Introduction à la troisième partie
p. 175-179
Texte intégral
1Avec l’an Mil environ commence pour Sainte-Marie-Majeure une nouvelle période de son histoire millénaire qui se terminera avec le départ des papes pour Avignon. Nous la désignons par le terme commode de Moyen Âge central.
2Le début de ce Moyen Âge est marqué pour la basilique par un changement des sources mises en œuvre. Pour le Haut Moyen Âge, le livre que nous avons le plus fréquemment cité est le Liber Pontificalis. Ses biographies papales sont une mine de renseignements inestimable, sur l’activité des papes évidemment, mais aussi sur Rome, ses églises, et quelquefois sur l’histoire générale telle qu’on l’apercevait depuis la Ville Éternelle. Ce livre continuera à nous renseigner sur le Moyen Âge central, mais ses informations se font plus rares et changent de nature. En effet, elles ne se basent plus sur les registres de l’administration pontificale et ressemblent toujours plus aux chroniques municipales de leur temps. Mais surtout le livre des papes cède une place toujours grandissante à d’autres documents, plus proches de la basilique par leur origine, bientôt provenant de la basilique elle-même et nous renseignant sur sa vie et ses hommes.
3Nous avons aussi utilisé des livres liturgiques romains, Ordines, sacramentaires, livres de l’office, pour décrire la vie cultuelle de la basilique dans le réseau des églises et dans la vie religieuse de la Ville. Mais jusqu’à présent, d’aucun de ces livres, même quand il a été utilisé dans la basilique, nous n’avons pu dire qu’il avait été écrit pour elle. La seule exception, mais celle-là est de taille, est l’Ordo Romanus I, qui décrit la messe du pape à Sainte-Marie-Majeure le jour de Pâques. Dorénavant, le fonds des manuscrits encore existants, qui proviennent de Sainte-Marie-Majeure et dont plusieurs ont été écrits pour elle, nous fournit une documentation directe sur sa vie, non seulement liturgique, mais encore culturelle, voire institutionnelle.
4Ce changement des sources s’accompagne à son tour d’un changement dans les faits qui concernent l’Église romaine en général et la basilique Esquiline en particulier. Autour de l’an Mil avait été pape Silvestre II (999-1003) qui avait la réputation d’être un des hommes les plus savants de son temps. Mais il était une exception, car avant et après lui le gouvernement de l’Église et ses biens étaient pratiquement aux mains de deux familles, les Théophylactes et la maison de Tusculum, qui fournissaient les papes pour ainsi dire de père en fils et dont les préoccupations étaient souvent de caractère plus temporel que spirituel. Même eux cependant ne s’étaient pas désintéressés des besoins pastoraux du peuple dont ils avaient la charge. Ils furent en contact avec les grands abbés de Cluny Odon (926-942), Maïeul (942-994), Odilon (994-1049) et reçurent d’eux l’idée de la réforme ecclésiastique. Ils chargèrent Odon de la promouvoir à Saint-Paul h.l.m., à Sainte-Marie sur l’Aventin, à Saint-Laurent et Sainte-Agnès h.l.m., à Subiaco, à Sant’Elia de Nepi. S. Maïeul continua l’œuvre de son prédécesseur, mais les premiers fruits de la réforme furent cueillis par Odilon, au témoignage des Consuetudines Farfenses.
5Grâce au monachisme, fit aussi son chemin l’idée de la réforme de l’Église romaine elle-même. L’avènement de Grégoire VI (1045-1046) avait été salué par Pierre Damien et les Clunisiens français comme le signal de cette réforme au plus haut niveau ecclésiastique. Pour qu’elle devînt effective, il avait cependant manqué à ce pape l’aval de l’empereur germanique. Depuis les Ottons, les papes s’étaient habitués au protectorat et aux interventions germaniques. Vint même le temps où ils ne furent plus élus par les Romains, mais désignés par l’empereur, non plus dans le clergé de Rome, mais parmi les évêques germaniques. C’est de cette période qu’a été dit : Concessum est germanicis regimen Ecclesiae Ces papes étrangers furent les plus grands promoteurs de la réforme ecclésiastique à tous les niveaux. Leur origine explique peut-être aussi leur désintérêt pour Sainte-Marie-Majeure.
6Mais cette circonstance n’explique pas tout ; d’autres changements interviennent, en effet, à partir du xiie siècle dans la vie des papes et leur gouvernement de l’Église et de la Ville. La tutelle qu’ils exerçaient sur celle-ci depuis la fin de l’Antiquité fut ressentie de manière de plus en plus pesante, alors que le mouvement communal prenait de l’extension dans la péninsule. Aussi l’aristocratie romaine aspirait à une gestion autonome des affaires temporelles de la Ville. Il en résulta une tension périodiquement révélée par des crises, prenant la forme de schismes, à l’occasion des élections pontificales et forçant les papes à chercher refuge hors de Rome. En conséquence, dès le milieu du xie siècle l’élection des papes fut réservée au collège des cardinaux et vers le milieu du siècle suivant la Ville acquit une autorité autonome avec l’institution d’un Sénat et l’installation d’un patrice.
7Le fossé se creusa encore plus entre les institutions communales et les nouvelles exigences ecclésiales à dimension européenne, lorsque l’engagement croissant des pontifes dans le gouvernement de l’Église universelle les amena dès le début du xiiie siècle1 à restructurer l’administration de l’Église romaine sur le modèle des cours princières et des grands ordres religieux. Parmi ces derniers, la centralisation clunisienne offrait alors un exemple réussi, bientôt imité par l’ordre cistercien. Ainsi naquit la Curie romaine. La féodalisation de l’ancien patrimoine de S. Pierre imposait de manière aigüe une autre nécessité : trouver des ressources nouvelles pour remplacer les anciennes défaillantes. Ce fut le début de la fiscalité pontificale que la papauté d’Avignon porta à son apogée.
8Bien plus, les papes ne se contentèrent pas d’envoyer des légats quêter des subsides, enquêter au loin et y résoudre les problèmes, ils se déplacèrent eux-mêmes, soit contraints par les schismes, soit appelés par les urgences de leur sollicitude élargie2. Ces différents facteurs expliquent qu’ils aient séjourné souvent en dehors de leur ville épiscopale. On a calculé qu’au xiie siècle Pascal II (1099-1118) passa à Rome moins du tiers de son pontificat, Innocent II (1130-1143) la moitié, Eugène III (1145-1153) moins d’un cinquième, Hadrien IV (1154-1159) de nouveau la moitié, et Alexandre III (1159-1181) un septième3.
9Avec des intermèdes de tranquillité et des accords précaires, la situation ne s’améliora pas au xiiie siècle. Un des motifs du transfert de la papauté en Avignon au début du siècle suivant a été aperçu dans le fait que, d’Innocent IV (1243-1254) à Benoît XI (1303-1304), les papes ont été peu souvent élus et couronnés à Rome, y ont séjourné rarement et alors à peu près jamais au Latran, mais qu’ils ont résidé le plus souvent en Tuscie, Ombrie ou Latium, particulièrement à Viterbe où, du reste, se produisirent deux longues vacances du Siège apostolique (1268-1271, 1292-1294). Quelquefois ils sont allés plus loin, par exemple en Lombardie où l’un d’eux pensa s’établir ou en France pour le 2e Concile œcuménique de Lyon (1274). Même le plus ardent défenseur de la « patrie romaine », Boniface VIII (12941303), résida plus souvent à Anagni qu’à Rome4.
10À ces changements qui concernent l’ensemble de l’Église, s’en ajoutent qui touchent particulièrement Rome et Sainte-Marie-Majeure. D’abord, en effet, leur absence de Rome conduisit les papes à y modifier l’exercice traditionnel de leur ministère pastoral, en particulier leur participation à la liturgie stationnale. Les stations subsistent, elles sont marquées dans les livres liturgiques avec une fidélité touchante, mais de moins en moins les papes les président, ils se font remplacer par les cardinaux-évêques suburbicaires et les cardinaux-prêtres des divers titres. Dans ces conditions, si la vieille liturgie stationnale continue, adaptée à l’usage de ces cardinaux, une autre liturgie apparaît à l’usage personnel du pape, destinée à l’accompagner dans ses déplacements extra-urbains : c’est celle de la Chapelle, avant qu’elle devienne celle de la Curie pontificale. Ainsi, au cours du xiiie siècle, l’une et l’autre se font jour et la seconde remplacera rapidement la première grâce aux franciscains qui se la sont appropriée.
11D’autres changements concernent directement Sainte-Marie-Majeure, tout en s’étendant à d’autres basiliques romaines. C’est ainsi que les moines des monastères desservants qui entouraient la basilique libérienne changèrent leur style de vie, car ils cessèrent alors de mener une vie commune à table et au dortoir ; ils se transformèrent peu à peu en chanoines qui limitaient la communauté à la récitation chorale de l’office et à la célébration à tour de rôle de la messe capitulaire. C’est alors qu’apparurent les premiers archiprêtres et bientôt après les autres officiers du chapitre basilical. Les archiprêtres furent rapidement aussi cardinaux de la Sainte Église romaine.
12D’autres changements encore, propres à Sainte-Marie-Majeure, intéressent le complexe basilical. Le futur pape Clément III (11871191), quand il était encore évêque de Palestrina, construisit sur son flanc sud un palais qu’il laissa à la basilique et qui servit de résidence occasionnelle aux papes, habituelle aux chanoines. Avant, le cistercien Eugène III (1145-1153) avait reconstruit le portique de la basilique ; après, le franciscain Nicolas IV (1288-1292) enrichit l’oratoire de la Crèche avec les sculptures d’Arnolfo da Cambio et reconstruisit l’abside en l’ornant de mosaïques toujours existantes.
13Le Moyen Âge central prit fin pour Sainte-Marie-Majeure, comme pour Rome, quand les papes quittèrent la Ville pour plus de soixante-dix ans et que la Ville elle-même tenta l’expérience d’un gouvernement totalement autonome. Lorsque les papes revinrent, le palais pontifical du Latran était en ruines, les traditions anciennes étaient perdues et s’instaurèrent des rapports nouveaux entre la basilique libérienne et les papes.
14En attendant d’en arriver là, il nous reste à décrire la vie de la basilique du xie au xiiie siècle dans ses différents aspects architecturaux, artistiques, institutionnels, liturgiques et culturels.
Notes de bas de page
1 B. Schimmelpfennig, Die Bedeutung Roms im päpstlichen Zeremoniell, p. 61, conclut son étude en relevant le désintérêt d’Innocent III pour la situation irrégulière de certaines églises romaines et suggère de l’expliquer par le caractère envahissant de son souci de l’Église universelle : « Obwohl vor seiner Wahl Kanoniker von St. Peter, scheint er dortige Mißstände nicht gekannt zu haben... Daher musste Petrus höchstpersönlich einem alterschwachen Priester erscheinen und diesem befehlen, den Papst über die unhaltbare Zustände aufzuklären. Man sieht : selbst der direkte Draht zwischen Petrus und seinem Vikar funktionierte nicht mehr, wenn es sich um Rom handelte. Bekanntlich gilt Innozenz III. als grösster Papst der Universalkirche im Mittelalter. Was bedeutete ihm da noch Rom ? »
2 W. Maleczek, Rombeherrschung und Romerneuerung, p. 19-24 ; L. Schmugge, Kirche-Komune-Kaiser in Rom, p. 171.
3 W. Maleczek, Rombeherrschung und Romerneuerung, p. 19-20.
4 G. Mollat, Les papes d’Avignon, p. XI-XII.
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