Chapitre 6
Un impérialisme humanitaire ?
p. 323-373
Texte intégral
1Le 1er mars 1896, un corps expéditionnaire italien de 20 000 hommes est détruit par les forces abyssiniennes à proximité de la ville tigréenne d’Adoua1, provoquant la chute définitive de Francesco Crispi et confirmant la grave crise « fin de siècle » dans laquelle s’enfonce l’Italie2. Cette défaite provoque un arrêt brutal de la colonisation italienne avec le retour au pouvoir des modérés, qui adoptent une politique de « recueillement »3. Au même moment, la Question d’Orient prend une tournure inquiétante puisque les « massacres hamidiens »4 dont sont victimes les Arméniens d’Anatolie depuis 1894 semblent s’étendre à l’île de Crète. Les musulmans, minoritaires dans l’île mais majoritaires dans les villes5, s’en prennent à leurs compatriotes chrétiens, suscitant leur révolte dans les campagnes où ils sont majoritaires. La réunion de l’île (Enosis) fait d’ailleurs partie du programme nationaliste hellénique (Megali Idea), ce qui laisse craindre une intervention grecque susceptible d’embraser les Balkans et l’Europe. L’affaire crétoise ne peut donc, pour l’Italie, apparaître à pire moment. Pourtant la réponse originale des grandes puissances en fait une véritable aubaine pour l’Italie, qui peut trouver dans sa participation à une opération de police humanitaire internationale une occasion de mettre en scène son retour à une politique de bons offices.
6.1. Le rôle décisif de l’Italie dans la mise en place d’une occupation internationale de la Crète
6.1.1. La tentative de réorganisation de la gendarmerie crétoise et son échec
2Le 24 mai 1896, le consul d’Italie à La Canée expédie cet inquiétant télégramme à Rome :
Per ragioni tuttora sconosciute rissa scoppiata città fra musulmani cristiani. Miei colleghi io potuto recarci città con gran difficoltà. Città in armi, atterrita : si sta battendosi nelle strade : critica situazione. Valì mancante mezzi repressione ; truppa insufficiente. Pericolo grande : finora dieci vittime conosciute, compresi cavas russi (?) greci. Presenza impotenza autorità, non posso rispondere sicurezza nazionali. Ritengo necessario invio nave da guerra Canea. Critica situazione pure Rettimo, ove musulmani armati forzano case cristiani : colleghi telegrafato identicamente. Agente italiano Rettimo chiede autorizzazione prendere cavas provvisori custodia uffizio. Prego V. E. autorizzare6.
3Présent depuis un an dans l’île, Augusto Medana est un vieux routier de l’Orient, et le ton paniqué de son télégramme dit assez la soudaineté des événements. La société crétoise est, il est vrai, traversée de tensions multiples toujours prêtes à exploser, comme en témoigne, des décennies durant, la correspondance consulaire7. On se souvient qu’avant sa chute, Crispi a joué avec le feu en Crète, soutenant secrètement les nationalistes panhelléniques, ce qui revient à saboter l’action modératrice de la diplomatie officielle incarnée par le consul.
4La politique étrangère du nouveau gouvernement dirigé par le marquis Starrabba Di Rudinì se situe aux antipodes de celles de Crispi. Étant donné la situation difficile dans laquelle se trouve l’Italie, le nouveau ministre des Affaires étrangères Visconti Venosta ne souhaite guère intervenir en Crète. On recourt, dans un premier temps, à un moyen classique de la gestion de crise outre-mer : l’envoi de navires de guerre, dont l’apparition est censée impressionner les belligérants et rassurer les Occidentaux sur place8. Le croiseur Liguria part mouiller en Crète dans la baie de la Sude, et le Vesuvio à Smyrne, où l’on feint de craindre pour la sécurité de la colonie italienne9. Néanmoins, il faut attendre que les Britanniques et les Français concentrent des navires en Crète pour que Rome consente à renforcer sa flotte. Fin septembre, deux cuirassés et un aviso partent pour le Levant. L’escadre italienne, placée sous le commandement de l’amiral Canevaro, reçoit un ordre de mission très clair : « mantenerci col governo ottomano in amichevoli rapporti, tenere alto il prestigio della nostra bandiera, provvedere, in ogni contingenza, alla sicurezza e alla quiete delle nostre colonie », et surtout n’agir qu’à la suite des autres puissances et se conformer en tous points à l’attitude britannique10. Visconti Venosta, qui souhaite clore l’ère Crispi en rapprochant l’Italie de la France11 – sans pour autant rompre avec la Triple Alliance – voit avec inquiétude se dessiner un bloc franco-russo-britannique prêt à intervenir unilatéralement en Crète12. Aussi fait-il entreprendre des démarches auprès des cabinets de Vienne et de Berlin, en vue d’encourager une action multilatérale des puissances. Il faut à son avis profiter de l’accalmie relative de la situation pour imposer une solution durable13.
5L’Italie prend ainsi une part active dans la tentative de constitution d’une « gendarmerie crétoise » prévue en vertu de l’« arrangement » du 25 août 189614. Une commission internationale composée d’officiers représentant chacune des puissances est en effet envoyée dans l’île au début de décembre 1896 afin de procéder, de conserve avec le corps consulaire à l’œuvre depuis plusieurs mois, à l’organisation d’une force de l’ordre faisant preuve de discernement et de neutralité, c’est-à-dire conforme à l’image que les Européens – mais aussi, semble-t-il, les Crétois – se font d’une police aux standards occidentaux. Les puissances voient dans les abus quotidiens des musulmans à l’encontre des chrétiens la cause principale des troubles : mettre fin à l’indifférence, voire à la complicité des forces de l’ordre ottomanes constitue alors un moyen de faire cesser les troubles15. En réalité, la réorganisation sous l’égide des Européens se superpose à une réforme entreprise par le gouvernement ottoman lui-même à partir de 1879. Les difficultés financières compromettent toutefois la bonne application de ces projets. Peu ou pas payé, souvent analphabète, le gendarme ottoman est généralement un pauvre hère. Cette triste condition explique aussi, il est vrai, que la fonction attire fréquemment des criminels endurcis ou des muhacir circassiens ou tchétchènes particulièrement brutaux16. Mais les Européens ne s’embarrassent pas de ce genre de subtilités et considèrent les manquements des gendarmes comme un signe supplémentaire de l’inaptitude des Ottomans à pratiquer une administration civilisée, alors même que l’Empire est précisément engagé dans un processus de territorialisation de sa souveraineté au même titre que les nations européennes.
6Les puissances sont représentées auprès de la Commission pour la réorganisation de la gendarmerie crétoise par leurs attachés militaires à Constantinople. Pour l’Italie, il s’agit du capitaine d’état-major Paolo Ruggeri Laderchi. D’après cet officier, la commission se veut respectueuse de l’expertise des consuls européens comme du vœu des populations, aussi bien chrétiennes que musulmanes. L’idée est de créer un petit effectif vertueux – c’est-à-dire sans personnel crétois – que l’on étendrait par la suite en incluant les meilleurs éléments « indigènes », tout en excluant les corrompus et les indisciplinés. On s’inspire « dei regolamenti sulla gendarmeria della Rumelia orientale, della Bosnia ed Erzegovina, dell’isola di Cipro ed anche di altri »17, autrement dit de tous les « corps habillés »18 créés par les Européens dans l’espace balkanique, soit à l’échelle impériale (Autriche-Hongrie, empire britannique), soit à l’échelle transimpériale (Roumélie). Les Crétois souhaitant eux-mêmes que la gendarmerie compte dans ses rangs le plus grand nombre possible de soldats européens, les délégués des puissances proposent « l’ammissione di alcuni candidati della loro nazione o di popolazioni molto amiche »19. L’Italie, qui semble, à la lecture de la correspondance de ses agents, toujours en retard sur les manigances de ses concurrents, doit alors urgemment proposer ses propres candidats.
7On déniche un capitaine, deux lieutenants et un brigadier, tous servant dans le corps des carabiniers20. On remarquera que, dans la fiche remise par le ministre de la Guerre à son collègue des Affaires étrangères, sont mis en valeur la « prestance militaire » des candidats, leur connaissance éventuelle du français et, pour le capitaine et un des deux lieutenants, le fait qu’ils aient servi en Afrique durant plusieurs années – signe que l’on considère peut-être la Crète comme plus proche de l’Érythrée que de la Calabre. En Érythrée, précisément, les Italiens ont organisé, lors de leur installation en 1885, un corps d’irréguliers directement inspiré du système égyptien en place avant leur arrivée. Ces « bachi-bouzouks » sont commandés par un Albanais de Janina, Hassan Oga Osman, lui-même supervisé par un de ces nombreux officiers italiens en service dans des armées étrangères, le colonel Begni, ancien de l’armée égyptienne21. Affectées à des tâches de surveillance, d’escorte et de reconnaissance, ces troupes ont une organisation d’inspiration ottomane en buluc, orda, tabur et kalai. Passant de quelques dizaines à plusieurs milliers d’hommes, ce corps est pleinement intégré aux « Troupes d’Afrique » en 1887, les meilleurs des bachi-bouzouks devenant des auxiliaires des carabiniers sous le nom de zaptiè, c’est-à-dire « gendarmes » en turc22. Ayant largement reconduit le système égypto-ottoman dans leur première colonie, les Italiens entendent contribuer dix ans plus tard à réformer ce même système en Crète.
8Dans le cadre de ce projet transnational, le choix du commandement constitue le principal problème. Les puissances s’accordent sur le fait qu’il ne devra pas, à terme, échoir à un officier ressortissant d’une grande puissance, mais de la Belgique ou des Pays-Bas23. Ces deux pays cumulent sans doute les qualités : ils sont « mineurs » et neutres, tout en disposant de troupes aguerries au terrain colonial. À vrai dire, le recours aux troupes belges, néerlandaises voire suisses est un serpent de mer du policing des Balkans par les puissances : l’idée émerge lors des crises de 1876 et resurgit à chaque intervention multilatérale des puissances24. En 1897, les rapports diplomatiques venant de Bruxelles et La Haye montrent qu’on ne semble pas s’y bousculer pour postuler auprès de la gendarmerie crétoise. On espère un temps recruter un officier néerlandais ayant servi en Afrique et connaissant le turc, et surtout moins regardant sur le chapitre de la solde qu’un candidat belge dont les états de service sont jugés excellents puisqu’il a brillamment combattu pour l’État libre du Congo25 ; il est vrai que le scandale suscité quelques années plus tard par la révélation des méthodes employées par les mercenaires européens et africains « au cœur des ténèbres » n’a pas encore éclaté26.
9Heureusement pour la commission internationale se présente une candidature inespérée. Le premier commandant désigné pour prendre la tête de la gendarmerie crétoise réorganisée est le major britannique Bor, qui a dirigé la Cyprus Police de 1884 à 1892. De fait, comme à Chypre, la gendarmerie nouvelle qu’on envisage pour la Crète est « hybride »27. Des expériences contemporaines de « policing » en situation coloniale28, elle retire un caractère fortement militarisé, une hiérarchie racialisée (les officiers sont « Européens », les hommes de troupe « indigènes »29). Plus nettement qu’à Chypre, toutefois, cette gendarmerie doit avoir une coloration balkanique, puisque la troupe est renforcée de « personnel [...] monténégrin, bosniaque, bulgare, dalmate, turc ». On recourt ici manifestement aux « races martiales »30 de la péninsule voisine, dont on peut noter que la bosniaque et la dalmate appartiennent à l’empire des Habsbourg, la taxinomie coloniale rencontrant ici des pratiques impériales plus anciennes si l’on pense au corps des Grenzer mis en place à l’époque moderne. La balkanisation de la troupe est censée compenser le maintien de l’élément « turc », encore considéré comme incontournable puisqu’il n’est pas question de remettre en cause la souveraineté ottomane sur l’île. Il faut toutefois recruter des hommes susceptibles d’avoir la confiance des « Gréco-crétois », à savoir des Slaves orthodoxes.
10Le prince Nicolas de Monténégro se dit alors prêt à envoyer en Crète plusieurs dizaines de ses sujets, considérés par le capitaine Ruggeri comme des créatures de Saint-Pétersbourg, ce qui mérite d’être commenté31 : l’Italie est alors, au sens propre, en pleine lune de miel avec le Monténégro, puisqu’en 1896 le prince de Naples a épousé la princesse Hélène (Jelena), fille de Nicolas (infra, chap. 7). Pour autant, le Monténégro est ici considéré comme une « nation amie » de la Russie et non de l’Italie. Dès la fin de 1896, le capitaine Ruggeri dénonce les intrigues de la Russie en faveur des nationalistes panhelléniques ; c’est un reproche que l’on retrouve dans la correspondance diplomatique italienne tout au long de l’affaire de Crète. Au début de l’année 1897, le client monténégrin de Saint-Pétersbourg prétend envoyer en Crète 90 gendarmes, au lieu des 60 initialement prévus, ce qui pousse les puissances à revoir le subtil panachage ethnique qu’elles avaient établi : pour compenser ce surcroît de Slaves orthodoxes, l’Autriche-Hongrie est priée d’envoyer 60 Croates et Bosniaques au lieu des 40 initialement prévus, dont, précise-t-on, « quinze musulmans »32. On ne parvient à réunir, en février 1897, qu’une troupe constituée de 95 Albanais, 80 Monténégrins et 80 Crétois, encadrés par quatre officiers italiens, deux britanniques, deux monténégrins et un français. Mutineries et désertions conduisent cependant à licencier la troupe et à dissoudre la Commission de réorganisation le 10 mars33.
6.1.2. Le multilatéralisme, cadre idéal de l’intervention militaire
11Au début de l’année 1897, la Crète est de nouveau le théâtre de massacres, ce qui ruine les espoirs italiens d’une intervention limitée au déploiement des navires et à la réorganisation de la gendarmerie. Cette fois, les violences sont surtout commises par les chrétiens, majoritaires dans l’intérieur de l’île, et surexcités par l’agitation nationaliste orchestrée en Grèce par l’Ethniki Etairia34. Le 10 février, le capitaine Ruggeri Laderchi suggère une intervention terrestre :
Condivido pienamente apprezzamento telegramma odierno console. Aggiungo che situazione peggiorerà ; prolungandosi, ritengo Turchia impotente ristabilire ordine duraturo, anche inviando numerose forze. Se quindi non vuolsi tener conto desiderio annessione, e vuolsi per lungo tempo chiudere questione (?) cretese, occorre una occupazione militare provvisoria straniera, anche multipla, e poi imporre riforme. Quattro reggimenti e quattro batterie montagna, dopo dichiarato disarmo generale e stato d’assedio, riuscirebbero ristabilire facilmente ordine. Tale soluzione ritengo accontenta anche maggioranza35.
12Rassuré par le capitaine Ruggeri sur le caractère relativement limité des forces nécessaires à une pacification de l’île, le ministre Visconti Venosta se prévaut donc de l’avis collectif des consuls en Crète et des ambassadeurs en Turquie pour proposer à ses homologues européens une « occupation combinée de quelques points de l’île »36. Il rencontre néanmoins les plus grandes difficultés à faire admettre à ses homologues le principe d’une action multilatérale. La Russie propose d’abord que l’île soit occupée par la seule Autriche-Hongrie, ce qui est bien entendu totalement hors de question pour Rome37. Il est ensuite question d’une occupation franco-italienne ; en d’autres circonstances, c’eût été une occasion inespérée d’augmenter le prestige de l’Italie et son influence en Orient. Mais si les puissances proposent une occupation italienne, ou bien une occupation franco-italienne, c’est bien parce qu’elles connaissent l’extrême faiblesse de l’Italie, agitée après sa défaite africaine de tensions intérieures de plus en plus graves. Visconti Venosta n’est pas dupe et rejette catégoriquement cette proposition informelle :
Nelle circostanze attuali, questa occupazione significherebbe una spedizione militare per espellere le truppe greche e domare l’insurrezione, in un paese montuoso, senza strade, pieno di posizioni fortissime, con una popolazione abituata alle guerriglie insurrezionali. Richiederebbe non meno di trentamila uomini ed equivarrebbe ad una guerra di montagna almeno per alcuni mesi. [...] Bisognerebbe che le circostanze fossero del tutto mutate perché l’Italia potesse non dico accettare, ma prendere in considerazione una simile impresa. Un’occupazione nostra non potrebbe essere che una occupazione pacificatrice e conciliatrice38.
13Ce tableau d’une expédition rassemblant plusieurs milliers d’hommes dans une région montagneuse peuplée d’indigènes hostiles fait fortement penser à la tragique aventure abyssinienne. À vrai dire, l’Italie a les moyens de poursuivre la lutte après Adoua, et l’armée brûle de laver l’affront ; les Français avaient d’ailleurs su se relever de leurs échecs au Tonkin ou à Madagascar39. Dans le cas italien, redéployer un corps expéditionnaire sur un autre théâtre d’opération, alors que celui d’Afrique est encore totalement désorganisé, relève toutefois de l’impossible et ferait de toute façon l’effet d’un chiffon rouge aux yeux de l’opinion publique. Pour apprécier la situation militaire, Visconti Venosta s’appuie manifestement sur les renseignements que lui transmet l’amiral Canevaro, qui commande l’escadre italienne déployée en mer Égée. Ce dernier estime qu’une action armée des puissances alimenterait l’insurrection : près de 9000 hommes seraient ainsi nécessaires pour prendre le contrôle de l’île, car entretemps un petit corps expéditionnaire grec est venu renforcer les insurgés. Un contingent deux fois plus important devrait même être engagé en cas de résistance des Turcs et des Crétois musulmans40.
14L’intervention militaire grecque contraint cependant les puissances à intervenir, suscitant l’indignation de leurs opinions publiques41. Après avoir débarqué des détachements de marins dans les villes de la côte, elles soumettent l’île au blocus et y acheminent plusieurs milliers d’hommes42. Les armées des six grandes puissances se côtoient donc en Crète, pour peu de temps il est vrai. Le 13 mars 1898, l’Allemagne, dont la présence, depuis le début, est symbolique, se retire de l’expédition, afin de montrer son désaccord quant à la nomination à la fonction de délégué des puissances du prince Georges de Grèce43. Elle est imitée, quelques jours plus tard, par l’Autriche-Hongrie44, mais pas par l’Italie, qui ne veut à aucun prix laisser la Crète aux mains des seuls Français, Britanniques et Russes. Pour Visconti Venosta, « l'Italia, direttamente interessata nelle questioni del Mediterraneo, non può lasciarsi escludere dalla questione cretese alla quale ha, in forza dei trattati di cui è segnataria, diritto di partecipare»45 : après Adoua, c’est la qualité même de grande puissance, laborieusement construite dans les années 1860, qui est en jeu. À propos de la Crète, la Consulta garde en tête le précédent des massacres arméniens de 1894 : seuls les consuls de France, de Grande-Bretagne et de Russie avaient alors participé à la commission d’enquête internationale, à la grande fureur d'Alberto Blanc46. En 1897, les intérêts en jeu sont encore plus importants ; il ne s’agit plus seulement d’une influence morale sur les chrétiens d’Orient, mais d’intérêts stratégiques cruciaux en Méditerranée orientale. Depuis plusieurs décennies, des rumeurs attribuent à l’une ou l’autre puissance navale la volonté de s’emparer de l’île, et ce projet est plus particulièrement prêté au Royaume-Uni47. L’amiral Canevaro, qui succède à Visconti Venosta à la tête de la Consulta dans le gouvernement Pelloux, donne d’ailleurs son sentiment à Rome dès le début de sa mission en Crète, alors que l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne répugnent déjà à envoyer des renforts :
Evidentemente fanno politica Mediterraneo soltanto Russia Francia Inghilterra. Io ignoro vedute Governo di Sua Maestà e se truppe verranno mi permetto però esprimere parere che trattandosi cosa Mediterraneo non dovremmo rimanere indifferenti oppure dovrei conoscere tali vedute e secondarle se non altro influendo sulle dislocazioni altrui48.
15Précisant sa position quelques jours plus tard, l’amiral expose sa crainte que les deux ethnies crétoises finissent par être favorables au protectorat d’une seule puissance sur l’île. D’après lui les musulmans préféreraient cette solution à l’Enosis, et même à l’autonomie : seule une puissance européenne régnant sans partage pourrait en effet mettre définitivement fin aux troubles, comme le montre l’exemple chypriote. Quant aux chrétiens, ils se contenteraient certainement du protectorat, pourvu qu’on les laisse choisir la puissance occupante par plébiscite. Dans l’esprit de Canevaro, seule une occupation complète de l’île peut résoudre la crise. En avril 1897, une occupation multilatérale de l’intérieur lui paraît encore impossible : il n’envisage en effet le mandat collectif des puissances que dans une dimension limitée dans le temps et dans l’espace. Ce n’est pas tant le Royaume-Uni ou la France que craint l’amiral, mais la Russie :
La Russia, la quale fu sempre la più severa ad adottare misure contro la Grecia, propende per l’autonomia della Creta e suggerisce il plebiscito quale espediente per risolvere la questione, mentre essa di sua natura è simbolo di opposizione ad ogni idea liberale. Intanto i suoi consoli sono attivissimi e coadiuvano le autorità navali per mantenere buone relazioni cogli insorti, accarezzarne gli appetiti.
Dall’insieme di queste circostanze credo indovinare che la Russia cerchi di tirar partito della comunanza di religione per – una volta scartata la Grecia – risolvere la questione cretese in suo favore ; e non mi meraviglierebbe che dal plebiscito riuscisse invocato il suo protettorato se non addirittura il suo dominio49.
16Pour Canevaro, la France nourrit elle aussi des ambitions mais seconde de toute façon la Russie ; dès lors, le Royaume-Uni aurait du mal à s’opposer seul aux desseins de cette dernière, tout particulièrement si le suffrage tranche en sa faveur.
17À travers Canevaro, la Regia Marina insiste sur l’importance stratégique de la Crète. La Consulta a quant à elle d’autres raisons de défendre l’approche multilatérale. Après la chute de Crispi, la nouvelle équipe dirigeante entend se rapprocher de la France ; elle souhaite aussi renouer avec un axiome de la politique méditerranéenne des modérés : ne rien faire sans l’accord du Royaume-Uni. Membre de la Triple-Alliance, l’Italie ne désire pas non plus se détacher de ses alliés germaniques, ce qui implique une participation de toutes les puissances au règlement de la question crétoise. Il faut en outre tenir compte des conditions politiques internes du royaume : la coalition post-crispinienne est, comme en 1891, fragile et hétéroclite, puisqu’elle associe aux modérés la gauche giolitienne et zanardellienne ainsi que les radicaux. Le rejet du colonialisme et d’un aventurisme arc-bouté sur la Triple Alliance constitue alors le plus petit dénominateur commun à cette majorité50. Le nouveau gouvernement n’entend pas pour autant se résigner au déclassement de l’Italie : le royaume ne saurait devenir, comme l’Espagne vaincue en 1898 par les États-Unis, une puissance de second rang, sans véritable armée ni marine. Cela reviendrait d’ailleurs à donner raison à Crispi, qui peu avant la chute de son deuxième gouvernement, flétrissait la politique que les modérés avaient menée avant 1876 : « allora, non avevate né esercito né flotta [...] [e] si devono a voi i danni di una politica servile verso lo straniero »51. Depuis des décennies, ce soupçon pèse sur les modérés ; comme au début des années 1860, comme à l’époque de Berlin, il faut donc absolument exercer les prérogatives de grande puissance conférées par les traités, mais sans faire usage d’une force dont on ne dispose pas, bref, revenir au prestige moral que doit apporter un comportement responsable au sein du concert des puissances. En ce sens, l’affaire crétoise, qui se révélera bientôt un guêpier, est d’abord perçue comme une aubaine.
18À la charnière du XIXe et du XXe siècle, les grands empires de l’ancien monde sont le lieu par excellence de l’action multilatérale, et l’Empire ottoman en est un laboratoire. Depuis 1856, les puissances européennes exercent une tutelle conjointe sur l’Empire ottoman, ce qui constitue un forum international unique et permanent, et cela pour deux raisons. L’empire étant trop vaste pour être avalé par une seule puissance, il est indispensable d’organiser collectivement son lent démembrement, sous peine de créer un grave déséquilibre, comme l’avait montré la tentative d’hégémonie russe au moment du traité de San Stefano (1877). En outre, le postulat de l’infériorité culturelle ottomane légitime la tutelle collective de l’Europe, qui s’exprime de deux façons surtout : la cogestion de la dette et la protection des minorités (supra, chap. 1 et 2). L’argument humanitaire de la défense des chrétiens menacés par le « fanatisme musulman » constitue alors le prétexte chronique à l’ingérence dans les affaires ottomanes. Au tournant du siècle, ce modèle s’étend à la Chine : les tensions liées au grignotage de la souveraineté impériale par les Européens provoquent une explosion de violence à l’encontre des Occidentaux et des chrétiens locaux qui se solde par une intervention conjointe des puissances en juin 190052. A contrario, l’Espagne, vaincue par les États-Unis, propose en 1898 une occupation multilatérale de Manille par les puissances européennes, en vue d’éviter de perdre les Philippines53. Dans ce cas, les Européens refusent puisque le conflit oppose deux puissances occidentales : une intervention serait alors considérée comme une violation du principe de neutralité.
19Sur la scène politique italienne, la participation à une expédition internationale en Crète ne peut donc être qualifiée d’acte de brigandage comme l’avait été celle d’Abyssinie. Visconti Venosta se représente fort bien l’hostilité viscérale qu’éprouve alors l’opinion italienne envers la politique de conquêtes ; ayant quitté la direction de la Consulta en mai 1898, il hérite un an plus tard, reprenant la tête de la diplomatie italienne, d’un projet de concession en Chine mal engagé par son remplaçant54. Pour le vieux diplomate, « opinione parlamento e spirito pubblico [sono] assolutamente avversi ad una politica di occupazioni territoriali e militari »55. Dans le cas crétois, on a affaire à une opération de police internationale. L’argument humanitaire a certes déjà été utilisé par le passé pour légitimer l’intervention d’une puissance (la France, en l’occurrence) au détriment de l’Empire ottoman56. L’opinion italienne s’était par ailleurs indignée de l’occupation de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie en 1878 : non seulement cette opération lésait gravement les intérêts italiens en Adriatique, mais elle prenait la forme d’une cruelle guerre de conquête menée au nom de la civilisation :
Da una parte, fucilazioni in massa d’interi manipoli d’individui i quali non hanno altro torto che di voler essere indipendenti nei propri paesi. Dall’altra, la guerra di sterminio contro un nemico che vuole a forza di cannonate e schioppettate portar la civiltà là dove si è felice di esser barbari57.
20Depuis 1878, le contexte culturel a certes beaucoup changé, mais le traumatisme d’Adoua dégoûte pour un temps l’opinion italienne des aventures. Le modèle de la gestion internationale de la crise constitue donc une aubaine pour la diplomatie italienne : elle permet à la fois de surveiller les concurrents dans une région stratégique pour l’Italie, tout en se dédouanant vis-à-vis de l’opinion pacifiste. La « diplomatie humanitaire » est alors en plein essor58. Fondée en 1864, la Croix-Rouge s’est illustrée dans plusieurs conflits, dont la guerre serbo-bulgare de 1885 (le vice-consul d’Italie, Acton, prend alors la tête des opérations de secours aux blessés, avec l’aide notamment de la Société de secours mutuel des immigrés italiens)59. En outre, le mouvement pour l’arbitrage international prend une tournure institutionnelle puisqu’en 1898, le tsar propose la réunion d’une conférence internationale de la paix qui se tient finalement à La Haye l’année suivante. Le gouvernement italien peut donc déployer la flotte sans apparaître ni comme guerrafondaio, ni comme un fossoyeur de la gloire nationale. Avec une vingtaine de navires engagés, l’Italie fait en effet jeu égal avec le Royaume-Uni, loin devant la France, la Russie et l’Autriche-Hongrie, qui n’envoient que quelques bâtiments. Cette posture honorifique, pour être relativement économique et assez peu risquée, n’est toutefois pas sans inconvénients. Les alliés de l’Italie au sein de la Triplice lui signifient ainsi leur déplaisir à voir qu’elle ne s’associe pas à leur départ des eaux crétoises60 ; quant aux « amis » franco-russes et britanniques, on leur reproche à Rome de ne pas jouer le jeu d’une occupation libérale, humanitaire et désintéressée, puisqu’ils semblent prendre ouvertement parti pour la Grèce. Sur le terrain, marins, militaires et consuls tentent de défendre l’influence italienne dans l’île, alors que la Consulta entend se contenter d’exister parmi les puissances et de retirer quelque prestige moral de l’opération. Comme le fait remarquer Costantino Nigra à Visconti Venosta dès le début de la crise, l’Italie n’a aucun intérêt à voir la Grèce s’étendre en Méditerranée, mais les circonstances exigent bel et bien de sacrifier au principe des nationalités61.
6.2. « L’œuvre des troupes royales en Crète »
6.2.1. Une opération militaire rondement menée
21Les opérations militaires multinationales ne sont certes pas une nouveauté ; néanmoins, elles avaient toujours pris la forme de coalitions militaires réunissant plusieurs États contre un ou plusieurs autres, lors des guerres napoléoniennes ou de la guerre de Crimée par exemple. L’expédition crétoise inaugure cependant un nouveau genre d’action militaire, tout en présentant plusieurs traits de l’opération de police coloniale.
22Depuis les guerres de l’unification, l’armée italienne n’a plus combattu, si ce n’est aux colonies. Comment l’armée, mais aussi l’opinion, vont-elles considérer l’aventure crétoise ? Les modalités tactiques des opérations sont précisément documentées par plusieurs ouvrages, dont les plus précis ont été édités par les services historiques de l’armée de terre et de la marine62. En revanche, les pratiques de contrôle territorial mises en œuvre par les troupes italiennes sur le terrain sont peu connues. Les archives de l’état-major conservent un rapport du colonel Alberto Crispo sur « l’œuvre des troupes royales en Crète », qui peut apporter un éclairage sur ces pratiques et sur les représentations politiques qui en découlent63. Sans avoir constitué une promenade militaire, l’occupation de la Crète semble, dans ses premières années, avoir été aisée. Les troupes italiennes subissent des pertes réduites : 18 morts de 1897 à 1899, ce qui change des massacres africains. En revanche, les militaires italiens ont vu de près la violence interethnique, et ont eu beaucoup de difficultés à la contenir, comme le montre l’affaire de Selino. Cette province montagneuse et reculée est réputée, avec celle de Sfakia qu’elle jouxte, abriter les plus indomptables habitants de l’île64. La population comprend une importante proportion de musulmans, et c’est là que les troubles de la fin du printemps 1895 avaient pris de l’ampleur65. La région est de nouveau le théâtre de graves violences à la fin de février 1897 :
I musulmani di Selinos, per isfuggire alle violenze dei loro avversari, si videro costretti a cercare rifugio a Kandanos (capoluogo della provincia), sotto la protezione della piccola guarnigione di 250 soldati turchi che presidiavano il forte. Gl’insorti, fatta man bassa sulle proprietà dei nemici, impadronitisi degli armenti e di tutto quanto questi non avevano potuto portar seco, li bloccavano ora strettamente in Kandanos. Erano quivi 2500 musulmani, uomini, donne vecchi e bambini, insieme al piccolo presidio : circondati da 3000 cristiani in armi e che ve li tenevano rinchiusi. I bloccati difettavano di acqua e di viveri : non potevano pensare a scampo, colle numerose bande che li serravano da presso, né osavano comettersi alla magnanimità dei cristiani, per la tema di essere massacrati66.
23Les amiraux décident alors de débarquer à Paleohora, tout près de Selino, une colonne de secours composée de 570 marins, dont 50 Italiens, pour délivrer les assiégés et les conduire sur la côte afin qu’ils y soient évacués. Le 12 mars, l’évacuation se termine avec succès, en dépit d’une marche harassante, marins et navires ayant été contraints de tirer pour repousser les bandes de Gréco-crétois qui harcèlent les fuyards. Le colonel Crispo exprime dans son rapport la plus grande satisfaction pour ce fait d’armes, qui consiste pourtant à limiter la violence du processus d’homogénéisation ethnique, sans en remettre en cause le principe67. Le savant et journaliste français Victor Bérard, qui couvre les événements de Crète pour la Revue de Paris, assure que les colonnes de secours engagées dans l’intérieur sont au départ une initiative spontanée des soldats et marins français, Britanniques et Italiens se ralliant par la suite aux « méthodes françaises »68.
24Les troupes internationales ont indiscutablement empêché un massacre. D’après Crispo, les Italiens ont en outre tenté le plus souvent possible de faire rentrer les musulmans dans leurs demeures et dans leurs biens69. En dépit de la présence des forces internationales, toutefois, les musulmans n’ont d’autre choix que de quitter l’île. L’exode des « Turco-crétois » doit être compris dans le cadre d’un mouvement démographique beaucoup plus vaste, qui concerne toutes les populations musulmanes d’Europe depuis les années 187070, comme le remarque d’ailleurs Crispo :
L’esodo continuò e, a mio credere, continuerà fino a che, fra un certo numero di anni, la questione cretese, già risolta politicamente, lo sarà anche economicamente, colla disparizione totale dell’elemento musulmano dall’isola ; o per la partenza dei maomettani o per la loro fusione, mediante conversione, coll’elemento cristiano. Questo fatto si verifica sempre in tutte le provincie che si sottraggono al dominio del sultano : in esse, poco per volta, l’elemento turco si elimina : i dominatori di ieri non si adattano a far la parte dei vinti71.
25Comme la plupart de ses contemporains, Crispo est persuadé de l’incompatibilité profonde entre islam et société européenne : si les musulmans partent, ce n’est pas seulement en raison de l’accumulation des haines, dont on les rend largement responsables, mais aussi de leur incapacité supposée à accepter la fin du régime islamique subordonnant les infidèles aux croyants72. Dès lors, le départ des musulmans constitue, dans l’esprit des Européens, la solution naturelle de la Question d’Orient. La conscience humanitaire, corollaire de la mission civilisatrice dont s’estiment investies les puissances, exige toutefois désormais que le transfert des populations réputées étrangères ait lieu sans déchaînement de violence. De ces illusions naissent les programmes d’échanges de populations, qui débutent dans les années 1910 et prennent toute leur ampleur au lendemain de la Première Guerre mondiale73.
26Crispo n’a du reste guère de sympathies pour les Crétois dans leur ensemble. Avec raison, il observe que le sentiment national est peu présent en dehors des élites : cette indifférence, que l’on observe en réalité partout à travers l’Europe74, est toutefois dans son esprit une pièce à charge dans le dossier du particularisme crétois. Selon cet officier, la masse des chrétiens est animée de l’« esprit agité et belliqueux propre aux Crétois »75, et de l’espoir de pouvoir piller à loisir les biens des musulmans. Aussi considère-t-il les deux communautés comme aussi enclines l’une que l’autre au pillage et au massacre. Au-delà de ces quelques réflexions sur le naturel des populations, en tout point conformes aux préjugés européens du temps76, il n’est guère aisé d’avoir une idée exacte des pratiques quotidiennes du maintien de l’ordre dans la zone d’occupation italienne. Voyons d’abord ce qu’en dit Crispo, qui produit volontiers les témoignages de gratitude des Crétois :
Le popolazioni […] si adattavano con sorprendente sommissione all’Autorità italiana : ed erano giornalieri ricorsi al Comando invocanti lo impianto di distaccamenti, anche piccini e di stazioni Carabinieri nei villaggi. « Basta che ci sia nel villaggio il berretto di un soldato del Re d’Italia », solevano dire, « perché i cattivi paventino, l’ordine regni e la giustizia abbia il suo corso »77.
27Sans doute Crispo surestime-t-il l’« esprit agité et belliqueux » des Crétois : la majorité de la population aspire évidemment au calme, du moins tant qu’il ne se paye pas d’une pression fiscale trop importante. Aux dires de l’officier italien, le régime que les insurgés substituent dans un premier temps à la « turcocratie » n’est guère apprécié : en théorie, on met en place dans chaque village un maire, le dimarchos, chargé de l’administration et de la justice, et un kapetan, chargé de la « protection » des biens et des personnes. D’après Crispo, le kapetan accapare souvent la fonction de maire, et met le village en coupe réglée. Les troupes étrangères mettent plusieurs mois à prendre le contrôle de l’île. Le 15 février 1897, les amiraux, commandés par le plus élevé en grade parmi eux, l’Italien Canevaro, commencent par faire débarquer cent marins de chacune des flottes britannique, italienne, russe, française et austro-hongroise. Au cours du mois de mars, chaque puissance expédie deux bataillons d’infanterie afin d’étendre l’action des troupes internationales : après le retrait des troupes grecques le 11 mai, un calme relatif s’établit et les puissances peuvent mettre en place des patrouilles dans l’intérieur ; leur l’objectif est de permettre aux paysans chrétiens et musulmans de regagner leurs maisons et leurs champs. C’est en mars 1898, avec le départ des Allemands et surtout des Austro-Hongrois, que l’occupation prend son organisation définitive : cinq secteurs, dont l’un est international, sont mis en place.
28Les Italiens sont chargés d’occuper la partie sud-occidentale de l’île, celle-là même où les marins avaient dû, dans les premiers jours de l’intervention, organiser une colonne de secours pour sauver les musulmans. Très pauvre et très âpre, ce secteur est d’un parcours difficile. Une insurrection antifiscale éclate par ailleurs en septembre 1898 dans la zone britannique, et rend nécessaire l’envoi de troupes supplémentaires. Cela porte le contingent italien à son maximum, avec quatre bataillons. Au total, les troupes internationales comptent environ 5000 hommes, ce qui est très peu si l’on se reporte aux premières estimations de Canevaro et Visconti Venosta.
29Le commandant Crispo arrive lui-même dans l’île en octobre 1898, avec les renforts : à la tête de ses quatre bataillons, il entreprend de rétablir l’ordre dans l’ensemble du secteur italien et bénéficie pour cela de pouvoirs de police étendus, selon une absence de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire fréquente en contexte colonial et que l’on retrouve lors des occupations italiennes de 1912-1915 (infra, chap. 8). En Crète, le système judiciaire mis en place par les puissances comprend trois échelons. Une commission militaire internationale de police, siégeant à La Canée, a compétence pour les délits graves – Crispo signale que la peine capitale n’est jamais appliquée, mais qu’on prononce des condamnations à perpétuité. Dans le secteur italien, la justice est rendue auprès de la commission militaire de police de Kolymbari, où se trouve l’état-major du secteur. Enfin, les chefs de détachements sont investis du pouvoir de juger les délits mineurs.
6.2.2. Legge e ordine en contexte méditerranéen
30On ne sait de quelle façon est exercé ce pouvoir sur le terrain ; nous l’avons dit, plusieurs officiers des carabiniers ont servi en Afrique, et l’on peut supposer qu’ils sont praticiens d’un ordre colonial sévère78. Il n’est guère aisé, en revanche, de savoir si les soldats italiens engagés en Crète sont des anciens des « Regie Truppe d’Africa » puisque ces dernières sont composées de soldats volontaires prélevés dans tous les régiments de l’armée métropolitaine. Le fait que le gros de cette armée ait été anéanti à Adoua peu avant l’expédition crétoise peut laisser supposer qu’on a recours à des bataillons venus de métropole, même si le lieutenant Federico Palmieri, du 36e régiment d’infanterie, sert par exemple en Crète alors qu’il est le seul officier de son régiment à avoir survécu, quoique gravement blessé, à la bataille d’Adoua79. Avant leur départ définitif en 1898, les soldats ottomans subissent, de la part entre autres des Italiens, des brutalités qu’on peut qualifier de coloniales :
Da quanto si vociferava qui dell’arrivo del pascià seguito da un corpo d’armata numeroso, sono aumentati anzi sono avvenuti varî incidenti tra i soldati turchi e quelli internazionali, e per internazionali intendo i soli italiani e francesi, giacché gl’inglesi, gli austriaci ed i russi, vuoi per una naturale tendenza verso i turchi, vuoi per ordini ricevuti, non hanno mai avuto da dir nulla. Invece i bersaglieri ed i francesi ne hanno già bastonati parecchi anche gravemente ; il comando internazionale ha fatto proteste energiche ed ora staremo a vederne il risultato80.
31On sait que les coups, administrés au quotidien et en dehors de toute procédure judiciaire, font partie de la « punitivité » qui caractérise souvent l’ordre colonial, c’est-à-dire pensée en métropole mais racialisée dans son application outre-mer81, même si le passage à tabac se pratique aussi en métropole, tant en France qu’en Italie82. Les brutalités, cependant, sont-elles réservées aux « Turcs » ? Dans son rapport, le colonel Crispo tient à défendre ses hommes d’avoir été trop bienveillants envers les populations crétoises en général, mais ne cite que les moyens de coercition les plus présentables :
Nè è a credere che il regime nostro peccasse di eccessiva mitezza. I nostri comandanti di distaccamenti si adoperavano a tutt’uomo per comporre pacificamente i dissidi e le quistioni ; ma non esitavano a colpire con multe e detenzioni, qualsiasi accenno a soprusi ed a vie di fatto ; i furti e gli abigeati, frequentissimi in Creta83.
32On sait cependant qu’en 1901, le capitaine Caprini ordonne aux gendarmes crétois d’administrer le fouet aux enfants errants84, une pratique jamais appliquée mais qui fait fortement penser à la chicotte coloniale. À la charnière des XIXe et XXe siècles, les États de Méditerranée orientale s’engagent dans un processus de prise de contrôle des arrière-pays85, rompant avec la logique antérieure qui consistait à laisser la plus grande marge de manœuvre aux sociétés périphériques, dès lors qu’elles s’acquittaient de leurs obligations fiscales86. Ces tentatives de territorialisation du pouvoir politique expliquent d’ailleurs en partie le cycle rébellions/représailles que l’on peut observer un peu partout dans l’Empire ottoman. Remarquons toutefois qu’en Crète, les soldats et carabiniers italiens font face à une criminalité agraire peu différente, au fond, du « ladroneggio » si fréquent dans les campagnes d’Italie méridionale accablées de misère. Au moment où ils opèrent en Crète, l’Italie est d’ailleurs en proie aux troubles violents du « Novantotto », qui donnent au gouvernement réactionnaire du général Pelloux l’occasion d’attribuer des pouvoirs exorbitants aux militaires87. Pour la quatrième fois dans sa jeune histoire, l’Italie libérale proclame l’état de siège88. Quelques années auparavant, c’est à de graves troubles agraires qu'elle avait dû faire face avec les Fasci siciliani de 1893-1894. Comme en Crète, on avait eu recours à un subtil panachage de coercition et de mansuétude. D’un côté des arrestations massives, la dissolution d’associations et la fermeture de journaux, de l’autre l’interdiction faite à la troupe, massivement déployée, d’utiliser ses armes. Comme en Crète, on avait parallèlement cherché à diminuer en Sicile les abus des administrations locales, notamment en matière fiscale. In fine, la répression avait toutefois pris un tour bien plus dramatique qu’en Crète, se soldant par des dizaines de morts et des centaines d’arrestations et de condamnations89.
33Je n’ai pas trouvé trace, dans les sources, d’un parallèle explicite entre la Sicile (ou tout autre périphérie italienne rébellionnaire) et la Crète. Il me semble pourtant que les Italiens arrivent en Crète avec une certaine expérience en la matière. Du reste, les qualités de la gendarmerie italienne sont unanimement reconnues en Crète : l’Arma dei carabinieri échappe à l’opprobre qui touche les forces armées italiennes, notamment auprès des Français. Les carabiniers reçoivent en outre un accueil très favorable de la part des « Gréco-crétois ». Le 1er septembre 1898, le capitaine Craveri prend le commandement d’une gendarmerie crétoise qui reste à créer90. Après l’échec de 1897, le maintien de l’ordre est confié à des gardes civiques locaux, chrétiens et musulmans, encadrés par les officiers des puissances. Dans le secteur italien, 18 carabiniers commandés par le lieutenant Arcangelo De Mandato encadrent 100 gardes civiques91. En septembre, le comité exécutif de l’Assemblée crétoise demande que la gendarmerie soit composée pour moitié de carabiniers italiens92. C’est en fait la totalité de l’encadrement qui échoit aux Italiens après la réorganisation de la gendarmerie en juin 1899 : une centaine d’officiers et sous-officiers encadrent un peu plus d’un millier de gendarmes crétois93. C’est à trois capitaines des carabiniers qu’est successivement confiée la direction de ce corps : Federico Craveri, Balduino Caprini et Eugenio Monaco94. De toutes les puissances engagées, l’Italie est la seule à voir apparaître un profil d’officiers spécialistes du maintien de l’ordre outre-mer, servant en Afrique, en Crète puis en Macédoine (et même, pour l’un d’eux, à Scutari en 1913), polyglottes et mobiles puisque ces affectations reposent sur le volontariat95.
34Les opérations de pacification sont menées avant tout par les contingents militaires européens, dont la tâche n’est guère facilitée par l’accumulation des haines, par l’état d’abandon dans lequel se trouvent les soldats ottomans livrés à eux-mêmes, ni par les 70 000 fusils laissés derrière lui par le corps expéditionnaire grec. Si les troupes internationales affrontent d’abord, au cours de brèves escarmouches, des gendarmes et soldats ottomans réduits au banditisme par la misère, il leur faut ensuite réprimer, avec beaucoup plus de difficultés, une révolte de la population musulmane elle-même. Forte de la bienveillante indifférence des troupes ottomanes, la plèbe musulmane de Candie se soulève et commet de nouveaux massacres dont le consul britannique lui-même est victime. L’émeute éclate en réaction à la mise en place de la collecte de l’impôt par l’administration internationale, mais traduit aussi un désespoir de fond, la minorité musulmane ayant compris que les puissances ont accepté son élimination à plus ou moins brève échéance96. Quant aux « Gréco-crétois », s’ils font d’abord bon accueil aux troupes européennes, le poids de la fiscalité, ressort traditionnel des rébellions dans le monde ottoman, compromet ces bonnes relations97. Pour les puissances, la Crète doit financer elle-même l’occupation, selon le principe tout britannique selon lequel l’empire ne doit rien coûter98. Or l’Italie se voit affecter un secteur d’occupation amputé de sa principale source de rentrées fiscales : le port de La Canée qui est, avec son arrière-pays immédiat, constitué en secteur international. Ce manque à gagner compromet la réalisation de travaux d’intérêt général susceptibles de calmer un peu la mauvaise humeur des populations99.
35Les Italiens placent alors un poste de douane dans chacun des huit minuscules ports qui leur restent, mais peinent à contrôler l’intérieur de leur secteur : les campagnes demeurent aux mains des notables et des chefs de bandes. Comme aux colonies, les occupants cherchent à s’en accommoder le mieux possible en choisissant les chefs de villages et les fonctionnaires les moins nuisibles à l’ordre public100 :
Mentre Kissamo Kastelli è completamente tranquillo, nell’interno avvengono con frequenza omicidi, ratti di fanciulle, furti e uccisioni di bestiame. Il Comandante del Presidio fa talvolta delle passeggiate militari coi soldati, traversando i paesi dove maggiormente abbondano i delinquenti, sperando che i capi si facciano animo per eseguire degli arresti in tali occasioni. Ma questi capi non osano fare ciò, per tema di vendetta, oppure loro conniventi101.
36Au début de l’opération, seules trois provinces sur cinq – celles du nord, proches de La Canée – sont véritablement occupées. On répartit ensuite des postes de carabiniers, aidés des gardes civiques crétois, dans l’ensemble du secteur, et Crispo fait sillonner le pays par des patrouilles. C’est peut-être la plus grande différence entre le « policing » à l’italienne et celui qui est pratiqué par les Ottomans, puisque ces derniers cantonnent de préférence les troupes dans les chefs-lieux, laissant le contrôle des villages aux communautés locales. Le fait que les carabiniers et les soldats italiens soient régulièrement et décemment payés explique aussi qu’ils n’aient pas, comme leurs homologues ottomans, à vivre sur le pays102. On peut, de nouveau, noter une certaine similitude avec la situation dans les campagnes italiennes, où en 1896 près de 900 stations de carabiniers ne comptent que 3 à 4 hommes isolés fautes de communications télégraphiques103.
37Dans les conclusions de son rapport, Crispo estime avoir « purgé le pays de ses malfaiteurs »104 : à l’été 1899, les Italiens, pressés de pouvoir proclamer leur mission civilisatrice accomplie, commencent à retirer leurs troupes, sur le constat officiel du succès de la pacification, qui porte, il est vrai, ses fruits dans les zones les moins éloignées des garnisons, comme le prouvent les témoignages de reconnaissance des populations105. Avec le départ des troupes ottomanes, l’administration militaire occidentale prend fin et l’île se trouve désormais gérée par un pouvoir autonome à la tête duquel est placé un haut-commissaire, qui se trouve être le prince Georges de Grèce. L’Italie tente de présenter un candidat monténégrin, afin de tirer parti d’une influence qui se développe à Cetinje depuis le mariage princier de 1896, mais l’opposition du prince Nicolas à la candidature de son cousin, le voïvode Božo Petrović, montre les limites de cette politique106. Avec la nomination du prince Georges, un pas important est franchi vers l’Enosis, mais le collège des puissances refuse toujours que la souveraineté nominale de la Porte soit remise en cause. Les troupes occidentales demeurées sur place doivent donc désormais faire face à l’hostilité des autorités qu’elles ont elles-mêmes contribué à mettre en place. Les partisans de l’Enosis peuvent, en particulier, tirer parti de l’exaspération de la population à l’égard de la fiscalité introduite par les occupants.
6.2.3. La dernière révolte de la Crète… contre les Italiens !
38Alors que les puissances pensent avoir accompli la tâche la plus ardue en mettant fin aux massacres et au régime ottoman, elles s’aperçoivent que l’action des partis crétois, qui s’appuient sur le brigandage traditionnel et sur le mécontentement populaire, ne peut conduire qu’à une escalade militaire impliquant l’envoi de troupes en grand nombre, ou bien à un désengagement complet. C’est en avril 1904 que le commandant de la gendarmerie crétoise, le capitaine Monaco, diagnostique la naissance d’un « courant hostile aux Italiens »107. D’après l’officier, cette hostilité est due à deux incidents malheureux et concordants. Un rapport adressé par le Ministre d’Italie à Athènes, Giulio Silvestrelli, au ministère des Affaires étrangères est publié en Italie ; on y affirme que les Grecs modernes ne sont pas de purs descendants des Hellènes, mais le produit d’un mélange entre Slaves et Grecs. La presse grecque s’en empare et Silvestrelli doit être muté à Madrid. Dans le même temps, le professeur Umberto Ancarani, enseignant d’italien auprès de l’école de la gendarmerie crétoise et du lycée-gymnase de La Canée, président de la section locale de la Dante Alighieri108, diffuse dans une de ses classe une Histoire de la Grèce qui reprend le même genre de commentaires, assortis de considérations sur le caractère « menteur » des Grecs109. Voilà un exemple supplémentaire de faits microscopiques prenant des proportions internationales grâce au répertoire d’action des nationalistes. Une nouvelle campagne anti-italienne est menée par la presse grecque, et un meeting de protestation réunit trois cents personnes à La Canée. Le capitaine Monaco attribue la naissance de ce mouvement à l’ingratitude des Crétois – un autre lieu commun sur le caractère grec – mais aussi aux manœuvres de puissances étrangères jalouses des succès italiens. En dernier lieu, il évoque un facteur sans doute plus crédible, celui de l’hostilité du prince Georges, qui paraît de plus en plus fâché de la tutelle italienne et bénéficie de l’appui du contingent russe.
39Au début de l’année 1905, le commandant des troupes italiennes se plaint ainsi au ministère des Affaires étrangères d’être le seul à respecter le caractère international du commandement. Russes et Britanniques refusent expressément de prendre leurs ordres ailleurs qu’auprès de leur propre consulat général. Pire, les Russes appuient clairement le parti de l’Enosis. Aussi le commandant italien réclame-t-il que le commandement unique soit attribué alternativement aux deux seules nations qui en respectent le principe, la France et l’Italie :
[Il comandante russo] Urbanovitch non solo avrebbe aumentato l’influenza russa nell’isola ; ma, amico personale del Principe e sua creatura, avrebbe fatto i suoi voleri, quelli cioè di diminuire l’influenza italiana e francese, far nascere attriti fra i vari contingenti, diminuire il loro prestigio morale, scalzare l’opera della gendarmeria italiana e prendere occasione dai probabili disordini per chiedere alle rispettive potenze il ritiro delle truppe per motivi d’ordine pubblico110.
40De fait, en 1905 éclatent plusieurs rébellions orchestrées par les comités révolutionnaires panhelléniques, contraignant les Italiens à reconquérir l’ensemble de leur secteur111. Sur le terrain, la situation est de plus en plus difficile : le consulat est attaqué à la bombe dans la nuit du 3 mai112. Les carabiniers sont particulièrement exposés aux attaques de tous types : atteignant un effectif maximal de 202 officiers et hommes de troupe113, ils sont répartis dans les postes de gendarmerie de l’intérieur, à raison de deux hommes par poste, ces binômes étant à la tête de contingents crétois qui s’amenuisent du fait des désertions toujours plus nombreuses. Dans les régions rebelles, les populations s’ingénient enfin à faire disparaître tout ce qui pourrait ravitailler les postes114. Les carabiniers sont en outre la cible d’une campagne de diffamation internationale qui met en difficulté le gouvernement. Le 24 mai 1905, le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères doit répondre à une interrogation parlementaire au sujet d’une grave accusation contre le capitaine Monaco : la presse belge se fait en effet l’écho d’une rumeur selon laquelle cet officier aurait tenté de payer un sous-officier crétois pour qu’il assassine un chef rebelle115. Au début de 1906, une commission d’enquête, composée d’un délégué de chacune des puissances, cherche à connaître les causes de l’agitation et les moyens d’y remédier. À cette date, l’ouest de l’île – dont le secteur italien – se trouve toujours plongé dans l’anarchie. Les conclusions de la commission sont sans appel :
En l’état actuel des choses, la Crète est, pour les quatre Puissances Protectrices, une cause incessante de soucis, de préoccupations, et de dépenses sans utilité. Sans nous permettre d’apprécier les raisons qui pourraient empêcher nos Gouvernements de donner à la question crétoise la solution que les Crétois espèrent et réclament, nous croyons devoir exprimer sincèrement notre opinion que le seul remède à la dangereuse situation actuelle est d’autoriser le plus tôt possible l’annexion de la Crète au Royaume de Grèce116.
41Lorsqu’il devient clair que les Puissances occidentales souhaitent voir durer le régime autonome, leurs rapports avec les différentes factions crétoises se tendent, et les carabiniers italiens, qui sont toujours à la tête des forces de sécurité, représentent de plus en plus nettement un ordre étranger à abattre. Après l’insurrection de 1905, les nationalistes gréco-crétois mettent leur retrait au cœur de leurs revendications. Pressé de se désengager d’une situation insoluble, le gouvernement italien accepte à la fin de 1906 le retrait de ses dernières troupes. Comme les autres Européens, les Italiens finissent par quitter l’île, sur le constat officiel du succès de leur œuvre civilisatrice.
6.2.4. Fors l’honneur
42Dans cette affaire crétoise, le gouvernement de Rome assure l’essentiel : prouver que l'Italie est bel et bien une grande puissance. L’affront subi à Adoua ne peut être lavé immédiatement en Afrique ; il l’est, en partie, en Crète, où soldats, marins et carabiniers estiment avoir relevé l’honneur national, en prouvant notamment leur capacité à administrer d’autres peuples. Voici comment le colonel Crispo achève son rapport, à l’origine destiné à la publication : « Io non esito a dire non essere i nostri, inferiori ad alcun altro popolo nelle attitudine colonizzatrici e nelle abilità di governo, di territori anche difficilissimi »117. En cette fin de siècle, la capacité à mettre sous tutelle d’autres peuples est de plus en plus largement considérée comme une preuve de valeur nationale ; aussi les réactions de la presse européenne après la défaite d’Adoua sont-elles été extrêmement mal reçues en Italie. La honte d’avoir été défaits par un peuple extra-européen s’ajoute aux anciennes pages douloureuses de Lissa et Custoza, « défaites ignominieuses » qu’il n’a toujours pas été possible d’effacer118. C’est la guerre de Libye qui permet véritablement d’exorciser ce vieux traumatisme ; l’occupation de la Crète constitue toutefois un laboratoire colonial préparatoire qui met en valeur une partie des qualités supposées de l’Italien en colonisateur. En Libye, les soldats de Rome se révèlent d’intrépides combattants ; en Crète, ils se mettent en scène en bâtisseurs, ce qui permet d’être en phase avec une opinion momentanément allergique aux conquêtes :
L’interno dei villaggi occupati dai distaccamenti nostri fu reso irriconoscibile, tanti furono i lavori edilizi che, colle mine e col piccone, fecero i nostri soldati.
[...] Io sono certo che, per lunghi anni, sarà ricordata l’opera degli italiani che, con pochissimi mezzi, seppero ottenere così notevoli risultamenti : come credo che i rappresentanti dei migliori eserciti europei che v’incontrammo, serberanno un buon ricorso ed una buona impressione delle nostre truppe.
[...] Scrupolosi nell’adempimento dei loro doveri, seppero gl’italiani contemperare la rigidità militare con quella cortesia e gentilezza di modi, che resero tanto bene accetta alle popolazioni la loro autorità119.
43Si, comme on le croit alors volontiers, la tenue des troupes reflète l’âme de la nation et les qualités de la « race », alors les troupes royales font montre de plusieurs qualités morales inventées comme proprement italiennes. Bâtisseur, l’Italien est porteur d’une modernité qui n’a pas à rougir de la confrontation avec celles que proposent les autres puissances occidentales. Sobre, il agit avec « très peu de moyens », ce qui permet de convertir l’imagerie négative véhiculée par l’émigration : celle d’un pays de travailleurs pauvres et mercenaires, partout méprisés120. Sous l’uniforme, donc sous l’autorité souveraine de la nation, l’Italien devient un colonisateur vertueux. La « courtoisie » et l’« amabilité des manières » revendiquées par Crispo sont celles d’un peuple qui a connu la souffrance et par conséquent est sympathique au faible. C’est en somme la fameuse formule « Italiani brava gente » qui trouve ici l’une de ses premières expressions, même si elle n’est pas explicitement employée121. Au contraire, les colonialismes britannique et surtout français sont en Italie réputés brutaux, et il convient de s’en démarquer. Visitant la Crète quelques années auparavant, le géologue Vittorio Simonelli se souvient ainsi de l’enfumage des grottes du Dahra par les troupes de Pélissier en 1844 : « In fin dei conti, certi generali dell’Europa nostra civile, generali francesi "pour tout dire" hanno fatto con gli arabi in Algeria proprio quello che i pascià turchi fecero co’ rifugiati di Melidòni »122. Cela n’a rien d’original : toutes les puissances européennes rejettent les tares du projet colonial vers les pratiques des autres colonisateurs123. Reste une spécificité italienne : le retournement du stigmate qui pèse sur les Italiens dans le regard des autres Européens, les Français en particulier (Aigues-Mortes a lieu quatre ans avant l’affaire de Crète). Par sa bonté naturelle, l’Italien est au contraire proche des colonisés ; ce qui, pour les autres Européens, est un argument de mépris (en Tunisie, en Égypte, les Italiens sont des subalternes parmi les « Blancs »), devient ici un élément d’efficacité : la « barrière coloniale » est à géométrie variable.
44Avant l’expédition de Crète, la bonté des Italiens envers leurs administrés d’outre-mer, et surtout l’efficacité découlant de tels rapports privilégiés, n’a pourtant rien d’évident. Adoua met cruellement en doute les capacités militaires des Italiens ; mais cinq ans plus tôt, un scandale éclabousse la colonisation italienne proprement dite. Lors de la première chute de Crispi, Di Rudinì ordonne une enquête parlementaire sur les agissements de certains fonctionnaires dans la colonie érythréenne, qui font déjà l’objet de forts soupçons sous le gouvernement précédent. Il apparaît que le secrétaire aux Affaires coloniales, Eteocle Cagnassi, et le chef de la police « indigène », le lieutenant des carabiniers Dario Livraghi, rançonnent les populations africaines et se livrent à toutes sortes d’exactions, et ce avec la complicité des militaires italiens124. Plus généralement, l’ordre colonial italien repose sur la pratique généralisée de la violence et de l’arbitraire, rebelles et opposants étant très fréquemment fusillés sans autre forme de procès125. En Crète, le comportement des forces italiennes semble avoir été radicalement différent, de même qu’en 1912 les violences sont infiniment moindres dans le Dodécanèse qu’en Libye (infra, chap. 8). Il est vrai que la résistance des populations n’est pas du tout de même nature, et sans doute le facteur racial compte-t-il : en dépit de tous les préjugés dont les Crétois sont, en tant qu’orientaux, la cible, il semble que les occupants se sentent malgré tout en terre quasi européenne.
45On comprend dès lors que la parade géante que constitue l’occupation de la Crète permette à l’armée et à l’administration « coloniale » italiennes de laver leur réputation ; à la fin du XIXe siècle, les colonisateurs s’observent, prétendent distinguer des modèles nationaux de colonisation, bâtissant des savoirs impériaux par l’observation des pratiques du voisin126. À une époque de passion militariste, il s’agit en outre de faire bella figura par rapport aux autres contingents, d’où la satisfaction de Crispo quant à la « rigidité militaire » de ses hommes ; les carabiniers, en particulier, ne déméritent pas. Sorte d’arche sainte à l’intérieur de l’armée italienne, l’Arma dispose, par ses authentiques qualités opérationnelles, d’un prestige enviable. Les monographies les plus récentes sur l’épisode de l’occupation de la Crète font d’ailleurs toujours figurer ce prestige retrouvé en conclusion de leurs analyses : efficacité et sobriété sont considérées par certains historiens militaires italiens de la fin du XXe siècle comme les vertus cardinales de l’armée italienne en mission de paix ; quant à l’épisode crétois, il aurait permis à l’Italie de reconquérir son rang de grande puissance127. En vérité, c’est en s’accrochant bec et ongles aux traités qui font de l’Italie l’une des puissances intéressées aux affaires orientales qu’elle parvient à conserver ce rang. Ainsi l’Italie, qui n’est en aucun cas une puissance financière à la différence de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, participe-t-elle à la création d’une Commission de contrôle des finances de la Grèce, ruinée par la « guerre maudite » de 1897128. Cette tutelle impérialiste n’exclut pas un philhellénisme sincère : alors que l’Allemagne veut voir ses créanciers remboursés jusqu’au dernier centime, le bloc libéral anglo-franco-italien se reforme pour la circonstance, obtenant que la tutelle internationale serve avant tout à redresser les finances de la Grèce et à la doter d’une comptabilité publique moderne. Le premier délégué italien à cette CFI est Luigi Bodio, haut fonctionnaire du Trésor italien et statisticien de renommée internationale. La nomination de ce grand savant fait partie de l’arsenal dont dispose l’Italie pour se mettre en scène en puissance morale, désintéressée, pacifique et progressiste, et où figure également en bonne place l’archéologie. En ce sens, l’île de Zeus et de Minos est aussi une terre d’élection du soft power scientifique de l’Italie.
6.3. L’archéologie comme élément de soft power ?
46Nous l’avons vu, les institutions savantes italiennes cultivent peu l’étude des choses balkaniques ; en outre, l’État italien n’est guère en mesure d’utiliser l’autre levier privilégié de l’expansionnisme savant, les expéditions scientifiques, fameux instrument de « l’invention scientifique de la Méditerranée »129. Avant l’Unité, les expéditions archéologiques outre-mer sont rarissimes. On peut citer l’expédition toscane en Égypte de 1827-1828, sous la direction d’Ippolito Rosellini130, titulaire de la chaire de langues et littératures orientales à l’université de Pise. Néanmoins, ce projet doit beaucoup à la France, co-organisatrice de l’expédition ; Rosellini avait d’ailleurs été lui-même l’assistant de Champollion au Louvre.
47Dès le lendemain de l’Unité, cependant, la diplomatie italienne dispose à Athènes, en la personne de Terenzo Mamiani Della Rovere, d’un chef de poste humaniste et philhellène. Le 6 septembre 1861, Mamiani transmet au ministre des Affaires étrangères, le baron Ricasoli, un plan d’action en Grèce. Il s’agit de faire du royaume hellène un allié de l’Italie ; la parenté ethnique et politique déjà évoquée en est à la fois la justification et le moyen. Le plan Mamiani comporte quatre points, dont un projet de traité de commerce, mais on retiendra ici le quatrième : « Ogni due anni l’invio in Atene di almeno tre giovani scelti fra i migliori allievi di scultura, architettura e filologia classica »131. Faute de moyens, la proposition reste sans lendemain et l’archéologie italienne dans le monde grec repose longtemps sur des initiatives individuelles : celles de l’archéologue et numismate sicilien Antonino Salinas et de l’architecte milanais Ambrogio Seveso, qui mènent en 1863 des fouilles sur le Céramique132, ou encore celles de Gherardo Ghirardini133, pionnier de la science préhistorique italienne, en 1879134, enfin et surtout celles de Federico Halbherr.
48Federico Halbherr est originaire du Trentin, alors possession autrichienne. Il opte pourtant pour la nationalité italienne en 1885, après un cursus universitaire commencé à Florence, sous la direction du professeur Domenico Comparetti. Après des études à Berlin, Munich, puis Athènes135, Halbherr oriente ses travaux vers l’île de Crète sur les conseils de Comparetti. Cette île lointaine a l’avantage d’appartenir à un Empire ottoman fort accueillant aux archéologues étrangers, et d’être encore peu explorée ; il s’agit en somme de fuir l’hégémonie des collègues britanniques, français ou allemands, qui règnent sur les vestiges de la Grèce propre136. Une bonne partie du patrimoine de la Grèce ancienne se trouve en effet dans l’Empire ottoman, où les ressortissants italiens peuvent pratiquer l’archéologie à leur guise ou presque, l’insécurité qui règne dans nombre de campagnes, et notamment dans les vilayets albanais tout proches, s’avérant dissuasive. À part les promenades savantes du consul De Gubernatis en Épire, on ne compte pratiquement aucune initiative archéologique proprement italienne en Albanie avant la Première Guerre mondiale137.
49Pendant près de vingt ans, Halbherr étudie la Crète ancienne, séjournant à plusieurs reprises dans l’île, et ce grâce à des expédients plutôt qu’à un véritable soutien institutionnel138. Lors de la première expédition de 1883-1884, Halbherr sollicite ainsi les compétences de l’ingénieur Raimondo Ravà, détaché en Crète par le ministère des Travaux publics. Pourtant, Halbherr fait, dès 1884, une découverte sensationnelle : celle du code des lois de Gortyne, rédigé en dialecte dorien139. Mais il faut attendre la campagne de 1893-1894 pour que les élèves de l’école archéologique de Rome, tenus d’effectuer un séjour en Grèce, viennent en renfort : Halbherr peut ainsi compter sur Antonio Taramelli, Lucio Marini, Luigi Savignoni et Gaetano De Sanctis140. Ces mêmes années, les Italiens peuvent se lancer dans une exploration systématique de l’île grâce aux fonds octroyés par le gouvernement des États-Unis d’Amérique. C’est dire combien l’archéologie italienne en Crète est, au départ, un phénomène marginal, reposant sur les initiatives individuelles et devant beaucoup au hasard.
50Cette modestie initiale a peut-être aussi constitué un atout. Les acteurs culturels locaux se méfient ainsi beaucoup moins des Italiens que des autres Occidentaux, et leur offrent un appui précieux : dès les premières campagnes, le Philekpedeftikos Syllogos, ou « cercle des amis de l’instruction », apporte son aide à Halbherr de préférence au Britannique Evans qui est déjà à l’œuvre dans l’île. L’association, créée quelques années auparavant, émane de la société archéologique d’Athènes141 et Halbherr se lie d’amitié avec son fondateur, Minos Kalokerinos, de même qu’avec son successeur Iosif Hatzidakis142. Les relations entre Halbherr et le syllogue ne sont, au départ, pas idylliques, le premier s’estimant simplement « toléré » par le second143. La position de Hatzidakis évolue cependant, et l’Italien finit par apparaître comme un auxiliaire efficace et peu dangereux, dans un contexte d’urgence face aux déprédations commises par les paysans sur les sites des fouilles144. En 1885, Halbherr est même embauché par le syllogue pour fouiller la grotte du mont Ida, réputée avoir abrité l’enfance de Zeus. Pour ce travail, le jeune savant reçoit une subvention de 2000 francs145. Miser sur Halbherr s’avère un calcul fort juste, comme en témoigne l’action du gouvernement italien lors de l’insurrection de 1889.
51Les premières trouvailles de Halbherr et de ses amis crétois ont permis la création d’un musée archéologique à Candie (Héraklion). Lorsqu’éclate une nouvelle révolte dans l’île, la politique étrangère italienne a pris, sous la direction de Francesco Crispi, une tournure volontariste (supra, chap. 4). En septembre 1889, Hatzidakis profite des contacts que la politique patrimoniale italo-crétoise lui a permis de nouer pour appeler à l’aide l’Instruction publique italienne. Le ministre Boselli demande alors à son collègue des Affaires étrangères, qui n’est autre que Francesco Crispi, de défendre le musée. Le document relatif à cette demande est en mauvais état de conservation, mais il est possible d’en comprendre l’essentiel du propos :
Le ultime notizie da Candia mettono [illisible] forte preoccupazione questo Ministro per la tutela delle collezioni antiquarie e formate [illisible] fonti delle ricerche italiane in Creta. [illisible] comunicazioni vennero dal Direttore del Museo di Candia Cav. Giuseppe Hazzidaki [illisible]bbe onorificenze dal nostro Governo [illisible]to per la parte prestata in queste [illisible] ricerche146. Sarebbe necessario avvertire telegraficamente il nostro Console residente [illisible] Canea di proteggere in ogni modo [illisible]tituzione a chi il nome italiano è [illisible]147.
52L’Italie envoie un navire dans les eaux crétoises afin de protéger les ressortissants italiens et allemands148, sauvant du même coup le musée archéologique de la destruction et du pillage. Toutefois, faute de moyens et de volonté politique, l’occasion d’une implantation scientifique italienne est manquée149. L’île connaît ensuite un calme relatif, et Halbherr et Hatzidakis déploient des trésors d’ingéniosité pour acheter des terres dans le village de Agioi Deka, près duquel se trouve le site de Gortyne. Ces lopins appartiennent à deux groupes rivaux d'une même famille crétoise, qui savent tous deux faire monter les enchères150. Les terrains sont ensuite cédés à Comparetti, qui est le véritable bailleur de fonds. Reste ensuite à protéger le terrain des conflits agraires inhérents à cette société méditerranéenne : les transformations en cours, notamment dans l’Empire ottoman, se traduisent en effet par des conflits d’usage et des usurpations151 :
Intanto qua ho trattato ripetutamente col console intorno al modo di far rispettare le Sue proprietà di Haghio Deka dopo la mia partenza dall’isola, perché essendo gli abitanti di quei luoghi quasi tutti ladri l’occasione è da aspettarsi che i vicini non tarderanno a spostare i confini ed a distruggere gli edifizii per rubarne le pietre. Suo terreno sarà posto sotto la protezione del consolato e del sillogo ed una pianta che io eseguirò verrà posta al consolato stesso o all’agenzia di Candia pella verifica dei confini152.
53Les autorités locales prêtent généralement de bonne grâce un gendarme pour surveiller le site153 ; on constate donc l’existence d’une sorte de front de défense du patrimoine crétois, associant lettrés gréco-crétois du syllogue, archéologues italiens et pouvoir ottoman (le gouverneur Photiadès Pacha s’avérant un numismate éclairé et un interlocuteur apprécié de Halbherr). Le syllogue se retrouve donc dans la position de représenter, face aux paysans, le pouvoir ottoman, alors même qu’il promeut l’identité grecque de l’île et milite in petto pour l’Enosis. Halbherr tente quant à lui de faire profiter la Crète de l’expérience normative italienne en matière de patrimoine archéologique154 :
Al mio ritorno da Messarà, ho trovato sul tavolo un opuscolo in cui sono raccolti le leggi dei passati governi d’Italia sulle collezioni e i ritrovi d’antichità ed ho pensato farne dono al Sillogo il quale potrebbe cavarne qualche cosa al bene dell’Isola, quantunque la mia esperienza di questi paesi cominci a farmi persuaso che ben poco in fatto di ordinamenti puossi aspettare da questa gente, almeno per una o più generazioni ancora155.
54La participation italienne au protectorat international sur la Crète constitue donc pour Halbherr une occasion inespérée de pérenniser ses travaux. Dès 1896, l’archéologue sollicite le gouvernement italien, lui proposant de soutenir l’action du syllogue en vue d’en faire la matrice d’une future implantation italienne156. Au printemps 1899, l’Italie établit en Crète une « station archéologique », en dépit des fortes préventions des archéologues italiens, dont beaucoup estiment que les maigres ressources devraient être en priorité affectées à un patrimoine national surabondant157. Appuyé par Domenico Comparetti et Luigi Pigorini, une autre sommité de l’archéologie italienne, Halbherr tente, avec plus ou moins de bonheur, d’associer diverses institutions savantes à son action de lobbying auprès des ministères des Affaires étrangères et de l’Instruction publique : Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti (Venise), Accademia delle Scienze (Turin), Scuola Archeologica Italiana et Accademia dei Lincei (Rome). Halbherr parvient ainsi à faire mener des travaux à Phaistos et Haghia Triada158, situés comme Gortyne dans le secteur d’occupation britannique.
55Les fortes tensions entre les autorités italiennes et les nationalistes panhelléniques concernent d’ailleurs également le patrimoine monumental et sa préservation : en 1904 paraissent en Italie des articles fustigeant les destructions dont sont victimes les vestiges vénitiens du fait des opérations de rénovation urbaine entreprises par le gouvernement autonome crétois159. La station archéologique italienne elle-même est menacée faute de financement, et il faut l’intervention du consul à La Canée auprès du président du Conseil et ministre des Affaires étrangères pour qu’elle échappe à la fermeture. À cette époque, Halbherr peut aussi compter sur l’appui du sénateur Angelo Mosso. Ce médecin et universitaire turinois est l’auteur de travaux renommés croisant physiologie et psychologie160. Au tournant du siècle, il s’engage contre la supposée décadence physique des Italiens par la promotion de la gymnastique patriotique. Dans les années qui précèdent sa mort en 1910, il s’intéresse à l’archéologie, en Sicile, dans le Mezzogiorno et en Crète. Dans la droite ligne des travaux de Giuseppe Sergi (chap. 5), il refuse les thèses de l’indo-germanisme et situe en Méditerranée l’origine de la civilisation, vestiges crétois à l’appui161.
56C’est toutefois la création de l’École archéologique italienne d’Athènes en 1909 qui offre aux entreprises de Halbherr la sécurité institutionnelle et financière qui leur manquait. Le roi, féru d’archéologie, semble avoir joué un rôle décisif dans la création de cette institution, qui déplaît à bon nombre d’archéologues italiens162. Quant à la station crétoise, Halbherr a l’habileté de laisser entendre qu’elle pourrait être « la base di operazione per una serie di esplorazioni più larghe nei paesi del bacino orientale del Mediterraneo », autrement dit un tremplin vers l’Asie mineure et la Libye163. Le colonialisme de l’Italie s’affirme donc aussi par la mise en valeur du patrimoine archéologique, qu’on expérimente en Crète et qu’on développera à Rhodes (infra, chap. 8). En Crète, c’est aussi l’illustration d’un philhellénisme officiel, qui cohabite tant bien que mal avec un philhellénisme contestataire, déchaîné par l’opposition des puissances à la tentative d’annexion de l’île par la Grèce en 1897.
6.4. Génération 97 ? L’opinion publique italienne et la question crétoise
57La mobilisation en faveur des insurgés crétois commence en Italie dès le mois d’août 1896. Francesco Crispi encourage ce mouvement alors que l’anticolonialisme atteint son apogée, l’opposition républicaine recevant désormais le renfort d’une grande partie des modérés et des milieux industriels du nord, qui voient dans l’expansionnisme crispinien une politique au service du sud, sans égards pour les intérêts de l’Italie industrialisée164. Le transfert de l’action italienne de l’Afrique vers les Balkans semble finalement arranger tout le monde, sauf, dans un premier temps du moins, le gouvernement modéré qui tente de calmer l’incendie philhellène.
58Le 17 août 1896, Visconti Venosta, ayant été averti par les autorités ottomanes du départ de volontaires italiens pour la Crète, contacte le ministre de l’Intérieur qui n'est autre que le président du Conseil Di Rudinì ; ce dernier envoie une circulaire aux préfets les engageant à surveiller et à réprimer aux besoins les manifestations philhellènes. Le 24, Di Rudinì est en mesure d’affirmer à Visconti Venosta qu’aucun départ de volontaires n’a été signalé ; en revanche, de multiples manifestations de soutien aux insurgés ont eu lieu165. Les bastions républicains et irrédentistes sont les plus actifs dans ces premiers mouvements, de même que la franc-maçonnerie : le 18 février 1897, le Grand Orient d’Italie exprime sa solidarité à son homologue grec, et nombreux sont les maçons à la fois membres de cercles irrédentistes et de comités philhellènes166. Même si les premières initiatives se bornent à des adresses et à des souscriptions, plusieurs associations s’activent à Gênes, Rome, Milan, Venise, dans les Romagnes et à Livourne, où 200 jeunes républicains adressent une motion de soutien au consul de Grèce. Di Rudinì prend personnellement en main la surveillance des points d’embarquement possibles, mobilisant le corps préfectoral et le ministre de la Marine. Il faut dire que les nationalistes grecs savent s’adresser à l’opinion publique occidentale : le 14 juin 1896, le « comité central crétois », basé à Athènes, adresse un appel « aux gouvernements des grandes puissances chrétiennes » ensuite diffusé dans la presse et suivi d’autres du même genre167. Le récit des atrocités commises par les « Turco-crétois » favorise grandement la mobilisation, qui recrute immédiatement au-delà des cercles républicains : Di Rudinì note ainsi que le comité vénitien est composé de « personnes tempérées », dont le député Tiepolo168. Cet élargissement de la mobilisation tranche fortement avec les événements de 1875-78, lors desquelles l’extrême-gauche avait pratiquement été la seule à agir.
59En 1897, c’est la liberté des Grecs, et non celle des Slaves qui est en jeu. Ceux-ci sont encore peu connus, ou commencent à faire l’objet de préjugés négatifs du fait de l’évolution du rapport de forces dans les terres irrédentes ; ceux-là, en revanche, sont toujours les héros d’une culture bourgeoise et petite-bourgeoise profondément imprégnée de rhétorique classicisante. Au printemps de cette année, des « comités philocrétois » se créent dans des dizaines de localités à travers toute l’Italie. On est certes loin des phénomènes massifs qu’on connaîtra en 1914-1915 à l’occasion du débat sur l’entrée en guerre, mais il me semble qu’il y a là une première union sacrée italienne, alors que l’historiographie voit la genèse de 1915 dans les manifestations irrédentistes de 1903 et 1908169. En 1915, le ciment de l’interventionnisme est bel et bien l’irrédentisme ; mais en 1897, le philhellénisme constitue un catalyseur également propre à souder les générations et à associer militants de gauche et notabilités libérales-conservatrices. Comme la mobilisation interventionniste de 1915, la campagne philhellène est interclassiste mais organisée autour de la bourgeoisie ; comme elle, elle recrute à gauche et à droite ; comme elle, elle repose concrètement sur une myriade d’associations qui s’inscrivent en partie dans une « nébuleuse monarchiste »170 ; et comme elle, elle concerne toute l’Italie, nord, centre et sud, métropoles et bourgades.
60Les lieux et les acteurs de ce que les pouvoirs publics appellent « agitation pro Candia » nous sont connus grâce à la correspondance entre la hiérarchie policière et le ministère des Affaires étrangères. Les autorités parlent de « manifestations », d’« agitation », ce qui renvoie à des pratiques très variées mais en fait globalement fort peu subversives et éloignées de ce que nous appelons aujourd’hui manifestation, même si ces actions critiquent implicitement ou explicitement la faiblesse du soutien témoigné par le gouvernement italien à la Grèce. Jusqu’à l’époque giolittienne, les rencontres à caractère politique ne peuvent se dérouler que dans un espace clos171, la loi de 1889 donnant à la police toute latitude pour interdire et réprimer172. L’occupation de l’espace public, ainsi lors des manifestations irrédentistes de l’été 1878 (voir supra, chap. 3), leur confère donc immédiatement un caractère subversif et demeure une pratique réservée à la gauche radicale, irrédentiste, républicaine, socialiste, etc. Néanmoins, dans les années 1890 l’intégration du Risorgimento démocratique dans une mémoire commune conduit à une massification des célébrations patriotiques, auparavant sévèrement contrôlées173. Or les mobilisations philhellènes de 1897 ont ceci de particulier qu’elles rassemblent la quasi-totalité du spectre politique italien, des anarchistes aux conservateurs en passant par les socialistes, républicains et modérés, parfois dans le cadre de manifestations œcuméniques rassemblant républicains et monarchistes.
61L’« agitation pro Candia » est recensée dans des grandes villes telles que Milan, Bologne, Rome, Florence et Naples. Des villes moins importantes, mais liées à la Grèce, soit par la présence d’une diaspora hellénique ancienne, soit par la proximité géographique : Livourne, Ancône, Bari, Brindisi sont également concernées. Ce qui frappe, toutefois, c’est la présence de comités pro Candia dans de toutes petites localités, comme Acqui Terme en Piémont, Novera en Ombrie ou encore Treviglio en Lombardie, ainsi que leur diffusion dans toute la péninsule et en Sardaigne, mais aux notables exceptions de Turin, ancienne capitale de la dynastie, et de Venise qui pourtant a une longue tradition de liens avec la Grèce. Mais peut-être des actions y ont-elles eu lieu sans qu’elles soient répertoriées dans les dossiers de la Consulta174. Dans un premier temps, la mobilisation se limite à un soutien moral, via un répertoire d’action varié : meetings, conférences, pétitions, souscriptions et télégrammes, ces derniers typiques d’une « politisation neutre »175. Ce répertoire modéré favorise le caractère transidéologique et interclassiste du mouvement. Bien souvent, l’honorabilité de la cause conduit la police à tolérer les cortèges, qui rallient le comizio ou au contraire en partent. On défile au son des fanfares des sociétés ouvrières, estudiantines ou de gymnastique, dont les bannières ornent les cortèges.
62L’intervention des puissances européennes en Crète excite considérablement l’activité des comités philocrétois : elle favorise la mise en récit du peuple opprimé par les diplomaties complices de la barbarie turque. Le 16 février 1897, les troupes grecques du commandant Vassos violent l’ultimatum que leur avaient adressé les amiraux, et continuent à attaquer les positions ottomanes. Le 21, la flotte multinationale tire une trentaine de coups sur les positions grecques, obtenant ainsi l’arrêt de l’offensive du corps expéditionnaire et le départ de la flotte hellénique. Il y a une quinzaine de tués, parmi lesquels figurent, selon la rumeur, plusieurs volontaires italiens. Heureusement pour le gouvernement de Rome, les navires italiens et français n’ont pas pu tirer ; d’après les amiraux, leur angle de tir était en effet obstrué par d’autres navires. Coïncidence, l’Italie et la France sont les deux pays où la mobilisation philhellène est la plus forte.
63L'amiral n’en est pas moins violemment attaqué dans les journaux et à la Chambre, où les députés socialistes et radicaux Leonida Bissolatti, Matteo Renato Imbriani, Felice Cavalotti et Giovanni Bovio protestent solennellement176 ; c’est aussi, comme nous l’avons vu, l’occasion d’un morceau de bravoure carduccien au sénat (supra, chap. 2). Hors du parlement, les étudiants et les professeurs sont les plus actifs177. Naples, terre de classicisme philhellène, ne peut être en reste : le 28 février 1897, le recteur de l’université écrit ainsi au président de la Chambre des députés grecs, la Vouli, afin de lui faire part du soutien du conseil académique, du corps professoral et des étudiants parthénopéens, évoquant la dette de l’Italie à l’égard du berceau de la civilisation178. L’« Association des étudiants monarchistes de Milan » lance, quant à elle, une pétition qui recueille plusieurs centaines de signatures individuelles et collectives, parmi lesquelles on peut citer celles de la « Società Italia – Savoja – Urbino », du « Circolo Monarchico » et de l’association des vétérans de 1849-1859 de Sienne, du « Comitato Pro Candia » de Naples, ou encore du « Circolo Monarchico Universitario » de Rome179. On le voit, la mobilisation recrute bien au-delà des rangs traditionnellement philhellènes de l’Estrema. La police évoque même la participation de grandes figures de l’opposition :
Comunico il seguente telegramma del prefetto di Roma : « Riservato. Continua agitazione pro Candia e moltissimi si rivolgono giornalmente al Generale Menotti Garibaldi con lettere e telegrammi per essere inscritti come volontari, ma finora nessun ajuto in danaro è pervenuto. [...] Vuolsi che [Menotti] sia sostenuto [...] da S. E. Crispi e dall’on. Sonnino, e che abbia avuto una intervista col Ministro di Grecia in Roma180 ».
64Menotti Garibaldi, l’un des fils de Giuseppe, préside en effet le Comité central Pro Candia, alors que son frère Ricciotti commande en Thessalie une partie des volontaires italiens incorporés à l’armée grecque181. L’engagement philhellène de Crispi ne peut nous surprendre ; quant à celui de son héritier Sonnino, il confirmerait les convergences possibles entre la droite autoritaire et l’Estrema sur les thèmes de l’engagement militaire et de l’action dans les Balkans, sur lesquels nous reviendrons182. Un certain aveuglement philhellène explique l’ampleur du consensus. On persiste en effet à voir les musulmans comme des envahisseurs, en dépit du caractère autochtone des « Turco-crétois ».
65La mobilisation humanitaire en faveur des victimes de massacres se limite ainsi souvent aux seuls « Gréco-crétois ». C’est au contraire dans le secret de la correspondance diplomatique qu’il faut trouver une leçon d’humanisme, donnée par le vieil ambassadeur à Vienne, Costantino Nigra :
La questione di nazionalità e di suffragio universale in Creta, cioè in un paese nel quale un terzo della popolazione non vuol saperne di passare sotto il dominio della Grecia, si presenta qui in aspetto assai diverso di quello che la stessa questione assunse in Italia e altrove. I musulmani cretesi sono della stessa stirpe che i cristiani cretesi, sono indigeni, quanto gli altri, e proprietarî quanto gli altri del suolo che occupano. E perché hanno una religione diversa dalla cristiana non sarebbe più giusto di quanto sia o sarebbe l’espellere da un paese cristiano gli ebrei, o da un paese cattolico i valdesi o i protestanti. E se non è giusto cacciare i musulmani cretesi da Creta, non è più equo il sottometterli ai greci di Atene o di Creta stessa contro la loro volontà, e ciò soltanto per soddisfare la maggioranza e l’ambizione ateniese183.
66Quoique d’origine bourgeoise, Nigra est un monarchiste conservateur issu du corps diplomatique sarde. Il a d’abord été partisan de favoriser l’hellénisme en Crète, en vertu du principe des nationalités, qui ne doit, à son avis, pas être sacrifié aux intérêts italiens184. Quelques semaines plus tard, toutefois, ce diplomate – qui a aussi la rare qualité d’être un ethnographe de renom – modifie sa position à l’aune de ses convictions libérales, représentatives d’un modérantisme qui vit ses dernières années : la volonté de la majorité ne peut légitimer que soient bafoués les droits de la minorité, quand bien même elle serait musulmane185. Au nom de la propriété et de l’égalité religieuse, le vieux modérantisme libéral prend la défense d’une minorité ethnique hâtivement rejetée de la communauté européenne par ceux qui, à droite et à gauche, vilipendent le conformisme bourgeois et professent le combat nationalitaire.
67Les modérés au pouvoir parviennent toutefois à gauchir le consensus philhellène à la faveur de l’occupation internationale. Après le départ des troupes grecques de Crète, les violences s’apaisent et les puissances parviennent à rétablir un calme relatif. La mobilisation philocrétoise en Italie s’éteint donc progressivement à la fin du printemps 1897, en dépit de l’épisode spectaculaire de la bataille de Domokos, qui voit, le 17 mai, les garibaldiens italiens affronter les forces ottomanes pour couvrir la retraite de l’armée grecque. Le député de Forlì Antonio Fratti y est tué, et fait l’objet d’une monumentalisation de papier dans une presse à grand tirage qui modernise le culte des martyrs politiques.
68L’opposition parlementaire attaque toutefois la politique de Di Rudinì et Visconti Venosta lors de la discussion de la politique étrangère à l’automne suivant. À cette occasion, Visconti Venosta a l’habileté de présenter une partie de la correspondance diplomatique relative aux affaires de Crète186. Le ministère avait l’habitude d’imprimer les documents les plus importants et de les relier par thèmes, afin de disposer d’une documentation de référence à usage interne187. C’est de ces volumes dits « libri verdi » qu’est extraite la documentation destinée à être rendue publique. Il s’agit bien entendu de textes non classifiés destinés à justifier l’action italienne vis-à-vis de l’opinion publique. Les rapports du consul Medana sur les atrocités commises de part et d’autre y figurent en bonne part, de même que ceux de l’amiral Canevaro, qui paraît, y compris dans la correspondance restée secrète, avoir toujours cherché à limiter l'usage de la force 188. On insiste également sur la reconquête d’une partie du prestige perdu en 1896, et sur la détente des relations avec la France, qu’illustre un article écrit par Victor Bérard dans La Revue de Paris :
La tenue, la discipline et l’habileté des marins italiens s’est, pour la première fois, affirmée dans cette campagne de Crète : tout le monde reconnaît que la Méditerranée compte une flotte militaire de plus. [...] Il est possible que [la réconciliation entre militaires français et italiens] soit pour nous le plus clair profit de l’expédition crétoise189.
69Après l’échec colonial de 1896, le vaste consensus qui se forme en 1897 autour de la question crétoise montre que les composantes de l’opinion publique qui sont favorables à une politique étrangère de force se sont repliées sur les Balkans, où elles rencontrent les partisans d’une politique nationalitaire contre l’Autriche-Hongrie. La réhabilitation de la colonisation à la faveur du décollage industriel diffère toutefois pour un temps l’affirmation de ce consensus. La sphère de décision, néanmoins, a compris qu’elle peut retirer un profit politique de l’utilisation de son outil militaire dans des missions d’interposition et de « réformes », aussi bien sur la scène intérieure italienne que face aux autres grandes puissances. La crise de Macédoine qui éclate en 1903, alors que l’Italie est toujours engagée en Crète, constitue pour elle une autre occasion de cette articulation particulière du hard et du soft power.
6.5. L’Italie et la réorganisation de la gendarmerie macédonienne
70En août 1903 éclate l’insurrection dite d’Ilinden190 : l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (ORIM) soulève 20 000 hommes, rapidement écrasés par les forces ottomanes. Les régions insurgées sont dévastées et l’ORIM reprend sa stratégie terroriste. Or, la Russie et l’Autriche-Hongrie sont, depuis 1897, en plein rapprochement diplomatique191. Par les accords de Mürzsteg, conclus le 22 octobre 1903, elles imposent au sultan l’envoi de deux « agents civils spéciaux », chargés de surveiller la fin des combats et la mise en place de réformes censée mettre fin à un malgoverno ottoman jugé responsable de la situation (en réalité l’ORIM s’est soulevée dans l’espoir d’une intervention russe ou austro-hongroise qui conduirait à l’indépendance, selon le scénario de 1877-1878). Autriche-Hongrie et Russie semblent donc mettre en place un condominium sur la Turquie d’Europe. Toutefois, les accords prévoient la réorganisation des forces de l’ordre ottomanes en Macédoine sous l’égide des puissances :
2. Vu que la réorganisation de la gendarmerie et de la police turques constitue une des mesures les plus essentielles pour la pacification du pays, il serait urgent d’exiger de la Porte l’introduction de cette réforme.
[…]
a) La tâche de réorganiser la gendarmerie dans les trois vilayets sera confiée à un général de nationalité étrangère, au service du Gouvernement Impérial Ottoman, auquel pourraient être adjoints des militaires des Grandes Puissances qui se partageraient entre eux les circonscriptions où ils déploieraient leur activité de contrôleurs, d’instructeurs et d’organisateurs. De cette manière ils seraient à même de surveiller aussi les procédés des troupes envers la population.
b) Ces officiers pourront demander, si cela leur paraissait nécessaire, l’adjonction d’un certain nombre d’officiers et de sous-officiers de nationalité étrangère192.
71La sphère de décision italienne est très sceptique quant à l’efficacité du programme de réformes austro-russe, et l’état-major envisage même une stratégie en cas d’aggravation de la crise : saisie de Valona et mesures défensives contre l’Autriche-Hongrie193. Les puissances, dont l’Italie, s’emparent cependant du projet de réorganisation de la gendarmerie, qui permet de sortir du duopole austro-russe et de remettre en marche le système directorial à six hérité des traités de Paris et Berlin194. Les espérances de l’Italie sont même comblées puisque, dès le 1er décembre, le ministre Tittoni apprend de l’ambassadeur à Constantinople, Malaspina, que l’Autriche-Hongrie et la Russie ont l’intention de proposer le choix d’un officier italien pour commander la gendarmerie réorganisée :
L’impressione ne sarebbe ottima in Italia, e l’attuazione gioverebbe indubbiamente alla causa della pacificazione in Macedonia. V. E. sa, ed all’uopo potrebbe, se crede, anche rammentare con quanta pienezza di successo i nostri ufficiali hanno riordinato e fatto funzionare la gendarmeria indigena in Creta, dove, ad uno stato di permanente disordine, è ora subentrata perfetta tranquillità195.
72Cette divine surprise provient du fait que l’Autriche et la Russie craignent moins l’influence de l’Italie que celle de la France ou du Royaume-Uni196, seules concurrentes puisque l’Allemagne est en retrait et que ni Vienne ni Saint-Pétersbourg ne peuvent décemment présenter de candidats. L’Italie n’est donc pas loin d’être associée, dans le regard des autres grandes puissances, aux « États secondaires » d’Europe du nord-ouest. Ceux-ci, en effet, sont régulièrement envisagés par les puissances comme pourvoyeurs de cadres pour la réforme du maintien de l’ordre dans l’Empire ottoman, lequel n’est pas contre, préférant les immixtions de Suédois ou de Néerlandais à celles d’Autrichiens ou de Russes197. Ce n’est pas très rassurant pour Rome, où l’on voit toutefois clairement se dessiner la continuité du recours aux carabiniers comme élément du soft power. Via une mission de « réorganisation », il est possible d’intervenir militairement, mais dans des proportions symboliques et sécurisées par un cadre multilatéral qui rend un affrontement très improbable. Possibilité est donnée, notamment, de surveiller étroitement l’Autriche-Hongrie, tout en maintenant officiellement les meilleures relations avec l’allié du nord.
73Malaspina entreprend donc immédiatement de toucher le sultan, dont l’accord est indispensable. On fait donc donner l’irremplaçable Cangià : habitué à traiter les affaires délicates, le premier drogman de l’ambassade présente des arguments convaincants au premier secrétaire du sultan, Tahsin Pacha198. On suppose que lesdits arguments ne résident pas seulement dans la proclamation de la « supériorité incontestable » des carabiniers sur les autres gendarmes européens199. La Porte tente pourtant quelques manœuvres dilatoires, se tournant vers l’Allemagne puis la France, mais face au front uni des puissances, doit se résoudre à solliciter l’Italie le 2 janvier 1904. Le même jour, le Conseil des ministres italien nomme le lieutenant-général Emilio De Giorgis, commandant la division de Cagliari200. Né à Suse en 1844, c’est un officier du génie qui n’a pas d’expérience des Balkans, fraîchement promu lieutenant-général après avoir commandé la brigade Casale pendant treize ans201. Le 8 février 1904 se réunit à Constantinople la commission de réorganisation de la gendarmerie macédonienne. Sous la présidence de De Giorgis, elle réunit douze délégués des puissances auprès de De Giorgis : les six attachés militaires et leurs propres « adjoints-militaires ». À ces hommes s’ajoutent l’aide de camp de De Giorgis et celui du général russe202. Durant la suite de son mandat, la mission De Giorgis est basée à Salonique, d’où le général et ses adjoints entreprennent des tournées d’inspection dans l’intérieur.
74Comme tous les officiers européens volontaires pour servir en Macédoine (à l’exception des adjoints militaires que chaque puissance délègue directement auprès du général De Giorgis, lui-même considéré comme officier ottoman), les officiers italiens sont engagés par l’armée ottomane dans le grade supérieur à celui qui est le leur dans le Regio esercito, tout en gardant leurs droits d’officiers et de sujets de leur pays d’origine qui leur confère une sorte de statut d’extraterritorialité203. Le vivier du recrutement est restreint, car les officiers doivent être célibataires, polyglottes, disposés à partir trois ans avec la perspective d’une solde importante mais en dehors de la responsabilité de l’État italien, qui cependant prétend garder un droit de contrôle sur eux. À la différence de l’opération crétoise, les volontaires ne sont pas en service commandé, mais détachés auprès d’une armée étrangère. La Porte obtient toutefois que seul un petit nombre d’officiers étrangers soit affecté en Macédoine : en avril 1904, sur 25 officiers étrangers, ce sont cinq italiens qui y servent, dont deux seulement sur le terrain, les trois autres étant affectés à l’école de gendarmerie de Salonique, au service de De Giorgis et de l’adjoint-militaire italien204. En janvier 1905, cinq officiers italiens supplémentaires sont envoyés en Macédoine après que le gouvernement ottoman a accepté le doublement des effectifs engagés205. Parmi les volontaires, six officiers ont déjà servi en Crète, dont les capitaines des carabiniers Federico Craveri et Balduino Luigi Caprini, qui tous deux ont commandé la gendarmerie insulaire. Le second est d’ailleurs nommé aide de camp de De Giorgis dès février 1904206. L’expérience macédonienne permet aussi la formation d’une nouvelle génération d’experts : le lieutenant Fortunato Castoldi, né à Vigevano (dans la province de Pavie) en 1876, est un officier d’infanterie ainsi mis à disposition du ministère des Affaires étrangères pour servir dans la gendarmerie internationale macédonienne du 11 janvier 1905 au 1er septembre 1909207. C’est le début d’une carrière de spécialiste des Balkans qui l’amène à devenir un homme-clé de la politique italienne en Albanie : avec le capitaine De Vicentis, autre vétéran de la gendarmerie macédonienne, il fait ainsi partie de l’Ufficio Albania, structure officieuse créée en 1913 (infra, chap. 8).
75Rapidement, le général De Giorgis se plaint de voir ses projets de réforme sabotés par les autorités ottomanes, voire par les milieux d’affaires grecs de l’empire hostiles aux nationalismes locaux208. Dotée d’un mandat flou, la commission est en effet maintenue par les autorités ottomanes (aidées en cela par la diplomatie allemande), dans des prérogatives strictement techniques d’expertise et de conseil209. Rétablir l’ordre supposerait, de toute façon, de mettre fin aux conflits interethniques et donc aux empiètements des grandes puissances et des États balkaniques, une tâche évidemment sans proportion avec celle qui est confiée à De Giorgis. Ce dernier parvient néanmoins à former une élite de gendarmes locaux210. Reste que la décision de découper la Macédoine en secteurs nationaux (l’Italie prend le vilayet de Monastir, à proximité de l’Albanie, et l’Autriche-Hongrie celui d’Üsküb211) déplace l’autorité vers les adjoints-militaires du général De Giorgis, qui restent au service exclusif des puissances qui les délèguent212. Le général entretient par ailleurs des rapports de moins en moins cordiaux avec les deux agents civils, l’un russe et l’autre austro-hongrois, qui flanquent l’inspecteur général ottoman Hilmi Pacha chargé de veiller à l’application des réformes213. L’articulation de ces différentes instances n’est régie par aucun texte, de sorte que ce sont les rapports de force qui prévalent214. De Giorgis est même attaqué en Italie : en septembre 1904, le Consiglio albanese d’Italia de Ricciotti Garibaldi et Manlio Bennici l’accuse de complaisance envers la Turquie et l’Autriche aux dépens la nationalité albanaise215. Enfin, le dispositif italien en Macédoine n’est pas épargné par les intrigues administratives : le colonel Signorile est rappelé à Rome dix jours après sa nomination en tant qu’adjoint-militaire à Monastir, suite une cabale parmi les carabiniers. La presse se fait écho de l’affaire mais Signorile est tout de même remplacé par le lieutenant-colonel Enrico Albera216.
76Bien que le programme de Mürzsteg exclue du périmètre des réformes les vilayets albanais, ces derniers constituent un enjeu occulte de la mission européenne en Macédoine. Russes et surtout Autrichiens font en effet tout pour que l’Italie soit éloignée des régions peuplées d’Albanais217. Les officiers italiens n’hésitent pas, de leur côté, à tirer parti de leur mission pour surveiller la zone. Le général De Giorgis lui-même propose ainsi de profiter du retour en Italie du colonel Signorile pour lui confier une mission de reconnaissance des menées austro-hongroises en Albanie218. Vienne ne cache d’ailleurs pas l’objectif des accords de Mürzsteg : imposer à l’Empire ottoman un redécoupage administratif de l’ensemble de ses possessions européennes en fonction des nationalités qui les habitent, pour en encourager ensuite l’émancipation graduelle.
Nell’interesse dell’avvenire dell’Albania il ministro imperiale e reale degli affari esteri [Gołuchowski] riconobbe la necessità di sviluppare in quelle popolazioni la coscienza nazionale per poter rendere possibile in un dato momento la loro costituzione in uno Stato autonomo, che era lo scopo a cui miravano l’Austria-Ungheria e l’Italia219.
77Face à l’échec patent des réformes, l’Autriche-Hongrie et la Russie proposent de proroger le programme de réformes pour deux ans, et de créer une Commission financière internationale pour les trois vilayets macédoniens220. La continuité avec la CFI pour la Grèce, active depuis sept ans, est évidente221. Face au refus de la Porte, les puissances procèdent, fin novembre, à une démonstration navale devant les Détroits, occupant brièvement Mytilène et Lemnos et obtenant, le 5 décembre, le consentement ottoman. Contrairement à la CFI pour la Grèce, cette commission n’est pas limitée à un collège de délégués des puissances : elle comprend l’inspecteur général, les deux agents-civils, ainsi que des spécialistes ottomans, allemands, britanniques, français et italiens222. Par ce biais, les puissances imposent à l’Empire ottoman une extension du mandat de la mission européenne. Une étape ultérieure est franchie en 1907, avec la mise en place d’une réforme judiciaire sous l’égide des puissances : le suivi des réformes est confié à six inspecteurs locaux, dont trois non-musulmans, sous le contrôle de la commission financière dont les compétences sont donc étendues223.
78En décembre 1907, le général De Giorgis, malade, quitte la Macédoine pour Rome, où il meurt au début du mois d’avril 1908. En dépit du relatif échec de sa mission, il a acquis une notoriété qu’il n’aurait jamais pu espérer s’il était demeuré général d’une brigade de province : on trouve son portrait dans les journaux, sur le modèle des médaillons photographiques de députés qui se diffusent depuis les années 1870224. Comme les députés militaires, il pose en uniforme – ottoman, fez inclus. En 1908, c’est le général Mario Nicolis Di Robilant, commandant de la brigade Basilicate, qui succède à De Giorgis à la tête de la gendarmerie macédonienne. Comme son prédécesseur et à la différence de bon nombre de ses subalternes, Di Robilant n’a pas de connaissance particulière des Balkans. Il est choisi pour ses qualités de diplomate : cousin du défunt ministre des Affaires étrangères Carlo Nicolis Di Robilant, il a servi à l’ambassade à Berlin sous De Launay et a fait partie de la délégation italienne à la conférence de La Haye225. Avec l’arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs, les puissances mettent fin, en 1909, à la mission de réorganisation, officiellement sur le constat de son inutilité dans le contexte de régénération inauguré par le nouveau régime, officieusement par crainte de voir les officiers impliqués dans les troubles qui se dessinent226. Le pouvoir ottoman sollicite cependant la France, l’Italie et le Royaume-Uni pour la mise en place d’une commission financière centrale remplaçant la commission pour la Macédoine227, et demande aux mêmes le maintien de leurs officiers dans le cadre d’une mission de réorganisation de la gendarmerie étendue à l’Empire entier : il s’agit de faire contrepoids à l’influence allemande dans l’armée228. Auprès de la nouvelle commission financière, l’Italie délègue le consul Maissa (12 août 1905)229, et ce n’est que le 27 septembre 1911, veille de la déclaration de guerre de l’Italie à l’Empire ottoman, que Di Robilant et les autres officiers italiens reçoivent de Rome l’ordre de regagner l’Italie230.
79C’est que les années 1900 ont vu un nouvel esprit souffler sur la classe dirigeante et l’opinion publique italiennes. Le rejet des conquêtes n’est que momentané, et de multiples courants expansionnistes se font de nouveau entendre. Ils se structurent autour des ambitions africaines, mais les Balkans occupent une place croissante dans la sphère impériale qui se dessine jusqu’à la guerre de Libye et aux guerres balkaniques.
Notes de bas de page
1 Vandervort 2011.
2 Colapietra 1959 ; Levra 1975.
3 Milza 1981a, p. 595.
4 L’attribution de la responsabilité de ces massacres au « sultan rouge » Abdülhamid II est en réalité une construction occidentale de l’époque. Il semble bien que la violence ait été spontannée, et il vrai mollement combattue par le pouvoir : Georgeon 2003, p. 293-295.
5 Il y a dans l’île quelques milliers de musulmans allogènes généralement liés à l’État ottoman, mais l’essentiel des musulmans (environ ¼ de la population totale) sont autochtones, bien qu’ils soient improprement appelés « Turcocrétois » : Louvier 2014.
6 DDI 3.1.102, Medana (consul) à Caetani (MAE), La Canée, 24 mai 1896. Ce télégramme est le premier document publié dans le Libro Verde édité pour servir à la discussion parlementaire de 1897 : MAE 1898.
7 Voir par exemple les rapports du consul à La Canée Pirrone à la fin des années 1880 : ASDMAE, MAERI, b. 1480, ainsi que Kallivretakis 2006. En dépit des réformes prises par les autorités ottomanes en 1878, la situation économique, sociale et politique demeure dramatique : Şenışık 2011, p. 78-82.
8 Delaroche 2014.
9 ASDMAE, APSP, b. 237, t. 1080 de Palumbo (ministre de la Marine) à Caetani (MAE), Rome, 26 mai 1896.
10 DDI 3.1.211, Visconti Venosta (MAE) à Brin (ministre de la Marine), Rome, 20 septembre 1896.
11 Milza 1981a, p. 595.
12 DDI 3.1.235, Visconti Venosta à Costa (secrétaire de légation à Londres), Rome, 9 octobre 1896, et 236, Visconti Venosta à Tornielli (ambassadeur à Paris).
13 DDI 3.1.237, Venosta à Lanza et Nigra (ambassadeurs à Berlin et Vienne), Rome, 9 octobre 1896.
14 Delaroche 2016, p. 82-84.
15 Pasqualini 2001, p. 56-57. Cet ouvrage, édité par le corps des carabiniers, est toutefois rédigé selon des critères plus apologétiques que scientifiques. Patrick Louvier remarque quant à lui fort justement que le rapt, le vol de bétail et la vendetta sont effectivement très courants en Crète, les « Turcocrétois » étant toutefois considérés par les Occidentaux comme les seuls coupables de ce genre d’exaction, auxquelles les « Grecs » prennent pourtant leur part : Louvier 2014, p. 43 sq.
16 Özbek 2008.
17 ASDMAE, APSP, b. 239, r. 13 de Ruggeri Laderchi (attaché militaire à Constantinople délégué à la Commission pour la réorganisation de la gendarmerie crétoise) à Visconti Venosta (MAE), La Canée, 26 décembre 1896.
18 Cette catégorie a le mérite de dépasser le clivage, peu pertinent en situation coloniale (et impériale, comme le prouve justement le cas des Balkans), entre police et armée, afin de mettre en valeur les fonctions de contrôle des individus et des territoires assignées à une multitude de forces vouées au maintien de l’ordre dans les empires européens : Glasman 2014.
19 ASDMAE, APSP, b. 239, r. 13 de Ruggeri Laderchi (attaché militaire à Constantinople délégué à la Commission pour la réorganisation de la gendarmerie crétoise) à Visconti Venosta (MAE), La Canée, 26 décembre 1896.
20 Il s’agit du capitaine Federico Craveri, des lieutenants Candido Celoria et Arcangelo De Mandato, et du brigadier Giuseppe Pesavento : ASDMAE, APSP, b. 239, t. 424 de Pelloux (ministre de la Guerre) à Visconti Venosta (MAE), Rome, 26 janvier 1897.
21 R. 289 ris. de Saletta (colonel commandant le corps d’occupation de Massaoua) à Ricotti-Magnani (ministre de la Guerre), Massaoua, 30 juin 1885, cité dans : Ufficio storico 1935, p. 282-284. Voir également ibid., p. 178-181.
22 Précisément, la réforme de 1879 supprime l’ancien corps des asakir-i zabtiye, remplacé par celui des jendarma, même si le manque de moyens amène à pérenniser les zabtiye. Özbek 2008, p. 63.
23 Casa 1906, p. 196-198.
24 Delaroche 2016, p. 149-150.
25 ASDMAE, APSP, b. 239, r. s. n. de Romeo Cantagalli, (ministre) à Visconti Venosta (MAE), s. l. [Bruxelles], 6 février 1897 ; r. 132/60 de De Gregorio (chargé d’affaires à La Haye) à Visconti Venosta (MAE), La Haye, 20 février 1897.
26 Léopold II est alors comparé à Abdülhamid II, le « sultan rouge » massacreur des Arméniens : Plasman 2017, p. 11.
27 Louvier 2013, § 3.
28 Blanchard – Bloembergen – Lauro 2017.
29 Casa 1906, p. 196.
30 Omissi 1991.
31 ASDMAE, APSP, b. 239, r. 13 de Ruggeri Laderchi (attaché militaire à Constantinople délégué à la Commission pour la réorganisation de la gendarmerie crétoise) à Visconti Venosta (MAE), La Canée, 26 décembre 1896.
32 Ibid., r. 60 confidenziale de Ruggeri Laderchi à Visconti Venosta, La Canée, 29 janvier 1897.
33 Delaroche 2016, p. 223.
34 Ganiage 1974, p. 96-97. Cet article présente de façon synthétique la crise crétoise. Des éléments précis sur l’action des insurgés, ainsi que des références à l’historiographie grecque sur la question sont disponibles dans un article dû à l’auteur d’une biographie récente du jeune Venizélos : Macrakis 2006, notamment p. 62-63. Le 23 janvier 1897, une centaine d’hommes débarquent dans le nord-ouest de l’île, et entreprennent de soulever les chrétiens. En contact avec le gouvernement grec par télégraphe, ils se mettent également en rapport avec le consul grec à Halepa, Nikolaos Yennadis, dès le 24 et forment le 26 un comité révolutionnaire à Akrotiri.
35 ASDMAE, APSP, b. 239, t. 469 de Ruggeri Laderchi à Visconti Venosta, La Canée, 10 février 1897.
36 DDI 3.1.365, Visconti Venosta à Tornielli, Ferrero, Lanza, Nigra, Maffei, Panza (ambassadeurs à Paris, Londres, Berlin, Vienne, Saint-Pétersbourg et Constantinople), et à Avarna (ministre à Athènes), Rome, 14 février 1897.
37 DDI 3.1.378, Visconti Venosta à Pansa (ambassadeur à Constantinople), Rome, 27 février 1897.
38 DDI 3.1.397, Visconti Venosta à Nigra (ambassadeur à Vienne), Rome, 16 mars 1897.
39 Duggan 2000, p. 855.
40 ASDMAE, APSP, b. 239, fasc. 1, t. 830 de Canevaro (commandant l'escadre de la mer Égée) à Visconti Venosta (MAE), La Sude, 1er mars 1897.
41 Rodogno 2012, p. 279-302
42 6750 hommes en avril 1897 : Ibid., p. 289.
43 DDI 3.1.395, Lanza (ambassadeur à Berlin) à Visconti Venosta, Berlin, 15 mars 1898.
44 DDI 3.2.404, de Cobianchi (chargé d’affaires à Vienne) à Visconti Venosta, Vienne, 24 mars 1898.
45 DDI 3.2.400, Visconti Venosta à Ferrero (ambassadeur à Londres), Rome, 20 mars 1898.
46 Carocci 2003, p. 558.
47 ASDMAE, MAERI, b. 1475, r. 23 de Pirrone (consul à La Canée) à Mancini (MAE), La Canée, 11 mars 1884. En 1896, l’ambassadeur à Constantinople, Alberto Pansa, confirme que le corps diplomatique européen nourrit quelques soupçons à l’égard des représentants britanniques : ASDMAE, APSP, b. 238, fasc. 1, t. 979/398 de Pansa à Visconti Venosta, Thérapie, 15 août 1896. La chose est confirmée en avril 1897 par l’attaché militaire à Constantinople, le lieutenant-colonel Trombi. Pour cet officier, les ambassadeurs ont, sous l’influence de leur collègue russe, largement favorisé la Grèce en nommant le prince Georges à la tête de la future entité crétoise. Selon Trombi, ce parti-pris pousse les musulmans à préférer à la tutelle grecque celle de n’importe quelle puissance européenne, de préférence celle du Royaume-Uni : AUSSM, E3, b. 108, fasc. Addetto militare a Cotantinopoli, aprile 1897, r. 31 de Trombi au commandant en second de l’état-major, Constantinople, 4 avril 1897. Dans les années 1820 déjà, les consuls de France voyaient le Royaume-Uni prêt à saisir la Crète : Massé 2019, p. 448.
48 AUSSM, E3, b. 108, fasc. Comando in capo della squadra attiva, febbraio 1897 – marzo 1898, copie d’un t. de Canevaro à Visconti Venosta, La Sude, 8 avril 1897.
49 ASDMAE, APSP, b. 240, d. 497 de Canevaro à Visconti Venosta (MAE), La Sude, 10 avril 1897.
50 Levra 2001, p. 167.
51 Discours du 31 janvier 1891 à la Chambre, cité dans Duggan 2000, p. 729.
52 Brun 2010.
53 DDI 3.2.498, Cappelli (MAE) à De Renzis, Fava, Tornielli, Ferrero, Nigra, Lanza et Morra Di Lavriano (ambassadeurs à Madrid, Washington, Paris, Londres, Vienne, Berlin et Saint-Pétersbourg), Rome, 13 juin 1898.
54 Di Meo 2015, p. 43-62.
55 DDI 3.3.259, Visconti Venosta à Salvago Raggi (ministre à Pékin), Rome, 23 mai 1899.
56 En Grèce (1827), en Syrie-Liban (1860-1861). En revanche, c’est la non-intervention qui avait été retenue lors des crises de Crète (1866), d’Orient (1875-1878) et des massacres d’Arméniens (1895-1896) : Rodogno 2012.
57 Lazzaro 1878, p. 170.
58 Kevonian 2004.
59 Tamborra 1973, p. 528-529.
60 DDI 3.2.407, Lanza (ambassadeur) à Visconti Venosta, Berlin, 25 mars 1898.
61 DDI 3.1.371, Nigra (ambassadeur) à Visconti Venosta, Saint-Pétersbourg, 18 février 1897.
62 Friz – Gabriele 1982, p. 91-104 ; Macchi 1985. Un ouvrage contemporain des événements est également utile pour sa précision : Casa 1906.
63 Crispo 1900, conservé dans AUSSM, E3, b. 106. Ce document est présenté dans Macchi 1985, p. 90-94.
64 La Carte 13 (« L’occupation internationale de la Crète (1899-1906) »), que l’on trouvera un peu plus bas transcrit une situation postérieure aux faits mais permet de situer les localités dont il est question ici.
65 Le consul Marefoschi communique ainsi : « In pochi giorni furono commessi cinque assassinii per odio di razza, di cui quattro su cristiani ed uno sopra un musulmano. Questa volta pare assodato che i turchi fossero i primi a sparger sangue, ed i cristiani erano in tale stato di eccitamento da far temere che in loro ajuto sarebbero accorse bande armate dei vicini distretti di Omalo e Sfakia sempre pronti a sollevarsi », dans ASDMAE, APSP, b. 237, fasc. 1, r. 129/41 de Marefoschi (consul) à Blanc (MAE), La Canée, 25 août 1895. Les troubles commencent dans le district de Vamos, et la violence réapparaît immédiatement rallumée dans le sud-ouest de l’île. Enfin, c’est dans la province de Kydonia que le corps expéditionnaire grec installe, durant la courte durée de sa présence, son quartier général : ASDMAE, APSP, b. 241, t. 2862 de l’amiral Canevaro à Visconti Venosta (MAE), La Canée, 7 août 1897. C’est de tous ces secteurs agités qu’héritent les Italiens.
66 Crispo 1900, p. 10-12.
67 Ce point de vue est celui de la majorité des Européens quant à la question crétoise. Quelques voix s’élèvent toutefois en faveur des « Turcocrétois » ; en Italie, ce peut être sous l’effet d’un mishellénisme de plus en plus répandu : ainsi Casa 1904, p. 263-267.
68 Bérard 1904, p. 139.
69 Cependant, d’après le capitaine des carabiniers Craveri, si, au début de l'occupation du moins, on protège les chrétiens contre les musulmans, on ne se préoccupe guère du contraire : ASDMAE, APSP, b. 241, extrait d’un rapport du capitaine Craveri à l'état-major des troupes internationales en Crète, La Canée, 30 juin 1897, transmis en annexe à la d. secrète 4371 du secrétariat général du ministère de la Guerre à Visconti Venosta (MAE), Rome, 14 juillet 1897.
70 Popović 1986 ; Toumarkine 1995.
71 Crispo 1900, p. 74.
72 Il faut toutefois remarquer que ce n’est pas l’avis de l’amiral Canevaro : « La parte musulmana dell’isola che in fondo è quella che più ha sofferto e soffre della presente rivoluzione, è pronta ad accettare qualsiasi soluzione, purché non conduca alla annessione alla Grecia. Alla autonomia non fa buon viso perché, essendo la minoranza, teme che un governo autonomo sia importante a spegnere definitivamente quella guerra civile che suol riaccendersi ad intervalli a continuo scapito dell’elemento musulmano coll’evidente scopo di eliminarlo », dans ASDMAE, APSP, b. 240, d. 497 de l’amiral Canevaro à Visconti Venosta, La Sude, 10 avril 1897. Du côté français, les militaires comprennent plus vite que les diplomates que l’exode des musulmans est forcé et non choisi en vertu d’on ne sait quel atavisme : Louvier 2014, p. 50.
73 Marrus 1986, p. 52.
74 Zahra 2010. Dans l’Épire étudiée par le consul De Gubernatis : supra, chap. 2.
75 Crispo 1900, p. 4.
76 Louvier 2014, p. 43-44.
77 Crispo 1900, p. 66.
78 Le capitaine Federico Craveri, qui commande les carabiniers italiens, a servi en Afrique de 1890 à 1896 ; le lieutenant Candido Celoria également, dans « l’infanterie indigène », de 1893 à 1896. Ce dernier y obtient deux médailles à la valeur militaire. ASDMAE, APSP, b. 239, d. 424 du secrétaire général du ministère de la Guerre à Visconti Venosta (MAE), Rome, 25 janvier 1897.
79 Memorie storiche del 36° reggimento 1910, p. 56 et 65.
80 ASDMAE, APSP, b. 241, r. 144 du capitaine Craveri (commandant le détachement des carabiniers), La Canée, 28 juillet 1897.
81 Blanchard 2012.
82 Viola 1978.
83 Crispo 1900, p. 66.
84 Delaroche 2016, p. 186.
85 Louvier 2013 § 21 ; Özbek 2008, p. 53.
86 Pour le cas de la Régence de Tunis : Windler 2002, p. 146 sq. ; pour celui de Chypre : Aymes 2007, p. 1325-1326.
87 Levra 2001, p. 177-178.
88 Cordova 1983, p. 12.
89 Adorni 2002, p. 288 sq.
90 AUSSM, E3, b. 107, t. 158 de l’amiral Bettolo (commandant l’escadre du Levant) à San Marzano (ministre de la Guerre), La Canée, 3 septembre 1898.
91 Delaroche 2016, p. 224.
92 AUSSM, E3, b. 107, mémoire du 1er bureau de l’état-major italien à San Marzano, Rome, 26 septembre 1898.
93 Delaroche 2016, p. 225.
94 Pasqualini 2001, p. 28-63 ; Carbone 2012, p. 80.
95 Delaroche 2016, p. 145-155.
96 Louvier 2014, p. 48-49.
97 Voir par exemple l’absence problématique de rentrées fiscales dans l’un des rares ports du secteur italien, Kissamos Kastelli : ASDMAE, APSP, b. 244, fasc. Settore di vigilanza italiana a Creta, r. 55 du commandant de la 9e cie, 12e bat., 8e rég. de bersagliers détaché à Kissamos à l’amiral Bettolo (commandant l’escadre du Levant), Kissamos Kastelli, 27 septembre 1898.
98 « L’expansion sans efforts » caractérise le premier XIXe siècle britannique : Lloyd 1996, p. 138.
99 Crispo 1900, p. 29.
100 Blanchard – Deluermoz – Glasman 2011, p. 39-40.
101 ASDMAE, APSP, b. 244, fasc. Settore di vigilanza italiana a Creta, r. 1371 d’O. Cecconi (commandant le Lombardia) à l’amiral Bettolo (commandant l’escadre du Levant), La Sude, 29 septembre 1898.
102 Özbek 2008, p. 52 et 58-59.
103 Davis 1989, p. 265.
104 Crispo 1900, p. 86.
105 ASDMAE, APSP, b. 245, Stralcio di relazione settimanale del comandante le R. truppe in Creta, transmis au MAE par le ministère de la Guerre via la n. 4640 du 2 juillet 1899. La tendance se confirme, semble-t-il, dans les années suivantes, de l’aveu même du prince Georges : Delaroche 2016, p. 242-243.
106 DDI 3.2.346, Visconti Venosta (MAE) à Morra di Lavriano (ambassadeur à Saint-Pétersbourg), Rome, 13 janvier 1898.
107 AUSSM, E3, b. 107, d. 739 du lieutenant général Pizzuti (commandant le corps des carabiniers), à Pedotti (ministre de la Guerre), Rome, 29 avril 1904.
108 Grange 1994, p. 696-698. Ancarani, apparemment assez anticlérical, est populaire parmi les officiers du corps expéditionnaire italien et détesté des franciscains de Crète, italiens mais francophiles.
109 Il s’agit sans doute de L. B. 1879, un ouvrage paru en 1879 et réédité 1887 et 1891, dont on ne connaît pas l’auteur mais qui constitue le 87e volume de la « Biblioteca del popolo », collection phare de l’éditeur Sonzogno.
110 AUSSM, E3, b. 108, fasc. Comando superiore delle truppe internazionali, 1.5.1897-31.12.1905 ; Appunto per S. E. il ministro circa il comando superiore delle truppe internazionali a Canea, La Canée, 3 février 1905.
111 « D’accordo col collega ministro della guerra, autorizzo intervento nostre truppe subordinatamente intervento delle altre » : DDI 3.8.980, Tittoni (MAE) à Negri (consul à La Canée), Rome, 25 mars 1905. Voir également AUSSM, E3, b. 108, fasc. Rapporti del consolato a La Canea, maggio 1899 – ottobre 1905 et Comando superiore delle truppe internazionali, 1.5.1897 – 31.12.1905, r. 508 du colonel Benedetti (commandant les troupes internationales) à Pedotti (ministre de la Guerre), La Canée, 19 novembre 1905.
112 Grave situazione a Creta, dans Il Giornale d’Italia, 10 mai 1905.
113 Delaroche 2016, p. 182.
114 La gendarmeria italiana a Creta. Necessità di protezione, dans Il Giornale d’Italia, 1er juillet 1905.
115 Una notizia falsa, dans Ibid., 25 mai 1905.
116 ASDMAE, APSP, b. 252, Defrance, Rapport de la commission d’enquête sur l’île de Crète, Athènes, 30 mars 1906, joint au r. 285/136 de Borghetti (attaché de légation) à Guicciardini (MAE), Athènes, 30 mars 1906.
117 Crispo 1900, p. 88.
118 Par opposition aux « défaites glorieuses » que sont les « Cinque Giornate di Milano », les républiques de Rome et Venise ou même Dogali, selon les catégories mémorielles proposées dans Isnenghi 1997, p. 23-26.
119 Crispo 1900, p. 87.
120 La pauvreté des troupes italiennes ne facilite toutefois pas la remise en cause des préjugés, comme le note le consul Medana dans une lettre au capitaine Ruggeri qui est ensuite transmise aux ministères de la Guerre et des Affaires étrangères : « Le truppe nostre hanno un bel aspetto e riescono simpatiche alla popolazione. Peccato però che hanno delle tende infelici e che in confronto delle truppe delle altre nazioni siano meschinamente pagate. Non si farebbe modo di riparare a ciò, almeno di assicurare loro un conveniente attendamento che non le esponga alle intemperie ed a buscarsi delle febbri ? ». ASDMAE, APSP, b. 241, l. de Medana (consul à La Canée) à Ruggeri Laderchi (attaché militaire), Halépa, 13 mai 1897, jointe à la d. 3084 du secrétariat général du ministère de la Guerre à Visconti Venosta (MAE), Rome, 29 mai 1897.
121 Le sujet a connu un regain d’intérêt auprès de l’historiographie, qui envisage en priorité les violences commises durant la Deuxième Guerre mondiale : Bidussa 1994 ; Del Boca 2005 ; Rodogno 2005.
122 Simonelli 1897, p. 110.
123 Labanca 2014, p. 450.
124 Del Boca 1992, p. 435-442.
125 Labanca, 2014, p. 451-459.
126 Singaravélou 2011, p. 374-375.
127 Friz – Gabriele 1982, p. 104 ; Macchi 1985, p. 701-703.
128 Jesné 2018a.
129 Bourguet et al. 1998.
130 Rosellini 1828-1829.
131 DDI 1.1.287, Mamiani (ministre d’Italie) à Ricasoli (PCM et MAE), Athènes, 6 septembre 1861.
132 Di Vita Gafà 1983, p. 267.
133 Gherardo Ghirardini (1854-1920), s.v. dans Nappo 1994, I 472-476 ; II 276, 35-37.
134 Pour un tableau de la présence archéologique italienne en Grèce, Pace 1920.
135 Carinci 2000, p. 80-81.
136 Les concurrents ne sont toutefois pas complètement absents : dès 1883, l’École française d’Athènes envoie Bernard Haussoullier dans l’île, tandis que l’année suivante arrive l’Allemand Fabricius. Di Vita 1984, p. 27.
137 Jesné 2015b, p. 55.
138 Di Vita 2000, p. 117-118. Sans le soutien de son maître Domenico Comparetti, Halbherr n’aurait toutefois pu mener à bien ses travaux : le professeur florentin publie en effet les travaux de son élève, et achète même sur ses propres deniers les terrains de fouille.
139 Beschi 1984, p. 19.
140 Di Vita 2000, p. 118.
141 En 1888, deux nouveaux Syllogoi sont créés, l’un à Réthymnon, l’autre à Hiérapetra. ASAIA-CH, l. de Halbherr à Comparetti, Rome, 6 janvier 1888, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1888.
142 Di Vita 2000, p. 116-117.
143 ASAIA-CH, l. de Halbherr à Comparetti, Aghioi Deka, 14 mai 1885, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1885.
144 La Rosa 2000, p. 16-20.
145 ASAIA-CH, l. p. de Halbherr à Comparetti, Candie, 16 août 1885, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1885.
146 Hatzidakis est décoré sur proposition du consul italien Pirrone ; Halbherr n’est sans doute pas été étranger à l’opération, et demande également à Comparetti son intercession auprès du gouvernement italien, en vue de récompenser un autre interlocuteur gréco-crétois, Th. Trifilli, vice-consul d’Autriche-Hongrie et du Royaume-Uni à Réthymnon. ASAIA-CH, l. de Halbherr à Comparetti, Rome, 14 janvier et 4 février 1888, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1888.
147 ACS, CC, fasc. 82, Rapporti con i paesi balcanici e dell’Egeo (1888, giu. 13 – 1890, genn. 16), d. 82/III/42, t. 2018 de Paolo Boselli (ministre de l’instruction publique) à Crispi (PCM et MAE), Rome, 31 septembre 1889.
148 DDI 2.22.667, Crispi à Tugini (chargé d’affaires à Constantinople), Rome, 1e août 1889.
149 Petricioli 1990, p. 7-8.
150 ASAIA-CH, l. de Halbherr à Comparetti, Candie, 27 février 1887, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1887.
151 Guéno – Guignard 2013.
152 ASAIA-CH, l. de Halbherr à Comparetti, La Canée, 11 avril 1887, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1887, citée dans La Rosa 2000, p. 17.
153 Ibid., l. du même au même, Candie, 6 juin 1887, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1887.
154 « C’est dans la législation italienne et plus particulièrement dans celle des anciens États pontificaux que l’on trouve les origines des lois modernes qui interdisent avec plus ou moins de rigueur l’exportation des œuvres d’art, même de propriété privée, en pays étranger » : Visscher 1939, p. 20.
155 ASAIA-CH l. p. de Halbherr à Comparetti, Candie, 22 août 1885, dans Lettere originali Halbherr-Comparetti 1885.
156 Petricioli 1990, p. 10.
157 Ibid., p. 15-23 et 71-83.
158 Bandini 2000.
159 Petricioli 1990, p. 33-38.
160 Nani 2012.
161 Mosso 1907 et 1910.
162 Petricioli 1990, p. 69-71.
163 Ibid., p. 41.
164 Monina 2002, p. 32.
165 ASDMAE, APSP, b. 238, fasc. 1, t. 1626 de Visconti Venosta (MAE) à Di Rudinì (PCM et ministre de l’Intérieur), Rome, 21 août 1896, et t. s. n. du même au même, Rome, 24 août 1896.
166 Manenti 2013, p. 231-232.
167 Comité central crétois, Aux gouvernements des grandes puissances chrétiennes, Athènes, 14 juin 1896, dans ASDMAE, APSP, b. 237, fasc. 6.
168 ASDMAE, APSP, b. 238, fasc. 1, t. s. n. de Di Rudinì à Visconti Venosta, Rome, 24 août 1896.
169 Papadia 2013.
170 Brice 2010, p. 310 sq. C’est à cette époque que l’associationnisme monarchiste tend à se diviser : à une traditionnelle tendance progressiste s’ajoute désormais une composante plus conservatrice (p. 321-322). Le rôle actif, dans la mobilisation philocrétoise, de l’« Association des étudiants monarchistes de Milan », typique de la seconde tendance, laisse supposer que le philhellénisme cimente aussi à l’intérieur du camp monarchiste.
171 Sbordone 2014, § 3 et 4.
172 Cordova 1983, p. 14.
173 Papadia 2013, p. 31.
174 ASDMAE, APSP, b. 240.
175 Brice 2010, p. 361-365.
176 AP-CD, XX-1, p. 22 sq., 62-63 et 100-111.
177 Pécout 2001, p. 164-170 notamment.
178 ASDMAE, APSP, b. 240, r. 319/161 d’Avarna (ministre d’Italie) à Visconti Venosta (MAE), Athènes, 1er mars 1897. Alerté par Visconti Venosta, le ministre de l’Instruction publique, Emanuele Gianturco, fait part au recteur du caractère « peu opportun » de sa démarche : Ibid., d. s. n. de Gianturco à Visconti Venosta, Rome, 13 mars 1897. Gianturco est tout indiqué pour sermonner le recteur de l’Université de Naples puisqu’il y a lui-même enseigné le droit civil et passe en la matière pour le chef de file de « l’école napolitaine ».
179 Associazione Monarchica fra gli Studenti Milanesi – Adesioni al proclama, s.l. n.d., dans Ibid.
180 Ibid., t. 4979 de Giovanni Alfazio (directeur général de la police) à Visconti Venosta, Rome, 7 mars 1897.
181 Guida 1981, p. 7-8.
182 Enrico Decleva note toutefois que Sonnino ne peut être considéré comme un « crispinien » à part entière. Trop conservateur pour adhérer à la pratique « piazzaiola » des amis du Sicilien, Sonnino se méfie de l’opinion publique. Decleva remarque également que les oppositions, malgré leurs violentes attaques contre la politique étrangère de Visconti Venosta, sortent laminées des élections de mars 1897 : Decleva 1981, p. 43. Sur la longue intervention prononcée par Sonnino au parlement en faveur des insurgés crétois : Monzali 1999, p. 415-416.
183 DDI 3.1.390, Nigra (ambassadeur à Vienne) à Visconti Venosta, Vienne, 11 mars 1897.
184 DDI 3.1.371, du même au même, Vienne, 18 février 1897.
185 DDI 3.1.390, du même au même, Vienne, 11 mars 1897.
186 MAE 1898.
187 Ils sont instaurés par la circulaire Barbolani du 26 janvier 1868 : ASDMAE, série D, b. 1, fasc. 8, doc. 52. Voir également supra, note 6.
188 La correspondance de Canevaro se trouve en particulier dans les fonds de la Marine étudiés par Giuliano Friz et Gabriele Mariano, ainsi que dans ASDMAE, APSP, b. 238-240 et AUSSM, E3 b. 108.
189 V. Bérard, Sur les affaires de Crète, dans La Revue de Paris, cité dans Casa 1906, p. 328.
190 Guida 1983.
191 Le note austro-russe del 29 aprile 1897, dans Salvemini 1970, chap. 3, § 2.
192 BDOW-5, p. 66.
193 AUSSM, G33, b. 15, fasc. 184, doc. 12, Ufficio del capo di Stato maggiore dell’esercito, Memoria circa un’eventuale azione militare in Albania, s.l. n.d. [1903]. Voir également Biagini 2012, p. 67-68.
194 DDI 3.8.35, Malaspina (ambassadeur à Constantinople) à Tittoni (MAE), Péra, 30 novembre 1903.
195 DDI 3.8.44, Tittoni à Malaspina, Rome, 2 décembre 1903.
196 Delaroche 2016, p. 158.
197 Ibid., p. 155 sq.
198 DDI 3.8.55, Malaspina à Tittoni, Péra, 7 décembre 1903.
199 Cette autosatisfaction n’est cependant pas complètement privée de fondement, si l’on en croit les analyses admiratives d’un spécialiste français : G. Biche-Latour, Étude sur le corps des carabiniers italiens et la gendarmerie crétoise, dans Journal de la Gendarmerie, n° 2251, 11 décembre 1903, cité dans Delaroche 2016, p. 235.
200 DDI 3.8.110, Tittoni aux ambassadeurs à Berlin, Constantinople, Londres, Paris, Saint-Pétersbourg et Vienne et au consulat général à Sofia, Rome, 3 janvier 1904.
201 Illustrazione popolare. Giornale per le famiglie, 39e année, vol. XLV, n° 14, 5 avril 1908.
202 Pour le détail des tractations diplomatiques menant à cette configuration, Rudi 2018, p. 52 sq.
203 Delaroche 2016, p. 130.
204 Rudi 2018, p. 63.
205 Ibid., p. 97.
206 Delaroche 2016, p. 144-147.
207 ASDMAE, AIT, b. 168, fasc. 1, s. fasc. 4 ; FP, s. VII, C42, Castoldi Fortunato, 1re partie des note caracteristiche jointe à la l. s.n. de Castoldi à Mussolini (Chef du gouvernement et MAE), Rome, 31 mars 1928.
208 Biagini 2012, p. 69-70.
209 Delaroche 2016, p. 166-167.
210 Rodogno 2012, p. 320.
211 Rudi 2018, p. 63.
212 Delaroche 2016, p. 174-175.
213 Ibid., p. 204.
214 Pour le détail des nombreux conflits surgissant entre les différentes autorités impliquées : Rudi 2018, p. 92 sq.
215 Maserati 1979, p. 465-466.
216 Gallon 2004, p. 211.
217 DDI 3.8.197, Malaspina (ambassadeur à Constantinople) à Tittoni, Péra, 27 février 1904.
218 DDI 3.8.429, De Giorgis à Tittoni, Salonique, 26 mai 1904. Lesdites menées austro-hongroises inquiètent également la diplomatie française : Rudi 2018, p. 56.
219 DDI 3.9.72, Avarna (ambassadeur) à Tittoni, Vienne, 5 mai 1905.
220 Rodogno 2012, p. 320-322, Rudi 2018, p. 99-101, 113-116, 122.
221 Jesné 2018a.
222 Rudi 2018, p. 125.
223 Ibid., p. 177-188.
224 Fruci 2018, p. 108 sq.
225 Illustrazione popolare. Giornale per le famiglie, 39e année, vol. XLV, n° 14, 5 avril 1908.
226 Rudi 2018, p. 252.
227 Ibid., loc. cit.
228 Delaroche 2016, p. 79-80.
229 FDN 1987, p. 442 ; Gallon 2004, p. 464-470
230 Biagini 2012, p. 73-74.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la « Cité de Dieu » au « Palais du Pape »
Les résidences pontificales dans la seconde moitié du XIIIe siècle (1254-1304)
Pierre-Yves Le Pogam
2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007