines d’une maison à l’autre pour éviter des déséquilibres criants. D’autre part, cela donnait la possibilité d’assurer la continuité des revenus et par là l’existence même des petites fondations, réaffectant les recettes selon les besoins des communautés. Cette forme de tutelle ou de contrôle direct par le haut était un vecteur évident du progrès de la discipline dans les rangs du clergé régulier.
31Si l’Union stimula les nouvelles fondations, par la division institutionnelle du clergé et donc un affaiblissement de l’encadrement déjà déficient, elle amena aussi une redéfinition des rôles réservés aux communautés monastiques. La concurrence entre clercs uniates et orthodoxes entraîna en effet un développement de l’action pastorale, à travers la prédication mais aussi la catéchisation. Le premier chapitre général basilien énonça les grands principes de l’ordre dont le but était la « gloire de Dieu »66 et le soin des « âmes de rite grec »67. Le fondateur affirmait ainsi clairement la vocation pastorale de l’ordre et plus généralement son action auprès des fidèles68. Pour cette raison, et reprenant ici la démarche des réguliers latins, Rutski disait ne pas vouloir créer de couvent dans des lieux dépeuplés69.
32Les basiliens insistaient également sur la place de l’activité scolaire de l’ordre. En 1617, et en dehors de Vilnius, ils disposaient déjà de deux écoles monastiques à Navahrudak et à Minsk et d’un noviciat à Bycen’70. La huitième session du premier chapitre général basilien se chargea de l’enseignement prodigué dans ces écoles et précisa que, si le contrôle de celui-ci revenait aux supérieurs des monastères, le programme d’ensemble, c’est-à-dire « ce qui devait être enseigné et étudié dans chaque école », était décidé par le protoarchimandrite afin que « la méthode de notre éducation fût la même partout »71. Cela affirmait la volonté de centraliser les efforts éducatifs à l’échelle de la métropolie et de donner aux basiliens le quasi monopole dans ce domaine. Le chapitre suivant, tenu à Lawryšava, décida de prélever un vingtième des revenus de chaque monastère pour financer les écoles uniates et vers la fin des années 1620 cinq autres institutions de ce type étaient déjà en fonctionnement72.
33Dans les monastères orthodoxes l’approche fut partiellement différente. Certes la prédication et l’enseignement occupaient ici des places importantes, mais dans les grandes localités ces activités étaient généralement organisées et administrées par les confréries qui faisaient appel aux moines pour leurs savoirs. À Vievis, la charte de fondation des Ogiński prévoyait toutefois que la petite communauté monastique locale tînt une école pour les enfants, prenant à sa charge leur entretien73. La place particulière des moines orthodoxes s’expliquait aussi par leurs évolutions internes. Devant la rhétorique confessionnelle née de l’Union, les principales communautés orthodoxes s’engagèrent à leur tour dans une réforme disciplinaire qui, à la différence des basiliens uniates, prônait un retour vers les origines du monachisme ruthène. Leoncjusz Karpowicz, supérieur du monastère orthodoxe de Vilnius, rédigea ainsi une règle qui ne fut pas conservée mais qui laisse deviner, par les mentions présentes dans d’autres ouvrages, un retour vers la vie ascétique et les mortifications74. De telles tendances qui poussaient davantage vers le repli des communautés sur leur vie interne traçaient une évolution très différente du projet formulé et mis en pratique par Rutski.
34Ces divers aspects du monachisme « de rite grec » du premier XVIIe siècle révèlent qu’il formait l’un des facteurs de la confessionnalisation de la communauté ruthène à travers la mise en avant de modèles plus cohérents mais aussi plus exclusifs. Sa fonction de vitrine du clergé auprès des laïcs, plus explicite chez les membres de l’ordre uniate des basiliens, mais également présente chez les orthodoxes, amenait inévitablement à l’apparition de nouveaux modèles de spiritualité ou, du moins, de modèles qui contrastaient fortement avec les usages « traditionnels ». Józef Rutski lui-même avouait, dès 1617 puis en 1624, qu’il était vain de vouloir transformer le clergé déjà en place et qu’il fallait par conséquent concentrer ses efforts sur la formation d’une nouvelle génération de moines dans l’Union et d’après les nouvelles normes disciplinaires. Pour cette raison, l’ordre n’acceptait que les « nouveaux religieux, qui étaient comme des ardoises vierges, sur lesquelles il était possible d’inscrire ce qui plairait »75. Dès lors, le moine réformé devait servir d’exemple pour la vie religieuse des laïcs et devenir l’un des principaux acteurs dans la diffusion de cette piété renouvelée au sein de la communauté ruthène.
Des modèles et des normes
35La consolidation progressive des structures cléricales des deux Églises ruthènes souleva rapidement la question de la différenciation des deux communautés, bien au-delà des seuls partages institutionnels. Cette évolution constitua de fait un immense défi pour chacune des hiérarchies confrontées à un paradoxe. D’une part, il s’agissait de faire coexister de manière cohérente des tendances antagonistes ou du moins difficilement compatibles : marquer son attachement aux traditions de l’Église ruthène d’avant l’Union afin de montrer la continuité de l’institution et légitimer sa sacralité, ainsi que d’initier une réforme des abus et donc de la discipline, pour répondre aux nouvelles aspirations des élites laïques et faire face à la concurrence religieuse croissante. D’autre part, il fallait parvenir à se démarquer des chrétiens orientaux de l’autre obédience, alors même que les pratiques continuaient à dissimuler une frontière qui ne se manifestait que ponctuellement sous son aspect juridictionnel. L’évocation récurrente de ces lignes de partage invisibles fit donc basculer les oppositions dans le domaine des représentations, pour faire des attitudes face à l’Union un véritable « acte de foi », qu’il fallut inscrire dans l’imaginaire des croyants.
Des lignes confessionnelles imposées ?
36Le conflit survenu à Vilnius en 1609 développa une riche rhétorique anti-unioniste, construite sur deux thèmes parallèles, qui apparaissaient de manière redondante : la trahison du clergé uniate vis-à-vis de la hiérarchie constantinopolitaine et sa contamination par le dogme et les rites latins76. Ce dernier sujet constituait l’un des arguments essentiels qui permettaient de manière habile de désavouer l’Église unie à Rome, sans recourir aux explications délicates sur les différences réelles des institutions. La « latinité », vue comme un ensemble de caractéristiques qui définissait les partages entre les divers habitants de la République polono-lituanienne, parlait ici pour elle-même. En d’autres termes, derrière les arguments essentiellement dogmatiques, employés par les clercs orthodoxes, résonnait tout un ensemble d’aspects sociaux, culturels et politiques, parfaitement audibles pour les élites ruthènes de la République. La hiérarchie uniate fut donc amenée à se définir constamment en réponse à de telles accusations. Déjà dans les XXXII Articles soumis à la papauté, les neuf premiers recensaient les principales divergences entre les deux rites et demandaient l’entière conservation des particularismes locaux77. Quelques jours après la rédaction du document, Hipacy Pociej s’empressa d’écrire à Konstanty Ostrogski dans l’espoir de le rassurer sur ses intentions et de le rallier au projet de l’Union. Il soulignait tout particulièrement que le texte ne comportait « aucune nouveauté en matière de foi, à l’exception du calendrier qui n’était pas un article de foi mais une cérémonie que l’Église du Seigneur pouvait modifier sans violer les consciences »78.
37Le jeu de regards croisés, dominé à l’origine par l’initiative anti-unioniste, se voit encore plus nettement dans l’apparition de la première littérature catéchétique ruthène. Comme cela fut déjà souligné, cette tradition remonte aux ouvrages composés par les frères Zizania à partir de 1595, avant de se poursuivre dans les cercles intimement liés à la confrérie orthodoxe de Vilnius79. Les emprunts structurels et, plus rarement, dogmatiques faits aux catéchismes protestants de la seconde moitié du XVIe siècle participèrent d’ailleurs à consolider d’autant plus le rapprochement entre uniates et Latins, puisque ces derniers étaient les premiers visés par les modèles polémiques réemployés par les orthodoxes. Cet aspect précise d’autant plus la condamnation de Stefan Zizania à Navahrudak, en février 1596. En dehors des questions d’autorité sur le clergé, le métropolie Rahoza était vraisemblablement conscient du danger qui consistait à laisser aux opposants la possibilité de définir les contours dogmatiques et rituels de l’Église ruthène au moment même de la proclamation de l’Union.
38Le successeur du premier métropolite uniate de Kiev, Hipacy Pociej, poursuivit néanmoins une démarche qui ne permit pas de rompre le déséquilibre existant entre les attaques véritablement « confessionnelles » de ses opposants et une réaction souvent institutionnelle de l’épiscopat uniate. À cela s’ajoute que cette position se révélait peu efficace devant le besoin des uniates « de prouver à chaque occasion [face aux Latins] qu’ils étaient bien des catholiques »80. Pendant très longtemps, le métropolite resta ainsi convaincu que des arguments d’autorité permettraient de mettre fin aux tensions. Dans ce sens, il entreprit un véritable travail archivistique pour dénicher les preuves de l’ancienneté de l’Union. Dès 1601, il mena des dépouillements dans les archives du monastère de la Sainte-Trinité de Vilnius et fit venir du couvent de Lawryšava (au nord-est de Navahrudak) deux documents du patriarche Niphon II adressés au métropolite de Kiev, où le hiérarque constantinopolitain affirmait la validité du concile de Florence de 143981. En 1605, il découvrit également dans l’ancienne église de Kreva une lettre du métropolite de Kiev Mizael (av. 1476-1480) qui s’adressait au pape Sixte IV et reconnaissait à son tour les principes qui avaient été formulés à Florence82. À la même époque, le métropolite fit rechercher les diverses chartes de privilège accordées à l’Église kiévienne et publia le résultat de son travail avec un commentaire détaillé, y intégrant les lettres patriarcales83.
39Le sens de ces nombreux efforts se lisait clairement dans le testament du métropolite, établi quelques mois après l’attentat subi en août 160984. Pociej y expliquait que tous les documents importants, reçus du roi ou du pape, relatifs à l’Église uniate devaient être confiés au chapitre et à l’évêque latin de Vilnius, afin qu’ils en assurassent la garde et évitassent une perte, comme cela fut le cas « avec les lettres et les preuves de l’Union conclue au synode de Florence ». Selon le hiérarque, le retour vers le « schisme » provenait non pas du rejet de l’obédience romaine, mais de la négligence de ses prédécesseurs qui égarèrent les documents censés démontrer leur rattachement à Rome. L’Union était présentée comme une relation continue entre la métropolie kiévienne et le Saint-Siège, qui fut oubliée mais jamais rompue. Les événements des années 1595-1596 ne faisaient donc que confirmer un accord conclu cent cinquante ans plus tôt et encore valide. Ce passage avait des implications ecclésiologiques très importantes puisque, contrairement aux arguments orthodoxes, il sous-entendait que c’était bien l’obédience romaine et non celle de Constantinople qui depuis longtemps s’étendait sur l’ensemble de la communauté ruthène.
40Jusqu’à la fin de sa vie, Pociej conserva sa vision institutionnelle et cultuelle de l’Église, avec un décalage face aux reproches formulés par les controversistes orthodoxes. Le 5 avril 1612, il donnait dans une lettre destinée à Lew Sapieha quelques informations sur un hôte d’exception, accueilli dans le monastère de la Sainte-Trinité de Vilnius. Il s’agissait du patriarche moscovite déchu Ignatij qui, après avoir quitté Moscou en 1611, trouva refuge à Vilnius dans le monastère uniate de la ville85. Le métropolite relevait que le patriarche avait été invité à plusieurs reprises par les orthodoxes du couvent du Saint-Esprit, mais qu’il n’avait pas répondu à leurs sollicitations. Surtout, il insistait sur les observations prêtées à l’ancien hiérarque moscovite :
[...] en particulier, quand il observe les cérémonies dans notre Église, il voit qu’il n’y a aucune différence et il s’étonne que ces mêmes gredins [Ndlr : les orthodoxes de la confrérie de Vilnius] nous présentent autrement, là-bas, à Moscou [...]86.
41Cet attachement d’Hipacy Pociej aux anciens usages constitua presque paradoxalement l’une des faiblesses du clergé uniate face à la dénonciation orthodoxe. Pourtant ce n’était pas faute de relever ces défis et chacun des traités hostiles à l’Union trouvait rapidement une réponse, fondée sur des arguments historiques, institutionnels ou dogmatiques tout aussi développés87. Ce ne sont donc ni les moyens ni les efforts déployés qui furent la raison principale de la difficulté des uniates à réduire l’influence de leurs opposants, si l’on en juge par la croissance progressive des contestations jusqu’au début des années 1610. En revanche, la persévérance du métropolite, relayé par l’épiscopat uniate, à démontrer que rien ne fut modifié après 1596, niait indirectement l’existence même des différences entre les partisans et les détracteurs du ralliement à Rome et posait donc implicitement la question des intentions véritables de l’Union. Une telle attitude fut incapable de résister à une forme de « confessionnalisation » imposée par les orthodoxes.
42La position de la hiérarchie uniate changea avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de hiérarques, annoncée par l’accession au siège métropolitain de Józef Rutski, en août 1613. La même année l’évêché de Volodymyr, qui avait été jusque là administré par le métropolite, fut accordé à Joachim Morochowski. Les deux hommes avaient été éduqués dans le Collège grec de Rome et avaient servi pendant des années comme proches collaborateurs de Pociej88. Pour la première fois depuis la promulgation de l’Union, fut posée la question d’un catholicisme ruthène, à la fois comme institution particulière et comme forme originale d’expression religieuse. Pour Rutski, fort de ses premières expériences réformatrices menées à l’archimandritat de Vilnius, il s’agissait de faire sortir l’Église uniate des cadres figés, tracés par la controverse, et d’en faire une communauté visible et identifiable par la coexistence des deux traditions chrétiennes, latine et orientale. Pour cela, l’Église kiévienne devait se doter d’ecclésiastiques capables de diffuser à l’échelle des paroisses les nouvelles normes promues par la hiérarchie.
43L’état général du clergé était toutefois loin de l’idéal pastoral visé par les réformateurs, en particulier pour les prêtres ruraux. À cela s’ajoutaient les difficultés liées à la taille des diocèses qui comptaient plusieurs centaines de paroisses. Les évêques qui avaient les capacités et la volonté de se charger personnellement de l’éducation de leurs subordonnés se trouvaient donc confrontés à une lourde tâche. L’épiscopat lituanien fut cependant très actif dans ce domaine car, dès la fin des années 1610, la plus grande partie du territoire lituanien se trouvait sous l’autorité des hommes qui avaient été les initiateurs de ce renouveau. Des efforts particuliers furent entrepris par Jozafat Kuncewicz, auteur de Règles pour les prêtres et d’un catéchisme destiné à venir en aide aux pasteurs et à combler les lacunes de leur culture théologique89.
44Les Règles exposaient les divers points de ces réformes. Tout d’abord, elles supposaient de renforcer la dépendance des prêtres à l’égard de leurs évêques. Le texte rappelait en effet qu’il était interdit aux desservants de changer de paroisse et de recevoir le sacrement de l’ordre dans un autre diocèse 90. Sur ce point, le document se faisait l’écho des réformes annoncées dans les synodes des années 1590 et des conflits connus par Pociej dans les premières années du XVIIe siècle. L’archevêque de Polack soulignait ensuite que le pasteur devait être un exemple pour les fidèles dont il avait la charge. C’est pourquoi, il était recommandé à tout prêtre de se confesser au moins dix fois par an. De même, la pratique du remariage, courante parmi les clercs devenus veufs, ainsi que la consommation excessive de la boisson étaient particulièrement visées et proscrites comme abus91. Au sujet du service, le texte insistait sur la nécessité de visiter les villages les plus éloignés de l’église paroissiale et de consacrer du temps à l’explication des vérités de la foi ainsi qu’à l’enseignement des prières aux paroissiens, lors de la messe dominicale. Cette pratique devait se développer dans l’ensemble de la métropolie et jouer le rôle de catéchèse92. Le moyen employé dans cette entreprise de moralisation des clercs était la réunion des synodes diocésains annuels, avec la participation obligatoire des prêtres locaux93.
45Les premiers destinataires de cette littérature étaient les clercs du diocèse de Polack, pour lequel Kuncewicz reçut la nomination royale le 31 mars 161894. Il est toutefois très probable que les deux textes étaient largement diffusés dans l’ensemble de la métropolie ou, du moins, autour des sièges du diocèse métropolitain grâce à l’action des moines basiliens. Une version quelque peu modifiée du catéchisme de Kuncewicz fut ainsi imprimée sur les presses basiliennes de Vilnius, en 1628, sous le titre Leçon sur la manière dont chacun doit croire [Наука яко вэрити маетъ ка(ж)дый]95. Ce bref ouvrage fournit la preuve du décalage des uniates face aux orthodoxes, dans la formulation d’une définition simple et explicite du dogme enseigné par l’institution, avec un retard de plus de vingt ans des premiers. Il montre aussi le basculement opéré dans les années 1610 grâce aux hiérarques lituaniens. Comme le souligna Margarita Korzo, le catéchisme de Kuncewicz comporte une autre particularité puisqu’il constitue en réalité une sorte de traduction adaptée du catéchisme latin rédigée par le jésuite espagnol Diego de Ledesma, traduit en polonais et publié en 1605 à Cracovie96. Les seules différences majeures concernent l’explication du Filioque et la reconnaissance du pape comme vicaire du Christ. Le catéchisme uniate reconnaît ainsi la formulation latine, mais précise qu’elle est équivalente au per Filium adopté au concile de Florence. Au sujet du pape, Kuncewicz rajoutait à la mention du vicariat que même les patriarches orientaux ne pouvaient être sauvés s’ils refusaient de s’unir à la papauté. Le contenu de l’ouvrage rend explicite l’intention de l’auteur qui s’inscrivait ainsi parfaitement dans le programme de l’Union : manifester la communion avec l’Église latine, mais conserver certaines particularités des enseignements orientaux à condition qu’elles fussent permises par la papauté.
46L’entrain des hiérarques uniates de la deuxième génération, éduqués dans l’Union, s’appliqua à bâtir par la parole et par une surveillance vigilante des clercs l’unité culturelle qui ne pouvait émerger d’une formation institutionnalisée défaillante97. Cependant, l’ensemble de ces initiatives ne suffisait pas à contrebalancer le poids des structures sociales et politiques de l’époque. La situation locale de la métropolie de Kiev dans la première moitié du XVIIe siècle restait donc marquée par un réseau d’écoles très insuffisant par rapport aux besoins. Devant ces difficultés, la hiérarchie uniate finit peu à peu par concentrer ses efforts sur ce qu’elle considérait comme le moteur du renouveau religieux – l’ordre basilien. Grâce à leurs noviciats, fondésavec le soutien des jésuites, seuls les membres de la congrégation de la Trinité recevaient un ensemble de connaissances – en particulier l’apprentissage du latin – nécessaire à l’époque pour accéder à une formation théologique de qualité. Cependant, les uniates ne possédaient pas de véritables établissements de niveau supérieur, ce qui rendait inévitable le recours aux institutions latines pour former une élite capable de rivaliser avec les meilleurs théologiens occidentaux, catholiques et protestants, et d’entraîner à terme la réforme interne de l’Église.
Les élèves ruthènes dans les collèges pontificaux
Les contraintes d’un régime d’exception
47L’accès des Ruthènes aux établissements catholiques latins ne fut ni une nouveauté ni une conséquence directe de l’Union. À Olomouc près de dix élèves ruthènes fréquentèrent les bancs du collège entre la date de sa création en 1578 et l’année 159098. Pareillement, neuf autres de leurs compatriotes étaient inscrits sur les listes du collège pontifical de Braniewo entre 1580 et 1593. Les élites ruthènes regardaient ces institutions latines – généralement tenues par les pères jésuites – comme des centres de formation prestigieux et n’hésitaient pas à y envoyer leurs enfants, malgré les différences confessionnelles99. Le plus souvent, ces élèves étaient formés dans le rite catholique romain et revenaient chez eux comme fidèles de l’Église latine. L’objectif explicitement énoncé était de convertir à la foi catholique les enfants des élites orthodoxes ou protestantes, afin de ramener les familles dans l’obédience pontificale. La preuve en est un constat frappant : parmi les anciens pensionnaires formés dans ces établissements avant la promulgation de l’Union, seule la famille des Mamonicz semble avoir joué un rôle important dans les structures uniates par la suite100.
48La seule exception était le collège Saint-Athanase, fondé à Rome par Grégoire XIII en 1577101. L’établissement était destiné à recevoir des élèves « grecs », des territoires turcs et vénitiens, pour les élever dans le rite oriental et en faire des missionnaires auprès des chrétiens orthodoxes. Clément VIII avait donné aux uniates la possibilité d’y envoyer des candidats dès la promulgation de l’Union. Pociej profita d’ailleurs de l’occasion pour y faire inscrire son propre fils Piotr qui l’avait accompagné dans le voyage romain de 1595102. Pour la même époque, les registres de l’établissement font mention d’un autre Ruthène – le futur évêque de Brest-Volodymyr Eliasz Morochowski entré dans le collège le 16 février 1596.
49Malgré la bienveillance pontificale, l’envoi des candidats paraît avoir été sporadique jusqu’en 1616103. La raison en était vraisemblablement les difficultés financières de la métropolie, incapable de financer les frais de ses élèves et plus encore le faible nombre de candidats pourvus de prérequis nécessaires, en particulier linguistiques, pour suivre ces enseignements. D’autre part, il semblerait qu’au cours des premières années Pociej espérait encore voir se développer le séminaire de Vilnius, dont l’enseignement était plus adapté au clergé ruthène. Une question délicate renvoyait également au rite et à l’enseignement des collèges pontificaux qui, à l’exception du collège Saint-Athanase, étaient des institutions latines. Dans ce contexte, il s’avérait donc évident que le recours à cet enseignement aurait corroboré l’argumentation orthodoxe sur la trahison rituelle des uniates, chose que le métropolite tenait à éviter à tout prix. Les registres des différents établissements montrent ainsi la quasi-absence d’élèves ruthènes au cours des premières années de l’Union et révèlent une rupture par rapport aux tendances dessinées précédemment. À Braniewo aucun Ruthène ne fut admis entre 1596 et 1608104. À Vilnius, le recrutement a été interrompu entre 1594 et 1610.
50Ces balbutiements se traduisirent dans le retard pris par la papauté pour rédiger un bref fixant, de manière explicite, le nombre de bourses disponibles pour les Ruthènes au Collège grec. Ce document ne vit le jour qu’en décembre 1615, près de vingt ans après l’Union, suite aux demandes de Rutski qui se trouvait alors à Rome pour une visite ad limina105. Il est intéressant de remarquer que huit jours à peine après ce bref, Paul V promulguait un autre texte qui interdisait aux uniates d’adopter le rite latin106. Les deux documents formaient un ensemble qui montrait que l’envoi de clercs kiéviens dans les collèges pontificaux ne pouvait se faire sans quelques précautions préalables.
51Malgré cette clarification, certains malentendus continuèrent à subsister durant quelques années. Ainsi, en décembre 1616, Rutski écrivait au nonce de Varsovie pour lui signifier qu’un moine ruthène « schismatique » avait pu étudier au Collège grec et n’avait pas manqué de jeter le discrédit sur les élèves uniates107. Il ne s’agissait pas d’un apostat puisque le métropolite assurait qu’aucun évêque uniate n’avait envoyé ce candidat. Peut-être ce dernier avait-il pu présenter des lettres de recommandation d’un magnat ou de l’évêque orthodoxe de L’viv. Aussi, pour éviter de futures méprises, Rutski rappelait que les candidats uniates devaient toujours être envoyés avec la recommandation du métropolite108. Cet incident montrait néanmoins que le collège Saint-Athanase continuait à jouir d’un certain prestige auprès des orthodoxes. D’autre part, il révélait que la distance entre la Pologne et les États pontificaux et surtout le manque de discernement romain, laissaient la place à des situations incongrues qui à terme pouvaient porter préjudice à l’Église uniate.
52Une autre source d’incompréhensions provenait directement du statut des étudiants. Selon la constitution Universalis Ecclesiae Regiminis, promulguée par Urbain VIII le 23 novembre 1624, les enfants admis à Saint-Athanase « devaient être nés de parents Grecs, baptisés d’après le rite de l’Église grecque, issus d’un mariage légitime, et [posséder] au moins passablement leur langue maternelle »109. L’âge limite pour l’admission fut fixé entre douze et seize ans110. La Propaganda Fide y ajouta, en 1625, la promesse imposée aux élèves de ne pas entrer dans un ordre ou une congrégation religieuse avant d’avoir achevé leur scolarité111. Pourtant, non seulement les candidats envoyés par le métropolite de Kiev, des jeunes hommes ayant déjà pour la plupart reçu les ordres, étaient généralement plus âgés que le reste de leurs collègues grecs, mais encore ils ne pouvaient correspondre aux critères linguistiques de la sélection. De même, la grande majorité des postulants se recrutait parmi les basiliens et donc se composait de membres d’une congrégation. Sur plusieurs points, les Ruthènes devenaient ainsi une exception à la règle.
Une solution trop étroite et mal appliquée
53Au cours du début du XVIIe siècle, sept collèges pontificaux purent offrir des places à des élèves d’origine ruthène. À cela s’ajoutaient les séjours de quelques élèves dans d’autres collèges jésuites de Pologne-Lituanie comme Njas’viž, Pułtusk ou Kalisz112. En 1615, Paul V avait concédé à la métropolie de Kiev un total de vingt-deux places réparties entre les différentes institutions : six à Braniewo, six à Vilnius, quatre au collège romain Saint-Athanase, deux à Olomouc, deux à Prague et enfin deux à Vienne113. En mai 1623, sur demande du métropolite de Kiev, la Congrégation de la Propagande accepta de financer deux places supplémentaires à Rome114. Avec la fondation du Collège Urbain en 1627, ces places furent transférées directement dans l’établissement de la Propagande, mais les premiers élèves ruthènes n’y furent reçus qu’en 1643115. En outre, à la fin des années 1620, la Curie avait demandé au nonce de Vienne d’intercéder auprès de l’empereur, en faveur de la cause ruthène, afin qu’il finançât deux places dans le collège de Graz. Ce fut chose faite en 1627 mais il semblerait que ces places ne fussent pas permanentes car les candidats envoyés en 1628 ne furent pas remplacés par la suite116.
54Toutefois, les vingt-six bourses ainsi obtenues n’étaient qu’un total théorique et correspondaient rarement au nombre d’élèves réellement présents dans les collèges pontificaux. En effet, il arrivait fréquemment que les recteurs des collèges fermassent leurs portes aux candidats proposés par le métropolite. À Prague, le recteur n’hésita pas à refuser deux étudiants qui avaient déjà fait le voyage117. Le prétexte le plus souvent invoqué était l’absence de la mention des Rutheni dans les constitutions fondatrices des établissements. Même là où les textes évoquaient explicitement la nation ruthène, comme à Braniewo, Olomouc ou Vilnius, les responsables des collèges regardaient avec suspicion les candidats uniates, en raison du rite et du statut particulier (monastique) des postulants118. C’est pourquoi, encore en 1631, les directeurs des établissements de Vienne et d’Olomouc prétendaient qu’ils n’étaient pas réticents à l’admission de candidats uniates, mais soulignaient, dans le même temps, que depuis plusieurs années leurs constitutions n’avaient pas été modifiées à ce sujet119. Les divisions religieuses du Saint-Empire, au moment où la guerre de Trente Ans embrasait l’Europe centrale, expliquaient partiellement le regard de ces religieux. Pour eux, l’éducation reçue par les élèves était destinée à en faire de « bons catholiques », fidèles à l’Église romaine et respectueux des principes énoncés au concile tridentin.
55En raison de ces différents aspects, le nombre d’étudiants qui purent avoir accès à cette formation reste relativement faible. Entre 1595 et 1655, les registres révèlent que seulement 171 bourses furent accordées aux clercs ruthènes dans l’ensemble des collèges pontificaux, avec la prédominance de ceux de Braniewo, Vilnius et Rome120. En soixante ans, ces places permirent ainsi à 130 individus de suivre ces enseignements. Il faut remarquer qu’ici l’espace du nord-ouest lituanien servait à la fois de vivier et de réceptacle privilégié pour ces élèves. En effet, avant d’être envoyés dans les écoles latines, la plupart des clercs concernés avaient accompli leur noviciat à Bycen’, comme étape préparatoire de leur formation. La situation même de ce monastère (près de Slonim) favorisait un recrutement qui concernait tout particulièrement la noblesse des voïvodies de Navahrudak, de Minsk, de Vilnius ou de Trakai grâce à la proximité. De même, les processus qui intervenaient dans les retours suivaient une démarche inverse, avec le passage des élèves par la maison-mère de Vilnius, avant d’être affectés dans les divers établissements basiliens ou auprès des curies épiscopales. Les registres de Braniewo révèlent clairement que la majorité des élèves basiliens du collège à cette période étaient directement issus de la communauté monastique de Vilnius121.
56Pour subvenir aux besoins des candidats et, en particulier, assurer les frais de retour, les élèves faisaient souvent appel à l’aide de la Curie qui, pour éviter de telles situations, préféra imposer des garanties préalables à l’admission des ecclésiastiques kiéviens. Dès 1624, les nouveaux statuts du Collège grec, promulgués par Urbain VIII, demandaient que les futurs élèves déposent, avant d’être reçus dans l’établissement, la somme nécessaire à leur périple de retour122. Cette exigence posa alors un réel obstacle pour les basiliens. En mars 1626 et en prévision de l’envoi de nouveaux élèves, le coadjuteur du métropolite, Rafał Korsak, tentait de faire appel à la Propaganda Fide pour modifier ces conditions :
Ad finem supplicamus S. de Propaganda Fide Congregationis, ut occurat in uisceribus Iesu illi oneri insupportabili, de quo scribit R.dus Pater Rector Collegii Graeci, quia scilicet illi qui ex Russia mittuntur ad dictum Collegium non recipientur ullo modo si non prius deponent uiaticum sufficiens, id est ad minimum 50 aureos, pro reditu suo. Hic enim modus sufficientissimus est ad detrahendos nos ab illo loco. […] Et ita si pro 6 personis ponimus 600 aureos intra tres annos dari solitos illis qui ab nobis illuc mittuntur, facient fere 3 000 florenorum polonicorum, qui apti sunt in patria annuae sustentationi ad minus 30 personarum honestissime ; ut, inquam, hoc omittam quod maximum : nunquid sumus inimici nostrorum ? et non submittemus sub tempus reditus ? Iterum itaque atque iterum humillime supplicamus SS.mo D.no Nostro, ut hoc onus alleviare dignetur atque aliquomodo moderare123.
57Selon le hiérarque la somme dépassait de loin les prix pratiqués en Pologne et représentait une part très importante du budget de la métropolie. La Curie ne semble pas avoir abrogé cette condition puisqu’elle apparaît encore, en 1634, dans le refus du recteur de Saint-Athanase de recevoir les neveux de Rafał Korsak dans l’établissement124. Cependant, le montant minimum dut être revu à la baisse car les élèves ruthènes purent continuer à profiter de l’enseignement du Collège grec. Entre 1595 et 1655, l’établissement reçut trente-six élèves uniates, ce qui représentait plus du quart de l’effectif total des clercs ruthènes, scolarisés dans les institutions pontificales durant cette période.
58Dans les autres collèges ouverts aux clercs de la métropolie de Kiev, les questions financières devaient se poser avec tout autant d’acuité, car leurs recteurs ne disposaient que d’un maigre budget. À Rome, dans les années 1620, le Collège grec fonctionnait avec un revenu annuel avoisinant les 4 500 écus pour un peu plus d’une trentaine d’élèves, ce qui n’avait pas empêché la Propagande d’exiger des restrictions125. Les collèges de Vilnius ou de Prague qui accueillaient eux aussi entre vingt et trente élèves ne disposaient respectivement que de 1 255 et de 1 532 écus126.
59Dans la pratique, les règles établies pour l’admission des Ruthènes dans les institutions pontificales créèrent une hiérarchie de fait entre les établissements. Les basiliens choisis par Rutski commençaient ainsi leur scolarité à Braniewo ou à Vilnius, avant d’être envoyés vers d’autres séminaires à l’étranger. D’après les mots de Dymytro Blažejovskyj, Braniewo était « le lieu de départ ou, peut-être, d’évaluation qui triait les étudiants afin de les renvoyer chez eux ou de les diriger vers d’autres collèges pontificaux »127. L’un des meilleurs exemples en est la scolarité effectuée par Rafał Korsak, futur métropolite de Kiev entre 1637 et 1640. En 1618, il étudia la philosophie à Braniewo, puis audita philosophia, factus Ord. S. Basilii [est]128. De 1619 à 1621, il fut élève à Prague. Enfin, en décembre 1621, il fut admis au Collège grec de Rome, où il étudia la théologie jusqu’à son départ le 28 novembre 1624129. Un parcours similaire caractérise les études de Gabriel Kolenda, métropolite uniate de Kiev entre 1665 et 1674130. Entré au collège de Braniewo en 1627, il y étudia la grammaire et la philosophie pendant trois ans. Ensuite, entre 1633 et 1636, il apparaît sur les listes des élèves du collège de Vienne, où il semble avoir suivi des cours de logique et de théologie. Sa formation se termina au collège Saint-Athanase de Rome, par trois années de théologie, entre 1636 et 1639131.
60À travers ces exemples, se dessine une scolarité en plusieurs étapes, avec un début dans les établissements de la République polono-lituanienne, un passage dans les collèges établis dans les capitales de la Réforme catholique du Saint-Empire et un parachèvement de la formation dans le Collège grec de Rome. Cependant il ne s’agissait que d’un modèle type, partiellement remis en question en fonction des places disponibles, voire de la qualité des candidats. La répartition des étudiants entre les différentes institutions était également un moyen de s’adapter, avec une plus grande souplesse, à la quantité restreinte des places disponibles. Cela offrait aux plus doués la possibilité de se perfectionner auprès de différents professeurs et, dans le même temps, maintenait une rotation des candidats afin d’en toucher le plus grand nombre.
61La vingtaine de bourses offertes à la métropolie de Kiev du premier XVIIe siècle ne dépassait qu’à peine les effectifs du premier séminaire uniate de Vilnius, et constituait une réponse largement insuffisante aux besoins urgents de l’Église uniate qui ne possédait que quelques écoles de petite taille et d’un rayonnement restreint. Ainsi, la scolarité accomplie dans les établissements latins devint rapidement le privilège d’une élite formée de quelques moines basiliens. Grâce à leurs noviciats, ils étaient les seuls candidats à pouvoir disposer d’acquis nécessaires pour suivre des enseignements en latin132. D’ailleurs, les jésuites qui y enseignaient à la fin des années 1610 purent préparer leurs élèves aux programmes appliqués dans les collèges, dirigés le plus souvent par d’autres frères de la Compagnie133.
62Paradoxalement, alors que dans l’esprit tridentin les séminaires étaient destinés prioritairement au clergé séculier, formant de bons pasteurs, rompus à la prédication et avec une connaissance approfondie de l’Écriture sainte, l’exigence du latin ferma les portes à la grande majorité des séculiers ruthènes, victimes de leur ignorance de la culture classique. Dans le même temps, l’accès quasi réservé des basiliens à cet enseignement renforçait d’autant plus leur éloignement progressif des cadres traditionnels du monachisme oriental au profit des tâches originellement destinées aux séculiers, comme la catéchisation et la formation des fidèles.
Des missionnaires tridentins de rite grec
63Quels étaient les enseignements suivis par les protégés du métropolite de Kiev dans les établissements latins ? Malgré l’âge avancé des candidats, une grande partie d’entre eux débutait par les humanités pour se perfectionner dans la pratique et la culture de la langue latine. À Braniewo, jusqu’en 1614, quatre candidats sur six, pour lesquels on dispose de descriptions quelque peu détaillées, suivirent des classes de grammaire. Après cette date, la plupart des étudiants – majoritairement des basiliens – semblent avoir rejoint directement les classes de philosophie134. L’évolution reflète ainsi que le travail des noviciats commençait déjà à produire des résultats avec des élèves qui arrivaient désormais pour un perfectionnement et non pour une simple formation de base. Dans le collège de Vilnius, autre établissement « préparatoire », les élèves débutaient généralement leur scolarité par des cours de rhétorique, même si certains y suivaient une formation en théologie135.
64Pour les collèges de l’Empire, les registres des élèves sont beaucoup moins précis. À Prague, les deux élèves admis en 1627 accomplirent des études de rhétorique et de métaphysique136. À Vienne, la préférence allait aux cours de logique et de théologie137. Enfin, à Graz ou à Olomouc, les quelques étudiants ruthènes de la période étaient inscrits dans les classes de théologie138.
65Le cas du Collège grec de Rome est le mieux renseigné et occupe une place particulière. La quasi-totalité des pensionnaires concernés, entre 1595 et 1655, achevèrent leur scolarité par des études de théologie, précédées parfois par des classes de rhétorique, de logique ou de philosophie139. Ceci explique pourquoi le séjour des uniates à Rome durait généralement plus longtemps que dans les autres établissements. Ainsi, un élève restait en moyenne entre deux et trois ans à Braniewo contre quatre à cinq ans à Rome, avec des exceptions comme dans le cas de Joachim Morochowski inscrit sur les listes du Collège de 1596 à 1603. Saint-Athanase était le lieu où les meilleurs venaient terminer leur cursus et recevaient une solide formation théologique, conçue comme le pilier des réformes souhaitées par le métropolite uniate de Kiev.
66L’exemple romain nous permet de saisir le déroulement de cette formation. La Règle composée en 1583 par les soins de l’un des principaux cardinaux-protecteurs – Guilio Antonio Santorio – expliquait les objectifs et les déroulements des enseignements. Le programme ainsi défini accordait une large place à la tradition grecque et aux écrits fondateurs comme la Règle de saint Basile, les œuvres de saint Jean Chrysostome ou ceux de Denis l’Aréopagite140. Bien plus, l’étude de la grammaire devait être menée à la fois en grec et en latin afin de créer un véritable bilinguisme chez les élèves. Cela n’était pas sans poser quelques difficultés aux nouveaux arrivants kiéviens car les bons connaisseurs du grec étaient très rares parmi les Ruthènes, qui se trouvaient ainsi désavantagés par rapport aux élèves originaires des territoires helléniques. Pour atteindre ces objectifs, le Collège avait été doté d’une bibliothèque qui rassemblait plus de 140 ouvrages, d’après un inventaire réalisé en 1585141.
67Les enseignements dispensés dans l’institution étaient destinés à former des élèves rompus aux disputes avec les orthodoxes et capables de convertir leurs compatriotes à la religion catholique142. C’est pourquoi, ils devaient s’entraîner à la disputatio afin de connaître parfaitement les points de discorde entre les deux traditions chrétiennes et pouvoir y apporter des réponses convaincantes en faveur du catholicisme romain. Ainsi la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin servait de référence aux cours de théologie. La Règle imposait néanmoins certaines précautions. Puisqu’une partie des pensionnaires était issue de familles « schismatiques », la lecture des Pères grecs, comme saint Athanase, était réservée aux élèves en fin de scolarité. De même, l’étude des écrits polémiques n’était permise qu’à ceux qui étaient déjà « bien affirmés dans la doctrine catholique »143.
68Les principes énoncés par le cardinal Santorio furent légèrement modifiés par la suite, mais le fond fut sauvegardé de manière intacte durant toute la période du premier XVIIe siècle144. Par conséquent, les clercs uniates, admis dans le Collège grec, étaient formés à partir des compromis établis au concile de Florence – ceux d’une diversité rituelle, construite sur un fond dogmatique strictement latin mais défendue à l’aide d’arguments empruntés aux Pères grecs.
La territorialité des rites : une latinisation au quotidien
69Les longs séjours effectués par les clercs ruthènes dans les institutions latines devaient laisser une forte empreinte sur ces religieux, bien après le retour dans leur patrie. Les archives des collèges du Saint-Empire ou celles de Braniewo et de Vilnius ne livrent pas suffisamment d’informations pour dresser un tableau précis de la scolarité des élèves uniates. Ce silence traduit vraisemblablement une situation dans laquelle aucun aménagement particulier n’était réalisé pour les candidats de rite grec, décrits ainsi dans les documents sans aucune distinction avec les autres élèves.
70Il est vrai que les étudiants les plus prometteurs retrouvaient à nouveau leur rite au cours de leur séjour dans le Collège grec de Rome. Pourtant, là encore, les évolutions de l’extrême fin du XVIe et du début du XVIIe siècle avaient fait entrer un certain nombre de pratiques latines dans les murs de Saint-Athanase. En apparence, le Collège devait vivre à la grecque pour jouer son rôle de vitrine face à la chrétienté orientale. Parallèlement à cela, les règles de Santorio édictaient l’obligation des étudiants de respecter les jeûnes de la tradition orientale, mais y ajoutait les Quatre-Temps et les autres jeûnes latins, au point d’atteindre huit mois au total145. Le cardinal justifiait une telle attitude en précisant que « tant que [les étudiants] demeuraient à Rome, il ne convenait d’aucune manière qu’ils se soustraient à la vie que partageaient les autres ». La même volonté de ne pas troubler l’ordre public romain se retrouvait dans la liturgie et les rites de la communion. En 1592, le recteur Gianbattista Nannini écrivait même que « le recteur de ce Collège ne pouvait permettre d’aucune façon et à qui que ce soit, fût-il pensionnaire ou non, de recevoir la communion à la mode grecque, i.e. avec du pain au levain et sub utraque »146. Vraisemblablement, il s’agissait moins d’un mépris à l’égard des rites orientaux que d’une méfiance excessive, à une époque où la question de l’Eucharistie enflammait les consciences. Il ne faut pas oublier que le Collège se trouvait au cœur de la capitale pontificale.
71Les statuts d’Urbain VIII, entrés en vigueur en 1624, permettaient de communier sous les deux espèces pour les principales fêtes orientales. Toutefois, ce n’était qu’un aménagement de principe car le pontife réaffirmait l’obligation d’assister à des offices latins quotidiens. En réalité, le texte reprenait les pratiques instituées par les responsables successifs du Collège depuis la fin des années 1590147. Les choses restèrent inchangées durant toute la première moitié du XVIIe siècle. Le 20 avril 1646, les étudiants de Saint-Athanase s’adressaient, de manière univoque, au général de la Compagnie de Jésus à travers un Mémoire qui dénonçait le peu d’attention accordé au respect du rite oriental :
[...] au sujet des choses relatives à l’honneur de notre nation ou à la dignité de notre rite, on ne s’en occupe guère et encore moins on en prend soin ; c’est pourquoi on manifeste tant de froideur à l’égard de nos fêtes148.
72Il est clair que si l’établissement donnait à ses pensionnaires les connaissances, les langues et les méthodes indispensables à un dialogue avec les chrétiens orientaux, il ne cherchait aucunement à en faire des catholiques de rite grec, tels que le concevaient les évêques ruthènes, auteurs des projets unionistes des années 1590. En revanche, les hiérarques de la deuxième génération, dont Józef Rutski ou Joachim Morochowski étaient les meilleurs représentants, étaient davantage disposés à de telles concessions car eux-mêmes étaient les produits réussis de ce projet éducatif.
73Il serait toutefois réducteur, voire erroné, de considérer l’envoi des élèves ruthènes à l’étranger comme un simple processus de lente altération des traditions orientales. La présence de clercs uniates dans les grands centres urbains de l’Europe occidentale constituait pour l’Église ruthène une ouverture sur les évolutions religieuses et culturelles de l’époque et la sortait du relatif isolement dont fut victime une partie de l’Église kiévienne aux XVe et XVIe siècles. Une bonne illustration de ce phénomène se trouve dans une lettre de 1624, adressée par le métropolite de Kiev aux élèves basiliens de Saint-Athanase. Rutski leur demandait de lui procurer une édition grecque de Denis l’Aréopagite, imprimée à Paris, et une autre de Jean Damascène, si elle venait à paraître. Il terminait sa requête, en priant les frères de bien vouloir lui envoyer toutes les éditions parisiennes des Pères grecs, qu’ils pourraient trouver dans la capitale pontificale149. De cette manière, le contact avec les pôles culturels de l’Occident offrait aux Ruthènes des palliatifs à certains problèmes pressants du moment, comme le difficile accès aux textes fondateurs de la spiritualité orientale, présentés dans des éditions de qualité. Ces exigences de la hiérarchie uniate témoignaient d’une synthèse, déjà en place, entre la volonté séculaire d’un retour vers la « pureté » de la tradition grecque et l’esprit humaniste qui commençait à se répandre auprès des populations marquées par le christianisme oriental. Même si les collèges n’accueillaient qu’un maigre échantillon de clercs orientaux, leur action suffisait à maintenir et à stimuler la ferveur réformatrice, exprimée par les prélats ruthènes.
74De manière plus marginale, ces séjours étaient également l’occasion de tisser des contacts avec les cercles lettrés de ces principaux pôles culturels de l’espace latin et, parfois, de participer à des projets communs. Tel fut le cas de Gabriel Kolenda qui, parmi les clercs kiéviens de sa génération, reçut probablement la formation la plus aboutie et apparut comme l’un des étudiants les plus prometteurs. Au cours de son séjour romain, il fut ainsi sollicité pour participer au recueil de textes réunis par Jean-Jacques Bouchard en honneur de la mémoire de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, qui fut publié à Rome en 1638150. Dans la partie intitulée Pagglossia qui rassemble de courts poèmes à la gloire du défunt en quarante-quatre langues différentes, figure le texte préparé par Kolenda (fig. 8).
Des étudiants au brillant avenir
75Le devenir des anciens pensionnaires des collèges pontificaux mérite quelques précisions, afin de mesurer l’influence de ces personnages après leur retour en Pologne-Lituanie. Il est aisé de remarquer que les candidats ainsi sélectionnés se retrouvaient rapidement à des places qui en faisaient les principaux acteurs de la vie de l’Église uniate. En effet, sur les vingt-deux évêques uniates des années 1596-1632, huit avaient effectué leur scolarité dans les établissements pontificaux. Plus tard, en 1632, à la veille du rétablissement d’une Église orthodoxe officielle, six évêques sur un total de huit, y compris le métropolite, étaient d’anciens étudiants des séminaires pontificaux, et parmi ces six derniers, cinq avaient étudié dans le collège Saint-Athanase.
76En poursuivant ces constats statistiques, il faut remarquer que sur les 128 élèves ruthènes, identifiés pour la période 1595-1655, figuraient vingt-deux futurs évêques ou protoarchimnadrites basiliens151. En y ajoutant la liste des futurs higoumènes basiliens, recrutés parmi les étudiants mais dont le nom n’est pas toujours connu, il serait possible d’atteindre une trentaine de futurs hauts dignitaires ecclésiastiques, formés à cette époque. Ainsi, parmi les anciens pensionnaires ruthènes des collèges pontificaux, près d’un élève sur quatre finissait sa carrière au sommet de la hiérarchie.
77Au cours du XVIIe siècle, les établissements pontificaux s’imposèrent incontestablement comme un cursus incontournable pour les élites ecclésiastiques de la métropolie uniate de Kiev. Toutefois, le rôle qu’ils jouèrent dans la construction de l’identité de l’Église ruthène révèle une réelle ambiguïté. La vie dans les collèges était marquée par les méthodes latines et la pratique du rite latin, largement présente à Saint-Athanase et unanime ailleurs. Les professeurs enseignaient donc aux élèves à être des acteurs de la Réforme catholique sur les frontières orientales de l’Europe, restées en dehors de l’influence romaine. Pourtant, l’objectif annoncé par les initiateurs de l’Union, comme Hipacy Pociej, était une réforme disciplinaire interne, circonscrite aux traditions anciennes de la métropolie kiévienne, même s’ils savaient que le rapprochement avec le Saint-Siège ne pouvait se faire sans quelques concessions. Ainsi, les élèves basiliens apprenaient implicitement à combattre ce qu’avaient défendu, quelques années auparavant, les fondateurs de leur Église. Enfin, plus indirectement, l’évidente prédominance de la Lituanie dans le recrutement des élèves participa à instaurer un fractionnement à l’intérieur du clergé, à la fois intellectuel et spatial, qui fit de la capitale de la grande-principauté et des régions environnantes l’un des foyers principaux de l’Union. La place du monachisme basilien sur l’espace lituanien et, en particulier, dans les centres du diocèse métropolitain, participa indéniablement à l’émergence de nouveaux modèles du clergé oriental, qui rompaient avec les représentations traditionnelles, assimilées par les fidèles.
78Le clergé orthodoxe vit à son tour progresser la qualité de sa formation et, vraisemblablement, sa discipline interne, grâce aux écoles des confréries, avec d’ailleurs un recours à peine voilé aux méthodes et aux ouvrages latins152. Cet aspect se révèle dans une affaire survenue à Vilnius en 1614, entre les élèves jésuites de la ville et l’un des « pédagogues » de la confrérie du Saint-Esprit, Marcin Wojsławski153. La plainte déposée par les anciens de la confrérie orthodoxe expliquait que Wojsławski avait été invité par des élèves jésuites dans la maison où ils servaient eux-mêmes comme précepteurs, afin de leur acheter une « Bible latine » et un manuel de dialectique. Après avoir appris qu’il travaillait chez les orthodoxes, les jésuites commencèrent à s’en prendre physiquement à l’enseignant pour l’obliger à se convertir à la foi latine (« примушаючи его до ихъ римское вэры и послушенства отцовъ езуитовъ »)154. Ce récit stéréotypé des oppositions confessionnelles semble indiquer cependant que l’enseignement orthodoxe, prodigué à Vilnius, n’hésitait pas à utiliser certains ouvrages des écoles latines. D’ailleurs le personnel employé par l’institution était loin de répondre à un quelconque cloisonnement puisque Wojsławki était, dans le même temps, précepteur chez Jan Dubowicz, membre de l’une des plus grandes familles uniates de la ville155. Dans un renversement de perspective, le domaine de l’enseignement censé doter chacune des communautés d’outils efficaces pour s’engager dans la concurrence religieuse, maintenait ainsi plusieurs zones « déconfessionnalisées ».
79Ce savoir partagé et le rayonnement de l’école orthodoxe de Vilnius étaient toutefois insuffisants pour contrebalancer l’influence du clergé uniate dans la partie septentrionale du diocèse métropolitain, où les basiliens disposaient d’un réseau monastique important et d’effectifs croissants, formés d’après les principes introduits par Rutski156.
80Faut-il donc voir dans ce réveil monastique une forme de latinisation plus ou moins apparente, présente à la fois dans l’Église uniate et d’une certaine manière chez les orthodoxes qui reproduisaient en miroir certaines évolutions introduites par leurs adversaires ? La réponse à cette question paraît renvoyer bien plus au contexte particulier de l’époque qu’à un véritable projet confessionnel défini à l’avance. Encore en 1636, le métropolite uniate évoquait une situation plurielle dans laquelle la majorité de ses subordonnés « continuaient à observer leur rite [d’origine], même si certaines personnes privées semblaient se latiniser (latinisare) »157. L’urgence de la réforme dans tous les domaines de la vie ecclésiastique créa en effet des solutions parfois hétérogènes, appliquées par Kuncewicz dans l’action pastorale et par Rutski lui-même dans sa remise en ordre disciplinaire. Chacun de ces deux réformateurs exprimait un attachement aux traditions grecques mais n’hésitait pas à emprunter aux Latins des pratiques qui avaient su prouver leur efficacité158. La même posture se voit d’ailleurs quelques années plus tard chez le métropolite orthodoxe de Kiev Piotr Mohyła159. Avec la création de l’ordre basilien, le métropolite avait fait le choix de la centralisation, tout en sauvegardant les usages particuliers, comme le vêtement monastique ou l’interdiction de consommer de la viande. De la même façon et grâce à son catéchisme, l’archevêque de Polack avait donné aux pasteurs uniates un outil censé égaler la qualité des écrits latins.
81Toutefois la synthèse des deux traditions se révélait difficile dans l’esprit de nombreux clercs, comme en témoignent les rappels à l’ordre répétés de la part de la hiérarchie160. L’assimilation de ce double héritage nécessitait un temps long et se confrontait à l’obligation de montrer par des actes explicites la communion de l’Église uniate avec les Latins.
Les différences visibles
Le temps partagé
82L’un des aspects les plus singuliers de ces cultures religieuses plurielles renvoie incontestablement à la temporalité des Églises, puisque les chrétiens de rite grec et latin suivaient deux calendriers différents. Cette disparité suscitait des réactions bien avant 1586 et l’Union n’apporta pas de solution tranchée sur ce point. Comme le rappelle David Frick, une telle situation n’était pas propre aux Ruthènes puisque Tatares, juifs et karaïtes possédaient également leur propre comput et devaient s’adapter au calendrier grégorien pour toutes leurs démarches publiques, dès qu’ils sortaient des cadres stricts de leurs communautés respectives. Toutefois, dans la pratique locale, l’Union créa des « anomalies » incontestables puisque deux institutions qui se reconnaissaient théoriquement une pleine validité rituelle étaient amenées à composer avec des célébrations décalées pour les principales fêtes chrétiennes. David Frick put montrer que ce problème constituait tout naturellement une gêne pour les élites uniates qui devaient faire face à des situations parfois incongrues, notamment quand les fêtes des uns se recoupaient avec les jeûnes des autres161. Dans les années 1640, l’ancien archimandrite uniate de Dubno, passé au rite latin, Kasjan Sakowicz, et Jan Dubowicz, devenu archimandrite de Derman’, défendirent de manière univoque l’adoption du calendrier grégorien pour éviter de tels scandales qui parasitaient les dévotions des fidèles162.
83Derrière ces réflexions, se cachait également une pratique qui n’hésitait pas à circuler entre les normes des deux Églises afin de mettre en évidence leur proximité. Les témoignages sur ce point sont rares mais ils constituent des éléments précieux pour saisir le jeu des appartenances qui inscrivait l’Union dans le domaine concret du culte. Le premier, relativement peu précis, provient du procès de béatification de Jozafat Kuncewicz. Deux témoins, catholiques latins, indiquèrent au cours de l’enquête qu’après son arrivée sur le siège de Polack, celui-ci veillait à observer aussi les fêtes du calendrier latin163. Un tel dédoublement du rite pouvait en effet servir de solution à certains hiérarques afin de rendre l’Union tangible par leurs propres actes.
84Un autre exemple de ces arrangements renvoie à Mielnik, une ville de Podlachie, qui bien qu’extérieure au territoire lituanien avait des liens étroits avec la grande-principauté. Au tournant de l’année 1607, deux hommes déclarèrent ainsi vouloir célébrer la fête de la Nativité en accord avec le calendrier de l’autre rite pro bono exemplo. Il s’agit du Ruthène Andrzej Wierzbiński et du catholique latin Mikołaj Dawidowski164. Une autre déclaration de ce type fut déposée en décembre 1611, par un autre habitant ruthène de cette même ville, Bazyli Jarmołowicz165. Bien entendu, comme le font d’ailleurs remarquer les éditeurs de ces documents, derrière ces déclarations se cachaient incontestablement d’autres intérêts qui dépassaient le simple engagement religieux. Les formulaires, pratiquement identiques dans les trois cas, étaient vraisemblablement préparés à l’avance pour servir à ces dépositions qui devaient être fréquentes au moment des fêtes. L’un des motifs les plus plausibles était ici la volonté des individus concernés d’échapper à l’amende prévue par les corporations de métiers pour les jours chômés sans justification. Il n’en reste pas moins que les arrangements permis par cette dualité temporelle constituaient, du côté ruthène, une forme de déclaration implicite de l’adhésion à l’Union et de démarcation univoque face à la discipline promue par le clergé orthodoxe.
Les processions
85Le rapprochement des clergés uniate et latin se faisaient également à l’occasion des grands événements qui réunissaient l’ensemble de la communauté locale. En 1604, plusieurs grands dignitaires laïcs et ecclésiastiques se joignirent dans une procession qui parcourra les rues de Vilnius, à l’occasion de la canonisation du prince Casimir166. Les uniates marchèrent alors aux côtés des clercs latins, comme membres de l’une des principales institutions ecclésiastiques de la capitale167. Les représentants des deux Églises avancèrent également ensemble lors des événements importants de l’histoire de la cité, comme le transfert du corps de saint Casimir vers la nouvelle chapelle de la cathédrale, en présence du roi et de sa cour, qui eut lieu en août 1636168. Ces rassemblements symboliques des deux clergés catholiques n’hésitaient pas à leur tour à user d’artifices calendaires pour manifester l’unité de la cité. Au XVIIe siècle, à la fois pour la Fête-Dieu latine et la Pentecôte grecque, l’ensemble du corps civique était réuni chaque année pour participer à la procession qui accueillait l’évêque catholique et le métropolite uniate ainsi que les réguliers des deux Églises169.
86Les enjeux de ces manifestations de l’autorité de chacune de ces institutions s’observent notamment dans le jeu des préséances entre les deux clergés. Dès 1619, un long litige opposa le métropolite Rutski à l’évêque suffragant de Vilnius, Abraham Wojna, sur la question de la préséance entre les deux hommes170. Malgré la décision de la Curie en faveur du métropolite uniate l’affaire durait encore en 1624171. De fait, les tensions nées de cette concurrence soulignaient d’autant plus que les ecclésiastiques uniates et latins devaient se partager une même place dans les cérémonies officielles qui animaient la vie de la cité et se fondaient ainsi dans une fonction de sacralisation commune. Cette position les distinguait d’autant plus des orthodoxes qui en principe étaient exclus de ce rôle public, même s’ils tentèrent à plusieurs reprises de s’insérer dans le dialogue symbolique entre la ville et le souverain. Le 24 juillet 1611, l’entrée royale de Sigismond III fournit en effet le prétexte à une « mise en scène » des habitants orthodoxes de la ville. Juste après les déclamations des élèves de l’Académie jésuite, ceux de l’école orthodoxe accueillirent à leur tour le souverain avec des vers en grec et de la musique, depuis une scène bâtie à l’occasion près du monastère du Saint-Esprit172. Pour autant, ces initiatives n’inversaient pas la tendance générale qui accordait à l’Église uniate un statut légitime dans l’espace public de Vilnius, alors que l’Église orthodoxe semblait réduite à un rôle d’acteur privé.
Union des Églises et unions des fidèles
87Si l’influence latine sur les pratiques cultuelles de l’Église uniate prenait l’apparence d’un processus lent et assez disparate, dans d’autres domaines la reconnaissance de l’obédience romaine exigeait une adaptation rapide aux normes imposées par la Curie. Tel était le cas de la législation sur le mariage, édictée par le concile de Trente.
88Les difficultés survinrent avec la volonté de Rutski d’appliquer aux populations ruthènes le décret Tametsi sur les « mariages clandestins », soit contractés sans l’intervention d’un prêtre173. L’introduction de la nouvelle législation commença dès 1619, sur le territoire du diocèse métropolitain174. En 1626, les mêmes règles furent étendues à l’ensemble de la métropolie de Kiev, à l’occasion du synode provincial de Kobryn. Son quatrième décret précisait ainsi que les mariages non consacrés par un prêtre, en présence de deux ou trois témoins, étaient désormais déclarés comme nuls. Il ajoutait que les prêtres ruthènes ne pouvaient pas marier des fidèles en dehors des limites de leurs paroisses, ni consacrer les unions des laïcs latins175. La copie des décrets du synode fut ensuite envoyée à Rome qui approuva le texte à l’exception du décret relatif aux mariages. À première vue, cette affaire peut surprendre puisque le métropolite appliquait presque directement le décret du concile tridentin. Toutefois, sa démarche posait plusieurs problèmes à la fois du point de vue de la procédure et des conséquences éventuelles de l’introduction de ces nouvelles normes.
89Le décret Tametsi avait bien été publié en Pologne dès le synode de Piotrków de 1577, mais il ne concernait pas l’Église ruthène, qui relevait alors de l’obédience constantinopolitaine. C’est pourquoi, introduire cette législation par un synode métropolitain revenait à accorder à ce dernier des droits qui outrepassaient largement ses compétences. Une Congrégation réunie par Urbain VIII à ce sujet en 1629 estima donc qu’il fallait soit promulguer le texte tridentin de manière officielle dans l’Église kiévienne, soit envoyer un bref pontifical qui promulguerait le texte formulé à Kobryn, mais de l’autorité directe du souverain pontife176. L’autre source d’incompréhension provenait de l’autorisation donnée par Rutski aux personnes, qui se trouvaient dans le cas des mariages clandestins et n’avaient pas encore consommé leur union, de se marier une seconde fois, avec cette fois-ci la consécration nécessaire. La Propagande rappela à cette occasion que de telles pratiques faisaient craindre des excès et des liaisons « adultères »177.
90La hiérarchie ruthène justifiait sa position par l’impossibilité de publier le texte tridentin de manière explicite car la mention de son nom pourrait être à l’origine d’importantes tensions avec les fidèles « mal instruits »178. Ces différents arguments n’étaient pas exhaustifs pour autant. Le côté formel de l’affaire renfermait en réalité plusieurs aspects pratiques du gouvernement de l’Église. Sans cette idée, il serait difficile de comprendre l’importance des efforts déployés par Rutski afin d’introduire cette discipline nouvelle, contre l’avis romain et les usages en place179. L’évocation dans le décret de Kobryn des questions liées aux limites des communautés paroissiales laisse penser que l’un des objectifs visait précisément à priver les clercs orthodoxes de la possibilité de consacrer les unions laïques et de s’immiscer dans la juridiction du clergé rattaché à Rome. Cela revenait donc à doter les prêtres uniates d’un rôle indispensable dans l’administration des sacrements et à assurer un lien direct et exclusif entre les ecclésiastiques et les fidèles de leurs paroisses. D’ailleurs les évêques ruthènes écrivirent à la Progpagande pour demander d’accorder également aux moines basiliens le droit de consacrer les mariages afin de fournir un remède à la « grossièreté » du clergé séculier180. Finalement, le 21 avril 1632, le pape rédigea un bref qui reprenait le contenu du décret ruthène et remplaçait cette décision locale, pour éviter tout conflit d’autorité181.
91Les sources disponibles ne permettent pas d’observer la vitesse et l’étendue de la diffusion de ces nouvelles normes disciplinaires. Pour autant, il paraît difficile de douter que leur introduction même lente et inégale constitua un facteur important dans la séparation entre les clergés ruthènes des deux obédiences, en touchant aux pratiques fondées sur la légitimité reconnue aux desservants, dans leur capacité à préserver la sacralité dans la communauté.
La violence et le sacré
La brutalité des clercs : une distinction codifiée
92Les affrontements violents occupent une place particulière dans l’histoire religieuse de la République polono-lituanienne. Les travaux de Janusz Tazbir permirent d’établir en modèle la vision déjà ancienne d’une tolérance polonaise qui contrasterait avec les autres pays européens des XVIe-XVIIe siècles182. Pourtant, l’Union de Brest est parfois perçue comme l’une des causes de l’effritement d’une coexistence paisible et certains n’hésitent pas même à voir dans les tensions apparues dans la société ruthène du premier XVIIe siècle une forme atténuée d’une « guerre de religion »183. D’autres prétendent au contraire que, dans la majorité des cas, il s’agissait « d’habituels conflits locaux dans le domaine religieux, qui [étaient] étroitement liés avec les formes de confrontation typiques des coutumes »184. L’auteur de cette réflexion, recense en effet plusieurs exemples qui montrent la complexité du rapport entre uniates et orthodoxes et font sortir leurs conflits du simple registre confessionnel. Par exemple, en septembre 1615, l’église ruthène Saint-Démètre, située dans le château de Luc’k et occupée par les orthodoxes, fut reprise manu militari sur ordre de l’évêque uniate Jeło-Maliński en jetant littéralement le prêtre hors de son sanctuaire. D’après la plainte déposée par les orthodoxes, leurs opposants n’hésitèrent pas à faire appel à une petite troupe armée, commandée par le moine de la Sainte-Trinité de Vilnius, le prince Sofroniusz (Stefan) Sokolski185. Et pourtant, le même évêque se retrouvait un an plus tôt, à l’occasion d’un mariage, assis à la même table que l’archimandrite orthodoxe de Žydyčyn, Grzegroz Bałaban, et alors même qu’un long conflit opposait les deux hommes pour la possession du bénéfice monastique, qui était l’un des plus importants de la région186.
93Sur l’espace lituanien, plus encore que sur les terres de la Couronne, le recours à la violence physique dans l’opposition entre les défenseurs et les détracteurs de l’Union relevèrent généralement de cas isolés. En 1598, la première attaque massive contre le sanctuaire orthodoxe de Vilnius fut d’ailleurs initiée par les élèves de l’Académie jésuite, à l’occasion des préparatifs de la fête de Pâques orthodoxe qui cette année avait lieu le 26 (16) avril soit près d’un mois après la fête catholique187. Malgré l’importance des dégâts perpétrés par plusieurs dizaines d’étudiants, ces excès rejoignaient le schéma banal d’un « rite de violence » qui répondait à la diversité confessionnelle188. Ce débordement s’inscrivait aussi dans une série d’épisodes qui virent les étudiants latins s’en prendre aux communautés protestantes ou juives de la cité189. Le conflit débuta par une dispute provoquée par le prêtre latin Melchior Eliaszewicz Gieysz qui se présenta à l’école orthodoxe en compagnie de nombreux élèves des jésuites. Après quelques provocations commises dans l’église de la confrérie du Saint-Esprit, ceux-ci quittèrent le monastère mais revinrent le lendemain pour perturber la messe pascale. Les accrochages avec l’assistance se transformèrent en saccage dans lequel prirent part également les artisans latins de la ville190. Cet incident, survenu au moment même où la confrérie orthodoxe achevait l’organisation de son nouveau lieu de culte, constitue certainement l’événement le plus violent qui concerna la communauté orthodoxe de Vilnius au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Toutefois, ses implications n’étaient pas cloisonnées au domaine cultuel car la construction de l’église orthodoxe – en principe interdite par le souverain et les autorités locales – modifiait l’espace sacré de la cité et pouvait être assimilée à une sorte de scandale, à l’intérieur du corps civique de Vilnius, au-delà même des problèmes relatifs à l’Union191.
94Dans le face-à-face entre uniates et orthodoxes, dont les monastères étaient distants l’un de l’autre d’une centaine de mètres, la violence prit l’aspect d’incidents ponctuels devenus des topoi de la rhétorique judiciaire de la plainte. Le premier exemple renvoie à l’année 1607 quand l’archimandrite orthodoxe de Dubno, Warsonofiusz, aurait été attaqué par l’archimandrite et les moines du couvent uniate de la Sainte-Trinité192. La victime refusa finalement de déposer sa plainte sous le prétexte que son statut l’empêchait de prêter un « serment corporel » et de faire constater ses blessures par les huissiers. Il est toutefois intéressant de remarquer que l’attaque aurait été perpétrée sur ordre et avec la participation de Samuel Sieńczyło qui un an et demi plus tard rallia les orthodoxes et devint pour un temps l’un des meneurs de la révolte contre le pouvoir métropolitain d’Hipacy Pociej. D’autres épisodes semblables apparaissent encore dans les années 1610 dans les dépositions et les protestations de la confrérie orthodoxe. De telles mentions figurent notamment pour les années 1614-1615. Dans leur Énumération des afflictions (Summariusz urazów) rédigée vers 1614, les confrères parlaient d’« assauts quotidiens » des moines basiliens qui depuis leur église jetaient des pierres et tiraient des flèches sur l’église orthodoxe et ceux qui s’y rendaient pour la messe193. Un an plus tard, ils se plaignirent d’une nouvelle attaque des uniates contre les moniales orthodoxes qui allaient à l’église pour la fête de la Transfiguration194.
95L’accumulation de ces plaintes produit une impression de conflit ritualisé et soigneusement mis en récit. Le nombre réduit des victimes et le caractère répétitif de ces assauts dans le temps comme dans le mode opératoire employé met en lumière de véritables stratégies de distinction, là où ni le culte ni la langue ne permettaient de différencier les adeptes de chacune des obédiences. De cette manière cette violence à la fois répétée et maîtrisée apparaît davantage comme une cause volontaire de la distinction et non comme la conséquence naturelle de la différence. Ainsi, l’agressivité interne à la communauté ruthène et celle qui ressortait des débordements des élèves jésuites traduisaient deux phénomènes distincts.
96Une exception à cette règle provenait des conséquences de l’intervention sporadique des laïcs dans les conflits. Elle s’observe à Vilnius en 1609, dans la voïvodie de Kiev à la fin des années 1610 et au début des années 1620, puis culmine avec l’assassinat à Vicebsk de l’archevêque uniate Jozafat Kuncewicz le 12 novembre 1623195. Les événements survenus dans la capitale lituanienne au moment du conflit entre la hiérarchie uniate et le clergé de la ville révèlent en effet une atmosphère différente des tensions « quotidiennes » propres à cette société pluriconfessionnelle. Avant même l’attentat commis à l’encontre du métropolite et au lendemain de son entrée en charge comme archimandrite de la Sainte-Trinité, le 8 mars 1609, Rutski déposa une plainte contre Szymon Szembel qui aurait annoncé vouloir « effacer [le clerc uniate] de ce monde » (хотечи мене зъ сего свэта згладить) et être prêt à l’abattre de son mousquet, quitte à y laisser sa propre vie afin de faire disparaître l’« ennemi » et le « destructeur » de la foi ruthène196. Trente ans plus tard, en 1637, un incident semblable concerna les moines du Saint-Esprit. Là encore, un 8 mars, un certain Stefan Tomaszewski qui selon les moines n’était pas originaire de Vilnius se présenta aux portes du couvent orthodoxe avec ses serviteurs, commença à tirer des coups de pistolet sur l’église et, après avoir insulté les ecclésiastiques, s’en alla disant qu’il « allait noyer son sabre dans leur sang »197. En absence d’autres documents, il devient complexe d’interpréter ces épisodes qui contrastaient avec la relative souplesse confessionnelle qui paraissait caractériser la cité. De toute évidence, les images formées par la controverse commençaient à être assimilées par certains fidèles, pour qui les fractures nées à l’intérieur du clergé ne relevaient pas simplement du domaine institutionnel, mais posaient directement la question de l’autorité légitime et de l’imposture face aux actes sacrés censés garantir le salut des fidèles.
Les nouvelles frontières de l’affrontement
97Ces frictions locales, dans lesquelles les laïcs jouaient souvent un rôle de relais des harangues du clergé, s’inscrivirent à partir des années 1620 dans un contexte inhabituel. En octobre 1620, le patriarche de Jérusalem Théophane III, qui traversa la Pologne-Lituanie sur son trajet de retour de Moscou, consacra une nouvelle hiérarchie épiscopale orthodoxe pour tous les diocèses qui depuis 1596 étaient occupés par les évêques uniates. Les historiens considérèrent pendant longtemps que son action avait été préparée d’avance par Constantinople et par Moscou198. Dans la pratique, Théophane se comporta pourtant comme les autres patriarches orientaux qui avaient pu se rendre en Pologne, en vendant les privilèges à des confréries laïques ou en effectuant des visites de monastères restés sous le contrôle orthodoxe.
98Plus récemment, Serhij Plokhij put montrer par un réexamen minutieux des sources disponibles que le patriarche n’avait pas pour projet initial de rétablir les structures orthodoxes199. Seule l’intervention d’un événement imprévu put modifier ses desseins. En effet, le patriarche se dirigeait vers la frontière moldave, accompagné d’un représentant royal chargé de sa surveillance, et avait presque quitté le République lorsque le convoi apprit la défaite polonaise à Ţuţora (Cecora). Dans la précipitation, l’officier polonais décida de laisser le patriarche sous la garde exclusive d’une troupe cosaque afin de pouvoir se porter au secours du souverain. Escorté par le chef cosaque Bohdan Kyzyma, Théophane fut alors ramené à Kiev. En cédant aux pressions de la confrérie orthodoxe et des cosaques, il accepta d’y consacrer un nouveau métropolite dans la personne de l’archimandrite du monastère Saint-Michel-au-Dôme d’or ainsi que deux évêques. En janvier 1621, avant son départ, Théophane créa quatre autres évêques pour les diocèses qui n’avaient plus de hiérarque orthodoxe200. L’ensemble des diocèses ruthènes se trouva donc pourvu d’une hiérarchie parallèle de même rite, mais séparée par des obédiences confessionnelles différentes.
99Quels changements purent entraîner ces événements pour l’organisation et l’activité du clergé oriental ? Les confrontations entres les évêques uniates et orthodoxes sont mal connues en raison de l’extrême rareté des documents relatifs à l’activité de la plupart des nouveaux hiérarques orthodoxes. Toutefois, il est certain que la coexistence dut provoquer un changement dans la nature même des discours produits par chacun des camps. Si auparavant les uniates cherchaient à affirmer leur autorité sur les clercs rebelles et sur une partie des fidèles, désormais ils devaient prouver l’exclusivité de leur légitimité dans l’administration de l’Église ruthène. Les rencontres entre les deux hiérarchies devaient d’ailleurs participer à cette sensation d’anomalie constante. Le nouvel archevêque orthodoxe de Polack, Melecjusz Smotrycki, avait d’ailleurs élu résidence au monastère du Saint-Esprit à Vilnius, voisin du couvent basilien de la Trinité201.
100Les heurts les plus violents eurent lieu dans les territoires du diocèse de Polack où se faisaient face les deux personnalités les plus actives de chacune des Églises. La confrontation entre un érudit comme Smotrycki et un pasteur zélé comme Kuncewicz put être l’un des facteurs qui mena les tensions à leur apogée, marqué par l’assassinat de l’archevêque uniate. Dès mars 1621, son concurrent orthodoxe avait été convoqué au tribunal métropolitain par Rutski pour répondre de l’usage illégitime du titre archiépiscopal et de celui de l’archimandrite de Vilnius202. Comme à l’époque des litiges menés par Pociej dans les premières années du XVIIe siècle, ces mesures disciplinaires restèrent sans effet et Smotrycki continua à exhorter les habitants de Vicebsk et de Mahilew à ne pas accepter l’autorité de Kuncewicz203.
101Le rôle précis de l’archevêque orthodoxe dans la mort du hiérarque uniate reste un sujet de discussions. Néanmoins au moment même de l’événement Smotrycki quitta la République afin d’effectuer un long voyage à travers l’Orient chrétien, qu’il raconta par la suite dans son Apologie du pèlerinage vers les contrées d’Orient (Apologia peregrynacji do krajów wschodnich) et qui le conduisit à rallier l’Union à son retour. Quoi qu’il en soit, le déchaînement de violence survenu à Vicebsk le 12 juin 1623 produisit incontestablement un événement à la fois majeur et exceptionnel de l’histoire de l’Union. La différence entre l’atteinte portée au métropolite en 1609 et la mort de Kuncewicz en 1623 ne se réduit pas à l’échec ou à la réussite d’une attaque menée contre l’un des principaux représentants de l’épiscopat uniate. Dans le premier cas, il s’agissait d’un acte isolé, même s’il était facile de relier ce geste aux tensions qui animaient la communauté ruthène de Lituanie depuis plusieurs années. À Vicebsk, c’est la majorité de la population orthodoxe de la ville, et peut-être quelques membres des autres communautés, qui prit part au déchaînement contre le hiérarque. Cette situation était d’autant plus étonnante que la région, bien qu’encore mal acquise à l’Union, avait un visage bien différent de la région de Kiev où, à partir de la fin des années 1610, les cosaques jouèrent un rôle primordial dans la consolidation des clivages religieux204.
102L’épisode donna lieu à de nombreux travaux qui tentèrent d’expliquer ses causes et d’évaluer ses conséquences205. Traditionnellement, les deux éléments principaux évoqués à cette occasion et qui ressortent des témoignages laissés par le procès de béatification mentionnent la fermeté de l’archevêque uniate lui-même et la reconstitution de la hiérarchie orthodoxe, qui stimula les résistances à l’Union. Cette lecture à la fois institutionnelle et confessionnelle put être nuancée récemment, notamment par les travaux de Mykhajlo Dovbyščenko qui montra à partir du cas de Mahilew que les tensions entre Kuncewicz et la communauté urbaine cachaient aussi les intérêts économiques de cette dernière206. Derrière les litiges avec les populations locales, l’archevêque de Polack tentait vraisemblablement moins d’étendre l’Union par la force que de rétablir l’autorité ecclésiastique sur les sanctuaires et les terrains ecclésiastiques, dont l’usage avait été détourné au cours des décennies précédentes. L’important ici est toutefois moins de revenir sur les causes de l’événement que d’observer ses conséquences sur les rapports entre les fidèles ruthènes des deux obédiences et à une échelle qui dépasse la seule ville de Vicebsk.
103Le retentissement du martyre de Jozafat Kuncewicz fut tout d’abord à l’origine d’une diffusion extrêmement rapide de son culte avant même sa béatification officielle le 16 mai 1643. Il est intéressant de voir que cette affaire révèle deux traditions distinctes dans la canonisation. Dès novembre 1626, le voïvode de Smolensk Aleksander Korwin Gosiewski, engagé dans les opérations militaires en Livonie, écrivait au métropolite uniate pour lui signifier que lui et ses hommes se plaçaient sous le patronage de Kuncewicz207. La même année, le successeur de Kuncewicz, Antoni Sielawa écrivit à la Curie pour demander l’autorisation d’ériger un autel sur le tombeau de l’archevêque défunt et donc d’y instituer un culte associé à ses reliques208. Bien entendu, la réponse de la Propaganda Fide, daté du 21 mai 1627, fut univoque et rappela à l’archevêque qu’aucun culte ne pouvait être autorisé avant le verdict de la Congrégation des rites209. Malgré ce refus, la requête elle-même montrait comment l’identité du clergé uniate entendait se construire à partir des cultes spontanés et de l’aura associé au corps du hiérarque assassiné. Plus tard la révérence envers le personnage s’inséra même dans la législation séculière de Polack et probablement des autres villes du diocèse. Pour l’année 1643, les registres de la municipalité de la cité mentionnent ainsi le cas d’un habitant mis en prison pour avoir appelé Jozafat du titre de « Révérend » (велебный), sans mentionner celui de « Bienheureux »210.
104Après le trouble entraîné par la disparition de l’un de ses évêques les plus actifs, l’Église uniate sut profiter d’une situation favorable car pour l’une des premières fois la violence de l’événement avait entraîné une réaction royale à la fois immédiate et particulièrement ferme, avec la perte de la plupart des privilèges dont jouissait Vicebsk y compris le droit de Magdebourg. Plus encore qu’à Vilnius au début des années 1610, les orthodoxes devaient désormais faire oublier la culpabilité qui pesait sur leur communauté et ils se firent donc moins actifs dans la contestation. Dovbyščenko souligne d’ailleurs que Rutski lui-même était parfaitement conscient de cette évolution au point d’affirmer en 1628 que :
Ils [Ndlr : les orthodoxes] ont abandonné beaucoup de leur ancienne fureur, qui était en vérité diabolique. Ils ont cessé d’écrire contre nous des lettres mordantes. Ils rendent visite aux nôtres et les invitent chez eux, si nous vivons avec eux dans la même ville. Leurs docteurs gardent un profond silence sur les points controversés de la foi, à l’exception de la primauté du pape. Toutefois, ils en parlent aussi plus modestement qu’ils ne le faisaient auparavant. Il y a une répulsion générale pour le schisme et un désir d’unité. De cela ils parlent non seulement lorsqu’ils se rencontrent, mais aussi publiquement quand ils affirment qu’ils veulent de n’importe quelle façon se joindre à nous211.
105La nouvelle atmosphère dans le contact entre les deux clergés ruthènes fut vraisemblablement l’une des raisons qui engagea le métropolite uniate à formuler de nouveaux projets de réunion des deux parties de la métropolie kiévienne afin de faire cesser le schisme. Néanmoins, la promotion du culte et du récit hagiographique de la mort de Kuncewicz créait aussi de nouvelles difficultés. Dans la mesure où les orthodoxes étaient clairement dénoncés comme les auteurs de l’assassinat, la réconciliation entre les deux institutions ecclésiastiques se confrontait à un problème de fond. Pour faire émerger un espoir d’unité, il devenait désormais nécessaire que les uns renoncent au culte de leur martyr ou que les autres acceptent pleinement leur culpabilité et se joignent à la nouvelle dévotion. Or, devant de telles exigences, les représentations énoncées par la controverse avaient déjà eu le temps de construire des modèles et surtout des habitudes dans lesquelles la confrontation à l’autre devenait partie prenante des modes de coexistence. Les traits de cet éloignement symétrique ressortaient parfois bien avant 1623 et ils réapparurent de nouveau dans les années 1630.
106L’émergence de ces processus s’observe notamment, à quelques occasions, dans le rapport à la mort. En 1621, un litige opposa l’archevêque Jozafat Kuncewicz à l’habitant de Polack Piotr Wasilewicz212. Ce dernier était accusé d’avoir enterré lui-même sur le cimetière de l’église de la Nativité le corps de son petit-fils mort en bas âge, sans en informer le clergé local (le texte ne précise pas si sa mort était survenue peu après la naissance et donc avant de recevoir le baptême). Kuncewicz aurait ordonné aux clercs de la paroisse d’exhumer le corps et de l’enterrer en accord avec « les usages chrétiens qui s’imposaient ». Le grand-père et le père de l’enfant, accompagnés de leurs serviteurs, chassèrent alors les ecclésiastiques et enterrèrent de nouveau la dépouille. La réponse donnée par Wasilewicz aux enquêteurs suggère qu’il se considérait comme orthodoxe et refusait que la messe funèbre de son descendant fût célébrée par un desservant uniate. D’autre part, ses propos exprimaient explicitement les tensions autour de l’usage du cimetière de la paroisse :
Le terrain et le cimetière relèvent de Dieu et du Roi, et c’est nous qui construisîmes l’église, nous avons donc le droit d’y enterrer les corps des défunts. Nous ne fîmes pas appel au prêtre pour accompagner le corps de mon petit-fils et nous ne voulûmes pas faire sonner les cloches. Quant à Sa Grâce l’Archevêque, il n’avait pas à envoyer ses hommes ni à faire déterrer l’enfant de mon fils213.
107Là encore, l’affaire ne se réduit pas au domaine strictement religieux et renvoie aussi bien à la question institutionnelle de l’usage des espaces funéraires qu’à celle de la rémunération du clergé pour le service accompli à cette occasion. De même, l’exemple relève ici d’une double évolution. Face aux divisions, certains laïcs furent amenés à considérer que le cimetière ne relevait plus uniquement du clergé en place, mais constituait une sorte de lieu sacré pour tous les fidèles de rite grec, d’autant plus que son entretien incombait à la communauté. Mais dans le même temps, devant les sollicitations du clergé en place, ils durent poser clairement la question de leur appartenance à l’une des deux Églises kiéviennes.
108Comme dans le cas des mariages, le clergé uniate fort de sa position officielle et, dans une moindre mesure, le clergé orthodoxe tentaient d’imposer leur empreinte sur les pratiques funéraires. Ces dernières occupaient une place essentielle dans le contrôle de la discipline des fidèles mais, plus encore, avaient un enjeu financier important en raison des fondations faites par les testateurs. La confessionnalisation des lieux attribués aux sépultures apparaît en effet comme une donnée à la fois assimilée et promue par la hiérarchie ecclésiastique. En 1618, le témoignage fait par Rutski à l’occasion de la nomination de Stanisław Kiszka comme évêque de Samogitie en donne une parfaite illustration. Au sujet de sa famille, le métropolite uniate précisait ainsi : « sa mère était Elżbieta Sapieżanka, qui était une Ruthène, d’ailleurs je pense qu’elle était uniate, parce qu’elle fut enterrée dans une église uniate, où d’habitude ne sont enterrés que les catholiques uniates »214. La concurrence pour les corps ressort également de la littérature de controverse et des attestations éparses d’incidents dans lesquels les clercs tentaient de perturber les cérémonies de leurs adversaires. En avril 1637, les basiliens de Vilnius s’attaquèrent ainsi à un cortège funèbre mené par les moines orthodoxes du Saint-Esprit215. Dix ans plus tard, en 1646-1647, un procès opposa l’évêque uniate de Volodymyr à l’évêque orthodoxe de Luc’k au sujet des incidents survenus à Sokal’ et à Kobryn. Dans le premier cas les prêtres uniates de la ville accusaient le hiérarque orthodoxe, Atanazy Puzyna, d’avoir provoqué un tumulte et incité une foule armée à s’attaquer à leur église lors d’un office funèbre pour deux clercs dont ils n’hésitèrent pas à maltraiter les corps216. À son tour, l’évêque du diocèse orthodoxe de Luc’k dénonçait les pratiques de l’évêque uniate, Józef Bakowiecki, qui aurait dépêché ses hommes pour interdire d’enterrer les orthodoxes et attaquer leurs processions funèbres217. D’après la déposition orthodoxe, les assaillants auraient même saisi plusieurs corps pour obliger les prêtres à les racheter avant de procéder à l’enterrement. Les hiérarques des deux obédiences essayaient donc d’asseoir leur autorité sur l’ensemble de leurs diocèses par le contrôle exclusif des cérémonies religieuses.
109En réalité, la décennie 1620 ressemblait davantage à une parenthèse qui s’effaça progressivement quand l’élan donné en 1623 se révéla manifestement insuffisant. Ce constat finit par produire une solution politique, formulée et promue par le nouveau souverain Ladislas IV. Aux échecs successifs de toutes les tentatives pour mettre fin au schisme local devait succéder la reconnaissance de la dualité institutionnelle. Avec le texte désigné sous le titre d’Articles de Pacification l’Église orthodoxe revenait sur la scène publique et devenait une institution en principe équivalente par ses droits et ses privilèges à l’Église uniate218. L’instauration désormais officielle de deux Églises fondées sur un même héritage nécessitait également une division des moyens. Les sanctuaires et les bénéfices monastiques furent en effet divisés à plusieurs reprises, mais les décisions ne furent qu’inégalement appliquées en raison des résistances locales. D’après le décret royal de 1633, dans les principales villes des voïvodies de Vilnius et de Trakai, les partisans de l’obédience constantinopolitaine obtenait une église à Hrodna, Kaunas, Trakai, Lida, Mjadzel et Vilnius219. Peu de temps après, le souverain divisa également les évêchés et les principaux bénéfices afin d’éviter un abus ecclésiologique avec deux évêques du même rite pour un même siège220. Les nouvelles lignes de partage confirmaient néanmoins une évolution territoriale qui jusque là ne s’était manifestée que sous la forme d’une tendance de plus en plus prononcée. L’ensemble de l’espace lituanien passait sous l’autorité de l’Église uniate, à l’exception des confins orientaux du diocèse de Polack, qui devaient former le nouvel évêché orthodoxe de Mscislaw-Mahilew-Orša. Inversement, la majorité des territoires orientaux de la Couronne qui avaient rejoint le royaume de Pologne en 1569, devaient à terme être transférés à la hiérarchie placée sous l’obédience de Constantinople. Une nouvelle fois, la solution mise en pratique avait des conséquences équivoques puisqu’elle proposait d’apaiser les tensions tout en consolidant les divisions entre les orthodoxes et les uniates.
Les paroles de la discorde
110La séparation de l’Église kiévienne entre les deux juridictions créa rapidement le besoin de nommer l’autre et de se désigner soi-même afin de souligner le contraste entre les deux positions et pouvoir dénoncer l’adversaire. Le vocabulaire qui émerge à la lecture des textes ne constitue pas cependant un lexique uniforme et immobile. Chaque période et, dans une certaine mesure, chaque acteur engagé dans la controverse complétait ce corpus mouvant avec des termes originaux.
111Les premières années de l’Union paraissent avoir gardé une terminologie « traditionnelle » à l’intérieur d’une rhétorique de dénonciation qui provenait essentiellement des orthodoxes. Dès 1595, les principaux acteurs du ralliemennt à Rome furent ainsi qualifiés d’« apostats » (отступники ou отщепенцы) d’après les reproches principaux faits alors aux évêques unionistes221. Dans les désignations qui renvoyaient à leur propre communauté, les orthodoxes associaient à une terminologie institutionnelle qui insistait sur la continuité (fidèles de l’ancienne religion grecque) un vocabulaire cultuel, mettant en avant la notion de piété (благочестивые)222. Les confréries semblent avoir occupé une place privilégiée dans l’expression verbale de l’opposition à l’Union, à la fois par l’abondance de leurs correspondances et parce qu’elles servaient d’intermédiaires entre les divers acteurs religieux et laïcs, aussi bien sur le territoire polono-lituanien qu’en direction de l’espace hellénique.
112Il est intéressant de remarquer que l’épiscopat uniate n’utilisait pas ce terme ce qui permit rapidement de le rattacher presque exclusivement à la communauté orthodoxe. Toutefois, dans certaines lettres du métropolite Rahoza de la même période, se trouve une autre formule qui semble recourir à un usage, peut-être involontaire, de ce lexique. En août 1596, le métropolite annonçait la convocation du synode métropolitain à Brest, destiné à proclamer l’Union, avec une adresse à tous les « chrétiens justes » (всимъ благовэрнымъ хрестiаномъ)223. Ces termes étaient en réalité synonymes et renvoyaient au même mot grec (εὐσεβής) – les deux pourraient d’ailleurs être traduits par « pieux » – mais celui utilisé par le métropolite renvoyait aussi à la traduction slave des épithètes religieux des empereurs byzantins et surtout faisait raisonner le mot « foi » (вэра). Si l’emploi de ce vocabulaire était volontaire, il signifierait que la future Union était présentée comme une question de foi, par delà celles des rites et des traditions propres à chaque Église.
113Plus généralement, il semblerait qu’au départ les uniates n’eurent pas recours à des définitions lexicales précises des deux attitudes opposées face à la reconnaissance de l’obédience romaine. L’arrivée d’Hipacy Pociej fit d’ailleurs basculer la terminologie vers un vocabulaire de dénonciation sociale et politique, qui quitta le champ religieux. Comme cela fut déjà mentionné, les orthodoxes apparaissaient le plus souvent sous sa plume comme la « horde de Nalewajko » dans le but de les associer à l’image de ceux qui s’étaient révoltés quelques années auparavant contre le pouvoir royal et entraîné de violents affrontements sur les territoires peuplés précisément par une majorité de Ruthènes224. Par ces attaques, Pociej visait directement la confrérie de Vilnius qui au moment de la rédaction de son document accueillait justement le frère de l’ancien chef cosaque, Damian, un prêtre lié au cercle intellectuel d’Ostroh et profondément engagé dans la controverse de l’époque225. Étonnamment, ce vocabulaire résista aux tensions des années 1608-1609 et ne fut que complété par des références plus fréquentes à la « rébellion » des clercs et des confrères orthodoxes de Vilnius, qui à leur tour dénonçaient les pratiques et les enseignements de Rutski décrit sous les traits d’un prêtre latin226. Pendant longtemps, le lexique employé dans cette joute verbale évita de formuler des définitions nouvelles et se limita à reprendre les termes traditionnels ou extérieurs à la communauté227.
114Un changement survint néanmoins dans les années 1610 avec la promotion de Rutski sur le siège métropolitain, mais aussi l’arrivée en Lituanie de nouveaux évêques uniates, formés dans les collèges pontificaux. L’évolution se fit tout d’abord par le biais des contacts extérieurs, car dans les rapports fréquents envoyés à la Curie et à la Propaganda Fide en particulier, après 1622, les divisions durent être nommées et exprimées en accord avec un vocabulaire latin. Dans cette correspondance entre Rome et le métropolite puis, dans les années 1620, quelques autres hiérarques ruthènes, les images nettes de deux ensembles distincts prirent forme grâce aux mots uniti et schismatici228. Ce vocabulaire offrait un fort contraste avec les pratiques locales qui avaient tendance à singulariser le vocable quand il s’agissait d’une dénonciation individuelle. Ainsi, le procès de béatification de Jozafat Kuncewicz indiquait pour la période pendant laquelle celui-ci était encore moine à Vilnius que certains orthodoxes n’hésitaient pas à l’appeler « arracheur d’âmes » (Duszochwat)229.
115L’emploi d’un lexique latinisé ne s’imposa que vers les années 1630 et, semble-t-il, sous l’impulsion de l’administration royale. Dans les actes du milieu du XVIIe siècle se trouvent en effet de manière très fréquente les termes « uniates » (unici) et « désunis » (dyzunici)230, ces derniers correspondant à la communauté orthodoxe. Les nouvelles expressions s’expliquaient par le besoin de simplifier et de clarifier le langage administratif car, en 1633, la reconnaissance de l’Église orthodoxe exigea de désigner chacune des institutions, dans un contexte où l’ancienne terminologie « de religion ou de rite grec » était devenue largement obsolète231.
116L’établissement de ces typologies sommaires était toutefois loin d’épuiser l’ensemble des procédés langagiers employés dans la controverse. En revanche, les désignations de plus en plus nettes favorisèrent la construction d’une rhétorique plus acerbe qui développa peu à peu une forme de diabolisation de l’adversaire confessionnel. Les membres du clergé furent à la fois les acteurs et les cibles prioritaires de ce combat par la parole. Un des indices singuliers de ce raidissement confessionnel se voit dans l’apparition dans les années 1630 de formulaires particuliers qui ne semblaient pas exister dans les décennies précédentes. Il s’agit des déclarations de renonciation à l’Union préparées pour les prêtres qui souhaiteraient regagner l’Église orthodoxe. L’un des exemplaires de ces documents fut publié par Sergej Golubev, d’après un modèle préparé à Mahilew en 1638, soit pour le seul diocèse orthodoxe du territoire lituanien232. Le texte demandait au prêtre de renoncer à toutes les erreurs qu’il avait acceptées avec l’Union et qui étaient « nuisibles au salut de son âme ». À la fin du texte le desservant faisait le serment de demeurer dans l’obédience de la « vraie Église orientale », qui était une condition nécessaire au salut. Ce renversement de l’ecclésiologie romaine de l’époque tridentine souligne encore une fois à quel point chacune des institutions ruthènes se construisait dans un rapport étroit et symétrique à son adversaire.
117La dénonciation dogmatique et institutionnelle de l’Église concurrente se faisait parallèlement à des récits qui veillaient à souligner scrupuleusement les signes visibles de l’illégitimité de l’adversaire. L’un des textes les plus aboutis dans ce domaine est le recueil d’exempla, préparé par Piotr Mohyła qui n’eut pas le temps de publier ce travail de son vivant. Son brouillon fut édité au XIXe siècle, dans la collection publiée par la Commission archéographique de Kiev sous le titre de Récits de Piotr Mohyła sur les phénomènes merveilleux et remarquables dans l’Église orthodoxe233. Parmi les quarante-neuf anecdotes esquissées, que l’auteur prévoyait sans doute de développer dans la version définitive de l’ouvrage, une histoire se rapporte directement au clergé uniate de Vilnius. Mohyła situe les événements en 1625, lors d’une épidémie de peste qui frappa la ville cette année. La maladie emporta entre autres l’archiprêtre de la ville, Michał Kotłubaj, pour lequel un office funèbre devait être célébré à l’église de la Sainte-Trinité234. Au moment de la communion, le vin qui avait été versé dans le calice s’était pourtant transformé en eau, rendant impossible l’accomplissement de l’eucharistie. Par ces exemples concrets et parfaitement banals qui impliquaient des personnes réelles du clergé uniate, Mohyła souhaitait donner forme à une représentation dans laquelle le camp adverse était assimilé à des imposteurs démasqués par l’action divine.
118Les modèles confessionnels de plus en plus précis et étayés par de nombreux faits quotidiens étaient reproduits quelques fois par les paroissiens ruthènes eux-mêmes qui, s’ils évitaient l’affrontement physique direct, n’hésitaient pas à s’engager dans une violence verbale face aux fidèles de l’obédience adverse. Polack offre encore une fois un exemple explicite de ces frictions. En 1646, la municipalité enregistra une plainte relative à une querelle entre un noble et un pelletier de la ville, tous deux invités chez l’un des bourgmestres locaux. L’artisan, Teodor Oleksejewicz, s’était mis à provoquer son voisin, Krzysztof Jesman, par son affirmation que l’Union « était une foi diabolique et satanique »235. Par la suite, Oleksejewicz aurait même blessé son interlocuteur avec le verre qu’il tenait à la main. La description pittoresque de l’affaire et la présence de la boisson qui participa à attiser les querelles entre les deux hommes n’enlèvent rien à l’expression d’une représentation déjà univoque qui reliait l’Union à la damnation. L’assimilation n’était pas nouvelle en soi et plusieurs témoignages du procès de béatification de Kuncewicz parlaient déjà d’individus qui désignaient les églises uniates comme des « entrées de l’Enfer »236. Toutefois cette thématique ressortait ici à l’écart de tout contexte religieux apparent et concernait l’ensemble des uniates, incarné pour l’occasion par celui qui faisait face à l’artisan. Les résultats de ces évolutions restent toutefois difficiles à saisir puisque les sources n’offrent que quelques rares cas isolés.
119Si l’émergence de ces consciences confessionnelles se fit sous l’influence de facteurs très divers, le rôle performateur des récits répétés par les clergés orthodoxe et uniate occupa incontestablement une place essentielle. Encore une fois, les commentaires offerts par le procès de béatification de l’archevêque de Polack apportent ici quelques éclairages précieux. Piotr Iwanowicz, un uniate originaire de Polack, estimait ainsi que la position des orthodoxes changea sous l’effet des lettres envoyées par Smotrycki à la communauté locale qui, d’après le témoin, se serait alors détournée non seulement de Kuncewicz, mais encore des fidèles qui adhéraient à l’Union237. Genadiusz Chmielnicki, déjà cité à plusieurs reprises, rapportait à son tour un détail singulier. D’après ses informations, les succès de Rutski et de Kuncewicz dans les conversions auraient conduit les « schismatiques » de l’église du Saint-Esprit de Vilnius à faire peindre une représentation du jugement dernier dans laquelle, au milieu des démons, figuraient deux métropolites uniates – Hipacy Pociej et Józef Rutski – en compagnie de Jozafat Kuncewicz. La peinture aurait ensuite pris place dans l’entrée de leur église, comme une sorte de placard figuratif qui pouvait être déchiffré par les plus humbles238.
120Les changements observés dans les clergés ruthènes au cours de la première moitié du XVIIe siècle montrent à quel point l’Union modifia les perspectives d’une institution ecclésiastique tout entière. S’il paraît abusif d’y voir un véritable bouleversement, devant des processus qui exigeaient du temps, il est certain que des tendances nouvelles firent leur apparition chez les uniates comme chez les orthodoxes et, en quelques décennies, parvinrent déjà à des résultats imposants. Les moines des deux obédiences, originaires des couvents les plus prestigieux de la métropolie se placèrent ici en première ligne. Presque paradoxalement, grâce à leur rôle de représentants « conventionnels » de la spiritualité et des traditions chrétiennes orientales, hiérarques et laïcs voyaient en eux les clercs les mieux armés pour s’insérer dans la concurrence confessionnelle, qui introduisait les rapports anciens et complexes entre Grecs et Latins au sein même de l’Église kiévienne. Après l’échec des solutions institutionnelles au schisme local, apparu en 1596, les deux clergés s’engagèrent dans un immense chantier pour le renouvellement de la discipline à l’échelle de la hiérarchie ecclésiastique et, dans la mesure du possible, de l’ensemble des fidèles de la métropolie.
121L’ampleur de la tâche à accomplir fit néanmoins émerger rapidement les défaillances des structures locales. Il devint clair que toute réforme en profondeur, si elle voulait être efficace et s’accomplir dans des délais relativement brefs, devait commencer par les hommes plus encore que par les institutions. Rutski, qui remplaça Pociej sur le siège métropolitain, fit donc le choix d’un changement « générationnel » pour casser l’emprise des inerties anciennes du clergé. Il voulut ainsi substituer progressivement aux ecclésiastiques formés dans la période précédente à l’Union des clercs éduqués d’après un modèle différent, fondé sur des normes communes, inculquées aux candidats dès leur entrée dans la vie ecclésiastique. Le métropolite parvint également à soustraire les principaux bénéfices aux pratiques courantes du XVIe siècle. Leur attribution répondait désormais à un cursus studiorum réussi et à la constance manifestée dans l’engagement dans la vie interne de l’Église. Les emprunts faits aux modèles latins et l’organisation des basiliens comme un véritable ordre constitué, dès sa fondation, permettent d’estimer que l’Union fut un catalyseur de la « professionnalisation » du clergé, parallèlement aux processus qui avaient lieu dans l’Église latine.
122Les orthodoxes profitèrent à leur tour de ces redéfinitions par la pratique puisque, dans un conflit en miroir où la proximité du rite permettait d’assurer une symétrie presque parfaite, toute tendance assimilée par l’Église uniate trouvait une forme de réponse chez le clergé ruthène rival. Sur ce point, la hiérarchie placée sous l’obédience constantinopolitaine avait l’avantage de pouvoir intégrer des méthodes et des normes nouvelles sans qu’elles fussent directement marquées du sceau de la latinité et, pour cela, désavouées par une partie des fidèles.
123Ces divers processus avaient cependant leurs limites. Tout d’abord, pour les uniates comme pour les orthodoxes, le monachisme fut très rapidement privilégié face au clergé séculier qui ne trouva qu’une place modeste dans ces évolutions. Ensuite, la rapidité des réformes disciplinaires se fonda avant tout sur la nécessité des deux clergés de se démarquer de manière visible l’un de l’autre afin de légitimer leurs positions sur l’échiquier confessionnel de la République polono-lituanienne. Ce besoin s’accrut encore davantage quand les deux Églises furent dotées d’un statut officiel qui rendait plus complexe une simple dénonciation univoque. Les intérêts de chaque hiérarchie aboutirent d’ailleurs à une forme de régionalisation confessionnelle. En effet, à partir des années 1630, les voïvodies orientales de la Couronne devinrent le territoire de l’Église rattachée à Constantinople, alors que la plus grande partie de la Lituanie releva de l’autorité de la hiérarchie ruthène rattachée à Rome. Pour autant, les enjeux exprimés par le clergé ne pouvaient être qu’imparfaitement partagés par la masse des laïcs. La difficulté à faire coïncider les deux ensembles d’attitudes et de représentations face aux démarcations confessionnelles constituèrent le principal défi et un obstacle pour la fuite en avant entamée par les élites ecclésiastiques ruthènes de chacune des obédiences.
Notes de bas de page
1 Dans l’histoire de l’ordre basilien, Atanasij Pekar parle ainsi du « déclin complet » du monachisme ruthène aux XVe-XVIe siècles (Narys 1992, p. 88-93).
2 L’obligation de choisir les hiérarques parmi les moines n’était plus respectée à cette époque au point que même les candidats laïcs pouvaient prétendre à cette charge, à condition de recevoir la consécration cléricale (Chodynicki 1934, p. 130-138 ; Dymyd 2000, p. 136-141).
3 Chomik 2013, p. 552-554.
4 Ce point est directement abordé dans Dmitriev 2003, p. 89-132.
5 Voir les tableaux n° 13-14. Formellement, les uniates comptaient également d’autres supérieurs monastiques, puisque Jonasz Hohol détenait encore sa charge pour l’archimandritat de Kobryn et les chartes pontificales obtenues à Rome en mars 1596 accordaient à Hipacy Pociej le bénéfice du monastère Saint-Sauveur de Volodymyr et au métropolite Michał Rahoza celui du monastère des Grottes de Kiev (DUB, n°196, 200, p. 297-302).
6 DUB, n° 231, p. 362.
7 Le cas du monastère de Braslaw présentait une situation complexe. Le couvent lui-même relevait de l’archevêché de Polack, occupé par Grzegorz Zagorski. Cependant, son archimandrite Klemens (Bohdan) Godkiński exerçait dans le même temps la charge de supérieur du couvent de Hrodna qui correspondait à son bénéfice principal obtenu en 1591. Pour sa charge à Braslaw, il avait été consacré par le hiérarque de Polack, Natanael Sielicki (Chomik 2013, p. 293-294).
8 Voir Miranovič 2006, p. 23-25 ; RGIA, F. 823, inv. 3, n° 82.
9 Chomik 2013, p. 199.
10 Hardzeew 2008, p. 75.
11 Chomik 2013, p. 194-195, 422.
12 AS, t. 9, p. 74-75.
13 Ibid., p. 77.
14 Voir supra.
15 Certains auteurs, à la suite d’Ignacy Stebelski, supposent que le monastère fut fondé en 1520 par la fille de Jan (Iwan) Sapieha, Katarzyna Sapieżanka (Borkowska 2008, p. 173). Cette information n’est toutefois pas confirmée par les archives et provient peut-être d’une confusion avec une autre Katarzyna (Eudoksja) Sapieżanka qui fut moniale de la Sainte-Trinité avant de fonder le monastère basilien de Minsk vers 1650 (Sapieha 1995, p. 98, 106). La première mention de la communauté féminine figure dans la confirmation royale des statuts de la confrérie orthodoxe de Vilnius datée du 21 juillet 1589 (AVAK, t. 9, n° 52, p. 142).
16 Voir par exemple la confirmation royale de 1688 : « [...] przy cerkwi ś. Tróycy będący, od wielebnej panny Wasilissy Barbary Sapieżanki – wielmożnego niegdy woiewody Mińskiego córki restaurowany, a od niektórych osób po większej części nowo fundowany [...] » (AVAK, t. 9, n° 98, p. 265). Józef Ignacy Kraszewski affirme que la communauté féminine fut réorganisée par les soins d’Hipacy Pociej et de Józef Rutski, mais ne cite aucune source à l’appui (Kraszewski 1840-1842, t. 3, p. 74). Si l’on considère cette information comme valable, il faut situer l’arrivée de la nouvelle supérieure entre septembre 1607 (date d’entrée de Rutski au couvent) et le début de l’année 1609 (Tatarenko 2012, p. 692).
17 SJH, t. 1, p. 175.
18 AZR, t. 3, n° 144, p. 286.
19 Chomik 2013, p. 465-487 ; Temčin 2010a, 2010b.
20 Mironowicz 1991, p. 119-121. En 1570, le moine Eustachy rédigea ainsi l’Écrit contre les luthériens (Списание противъ лютровъ), puis, quelques années plus tard, deux autres traités contre l’ouvrage de Piotr Skarga De l’Unité de l’Église (1577) : Épître aux Latins (1581) et Exposé sur la maudite et sur l’ignoble latinité (1586).
21 ADS, t. 1, n° 334, p. 278.
22 Reestr 1859, p. 32.
23 Les indications à ce sujet sont généralement très imprécises dans l’ensemble des ouvrages. Pourtant, la question fut abordée dès 1911 dans Dovgjallo 1911. L’auteur y présente plusieurs arguments qui amènent à situer la fondation avant 1604.
24 Dans les Instructions adressées au synode de Brest de 1594, les confrères de Vilnius demandaient toutefois de veiller à ne pas laisser vides les monastères qui avaient été attribués à des évêques ou en commende à des laïcs (voir Tableau 12).
25 Voir son fascicule publié à Vilnius en janvier 1605, sous le titre Discursus Rutheni cuiusdam de corrigendo regimine in ritu Graeco : Monachi Ordinis S. Basili sunt illi, ex quibus iuxta canones Graecorum ad omnes praelaturas ecclesiasticas assumi debent capita. Quare si bonos uelimus habere espiscopos, curemus bonos religiosos, hoc est curemus, ut religiosi nostri sint docti inque bene ordinata ac perfecta uita interna religiosa bene fundati quarum rerum neutra hoc tempore apud nos extat (Welykyj 1963, p. 127).
26 La délégation avait été envoyée par le pape au shah de Perse Abbas Ier (1588-1629), dans l’intention d’en faire un allié dans les projets de ligue anti-ottomane voulue par le Saint-Siège. Elle était composée de Paulus Simon a Jesu Maria (Paolo Rivarola, 1576-1643), de Joannes Thaddaeus a S. Elisaeo (Juan Roldán, 1574-1633), de Vincentius a S. Francisco (Juan de Gambart, 1574-1623) et de Joannes ab Assumptione (Giovanni Battista Angeli, 1581-1607), accompagnés de l’ancien sergent des tercios espagnols Francisco Riodolid de Peralta. Voir Kowalówka 1975, p. 34 ; a S. Theresia 1933, p. 9-15.
27 Welykyj 1949, p. 12-13.
28 Fortes 1990, p. 8. Kowalówka 1975, p. 52-71 ; Welykyj 1949, p. 14-15. Leonard Kowalówka estime que la mention pouvait renvoyer à l’archiprêtre uniate de Vilnius (Kowalówka 1975, p. 58-59). Cette charge était alors occupée par Bartłomiej Żaszkowski. Il paraît cependant peu probable que celui-ci possédât une stature suffisante pour se charger d’une telle demande. Porfirij Pidručnyj suppose à son tour qu’il pouvait s’agir également du prêtre de rite grec Pietro Arcudio qui, après un long séjour en Lituanie, était rentré à Rome et avait gardé des contacts étroits avec le métropolite ruthène (Pidruc’nyj 1974, p. 43). Toutefois, l’usage de ce titre sans nommer directement l’individu aurait été étrange à l’égard d’un clerc qui était bien connu à Rome. L’hypothèse la plus plausible demeure donc celle de Velykyj qui souligne que Rutski était alors une sorte d’homme de confiance de Pociej sur le territoire lituanien, dont le statut aurait été rendu de manière approximative par le terme latin « vicarius metropolitae Rutheni ».
29 Sur la création de la province polonaise des carmes déchaux et l’expansion de l’ordre dans la République voir Gil 2005b ; Wanat 1979.
30 Wanat 1995. Encore en 1609, à la veille de la fondation d’une deuxième maison des carmes déchaux à Lublin, le couvent de Cracovie ne comptait que quatorze individus. À Vilnius, un couvent de l’ordre ne fut établi qu’en 1626, malgré l’avis favorable exprimé par Paulus Simon dès 1605. Il faut remarquer que cette fondation eut lieu sous le bourgmestre Ignacy Dubowicz, qui avait déjà abandonné l’Union au profit du rite latin.
31 Les motifs de son voyage restent encore mal connus. Certains évoquent son rôle comme traducteur, mais les pères disposaient déjà de personnes compétentes. Il faut également envisager la possibilité que Rutski ait été chargé d’une mission particulière par le métropolite uniate Hipacy Pociej (Welykyj 1949, p. 20).
32 Ibid., p. 21.
33 EM, t. 1, n°2, p. 23-27.
34 Pidruc’nyj 1974, p. 39.
35 Ibid., p. 40.
36 EM, t. 1, n° 2, p. 23-24.
37 Son projet semble avoir attiré l’attention de la Curie puisque, en novembre 1606, il fut directement mentionné dans les instructions données au nouveau nonce de Varsovie, Francesco Simonetta (Giordano 2003, vol. 1, n° 20, p. 414, 420).
38 Szehda 1963, p. 160.
39 Voir Peri 1995. Du point de vue théologique, certains auteurs comme Wacław Hryniewicz analysent la question de l’Union à partir de la notion d’« Églises sœurs », qui existait au Moyen Âge mais dont le sens se restreignit à l’époque tridentine pour ne qualifier que les liens éventuels entre deux Églises locales (Hryniewicz 1995).
40 Frick 1995, p. 206-226.
41 Narys 1992, p. 114. Cette information provient également du témoignage de l’higoumène Chmielnicki (SJH, t. 1, p. 179).
42 EM, t. 1, n° 8, p. 33-48.
43 Narys 1992, p. 125. Pidručnyj souligne toutefois qu’Ignace de Loyola lui-même s’était inspiré des Règles de saint Basile, ce qui rend plus complexe la question de la source de Rutski.
44 Senyk 1983, p. 105-107.
45 SJH, t. 1, p. 162. Sielawa précise même que Kuncewicz dut entrer en conflit avec la supérieure Wasylissa Sapieżanka qui se montrait peu disposée à suivre la nouvelle discipline.
46 AS, t. 12, p. 7-8.
47 Senyk 1982, p. 413-415. Les données sur l’histoire institutionnelle de l’ordre sont rassemblées dans Wojnar 1949-1958.
48 Pidruc’nyj 1997, p. 87.
49 ASCPF, t. 1, n° 34, p. 27 ; DPR, t. 1, n° 411, p. 481-482.
50 Sainte-Barbe de Pinsk, Saint-Esprit de Minsk et Très-Sainte-Vierge de Hrodna (Borkowska 2008, p. 42, 77, 112, 173).
51 Blažejowskyj 1973, p. 106.
52 À ce premier élément s’ajoutait celui de la concurrence interne entre le métropolite ou les évêques et le chapitre basilien pour la nomination aux principaux bénéfices monastiques. Cette confusion fut sans doute l’une des raisons qui poussèrent Rutski à assumer à la fois la charge de métropolite et du premier protoarchimandrite de l’ordre. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, ce problème déboucha sur un long conflit ouvert entre les basiliens et le métropolite Gabriel Kolenda (Praszko 1944, passim).
53 Blažejowskyj 1973, p. 133. Le droit des protoarchimandrites de visiter ces archimandritats ne fut reconnu qu’en 1756.
54 En 1592, Konstanty Ostrogski tenta d’introduire des réformes disciplinaires dans le monastère Saint-Sauveur de Dubno (Senyk 1982, p. 408).
55 AS, t. 9, n° 48, p. 151-160.
56 Le monastère reçut plusieurs règles en 1510, 1568, 1603 et 1627. (AS, t. 9, n°5, 22, 36, 36 [sic], p. 16-22, 58-65, 93-94, 108-116).
57 Ibid., p. 108-116.
58 Le texte accordait toutefois une place non négligeable aux devoirs religieux de l’institution. Il soulignait en particulier la nécessité d’avoir des prêtres, afin d’assurer le service liturgique et l’administration des sacrements, à condition qu’ils ne dépassent pas le nombre de six, ainsi que deux diacres, avec une bonne connaissance des Écritures, destinés à remplacer les prêtres défunts. Le métropolite pouvait visiter le couvent mais devait avertir au préalable le patron. Il est intéressant de remarquer que l’un des seuls moines qui refusa de signer la nouvelle règle fut Samuel Sieńczyło, qui après s’être réconcilié avec les autorités uniates et avant 1614 rejoignit la communauté de Supraśl (Nikolaj 1892, p. 98-99).
59 Ibid., p. 117-126.
60 Vavryk 1979, p. 8. Voir Annexe 4.
61 Ibid., p. 79-80 ; LB, t. 1, n° 29, p. 59-60.
62 Kempa 2001, p. 76, 101.
63 D’après la fondation des Ogiński, faite en 1619 pour le monastère de Vievis, il était prévu que celui-ci n’accueillît que trois moines ordonnés, sans compter les quelques clercs nécessaires au culte dans l’église (AVAK, t. 11, n° 31, p. 88). Seul le monastère de Kucejna semblait se distinguer par une communauté qui d’après les sources orthodoxes atteignait jusqu’à 200 individus (Kempa 2001, p. 85).
64 Ibid., p. 95-96. Voir Annexe 5.
65 Senyk 1982, p. 415-417.
66 La référence à la Compagnie de Jésus est ici manifeste.
67 AS, t. 12, p. 9-10.
68 En 1636, le chapitre réuni à Vilnius rappela que la prédication des basiliens dans les églises devait toujours se faire en langue ruthène (Senyk 1982, p. 424).
69 Ibid., p. 418.
70 Kharlampovič 1898, p. 501 ; Pidručnyj 1997, p. 85 ; Nosilia 2017, p. 158. Le monastère de l’Annonciation de Minsk et son école furent placés dès 1613 sous la tutelle de la Sainte-Trinité de Vilnius (Akty JuZR, t. 2, n° 44, p. 68-69). Au début du XVIIe siècle, le monastère de Bycen’ avait été donné à la communauté féminine, qui devait accueillir la fille du patron du sanctuaire, Eufrozyna Tryźnianka. En 1616, il fut toutefois décidé d’y organiser le noviciat pour les moines basiliens. Les moniales furent alors transférées dans le monastère Sainte-Barbe de Pinsk (Senyk 1983, p. 16). Selon un récit postérieur de Jakub Susza, ce choix survint après avoir hésité à établir le nouveau noviciat à Supraśl, mais le statut complexe de ce couvent rendit difficile la réalisation du projet (Susza 1665, p. 25).
71 AS, t. 12, p, p. 15.
72 Ibid., p. 22 ; IUK, t. 2, p. 563; AS, t. 2, n°30, 102, p. 31-34, 241-242; Holowackyj 1957, p. 137.
73 AVAK, t. 11, n° 31, p. 88 ; Senyk 1982, p. 423.
74 Senyk 1982, p. 412.
75 EM, t. 1, n° 58 p. 114. Dès 1617, le métropolite soulignait déjà que l’organisation institutionnelle d’un noviciat basilien servait à rompre avec l’ancienne tradition, selon laquelle les novices étaient formés directement dans les monastères par les vieux moines (Ibid., n° 7, p. 31-32).
76 AS, t. 6, n°62, p. 124-128.
77 Annexe 9.
78 DUB, n° 43, p. 77 ; Senyk 1990, p. 165.
79 Korzo 2007, p. 216-292.
80 Senyk 1990, p. 176.
81 ADS, n° 334, p. 278-279 ; Halecki 1958, p. 112.
82 AZR, t. 4, n° 164, p. 251. L’authenticité du document fut longtemps mise en doute mais finalement démontrée grâce aux découvertes archivistiques à la fin du XXe siècle (Rusyna 2008, p. 16-34).
83 Il s’agit de l’ouvrage déjà mentionné : Pociej 1606. Le métropolite y indiquait que la plupart des documents étaient alors conservés dans les archives de la cathédrale de Vilnius. Sur la place du droit dans la controverse voir Chynczewska-Hennel 1993.
84 AVAK, t. 33, n° 138, p. 180-184.
85 La présentation la plus complète de la vie d’Ignatij se trouve dans Ul’janovskij 1991 et Ul’janovs’kyj 1996. Il était un Grec originaire de Chypre, qui arriva en Moscovie vers 1598. Il devint patriarche de Moscou après la conquête de la ville par Faux Dimitri, au début du mois de juillet 1605 (Santich 1995, p. 205). Après la défaite de son protecteur, Ignatij fut enfermé dans l’un des monastères du Kremlin. Le patriarche fut rétabli en 1611, grâce à la reconquête polonaise mais dut fuir la même année la capitale vers les territoires de la République. Par la suite, il resta à Vilnius et termina sa vie au monastère de la Sainte-Trinité, où il fut enterré vers 1619-1620.
86 D’après Tymošenko 2004, Annexe n° 11, p. 175.
87 Voir Niedźwiedź 2012, p. 303-309.
88 Blažejowskyj 1984, p. 82.
89 SJH, t. 1, n° 72-73, p. 221-245. Le recueil publié par Velykyj correspond à la traduction latine des documents, tirés du proces de béatification de Jozafat Kuncewicz. Toutefois la version originale était en ruthène (Marusyn 1967 ; Korzo 2007, p. 409-429). Une attention particulière aux fonctions sacerdotales apparaît également dans d’autres fascicules qui peuvent être attribués à Kuncewicz : l’Enseignement pour les prêtres, insérés dans l’euchologe imprimé en 1617 sur les presses de Leon Mamonicz et l’Enseignement sur les sept sacrements publié vers 1618 (voir Nowak 2017a, p. 26-27 ; Nowak 2017b, p. 189-191).
90 SJH, t. 1, n° 73, p. 238-239, 241-242.
91 Toutefois, face à l’étendue du problème, Jozafat précisait que les prêtres déjà en exercice et remariés pouvaient continuer leur service et même administrer la majorité des sacrements, à l’exception de celui de l’Eucharistie pour lequel ils devaient trouver un suppléant (SJH, t. 1, n° 73, p. 240-241).
92 Senyk 1997, p. 65.
93 SJH, t. 1, n°73, p. 243-245.
94 OAM, t. 1, n° 413, p. 164. En juin 1617, Kuncewicz avait été nommé évêque coadjuteur de Polack afin d’assister Gedeon Brolnicki, déjà affaibli par la maladie (Ibid., n° 407, p. 163).
95 Korzo 2007, p. 416.
96 Ibid., p. 416-425.
97 Voir supra.
98 Blažejowskyj 1984, p. 117. Aucun élève ruthène n’y fut inscrit entre 1590 et 1595.
99 Dans sa jeunesse et alors qu’il appartenait à l’origine à la communauté calviniste, Rafał Korsak avait ainsi étudié dans les établissements jésuites de Njas’viž et de Vilnius.
100 Voir infra Chapitre 8.
101 BDP, t. 8, n° 63, p. 159-162.
102 DPR, t. 1, n° 186, p. 298-299.
103 Blažejowskyj 1984, p. 82.
104 Ibid., p. 53.
105 AVAK, t. 16, n° 116, p. 155-156.
106 Ibid., n° 117, p. 156-157.
107 Praeterea, ut mihi scribitur, est homo rudis in latino, forte etiam in Graeco ferme analphabetus, et annorum ferme 30. Fratres nostros coram illis in illo Collegio uocat lachos, id est latinos, se esse uerum Ruthenum, non illos (EM, t. 1, n° 5, p. 29-31).
108 Monachi autem ex Monasteriis ipsius [Metropolitani Chioviensis] sua sponte non eunt, nisi mittantur, nec mittentur sine commendaticiis ipsius Metropolitani (Ibid.).
109 BDP, t. 13, n° 98, p. 246.
110 Woś 1972, p. 133. Les élèves entre seize et dix-huit ans devaient présenter une dispense du cardinal protecteur. Ceux qui avaient dépassé cet âge étaient obligés de s’adresser directement au souverain pontife.
111 Krajcar 1966b, p. 22-23.
112 AS, t. 12, p. 9 ; Szehda 1963, p. 170.
113 EM, t. 1, n° 69, p. 170-171.
114 Toutefois les constitutions d’Urbain VIII de novembre 1624 parlaient encore de quatre places pour les Ruthènes (BDP, t. 13, n° 98, p. 246).
115 Blažejowskyj 1984, p. 121.
116 Ibid., p. 34. Voir également la lettre de remerciement de la Propaganda Fide dans LSCPF, t. 1, n° 99, p. 66 ; RGIA, F. 823, inv. 3, n° 101.
117 Blažejowskyj 1984, p. 42.
118 Les provinces rattachées aux Collèges pontificaux de Braniewo et d’Olomouc étaient les suivantes : Svezia, Gothia, Vandalia, Norvegia, Dacia, Pomerania, Prussia, Liuonia, Moscouia, Russia seu Lithuania et Hungaria. Le collège de Vilnius avait été fondé pro Ruthenis et Muscouitis.
119 LE, t. 1, n° 107, p. 221.
120 Braniewo : 53, Graz : 2, Olomouc : 15, Prague 8, Collège Urbain : 7 ; Collège grec : 36, Vienne 8, Vilnius : 42. Voir Annexe 6.
121 ASPbII RAN, F. 52, inv. 1, n° 61.
122 Krajcar 1966b, p. 19.
123 LE, t. 1, n° 63, p. 111.
124 SEU, t. 1, n° 120, p. 86-87.
125 Le 2 janvier 1627, le protecteur du Collège, le cardinal Lelio Biscia, informa le recteur que la Propagande avait décidé de diminuer le nombre d’étudiants afin de dégager les fonds nécessaires à l’activité de l’institution. Il s’agissait notamment de financer le viatique des anciens élèves qui partaient en mission vers les territoires du Levant. L’ensemble des pensions accordées aux élèves devait se réduire à trente. Pour les Ruthènes, cette décision s’est traduite par la suppression des deux places supplémentaires qui avaient été accordées en 1623. Le métropolite fut même obligé d’adresser une supplique au Saint-Siège afin de lui demander d’accueillir tous les candidats qu’il avait envoyés à Rome en ignorant la réforme et qui étaient déjà en chemin (Krajcar 1966b, p. 36).
126 ASCPF, t. 1, n° 64, p. 40-42.
127 Blažejowskyj 1984, p. 30.
128 Ibid., p. 54. Extrait du registre des élèves.
129 SEU, t. 1, n° 9, p. 24.
130 Ivanenko-Kolenda 2006.
131 APF, SC, Ser. II, Visite e Collegi, vol. 5, f. 446v.
132 Toutefois, dans les premières années de l’Union, même les basiliens devaient subir les conséquences de leurs lacunes linguistiques. Ceci se reflète dans la bouche du futur higoumène de Polack Genadiusz Chmielnicki – l’un des premiers élèves basiliens de Braniewo, entre février et mars 1611. Le registre des élèves porte la mention suivante : discessit die 17 martii [1611] Vilnam dicens : non possum ego Brunsberga proficere, quia lectiones non explicant polonice (ASPbII RAN, F. 52, inv. 1, n° 61, f. 1r).
133 À Bycen’, l’enseignement était assuré par deux pères jésuites entre 1616 et 1618.
134 Blažejowskyj 1984, p. 53-55.
135 Ibid., p. 161-162. Ainsi Paweł Korsak suivit à Vilnius des cours de théologie de 1624 à 1628.
136 Ibid., p. 120.
137 Ibid., p. 160.
138 Ibid., p. 81, 117.
139 Ibid., p. 82-83. Trois élèves sont même sortis avec le grade de docteurs en théologie. Le registre des pensionnaires de la période a été édité dans Woś 1972, p. 129-193.
140 Legrand 1895, p. 501-503.
141 Peri 1970, p. 1-71.
142 « [...] istessi figliuoli delli Greci instituiti nelli buoni costumi et eruditi nelle scienze convertant corda patrum in filios et incredulos ad prudentiam iustorum, monstrando loro con la scienza la verità della fede catholica et con l’essempio della vita i buoni costumi », le texte ajoutait plus loin : « Gl’altri Collegij sono instituiti per riforma d’una città particolare ò d’una provincia, et questo per ridurre molte città et molte provincie alli veri costumi christiani et alla vera et santa fede catholica » (Legrand 1895, p. 494-495).
143 « a quelli poi che haveranno finito il corso delle scienze et che saranno ben fondati in dottrina catolica permetterà che leggano le accusationi già fatte da Greci heretici contra la chiese Latina, e le resolutioni de’ Latini et de’ Greci catholici, acciò che possano e confutar quelle et difender queste ; et sarà à ciò propria et efficace lettione il Concilio Fiorentino et li trattati greci del Gennadio » (Ibid., p. 512).
144 Krajcar 1965, p. 95.
145 Legrand 1895, p. 497.
146 Cité dans Krajcar 1965, p. 98.
147 Après le départ des jésuites en 1604, l’établissement fut confié aux somasques, puis aux dominicains à partir de 1607. Pendant leur administration, la récitation du rosaire semble s’être développée dans la pratique des étudiants. En 1622, les jésuites revinrent à nouveau à la tête du Collège (Krajcar 1966b, p. 11).
148 Ibid., p. 37.
149 EM, t. 1, n°62, p. 122-123. Voir Senyk 1990, p. 168.
150 [J. J. Bouchard], Monumentum romanum Nicolao Claudio Fabricio Perescio senatori Aquensi doctrinae uirtutisque causa factum, Rome, Typis Vaticanis, 1638 (Legrand 1895, p. 235-238). Sur l’acrtivité des cercles académiques romains en direction des Églises orientales voir Herklotz 2008.
151 Ce chiffre exclut Marcjan Tryzna qui, après avoir étudié au Collège grec, passa au rite latin et devint évêque coadjuteur de Vilnius en 1638.
152 Les évêques orthodoxes lituaniens, comme Melecjusz Smotrycki ou Józef Bobrykowicz étaient intimement liés au monastère du Saint-Esprit de Vilnius où ils avaient enseigné, voire dirigé l’école de la confrérie. Certains de ses biographes estiment même que Bobrykowicz compléta sa formation dans les écoles latines de Pologne et d’Europe occidentale (Skuteń 1936). Antoni Mironowicz considère toutefois cette information comme peu crédible (Mironowicz 2003b).
153 RGIA, F. 823, inv. 1, n° 371.
154 Ibid., f. 1v.
155 Voir infra. La même année, son père Ignacy Dubowicz était engagé aux côtés de la confrérie uniate de la Sainte-Trinité dans un conflit avec la confrérie orthodoxe voisine (LVIA, F. 610, inv. 3, n° 100 ; OAM, t. 1, n° 369, p. 151).
156 Le noviciat de Bycen’ comptait ainsi dès ses débuts plus d’une cinquantaine d’élèves (Narys 1992, p. 116).
157 EM, t. 1, n° 189, p. 380.
158 Sofia Senyk souligne notamment que les lectures de Kuncewicz ne se réduisaient pas aux classiques des Pères grecs comme Jean Chrysostome ou Jean Damascène mais comprenaient aussi les œuvres du mystique byzantin Syméon le Nouveau Théologien ou ceux de l’ascète russe Nil Sorskij : Senyk 1985.
159 Ševčenko 1984. L’auteur souligne que cette tendance fut dénoncée non seulement par certains zélés orthodoxes mais aussi par les jésuites qui y voyaient une menance pour leur monopole scolaire.
160 Par exemple, en 1625, Urbain VIII dut réaffirmer qu’en accord avec leur rite les basiliens ne pouvaient pas manger de la viande. Cependant de telles injonctions restaient le plus souvent sans effet (DPR, t. 1, n° 392, p. 460).
161 Frick 2003.
162 Sakowicz 1642 ; Dubowicz 1644.
163 SJH, t. 1, p. 135, 146.
164 AVAK, t. 33, n° 131, 133, p. 172-173.
165 Ibid., n° 145, p. 192-193.
166 Une description détaillée des célébrations est donnée dans Cnoglerus 1604.
167 LNA, t. 2, n° 808, p. 236-237.
168 AS, t. 12, p. 46.
169 Łowmiańska 1929, p. 80. Même si les fêtes étaient célébrées à deux moments différents, la période de dix jours, qui séparait la Pentecôte de la Fête-Dieu, correspondait précisément au décalage entre les deux calendriers. Par là, le basculement entre les computs permettait de donner un sens symbolique à la célébration latine même dans le calendrier julien.
170 Les arguments des deux parties sont résumés dans une lettre de Rutski et dans un rapport de son coadjuteur Rafał Korsak : EM, t. 1, n° 18, p. 64-66 ; Ibid., t. 2, n° 23, p. 78-85.
171 OAM, t. 1, n° 501, p. 190.
172 Niedźwiedź 2012, p. 357 ; LNA, t. 3, n° 1039, p. 63-64.
173 Dauvillier – De Clercq 1936, p. 44-47.
174 Ces normes furent énoncées au synode diocésain de Navahrudak (EM, t. 1, n° 17, p. 63-64).
175 Ibid., n° 82, p. 186-187.
176 ASCPF, t. 1, n° 114, 121, p. 70-72, 74-76 ; De Clercq 1949, p. 86-87.
177 Toutefois, le pape se montra au départ favorable à cette concession (DPR, t. 1, n° 406, p. 471).
178 Cette explication ressortait du rapport de Rafał Korsak sur le sujet (EM, t. 2, n° 23, p. 78).
179 Le droit coutumier, appliqué dans les communautés ruthènes de Lituanie, accordait un statut relativement souple au mariage (Bardach 1970, p. 261-315). Les divorces étaient souvent prononcés par les tribunaux nobiliaires ou municipaux, en fonction du statut des personnes concernées, sans tenir véritablement compte des normes ecclésiastiques. Cet aspect, en dehors des questions relatives au coût, était la raison pour laquelle certains Latins se tournaient vers les prêtres grecs pour consacrer leurs unions, car en cas de séparation ils pouvaient aire appel aux instances laïques sans craindre une pression trop forte de l’Église.
180 LNA, t. 5, n° 2117, p. 50-51.
181 DPR, t. 1, n° 414, p. 484-485.
182 Voir notamment Tazbir 2009.
183 Dmitriev 2008.
184 Dovbiscenko 2003, p. 494.
185 Ibid., p. 483. Voir DIU, n° 148, 159, p. 145, 158-159. Sa présence dans l’affaire s’explique par les origines princières du moine qui était né en Volhynie et y possédait de nombreux domaines familiaux.
186 Dovbiscenko 2003, p. 482, 497 (la version française du texte comporte une coquille et indique l’année 1620 à la place de 1614) ; DIU, n° 147, p. 144-145.
187 AVAK, t. 8, n° 13-15, p. 29-39. Kempa 2016, p. 222-226.
188 Nous reprenons ici volontairement l’expression de Natalie Zemon Davis (chapitre 6 dans Davis 1979).
189 Kosman 1972a ; Augustyniak 2006, Kempa 2016. Les mêmes oppositions résonnèrent dans l’affaire de Marcin Wojsławski, déjà cité, alors qu’il était engagé à la fois auprès des orthodoxes et des uniates de la ville.
190 AVAK, t. 8, n° 14, p. 36.
191 Il faut se rappeler qu’aucune nouvelle église ruthène n’avait été construite à Vilnius au cours de la seconde moitié du XVIe siècle.
192 AVAK, t. 8, n° 28, p. 71-72.
193 VZR, 3/10, 1864, p. 62-63.
194 OAM, t. 1, n° 382, p. 155-156.
195 Pour les sources et un aperçu de ces événements voir Tatarenko 2008.
196 AVAK, t. 8, n° 34, p. 80.
197 Ibid., n° 62, p. 125-126.
198 Chodynicki 1934, p. 419-431. Voir aussi la plainte de Józef Rutski dans RGIA, F. 823, inv. 3, n° 171.
199 Plokhij 2006, p. 153-155.
200 Voir Annexe 8.
201 Son arrivée à Vilnius se fit sous la forme d’une véritable entrée triomphale, organisée par la communauté orthodoxe locale (Niedźwiedź 2012, p. 355).
202 AS, t. 6, n°144, p. 357-358.
203 Frick 1995, p. 77.
204 Toutefois, il est certain que les discours politiques et religieux circulaient sur une grande partie du territoire. Sur ce point, Platon Žukovič fait remarquer que la Diète de 1623, qui précéda les troubles de Vicebsk, vit pour la première fois les représentants des cosaques exposer des revendications religieuses, relatives à la hiérarchie orthodoxe nouvellement consacrée (Žukovič 1907b, p. 164).
205 Pour le récit des événements et l’activité de Kuncewicz sur le siège de Polack, voir Vernikovskaja 2001 et 2002 ; Kempa 2005a.
206 Dovbyščenko 2003.
207 RGIA, F. 823, inv. 3, n° 172, f. 38r.
208 EM, t. 2, n° 1, p. 181-182.
209 ASCPF, t. 1, n° 87, p. 52-54.
210 AS, t. 1, n° 143, p. 359-360.
211 Cité d’après la traduction donnée dans Dovbiscenko 2003, p. 497. Pour l’original latin voir EM, t. 1, n° 108, p. 221..
212 AS, t. 1, n°88, p. 263-264.
213 Ibid., p. 264.
214 EM, t. 1, n° 11, p. 56.
215 Kempa 2016, p. 387-388.
216 AJuZR, P. 1, t. 6, n°321, p. 798-800.
217 AJuZR, P. 1, t. 6, n°323, p. 804-809.
218 L’une des raisons de ce revirement de la politique royale était également le besoin d’obtenir un soutien massif des cosaques dans la guerre qui se préparait avec la Moscovie (Plokhij 2006, p. 174-176)
219 OAM, t. 1, n° 616, p. 227-228.
220 Ibid., t. 1, n° 656, p. 241-242.
221 AVAK, t. 8, n° 9, p. 20 ; MCSL, t. 1/1, n° 438, 755.
222 MCSL, t. 1/1, n° 420, 429, 719, 741.
223 Ibid., n° 421, p. 721.
224 ADS, t. 1, n° 538, p. 438.
225 Atamanenko 2011.
226 Voir par exemple AS, t. 6, n° 62, p. 125.
227 Dans les divers litiges survenus entre les confréries uniate et orthodoxe de Vilnius, cette dernière se désignait prioritairement comme une association de confrères de « l’ancienne religion grecque » (LVIA, F. 610, inv. 3, n° 100, f. 1r).
228 Voir EM, t. 1-2, passim ; LE, t. 1, passim. Ces qualificatifs étaient une reprise directe de la terminologie missionaire latine diffusée notamment par les jésuites (voir Wijuk Kojałowicz 1650, p. 40-61).
229 SJH, t. 1, p. 10.
230 Dans les documents rédigés en ruthène, ceux de l’administration lituanienne, la formulation divergeait légèrement et parlait d’uniates et de « non-unis » (унитове/неунитове) : AS, t. 6, n° 122, p. 284.
231 En 1633, la chancellerie royale alternait encore entre les mots « uniate » (унита) ou « non-uniate » (неунита) et la périphrase disgracieuse : « ceux qui ne sont pas dans l’Union » (не будучими в Унiи). Voir par exemple l’acte de nomination de Józef Bobrykowicz à l’évêche de Mahilew (AZR, t. 5, n° 5, p. 9).
232 Golubev 1883-1898, t. 2, n° 34, p. 141-142.
233 AJuZR, P. 1, t. 7, p. 49-132. Voir Łużny 1997.
234 AJuZR, P. 1, t. 7, p. 116. Le texte employait ici une double terminologie (« uniates » et « apostats »).
235 AS, t. 1, n° 154, p. 379.
236 SJH, t. 1, p. 202.
237 Ibid.
238 Ibid., p. 177.
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