L’autocéphalie en guerre froide : tensions interconfessionnelles et réflexion sur l’unité à la conférence inter-orthodoxe de Moscou de 1948
p. 469-494
Résumés
L’autocéphalie a souvent été, à l’âge des nationalismes, la traduction ecclésiastique de l’acquisition d’une autonomie politique nationale. Dans ce chapitre, consacré à la conférence inter-orthodoxe organisée à Moscou en 1948, nous interrogerons l’actualité du concept d’autocéphalie au lendemain de la seconde guerre mondiale. Alors que les États-nations s’engagent de façon croissante dans des constructions internationales à géométries variables (ONU, blocs idéologiques, organisations économiques comme l’OECE), on peut se demander si le concept ecclésiologique d’autocéphalie est réinvesti pour penser ces reconfigurations politiques. Dans un contexte marqué en Europe orientale par le marxisme, l’autocéphalie est ici mise en valeur pour se différencier des modèles ecclésiastiques occidentaux mais aussi pour tenter de penser l’unité entre des nations variées.
Autocephaly has often appeared, in the age of nationalisms, as the ecclesiastical translation of political autonomy. This chapter, focused on the inter-Orthodox Moscow conference of 1948, aims to study the concept of autocephaly in the aftermath of the Second World War. As nation-states increasingly engaged themselves in international structures of different kinds (UN, ideological blocs, economic organizations such as the OEEC), one may wonder if the ecclesiological concept of autocephaly was reinvested to workout these reconfigurations. In a context marked in Eastern Europe by Marxism, autocephaly was highlighted for the purpose of differentiation from Western ecclesiastical models but also to implement a sense of unity among various nations.
Entrées d’index
Mots-clés : Orthodoxie, Guerre froide, autocéphalie, Occident, œcuménisme
Keywords : Orthodoxy, Cold War, autocephaly, Occident, ecumenism
Note de l’auteur
L’auteure remercie Aurélien Girard, Bernard Heyberger, Simon Najm, Charbel Nassif, Yannick Provost, Philippe Sukiasyan et Taline Ter Minassian.
Texte intégral
1Le monde qui émerge de la Seconde Guerre mondiale est certes fragmenté par de nouvelles frontières mais aussi en quête d’unité, comme en témoigne la création d’institutions supranationales telle l’ONU en 1945. Dans le même temps, et de façon de plus en plus nette à la fin des années 1940, les États-nations s’agrègent à des blocs cimentés par des systèmes de valeurs, plus profondément enracinés que les anciennes alliances diplomatiques interétatiques. Dans ce contexte international nouveau, les Églises chrétiennes affrontent avec énergie la question de l’unité : Pie XII renouvelle en 1943 les perspectives catholiques sur la structuration interne de l’Église, définie comme « corps mystique » du Christ et non plus simplement comme « société parfaite », ouvrant ainsi la voie à d’importantes évolutions ecclésiologiques1 ; côté protestant, la fondation en août 1948 du Conseil œcuménique des Églises offre une assise institutionnelle inédite au mouvement interconfessionnel2. Le christianisme orthodoxe, bouleversé dans l’entre-deux-guerres par l’émergence de nouvelles Églises autocéphales et par la crise de l’Église russe après 1917, n’échappe pas non plus à la question de l’unité : après les premiers rapprochements de 1848, 18953 et 19024, des rencontres inédites (1923 à Constantinople5, 1930 au monastère de Vatopédi au Mont Athos6) abordent les questions calendaires et nourrissent le projet d’un concile. Après 1945, ces relations inter-orthodoxes sont transformées par l’implication du patriarcat de Moscou, tout juste restauré en 1943 et qui prend l’initiative de nombreux échanges avec les Églises d’Europe orientale et du Proche-Orient dans un contexte d’expansion territoriale de l’Union soviétique.
2L’historiographie considère généralement cette activité internationale nouvelle du patriarcat de Moscou comme une illustration de son instrumentalisation par le pouvoir soviétique7. Dans le cadre de ce chapitre, nous nous proposons de mettre l’accent sur l’un des épisodes-clés de cette action internationale : la conférence inter-orthodoxe organisée à Moscou en juillet 1948 pour célébrer le 500e anniversaire de l’autocéphalie de l’Église de Russie et qui réunit durant une dizaine de jours des représentants de la quasi-totalité des autres Églises autocéphales. En plus de la commémoration proprement dite, des discussions sont ouvertes sur des thèmes aussi importants que les relations avec les autres Églises chrétiennes ou la question du calendrier. Après avoir précisé le déroulement de la conférence, nous montrerons comment l’autocéphalie est alors érigée en modèle, dont la caractéristique principale est de se distinguer des systèmes ecclésiastiques occidentaux.
La conférence inter-orthodoxe de Moscou de juillet 1948
3La réunion d’une conférence religieuse de grande ampleur dans la Moscou soviétique de 1948 mérite d’être expliquée : en effet, moins de dix ans auparavant, l’Église patriarcale était dans une situation critique, avec seulement quatre évêques en liberté et à peine quelques centaines d’églises en activité8. Il convient donc de rappeler que le processus de réorganisation de l’Église russe dans les années 1940 intègre aussi des logiques internationales, puis de mettre l’accent sur le déroulement de la conférence de 1948, en interrogeant sa dimension politique.
Du concile local de 1945 à la conférence de 1948 : une Église en quête d’unité
4La reprise d’activité du patriarcat en pleine guerre mondiale s’explique par une association avec le pouvoir politique, dont les événements-clés de septembre-octobre 1943 (rencontre des évêques avec Staline, élection de Serge Ier comme patriarche, création du Conseil pour les affaires de l’Église orthodoxe comme organe de liaison entre le patriarcat et le gouvernement) sont bien connus9. Cette association avec l’État s’approfondit cependant, une fois la victoire assurée, à l’occasion de grandes manifestations. L’État, animé par le projet de création d’un « Vatican moscovite » – selon les mots du patriarche Alexis10 –, apporte son soutien à l’Église en tentant d’en conforter la centralité, comme lors du « concile local » de Moscou (31 janvier-2 février 1945) réuni pour choisir un successeur à Serge Ier : Alexis Ier y est élu en la présence de représentants des Églises serbe, roumaine, géorgienne, mais aussi des patriarcats orthodoxes de Jérusalem, Constantinople, Antioche et Alexandrie11. Ces liens sont entretenus, dans les mois qui suivent, par des échanges avec d’autres Églises orthodoxes, notamment lors du voyage d’Alexis en mai-juin 1945 au Proche-Orient, qui évite toutefois la Grèce et Constantinople12.
5À ces contacts avec les « Églises sœurs » s’ajoutent des efforts pour renforcer l’unité au sein de l’orthodoxie russe en mettant fin aux dissidences nées dans l’entre-deux-guerres. Le schisme de l’Église rénovationniste, apparu au début des années 1920 à l’initiative de certains prêtres – soutenus par le pouvoir soviétique – souhaitant « moderniser » l’orthodoxie, est ainsi progressivement résorbé au lendemain de la guerre, grâce à un effort mené dès 1943 et qui s’achève après la mort du chef de file Aleksandr Vvedenskij en juillet 194613. Par ailleurs, plusieurs foyers de l’émigration russe, qui étaient passés sous d’autres juridictions (synode russe dit de Karlovci ou patriarcat de Constantinople), se rattachent au patriarcat de Moscou, comme certaines paroisses d’Europe centrale, d’Asie orientale mais aussi d’Europe occidentale ou des États-Unis. Malgré des succès, de nombreuses divisions demeurent cependant dans l’émigration14.
6Par ailleurs, le patriarcat de Moscou développe une activité auprès des Églises orthodoxes d’Europe orientale. Certaines de ces Églises, directement dépendantes de Moscou au temps du tsarisme, s’étaient rapprochées dans l’entre-deux-guerres du patriarcat de Constantinople, qui leur avait accordé un tomos d’autocéphalie, comme les Églises d’Estonie et de Finlande (1923), de Pologne (1924) et de Lettonie (1936). Avec la nouvelle expansion soviétique, ces Églises se rapprochent de Moscou, en se plaçant dans la dépendance du patriarcat russe comme en Lettonie et en Estonie en 1941 ou alors en recevant cette fois leur autocéphalie de Moscou, comme en Pologne (22 juin 1948) : ce processus alimenta des tensions avec le patriarcat de Constantinople, qui parvint toutefois à maintenir le statu quo en Finlande (accord de 1957)15. Enfin, le patriarcat de Moscou agit aussi auprès d’Églises qui n’avaient jamais dépendu de lui et réussit à jouer un rôle médiateur en Bulgarie, où l’intervention russe permet de résoudre en février 1945, au profit de Constantinople, le « schisme » de l’exarchat bulgare qui durait depuis 187216. Ces incursions suscitent cependant des crispations, comme en Roumanie où le patriarche Nicodim (Nicolae Munteanu) ironise sur l’importance prise par Moscou17.
7Ces efforts d’unité se manifestent enfin, au-delà des Églises orthodoxes, par l’intégration des gréco-catholiques d’Ukraine lors du concile de L’viv de mars 194618, qui suscite de virulentes réactions dans l’opinion catholique occidentale.
8C’est dans ce contexte chargé qu’Alexis lance, le 4 avril 1947, un appel à la réunion d’une « conférence interorthodoxe » à Moscou en octobre 1947 autour de cinq questions : les rapports avec le Vatican, le mouvement œcuménique, les ordinations anglicanes (reconnues valides par certaines Églises orthodoxes), les relations avec les Églises orientales anciennes (arménienne, jacobite, éthiopienne et nestorienne) et certains problèmes canoniques comme la question du calendrier19. Cette initiative échoue face à l’opposition des Églises de Grèce (dans un contexte de guerre civile où l’hostilité au communisme est exacerbée20) et de Constantinople, cette dernière précisant que la convocation d’une « conférence panorthodoxe », aux allures de concile, est une « initiative qui appartient uniquement au Très Saint Siège patriarcal œcuménique21 ».
Le déroulement de la conférence
9Si la réunion panorthodoxe projetée ne put avoir lieu, le patriarcat de Moscou saisit l’occasion du cinquième centenaire de l’autocéphalie russe pour organiser une rencontre dans la capitale soviétique en juillet 194822. Toutes les Églises orthodoxes autocéphales acceptent d’y être représentées, à l’exception de celle de Chypre et du patriarcat orthodoxe de Jérusalem – pour des raisons conjoncturelles liées à la guerre israélo-palestinienne23. Deux des Églises représentées – celle de Constantinople et celle de Grèce – ne participent cependant qu’aux commémorations et s’abstiennent des débats.
Tab. 1 – Les Églises représentées à Moscou en 1948.
N° | Églises | Principaux représentants | |
Anciens patriarcats et Églises autocéphales | 1 | Constantinople | *Germanos Strénopoulos (1872-1951), métropolite de Thyatire, exarque pour l’Europe centrale et occidentale *Timotheos Evangelinidis (1880-1949), métropolite de Rhodes |
2 | Antioche | * Alexandre Géha, métropolite d’Émèse (Homs) * Élie Karam (1903-1964), métropolite du Mont-Liban | |
3 | Alexandrie | Représentée par l’Église d’Antioche | |
4 | Géorgie | *Catholicos-patriarche Callistrate (Kalistrate Tsintsadze, 1866-1952) *Melchisédech (Mihail Georgievic Pxaladze, 1872-1960), métropolite d’Urbnisi *Ephrem (Grigorij Šioevič Sidamonidze, 1896-1972), métropolite de Kutaisi et Gélati | |
5 | Serbie | *Patriarche Gabriel V (Gavrilo Dožić, 1881-1950) *Joseph (Josif Cvijović, 1878-1957), métropolite de Skopje | |
6 | Roumanie | * Patriarche Justinien (Ioan Marina, 1901-1977) * Petre Vintilescu (1887-1974), doyen de la Faculté de Théologie de Bucarest | |
7 | Bulgarie | *Stéphane (Stojan Popgeorgiev Šokov, 1878-1957), exarque de Bulgarie et métropolite de Sofia *Kiril (Konstantin Markov Konstantinov / Kosta Paçu, 1901-1971), métropolite de Plovdiv *Nicodème (Nikolaj Nikolov Piterov, 1895-1980), métropolite de Sliven | |
8 | Grèce | *Chrysostomos (Themistoklis Chatzistavrou 1880-1968), métropolite de Philippes, Néapolis et Thasos | |
9 | Albanie | * Paisius (Pashko Vodica, 1881-1966), évêque de Korçë | |
10 | Pologne | *Timothée / Tymoteusz (Jerzy Szretter, 1901-1962), métropolite de Białystok et Bielsk * Michel (Michał Pietrowicz Kiedrow, 1883-1951), évêque de Wrocław | |
Représentants du patriarcat de Moscou à l’étranger | 1 | Tchécoslovaquie | *Éleuthère (Veniamin Aleksandrovič Voroncov, 1892-1959), exarque pour la Tchécoslovaquie |
2 | Europe occidentale | *Séraphin / Seraphim (Аlеksandr Ivanovič Luk’janov / Loukianov, 1879-1959), métropolite, exarque pour l’Europe occidentale *Higoumène Denis Chambault (Lucien Chambault, 1899-1965) | |
3 | Europe centrale | *Serge (Arkady Dimitrievich Korolev 1881-1952), évêque de Vienne, exarque pour l’Europe centrale | |
4 | États-Unis d’Amérique | *Macaire (Mikhail Ivanovič Il’inskij, 1866-1953), archevêque, exarque pour les États-Unis | |
5 | Bulgarie | Archevêque Seraphim (Nikolaj Borisovič Sobolev, 1881-1950) | |
6 | Yougoslavie | Archiprêtre Ioann Sokal’ (Ioann Ioannovič Sokal’, 1883-1965) | |
7 | Chine | Archimandrite Gavriil (Dmitrij Ivanovič Ogorodnikov, 1890-1971) | |
8 | Hollande | Jan van Epenhuysen (1906-2000) | |
Invitée | Église apostolique arménienne | *Patriarche-catholicos Georges VI (Gevork VI Tcheorekdjian, 1868-1954) *Karapète Toumanian (1886-1950), évêque du diocèse de la Nouvelle Nakhitchévan (diocèse de Russie) |
10La conférence se déroule en plusieurs temps24 (tab. 2). Elle s’ouvre le 8 juillet par une séance solennelle en la cathédrale de l’Épiphanie, édifiée au XIXe siècle et qui abrite alors le siège du patriarcat. Cette séance est marquée par des cérémonies religieuses (chants, prière auprès des reliques de saint Alexis le Thaumaturge – le métropolite de Kiev et de toute la Russie au milieu du XIVe siècle, qui fut canonisé en 1448 – placées ici en 1947 à l’occasion du 800e anniversaire de la ville de Moscou25) mais aussi des actes politiques, comme le discours de Georgij Grigor'evič Karpov, officier de longue date des organes de police politique et président du Conseil pour les affaires de l’Église orthodoxe, et l’envoi d’un télégramme à Staline émettant les « vœux les plus chaleureux de longues années de santé et de succès continus dans [ses] grands travaux pour le bien des peuples de l’Union soviétique et pour la paix de tous les peuples du monde26 ».
11Ce n’est qu’entre le 9 et le 17 juillet que se tient la conférence proprement dite, en la cathédrale de la Résurrection de Sokolniki, qui avait déjà accueilli le concile local de 194527. La langue de communication est le russe (certaines interventions, préparées dans d’autres langues, sont prononcées en traduction russe28) et la conférence alterne séances plénières et commissions restreintes. Les deux derniers jours, les 18 et 19 juillet, se tiennent des fêtes conclusives, essentiellement religieuses, marquées par un pèlerinage à la laure de la Trinité-Saint-Serge, à Zagorsk, à 70 kilomètres de Moscou.
Tab. 2 – La conférence de Moscou – déroulement du 8 au 19 juillet 1948.
Date | Type de séance | Lieu | Activités au sein de la conférence | Activités extérieures et calendrier liturgique (en italique) | |
Inauguration | 8 juillet | Séance solennelle | Cathédrale patriarcale de l’Épiphanie | *Discours *Télégramme à Staline *Liturgie | |
Conférence | 9 juillet | Séance plénière | Cathédrale de la Résurrection à Sokolniki | *Discours du patriarche Alexis *Règles de fonctionnement de la conférence *Exposés sur le catholicisme *Exposés sur les ordinations anglicanes | Soir : visites de paroisses de Moscou |
10 juillet | *Exposés sur le calendrier *Exposés sur le mouvement œcuménique *Formation de quatre commissions | ||||
dimanche 11 juillet | Vigile de la fête des saints Pierre et Paul | ||||
12 juillet | Fête des saints Pierre et Paul | ||||
13 juillet | Commissions | *Discussions *Rédaction des résolutions | |||
14 juillet | Visite de la Galerie Tretiakov | ||||
15 juillet | |||||
16 juillet | Concert au conservatoire d’État | ||||
17 juillet | Séance plénière | Adhésion aux résolutions | |||
Conclusion | dimanche 18 juillet | Zagorsk, Trinité Saint-Serge | Liturgie | Fête de saint Serge | |
19 juillet | Monastère Donskoï | Prière sur la tombe du patriarche Tikhon |
Une conférence soutenue par le pouvoir soviétique
12Le soutien gouvernemental, bien sûr indispensable à l’organisation d’une telle manifestation, est assuré par Karpov et le Conseil pour les affaires de l’Église29. La décision politique de tenir la conférence est prise en conseil des ministres de l’URSS le 25 février 1948, l’accès des prélats aux médias soviétiques est facilité et des aides financières, parfois importantes, sont accordées aux participants par l’intermédiaire du patriarcat de Moscou, grâce à l’aide du gouvernement30. Un film officiel est même réalisé31. Cet appui est souligné par les catholiques afin de discréditer la conférence : en France, La Croix, dans un article du 25-26 juillet, mentionne « l’appui non déguisé du gouvernement soviétique » à cet événement, dont « [l]es motions […] prouvent bien que la célébration de ce Ve centenaire [de l’autocéphalie] a été exploitée par les Soviets à des fins politiques, trop grossièrement d’ailleurs pour pouvoir donner le change32 ». En Italie, le journal de l’Action catholique Il Quotidiano fustige ce « singulier Kominform religieux au service d’un impérialisme athée » et évoque le « Ve centenaire de l’indépendance d’une Église qui a pour tradition la servitude […] envers le pouvoir civil, impérial ou communiste33 ».
13La situation est cependant plus complexe. Tatiana Chumachenko précise que le Conseil pour les affaires de l’Église est alors en proie à l’hostilité d’autres organes gouvernementaux (du Ministère des Finances à la Commission pour la cafétéria du Kremlin) : le Ministère de la Cinématographie qui avait jusqu’alors pris en charge des films sur les questions religieuses, refuse ainsi de financer le film sur la conférence34, dans un contexte de reprise de la politique antireligieuse35. La couverture de l’événement par la presse gouvernementale est inégale : la Pravda n’accorde à la conférence que deux filets très brefs en page 4 et après sa clôture36. En revanche, l’État soutient, par le biais du Journal du Patriarcat de Moscou, la publication intégrale des actes de la conférence, en deux volumes et en français37. C’est d’ailleurs à l’étranger que la presse communiste accorde un écho plus net à la conférence, définie en France par L’Humanité du 24 juillet comme un « grand Concile orthodoxe38 » et dont Le Front patriotique du 5 août souligne les prises de position contre les christianismes occidentaux39. Il convient, à ce stade, de s’interroger sur les éléments mis en avant à l’occasion de la conférence.
Unité de l’Église, unité des Églises : la perspective autocéphale en 1948
14Lors de cette conférence, la question de l’unité est omniprésente : en interne, on observe un certain effort pour redessiner les relations inter-orthodoxes tandis qu’à l’égard des autres Églises chrétiennes – qui sont au cœur des débats – c’est la distinction et même la polémique qui dominent. Nous essaierons de montrer comment, dans ces débats ecclésiologiques, l’autocéphalie des Églises orthodoxes est définie comme un modèle.
Les relations inter-orthodoxes : le défi de la concertation entre « Églises sœurs »
15La question de l’unité entre les Églises orthodoxes est prise entre deux feux : la volonté de renforcer la concertation d’une part et le souci d’éviter toute impression de prise de pouvoir centralisatrice de Moscou d’autre part.
16L’urgence d’une concertation entre Églises naît du constat des fragilisations induites par certains « actes unilatéraux », comme les appelle le patriarche serbe Gabriel40, surtout au sujet du calendrier (plusieurs Églises – Constantinople, Grèce, Roumanie, Chypre – ayant adopté un calendrier quasi-grégorien lors de la rencontre de 192341). Sur cette question, qui suscite de vifs débats les 13, 14 et 15 juillet42, notamment avec l’Église roumaine qui refuse de « revenir à l’ancien style43 », est adopté un texte de compromis. La résolution finale se borne à appeler les orthodoxes à l’unité pour la célébration de la « fête de Pâques uniquement d’après l’ancien style (Julien) », tout en permettant aux Églises de conserver le style en usage pour les fêtes à date fixe… cette décision n’étant de toute façon que temporaire dans l’attente d’un concile pour définir un « calendrier […] plus parfait44 ». Deux autres questions sont abordées par la même commission. L’unification du culte et des rites – thème présenté par l’Église serbe – ne suscite que des échanges verbaux sur des points précis (rite du sacre épiscopal…), toute coordination étant repoussée à une rencontre ultérieure45. Quant à la question du Mont-Athos, soulevée par l’Église bulgare du fait des prétentions jugées excessives de la Grèce, les décisions prises se limitent à une déclaration d’intention sur le « maintien [du] caractère panorthodoxe » de la presqu’île sous la tutelle du patriarcat de Constantinople et à un simple encouragement aux Églises à « informer les gouvernements de leurs États respectifs » pour qu’une « protection internationale » soit assurée à l’Athos dans le cadre du « nouveau traité international de paix46 ». Ainsi, si l’organisation de la conférence a permis une certaine coordination, y compris sur le plan administratif (il semble que « tous les évêques [aient] reçu un questionnaire secret auquel ils devaient répondre47 »), les décisions finales adoptées le 17 juillet ne prévoient aucune mesure concrète de collaboration.
17D’ailleurs, de façon assez surprenante, les désirs de concertation, qui émanent de certaines Églises d’Europe centrale, ne sont pas accueillis avec enthousiasme par les représentants du patriarcat de Moscou. Ainsi, dans les échanges sur le Vatican – durant lesquels plusieurs intervenants demandent une centralisation de l’action48 –, Germogen, archevêque de Kazan’, qui apparaît comme la voix du patriarcat de Moscou, reste prudent : il affirme qu’on ne peut obliger une Église « à faire telle ou telle chose », qu’il faut se contenter de l’organe existant (Journal du Patriarcat de Moscou) et que l’examen des moyens pour « lutter contre » le Vatican doit être fait « en Concile49 », ce qui revient à ajourner toute action concrète. Le patriarcat de Moscou veille ainsi à préserver la perspective conciliaire et les prérogatives constantinopolitaines, tout en s’exonérant de toute initiative qui pourrait évoquer une domination sur les « Églises sœurs ».
18Cette dernière préoccupation est bien sensible dans les interventions du patriarche Alexis. Dans son discours de clôture de la séance plénière du 17 juillet, il rappelle que la conférence visait à « réaliser l’unité des Églises orthodoxes dans une union spirituelle » et que le patriarcat de Moscou n’avait « aucune ambition de pouvoir temporel50 ». Le lendemain, dans son allocution prononcée à la Trinité-Saint-Serge, il espère que les chefs des Églises pourront « démentir avec persuasion tous les mensonges que l’on répand sur nous, sur l’Église russe et sur la personne du patriarche de Moscou » en témoignant « que cette Église ne désire aucunement que les autres Églises-sœurs, même les plus petites, lui soient soumises51 ». Finalement, c’est surtout sur le plan symbolique, et dans une perspective défensive, que l’unité est valorisée. On en trouve une illustration liturgique frappante le 14 juillet, à l’issue de la commission sur le Vatican, lorsque le polychronion (ad multos annos) – chanté à l’intention du « resserrement futur des liens entre nos Églises autocéphales » – est conclu par un appel saisissant : « si nous demeurons unis, nous serons invincibles vis-à-vis du Vatican52 ». C’est aussi pour se défendre contre le « panprotestantisme » du Conseil œcuménique des Églises que le théologien roumain Ioan Coman recommande « l’union et l’osmose de toute l’Orthodoxie », en dépassant « les autocéphalies et les différentes discriminations nationales53 ».
Le rejet de l’anglicanisme et de l’œcuménisme : entre affirmation dogmatique et choc des civilisations
19La question de l’anglicanisme et du mouvement œcuménique constitue un premier miroir pour observer les relations inter-orthodoxes. C’est en effet l’un des terrains sur lequel les Églises autocéphales ont pris, depuis les années 1920, des positions divergentes. Il s’agit donc d’un thème incontournable pour toute démarche de coordination entre Églises orthodoxes, d’autant que l’actualité de l’été 1948 est marquée par l’imminente assemblée fondatrice du Conseil œcuménique des Églises à Amsterdam. Durant la conférence de Moscou, l’anglicanisme et le mouvement œcuménique sont cependant abordés séparément, au travers de plusieurs exposés présentés en séance plénière (tab. 3), puis au sein de deux commissions qui préparent des résolutions finales distinctes.
Tab. 3 – Exposés sur l’anglicanisme et le mouvement œcuménique prononcés les 9 et 10 juillet 1948.
9 juillet | Anglicanisme | 1 | Nicodème, métropolite de Sliven | La validité de l’ordination anglicane |
10 juillet | 2 | P. Petre Vintilescu | La hiérarchie anglicane et sa validité | |
3 | P. Vladimir Semënovič Vertogradov | De la hiérarchie anglicane | ||
Œcuménisme | 1 | Archiprêtre Ioan Coman | L’Église orthodoxe et le mouvement œcuménique | |
2 | Stéphane, exarque de Bulgarie | Le mouvement œcuménique et l’Église orthodoxe bulgare | ||
3 | Archiprêtre Grigorij Ivanovič Razumovskij | Le mouvement œcuménique et l’Église orthodoxe russe |
20La question de l’Église anglicane est, en effet, spécifique : dans l’entre-deux-guerres, plusieurs Églises ont reconnu la validité de sa hiérarchie et de ses ordinations (comme l’Église roumaine en 1935, mais aussi Constantinople et Jérusalem dès les années 192054), ouvrant ainsi la voie à une levée du schisme, et même l’Église russe entretient avec elle de bonnes relations55. La conférence de Moscou est, en outre, chaleureusement saluée par l’archevêque de Canterbury dans un télégramme lu publiquement le 17 juillet56. La commission « De la hiérarchie anglicane », qui se réunit les 13 et 14 juillet, doit cependant « concilier57 » les conclusions antagoniques de deux exposés consacrés à ce thème : l’avis favorable du doyen de la Faculté de théologie de Bucarest – le père Petre Vintilescu propose que toutes les Églises autocéphales s’engagent dans un rapprochement avec l’anglicanisme58 – et l’avis franchement hostile du père Vladimir Semënovič Vertogradov, professeur à l’Académie de théologie de Moscou59. Sous la présidence de l’évêque roumain de Buzău et Vrancea – Antim (Antim Angelescu) – se tient un riche débat, comprenant des observations sur la diversité interne de l’Église anglicane, des témoignages sur les liens personnels établis60, mais aussi des analyses sur les problèmes sacramentels et historiques. Les tensions sont sensibles entre les délégués désireux de ne pas « ferme[r] toutes les portes61 » et ceux (Russes, Albanais) qui refusent tout « opportunism[e] » et tout compromis sur la question des sacrements et de la profession de foi, piliers de l’orthodoxie62. La ténacité d’Antim permet cependant d’obtenir une résolution finale qui, bien qu’elle ne reconnaisse pas la validité des ordinations anglicanes, conserve un ton amical et gomme les mentions trop agressives (le texte proposé par Moscou récusait la validité de l’ordination épiscopale de Matthew Parker en 1559) tout en maintenant ouverte la perspective d’un futur concile d’union63.
21À ce texte tempéré fait pendant l’acerbe résolution sur le mouvement œcuménique. L’intransigeance doctrinale contre « l’aspect si varié » du protestantisme et son « dédain orgueilleux des institutions apostoliques et patristiques » s’exprime ici dans un langage politique fustigeant un « unionisme abstrait », « ambitionnant de devenir une force internationale influente » et qui aurait abandonné toute résolution de « la question de l’Union des Églises sur la base dogmatique et doctrinale » : la participation à l’assemblée d’Amsterdam est donc exclue64.
22Cette résolution négative ne reflète cependant pas la diversité des opinions présentées, tant dans les exposés de la séance plénière que dans les débats. Si Ioan Coman, théologien roumain ayant étudié en France, dénonce bien certains dévoiements du mouvement œcuménique, inspirés du protestantisme, comme l’éclatement du christianisme en « individualisme » et son nivellement en « humanisme », en opposition avec les notes de l’orthodoxie que sont l’« institutionnalisme » et le « sacramentalisme65 », sa conclusion est résolument positive : il incite les orthodoxes à prendre pleinement part – de façon unie – au mouvement œcuménique en général et à la rencontre d’Amsterdam en particulier. Finalement, si l’œcuménisme peut être un « piège politique », il n’est pas, selon Coman, un « piège hérétique66 ». L’exposé de Stéphane de Bulgarie valorise aussi largement le mouvement œcuménique et la participation des orthodoxes à ce dernier : il justifie toutefois le refus de son Église de participer à la rencontre d’Amsterdam par le caractère politique du mouvement œcuménique qui entend former une « nouvelle Église œcuménique » et un « Vatican protestant67 ». C’est sur ce terrain à la fois politique et ecclésiologique que se positionne l’archiprêtre Grigorij Razumovskij, qui exerce au sein du Département des affaires extérieures du patriarcat de Moscou : le mouvement œcuménique est accusé de tendre depuis 1938 à la constitution d’un « papisme universel collectif68 », une « “Église œcuménique” supranationale devant acquérir une influence internationale sur la vie des peuples69 ». Les débats, tenus en commission sur « le mouvement œcuménique et l’Église orthodoxe » les 13 et 14 juillet70, sont alors marqués par l’influence de l’Église russe : sous la présidence de Grigorij (Čukov), métropolite de Léningrad et Novgorod, deux membres de cette Église récusent toute participation au mouvement œcuménique comme un « péché » (Mgr Nestor – Sidoruk – évêque de Koursk et Belgorod71) et l’assimilent à « une société d’hérétiques et de francs-maçons » (archevêque Seraphim – Sobolev72).
23Les débats en commission sont cependant assez confus, à la fois pour des raisons linguistiques (l’un des principaux intervenants – Denis Chambault – s’exprime en français) et des problèmes de fond, comme l’absence/présence de Mgr Germanos – acteur de premier plan du mouvement œcuménique –, et avec lui des Églises qui comptent être présentes à Amsterdam, et qui pèsent indirectement sur les débats73. Si l’envoi d’un « observateur » à Amsterdam, soumis à un vote, est largement rejeté (14 voix sur 17)74, les échanges s’étendent ensuite sur l’opportunité de rédiger deux textes : l’un – clairement négatif – sur la question œcuménique et l’autre présentant positivement l’orthodoxie sous la forme d’un appel aux différentes confessions chrétiennes. Une sous-commission est alors formée, qui travaille le soir du 13 juillet et rédige deux versions d’un appel aux chrétiens75, qui sont finalement abandonnées car les patriarches ont décidé de « rédiger eux-mêmes cette Déclaration-Appel à tous les chrétiens du monde76 ». Ces éléments, révélateurs d’une certaine fébrilité, éclairent également la genèse d’un texte approuvé à l’unanimité le 17 juillet par les Églises autocéphales : l’« Appel à tous les chrétiens du monde ». Les Actes indiquent qu’il fut pris à l’initiative de l’exarque Stéphane77 mais, comme on le voit, sa genèse est plus complexe. Ce texte, au ton politique, dramatise les oppositions à l’échelle internationale : il affirme que « le monde traverse actuellement une période orageuse, marquée par l’opposition irréconciliable entre l’Occident catholique et protestant-rationaliste d’une part, et l’Orient orthodoxe de l’autre », le premier se distinguant par son « caractère agressif » et son soutien aux armes atomiques et à la guerre, le second groupé autour de « l’Église orthodoxe russe autocéphale », défendant au contraire « l’œuvre de la paix78 ». Dans le même temps, les critiques ecclésiologiques adressées aux christianismes occidentaux, sont largement reprises : la conférence formule ainsi des vœux « pour que l’orgueil et l’ambition du Vatican et de ceux qui le soutiennent se fondent dans l’amour de Dieu et du prochain, et que la présomption du rationalisme protestant cède la place à l’humilité chrétienne79 ». Dans un style étonnant, ce texte associe donc appel à la conversion et à la fraternité tout en définissant des ennemis dans une dialectique à la fois religieuse et politique, voire civilisationnelle. L’association des protestantismes au catholicisme, présente dans cet « Appel » et à plusieurs reprises au fil de la conférence, nous conduit à aborder la confession chrétienne occidentale la plus attaquée : le catholicisme romain.
L’affrontement verbal et ecclésiologique avec « l’impérialisme » du Vatican
24La confrontation avec Rome n’est bien sûr pas une nouveauté. Pétrie d’arguments pluriséculaires hérités de la polémique interconfessionnelle (ajouts au corpus dogmatique défini par les conciles, indignités de certains papes…), cette hostilité s’est également chargée d’éléments politiques, fruits du conflit idéologique entre la capitale communiste et la Rome de Pie XI puis de Pie XII80. On sait que, dès mars 1945, le Conseil pour les affaires de l’Église orthodoxe souhaitait réunir un congrès d’Églises chrétiennes pour s’opposer au Vatican81. Si ce projet échoue, l’affrontement avec la papauté reste d’actualité à un haut niveau politique puisque le comité central du parti communiste russe discute, en février 1947, de l’opposition entre autocéphalies nationales et « centralisme » romain82.
25C’est donc dans ce contexte, autant religieux que politique, qu’il faut appréhender les attaques antiromaines qui émaillent la conférence de 1948. La séance inaugurale, centrée sur le 500e anniversaire de l’autocéphalie, associe cette dernière au refus russe de la voie suivie par Constantinople au concile de Florence. Alexis Ier évoque ainsi le souvenir du dimanche 19 mars 1441 : « on peut imaginer la confusion et l’horreur du peuple russe, lorsqu’il entendit […] prier non pas pour le patriarche de Constantinople, Joseph, mais pour le pape de Rome, Eugène83 ». Autre exemple, lors de la discussion sur le calendrier, Mgr Séraphin considère le nouveau style comme « un élément de décomposition et de propagande catholique très funeste pour la vie des Églises orthodoxes84 ». Signe de son importance, la question du catholicisme fait l’objet de cinq exposés lors de la première séance plénière (tab. 4).
Tab. 4 – Exposés sur le catholicisme, séance plénière du 9 juillet 1948.
1 | Germogen | La papauté et l’Église Orthodoxe |
2 | Gavriil Kostel’nik | Le Vatican et l’Église orthodoxe |
3 | Gavriil Kostel’nik | L’Église romaine et l’Unité de l’Église du Christ |
4 | Kiril, métropolite de Plovdiv | Rome et la Bulgarie |
5 | Teodor M. Popescu | L’attitude du Vatican à l’égard de l’orthodoxie durant les 30 dernières années |
26Si l’intervention de Kiril offre un panorama des missions catholiques en Bulgarie85, les autres exposés, prononcés par des spécialistes, affrontent plus largement les relations du catholicisme avec l’orthodoxie. Le métropolite Germogen (Vasilij Ivanovič Kožin, 1880-1954), qui avait été l’un des dirigeants de l’Église vivante et n’avait rejoint le patriarcat de Moscou qu’en 194586, se distinguait à l’époque comme l’une des plumes anticatholiques du Journal du Patriarcat de Moscou87. Gavriil Kostel’nik est un ancien prêtre catholique de rite oriental, qui fut même l’un des principaux artisans du concile de L’viv en 1946. Il est également bien connu car son assassinat en septembre 1948 ne fut jamais éclairci : des voix accusèrent ainsi le Vatican, les nationalistes ukrainiens et la police soviétique88. Enfin, Teodor M. Popescu (1893-1973), qui a enseigné la byzantinologie, la patrologie et l’histoire à la Faculté de théologie de Bucarest, a consacré une partie de ses travaux aux relations avec le catholicisme89. Dans des styles90 et avec une érudition variables91, ces trois orateurs livrent, au-delà de la polémique anti-romaine habituelle, une analyse ecclésiologique unanime, centrée sur la soif de domination temporelle et spirituelle de l’institution pontificale. Dans le domaine temporel, la tendance impériale de la papauté est considérée par Kostel’nik comme un héritage de la Rome païenne92, qui se traduirait dans le monde contemporain, selon Germogen, par les concordats avec les États, les liens avec les milieux d’affaires et le gouvernement des États-Unis93. Quant à la soif romaine de domination spirituelle, elle s’exprimerait par l’expansionnisme en Orient, avec le maintien de sièges titulaires de patriarches latins à Alexandrie, Antioche et Constantinople94, ou encore dans les processus d’unions95. Plus largement, c’est cette domination spirituelle romaine qui aurait déterminé la plupart des schismes96 et transformé le fonctionnement ecclésial lui-même avec l’abandon du « gouvernement de l’Église par les conciles97 ».
27Selon Germogen, le « papisme » est donc une « maladie » qui ronge le catholicisme parce qu’il s’agit d’« un système de gouvernement de l’Église, qui n’est pas d’origine divine, mais d’origine purement terrestre et qui de plus, est engendré par des sentiments humains très bas : l’ambition, l’amour du pouvoir et la cupidité », bien loin du modèle évangélique de « l’union dans l’amour et l’esprit d’égalité98 ». Du dévoiement des principes religieux, on passe ici à une analyse à la fois ecclésiologique et politique, dramatisant l’opposition entre « l’Église papale internationale, impérialiste et parfois antinationale », dirigée par un « chef étranger », et l’Église orthodoxe caractérisée par sa « hiérarchie nationale », sa dimension « démocratique », « national[e] et populaire », selon les mots de Popescu99.
28Cette critique de l’ecclésiologie catholique n’empêche pas – il faut le souligner – toute perspective de réconciliation. Pour Popescu, l’union est possible à la condition que Rome reconnaisse ses torts et accepte de « rétablir la vraie notion de l’Église, ainsi que la situation de rapports ecclésiastiques antérieurs au schisme100 ». Quant à Kostel’nik, il considère que l’union serait possible si Rome considérait « l’Église orthodoxe comme étant une sœur101 ».
29Après ces exposés, les débats sur le catholicisme ont lieu en commission les 13 et 14 juillet102, sous la présidence de Josif, le métropolite de Skopje – l’Église serbe ayant insisté en session plénière pour présider cette séance car « le peuple serbe a le plus souffert de la papauté103 ». Les échanges commencent d’ailleurs par un bilan accablant des affrontements entre catholiques et orthodoxes en Yougoslavie pendant la seconde guerre mondiale par Mgr Josif104. Un exposé de Mgr Païssos d’Albanie rappelle ensuite les souffrances de son peuple pendant la guerre à cause du fascisme et du nazisme et souscrit pleinement à la définition du « papisme » comme « un système sinistre de religion absolutiste105 ». Ioann Sokal’, le doyen des paroisses russes en Yougoslavie, propose alors de lancer un appel aux peuples pour montrer « le lien spirituel entre le fascisme et la papauté », faisant le parallèle entre l’exclusion des non-catholiques (« hors de l’Église pas de salut ») et le retranchement de l’humanité des non-Aryens106.
30Les débats révèlent alors une opposition entre une ligne dure incarnée par Kostel’nik et Kiril, qui souhaitent centrer le texte sur des cas précis d’« agression de l’Église catholique romaine contre le peuple », plutôt que sur les classiques aspects doctrinaux107. Germogen, au contraire, même s’il comprend « que les événements récents sont encore frais à la mémoire : ils saignent108 », propose d’adopter un texte modéré, pour faire droit au souci exprimé par de nombreux « métropolites arrivés d’Occident » qui refusent toute « rudesse excessive109 » et parce que, dans une perspective apostolique, il préfère tenter de « persuad[er] les catholiques ordinaires » en semant « le grain du doute […] parmi eux ». Germogen précise également, pour ce qui est du style, qu’il ne convient pas d’« écrire un pamphlet politique » mais qu’il faut « prendre pour base la Sainte Écriture110 ». Cependant, c’est bien la ligne dure qui l’emporte dans la résolution intitulée « Le Vatican et l’Église orthodoxe » adoptée le 17 juillet111. Celle-ci comprend une partie doctrinale, qui reprend des reproches anciens (« l’introduction de dogmes nouvellement créés ») et une critique ecclésiologique (« papisme antichrétien »). Cependant c’est l’aspect politique qui distingue cette résolution. Le Vatican est défini comme une « organisation temporelle et politique », « toujours du côté des puissants de “ce monde” » et « contre les intérêts des travailleurs ». Stigmatisé dans « sa lutte contre la démocratie et sa défense du fascisme », le Vatican est ainsi accusé d’avoir suscité des « guerres sanglantes », d’être le « centre du fachisme [sic] international » et l’« instigateur » des deux guerres mondiales, et même d’une troisième. Ce texte agressif s’achève cependant par une prière pour que le Christ éclaire la « hiérarchie catholique ».
31Ces accents politiques, calqués sur les attaques anticatholiques de la presse soviétique, posent indéniablement un défi nouveau aux catholiques, après une période où ils s’étaient rapprochés des orthodoxes dans les années 1930 à la faveur d’une opposition commune aux « persécutions » en URSS. Pour le centre dominicain Istina, spécialisé dans les questions russes et unionistes, ces accusations faites aux catholiques d’être des alliés du capitalisme et de l’impérialisme constituent un élément nouveau du contentieux entre les confessions : « voici que, de toutes pièces, on fabrique au schisme comme une nouvelle dimension112 ».
32Si l’historiographie a généralement souligné l’échec de la conférence inter-orthodoxe de 1948, qui n’a pu assurer la mise en place d’un véritable « Vatican orthodoxe », une perspective plus large permet d’apprécier différemment son impact. Le pouvoir politique soviétique a vérifié à cette occasion la fiabilité du patriarcat de Moscou et a pu ainsi l’intégrer durablement à sa stratégie internationale autour de l’idée de paix113. Par ailleurs, d’un point de vue religieux, le « moment 1948 » ne peut pas être interprété comme une parenthèse, ou une « halte114 » étrangement coincée entre des années 1930 qui voient l’apogée des solidarités chrétiennes contre les « persécutions » soviétiques et les brillantes années 1958-62, marquant l’entrée de Moscou dans un « trend » œcuménique.
33En fait, les tensions tant inter-orthodoxes qu’interconfessionnelles s’ancrent dans des controverses pluriséculaires, toujours sensibles à la période contemporaine115 et même revigorées, on le voit, au début de la Guerre froide sous l’impulsion du pouvoir communiste qui tente de dramatiser l’affrontement avec les christianismes occidentaux. Cependant, la conférence de 1948 peut aussi être interprétée dans une perspective de continuité : en effet, son ordre du jour reprend les débats ouverts dans l’entre-deux-guerres et la conférence nourrit indéniablement le projet de concile panorthodoxe, qui est d’ailleurs rapidement repris par le patriarche de Constantinople Athénagoras au début des années 1950 et prend de la consistance après la réconciliation entre Moscou et Constantinople en 1961, pour déboucher sur les rencontres préconciliaires de Chambésy entre 1976 et 2015. Une analyse approfondie des parcours individuels et des thèmes abordés serait ici précieuse pour retracer plus précisément la trajectoire conciliaire au fil du XXe siècle116. Du point de vue des relations avec les autres chrétiens, les résolutions négatives et abruptes prises à Moscou n’empêchent pas certaines Églises orthodoxes de participer au congrès fondateur du Conseil œcuménique des Églises, dont l’Église russe finit par se rapprocher et auquel elle adhère en 1961. Même les tensions à vif avec Rome sont surmontées au début des années 1960, les orthodoxes russes faisant partie des observateurs au concile Vatican II dès la première session de 1962117.
34Finalement, cette conférence reflète surtout le moment particulier de la seconde moitié des années 1940, traversé à la fois par les plaies à vif des affrontements religieux du conflit mondial et les tentatives de reconstructions symboliques du nouveau système international. Dans cette dernière perspective, il nous a semblé intéressant de mettre l’accent sur la façon dont le terme d’autocéphalie était repris par les Églises orthodoxes. Si toutes les Églises, par la voix de leurs représentants à Moscou en 1948, réinvestissent ce concept ecclésiologique avec énergie, elles y projettent des significations diverses, voire contradictoires : l’autocéphalie apparaissant à la fois traditionnellement comme le symbole des spécificités nationales (auxquelles certaines Églises semblent plus attachées que d’autres, au contraire désireuses d’une certaine uniformisation), mais aussi comme le levier d’une solidarité internationale autour de l’ethnicité slave et plus largement – notamment pour le patriarcat de Moscou – d’une cohésion au sein d’une identité orientale, alternative à un Occident défini comme impérialiste et agressif. Si la position de chaque Église mériterait d’être mieux étudiée à partir de sources locales, on peut souligner, pour finir, l’ambivalence de la position du patriarcat de Moscou : ce dernier met ici en valeur sa propre autocéphalie pour se distinguer de Constantinople et affirmer sa proximité avec les autres Églises orthodoxes mais, ce faisant, il récuse le modèle centralisateur catholique et maintient donc des ouvertures tant vers Constantinople (dans la perspective conciliaire) que vers les christianismes occidentaux. Ainsi, même dans cette période de règlements de comptes et de tensions religieuses qui empruntent les mots de la confrontation politique et civilisationnelle, la polémique, assurément très vive, n’empêche pas les appels à l’unité et le maintien d’un horizon de réconciliation. On touche ici à l’un des aspects les plus intéressants, pour l’historien, de la prise en compte des acteurs religieux dans les études sur la Guerre froide : en approfondir la dimension idéologique dans une plus longue durée et sur un mode qui ne soit pas uniquement bipolaire.
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Zernov 1993 = N. Zernov, The eastern Churches and the Ecumenical Movement in the twentieth century, dans R. Rouse, S.C. Neill (dir.), A history of the ecumenical movement, 1517-1948, Genève, 1993, p. 645-675.
Notes de bas de page
1 L’encyclique Mystici corporis du 29 juin 1943, que le pape inscrit dans le contexte de division induit par la guerre, comprend plusieurs appels à l’unité des chrétiens autour de la personne du « Père commun » qu’est le pape : Actes de S. S. Pie XII 1952, p. 96. Pour une mise en perspective de la question autocéphale à partir de l’ecclésiologie catholique issue de Vatican II, voir Famerée 2013.
2 L’Assemblée d’Amsterdam appelle les chrétiens à l’unité malgré les nombreuses « divisions en matière de foi, d’ordre ecclésiastique et de tradition » (Visser’t Hooft 1949, p. 7).
3 Auffret-Pignot 1986.
4 Limouris 1994, p. 1-8.
5 Viscuso 2006, p. XV-XLIV.
6 Lacombe 1930.
7 Pospielovsky considère ainsi qu’en échange de sa renaissance sur la scène intérieure, l’Église « repay the State by serving its foreign policy interests and propaganda » (Pospielovsky 1984, p. 302). Chumachenko, après l’ouverture des archives soviétiques, affirme quasiment la même chose : « In return for its active, open and pro-Stalinist activity in foreign affairs, the Orthodox Church received relative freedom within the country » (Chumachenko 2002, p. 46).
8 Dickinson 2000, notamment p. 330-333.
9 Voir notamment Škarovskij 2000 ; Chumachenko 2002; Merritt Miner 2003 ; Roccucci 2011 ; Kalkandžieva 2015.
10 Propos rapportés par Chumachenko 2002, p. 53. Le 10 avril 1945, Staline rencontre le patriarche Alexis, en présence notamment de Molotov et du métropolite Nicolas (Jaruševič) (placé à la tête du Département du patriarcat pour les affaires extérieures, alors en pleine formation) : ils évoquent surtout des sujets internationaux (Chumachenko 2002, p. 41 ; Volokitina-Muraško-Noskova 2008, p. 94).
11 Chumachenko 2002, p. 39.
12 Psomiades 1957, p. 374-377.
13 Sur ce mouvement voir Roslof 2002 et, plus particulièrement, sur ses dernières années : p. 195-205.
14 Pospielovsky 1998, p. 294-299 ; Popov 2005, p. 257-258 et 263-264.
15 Gavrilin-Pazane 2009, p. 251-261 ; Mironowicz 2009, p. 234 et 240. Voir aussi Kalkandžieva 2015, p. 26. Sur la Finlande, Laitila 2005, p. 153 et 158-159.
16 Sabev 2009, p. 97.
17 Leustean 2009, p. 66-67. Plus généralement Škarovskij 2000, p. 288-295.
18 Chumachenko 2002, p. 42-46 ; Bociurkiw 1996.
19 Les Églises orientales et la propagande russe, dans La Documentation catholique, 28 mars 1948, 30e année, XLV, n° 1013, col. 416.
20 Stavrakis 1989.
21 Lettre de Dorothée, administrateur du patriarcat de Constantinople, 30 juin 1947, dans La Documentation catholique, 28 mars 1948, 30e année, XLV, n° 1013, col. 416-418, cit. col. 418.
22 La date de 1448 correspond à l’élection du métropolite Jonas et, à travers cette figure, à une construction historiographique traditionnelle en Russie qui fait remonter tant l’autocéphalie russe que la rupture entre Moscou et Constantinople aux lendemains du concile de Florence. Voir Alef 1961 et, dans ce volume, le chapitre de Pierre Gonneau.
23 Télégramme de Timothée, patriarche de Jérusalem, Jérusalem, 23 mars 1948 (Actes II, p. 457-459).
24 Voir Actes I et Actes II. Une chronique est aussi publiée dans un numéro spécial en français du Journal du Patriarcat : La célébration du 500ème anniversaire de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe russe, dans Journal 1948, p. 43-68.
25 Journal 1948, p. 43 et p. 46. Sur saint Alexis : Turilov-Sedova 2000.
26 Texte du télégramme dans Actes I, p. 83. Sur Karpov : Čumačenko 2013.
27 Journal 1948, p. 46.
28 Comme l’exposé du Dr. Popescu sur « L’attitude du Vatican à l’égard de l’Orthodoxie durant les 30 dernières années » : Actes I, p. 223.
29 Volokitina-Muraško-Noskova 2008, p. 98-102 ; documents dans Krivova 2009, I, p. 335-336 ; 363-366, 385-387.
30 Volokitina 2009, I, p. 733 et 737-738 (rapport de Karpov à l’intention du Conseil des ministres de l’URSS et du CK RKP(b), 3 août 1948). Après la conférence elle-même, des excursions pour les prélats sont organisées à Léningrad, Kiev et Tbilissi, certains participants restent ainsi en URSS jusqu’au 5 août (ibid., p. 739).
31 Journal 1948, p. 46 et 52. Sans que nous puissions certifier qu’il s’agisse bien du document produit par les autorités, on peut signaler le film de 37 minutes, réalisé par le Studio central des films documentaires (https://www.youtube.com/watch?v=_S88ODT1JyM).
32 La Croix, 25-26.07.1948, 69e année, n° 19.886, p. 1. Un autre article fustige les « accusations aussi gratuites que grossières » de Moscou : G. H., Outrage intolérable ? « Qu’avez-vous fait des catholiques de l’Ukraine et des Carpathes ? », dans La Croix, 01.08.1948, 69e année, n° 19.892, p. 1.
33 Cité dans La Croix, 01.08.1948, 69e année, n° 19.892, p. 1.
34 Chumachenko 2002, p. 92-93.
35 La politique antireligieuse se transforme après la guerre avec la fondation en 1947 de l’organisation Знание (la connaissance) qui centralise une propagande athée sur un modèle scientifique (Chumachenko 2002, p. 94-96 et Smolkin 2018).
36 Совещание патриархов и представителей автокефальных православных церквей, dans Правда, 22.07.1948, 204 (10.945), p. 4 et К пребыванию в Москве делегаций автокефальных православных церквей, dans Правда, 23.07.1948, 206 (10.946), p. 4 (dans ce dernier article, les noms de Karpov et de Staline sont en caractères gras).
37 Le choix du français – qui apparaît comme une langue dédiée aux relations interconfessionnelles (la revue anglicane Œcumenica : revue de synthèse théologique avait ainsi paru en français entre 1934 et 1939) – s’opère de façon précoce puisque le métropolite Nicolas indique le 9 juillet que « tous les travaux de la présente Conférence vont être publiés en langues russe et française » (Actes I, p. 85). Dans les échanges entre Alexis et Karpov, l’anglais avait également été évoqué : Krivova 2009, p. 365-366.
38 « “Le Vatican est un centre d’intrigues contre les intérêts des peuples” déclare le concile orthodoxe », dans L’Humanité, 24 juillet 1948, p. 3. L’article précise toutefois que le concile a opéré une « distinction très nette entre la hiérarchie ecclésiastique de l’Église catholique et la masse des croyants », ces derniers n’étant pas responsables des « crimes du Vatican ».
39 Ce journal communiste publie une interview de Mgr Stéphane, exarque de Bulgarie, qui reprend les décisions de la conférence (L’Église orthodoxe bulgare dans le sillage de Moscou, dans La Documentation catholique, 24 octobre 1948, 30e année, XLV, n° 1028, col. 1401). D’autres titres de la presse communiste ou sympathisante n’accordent cependant aucune attention à la conférence, comme l’hebdomadaire culturel et littéraire Les Lettres françaises ou la revue du Kominform Pour une paix durable, pour une démocratie populaire.
40 Actes II, p. 464-465 (discours du 17 juillet).
41 Lacombe 1923, p. 364-368 ; Janin 1926, p. 195-200.
42 Actes II, p. 297-369.
43 Actes II, p. 307.
44 Résolution sur la question « du calendrier de l’Église », dans Actes II, p. 448-449.
45 Actes II, p. 368.
46 Actes II, p. 341-342.
47 Les Églises en URSS et dans les pays satellites, dans La Documentation catholique, 26 septembre 1948, 30e année, XLV, n° 1026, col. 1229.
48 Kostel’nik évoque la création d’« un centre de propagande » pour lutter contre le Vatican ; le métropolite Josif de Skopje propose d’adopter une approche semblable du catholicisme dans les « écoles de théologie » (Actes II, p. 239-240).
49 Actes II, p. 239.
50 Actes II, p. 471.
51 Actes II, p. 475.
52 Actes II, p. 241.
53 Actes II, p. 70 et 63-64. Sur Coman (1902-1987), voir Păcurariu 1996, p. 107-110.
54 Sur la conférence anglo-roumaine de juin 1935 : Lacombe 1936, p. 488-490. Plus généralement, Dimanopoulou 2016.
55 Cette ouverture russe s’inscrit dans la longue durée (d’Herbigny 1922) et a été approfondie durant la guerre (Ketola 2012). Voir aussi Geffert 2010.
56 Journal 1948, p. 64. Télégramme de Geoffrey Fisher (Lambeth Palace, 3 juillet 1948) dans Actes II, p. 460-462.
57 Actes II, p. 242-296, citation, p. 243.
58 P. Vintilescu, La hiérarchie anglicane et sa validité, dans Actes I, p. 315-340.
59 V. S. Vertogradov, De la hiérarchie anglicane, dans Actes I, p. 340-381. L’exposé de Nicodème est un panorama historique, soulignant les divergences doctrinales mais favorable à une approche amicale de l’anglicanisme (Actes I, p. 292-314).
60 Le métropolite Benjamin (Fedčenkov) évoque ainsi ses séjours aux États-Unis et en Grande-Bretagne et met en garde contre une trop grande « sévérité à leur égard [qui] les pousserait vers le catholicisme » : Actes II, p. 279.
61 Actes II, p. 287.
62 Actes II, p. 292.
63 Résolution sur la question « de la hiérarchie anglicane », dans Actes II, p. 445-447. Satisfait de ces concessions, Antim salue l’« esprit de fraternité » qui règne à Moscou, emblématique de la fondation d’un « front orthodoxe » capable de s’opposer au « front catholique » (Actes II, p. 296).
64 Résolution sur la question « Le mouvement œcuménique et l’Église orthodoxe », dans Actes II, p. 450-452.
65 Actes II, p. 32.
66 Actes II, p. 55. À ce sujet, il souligne l’articulation entre anglicanisme, œcuménisme et « impérialisme anglais » (ibid., p. 48-49).
67 Actes II, p. 100.
68 Actes II, p. 170.
69 Actes II, p. 193-194.
70 Actes II, p. 371-435.
71 Actes II, p. 375.
72 Actes II, p. 397.
73 Décision est ainsi prise de lui soumettre les textes avant promulgation : Actes II, p. 414, voir aussi p. 412.
74 Actes II, p. 421-422.
75 Actes II, p. 425-429.
76 Actes II, p. 425.
77 Actes II, p. 466.
78 Appel à tous les chrétiens du monde, dans Actes II, p. 467-470, cit. 467 et 469.
79 Actes II, p. 468.
80 Sur la confrontation idéologique entre catholicisme et communisme soviétique lors de la crise de la « croisade » de 1930, nous nous permettons de renvoyer à Pettinaroli 2016, p. 190-194. Sur la situation du catholicisme en URSS dans les années 1944-47, voir Vasil’eva 1999, p. 183-195.
81 Chumachenko 2002, p. 53 ; Škarovskij 2000, p. 298 sq.
82 Škarovskij 2000, p. 300-301.
83 Actes I, p. 11. Sur cette date censée être celle du retour d’Isidore de Kiev à Moscou d’après la Première chronique de Novgorod, voir le chapitre de Pierre Gonneau dans ce volume.
84 Actes II, p. 320.
85 Actes I, p. 197-223.
86 Majakova 2008.
87 Par exemple : Germogen 1946. Cette spécialisation peut s’expliquer par le fait qu’il avait soutenu en 1917 une thèse sur « la littérature russe ultramontaine », c’est-à-dire sur les auteurs russes défendant la position pontificale.
88 Bociurkiw 1989 penche pour la troisième hypothèse alors que Pospielovsky (Pospielovsky 1984, p. 307) et le cardinal Tisserant optent pour la seconde hypothèse (Tisserant 1955 [1952], p. 550).
89 Păcurariu 1996, p. 350-351, Laurent 1948.
90 Popescu est le seul à noter un « changement de mentalité » à l’égard de l’orthodoxie parmi les catholiques (il cite Congar) : Actes I, p. 235.
91 Le texte de Germogen contient des erreurs : il considère ainsi Grottaferrata comme le principal centre missionnaire romain pour l’Orient, autour de la revue Roma el Oriente (sic), alors que celle-ci ne paraît plus depuis 1921 (Actes I, p. 97-98).
92 Actes I, p. 167.
93 Actes I, p. 128-134.
94 Actes I, p. 151 (Kostel’nik).
95 Kostel’nik, dans Actes I, p. 153-159.
96 Actes I, p. 107-108 (Germogen). Kostel’nik (ibid., p. 169) considère aussi que « toutes les sectes les plus importantes dans l’Église Occidentale, à partir du IXe siècle environ, étaient dirigées en principe contre l’Église papale ».
97 Actes I, p. 107-108 (Germogen).
98 Actes I, p. 100-101.
99 Actes I, p. 275-276.
100 Actes I, p. 239.
101 Actes I, p. 196.
102 Les débats sont publiés dans Actes II, p. 204-241. Une partie a été aussi publiée dans Russie et chrétienté, 1950, n° 1-2, janvier-juin, p. 57-67.
103 Actes II, p. 200 (intervention du patriarche Gabriel).
104 Actes II, p. 205-207.
105 Actes II, p. 207-223, cit. p. 208.
106 Actes II, p. 228-229.
107 Actes II, p. 232.
108 Actes II, p. 238.
109 Actes II, p. 234 (intervention du métropolite Melchisédech).
110 Actes II, p. 233.
111 Actes II, p. 440-443.
112 Istina 1950.
113 Pospielovsky 1998, p. 304. L’Appel à tous les chrétiens du monde du 17 juillet 1948 est le premier texte publié dans L’Église orthodoxe 1950, p. 9-11.
114 Zernov 1993, p. 666-667.
115 En ce qui concerne les tensions entre Moscou et Constantinople, on peut rappeler la réponse glaciale du Synode russe à la lettre de Joachim III qui invitait à renforcer les échanges entre Églises orthodoxes en 1902, ou encore le refus moscovite de participer au concile panorthodoxe de 2016. Plus récemment, la commémoration du centenaire du concile de 1917 a réuni à Moscou des représentants de nombreuses Églises mais pas du patriarcat de Constantinople (Lieven 2017).
116 Arjakovsky 2011, p. 29 souligne ainsi le changement de génération qui expliquerait les mutations des relations inter-orthodoxes dans les années 1960.
117 Melloni 1997.
Auteur
Institut catholique de Paris, Unité de recherche « Religion, Culture et Société », EA 7403
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