Le concile de Florence comme prélude à la symphonie russe
p. 245-273
Résumés
Alors que la délégation russe, présidée par le métropolite Isidore, a souscrit à l’Union de Florence (5 juillet 1439), cette décision est rejetée à son retour en Russie (automne 1440). Isidore abandonne sa métropole à l’automne 1441 et, au terme de sept ans de « veuvage », elle devient de fait autocéphale quand un synode épiscopal réduit élit l’évêque de Rjazan’ Jonas métropolite (décembre 1448). Cet épisode-clé est relaté de manière différente dans les sources narratives russes de la deuxième moitié du XVe siècle et du début du XVIe siècle qui, peu à peu, dégagent une version officielle de l’événement qui prend des libertés avec le déroulement réel des faits. L’élection de Jonas est justifiée rétroactivement par le fait qu’il aurait dû prendre la tête de l’Église russe dès 1432, suite au décès du métropolite grec Photios (2 juillet 1431). Les versions tardives complètent le récit des événements par l’insertion de documents diplomatiques (encycliques, lettres du grand-prince de Moscou Vasilij II au patriarche de Constantinople ou à l’empereur byzantin), dont certains sont authentiques et d’autres ont été fabriqués pour la circonstance. Ces textes donnent déjà au souverain moscovite une dimension impériale et un rôle de défenseur de l’orthodoxie.
While the delegation of the Russian Church at the Florence Council, under Metropolitan Isidore, approved of the Union (5 July 1439), this decision was overruled when it came back to Russia (autumn of 1440). Isidore left his metropolitan see in autumn 1441. After seven years of «widowhood», the Russian Church became de facto autocephalous when an episcopal synod composed of a few bishops elected Jonah, bishop of Riazan, as metropolitan (December 1448). This key episode is recounted in different manners in Russian narrative sources from the second half of the 15th and early 16th century. In these, an official version of the event gradually emerges, taking quite a few liberties with historical facts. Jonah’s election is justified by the fact that he should have been head of the Russian church as early as 1432, following the death of the Greek metropolitan Photios (2 July 1431). Later versions complete the tale by inserting diplomatic documents (encyclicals, letters from the grand-duke of Muscovy Vasilii II to the patriarch of Constantinople or the Byzantine emperor), some of them authentic, some of them forgeries. These texts already give the muscovite ruler an imperial dimension and a role as defender of Orthodoxy.
Entrées d’index
Mots-clés : Église orthodoxe russe, XVe-XVIe siècle, Autocéphalie, Russie, Vasilij II (1425-1462) grand-prince de Moscou, Jonas métropolite de Russie (1448-1461)
Keywords : Russian Orthodox Church, 15th-16th c., Autocephaly, Russia, Vasilii II (1425-1462) grand-duke of Muscovy, Jonah metropolitan of Russia (1448-1461)
Texte intégral
1L’Union des Églises, proclamée le 5 juillet 1439 à Florence, a été acceptée – provisoirement – par la majorité des représentants de l’Église orthodoxe. Au sein de cette dernière, la composante russe occupe alors une place particulière. Statutairement, la métropole de la Rus’ (Rhôsia), créée avant 998 à Kiev, et dont la résidence se trouve à Moscou depuis 1328, est suffragante du patriarcat de Constantinople. Mais son éloignement, sa taille importante et le fait qu’elle est l’un des seuls territoires orthodoxes qui ne se trouve pas sous la tutelle des Ottomans, lui donnent un poids nouveau dans l’oikouméné. Depuis le XIVe siècle, le métropolite n’est pas systématiquement envoyé depuis « Tsargrad » (nom slave de Constantinople et calque de l’expression grecque – la Ville-Reine). Une fois sur deux, les autorités locales, c’est-à-dire avant tout le grand-prince de Moscou-Vladimir, proposent un candidat qui doit aller recevoir son investiture au patriarcat de Constantinople.
2Au moment où l’imposante délégation de l’Église de la Rus’ (une centaine de personnes) s’apprête à se rendre à Florence, le métropolite est un Grec, partisan convaincu de l’Union, Isidore1. Il joue un rôle actif, voire décisif, dans la signature de l’acte d’Union et engage la métropole russe à sa suite. Il est récompensé par le titre de cardinal et de légat a latere. Mais, peu après être rentré dans sa métropole, au printemps ou à l’automne 14402, il est désavoué par le grand-prince de Moscou, Vasilij II, et par son propre clergé. En septembre 1441, il quitte Moscou pour ne plus y revenir. Sept ans plus tard, en décembre 1448, les évêques russes élisent métropolite l’un des leurs, Jonas de Rjazan’. Cet expédient, avant tout destiné à combler la vacance du pouvoir spirituel, prend une importance nouvelle quand Constantinople tombe aux mains des Turcs, en 1453. Les autorités ecclésiastiques russes renouent assez vite des liens avec le patriarcat de Constantinople qui abjure rapidement l’union avec Rome, puisqu’elle n’a pas permis de sauver l’Empire byzantin, mais le métropolite établi à Moscou n’est plus investi par le patriarche. En revanche, le territoire de la métropole qu’il administre est réduit de moitié dès 1458. En effet, ce vaste espace, correspondant à la Rus’ du temps du prince de Kiev Vladimir, est politiquement divisé entre deux grandes « zones d’influence » qui adoptent des orientations antagonistes. Les diocèses situés à l’ouest et au sud, sous l’autorité temporelle du grand-duc de Lituanie, puis du roi de Pologne, finissent par décider de revenir dans le giron du patriarcat de Constantinople, au sein d’une nouvelle métropole. Leur nombre maximal sera de 10 : Polack, Turaw, Smolensk, Kiev, Černihiv, Volodymyr Volyns’kyj, Halyč, Przemyśl, Chełm, Luc’k3. Les diocèses situés au nord-est appartiennent encore à des entités politiques diverses, mais sont déjà dans l’orbite de la grande-principauté de Moscou qui les annexera entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle. Ils sont au nombre de 9 : Moscou, Novgorod, Rostov, Tver’, Suzdal’, Kolomna, Rjazan’, Saraj-Kruticy, Perm’.
3Sur le plan pratique, l’Église de la Rus’ est autocéphale à partir de 1448, mais qu’en est-il au plan théorique ? Les historiens qui se sont penchés sur la question se sont heurtés à deux obstacles : d’abord les prélats et les lettrés russes se gardent de proclamer une rupture ouverte et définitive avec le patriarcat de Constantinople. En revanche, ils dénoncent énergiquement sa trahison de l’orthodoxie et composent un ou des récits justifiant leur position dans lesquels ils adaptent les faits aux besoins de leur cause. Ces textes et leurs révisions s’intègrent, avec plus ou moins de bonheur, dans les sources narratives russes.
La rupture et ses racines : 1353-1448
4Il est clair que la marche forcée vers l’Union, menée entre 1437 et 1440 sous la houlette du métropolite Isidore, a considérablement dégradé les rapports entre le patriarcat et la métropole. C’est donc apparemment sur un temps court, d’une dizaine d’années, que se brise le lien de cinq siècles qui les reliait. Toutefois, il est significatif que les Russes, quand ils commencent à vouloir donner un sens à cet événement, remontent un peu en arrière et placent la naissance du désaccord en 1432, au moment où s’est jouée la succession de Photios. Celui-ci est le dernier prélat grec à avoir exercé jusqu’au bout la fonction de métropolite de l’Église de la Rus’. En fait, il faut prendre davantage de recul encore et revenir un siècle avant la chute de Constantinople.
5Lorsque le métropolite Théognoste, celui-là même qui avait fixé sa résidence à Moscou en 1328, meurt de la peste en 1353, s’ouvre une période de crise et de tensions entre forces centrifuges et forces centripètes, entre subordination traditionnelle et affirmation des ambitions politiques moscovites ou lituaniennes. Le métropolite Alexis (1354-1378), Moscovite de naissance et visitant peu ses diocèses occidentaux, est accusé, à raison, de partialité. Pour éviter que le grand-prince de Lituanie, Ol’gerd (Algirdas), prenne l’initiative de rompre l’unité de la métropole, en 1375, le patriarche Philothée Kokkinos envoie à Kiev Cyprien, un clerc bulgare renommé, administrer les diocèses lituaniens de la métropole de Russie4. Pour le patriarcat, il est entendu que c’est une manière d’anticiper la succession d’Alexis, même si le procédé n’est pas vraiment canonique. Mais à la mort d’Alexis, Cyprien est catégoriquement rejeté par le grand-prince de Moscou-Vladimir, Dmitrij Ivanovič, qui pousse la candidature d’un clerc dont la belle voix l’a séduit, Mixail-Mitjaj5. Cet ecclésiastique à la carrière fulgurante (passé de diacre à archimandrite en quelques semaines) est envoyé avec force argent à Constantinople, mais meurt en vue de la Ville-Reine. Qu’à cela ne tienne, un des membres de la délégation russe, Pimen, est présenté à sa place comme le candidat de Moscou. Pimen est investi, mais désavoué à son retour, puis accepté du bout des lèvres, après que Dmitrij Ivanovič a brièvement appelé Cyprien (1380-1381)6. C’est seulement à la mort du grand-prince que son fils, Vasilij Ier, met fin aux incertitudes. Cyprien dirige effectivement toute l’Église russe, de 1389 à sa mort en 1406. Il est vrai que Photios (1407-1431) est le dernier métropolite grec à gouverner l’Église russe jusqu’à sa mort et qu’il est même choisi par Vasilij Ier comme l’un des deux garants de son testament et protecteurs de son jeune fils, Vasilij II7. Toutefois, Photios a subi une forte contestation de la part de ses diocèses situés en territoire lituanien qui ont même élu un « anti-métropolite », en la personne de Grégoire Camblak (1414-1419)8. La sécession a échoué, mais elle se produit une quarantaine d’années plus tard, en réaction à l’autocéphalie de la métropole de Moscou.
6Que s’est-il passé exactement après la mort de Photios, entre 1432 et 1448 ? Si les historiens ont longtemps polémiqué sur la réalité des faits et leur chronologie, sur l’authenticité des documents mis en avant, c’est parce que les sources sont lacunaires, ou au contraire proposent une variété de versions qui déconcerte. Il est important de noter que les « actes » russes qui sont cités n’ont pas été conservés, ni en originaux ni en copies contemporaines, mais sont insérés dans les compilations successives de chroniques, ou conservés dans des formulaires. Qu’on admette leur authenticité ou non, nous travaillons sur une reconstitution, sur un récit de l’autocéphalie. Le meilleur guide en ce domaine est le travail de Jakov Solomonovič Lur’e, qui en 1994, au terme de toute une carrière vouée à établir la généalogie des chroniques russes, a proposé une série de travaux pratiques concernant les événements du XVe siècle9. Dans ce livre, il analyse chaque épisode-clé en trois temps : il part des travaux des historiens, puis il décortique dans l’ordre de leur ancienneté et de leur filiation les informations des chroniques russes et enfin il se livre à une tentative de reconstitution des événements qui, bien souvent, le conduit à rejeter les versions tardives des chroniques officielles moscovites, celles qui ont en général inspiré les historiens. Dans le cas présent, nous résumerons rapidement les conclusions auxquelles il a abouti et qui semblent parfaitement fondées. Mais le plus intéressant est sans doute de mesurer l’écart avec les versions tardives, de voir s’élaborer sous nos yeux la justification de l’autocéphalie.
7La mort de Photios (2 juillet 1431) libère en Moscovie les ambitions de l’oncle de Vasilij II, Jurij Dmitrievič, qui, selon la tradition successorale russe, aurait dû monter sur le trône grand-princier avant son neveu. Entre 1432 et juin 1434 (date de la mort subite de Jurij Dmitrievič), les protagonistes du conflit sont totalement absorbés par leur lutte et ne proposent sans doute pas de candidat à la métropole, contrairement à ce que les sources russes affirmeront par la suite. En 1434, le patriarcat choisit donc un prélat russe qui se trouve dans la sphère lituanienne, l’évêque de Smolensk, Gérasime10. Ce dernier fait le voyage de Constantinople et il est reconnu par les prélats russes, puisque l’archevêque élu de Novgorod, Euthyme Ier, se rend à Smolensk pour obtenir de lui son investiture11. En revanche, Gérasime n’a pas le temps de se rendre à Moscou, à cause des troubles qui la déchirent, et surtout parce qu’il est exécuté en 1435, sur l’ordre du prince lituanien Švitrigaila12. L’année suivante, le patriarcat décide de lui donner pour successeur Isidore, moine à Constantinople, en prévision du concile à venir. Isidore arrive à Moscou le 2 avril 1437, où il est reçu avec tous les honneurs dus à son rang13. Il quitte la cité pour entreprendre le voyage du concile au début de septembre. À son retour, après mars 1440, il est encore accueilli comme le métropolite légitime et donne sa bénédiction au traité signé entre Vasilij II et le grand-prince de Tver’ Boris Aleksandrovič, qui était également représenté au concile de Florence14. Isidore quitte Moscou définitivement le 15 septembre 1441, mais son départ n’a pas forcément pris la forme d’une fuite : on a pu le laisser partir discrètement, pour ne pas avoir à improviser son procès. En effet, il semble avoir pu emporter avec lui un certain nombre de manuscrits grecs qui se trouvent à présent dans les collections du Vatican15.
8Jonas de Rjazan’ fait son apparition en février 1446 quand Dmitrij Jur’evič Šemjaka, fils de l’oncle et rival de Vasilij II, fait prisonnier ce dernier au monastère de la Trinité Saint-Serge et le ramène à Moscou où il le fait aveugler16. Dans le feu de l’action, les partisans de Šemjaka ont oublié au monastère de la Trinité les deux jeunes enfants de Vasilij II, parmi lesquels se trouve le futur Ivan III, âgé de six ans à peine. Ces garçons ont été aussitôt emmenés par des fidèles en un lieu que l’on pense sûr, la cité de Murom. Or, la ville fait partie du diocèse de Rjazan’. Dmitrij Šemjaka envoie donc Jonas, désigné par toutes les sources narratives comme simple évêque de Rjazan’, chercher les deux enfants, assurant qu’il les prendra sous sa protection et promettant à Jonas la chaire métropolitaine en échange de sa complaisance (князь же Дмитреи умысливъ сице призва к себѣ епископа Рязаньского Иону на Москву и пришедшу ему обеща ему митрополью). Jonas se fait remettre les enfants, mais Šemjaka, comme on pouvait s’y attendre, le charge de les accompagner à Uglič où ils vont rejoindre leur père et leur mère, en prison. En récompense, Jonas est autorisé à s’installer dans le palais du métropolite ([Иона] възвратися ко князю Дмитрею. Онъ же повелѣ ему итти к Москвѣ и сѣсти на дворѣ митрополичѣ, Иона же сотвори тако)17. Le prélat a malgré tout quelques scrupules de conscience et plaide en faveur d’un arrangement plus clément : relâcher Vasilij II et sa famille s’il jure renoncer à ses droits sur Moscou devant les évêques russes (укрепи его крестом честным, да и нашею братьею владыками). Šemjaka se rend donc à Uglič, avec « tous les évêques, les vénérables archimandrites et les higoumènes » (поидоша же с ним и вси епископи и честнии архимандриты и игумени), et offre à Vasilij II la petite principauté de Vologda en échange de sa renonciation au trône de Moscou. Vasilij II se prête au jeu devant toute l’assemblée des dignitaires, où l’on rappelle encore la présence de « tous les évêques du pays russe » (бяху же ту и вси епископи земли Русскые)18. Dans les deux cas, il est clair que « tous » les évêques suffragants de la métropole de Russie n’étaient pas là, mais que l’épiscopat, et en particulier Jonas, s’est porté garant de l’accord. Le chroniqueur explique que Vasilij demeure peu de temps dans son petit fief et se rend au fameux monastère Saint-Cyrille de Beloozero, « prétendant y régaler la confrérie et faire l’aumône, car il ne sied pas à un tel sire d’être reclus en si lointain désert » (творяся тамо сущую братию накормити и милостыню дати, нѣсть бо лзѣ таковому государю в такои дальнѣи пустыне заточену быти)19. Cette phrase paraît quelque peu elliptique. Heureusement, la Seconde Chronique de Sainte-Sophie (compilée v. 1518) lève le voile en expliquant que c’est l’higoumène Tryphon, de Saint-Cyrille, qui prend sur lui le péché de parjure et donne sa bénédiction à Vasilij pour qu’il reprenne son patrimoine, la grande-principauté, car il ne sied pas à un tel sire d’être reclus en si lointain désert (тот грѣхъ на мнѣ... поиди, государь... на свою вотчину на Москву, а мы за тебя государя Бога молимъ и благословляемъ ; нѣсть бо лзѣ таковому государю в такои дальнѣи пустыне заточену быти)20. Vasilij II reprend donc les armes. De fait, apprenant la nouvelle, ses partisans se lèvent un peu partout en Moscovie. En peu de temps, Šemjaka perd la plupart de ses soutiens et Vasilij II l’Aveugle fait son entrée à Moscou le 17 février 144721. Juste retour des choses, le 29 décembre de la même année cinq évêques, ainsi que les higoumènes de la Trinité Saint-Serge et du monastère de Simonovo, près de Moscou, signent une épître qui enjoint à Dmitrij Šemjaka d’abandonner ses prétentions à la grande-principauté22. Cependant, il faudra attendre 1453 et la mort de Dmitrij Šemjaka, empoisonné à Novgorod où il s’était réfugié, pour que la guerre dynastique se termine. Entre-temps, Vasilij II accepte le ralliement de plusieurs anciens partisans ou complices de son ennemi. C’est ainsi qu’il maintient le choix de Jonas comme métropolite et organise, le 15 décembre 1448 (6857 d’après le comput byzantin), l’investiture du prélat.
9La Chronique d’Ermolin laisse entendre que les évêques russes étaient tous présents : поставленъ бысть на митрополью на Русь Iона, владыка Рязаньскiи, на Москвѣ первый митрополитъ своими епископы23. Là encore, il n’en est rien : les chroniques relativement proches de l’événement citent seulement de quatre à six prélats effectivement présents : Jonas et les évêques de Rostov, de Suzdal’, de Perm’, de Kolomna et de Saraj, ajoutant que l’archevêque Euthyme de Novgorod et l’évêque de Tver’ (non nommé) ont adressé une lettre de consentement24. Le testament de Jonas, rédigé selon ses éditeurs entre 1452 et août 1453, emploie le verbe рукопологатися, calque du grec χειροτονεῖται, qui laisse entendre que l’on procéda alors à une consécration épiscopale. Dans le cas de Jonas, il s’agirait d’une seconde consécration, puisqu’il était déjà évêque. Elisabeth Teiro fait toutefois remarquer que le verbe рукопологатися est emprunté aux testaments des deux prédécesseurs de Jonas, Cyprien et Photios, qui n’étaient pas évêques avant d’accéder à la dignité métropolitaine. Il est plus probable que Jonas n’a pas été consacré une deuxième fois25. Quoi qu’il en soit, Jonas affirme qu’il a été ordonné « sur l’ordre – повелением – de notre seigneur et bien aimé fils de notre humilité dans le Saint-Esprit, le noble et pieux grand-prince Vasilij Vasil’evič de toute la Rus’ ». Mais, apprenant que Tsargrad est revenue à l’orthodoxie, le grand-prince et le métropolite sollicitent la bénédiction du patriarcat œcuménique : А о Цариграде яко слышахом, аще есть ныне в древнем благочестии, ино и сын нашь, великий князь, а и наше смирение по изначальству хочем и требуем благословениа от святей нашиа зборныа апостольскыа церкве Святыа Софиа и святаго православнаго патриарха и от всего о нем же освященнаго сбора26. Force est de conclure, avec Élisabeth Teiro, qu’« au moins, jusqu’à la chute de Constantinople (29 mai 1453), la désignation de Jonas n’était pas considérée comme l’acte fondateur d’une Église russe autocéphale27 ». Mais a posteriori, des scénarios différents, souvent contradictoires, sont élaborés.
Premiers récits du rejet de l’Union (1448-1500)
10Un premier corpus de textes, relatant le concile de Florence et le refus de l’Union par les Russes, s’élabore dans le demi-siècle qui suit l’élection de Jonas à la métropole. Tandis que les chroniques, en commençant par celle de Novgorod, récapitulent les événements sous forme annalistique, deux récits complets sont composés, puis remaniés. Les chroniques moscovites du dernier quart du XVe siècle tentent une synthèse entre ces sources.
L’historiographie de Novgorod et les récits autonomes sur le concile de Florence
11Le rejet de l’Union fait son apparition dans les dernières corrections apportées à la rédaction récente de la Première chronique de Novgorod (NPL) et à la Quatrième chronique (NIV), vers 1447-144828. Il est dit, sous l’année 695029, que Vasilij II, entendant Isidore invoquer le nom du pape dans la liturgie et faire beaucoup d’autres choses contraires aux coutumes du pays russe, l’assigna à résidence dans un monastère et posta des gardes pour le surveiller, mais Isidore s’enfuit à Tver’ et de là en Lituanie (cлышавъ от него въ службѣ, что поминаеть папу римьскаго, а не патриарха Цесаряграда, и иных вещии много не по обычаю Рускыя земля… повелѣ жити ему в манастырѣ и приcтавомъ повелѣ стрещи его, он же избѣже въ Тферь и оттолѣ в Литву)30. Vasilij II a un rôle central. Le récit est construit de telle sorte qu’on peut croire que le grand-prince se méfie de son métropolite : à peine est-il de retour qu’il lui « ordonna d’officier » (повелѣ ему служити), comme pour contrôler son orthodoxie.
12Le fait que la première source à critiquer Isidore soit novgorodienne n’est pas surprenant : c’est dans la cité, auprès de l’archevêque Euthyme II, que s’était réfugié Siméon, un hiéromoine de Suzdal’, membre de la délégation russe à Florence qui a accepté à contrecœur l’Union, est rentré par ses propres moyens en Russie et a composé (ou commencé à composer) un récit la dénonçant. Dans la première version de ce texte, Siméon dévoile son identité et donne des détails sur ses mésaventures personnelles : le prince lituanien Jurij Lugven’evič, partisan d’Isidore, l’attire dans sa ville de Smolensk où il le jette en prison. Quand Isidore arrive enfin en Russie, Siméon est transféré à Moscou et soumis à une détention sévère, mais le rejet de l’Union par Vasilij II le sauve du châtiment. D’après L.V. Čerepnin, c’est là qu’il aurait terminé son texte, sous le titre Le concile d’Isidore et son périple (Исидоров собор и хождение его)31, dans le court intervalle entre la restauration de Vasilij II et l’élection de Jonas (février 1447-décembre 1448)32.
13Il existe un autre récit intitulé Voyage à Florence (Хождение во Флоренцию) composé probablement au début des années quarante du XVe siècle, émanant également d’un membre de la délégation russe, mais qui a conservé l’anonymat. Loin de dénoncer la trahison de l’orthodoxie, il s’intéresse de près, et avec un regard plutôt favorable, aux innovations architecturales et techniques qu’il observe au long de la route et à Florence. On comprend donc qu’il ne soit pas repris dans les chroniques, toutes orientées vers la dénonciation des méfaits du huitième concile33.
14Dans un deuxième temps, à une période que l’on peut précisément situer entre l’intronisation du métropolite Théodose (3 mai 1461) et la mort de Vasilij II (27 mars 1462), le récit de Siméon de Suzdal’ est retravaillé, dépouillé de ses éléments autobiographiques, sous le titre Dit extrait des Saintes Écritures, contre les Latins (Слово избрано от Святых Писаний, еже на латыню)34. Certains pensent que Siméon de Suzdal’, qui se dit déjà âgé dans la première version, pourrait être encore l’auteur de la seconde. D’autres l’attribuent à l’un des plus prolifiques écrivains de la seconde moitié du XVe siècle en Russie, Pacôme le Serbe. Par ailleurs, dans les miracles posthumes de la Vie de Serge de Radonež, dus à la plume du même Pacôme, un récit nouveau détaille comment Siméon a pu rentrer d’Italie en Russie grâce à la protection du saint fondateur du monastère de la Trinité, Serge de Radonež. C’est parce qu’il tarde à accomplir son vœu d’aller prier sur la tombe du saint, qu’il subit l’épreuve des prisons ; à peine libéré, il se rend à la Trinité. Ce récit se rattache à la Troisième rédaction de la Vie de Serge par Pacôme, que Boris Mixajlovič Kloss date de 1442, mais qui est augmentée jusqu’en 1448/144935.
L’historiographie officielle en formation
15Les chroniques moscovites ou proches de Moscou ne tardent pas à utiliser le Dit extrait des Saintes Écritures. Lur’e identifie deux étapes dans la formation de cette historiographie : en 1472 et en 147936. Les témoins de la compilation de 1472, appelés Chronique de Nikanor et Chronique de Vologda-Perm’, évoquent succinctement les questions de l’Union et de la métropole russe. Sous l’année 6945/1437, est enregistrée l’arrivée d’Isidore à Moscou, deux jours après Pâques, soit le 2 avril37. Il est reçu « avec les honneurs » par Vasilij II, mais ne demeure sur place qu’un été. En effet, il insiste pour se rendre « à Rome, au huitième concile ». Le grand-prince tente de l’en dissuader, oralement et par écrit, mais rien n’y fait : « la date est fixée et toutes les terres doivent se rendre à ce concile, si moi seul ne m’y rends pas, le concile n’aura pas lieu, or toutes les terres, grecques et latines, doivent se mettre en mouvement et s’unir dans l’orthodoxie ». Passant outre aux objections de Vasilij II, il part, le 5 septembre, emmenant avec lui l’évêque Abraham de Suzdal’ et une forte délégation. Isidore rentre de Rome au printemps 6948/1440, précédé d’un crucifix (une croix processionnelle latine), le troisième dimanche de Carême, soit le 27 février38. C’est lui qui insiste pour célébrer immédiatement et, au cours de la liturgie, il mentionne en premier le pape, provoquant un grand scandale. Mis aux arrêts quelques jours plus tard, il passe l’été dans les murs du monastère du Miracle de l’archange Michel, au Kremlin. Il s’enfuit le 15 septembre 6949/1440 « à Tver’, de là en Lituanie et à Rome, chez son pape, poussé au mal par le diable, pour sa propre ruine39 ». Les entrées des notices des années concernées sont complétées par le récit d’événements divers, comme il est d’usage dans les annales. On note que le millésime 6949 est particulièrement développé et que 6950 est absent, ce qui entretient la confusion sur le temps passé par Isidore à Moscou : de février 1440 à septembre 1440 ou bien 144140 ?
16Le point le plus intéressant est le récit de l’investiture de Jonas, le 15 décembre 6957/1448. Après la liste des évêques présents, un paragraphe mal rédigé précise que Jonas s’était auparavant rendu à Constantinople « pour amender la métropole » et que le patriarche et tout le Saint-Synode lui avaient donné leur bénédiction pour succéder à Isidore (А преже того, коли въ Царѣградѣ был о исправлении митрополии, и онъ и от святѣишего патриарха и от всего еже о нем священнаго собора благовѣрнаго после Сидора на митрополию)41. Les spécialistes ont proposé diverses façons de compléter ou de corriger la phrase, syntaxiquement inachevée. Sa maladresse laisse supposer une interpolation hâtive, ce que confirme le fait que le voyage de Jonas n’est évoqué nulle part ailleurs. En outre, les deux chroniques ignorent superbement le métropolite Gérasime.
17La compilation de 1479, qui est le premier témoin de l’historiographie officielle des grands-princes de Moscou, présente un effort de clarification et d’approfondissement de la polémique contre l’Union. Certes, les entrées annalistiques de 6939 à 6944 ne nous disent rien sur la succession de Photios. On sait seulement que le métropolite est mort le 2 juillet 6939/143142 et rien n’est dit sur l’investiture de Gérasime par le patriarcat, ni sur un éventuel séjour de Jonas à Constantinople. En revanche, sous l’année 6957/1448, la notice de l’élection de Jonas fait état de ce voyage (sans en donner la date) et de la promesse qui lui aurait été faite d’obtenir la succession d’Isidore ; la phrase qui l’évoque est celle de la compilation de 1472, mais sa syntaxe a été corrigée (от святѣишего патриарха и от всего еже о нем священнаго собора благословенъ последи Сидора на митрополию)43. Par ailleurs, l’entrée de 6945/1437 est beaucoup plus développée que dans les versions précédentes. Elle utilise le Dit extrait des Saintes Écritures et trouve, comme précédemment, son épilogue en 6948/1440 et en 6949/1441. Les notices annalistiques intercalées sont, elles, plus rares. On pourrait considérer qu’elles sont purement circonstancielles, mais elles ne sont visiblement pas choisies au hasard, car chacune a valeur d’avertissement céleste, tandis que se joue le sort de l’orthodoxie russe. À l’automne 1437, naît « le premier fils Jurij » de Vasilij II ; la formule laisse entendre qu’il n’a pas survécu, ce qui fut le cas. Le 22 janvier 1440 naît le futur Ivan III, héritier du trône de Moscou, dont on ne peut ignorer la venue au monde. Le 5 décembre 1437, les troupes de Vasilij II sont mises en déroute par les Tatars du khan Ulug Mehmet « à cause de leur outrecuidance ». Le 3 juillet 1439, le même khan Ulug Mehmet assiège Moscou, désertée par Vasilij II, et pille la région de Kolomna sans rencontrer de résistance44.
18La partie spécifiquement consacrée à Isidore sous l’année 6945 occupe onze feuillets du manuscrit, donnant à l’entrée un volume considérable45. Les premières lignes sont semblables à celles des chroniques de Vologda-Perm’ ou de Nikanor46. Isidore, « qui se croit à lui tout seul plus sage que tous » (мнѣвъ себѣ единого мудрѣиша въ всѣх), multiplie les serments mensongers et se met en route. La suite, tirée du Dit extrait des Saintes Écritures, narre toutes les péripéties liées au concile. Isidore dévoile ses mauvaises intentions dès qu’il a franchi les frontières russes, puisqu’à Jur’ev (actuel Tartu), en territoire livonien, il manifeste une préférence marquée pour le crucifix latin (крыж Латыньскы) et néglige les orthodoxes lorsqu’il est accueilli par les citadins des deux confessions. Cette insulte alarme grandement Abraham de Suzdal’ ainsi que tous les bons orthodoxes de la délégation russe. Le récit passe ensuite directement à Ferrare où toute l’assemblée attendait Isidore, n’osant rien décider sans lui. Le compte rendu des débats insiste sur la splendeur sulfureuse des cérémonies et sur la mauvaise foi du pape et des docteurs latins. Ils bénéficient de l’évidente complicité d’Isidore et de la pusillanimité des Grecs, à l’exception de Marc d’Éphèse. Échaudés par sa vigoureuse défense de l’orthodoxie, les Latins interrompent le concile et achètent en coulisse la plupart des Grecs, mais Marc reste inébranlable. Le concile est alors transféré à Florence, le pape comptant sur la fatigue du voyage pour user ses adversaires. Si Marc résiste jusqu’au bout, déclarant « je ne suis pas venu ici pour l’or, ni pour l’argent, mais pour la Vérité de Dieu », l’Union est adoptée, le 6 juin47. Le décret est solennellement signé par l’empereur byzantin et par la plupart des prélats grecs, à l’exception de Marc d’Éphèse et de quelques autres ; le patriarche Joseph meurt dès le 10 juin et on l’ensevelit en l’église même où s’est tenue l’assemblée48.
19Isidore, couvert d’honneurs, joue un rôle de premier plan dans les célébrations de l’Union, décrites comme un déchaînement de musique instrumentale (« frappant tambours, trompes et orgues, dansant des mains, trépignant des pieds, faisant force jeux qui donnent de la joie aux démons »), une débauche de génuflexions et de cantiques immondes, exécutés par un clergé glabre « cherchant à avoir l’aspect de femmes » et insultant ainsi la ressemblance du Christ ; on note enfin que les chiens sont admis dans les églises latines pendant l’office49. Isidore entreprend alors de rentrer en Russie. Il s’arrête à Budin (Buda) d’où il expédie une épître, datée du 5 mars [1440] « aux pays polonais, lituanien et allemand, ainsi qu’à toute la Rus’ chrétienne orthodoxe ». Il s’agit du premier document diplomatique inséré dans la narration russe du concile de Florence. S’intitulant à la fois archevêque de Kiev et de toute la Rus’ et légat a latere du siège apostolique pour les territoires polonais, lituaniens et allemands, il annonce à tous la restauration de l’Union, célébrée à Florence le 6 juin de l’an de l’Incarnation 1439 ; en conséquence de quoi le baptême des Grecs est reconnu par l’Église romaine, l’intercommunion et l’interconfession sont possibles, les azymes et le pain levé sont également valables50.
20Précédé de son épître et de ses titres ronflants, mais aussi d’une croix processionnelle latine (а пред собою повелеваше носити крыж Латыньскы), Isidore fait une entrée triomphale à Moscou. Il s’empresse de célébrer la messe et de mentionner en premier le nom du pape Eugène. L’office terminé, il fait lire en chaire une épître du souverain pontife à Vasilij II. Ce deuxième document diplomatique est reproduit intégralement, en version slavonne. Si l’original latin est aujourd’hui perdu, les spécialistes considèrent qu’il s’agit d’un acte authentique51. Eugène IV salue chaleureusement « son altesse le prince Vasilij Vasil’evič, grand tsar de Moscou et de toute la Rus’ » (превысокому князю Василью Васильевичю Московскому и всея Руси великому царю) et l’exhorte à être un serviteur zélé de l’Union.
21À la lecture de ce document, le grand-prince ordonne de mettre Isidore aux arrêts, dans l’intention de le faire juger par un tribunal ecclésiastique. Le métropolite n’attend pas de comparaître et s’enfuit comme un voleur, en compagnie de son disciple Grégoire. Aucune précision chronologique n’est donnée ici, tout s’enchaînant très vite (скоро... ни мала времени пождати не стерпѣ... татьством бѣгуется). Vasilij II se garde bien de les poursuivre, trop heureux de se débarrasser de l’infection hérétique dont ils étaient porteurs.
22Le passage concernant Isidore sous l’année 6945 se termine par l’éloge appuyé du souverain qui prend une dimension impériale. Déjà, au début du concile à Ferrare, l’empereur grec, qui lui s’apprête à signer l’Union, vante l’impeccable orthodoxie de « son frère le sire Vasilij Vasil’evič » auquel les tsars de l’Orient obéissent, et que servent de grands princes avec leurs terres, et pourtant, par humilité, il ne se fait pas appeler tsar, mais seulement « grand-prince russe de ses terres d’orthodoxie » (государь великы брат мои Василеи Васильевич, ему же въсточнии царие прислухают и велиции князи съ землями служатъ ему, но смирения ради... не зовется царемъ, но княземъ великым Русскым своих земль православиа)52. Notons au passage que ce titre, purement laudatif, est beaucoup plus proche de celui d’Ivan III à son apogée (государь всея Руси) que des réalités du temps où Vasilij II lutte pour conserver son trône. La péroraison du récit va plus loin encore : la sainte Église de Dieu a été préservée d’un ennemi perfide et malfaisant parce qu’il a été dénoncé par Vasilij Vasil’evič, « tsar de toute la Rus’, instruit par Dieu, très puissant et florissant dans la piété » (обличениемъ Богом вразумляемаго ведикодръжавнаго Васильа Васильевича, въ благочестии цветущаго царя всеа Руси)53. Cette nouvelle étape renforce incontestablement le rôle du grand-prince de Moscou en tant que défenseur de l’orthodoxie et introduit un premier document diplomatique dans le récit. Elle participe du lent processus qui aboutit à instiller l’idée d’un tsar russe et d’une translatio imperii à Moscou. On retient aussi que le Dit extrait des Saintes Écritures, dès sa première insertion dans les chroniques, introduit deux documents diplomatiques, probablement authentiques. Il est probable que ce souci d’apporter des pièces justificatives a suscité la rédaction d’autres documents, beaucoup plus douteux, censés prouver que le bon droit était du côté des Russes dans leur marche vers l’autocéphalie.
23Trois informations proches de l’élection de Jonas montrent comment il assume son rôle, en priant, en bâtissant, mais aussi en soutenant le bras séculier du grand-prince. Pendant l’hiver 1448/1449, lorsque Vasilij II doit déloger Dmitrij Šemjaka qui a trahi son serment de paix et assiège Kostroma, il emmène avec lui non seulement des troupes, mais aussi le métropolite et les évêques. En 1450, Jonas prend l’initiative de construire un nouveau bâtiment dans son palais du Kremlin, se posant en maître des lieux. Enfin, à l’été 1451, alors qu’un raid tatar menace Moscou, le métropolite reste avec les défenseurs de la capitale et la mère du grand-prince, tandis que Vasilij II prend le large. Un violent incendie se déclenche, puis se dissipe et l’on constate alors que l’ennemi a disparu. Vasilij II revient, prévenu par sa mère, et Jonas célèbre un office d’action de grâces et lui donne sa bénédiction54.
24Dès 1500, le rejet russe de l’Union de Florence s’accompagne d’une remise en cause de la légitimité du métropolite Isidore, même si son investiture par le patriarcat de Constantinople est reconnue. Ces éléments vont être repris et approfondis sous Vasilij III et Ivan le Terrible.
Les versions du début du XVIe siècle
25On peut distinguer trois nouvelles étapes, ou trois nouvelles variations, dans le récit du rejet de l’Union. La première date de 1518 et représente une sensibilité parfois un peu critique envers la ligne moscovite. La deuxième et la troisième appartiennent à l’idéologie officielle de l’entourage du grand-prince, puis du premier tsar de Russie, Ivan le Terrible, couronné en 1547.
La compilation de 1518 et les chartes, vraies ou fausses
26Une nouvelle ramification de l’arbre généalogique des chroniques se produit en 1518, selon Lur’e. La compilation en question, dont les deux principaux témoins sont la Chronique de L’vov et la Seconde Chronique de Sainte-Sophie, témoigne d’une certaine indépendance par rapport à l’historiographie officielle moscovite, ce qui ne l’empêche pas de reprendre à son compte en l’enrichissant le récit du concile de Florence et de son rejet, sans pour autant combler toutes les lacunes sur la succession à la chaire métropolitaine55.
27Les rédacteurs montrent aussi un goût prononcé pour les documents. L’annonce de la mort de Photios, datée du 1er juillet 6939, est suivie du texte intégral du testament du métropolite56. Dans ce texte, connu par ailleurs, le prélat ne prend aucune disposition sur sa succession, ce qui est conforme aux usages canoniques, et aucune indication n’est donnée sur les intentions du patriarcat à cette époque. Les entrées suivantes des deux chroniques ignorent totalement Gérasime. Le récit du Слово избрано sur le concile de Florence est placé sous l’année 694657. Par rapport à la version donnée dans les compilations précédentes, on constate quelques corrections et surtout l’apport de nouvelles sources. Le premier document est la bulle d’Union Laetentur caeli, dans une assez bonne traduction en slavon, preuve qu’Isidore avait bien apporté le texte à Moscou58 ; c’est de cette source que vient la phrase sur la division entre les Églises orientale et occidentale que les chroniqueurs russes ont du mal à recopier59. Viennent ensuite deux épîtres déjà connues : celle de Buda, expédiée par Isidore, et celle d’Eugène IV à Vasilij II. La principale innovation survient après l’annonce de la fuite d’Isidore. Le chroniqueur affirme alors que Vasilij II charge un certain Polievkt (Poluekt) More, qui avait déjà été en ambassade à Constantinople avec Jonas, l’évêque de Rjazan’, d’une nouvelle ambassade dans la capitale byzantine et lui confie une lettre dont le texte est reproduit (нарядивъ же посломъ Полуекта Моря, иже былъ посломъ съ Iоною въ Царѣградѣ епископомъ Рязаньскимъ и посла писанiе сице пиша)60. Toutefois, apprenant que l’empereur est allé à Rome et a adopté la foi latine, Vasilij rappelle son ambassadeur et la lettre n’est donc pas remise à son destinataire.
28La mention de l’ambassade passée, avec le nom de l’émissaire, et la lettre elle-même témoignent d’un effort significatif entrepris pour accréditer la thèse de la candidature de Jonas à la métropole sitôt après la mort de Photios. Toutefois, Polievkt More n’est attesté par aucune autre source. En outre, la lettre de Vasilij II est adressée à l’empereur byzantin (царю Греческiй), mais ne précise pas son nom, ce qui est étrange. Il en existe une autre version, adressée au patriarche61. Plusieurs historiens ont pris ce document au sérieux et tenté de le dater, soit de mars-septembre 1441, soit de 1441-1443. Toutefois, il s’agit plus probablement d’une fabrication, comme le pensent Ziegler et Lur’e62. Dans cette pièce, longue et au style ampoulé (4 feuillets complets), le grand-prince annonce son refus de l’Union de Florence. Au cours de l’exposé, il affirme avoir envoyé Jonas à Constantinople, après la mort de Photios, pour qu’il reçoive l’investiture du patriarche (по преставленiи же сего прежепочившаго отца нашего... митрополита Фотѣя... понудихомъ ити къ вамъ отца нашего Iону, епископа Рязаньского... дабы намъ того епископа Iону поставили на митрополiю). Pour une raison qu’il ignore, cette demande n’a pas été satisfaite et c’est Isidore qu’on lui a envoyé comme métropolite ; par humilité le grand-prince l’a « tout juste » accepté (едва едва прiaхомъ его)63. La lettre n’est pas une déclaration de rupture et le grand-prince veut par-dessus tout préserver la communion avec Constantinople (никакоже разлучно отъ васъ имать быти наше православное христiанство до вѣка). Vasilij II a, certes, réuni six évêques pour examiner l’orthodoxie de la bulle d’Union et de l’épître d’Eugène IV, mais il s’en remet à l’avis du patriarcat et souhaite qu’on lui envoie un bon métropolite (избравше кого человѣка добра, мужа духовна, вѣрою православна, да поставить намъ митрополита на Русь). C’est seulement quand il s’avère que l’empereur a renié, lui aussi, l’orthodoxie que le grand-prince demande à ses évêques s’il convient d’investir un nouveau métropolite « chez nous » et reçoit une réponse affirmative (князь же велики повелѣваетъ прежнимъ епископомъ смотрити въ та божественая правила, како достоитъ ли митрополита поставити въ своей землѣ ; они же разсмотрѣвше рекоша : « достоитъ »). Vasilij II choisit alors Jonas et ordonne de l’introniser (Сiй же слышавъ, въскорѣ избравъ на митрополiю Iону... повелѣваетъ сшедшимся архепископомъ и всесвященному собору поставити Iону на митрополiю). Il s’agit donc plus d’une nomination impériale que d’une élection par le collège épiscopal, ce qui n’était pas sans précédent dans l’Empire byzantin.
29Poursuivant sur sa lancée, l’auteur de l’entrée donne un épilogue à l’histoire. Rentré à Rome, Isidore renonce à sa métropole russe, mais fait nommer par le pape son disciple, Grégoire. Pie [II] l’investit et refuse de reconnaître Jonas. Il envoie une épître au roi de Pologne André [Casimir IV, qui avait aussi pour prénom André], lui enjoignant de désavouer Jonas et de reconnaître Grégoire dans les diocèses orthodoxes de son royaume64. Le roi de Pologne propose alors un arrangement à Vasilij II : Jonas étant déjà « très âgé », que Vasilij accepte à Moscou Grégoire et l’Union serait rétablie. Naturellement, Vasilij refuse et Jonas écrit à « ses évêques » (des diocèses sous autorité polonaise) de ne pas accepter Grégoire. On sait par ailleurs que Jonas a envoyé en effet des émissaires tenter de rallier à sa cause les évêques et les fidèles occidentaux de la métropole russe65. Mais le résultat est celui que l’on pouvait prévoir : « dès lors la métropole fut divisée… et il y eut deux métropolites dans la Rus’, l’un à Moscou et l’autre à Kiev » (и оттолѣ раздѣлися митрополia... и оттолѣ сотворишася два митрополита на Руси, единъ на Москвѣ, а вторый въ Кiевѣ)66.
30Au vu des détails déjà fournis, les entrées des années suivantes sont plus succinctes qu’auparavant. La notice de 6948 évoque rapidement le retour d’Isidore, désireux d’unir la foi orthodoxe avec les Latins, mais Dieu ne permet pas qu’un seul loup anéantisse le troupeau innombrable des brebis orthodoxes. La folie d’Isidore est dénoncée, non seulement par Vasilij II, mais aussi par « les évêques de notre pays qui se trouvaient là et par tous ceux qui connaissaient l’orthodoxie » (oтъ сущихъ тогда епископъ земли нашея, и отъ всѣхъ православiа вѣдущихъ). Cette nuance donne une tonalité ecclésiastique, et non exclusivement impériale au rejet de l’Union. Isidore est interné au monastère du Miracle, mais s’enfuit à Tver’, puis chez les Latins. La date de son départ n’est pas donnée et la notice de 6949 commence le 22 septembre, avec le récit de la mort édifiante du prince Dmitrij le Bel, frère de Dmitrij Šemjaka67. Le récit de l’aveuglement de Vasilij II et de sa libération (en 6954-6955) établit, comme précédemment, les services rendus par Jonas à Dmitrij Šemjaka, mais aussi le rôle joué par l’higoumène Tryphon de Saint-Cyrille de Beloozero qui relève Vasilij II de son serment d’abdication68. L’an 6957, la Chronique de L’vov expédie en trois lignes l’intronisation de Jonas, le 15 décembre, suite à un synode épiscopal (собравъ епискупы на Москвѣ), mais sans intervention de Vasilij II et redit que dès lors la métropole fut divisée. La Seconde Chronique de Sainte-Sophie omet purement et simplement de rapporter l’élection de Jonas, mais rapporte, pour la même année que « le métropolite Jonas », a accompagné Vasilij II dans son expédition à Kostroma69. Les constructions entreprises par Jonas au palais métropolitain en 6958 sont rapportées seulement par la Chronique de L’vov70. Enfin, le récit de l’attaque tatare contre Moscou est significativement modifié en faveur de Jonas, doté de l’épithète de saint pour la circonstance. Le métropolite, demeuré dans la capitale, alors que Vasilij II est parti, fait face à l’incendie déclenché par l’ennemi : il célèbre un office et le vent qui rabattait les flammes sur Moscou tombe (святый же Ioна нача пѣти молебны и вѣтръ утише)71. Jonas étant mort en 1461, ce bref passage témoigne des débuts de sa vénération, un processus qui est d’ailleurs lié à la consolidation de l’autocéphalie : l’Église russe a besoin de saints72.
31On connaît une deuxième charte de Vasilij II, qui ne figure pas dans les chroniques, mais en copies légèrement différentes dans deux formulaires de chartes concernant la métropole de Russie. Les éléments internes au document permettraient de le dater de 1451, ou 1451-145373. Cette fois Vasilij II notifie au basileus l’élection de Jonas. Il rappelle que le même Jonas avait été envoyé à Constantinople sitôt après la mort de Photios (1431), mais qu’il aurait été retenu en route on ne sait pourquoi et serait arrivé… en 1437, quand Isidore était déjà élu ! En guise de consolation, le patriarche et le Synode auraient assuré Jonas qu’il succéderait à Isidore en cas de décès de ce dernier, ou d’autre empêchement. L’argument qui paraît décisif pour réfuter l’authenticité de cette pièce est le fait que le testament de Jonas, rédigé précisément entre 1450 et 1453, ne fait aucune allusion à son prétendu voyage à Constantinople et sollicite très humblement la bénédiction du patriarche et du Synode sans faire état d’aucune promesse74.
Les annales moscovites : Chronique de la Résurrection et Chronique de Nikon
32L’historiographie officielle de la fin du règne de Vasilij III et du début du règne d’Ivan le Terrible hésite entre deux directions. La première reste annalistique et ses témoins sont les deux grandes compilations appelées Chronique de la Résurrection (v. 1542-1544) et Chronique de Nikon (v. 1522-1529, avec des prolongations jusqu’en 1567). La deuxième, plus originale, tente pour la première fois de présenter une histoire par règnes dans le Livre des degrés de la généalogie impériale (v. 1560-1563).
33La Chronique de la Résurrection est très fidèle au modèle établi par la compilation grand-princière de 1479. L’essentiel des informations du Слово избрано sur Isidore figure sous l’année 6945, mais le récit s’interrompt après « l’épître de Buda » ; il reprend en 6948 avec le retour d’Isidore à Moscou et la lettre d’Eugène IV à Vasilij II ; et se termine avec la fuite, au début de 6949. Jonas est aux côtés de Šemjaka en 6954-6955, puis intronisé métropolite en 6957. C’est alors qu’on rappelle la bénédiction qu’il avait reçue à Constantinople. Il fait des constructions dans son palais en 6958 et célèbre un office d’actions de grâces après la levée du siège de Moscou en 695975.
34La Chronique de Nikon, qui utilise de très nombreuses sources annalistiques, dont certaines perdues, tente de rétablir un ordre chronologique strict dans la narration, ce qui conduit ses rédacteurs à couper en morceaux les péripéties du voyage d’Isidore au concile de Ferrare-Florence et de son retour et à intercaler des informations supplémentaires sur les raids tatars et les événements de la vie politique, religieuse et architecturale de Novgorod. Le tome Golicyn de la Chronique enluminée d’Ivan le Terrible, qui reprend le texte de la Chronique de Nikon, avec parfois certaines variantes, donne des illustrations très fouillées qui mériteraient une étude détaillée76. On se contentera ici de relever les modifications significatives pour notre propos. Isidore est affublé de l’épithète homérique « le Grec » qui souligne son caractère étranger ; il est caractérisé en 6945 comme « parlant de nombreuses langues et lettré » (многимъ языкомъ сказатель и книженъ). On précise qu’avant de partir pour l’Italie, il célèbre, le 15 septembre 1437/6946 les funérailles de la princesse-nonne Eupraxie, membre de la dynastie moscovite, information absente des autres sources connues77. La route du retour de Florence le fait passer par Buda, mais aussi par Kiev. Vasilij II, découvrant son adhésion à l’Union, le fait d’abord placer sous bonne garde et semble avoir eu l’intention de ne pas le laisser partir, avant de se raviser. Isidore s’enfuit pourtant, le 15 septembre 6951/1442, en compagnie de son disciple Grégoire, mais aussi d’un autre, appelé Athanase78. Le chroniqueur précise que le métropolite fugitif s’en est allé rejoindre le pape à Rome, conduit par un démon (ce que l’enlumineur illustre de façon explicite, LLS.13, p. 403-405) et rédige un vibrant éloge de Vasilij II « très sage tsar de toute la Rus’ » qui est représenté couronné, assis sur un trône en compagnie de son épouse, entouré des Pères de son Église, dans une pose tout à fait impériale79.
35Loin d’être fini, l’exposé se poursuit avec un copieux dossier canonique80, également illustré, dans lequel ont été collationnées des citations de canons des conciles œcuméniques, des épîtres et des gloses de patriarches et métropolites orthodoxes, ainsi qu’une histoire de l’iconoclasme byzantin et du basculement de la papauté dans « l’hérésie latine », dû largement au roi des Francs Karul (Charlemagne). Les tribulations de la papauté et la rupture de la communion avec l’Église grecque font l’objet de plusieurs récits qui se complètent. Le point d’orgue est l’« Histoire de Pierre le Bègue », pape mythique qui aurait permis tout à la fois aux membres du clergé d’avoir sept épouses et autant de concubines qu’ils le souhaitent, autorisé à jouer de l’orgue (ou des instruments81) dans les églises, donné licence à tout un chacun, clerc ou laïc, de se raser la barbe, de manger grands et petits serpents, accepté que les hommes et les femmes aillent aux bains publics ensemble82 ! On trouve là un curieux mélange de critiques précises portant sur les pratiques liturgiques et les mœurs des pays « latins » (où d’ailleurs la question des bains publics fut souvent débattue), ainsi que de pures affabulations.
36Enfin, le dossier se referme sur un texte intitulé « De la Bretagne et du prince des Alamans » (О Вретанiи и о князѣ Алманицкомъ). Ce récit, emprunté au Chronographe russe de la rédaction de 151283, fait état des relations complexes, confessionnelles et politiques, entre la papauté, l’Empire romain d’Occident, l’Empire byzantin iconoclaste et l’île de Bretagne. Les populations de cette dernière ont reçu le baptême sous Constantin le Grand et sont d’une impeccable orthodoxie, mais, pour leur malheur, elles ne disposent pas de livres liturgiques dans leur langue et doivent donc utiliser des livres en latin. Le pape profite de cet ascendant et du désir des Bretons de voir un des leurs recevoir la couronne impériale pour les suborner. Un prince des Alamans (sic) vient à Rome se faire couronner par le pape, rompant ainsi l’ancienne communion avec Constantinople, et dès lors les Bretons ne tardent pas à sombrer dans l’hérésie latine. De son côté, le pape crée « dans les grandes villes romaines84 » ses propres quatre patriarches, à la place de ceux d’Orient, « et on les appelle cardinaux85 ». Le lien avec la polémique sur l’Union de Florence est clair : il a été abondamment question dans le récit du concile des livres que les Latins et les Grecs citent les uns contre les autres et les cardinaux (гординалы) romains sont mentionnés avec d’autant plus d’hostilité que le métropolite de Russie Isidore a été promu par le pape Eugène IV cardinal et légat a latere pour récompense de son uniatisme. Mais on peut aussi se demander si les quatre cardinaux ne sont pas simplement là pour faire pièce aux quatre patriarches d’Orient, à la manière des contes, ou encore s’ils sont quatre comme les points… cardinaux. Une autre association est suggérée par l’iconographie du feuillet qui montre le pape enseignant les Bretons et couronnant leur prince (au bas de l’image), puis un navire se dirigeant vers les îles britanniques et, en vis-à-vis, le peuple breton recevant le baptême au bord de l’eau (section médiane) et, sur sa grande île, l’empereur breton couronné et nimbé face à ses sujets, contemplant un livre ouvert posé sur un autel d’église orthodoxe (en haut de l’image). En effet, cette composition rappelle, mutatis mutandis, l’image de la première ambassade russe en Angleterre, sous le règne d’Ivan le Terrible, telle qu’elle est peinte dans le Tome Synodal de la Chronique enluminée86. En haut de l’image, Ivan le Terrible couronné reçoit son ambassadeur, Osip Nepeja, de retour d’Angleterre, avec un couple de lions et divers autres cadeaux officiels. La section médiane peint un naufrage sur la mer, illustrant les propos de Nepeja qui raconte au tsar que le navire anglais qu’il avait pris a coulé en vue des côtes écossaises et qu’il a été sauvé de justesse. La section inférieure montre Nepeja reçu dans la grande cité de Londres par la reine Marie et son mari, le futur Philippe II d’Espagne. Le rapprochement thématique est facilité par le fait que sur l’image bretonne, censée se rapporter à l’époque carolingienne, comme sur l’image anglaise, les laïcs portent des costumes où l’on reconnaît des éléments caractéristiques de la mode occidentale dans les illustrations du règne d’Ivan le Terrible : culottes bouffantes, pourpoint… Se pourrait-il que l’intérêt pour la Bretagne ancienne et ses problèmes de livres soit dû au fait que les Russes ont entendu parler des querelles entre Henri VIII et le pape et des efforts entrepris en Grande-Bretagne pour traduire les Écritures en anglais ?
Le Livre des degrés de la généalogie impériale
37Le Livre des degrés, comme la Chronique enluminée, a bénéficié d’une attention particulière grâce à l’édition nouvelle dont il a fait l’objet87. Le plan de l’ouvrage, très novateur pour la Russie, consiste à diviser l’exposé en degrés, ou générations, depuis saint Vladimir, jusqu’à Ivan le Terrible. Chaque degré correspond au règne d’un « grand-prince autocrate » (titre octroyé le plus souvent de manière rétroactive), mais prend aussi en considération le ou les métropolites de l’époque, afin de bien démontrer la symphonie entre le temporel et le spirituel. Cet ouvrage est un des terrains où l’on cultive la vénération des métropolites russes, dans le cadre de l’Église devenue autocéphale. Le degré 14, celui du règne de Vasilij II, comprend 19 chapitres ; les affaires politiques sont bien traitées, mais, dès le début ou presque, la question ecclésiastique est très présente.
38Au chapitre 4, le décès de Photios inaugure un « veuvage88 » de l’Église russe, privée d’un véritable pasteur pendant 18 ans (вдовьствуя бяше соборная церкви, превеликии престоль Русьскиа митрополиа, не имущи истиннаго пастыре началника митрополита 18 лѣтъ)89. Le chapitre 7 reprend la substance du Slovo izbrano, mais ajoute un détail important : « un certain Isidore », arrive à Constantinople depuis Rome (sic) et, comprenant qu’il s’offre à lui une occasion favorable avec la mort de Photios, parvient, par on ne sait quelle manœuvre dolosive, à convaincre le patriarche et l’empereur de le faire métropolite de Russie (нѣкто Исидоръ прииде отъ Рима въ Царствующии градъ, и усмотрив си время и увѣда, яко на Руси Фотии митрополитъ къ Богу отъиде. И тако нѣкоимъ богопротивнымъ коварьствомъ увѣща царя и патриарха и поставленъ бысть в митрополиты). Le rédacteur précise un peu plus loin que le patriarche Joseph et l’empereur Jean VIII sont morts peu après la signature de l’Union, du fait du « jugement de Dieu90 ». Le chapitre 9 décrit les tribulations de la guerre dynastique entre Vasilij II et Dmitrij Šemjaka, mais donne le beau rôle à l’évêque de Rjazan’ Jonas « qui fut par la suite métropolite de toute la Rus’ », l’appelant déjà saint. Jonas va chercher les enfants de Vasilij II à Murom et les livre à Šemjaka, mais en se fiant à de fausses promesses ; quand ensuite il est installé au palais métropolitain, il « dénonce sans hésiter la traitrise de Šemjaka » (cвятитель же безъ сумнениа обличаше Шемякино лукавьство) et ne cesse de l’exhorter à réparer ses erreurs. Finalement, le prince usurpateur Dmitrij se repent et demande pardon à sa victime qui s’humilie également. L’évasion de Vasilij II est présentée à la fois comme la récompense de sa patience, semblable à celle de Job, et comme une évidence : « comment était-il possible à si puissant sire d’être reclus en si lointain désert ?91 ». Le chapitre 11 relate l’élection de Jonas, à l’initiative de Vasilij II qui, « voyant le très haut trône de la métropole russe dépourvu de pasteur, convoque les archevêques et les évêques de son pays russe et tout le saint synode » (видя превеликии престолъ Русьскиа митрополиа не имущи пастыря, и съзва архиепископы и епископы земли своея Русьскиа и весь священныи съборъ). Par la grâce de l’Esprit-Saint, Jonas est élu et manifeste ensuite ses dons de thaumaturge. La phrase suivante rapporte la chute de Constantinople où le pape avait installé auparavant un patriarche latin. Le lien de cause à effet paraît évident, même si les Constantinopolitains ont chassé ce patriarche renégat92. Le chapitre 15 clôt le règne de Vasilij II proprement dit en contant son trépas.
39Les quatre chapitres restants du degré 14 permettent un retour sur les affaires religieuses et sur les fins dernières. Le chapitre 16 est une Vie de Photios. Il y est dit une première fois que le métropolite grec, visitant le monastère de Simonovo à Moscou, et tombant sur Jonas qui s’était assoupi en plein exercice ascétique et semblait, en dormant, faire un geste de bénédiction, avait prédit que ce moine serait un grand évêque du pays russe93. Le chapitre 17 raconte le trépas merveilleux de Dmitrij le Bel et le chapitre 18 la chute tragique de Constantinople. Enfin, le chapitre 19 est une Vie de Jonas qui récapitule tous les événements de son existence et donne une longue liste de ses miracles posthumes. Pour la première fois, les péripéties, réelles ou supposées, sont dans l’ordre chronologique : la prophétie de Photios est rappelée, suivie de l’ordination épiscopale à Rjazan’ et du voyage à Constantinople. Dans « la sixième année » après le trépas de Photios (по преставлении же пресвященнаго Фотиа, митрополита всея Русии, в шестое лѣто), Vasilij II, mû par un zèle divin, convoque les évêques russes qui, après mûre réflexion, désignent unanimement Jonas qui est envoyé dans la capitale impériale. Mais Isidore, venu de Rome, parvient à le devancer et « a l’audace d’usurper l’ordination patriarcale » (дерзну въсхитити поставление отъ патриарха). Ainsi, l’élection d’Isidore est placée approximativement à sa juste date (1436/1437), sans que l’on sache exactement pourquoi l’on a attendu six ou sept ans94 après la mort de Photios (et sans que l’on évoque Gérasime, grand absent des sources moscovites). La suite est conforme au scénario déjà écrit : Isidore se rend en Italie et souscrit à l’Union, puis est désavoué. Jonas remet, en toute bonne foi, les enfants de Vasilij II à Šemjaka, puis dénonce l’injustice commise et arrange un compromis. Vasilij II reprend bientôt le pouvoir et se préoccupe de mettre fin au veuvage de la métropole. C’est ainsi qu’un synode de l’Église russe élit Jonas le 15 décembre 6956 (sic), conformément à la prophétie de Photios et à la désignation dont il avait déjà fait l’objet après la mort de ce dernier. Bientôt, cependant, Jonas doit faire face à la sécession des diocèses lituaniens, fomentée par Grégoire, le disciple d’Isidore. Le Livre des degrés reproduit, sans date, une épître adressée par Jonas aux évêques de ces diocèses, leur enjoignant de lui rester fidèles95.
40Les Russes ont produit un récit du rejet de l’Union de Florence qui énonce clairement leur position, même s’il n’est pas tout à fait cohérent quand on compare dans les chroniques les entrées des années 6939 à 6959 et le récit plus complet, emprunté au Slovo izbrano, qui est inséré, à partir de 1472, sous l’année 6945 ou 6946. Après la mort de Photios, en 1431, Isidore a bien été choisi comme métropolite de Russie par le patriarcat de Constantinople et reçu comme tel à Moscou, mais il était dès le début un renégat de l’orthodoxie et son investiture était entachée d’irrégularité. Il s’est rendu au « huitième concile » et a œuvré en faveur de l’Union, signée à Florence en 1439, au grand scandale de sa propre délégation. À son retour à Moscou, désavoué par le grand-prince Vasilij II et par son clergé, il n’a pas tardé à fuir. L’évêque de Rjazan’ Jonas a été élu localement métropolite en décembre 1448, à l’instigation de Vasilij II et par un synode épiscopal restreint. Il avait déjà été pressenti pour cette fonction à la mort de Photios, mais Isidore l’avait devancé par fraude. Dans cette construction, un rôle particulier est dévolu à l’autocrate moscovite, défenseur inébranlable de l’orthodoxie. Le grand-prince de Moscou y gagne une stature impériale qui est confirmée par la chute de Constantinople, mais ne se concrétise qu’avec le couronnement impérial d’Ivan le Terrible, en 1547. Pendant ce temps, la métropole russe demeure dans une situation juridique précaire. Un ecclésiastique russe très renommé, l’higoumène Paphnuce de Borovsk († 1477), « interdit » qu’on donne à Jonas son titre de métropolite devant lui (сказали Ионе, что Пафнутий его не велит звати митропалитом)96, ce qui ne l’empêche pas d’être proclamé saint en 1547. Vers 1522, Maxime le Grec vitupère contre ceux qui contestent l’ordination métropolitaine reçue du patriarcat de Constantinople, au motif que Tsargrad est tombée aux mains des Turcs, ajoutant « c’est le sacerdoce qui oint, couronne et affermit l’empereur et non l’empire le sacerdoce » (святительство и царя мажет и венчает и утвержает, а не царство святителей). Cette position lui a certainement valu l’animosité du métropolite Daniel, élu à Moscou en 1522, et qui sera à l’origine des procès intentés en hérésie contre Maxime97. Pourtant, Ivan le Terrible recherche la reconnaissance de son couronnement par le patriarcat œcuménique et quand il l’obtient (en août 1561), il se fait dire que le métropolite Macaire n’aurait pas dû conduire cette cérémonie de sa propre autorité98. Il faut attendre qu’un autre patriarche consente à l’érection du patriarcat russe, en 1589, pour que l’autocéphalie russe soit véritablement acquise.
Bibliographie
AI 1 = Акты исторические, собранные и изданные Археографическою Комиссиею, 1, Saint-Pétersbourg, 1841.
Arrignon 1974 = J.-P. Arrignon, Les Russes au Concile de Ferrare-Florence, dans Irénikon, 47-2, 1974, p. 188-208.
Berežkov 1963 = N.G. Berežkov [Н.Г. Бережков], Хронология русского летописания, Moscou, 1963.
Bobrov 2001 = A.G. Bobrov [А.Г. Бобров], Новгородские летописи XV века, Saint-Pétersbourg, 2001.
Čerepnin 1964 = L.V. Čerepnin [Л.В. Черепнин], К вопросу о русских источниках по Флорентийской унии, dans Средние века, 25, 1964, p. 176-187.
Conciles œcuméniques 2/1 = Les conciles œcuméniques. Les Décrets, II-1 : De Nicée I à Latran V, Paris, 1994.
DDG = Духовные и договорные грамоты великих и удельных князей XIV-XVI вв., Л.В. Черепнин (éd.), Moscou-Léningrad, 1950.
Fonkič 1977 = B.L. Fonkič [Б. Л. Фонкич], Греческо-русские культурные связи в XV-XVII вв., Moscou, 1977.
Garzaniti 1987 = M. Garzaniti, La politica ecclesiastica della Chiesa russa fra il XV et il XVI secolo: commento al rito di elezione ed ordinazione dei vescovi, dans Studi e ricerche sull’ Oriente Cristiano, 10-1, 1987, p. 3-18.
Garzaniti 2004 = M. Garzaniti, Il decreto d’Unione del Concilio di Ferrara-Firenze e la sua versione slava, dans Oriente e Occidente a San Marco, da Cosimo il Vecchio a Giorgio La Pira: alla riscoperta della collezione di icone russe dei Lorena, Florence, 2004, p. 35-40.
Gonneau 2007 = P. Gonneau, À l’aube de la Russie moscovite : Serge de Radonège et André Roublev : légendes et images (XIVe-XVIIe siècles), Paris, 2007 (Bibliothèque russe de l’Institut d’études slaves, 114).
Getcha 2010 = J. Getcha, La réforme liturgique du métropolite Cyprien de Kiev : l’introduction du typikon sabaïte dans l’office divin, Paris, 2010.
Heppel 1979 = M. Heppel, The ecclesiastical career of Gregory Camblak, Londres, 1979.
Iosif Volockij 1959 = Иосиф Волоцкий, Послания Иосифа Волоцкого, А.А. Зимин, Я.С. Лурье (éd.), Moscou-Léningrad, 1959.
Ivanov 1969 = A.I. Ivanov [А.И. Иванов], Литературное наследие Максима Грека: характеристика, атрибуции, библиография, Léningrad, 1969.
Kloss 1998 = B.M. Kloss [Б.М. Клосс], Житие Сергия Радонежского, Moscou, 1998.
Krajcar 1976 = J. Krajcar, Acta slavica Concilii florentini : narrationes et documenta, Rome, 1976 (Concilium florentinum : documenta et scriptores, 11).
Lenhoff – Kleimola 2011 = The Book of Royal Degrees and the Genesis of Russian Historical Consciousness/Степенная книга царского родословия и генесис русского исторического сознания, G. Lenhoff, A. Kleimola (éd.), Bloomington, 2011.
LLS = Лицевой летописный свод XVI века. Русская летописная история, 24 t., Moscou, 2013-2014.
Lur’e 1994 = Ja.S. Lur’e [Я.С. Лурье], Две истории Руси XV века. Ранние и поздние, независимые и официальные летописи об образовании Московского государства = L’État moscovite au XVe siècle : deux visions de l’histoire à travers les chroniques russes, Paris, Saint-Pétersbourg, 1994.
Lur’e 1976 = Ja.S. Lur’e [Я.С. Лурье], Общерусские летописи XIV-XV вв., Leningrad, 1976.
Meyendorff 1981 = J. Meyendorff, Byzantium and the rise of Russia: A study of Byzantino-Russian relations in the XIVth Century, Cambridge, 1981.
NPL = Новгородская первая летопись старшего и младшего изводов, А.Н. Насонов (éd.), Moscou-Leningrad, 1950.
Pavlov 1878 = A. Pavlov [А. Павлов], Критические опыты по истории древней грекорусской полемики против Латинян, Saint-Pétersbourg, 1878.
PLDR 4 = Памятники литературы Древнуй Руси. 4. XIV-середина XV века, Moscou, 1981.
Proxorov 1978 = G.M. Proxorov [Г.М. Прохоров], Повесть о Митяе : Русь и Византия в эпоху Куликовской битвы, Léningrad, 1978.
Pskovskie let. = Псковские летописи, 2 t., Moscou, 1941-1955.
PSRL = Полное собрание русских летописей, Saint-Pétersbourg-Moscou-Léningrad, 1846-2012.
RFA = Русский феодальный архив XIV – первой трети XVI века, 4 fasc., Moscou, 1986-1992.
RIB 6 = Русская историческая библиотека, издаваемая Археографическою Комиссиею, 6, Saint-Pétersbourg, 1880.
Sinicyna 1990 = N.V. Sinicyna [Н.В. Синицина], Автокефалия Русской церкви и учреждение Московского патприархата (1448-1589), dans Церковь, общество и государство в феодальной России, А.И. Клибанов (éd.), Moscou, 1990, p. 128-151.
SKKDR = Словарь книжников и книжности Древней Руси, 3 t., Leningrad-Saint-Pétersbourg, 1987-2014.
Sobornaja gramota 1850 = Соборная грамота духовенства Православной Восточной Церкви, утверждающая сан царя за великим князем Иоанном IV Васильевичем, 1561 года, М.А. Оболенский (éd.), Moscou, 1850.
StK = The book of degrees of the royal genealogy: A critical edition based on the oldest known manuscripts = Степенная книга царского родословия по древнейшим спискам, G.D. Lenhoff, N.N. Pokrovskij (éd.), Moscou, 2007-2012, 3 vol.
Teiro 2009 = É. Teiro, L’Église des premiers saints métropolites russes, Paris, 2009 (Bibliothèque russe de l’Institut d’études slaves, 119).
Uspenskij 1998 = B.A. Uspenskij [Б.А. Успенский], Царь и патриарх: харизма власти в России (Византийская модель и ее русское переосмысление), Moscou, 1998.
Vodoff 2003 = V. Vodoff, Gérasime était-il métropolite de « toute la Rus’ » ou seulement de sa partie lituanienne ? À propos d’une tache blanche dans l’histoire russe du XVe siècle, dans Christianisme, pouvoir et société chez les Slaves orientaux (Xe-XVIIe siècles) : autour du mythe de la Sainte Russie, Paris, 2003, p. 173-180.
Ziegler 1938 = A. Ziegler, Die Union des Konzils von Florenz in der russischen Kirche, Wurtzburg, 1938.
Notes de bas de page
1 Les historiens l’appellent Isidore de Kiev (où il ne séjourna guère), Isidore Monemvastès, ou de Monembasie, Isidore de Thessalonique, ce qui engendre parfois des confusions.
2 Comme on le verra, les chroniques datent le retour d’Isidore de 6948, « le troisième dimanche de Carême ». En 1440, le carême débute le 9 février et Pâques tombe le 27 mars. Le troisième dimanche de Carême est le 27 février. Lur’e 1994, p. 107, date ce retour de septembre 1440. Comme Isidore s’enfuit de Moscou le 15 septembre 1441, il y passe au moins un an, ou un an et sept mois.
3 Dès le XIVe siècle, les trois derniers diocèses doivent faire face à l’expansion du catholicisme sur leur territoire.
4 Sur la réforme liturgique qu’entreprendra Cyprien, Getcha 2010.
5 Proxorov 1978 ; Meyendorff 1981, p. 211-232 ; Gonneau 2007, p. 151-153, 222-225.
6 Proxorov 1978, p. 193-204 ; Meyendorff, 1981, p. 292-299 ; Gonneau 2007, p. 238-249 : lettres de Cyprien racontant ses tribulations entre juin 1378 et 1382 ou 1383.
7 DDG, n° 22, p. 60.
8 Heppell 1979 ; SKKDR 2.1, p. 175-180. Grégoire était probablement le neveu du métropolite Cyprien.
9 Lur’e 1994, p. 93-107.
10 Vodoff 2003, p. 173-180.
11 NPL, p. 417, sous l’année 6942.
12 В лѣто 6942... Герасимъ владыка, на осень, приеха из Царграда отъ патриярха поставленъ митрополитомъ на Рускую землю, и приеха в Смоленскъ. А на Москву не поѣха, зане князи руския воюются и сѣкутся о княжении великомъ на Рускои земли... 6943... князь великии Свитригаило выня грамоты переветныя оу митрополита Герасима, и окова его желѣзы, и повелѣ его огнем сожещи, месяца июля въ 30 день, Première chronique de Pskov, in Pskovskie let. 1, p.41-43. La Deuxième chronique de Pskov donne à peu près le même récit, mais date l’exécution du 26 juillet : и спровади в Видбескъ и, державъ на крѣпости 4 месяци, сожже огнем июля 26 за толику виноу, что перевѣт на него дръжал къ князю Жигимонту, Pskovskie let. 2, p. 43, 45. La Troisième chronique de Pskov date l’exécution du 28 juin et avoue ne pas bien en comprendre les raisons : а то ведает самъ Христос промежи ими о том, ibid., p. 131.
13 Приятъ бысть честнѣ, PSRL 23, p. 149. Extrait de la Chronique d’Ermolin, source indépendante de l’historiographie officielle moscovite. Les chroniques de Novgorod, les compilations panrusses et moscovites le confirment, cf. infra.
14 DDG, n° 37, p. 105. Dans cette édition de référence, le document est daté v. 1439. Or, Isidore est alors à Florence. Les allusions faites dans le texte à un conflit avec le « tsar » tatare (p. 106) permettent d’établir que le traité est postérieur à la bataille de Belevo, datant de décembre 1437. Il a donc été conclu après le retour d’Isidore du concile de Florence et avant son départ définitif, Lur’e 1994, p. 105-106.
15 Lur’e 1994, p. 107 ; Fonkič 1977, p. 12-15, 23.
16 Il existe un récit complet de l’événement, présent dans la plupart des chroniques moscovites ou proches de Moscou de la seconde moitié du XVe siècle et publié dans sa version la plus ancienne dans PLDR 4, p. 504-521. Des chroniques non officielles rapportent aussi l’arrestation de manière plus brève, mais en donnant des détails plus précis sur les coupables : Chronique d’Ermolin PSRL 23, p. 152 ; Chronique de L’vov, PSRL 20, p. 259 ; Compilation abrégée, PSRL 27, p. 347.
17 PSRL 26, p. 203.
18 PSRL 25, p. 266-268 ; également dans PSRL 26, p. 204-205 ; PSRL 27, p. 112-113 ; PSRL 6, p. 175-176 ; PSRL 18, p. 199-200 ; PSRL 8, p. 117-118 ; PSRL 12, p. 69-71.
19 Ibid.
20 PSRL 6, p. 176 ; version abrégée, mais mentionnant Tryphon, PSRL 20.1, p. 260.
21 PSRL 23, p. 153-154.
22 AI 1, n° 40.
23 PSRL 23, p. 154.
24 Ephrem de Rostov, Abraham de Suzdal’, Barlaam de Kolomna, Pitirim de Perm’ dans PSRL 26, p. 208 ; PSRL 27, p. 115 ; PSRL 25, p. 270 (qui omet l’évêque de Suzdal’). La Seconde Chronique de Sainte-Sophie ajoute Job de Saraj, PSRL 6, p. 161. Sur les lettres de consentement, voir Teiro 2009, p. 184-185. Au demeurant, ni les chroniques de Novgorod, ni celles de Pskov, ni celles de Tver’ ne rapportent l’élection de 1448, Lur’e 1994, p. 108.
25 Teiro 2009, p. 153-159 qui conteste sur ce point Uspenskij 1998, p. 48, 81.
26 RFA, p. 650-651.
27 Teiro 2009, p. 157.
28 Lur’e 1994, p. 107. A. G. Bobrov doute de l’existence de la « compilation panrusse de 1448 » que postulait Lur’e, mais date les dernières rédactions de la Première chronique de Novgorod de 1448 et observe que l’on cesse d’ajouter des entrées annalistiques à la Quatrième chronique en 1447, Bobrov 2001, p. 77, 218.
29 Berežkov tente de concilier les dates en style de mars (et parfois d’ultra-mars) de la Première chronique de Novgorod avec les dates en style de septembre des chroniques panrusses ou moscovites. Il note aussi que le récit novgorodien ramasse sous une seule année l’arrivée d’Isidore à Moscou et sa fuite à Tver’ et en Lituanie, qui sont ailleurs décrites sous deux millésimes. L’an 6950, ou 1441/1442, serait celui de la fuite et l’on y aurait réuni le compte rendu de l’arrivée à Moscou, d’une année antérieure. Il n’en reste pas moins que la durée du séjour d’Isidore à Moscou n’est jamais très précise, comme on pourra le voir. Berežkov 1963, p. 305 et 346, n. 64.
30 NPL, p. 421-422 ; PSRL 4.1, p. 437.
31 Publications : Pavlov 1878, p. 198-210 ; Krajcar 1976, p. 47-76 avec traduction latine. Traduction française : Arrignon 1974, p. 188-208.
32 Lur’e, 1994, p. 107 ; Čerepnin, 1964, p. 176-187. SKKDR, t.2.2, p. 334-336 (art. Siméon de Suzdal’) ne précise pas combien de manuscrits de cette version existent, ni leur datation.
33 SKKDR 2.2, p. 486. On connaît 22 copies de ce texte.
34 SKKDR 2.2, p. 401-403 ; Krajcar 1976, p. 77-104.
35 Kloss 1998, p. 168-169, publication du récit p. 432-439. L’épisode mentionne bien la fuite d’Isidore, mais ne fait aucune allusion à l’élection de Jonas.
36 Lur’e 1976, p. 256 (schéma).
37 PSRL 26, p. 192 ; 27, p. 106. En 1437, Pâques tombe le 31 mars.
38 PSRL 26, p. 194 ; 27, p. 107.
39 PSRL 26, p. 194 ; PSRL 27, p. 107.
40 Berežkov 1963, p. 346 semble pencher pour 1441.
41 PSRL 26, p. 208 ; PSRL 27, p. 115 ; Lur’e 1994, p. 97.
42 PSRL 25, p. 248.
43 PSRL 25, p. 270.
44 PSRL 25, p. 260.
45 PSRL 25, p. 253-260, f. 352v à 362v.
46 PSRL 25, p. 253.
47 Selon les copies, la date est 6945 (puisque le récit a commencé en 1437), ou 6946, ou 6948. En réalité, la bulle Laetentur caeli date du 5 juillet 1439, publiée in Conciles œcuméniques, 2/1, p. 1072-1083.
48 La tombe de Joseph est en effet à Santa Maria Novella.
49 Ударяют в бубны, в трубы же и въ арганы, руками плящуще и ногами топчуще и многыя игры дѣюще, ими же бесом радость бывает... папа их клечит на колѣну свою... вси, падающу на колѣну свою клячат до скончаниа богомерьзкаго пѣниа их... сии же к тому еще, яко наругахуся образу Господню, учители их церковнии служителие, постризаютъ брады и усы своя, ревнующи женьскому зрѣнию… A идеже служат и приобщаются, ту и пси их с ними ходять, PSRL 25, p. 257.
50 Исидоръ, милостью Божьею преосвященный архиепископъ Кыевскы и всея Руси, легатосъ от ребра апостольскаго седалища Лятскаго и Литовского и Немецкого, PSRL 25, p. 258. On remarque là aussi une syntaxe boiteuse dans un passage crucial de la phrase « Réjouissez-vous et soyez tous dans l’allégresse à présent, car [l’Église romaine] et l’Église d’Orient qui ont été si longtemps divisées et hostiles l’une envers l’autre, se sont à présent réunies en une union véritable » (Възрадуитеся и възвеселитеся вси нынѣ, яко [omission ?] и церковь въсточнаа, колико бо время раздѣлени быша и едина къ единѣи враждебны, а нынѣ истинным соединениемъ съединишася).
51 PSRL 25, p. 259. Elle a été retraduite en latin, Krajcar 1976, p. 138-139.
52 PSRL 25, p. 254.
53 PSRL 25, p. 260.
54 PSRL 25, p. 270-272.
55 SKKDR 2.2, p. 44-45, 60-61.
56 PSRL 6, p. 144-148 ; 20.1, p. 234-238.
57 PSRL 6, p. 151-169 ; 20.1, p. 241-256.
58 La traduction a été élaborée à Florence, où un exemplaire du texte slavon est conservé à la Biblioteca Laurenziana : Garzaniti 2004, p. 35-40.
59 PSRL 6, p. 156-158 ; 20.1., p. 247-249, sublatus est enim de medio paries, qui occidentalem orientalemque dividebat ecclesiam (Conciles œcuméniques 2/1, p. 1074). Plus loin, dans l’épître d’Isidore, la version de la Chronique de L’vov trébuche encore, яко церковь въсточнаа, колико время раздѣлени быша (PSRL 20.1, p. 249), alors que la Seconde Chronique de Sainte-Sophie donne une phrase correcte : яко церковь въсточнаа и западная, колико время раздѣлени быша, PSRL 6, p. 159.
60 PSRL 6, p. 162 ; 20.1, p. 251.
61 PSRL 6, p. 162-167 ; PSRL 20.1, p. 251-254 ; AI, 1, n° 39, p. 71-75 et RIB 6, n° 62, col. 524-536.
62 Sinicyna 1990, p. 128 ; Ziegler 1938, p. 104-107 ; Lur’e 1994, p. 101-102.
63 PSRL 6, p. 164 ; PSRL 20.1, p. 252-253.
64 PSRL 6, p. 167-169, datée de 6966 ; version latine, p. 319-320, datée de 1458 ; PSRL 20.1, p. 254-255.
65 En 1458, Cassien, higoumène de Saint-Cyrille de Beloozero, et Bassien, higoumène de la Trinité Saint-Serge, effectuent une mission auprès des « boyards et des pans » lituaniens ; l’année suivante, Bassien va jusqu’à Kiev, où il est bien reçu par le prince Aleksandr, petit-fils du grand-duc Ol’gerd, mais de confession orthodoxe, RIB 6, n° 80, 86, 88 ; PSRL 4 (éd. 1848), p. 148 ; 18, p. 214 ; 23, p. 156.
66 PSRL 6, p. 169 ; 20.1, p. 256. La question de l’ordination des évêques devient dès lors centrale, et le rituel russe se verra augmenté peu à peu de formules de renonciation à Grégoire Camblak, à Isidore, puis aux métropolites investis en Lituanie, Garzaniti 1987, p. 3-18.
67 PSRL 6, p. 169-170 ; 20.1, p. 256.
68 PSRL 6, p. 175-176. La Chronique de L’vov donne un récit plus ramassé, mais plus sinistre encore : Jonas va chercher les enfants de Vasilij II à Murom et empêche de justesse Šemjaka de les faire noyer dans la Volga, PSRL 20.1, p. 260.
69 PSRL 20.1, p. 261 ; 6, p. 178.
70 PSRL 20.1, p. 261.
71 PSRL 6, p. 179 ; 20.1, p. 262.
72 Jonas figure dans la liste des nouveaux saints reconnus au synode de l’Église russe en 1547, Teiro, 2009, p. 222-224.
73 RIB 6, n° 71, col. 575-586 ; Lur’e 1994, p. 102.
74 Lur’e 1994, p. 102-103.
75 PSRL 8, p. 100-106, 108-109, 117-119, 121-124.
76 PSRL 12, p. 23-61. Dans l’édition fac-similé de la Chronique enluminée : LLS 13. Le tome Golicyn est aussi appelé Chronique impériale (Царственный летописец).
77 PSRL 12, p. 23-24.
78 PSRL 12, p. 39, 41-42.
79 LLS.13, p. 406.
80 123 pages dans le tome Golicyn, 18 pages imprimées dans l’édition de la Chronique de Nikon.
81 Арганы. Le terme арган/орган peut désigner un instrument de musique, sans plus de précision.
82 LLS 13, p. 523-524.
83 PSRL 22.1, p. 327.
84 I.-e. de rite romain.
85 LLS 13, p. 529.
86 Comparer LLS 13, p. 525 et LLS 22, p. 433.
87 StK ; Lenhoff – Kleimola 2011.
88 L’expression est déjà employée par Jonas, dans l’une de ses premières épîtres après son élection à la chaire métropolitaine, AI 1, n° 43, p. 86.
89 StK 2, p. 131.
90 StK 2, p. 134-136.
91 StK 2, p. 141-142.
92 StK 2, p. 145-146.
93 StK 2, p. 160.
94 Le calcul est rappelé : la métropole russe a été veuve 18 ans, car pendant sept ans après la mort de Photios il n’y a pas eu de métropolite, puis Isidore a passé 3 ans en pays latin, est demeuré peu de temps à Moscou en détention et s’est enfui. StK 2, p. 199.
95 StK 2, p. 199-200.
96 Attesté dans l’épître de Joseph de Volokolamsk à Ivan Ivanovič Tret’jakov, été 1509-fin 1511/début 1512, Iosif Volockij, 1959, p. 191.
97 Ivanov, 1969, n° 225, p. 154 ; Garzaniti, 1987, p. 17. Je remercie Marcello Garzaniti pour toutes les suggestions qu’il m’a faites à propos de ce chapitre.
98 Sobornaja gramota 1850, p. 11-12 (texte grec), 18 (traduction slavonne).
Auteur
Sorbonne Université, EPHE, PSL
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002