Chapitre 1
Les années 1860 : des rêves cavouriens à la prudence
p. 15-67
Texte intégral
1L’Unité est une promesse : celle, pour l’Italie, de devenir une grande puissance, amenée à peser sur le destin du monde et notamment de son nouvel étranger proche, la péninsule qui occupe le nord-est de la Méditerranée. Cette promesse est vite déçue. Cavour lègue cependant à l’Italie le statut de puissance protectrice de l’Empire ottoman et de plusieurs de ses satellites, statut obtenu grâce à l’intervention dans la guerre de Crimée aux côtés de la France et du Royaume-Uni. Bien après que le système des relations internationales voulu par Napoléon III a cessé d’exister, l’Italie cheche à conserver cette position de droit, sanctionnée par « les traités », qui ne correspond pas à la réalité de ses forces.
2La découverte de ce décalage, ou plutôt la prise de conscience de l’impossibilité à le résorber, conduit assez rapidement les successeurs de Camillo Cavour, mort en juin 1861, à rompre avec un volontarisme qui, en Europe centre-orientale, consiste essentiellement à susciter des alliances de revers contre l’Autriche, formidable barrière dressée contre l’aspiration à la réunion de tous les territoires peuplés d’Italiens. Les ambitions cavouriennes subsistent pourtant au sein de la sphère de décision et de l’outil diplomatico-militaire italiens. Les libéraux conservateurs, qui gouvernent à Turin puis Florence, cherchent alors à imposer la prudence, sans renoncer toutefois complètement à d’utiles contacts outre-Adriatique. Cavour lègue ainsi les outils d’une politique étrangère : un ministère réorganisé et, sur le terrain, un réseau de postes consulaires.
3En quelques années, la politique balkanique de l’Italie libérale acquiert ainsi certaines caractéristiques appelées à durer : des ambitions contrariées par des moyens limités, une politique de prudence qui n’exclut pas un volontarisme souterrain, et une hésitation entre respect absolu des traités et tentation de la croisade nationalitaire.
1.1. L’Orient, tremplin des ambitions cavouriennes
1.1.1. L’insertion de la Sardaigne dans les affaires d’Orient
4Dans le Dictionnaire de politique édité en 1940 par le Parti National Fasciste, le Valdôtain Federico Chabod, grand historien des relations internationales, définissait comme suit petites et grandes puissances :
Le potenze minori sono sentite solo in quanto siano in giuoco loro interessi « diretti » : la Spagna interviene nella questione marocchina, ma non in quella balcanica ; Serbia, Bulgaria, Romania, Grecia, Turchia intervengono quando si tratta della questione balcanica, e non di quella marocchina ; le grandi potenze intervengono invece sempre, non appena si presenti una questione che può avere ripercussioni di carattere generale, anche se non siano lesi o minacciati i loro interessi diretti1.
5La grande puissance se distingue donc de la petite puissance ou « État mineur » ou « État secondaire » bien sûr par ce que nous appellerions son hard power (puissance militaire, économique, financière, démographique, etc.)2, mais aussi par le fait qu’elle appartient à un collège d’États appelés, en vertu d’une pratique des relations internationales d’ailleurs reconnue par les États mineurs eux-mêmes, à gérer les affaires du monde.
6Le milieu du XIXe siècle voit un État mineur, la Sardaigne, se hisser au rang de grande puissance à la faveur de l’unification italienne réalisée sous son égide. Le Risorgimento est en effet conçu par ses promoteurs comme un moyen de dépasser l’état d’insignifiance dans lequel sont réputés se trouver les Staterelli (« petits États ») pré-unitaires. En 1848, Emilio Broglio voit ainsi dans l’agrégation des forces de chacun des États pré-unitaires le moyen de peser sur les échanges mondiaux et de retrouver le fameux « primat » :
L’Italia troverà [...] nel libero scambio di prodotti con tutte le nazioni della terra una sorgente di agiatezza generale e diffusa, e nello stesso tempo un vincolo d’alleanza e di pace, e potrà forse ancora una volta aspirare ad una nuova fase di primato : […] allora Italia, a cui sola manca la forza, potrà sorgere superba e camminare maestosa al cospetto delle nazioni3.
7Pourtant, c’est dès avant la coalescence des États pré-unitaires que la Sardaigne franchit la première étape d’un processus d’une dizaine d’années (1856-1867) au terme duquel l’Italie voit son rang de grande puissance définitivement accepté, à travers sa participation à la commission internationale sur le Luxembourg (voir infra). Cette première étape consiste à faire admettre la Sardaigne dans le règlement des affaires ottomanes. En engageant le Piémont dans la Guerre de Crimée aux côtés des alliés franco-britanniques de l’Empire ottoman, Cavour entend obtenir pour la Sardaigne, dont les intérêts en Orient sont réels mais non vitaux4, le droit de participer au futur congrès de la paix5.
8Ce dernier réunit à Paris les cinq grandes puissances, le nouveau venu sarde et l’Empire ottoman, celui-ci moins en tant qu’égal que protégé des Européens6. Plusieurs dispositions du traité de Paris prévoient des formes de consultation multilatérales pérennes entre les « Puissances contractantes »7. La garantie collective de l’intégrité de l’Empire ottoman (article 7) est la plus connue ; elle se traduit notamment par la mise en place d’une procédure de médiation collective en cas de litige (article 8). D’autres dispositions permettent également à la Sardaigne d’être impliquée de droit dans des affaires regardant l’Empire ottoman, voire l’Europe entière : les signataires du traité de Paris garantissent en effet la libre circulation sur le Danube. À ce sujet, les articles 15 à 18 prévoient la mise en place, durant deux ans, d’une commission chargée de lancer les travaux d’aménagement du fleuve, en vue d’en confier la gestion à une commission regroupant non plus les signataires du traité mais les pays riverains. Toutefois l’article 19 prévoit que les puissances signataires pourront maintenir chacune « deux bâtiments légers » aux embouchures du fleuve.
9Si la Sardaigne est, en tant que signataire du traité de Paris, admise à ces dispositions générales, il n’en va pas de même pour ce qui concerne le sort des périphéries ottomanes, un enjeu politique et territorial bien plus tangible. Les affaires du Caucase sont ainsi placées sous la supervision des seules France et Grande-Bretagne (article 30). L’Autriche souhaite alors que la Sardaigne soit de même exclue de la commission chargée des Provinces Danubiennes8, pays roumains pour lesquels l’opinion italienne et la diplomatie sarde démontrent une franche sympathie inspirée par le combat commun en faveur de l’émancipation nationale9. L’intervention de la France, désireuse de bénéficier d’un renfort sarde dans les affaires roumaines, permet à la Sardaigne de participer à cette commission (articles 23 à 27). En dernier lieu, les puissances signataires du traité de Paris s’arrogent le droit d’intervenir dans les affaires de la principauté de Serbie, dont l’autonomie au sein de l’Empire ottoman passe sous la garantie des Puissances. Associée de façon générique au futur règlement de la Question d’Orient, la Sardaigne devient également, de façon plus concrète, co-protectrice de deux embryons d’États balkaniques.
10Ce droit de regard sur les affaires serbes et roumaines nécessite dès lors la présence de représentations sardes permanentes sur place. Il s’agit en effet de renseigner Turin sur les menées des grandes puissances dans la zone danubienne, mais aussi de surveiller les mouvements nationaux roumain, serbe, croate, hongrois et polonais. Lors de la « première guerre d’indépendance » contre l’Autriche, déjà, on avait songé à contracter des alliances de revers avec les nationalités danubiennes de l’empire. Un consulat sarde à Belgrade avait été créé au début de l’année 184910. Ce poste tient alors plus du cabinet occulte que du consulat : patriotes serbes, croates et magyars s’y rencontrent, et le consul sarde, Marcello Cerruti, fréquente lui-même les milieux de la presse et du gouvernement à Belgrade. L’aventure tourne court avec l’arrivée aux affaires des conservateurs De Launay et D’Azeglio. Cerruti est rappelé en novembre 1849 et ne revient en Orient qu’en 1860, dans le cadre de la politique d’ambition cavourienne11. Au début des années 1860, il importe désormais de garder les meilleures relations avec les patriotes d’Europe centre-orientale, tout en leur imposant d’agir au moment opportun pour Turin12. Ces missions, éminemment politiques, sont cependant confiées à des fonctionnaires qui sont théoriquement de simples défenseurs des intérêts commerciaux sardes à l’étranger : les consuls. C’est que les nations danubiennes sont soit virtuelles, soit vassales de l’Empire ottoman. Dès lors, il est impossible d’y établir des ambassades et ce sont les consulats qui deviennent des centrales d’intrigues politiques, la légation à Constantinople relayant, il est vrai, l’autorité de Turin.
11Les premiers consuls de Sardaigne dans la zone danubienne servent d’abord comme délégués auprès des différentes instances multilatérales dont la mise en place est prévue par le traité de Paris. Le premier point d’appui de la politique sarde dans la région est une agence consulaire créée à Bucarest le 6 août 185613. C’est depuis ce poste qu’Antonio Benzi, un consul spécialiste de l’Orient, défend les intérêts sardes dans les Provinces Danubiennes mais aussi en Serbie. Dans ce but, Benzi est élevé au grade d’agent général et consul de première catégorie en juillet 1856, avant d’être nommé quelques jours plus tard commissaire plénipotentiaire ; cette accélération de carrière doit en effet lui permettre d’exercer les fonctions de délégué à la commission pour les Provinces Danubiennes14, un organisme chargé d’appliquer les décisions prises par les puissances dans le cadre du traité de Paris. Un consulat de Sardaigne est ensuite recréé à Belgrade le 6 mars 1859, avec à sa tête les consuls Francesco Astengo puis Eugenio Durio, ce dernier ayant d’ailleurs exercé les fonctions de secrétaire auprès d’A. Benzi dans le cadre de la commission pour les Provinces Danubiennes15. Enfin c’est un capitaine de vaisseau, Alessandro D’Aste Ricci, qui à partir du 1er novembre 1857 représente la Sardaigne à la commission internationale pour le Danube siégeant à Galatz (Galaţi), où se trouve d’ailleurs, depuis les années 1840, un consulat sarde à vocation essentiellement commerciale16. Des représentants sardes font ainsi leur retour dans la zone danubiano-balkanique, après le bref précédent de la « première guerre d’indépendance ».
12L’étape suivante consiste, pour Cavour, à tenter de faire admettre aux autres grandes puissances la participation systématique de l’Italie au règlement des affaires ottomanes dans leur ensemble ; c’est ainsi qu’en 1860, il essaye, sans succès, de s’ingérer dans la cogestion de la question syrienne17. Consuls et diplomates sardes puis italiens sont dans le même temps envoyés en mission dans tout le monde musulman, du Maroc à la Perse en passant par la Mésopotamie18. Cavour mène donc une politique de prise de contacts tous azimuts, en vue notamment de situer l’Italie nouvelle dans un dense réseau de relations commerciales avec toutes les parties du monde, dont la Méditerranée orientale n’est pas la moindre puisqu’elle constitue pour l’Italie une ouverture potentielle vers les nouveaux horizons mondiaux.
1.1.2. Les ambitions commerciales de Cavour en Orient
13Avant de devenir ministre du roi de Sardaigne, Cavour a été « l’un des hommes d’affaires les plus en vue du Piémont » et reste animé d’une véritable foi dans le progrès technique, y voyant le socle d’un développement économique censé aplanir les tensions sociales aussi bien qu’internationales19. En octobre 1850, il entre dans le gouvernement D’Azeglio en tant que ministre de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce, avant d’obtenir également les portefeuilles de la Marine et des Finances. Comparant l’Italie à « une ferme [cascina] qui doit rapporter20 », il souhaite faire du Piémont le moteur de cette politique, en développant notamment son commerce extérieur. Comme nous le verrons plus loin, Cavour s’emploie à étoffer le service consulaire sarde en Orient afin qu’il soit à la hauteur du statut de grande puissance qu’il revendique. Il souhaite également faire des consuls sardes les agents de ses projets économiques grandioses, qui s’inscrivent dans le rêve saint-simonien d’une régénération de l’Orient par son ouverture au commerce mondial. Cette ouverture est réelle mais prend la forme d’une mise en dépendance progressive de l’Empire ottoman. En 1838, le Royaume-Uni et la France obtiennent, à la faveur de la situation extérieure et intérieure dramatique de l’Empire ottoman, des privilèges économiques exorbitants. Les avantages liés aux capitulations sont maintenus alors que les anciennes barrières, telles que les droits à payer d’une province à l’autre, ou les monopoles d’achat et de vente auparavant concédés à des intermédiaires ottomans, sont abrogées. Ces traités inégaux accélèrent une pénétration européenne qui remonte aux années 1820 au moins, mais reste surtout le fait du Royaume-Uni et de la France, en recherche de matières premières et de débouchés pour leurs économies déjà industrialisées21.
14Les différents États italiens occupent quant à eux des positions commerciales secondaires, d’ailleurs assez mal connues des historiens. Le Royaume de Naples avait obtenu de la Porte un traité de capitulations dès le 7 avril 1740. Ce traité est renouvelé le 16 octobre 1827, quelques années après la signature par la Toscane et la Sardaigne de traités analogues (12 évrier et 25 octobre 1823). Ces accords sont de même renouvelés, pour la Sardaigne dès 1839, le grand-duché de Toscane en 1841, et le royaume des Deux-Siciles en 185122. La Sardaigne obtient des avantages supplémentaires à l’occasion d’un renouvellement ultérieur, le 31 juillet 1854, lorsqu’elle s’engage en faveur de l’Empire ottoman dans la Guerre de Crimée.
15Après l’Unité, Cavour caresse par ailleurs l’espoir de mettre en place un système d’échanges réciproques et vertueux entre nouvelles nations italienne et balkaniques, rassemblées dans le destin commun de leur Risorgimento, c’est-à-dire à la fois leur renaissance en tant qu’entité politique, et leur redressement moral et économique après des siècles d’avilissement sous le joug étranger23. Si les Risorgimenti italien et balkaniques sont parallèles, ils ne sont toutefois pas de même nature, l’Italie ayant vocation, par la réalisation de son unité, à retrouver sa place parmi les nations phares de l’humanité, et à contribuer au retour des peuples balkaniques vers la « civilisation ». Cette pensée développementaliste est clairement exprimée par Cavour dans ses instructions à Annibale Strambio, premier consul sarde installé à Bucarest. Il s’agit pour cet fonctionnaire de tirer le meilleur parti, politiquement et économiquement, du statut de puissance protectrice des Principautés danubiennes octroyé à la Sardaigne par le traité de Paris. Cavour recommande à Strambio d’œuvrer à la transformation des relations économiques entre l’Italie et les Principautés, qui consistaient jusqu’alors presqu’exclusivement en l’importation des blés roumains :
Sommo merito sarà di chi abilmente consigliando, ed avvisando de’ mezzi, sappia aprire la via dei Principati Uniti anche ai prodotti sardi ed italiani, segnatamente alle sete, ai vini, agli olii, al riso, al sale, ai frutti ecc. onde il nostro commercio non si eserciti con mero cambio di moneta ma divenga vera permuta di prodotti nostri con quelli dei Principati. [...] Io quindi invito V. S. a voler portare la massima attenzione perché la di lei presenza nei Principati Uniti rechi le primizie dei frutti materiali che può raccogliere l’Italia dal risorgimento rumeno24.
16Dans l’esprit de Cavour, action politique et économique sont étroitement liées. L’expansion du commerce extérieur est profitable à l’État d’un point de vue financier : il s’agit notamment de mettre fin à la fuite du numéraire italien vers les régions productrices de blé, et plus généralement de poursuivre la stratégie de financement de la puissance sardo-italienne par l’expansion de son économie. Elle l’est aussi d’un point de vue politique, l’augmentation des échanges italo-roumains devant contribuer à l’enrichissement des Principautés elles-mêmes, et donc au développement de l’influence italienne dans la région. Cavour escompte notamment une augmentation de la demande d’imprimés en langue italienne sous l’effet de l’évolution probable des modes de consommation : la proximité culturelle entre les deux pays doit permettre à l’Italie de contester progressivement l’hégémonie économique et politique de la France en pays roumains.
17Les projets cavouriens transposent en Orient une méthode déjà expérimentée en Piémont même : favoriser, par une action éclairée de l’État, l’initiative privée. Dans les Balkans et dans le reste de l’Orient, précisément, Cavour entend s’appuyer sur la présence des sujets sardes, renforcée par celle des Toscans, Parmesans et Modénans, Pontificaux et Siciliens qui passent sous l’administration de Turin au cours de l’année 186025. Il est extrêmement difficile d’évaluer le nombre de ces Italiens d’Orient. L’État sarde puis italien compte s’appuyer avant tout sur les différentes « colonies » de « nationaux », c’est-à-dire les communautés de sujets dûment enregistrés auprès des consuls précisément installés dans les places méditerranéennes où ces nationaux sont réputés présents en nombre. Les effectifs de ces communautés légales peuvent théoriquement être connus grâce aux registres tenus par les consuls, mais qui ont été depuis souvent perdus ou se sont trouvés éparpillés dans différents fonds d’archives et demeurent dès lors difficiles à collecter de façon systématique. En outre, cette italianité administrative ignore d’autres formes de liens entre les populations de Méditerranée et l’Italie péninsulaire. D’une part, bon nombre de migrants et gens de mer ressortissant des différents États italiens rechignent à se faire enregistrer par les consuls, notamment en raison des taxes dues pour l’établissement des différentes pièces administratives liées au commerce, à l’état-civil ou à la simple mobilité du voyageur26. D’autre part, au sein des populations dites « levantines », la qualité de « national » ottoman, grec, français, britannique ou autre n’est généralement pas exclusive de liens familiaux, amicaux ou commerciaux étroits avec d’autres nations, italiennes en particulier27. L’État sarde, puis italien, entend toutefois s’appuyer sur l’activité de ses nationaux plus que sur des liens qui ne peuvent apparaître dans les statistiques établies par les consuls. La Sardaigne peut compter, notamment, sur l’antique diaspora génoise, qui participe depuis plusieurs décennies au développement de l’activité économique « nationale » en Orient28. À la veille de l’intervention en Crimée, le trafic marchand sarde à travers le Bosphore n’est surpassé que par celui des Britanniques, au point que des députés de la province de Gênes adressent une protestation au parlement subalpin, craignant que la guerre contre la Russie ne mette à mal leurs nombreux et prospères établissements de mer Noire, dont l’activité est alors évaluée à 15 millions de lires annuelles29.
18Il est difficile, toutefois, de connaître les positions économiques des différents États pré-unitaires en Orient en l’absence de données statistiques fiables et unifiées. Néanmoins, les rapports consulaires rédigés à la fin des années 1850 et au début des années 1860 traduisent le volontarisme de la puissance publique en matière économique. Entre 1856 et 1859, Cavour réforme en effet l’institution consulaire sarde en vue d’en faire un instrument de cette politique, résumée dans les conclusions de la commission ad hoc :
Le relazioni commerciali del nostro Paese, per lo spirito intraprendente ed industrioso delle sue popolazioni, vanno ogni di più estendendosi sotto l’egida delle nuove istituzioni e del sistema del libero scambio che sì felicemente fu presso di noi instaurato ; noi abbiamo copiosa ed ardita marineria cui niun mare è ignoto, e che provvede non solo ai bisogni dei nostri traffici, ma serve eziando di intermediaria ai bisogni altrui ; noi abbiamo nei vicini e nei lontani Paesi Colonie operose di nazionali nostri che creano, sviluppano e intrattengono proficue relazioni con la Madre Patria, né potrebbe altresì non tenersi in conto quell’importanza che il Nostro Regno va sempre più acquistando nel concetto dei Governi e nelle simpatie dei popoli forestieri, grazie alle interne sue tranquille condizioni avviate a prosperità ed alla generosa e nazionale politica sì nobilmente propugnata dal Governo del Re30.
19La réorganisation du service consulaire se traduit en particulier par la rédaction d’un manuel officiel à l’usage des consuls, l’Ordinamento consolare (1859), lequel précise les obligations des consuls en matière de collecte d’information économique, notamment statistique31. La consultation des correspondances consulaires en provenance des différents postes de Méditerranée orientale démontre que les consuls prennent à cœur ces instructions, leurs rapports convergeant sur le bureau de Cavour32.
20Chaque poste consulaire envoie désormais périodiquement les chiffres du mouvement du commerce et de la navigation concernant la place où il réside ainsi que des localités secondaires de son ressort33 ; les agents expédient également périodiquement des rapports sous la forme de courtes monographies consacrées aux questions commerciales. Le décret royal du 15 décembre 1861 crée le Bollettino Consolare. Il s’agit notamment de faciliter la circulation des informations de nature économique entre le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie (MAIC) et les chambres de commerce : les rapports consulaires étaient auparavant transmis au cas par cas au MAIC ou à la chambre de commerce de Turin, laquelle pouvait alors recommander la publication du rapport au journal officiel34. Désormais, les meilleurs rapports consulaires, qu’ils soient analytiques ou statistiques, sont publiés sous forme de résumé ou in extenso pour informer les négociants et capitaines.
21Pour sa politique de dynamisation du commerce italien en Orient, Cavour s’appuie sur quelques hommes de confiance dont il a pu éprouver la loyauté à l’occasion des intrigues dans la région danubienne destinées à entretenir les alliances de revers contre l’Autriche. C’est le cas, nous l’avons vu, d’Annibale Strambio, ou encore de « M. le Commandeur Cerruti, ancien Consul Général et maintenant Ministre Résident de S. M. le roi de Sardaigne, [qui] a été chargé par le gouvernement du roi de se rendre dans les ports de la Grèce pour y passer une inspection sur les consulats de Sardaigne, et chercher les moyens d’étendre les rapports commerciaux de l’Italie avec ces pays »35. Bien que la Sardaigne soit liée à la Grèce par un traité de commerce depuis 185136, en cette année 1860, tout paraît encore à faire. Le royaume hellénique n’exporte pratiquement rien et importe des produits manufacturés d’Europe du nord-ouest ; la Sardaigne ne participe que marginalement à ce mouvement et son activité se concentre à Syros où elle débarque pour environ un million de drachmes de marchandises37. En dépit de ce tableau peu encourageant, le consul à Athènes, Giuseppe Malavasi, propose avec succès la création d’une agence supplémentaire dans l’île d’Eubée. Son extrémité méridionale touche en effet la route maritime qui conduit à Salonique et Constantinople, et il est bon, d’après le consul, d’y avoir un représentant pour venir en aide, le cas échéant, aux navires sardes en difficulté38.
22Du grand port ottoman de Salonique, Cavour reçoit à partir de 1860 une abondante correspondance consulaire relative au commerce du tabac, qui avec celui des blés et de la soie semble bénéficier d’une attention particulière à Turin. Il faut dire que l’arrière-pays macédonien constitue alors l’une des principales zones mondiales de production de tabac, fournissant entre autres les monopoles d’État britannique, français, russe, autrichien. Le nouveau titulaire du poste salonicien, Salomone Fernandez, était depuis 1854 au service de la Toscane39, mais à la faveur de l’unification, il est l’un des rares consuls au service de l’un des « États disparus » (cessati Stati) à être préféré au consul sarde sur place, en raison de son entregent considérable. Les Fernandez sont alors en effet l’une des plus prospères et influentes familles juives du lieu, et sont en relations familiales et commerciales avec Livourne40. Salomone peut d’autant mieux renseigner Cavour sur le secteur du tabac que « La [sua] casa di commercio, sotto la ditta “Elia Fernandez & M.”, [ha] avuto appunto l’appalto della percezione della Decima »41. Les Fernandez et les Modiano, autre famille salonicienne liée à l’Italie, sont en effet très actifs dans le commerce du tabac, et le consul parvient aisément à faire coïncider son intérêt personnel avec les projets de Cavour, qu’il semble rencontrer personnellement à l’occasion d’un voyage en Italie en 186142 ; cette même année, la maison Elia Fernandez obtient un contrat de fourniture du monopole italien des tabacs43. Cet entrelacs des intérêts personnels du consul et du service de l’État, généralisé sous l’Ancien Régime44 et, dans le cas italien, jusqu’au début du XIXe siècle, tend cependant à disparaître avec la figure du consul-marchand dont Salomone Fernandez est certainement l’un des tout derniers représentants. Cela ne l’empêche pas, d’ailleurs, d’être l’un des informateurs les plus précieux du gouvernement italien avec trois rapports publiés dans le premier numéro du Bollettino consolare. La réforme consulaire de la fin des années 1850 achève cependant la fonctionnarisation du corps consulaire sarde, léguant au royaume d’Italie un personnel qui cherche à apparaître avant tout en fidèle serviteur de l’État, même si la poursuite de l’intérêt personnel ne disparaît jamais45.
23Le moment de la transition unitaire de 1859-1861 correspond donc à la rationalisation de l’action des pouvoirs publics en matière de commerce extérieur, dont l’Orient gréco-ottoman paraît constituer l’un des champs d’expansion escomptés. L’examen des rapports émanant des séries consulaires relatives aux postes de Méditerranée nord-orientale montre cependant que les trafics entre l’Italie et les Balkans sont, au moment de l’Unité, généralement très modestes46. La médiocrité statistique de ces relations commerciales ne doit toutefois pas masquer leur importance à des échelles fines. C’est surtout par rapport au grand commerce international des puissances industrielles que l’activité des Italiens en Orient paraît mineure. Néanmoins, les rapports consulaires montrent qu’en mers Adriatique, Ionienne et Égée, les Italiens sont partout, même s’il s’agit le plus souvent d’acheter et vendre de petits quantités de marchandises, transportées sur de petites embarcations à voile qui d’ailleurs n’ont souvent aucun mal à passer par des points de rupture de charge informels et à échapper ainsi au contrôle administratif et fiscal, et par conséquent à l’enregistrement statistique47.
24Au moment où l’unité italienne s’achève, toutefois, le commerce maritime change de visage. Au premier XIXe siècle, l’activité des petites embarcations italiennes est encore florissante, mais aucun des petits États pré-unitaires ne songe à s’appuyer sur elle pour revendiquer un statut de puissance méditerranéenne. Lorsque l’Italie enfin unifiée s’apprête à prendre son essor, le trafic de ses nationaux semble peu à peu frappé d’obsolescence, nuisant pour longtemps au rayonnement de son pavillon48. Plus généralement, les desseins grandioses de Cavour ont pu être considérés comme typiques des représentations anachroniques qui étaient celles des élites italiennes en matière macroéconomique49. Alors que la France, l’Allemagne, les États-Unis s’industrialisent, Cavour entend faire de l’Italie un centre commercial de niveau mondial grâce au percement du canal de Suez, projet dont il est très précisément informé pour s’en être entretenu avec de Lesseps à l’occasion du congrès de Paris. Les positions économiques italiennes dans les Balkans stagnant longtemps, le vaste réseau de postes diplomatiques et consulaires est mis au service d’objectifs essentiellement politiques.
1.2. La mise en place d’un service diplomatico-consulaire à la mesure de la Question d’Orient
1.2.1. L’Italie s’impose dans les conférences diplomatiques
25Dès les premières années d’existence de l’Italie unifiée, les successeurs de Cavour cherchent à consolider son grand œuvre, à savoir l’insertion de l’Italie dans le concert des puissances. Dans les dix années qui suivent le traité de Paris, l’Italie est admise, à titre partiel ou intégral, à sept réunions diplomatiques internationales : la conférence sur le Danube de 1861, la conférence sur la Serbie de 186250, les consultations sur le Monténégro de 1862, les négociations sur la question syrienne de 1863, la conférence de Paris sur les principautés roumaines de 1866, les consultations sur la Crète de 1866, enfin la conférence de Londres sur le Luxembourg de 1867. La Sardaigne avait en revanche été exclue de la conférence sur le Monténégro de 1858 et de la conférence de Paris sur le Liban de 1860, et l’Italie l’est de la conférence sur la Grèce de 1863, de la conférence sur les Duchés de 1864 et de la conférence sur les îles Ioniennes de 186451.
26Si le traité de Paris associe la Sardaigne au règlement des questions serbe et roumaine, il ne comprend pas de dispositions relatives à la Grèce et au Monténégro. Pourtant, il accorde à l’Italie un droit de regard sur le sort des populations chrétiennes de l’Empire ottoman. La reconnaissance de ce droit est l’objet d’une longue bataille : en 1865, le gouvernement italien doit encore ferrailler pour que son consul à Scutari (Shkodër) soit associé au règlement d’une affaire de violation de la frontière ottomane par des Monténégrins en armes52 ; De Launay, ambassadeur d’Italie à Saint-Pétersbourg, regrette alors que l’Italie doive « à chaque occasion demander en quelque sorte un jeton de présence aux conférences »53. Peu à peu, cependant, l’Italie parvient à se faire admettre dans les réunions des grands, non plus en vertu du traité de 1856, mais en sa qualité de grande puissance, laquelle paraît définitivement reconnue en 1867 à l’occasion de la conférence sur le Luxembourg, sans lien avec les affaires italiennes mais cruciale pour l’équilibre européen. La Sardaigne puis l’Italie demeurent en outre exclues de la mise sous tutelle économique de l’Empire ottoman inaugurée par les suites du traité de Paris : l’Ottoman Bank (créée en 1856), le Conseil supérieur du trésor (1859) puis la Banque Impériale Ottomane (1863) et plus généralement les finances ottomanes sont d’abord l’objet d’un condominium franco-britannique exclusif54. Ce n’est qu’au lendemain du congrès de Berlin que l’Italie est associée à la co-gestion de la dette ottomane et participe ainsi à la mise en dépendance financière de l’Empire (voir infra, chap. 2).
27Le bilan de la décennie d’unification est néanmoins le suivant : l’Italie est devenue un membre de plein droit du directoire des grandes puissances. Au cours des nombreuses conférences diplomatiques qui sont organisées par les grandes puissances dans les décennies suivantes au sujet des affaires balkaniques, jamais plus la présence de l’Italie n’est contestée. En effet, les articles 7, 8 et 9 du traité de Paris, tout en intégrant l’Empire ottoman aux relations internationales européennes, fondent un droit d’intervention des puissances protectrices dans toute controverse impliquant les populations chrétiennes de l’Empire ottoman55. L’Italie participe ainsi à la conférence de Paris de janvier 1869 sur la Crète, ainsi qu’aux consultations diplomatiques occasionnées par les insurrections de Bosnie et d’Herzégovine en 1875 (voir infra, chap. 2)56. C’est un immense succès pour la classe dirigeante italienne, dès lors qu’elle a fait le choix de faire du pays une grande puissance et non un État moyen et neutre. Ce succès implique toutefois de très lourdes responsabilités, qui vont en grande partie reposer sur le service diplomatique et surtout consulaire de l’Italie dans les Balkans.
1.2.2. Le personnel diplomatique : les débuts d’une spécialisation
28Le corps diplomatique sarde, dont hérite largement le Royaume d’Italie, est modeste dans ses proportions comme dans ses ambitions57. La formation de ses membres importe moins que leur capacité à maintenir un train de vie à la hauteur de la dignité de leur poste et de celle de la nation qu’ils représentent auprès des autorités locales et de leurs homologues étrangers. Or, la modestie du traitement accordé aux fonctionnaires rend une fortune personnelle indispensable pour qui veut se lancer dans une carrière diplomatique ; le traitement est même nul les premières années, et ne sont admis aux concours d’entrée dans la Carrière que les jeunes hommes « régnicoles » âgés de 18 à 28 ans, disposant de plus de 6000 lires annuelles de rente pour le temps de leur volontariat58. Les candidats passent un examen comprenant trois domaines d’épreuves : le « droit civil, pénal, commercial et canon, des éléments de droit international et d’économie politique », l’histoire et la géographie ainsi que les langues étrangères. Les nouvelles recrues arrivent donc avec un bagage modeste et très académique59. Le règlement sarde de 1856 sépare strictement les carrières diplomatique et consulaire – auxquelles il faut ajouter le service interne du ministère. Les aspirants consuls doivent satisfaire aux mêmes critères que leurs futurs collègues diplomates, à ceci près qu’on ne leur demande pas de bénéficier de 6000 lires de rente annuelle, mais de « moyens d’existence suffisants pour assurer le service » (environ 3000 lires annuelles60). Les examens sont les mêmes que pour la carrière diplomatique.
29Dans une péninsule balkanique si difficile à pratiquer, les hommes d’expérience sont donc précieux. Le ministère semble en être bien conscient, comme en témoigne la durée souvent longue des affectations dans la région. Durant les années 1860, deux ministres61 italiens se succèdent à Athènes : Terenzio Mamiani Della Rovere de 1861 à 1864, puis Domenico Pes di San Vittorio Della Minerva jusqu’en 1871. Mamiani Della Rovere est placé à Athènes après son échec au ministère de l’Instruction Publique, moins pour utiliser ses connaissances éventuelles sur la Grèce moderne que pour honorer un grand intellectuel, philosophe et poète. Figure de gauche du modérantisme, théoricien du principe des nationalités et philhellène62, on gage qu’il ne manquera pas de cultiver de bonnes relations avec les Grecs, en dépit de son ignorance de l’Orient. À Bucarest, Annibale Strambio et Francesco Teccio di Bayo restent sept et deux ans respectivement (1859-1865 et 1865-1867), avant que Saverio Fava ne s’installe pour dix ans. À Belgrade, le consul général Stefano Scovasso (1861-1867) succède à Eugenio Durio ( 1859-1861). Comme Durio, Scovasso apprend l’Orient en quelques années, confiant même au bout de quelques mois à son ministre de tutelle : « Di giorno in giorno imparo a conoscere meglio il Principe, i suoi Ministri ed il paese »63. Stefano Scovasso arrive à Belgrade au début de 1861, pour n’en partir qu’en décembre 1868. En 1863, pourtant, l’ambassadeur à Constantinople, Caracciolo di Bella, tente de lui substituer un bureaucrate du ministère, le jeune Giuseppe Tornielli. Entré par concours au ministère quatre ans plus tôt, Tornielli y est promis à une belle carrière, et aura une influence particulièrement grande sous Agostino Depretis (infra, chap. 2). Il ne connaît pourtant des Balkans que Constantinople, ce qui n’empêche pas l’ambassadeur de recommander le jeune secrétaire de légation auprès du Ministre :
A Belgrado oggi sta il nodo della questione orientale. […] A Belgrado abbiamo assoluta necessità di un uomo intelligente, scaltro ed operoso. Fra i segretari di legazione che conoscono la politica di questi paesi e che potrebbero reggere il Consolato di Servia non ci ha che il Tornielli e il Joannini. Io non conosco che il primo ed ho in lui non poca fiducia. La sua nomina sarebbe a me personalmente grata. Quanto alla sua capacità dee essere nota al Ministero, ove debbe essere apprezzato per isveltezza di mente, attività e prudenza64.
30Malgré cette recommandation, le vétéran Scovasso reste en poste. Tornielli continue cependant sa carrière au Ministère, devenant chef de cabinet du ministre en 186765. Quant à Luigi Joannini Ceva di San Michele, il est finalement transféré à Belgrade lors du départ de Scovasso en 1868. La même permanence s’observe pour les « petits » postes des provinces ottomanes. Dans les années qui suivent l’Unité, la fermentation nationale n’est pas encore à son comble : les agents italiens se contentent souvent d’envoyer de loin en loin des rapports plus ou moins informatifs. À Salonique, le successeur de Salomone Fernandez, Giuseppe Cestari, demeure six ans en poste (1868-1873). Le poste plus sensible de Scutari, qui fait longtemps office de légation au Monténégro, est occupé par Eugenio Durio pendant six ans (1861-1866), puis par Lorenzo Perrod pendant six ans également (1866-1872). Il faut dire qu’en l’absence d’une véritable formation aux choses de l’Orient, le ministère entend maintenir en poste les hommes qui ont su s’y adapter, et sont parfois « oubliés » dans les Balkans.
31La Question d’Orient constituant pour la Sardaigne, puis l’Italie, un moyen de s’imposer en tant que grande puissance, il lui faut disposer d’un service diplomatico-consulaire étoffé dans l’Empire ottoman, notamment dans les Balkans où le traité de Paris offre dans un premier temps les prérogatives les plus claires à la nouvelle puissance italienne. Ce service est commandé par la représentation diplomatique à Constantinople, Turin accréditant près la Porte un « chargé d’affaires » puis, à partir de la proclamation du royaume d’Italie, un « envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire », comme à Paris, Londres, Berlin, Madrid, Bruxelles, Berne et Athènes. Le poste constantinopolitain est l’un des plus prestigieux, et n’est pas nécessairement confié à un spécialiste de l’Orient66. C’est le cas toutefois sous Cavour, le général Giacomo Durando, figure du combat pour la libération des peuples, occupant ce poste de confiance67. À la faveur d'un exil de six ans sur les rives du Bosphore, il a en effet acquis une ferme expérience de l’Orient, par ailleurs nourrie de sa réflexion antérieure sur la question nationale. Giacomo Durando avait en effet écrit en 1846 un « essai politique et militaire » relatif à la « nationalité italienne »68. Il y préconisait d’offrir à l’Autriche les possessions ottomanes d’Europe, pour lui faire accepter de se retirer d’Italie. Autant dire que l’expertise orientale de Durando se trouve fort contestée par les Ottomans eux-mêmes :
Cet ouvrage qui manque complètement des mérites littéraires de ceux de Balbo et de Gioberti, les dépasse cependant en violence et en absurdité. Après avoir, pendant une cinquantaine de pages, versé à pleines mains l’injure et la calomnie sur la Turquie et les Turcs, il prétend que l’expulsion des Turcs et leur concentration en Asie Mineure est le seul moyen de les régénérer ; que l’Autriche, maîtresse de la Turquie d’Europe, n’ayant plus de province italienne qui la préoccupe et absorbe ses meilleures troupes, serait le meilleur boulevard contre les empiètements de la Russie. […]
M. le Comte de Cavour est certainement un homme de grand talent et je lui crois trop d’esprit pour pouvoir supposer qu’il partage les utopies de Balbo, Gioberti, Durando69.
32Précisément, Durando reçoit de Cavour la tâche de convaincre la Serbie, la Grèce et le Monténégro de respecter le traité de Paris, d’en tirer parti pour améliorer leur situation intérieure et de ne surtout pas compliquer la tâche de la Sardaigne et de la France face à l’Autriche70. C’est une politique qui relie Turin aux capitales balkaniques mais n’irrigue guère la péninsule. Elle se fait au gré de la correspondance de Cavour et Durando, transmise à la faveur des missions ponctuelles des agents sardes.
33À Constantinople, les représentants des grandes puissances vivent dans le quartier de Péra, où se côtoient diplomates étrangers et dignitaires ottomans71. D’ailleurs, le général Durando, qui prend la tête de la diplomatie italienne en mars 1862, donne pour instruction au nouveau ministre près la Porte, Camillo Caracciolo di Bella, de « venire nei migliori termini possibili coi membri del Governo [...], [vivere] in contatto assiduo col Corpo Diplomatico [...], tenere rappresentanza decorosa e [...] stare almeno a pareggio della Legazione Prussiana »72. Pour avoir tenu la légation sarde pendant cinq ans (1856-1861), le général sait combien le prestige personnel de l’ambassadeur et de sa maison sont importants dans la lutte d’influence que se livrent les Puissances en Orient. Sur instructions du ministère, Caracciolo di Bella aurait d’ailleurs patronné la création, en 1863, de la première loge maçonnique dans l’Empire, et ce dans le but de contrebalancer l’influence française et britannique dans les milieux maçons73. Toutefois, les sommes allouées par le Trésor italien se révèlent vite insuffisantes pour une politique d’influence de grand style74. Reste que, pour le ministre, l’activité diplomatique de haut vol se joue dans les cercles fermés des cours et des chancelleries.
34Or durant les années 1860, l’ambassade de Constantinople voit se succéder cinq titulaires. C’est un autre spécialiste de l’Orient, Marcello Cerruti (1861-1863), qui succède à Durando. Compromis quelques temps auparavant par ses remuants correspondants danubiens, il doit quitter Constantinople pour prendre la tête d’une mission en Perse75. Après son départ, la légation n’accueille plus d’experts de l’Orient. Le marquis Caracciolo di Bella n'y fait qu'un bref passage (1862-1863) ; comme lui, Emilio Visconti Venosta est une personnalité de haut vol, qui ne relève la fonction d’ambassadeur à Constantinople que pour trois mois (mars-juin 1866), et cela après une vacance de près de trois ans76. La diplomatie ottomane avait pourtant accueilli avec soulagement l’arrivée de Caracciolo, « un homme du monde, doux, conciliant, d’opinions modérées, d’un caractère honorable », mal vu du parti démocratique qui le croit peu disposé à seconder ses intrigues dans les Balkans77. Après le départ de Visconti Venosta, c’est un spécialiste de l’Europe occidentale et des États-Unis, Giuseppe Bertinatti (1867-1869), qui rouvre en quelque sorte la légation, s’occupant notamment des écoles italiennes en Orient78. Au milieu des années 1860, le réseau diplomatique italien en Orient, pourtant en pleine expansion, est donc un corps sans tête, directement commandé par le Ministère. C’est que Turin va, peu à peu, obtenir l’essentiel de son information sur les questions nationales balkaniques grâce à des postes « de terrain » de plus en plus nombreux, et dont l’établissement vise notamment à prendre contact avec les nouveaux acteurs de la Question d’Orient.
1.2.3. Le service consulaire, colonne vertébrale de la politique balkanique de l’Italie
35Si une politique de cabinet pouvait convenir à la Sardaigne, il n’en va pas de même pour la grande puissance que veut être l’Italie. Sans hommes sûrs au plus près du terrain, le gouvernement de Turin est par trop dépendant, pour son information, de ses interlocuteurs balkaniques et danubiens, qu’ils soient à la tête de principautés autonomes ou de mouvements nationaux (voir infra). D’autre part, la fin des années 1850 et le début des années 1860 sont marquées par l’émergence dans les Balkans de nouveaux mouvements nationaux, en particulier dans le cœur de la péninsule, soit très loin des canaux fréquentés habituellement par la diplomatie sarde. Comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, à la veille de l’Unité les postes consulaires sardes se trouvent sur le pourtour méditerranéen et danubien de la péninsule balkanique, l’intérieur étant absolument vide d’agents de Turin.
36Le sultan ottoman étant l’unique souverain légitime d’une vaste partie du monde musulman, les puissances européennes ne peuvent accréditer leurs diplomates qu’auprès de la Porte. Dans les faits, le Sultan n’exerce sur de nombreux territoires qu’une souveraineté indirecte, des régences « barbaresques » aux principautés balkaniques en passant par l’Égypte vice-royale et les sultanats d’Arabie et d’Afrique79. À la faveur de la Question d’Orient, des formes de souveraineté intermédiaire se multiplient aux marges de l’empire, et l’institution consulaire constitue, pour les puissances européennes, un bon moyen de disposer auprès d'elles de représentants officieux. La conférence d’Aix-la-Chapelle, en effet, avait refusé le statut de diplomates aux consuls80. Au début du XIXe siècle, le consul est encore principalement le chef d’une « nation » marchande établie outre-mer, à la fois agent d’état-civil, juge de paix et représentant communautaire auprès des autorités locales. Sous l’influence de la France et des autres grandes nations commerçantes d’Europe du nord-ouest, les consuls des États italiens pré-unitaires deviennent aussi peu à peu des informateurs en matière de commerce et de navigation, et même des représentants diplomatiques officieux81.
37Le service consulaire sarde était d’un développement assez récent, le royaume subalpin n’ayant obtenu de véritable débouché maritime qu’avec l’annexion, en 1814, de l’ancienne république de Gênes détruite par les Français en 179782. Si l’on observe le réseau consulaire sarde dans les Balkans au milieu du XIXe siècle, on perçoit encore nettement la trace de l’héritage génois : parmi les États italiens, seul le royaume de Sardaigne entretient en effet un établissement consulaire à Enos ou Mytilène, antiques colonies génoises. De même, les consuls sardes sont pratiquement les seuls représentants italiens en mer Noire, à Varna, Burgas, et aux bouches du Danube. On les trouve également aux côtés des Napolitains et des Toscans dans les grandes places commerciales de Méditerranée orientale, à Trieste, Fiume (Rijeka), Corfou, Smyrne, mais aussi dans quelques petits ports grecs. À la veille de l’Unité, le royaume de Sardaigne n’est représenté que dans trois des neufs eyalets balkaniques de l’Empire ottoman83.
38Avec l’unification, le gouvernement de Turin peut désormais compter sur les forces cumulées de l’ensemble des États pré-unitaires, en captant pour l’essentiel l’héritage méditerranéen du royaume des Deux-Siciles et, dans une moindre mesure, celui du grand-duché de Toscane, qui dispose d’un service consulaire modeste, mais tout de même proportionné à son dynamique commerce méditerranéen84. Le grand-duché entretient un consulat général à Trieste, dont dépendent le vice-consulat de Fiume et le consulat de Raguse (Dubrovnik), où Toscans et Napolitains sont les seuls présents, sans les Sardes. En Grèce, on trouve un consul toscan à Athènes, résidant en réalité au Pirée. Dans les îles Ioniennes, un réseau abondant est théoriquement prévu, avec un consulat à Corfou et ses vice-consulats de Céphalonie, Cythère, Ithaque et Leucade, qui sont en réalité tous vacants à la veille de l’Unité. Dans les Balkans ottomans, la présence est beaucoup plus modeste, avec un vice-consulat à Andrinople (Edirne), vacant à l’instar de celui de Rhodes, et surtout un consulat à Salonique, où de nombreux membres de la communauté juive sont des sujets toscans liés aux familles juives de Livourne.
39De tous les États pré-unitaires, le royaume des Deux-Siciles a sans conteste la plus riche tradition navale et commerciale en Méditerranée85. Il dispose ainsi d’un réseau consulaire particulièrement étoffé en Méditerranée orientale. La position géographique et l’histoire du royaume des Bourbons lui confèrent en effet une vocation maritime plus nette que celle du Piémont. Quelques années avant l’Unité, les agents de Sa Majesté Sicilienne sont, sur le papier, massivement présents dans la haute Adriatique, avec quatorze vice-consuls postés dans les ports du Littoral autrichien (Küstenland), de Capodistria (Koper) à Raguse, sous l’autorité d’un agent de haut rang, le consul général de première classe résidant à Trieste. Dans les îles Ioniennes, le consul général à Corfou est également en charge de six vice-consulats, dont un seulement est occupé en 1857. En Grèce, le réseau est comparable. C’est également un consul général de première classe qui réside à Athènes ; il est en charge d’un réseau de douze vice-consulats répartis sur les côtes du Péloponnèse et dans les Cyclades. Dans les régions dépendant de la « Porte ottomane », auprès de laquelle le Bourbon de Naples entretient une légation à Constantinople, la présence des consuls napolitains est également massive. On les trouve dans l’emporium salonicien, ainsi qu’à Galatz, au débouché d’une voie commerciale pleine d’avenir, celle du Danube. En Thrace, les Napolitains sont présents à Andrinople et dans le port de Rodosto (Tekirdağ). Dans l’Égée ottomane, une dizaine de vice-consulats s’échelonnent de Gallipoli à La Canée (Haniá), sous l’autorité de Constantinople au nord, et sous celle du consul général de première classe résidant à Smyrne au sud. Enfin, les Napolitains sont, voisinage oblige, les seuls Italiens présents en Albanie, avec un vice-consulat établi en 1859 à Valona, en face de la côte apulienne.
40Par l’agrégation des fortes positions méditerranéennes de chacun des grands États pré-unitaires, l’Italie apparaît d’emblée en nouveau grand acteur régional, comme le montrent les dispositions prévues par le traité signé par le royaume d’Italie et l’Empire ottoman le 10 juillet 1861. Elles concernent notamment les privilèges dont disposent les sujets italiens dans l’empire : les droits prévus dans le cadre des traités précédemment signés par les Deux-Siciles, la Sardaigne et la Toscane sont rassemblés, précisés et augmentés jusqu’à devenir équivalents de ceux qui sont concédés aux sujets français86. La présence cumulée de l’ensemble des consuls et vice-consuls au service des différents États italiens peut paraître de même imposante. En réalité, bien des représentations, qu’elles soient appelées « vice-consulats », « délégations consulaires » ou « consulats de troisième classe », se réduisent à l’accréditation de négociants locaux non rétribués qui souvent n’envoient pratiquement aucune correspondance à leur commanditaire étatique, et dont l’action consiste généralement à viser les passeports et à rédiger les actes civils et commerciaux. En outre, les almanachs royaux et grand-ducaux, consultés pour obtenir une vision d’ensemble de la présence consulaire italienne dans les Balkans, sont établis sans rigueur et ne tiennent pas toujours compte des mutations, décès ou démissions. Enfin les postes sont fréquemment mutualisés par les différents États italiens : à Raguse, Toscans et Napolitains sont par exemple représentés par un même agent et le cas n’est pas isolé87.
41À partir de 1860, l’amalgame des différents services consulaires pré-unitaires en un seul service italien consiste en réalité à densifier et compléter le réseau sarde. Sur les vingt-trois délégations consulaires sardes identifiées en 1860, on en retrouve vingt-deux sous pavillon italien en 1870. Seule l’agence d’Ismail, aux Bouches du Danube, s’est vue transférée sur le littoral, au port de Sulina, distant de quelques kilomètres. Les doublons sont systématiquement éliminés et les postes sardes conservés, sauf dans le cas où ces derniers n’ont qu’un rang subalterne et coexistent avec un consulat d’un autre État italien, ainsi à Salonique comme nous l’avons vu. Dans les cas où plusieurs représentations diplomatiques italiennes doivent fusionner, la Sardaigne l’emporte donc sans aucun doute parmi les cadres, mais les compétences des agents toscans ou napolitains, dépositaires d’une ancienne tradition de présence en Méditerranée orientale, sont fréquemment retenues par le nouvel État italien. La « piémontisation » de la diplomatie italienne au lendemain de l’Unité et sa progressive méridionalisation au cours des décennies suivantes constituent cependant un questionnement classique dans l’historiographie relative à la politique étrangère de l’Italie libérale88. La comparaison des réseaux pré- et post-unitaires en Orient permet de conclure à un facile partage des tâches entre consuls sardes d’un côté, napolitains et toscans de l'autre. Les premiers sont maintenus en poste en tant que noyau dur et relais fidèles de la politique turinoise, les seconds dans la mesure où ils apportent des compétences profitables au service en Orient méditerranéen et/ou complètent le réseau des postes sardes dans des régions où les enjeux politiques sont encore faibles.
42Le réseau des délégations consulaires, à vocation purement commerciale et qui, à la différence des consulats proprement dits, ne coûte rien, est rationnalisé pour épouser plus précisément les contours de l’activité nationale en Méditerranée orientale. On supprime quelques postes insulaires, notamment dans le monde grec où le commerce a tendance à se déplacer des îles vers les grands ports continentaux89. En mer Égée orientale, en revanche, l’heure est à l’extension du service consulaire : l’héritage napolitain y est maintenu et augmenté. C’est que l’Anatolie s’ouvre au commerce européen, de même que l’arrière-pays de Salonique, en Thessalie et Macédoine90. Dans ce dernier cas, c’est le nouveau consul-général d’Italie Salomone Fernandez qui organise, sur consignes de Turin, l’extension du service, avec la création, dès 1861, de délégations consulaires à Volos, Kavala et Koritza (Korçë), places de négoce du blé et du tabac91. En théorie, il est possible de multiplier les délégations consulaires, puisqu’elles sont confiées à des marchands du cru qui ne perçoivent aucun traitement. Pour ces derniers, accepter une telle charge offre un statut juridique privilégié face aux autorités locales, ainsi qu’un surcroît d’entregent face à la concurrence92. Enfin le service est rétribué via la perception par le délégué d’une partie des droits réglés par les usagers à l’établissement des actes consulaires relatifs au commerce, à la navigation ou à l’état-civil notamment93.
43Les postes consulaires les plus sensibles politiquement, ceux qui sont au plus près des soubresauts de la Question d’Orient, sont toutefois confiés à des fonctionnaires, obligatoirement sujets italiens et ayant l’interdiction de pratiquer le commerce. La spécificité des postes balkaniques n’est toutefois pas toujours pleinement comprise : l’Empire ottoman est parfois considéré comme un bloc où les postes sont interchangeables. C’est ainsi que des agents ayant fait leurs classes dans les provinces arabes de l’empire sont fréquemment affectés dans les Balkans, alors même que l’usage de la langue arabe n’y est d’aucun secours. Le cas d’Onorato Bosio, membre du corps consulaire né à Beyrouth, est à cet égard éclairant94. Arabisant, Bosio a rendu des services précieux dans les premiers contacts entre le Piémont et le monde arabe, dans les années 1850 : il a en effet participé à des missions diplomatiques en Égypte et en Mésopotamie. De juin 1866 à mars 1867, il est pourtant affecté à Scutari. Il faut dire qu’il s’agit là d’assurer l’intérim entre deux longs séjours. À vrai dire, les arabisants sont fréquemment ballotés dans tout l’Orient au gré des suppressions et des recréations de postes, dans un réseau oriental plus hésitant encore que le réseau balkanique. Giorgio Millelire, dont nous reparlerons pour son rôle crucial en Épire, fait ainsi ses premières armes à Tunis, où il se marie, puis à Beyrouth, avant d’être envoyé à Liverpool, puis à Préveza. Remplaçant son supérieur en disgrâce à la tête du consulat de Janina (Ioannina) en Épire (1882-1907), il finit par s’y rendre indispensable et ne parvient jamais à le quitter, jusqu’à ce que les intrigues de ses ennemis ne le fassent muter au Guatemala après trente ans de carrière en Albanie. Plaidant sa cause auprès du ministre des Affaires étrangères Antonino Di San Giuliano, il affirme en 1911 parler sept langues95 : on peut supposer qu’il maîtrise le français, et qu’il a pu apprendre l’anglais à Liverpool, puis l’espagnol en Amérique centrale. Lui-même précise qu’il parle l’arabe – la langue de ses premiers postes – mais aussi le grec, le turc et l’albanais, qu’il possède à l’issue d’un séjour épirote long de vingt-sept ans.
44Les Italiens établis dans le Levant sont souvent tout indiqués pour représenter les États italiens. On ne parle pas ici des Levantins, mais d’Italiens péninsulaires partis dans le cadre d’une mobilité économique en Méditerranée, sans pour autant avoir perdu le contact avec l’Italie. Ces hommes exercent des professions libérales et ont ainsi la compétence et la position sociale requises pour exercer les fonctions consulaires. Ils s’insèrent aussi dans une tradition familiale de liens avec l’Orient qui était fréquente sous l’ancien régime consulaire, mais subsiste dans le cadre de la professionnalisation et de la nationalisation que connaissent au XIXe siècle la plupart des services. Un périodique spécialement édité pour couvrir la guerre gréco-turque de 1897 revient ainsi sur le parcours d’Augusto Medana, alors consul d’Italie à Candie (Héraklion) :
Il cav. avv. Augusto Medana, nativo di Damasco, ma imparentato con diverse famiglie piemontesi, giacché il padre suo dott. Alessandro Medana, che già tenne alto il nome italiano disimpegnandovi importanti funzioni in Siria, era oriundo della Val Sesia.
Il nome del console Medana è favorevolmente conosciuto presso quasi tutti i consolati d’Oriente, ivi avendo percorso tutta la sua carriera consolare dopo gli studi classici e universitari fatti a Monza e a Pisa ; ed è appunto per la speciale competenza acquistata nelle cose politiche d’Oriente, e per la conoscenza che egli ha della lingua di quei paesi che fu nel 1895 promosso all’importante consolato di Candia96.
45Néanmoins, la question des langues est suffisamment problématique pour que Camillo Caracciolo Di Bella, ancien ambassadeur à Constantinople devenu sénateur sur les bancs de la Gauche historique, attire en 1878 l’attention de la chambre haute sur les carences institutionnelles en la matière :
La Russia e l’Austria hanno speciali Accademie per gli studî dei dragomanni, cioè per quello degli idiomi orientali. Per l’Italia, come per la Francia e l’Inghilterra, i dragomanni sono impiegati liberi, i quali si scelgono nelle colonie [nazionali d’Oriente] o fra i Levantini. Sono i capitani di ventura della Diplomazia ; essi passano bene spesso dal servizio di una Legazione a quello di un’altra, ed appartengono ordinariamente a famiglie note che di padre in figlio compiono quest’ufficio97
46Les drogmans sont effectivement une institution typique de l’Orient, liée au système ottoman98. Le pouvoir turc ayant longtemps dédaigné les langues occidentales, les minorités non musulmanes se sont spécialisées dans l’intermédiation entre Occidentaux et Ottomans. Les Juifs de l’empire, notamment, occupent fréquemment les fonctions de douaniers et d’interprètes99. La diplomatie italienne n’est d’ailleurs pas toujours obligée de passer par les minorités « techniciennes » de l’Empire : elle peut puiser dans le vivier des familles italiennes commerçantes et lettrées qui abondent sur toutes les côtes de la Méditerranée. Lorsque Enrico De Gubernatis installe le consulat de Scutari à la fin de 1861, il n’a aucun mal à trouver un Italien capable d’occuper la fonction de drogman :
Havvi un giovine italiano, di nome Pietro Tonietti, nato a Bagdad, educato nel collegio di Antura e versatissimo nelle lingue e negli usi orientali ; la sua onestà e l’altre sue buone doti lo raccomandano ; prego quindi l’E. V. di concedermi la opportuna autorizzazione, perché io lo nomini Dragomanno effettivo del Consolato e gli anticipi quello stipendio che l’E. V. crederà conveniente, e che mi parrebbe non dover essere inferiore alle £. 1200100.
47Le jeune Pietro Tonietti est nommé drogman à Scutari le 9 octobre 1861. Il appartient, à l’évidence, aux drogmans de seconde catégorie : payés à la discrétion des consuls, ils ne disposent pas des avantages dont jouissent leurs collègues de première catégorie, qui sont fonctionnaires101. C’est donc un de ces « précaires de l’interprétariat » qui sont pourtant souvent fort qualifiés102. Avant l’Unité, le Piémont entretient quatre drogmans seulement : ces postes sont successivement créés à Beyrouth (1827), Galatz (1850), au Caire (1852) et à Tanger (1853) ; quatre nouveaux postes sont créés en 1861 pour le service du nouveau royaume d’Italie, à Tripoli, Alexandrie, Beyrouth et à Scutari, première localité balkanique après la place commerciale de Galatz à accueillir un fonctionnaire de ce genre. En 1863 sont recrutés cinq nouveaux agents, tous dans les Balkans ou leur périphérie : Alberto Spicq à Bucarest (4 janvier), Stefano De Stanislas à Trébizonde (15 avril), Stefano Cajazadé à Varna (8 juin), Pietro Guracucchi de nouveau à Scutari (16 septembre) et enfin Pietro Brunoni à Chypre (6 septembre)103. Après ce rattrapage, le recrutement se fait de façon plus ponctuelle. Les drogmans sont tous des agents de seconde catégorie, et se différencient ainsi des interprètes, qui appartiennent à la première catégorie. Avant que le statut de ce personnel ne soit fixé par le décret royal du 18 septembre 1862, le corps diplomatique et consulaire sarde ne comprenait qu’un interprète, Alessandro Vernoni, recruté en 1843. Avec le recrutement de neuf autres agents entre 1863 et 1866, il est le seul interprète de première classe. Quatre des nouveaux postes sont créés à Constantinople ; deux autres le sont à Tunis, et les trois derniers à Alexandrie, Smyrne et Beyrouth104. Si les postes balkaniques sont les premiers bénéficiaires du recrutement de drogmans, ils doivent se contenter d’un personnel au rabais, choisi et payé par le consul.
48D’après le sénateur Caracciolo Di Bella, toutefois, l’Italie unifiée ne peut plus se satisfaire de ce système qui confie les intérêts nationaux à des étrangers ; de fait, le service drogmanal italien a ceci de particulier par rapport à ses homologues européens qu’il est constitué pour l’essentiel de locaux : sujets ottomans et italiens d’Orient. Les Italiens péninsulaires formés aux langues en Italie sont rarissimes, et cette situation va durer longtemps105. Le « Collegio cinese » de Naples n’a pas encore été réformé ; c’est une institution sclérosée, quoique héritière de la tradition orientalisante des jésuites (infra, chap. 6). Comme le mentionne Caracciolo di Bella, la seule institution italienne de quelque importance en la matière est due au mécénat d’un grand personnage : l’Istituto internazionale, fondé à Turin en 1864 sous le patronage du prince Eugène de Savoie106. Une fois encore, l’Italie unifiée se heurte à des contraintes budgétaires qui l’empêchent de se doter des instruments nécessaires à son rayonnement en Orient. On doit ainsi se concentrer sur l’installation, au fil des années 1860, d’un petit nombre de missi dominici au plus près des points chauds de la Question d’Orient.
1.2.4. Les premiers consulats « politiques » italiens
49En dehors des postes implantés dans les « échelles » par les États préunitaires, l’exiguïté des relations commerciales ne justifie pas l’établissement de consulats. C’est là, cependant, que la Question d’Orient prend, à partir des années 1860, la tournure la plus brûlante avec l’émergence des mouvements nationaux balkaniques. L’Italie crée alors des postes consulaires moins dévolus à l’encouragement du commerce national qu’à la collecte de renseignements et à l’action diplomatique. Il faut en effet entrer en contact avec les acteurs extra-étatiques ou infra-étatiques que sont les mouvements de libération nationale et les diverses autorités locales : gouverneurs ottomans, mais aussi autorités autonomes autoproclamées ou encore notabilités traditionnelles, ecclésiastiques ou claniques. Le jeune État italien est encore tout à fait modeste dans ses ambitions : il s’agit avant tout de renseigner, et surtout d’être présent, de faire connaître et apprécier le nom italien auprès des autonomies qui prolifèrent en Méditerranée orientale, et tout particulièrement dans l’intérieur remuant de la Turquie d’Europe. Cette installation suit, avec une dizaine d’année de retard, celle des autres puissances : en 1851, l’Autriche installe des postes à Janina, Monastir (Bitola), Préveza, Parga et Valona, la Grèce à Arta, Durazzo, Parga et Valona, et le Royaume-Uni à Monastir. La France installe quant à elle un poste à Monastir en 1854107.
50Salomone Fernandez, le nouveau consul d’Italie à Salonique, joue un rôle clé dans l’installation du service consulaire italien au cœur des Balkans, loin du monde méditerranéen familier des États pré-unitaires. C’est lui qui représente au gouvernement de Turin l’importance de l’établissement, en premier lieu, d’un consulat à Scutari d’Albanie, située dans une région qu’il connaît mal, et pour cause : loin des routes traditionnelles du commerce, l’Albanie est en revanche au cœur d’une dorsale des rébellions nationales en formation, du Monténégro à l’Ouest à la Bulgarie à l’Est en passant par la Bosnie, l’Herzégovine et la Macédoine108 :
Gli attacchi dei montenegrini, ed i germi di movimenti insurrezionali che cominciano a svilupparsi nell’Erzegovina rende necessario che noi pure al pari della Francia, Inghilterra, Russia ed Austria si abbia un rappresentante esperto, ed imparziale per tenere al corrente ed esattamente informato il R° Ministro dell’andamento degli avvenimenti109.
51Capitale du vilayet du même nom, Scutari est en 1861 une localité extrêmement modeste, mais stratégiquement placée sur l’un des rares axes permettant l’accès à l’intérieur des Balkans. Le premier titulaire du poste consulaire est Eugenio Durio, que nous avons d’abord rencontré à Galatz et qui dirige, l’année précédente, le consulat de Belgrade en tant que vice-consul de première classe110. Durio fait partie de la génération des consuls sardes qui se trouve en Orient à la grande époque de la politique cavourienne. Il a en effet séjourné à Constantinople de 1849 à 1856, avant d’intégrer la délégation sarde auprès de la conférence européenne d’organisation des Principautés Danubiennes en 1856-59111. Parmi les raisons avancées par Salomone Fernandez pour la mise en place d’un consulat à Scutari, figure la nécessité d’envoyer un délégué italien auprès de la commission internationale mise en place pour surveiller l’insurrection de l’Herzégovine112 ; de fait, le consulat scutariote devient la tête de pont italienne vers le cœur des Balkans. L’ensemble de la façade adriatique constitue, au milieu du XIXe siècle, une zone de profonde fragmentation ethnique et politique, plus complexe encore qu’un examen de la carte des Balkans au terme du processus d’émergence des États-nations ne le laisserait supposer : les catégories ethno-nationales qui s’imposent à la fin du siècle recouvrent en réalité bien des particularismes micro-régionaux113. La diplomatie italienne en est consciente, et entreprend de se mettre en rapport avec les nombreux acteurs politiques qui sont présents dans la basse Adriatique ; parmi les postes consulaires, c’est celui de Scutari qui est le mieux placé pour mener à bien cette mission.
52Le ministère italien des Affaires étrangères porte en effet volontiers ses regards sur les confins de la Haute-Albanie et du Monténégro. La principauté de Monténégro, enclave montagneuse bénéficiant d’un large statut d’autonomie, est en guerre quasi permanente avec le sultan et constitue un foyer de troubles dans le nord-ouest de l’empire114. La présence de catholiques au nord de la zone de peuplement albanaise complique la situation politique, puisque les montagnards (Malisor) des confins albano-monténégrins jouent tour à tour la carte de la principauté slave et celles de l’empire turc ou de l’Autriche pour sauvegarder leur autonomie115. Enfin, même si l’Empire ottoman n’exerce aucun contrôle direct sur le Monténégro, cette principauté n’est pas indépendante de jure, si bien qu’il n’est pas question d’y établir une représentation diplomatique116. Aussi l’une des premières missions d’Eugenio Durio consiste-t-elle à établir, depuis son poste scutariote, le contact avec le souverain monténégrin, mais aussi avec la confédération des clans autonomes de Mirditie. Arrivé en Albanie à la fin de 1861, Durio reçoit quelques semaines plus tard la visite des deux principaux personnages mirdites, leur prince et leur abbé. Bib Dodë Pasha, chef de ces clans albanais catholiques, vient assurer Durio de sa loyauté envers la Porte et s’attarde sur les généreux subsides que cette dernière lui accorde. À l’abbé, le consul affirme que « fra le più premurose cure del governo del re [è] premurosissima quella di ottenere sciolta la questione religiosa nel modo il più appropriato a rassicurare la coscienza la più timorata del mondo cattolico »117. Le Monténégro représente alors la principale crainte des Mirdites, qui ne sont pas avares de bonnes paroles vis-à-vis de l’envoyé du roi d’Italie, lequel ne manque pas de signaler l’importance stratégique de cette population à ses supérieurs.
53Durio part pour le Monténégro peu de temps après, dès que l’arrivée du printemps lui permet d’entreprendre le voyage. Pour ce premier contact, le représentant italien se conforme aux usages établis par les puissances traditionnellement influentes dans la région, la France et la Russie, notamment en matière de présents118 ou de documents officiels : le consul de France s’étant présenté sans lettre d’accréditation, Durio estime pouvoir faire de même119. L’Italie est donc à l’école des autres grandes puissances, en dépit d’un rayonnement et de moyens infiniment moindres. Le consul italien en profite d’ailleurs pour signaler au ministre que les fonds manquent, non seulement pour mener avec succès la mission, mais même pour installer de façon convenable le poste de Scutari. Après avoir payé son voyage et celui de sa famille, le personnel du consulat (quelques gardes et un drogman), une année de loyer pour le consulat et une quasi-reconstruction de sa propre demeure, Durio se déclare auprès du ministre incapable de payer sa prochaine traite120. C’est le début d’une longue tradition de misère des représentants italiens dans les Balkans, qui n’exclut pas les résultats : le successeur de Durio, Onorato Bosio, est en mesure de déclarer, quelques mois après sa nomination en juin 1866, que « [l’] influence italienne [est] solidement établie ici auprès du Pacha de Scutari et [du] prince [de] Monténégro »121. On voit mal le représentant de l’Italie affirmer le contraire, mais il est vrai qu’à l’exception de la France, qui avait envoyé le consul Hecquard à Cetinje au moment de la guerre de Crimée122, et de la Russie, dont les agents fréquentent la principauté depuis la fin du XVIIIe siècle, aucune autre puissance n’entretient alors de véritable présence permanente auprès du prince Nicolas123.
54Les notables locaux ne sont pas les seuls interlocuteurs des consuls ; les provinces ottomanes d’Herzégovine, de Bosnie et de Bulgarie, où les intérêts italiens demeurent faibles, sont à partir des années 1860 le théâtre d’une agitation croissante qui doit être surveillée par les fonctionnaires italiens. De même que la Sardaigne avait en 1858 été exclue du règlement de la question monténégrine, en 1862 l’Italie peine à se faire admettre dans la tutelle des chrétiens de Bosnie, en état de révolte endémique124. Il est donc crucial d’installer un consulat au cœur de cette région où se disputent les influences ottomane, autrichienne, française, serbe et monténégrine. Le premier consul d’Italie à Sarajevo n’est autre que Cesare Durando, le neveu de Giacomo, qui l’a formé aux affaires balkaniques en le gardant auprès de lui : d’abord à la légation de Constantinople, où Cesare est envoyé comme applicato volontario seulement deux semaines après son admission au concours consulaire le 14 novembre 1859. Puis au ministère en juillet 1862, après que Giacomo Durando a pris le portefeuille des Esteri en avril de la même année : Cesare est alors son secrétaire particulier. Il est ensuite affecté à Sarajevo le 30 novembre 1862, quelques jours avant le départ de son oncle du ministère125. Il parvient sur place en juin 1863, et y demeure jusqu’au 30 août 1868. Son excellent travail de renseignement lui permet de passer du grade de vice-consul de 3e classe à celui de vice-consul de 1re classe. Si l’Italie choisit d’installer un consul à Sarajevo, c’est qu’une commission consulaire s’y est installée auprès des gouverneurs ottomans qui ont quitté Travnik « depuis les derniers troubles »126. Cette commission, qui réunit les consuls des six grandes puissances, est constituée en vue de renseigner les ministères et ambassades à Constantinople respectifs sur les événements, et de relayer leurs consignes sur place. Nous verrons que ce genre d’organisme sera régulièrement mobilisé par les puissances à l’occasion des crises balkaniques. À Sarajevo, toutefois, le consul d’Italie ne peut guère que surveiller l’Autriche :
Se l’Austria vuole conservarsi la Dalmazia e stanarla dal partito italiano deve riunirla all’Erzegovina ed alla Bosnia. Oltre che vi è lo sbocco del commercio, la mancanza di stirpe spinge ancora più il bisogno degli interessi. La Dalmazia col suo stretto lungo ed arido territorio non può da sé sostenersi : il mare le è ora disputato da noi127.
55Il faut dire que le consulat général d’Autriche à Travnik est une véritable agence de renseignements, qui commande les consulats de Banja Luka, Livno et Tuzla d’où les consuls cartographient consciencieusement le pays.
56L’Italie n’entretient en revanche aucun poste dans le cœur de la Bulgarie, une région mal connue, où elle n’a aucun intérêt. Ses consulats se situent à sa périphérie, dans les ports des régions pontiques et danubiennes où la Sardaigne nourrissait déjà une importante activité commerciale consistant surtout à importer des blés128. Le consulat de Roustchouk (Ruse), sur le Danube, commande ainsi en 1870 le vice-consulat de Varna et la délégation de Constantza. Quant à celle de Burgas, elle dépend de Constantinople et de son ressort thrace129. La Bulgarie se trouve pourtant, comme la Bosnie et l’Herzégovine, en état d’agitation chronique depuis le début des années 1860130. Cette agitation est amenée à se renforcer avec l’aggravation des déséquilibres provoqués par l’arrivée de populations musulmanes expulsées du Caucase en 1864 par les Russes.
57En l’absence d’agents en Bulgarie, c’est de Constantinople que la Sardaigne surveillait le mouvement national bulgare et les intrigues russes, à travers les rapports des consuls français et anglais, des capucins italiens ou encore des patriotes polonais liés à Turin131. Une conversion au catholicisme ayant pu être envisagé par le mouvement national bulgare comme un moyen d’émancipation, Cavour et Giacomo Durando encouragent fortement ce projet, y voyant le moyen de se réconcilier avec la papauté en lui permettant de troquer son modeste temporel italien contre un pouvoir spirituel global passant par la réunion de l’Orient132. Les successeurs de Cavour rompent bien vite avec ce mouvement en vérité chimérique. Ils disposent cependant désormais d’un poste d’observation plus près de la réalité bulgare : le consulat de Belgrade réactivé par Cavour. C’est dans la capitale serbe, en effet, qu’est fondée en 1861 la Légion bulgare, par le patriote Georgi Rakovski. À l’occasion de la dissolution de cette troupe, le consul d’Italie à Belgrade, Scovasso, attire d’ailleurs l’attention du ministère sur la sympathie que nourrit le mouvement de Rakovski pour l’Italie, alors que l’Autriche, l’Angleterre et la Russie, qui avance ses propres pions en Bulgarie même, n’ont de cesse de le contrecarrer133. Rakovski et ses partisans quittent ensuite la capitale serbe pour Bucarest, où ils fondent le Comité central révolutionnaire. C’est donc de la capitale roumaine que les diplomates italiens peuvent désormais s’informer sur les agissements de ce parti, qui fait passer des bandes de l’autre côté du Danube en vue d’y entretenir une agitation anti-ottomane.
58Ce n’est toutefois qu’à la fin des années 1870 que la Bulgarie, la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie se trouvent au cœur de la Question d’Orient. La présence de consuls italiens se révèle alors précieuse (voir infra), mais jusqu’à cette époque, ils se bornent à informer Turin puis Florence et Rome des activités des patriotes locaux, des réactions ottomanes et surtout des intrigues des véritables puissances balkaniques, la Russie et l’Autriche-Hongrie.
1.2.5. La Grèce et le monde égéen
59Jusqu’en 1878, le royaume hellénique est le seul État indépendant dans la région comprise entre les empires ottoman et autrichien. Le roi de Sardaigne entretenait une unique légation à Constantinople, près « la Porte ottomane et la Grèce », l’agent en poste à Athènes étant consul. En 1861, l’envoyé du roi d’Italie à Athènes, Terenzio Mamiani Della Rovere, a désormais rang d’« envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire ». C’est la marque d’un changement d’échelle dans la puissance, qui s’inscrit dans un renforcement général du réseau diplomatique italien. L’activité de la dizaine de délégations consulaires péloponnésiennes et cycladiques étant supervisée par le consul résidant au Pirée, le ministre italien à Athènes se concentre sur les relations politiques entre les deux royaumes. Elles sont marquées par la délicate question du philhellénisme134.
60Par son histoire récente, le royaume d’Italie revendique une proximité politique avec la Grèce, dans le cadre du combat commun en faveur de l’unité nationale. Le territoire italien, même sans la ville de Rome, correspond en outre désormais au berceau de la latinité antique. Avec l’annexion du royaume des Deux-Siciles, l’Italie recouvre également l’ancienne Grande Grèce, dont le souvenir sera parfois mobilisé afin de revendiquer une parenté ethnique avec le royaume de Grèce qui placerait l’Italie aux sources de la civilisation occidentale135. Si le philhellénisme est un élément structurant de la politique grecque de l’Italie, il est, dès les années 1860, contredit par des ambitions territoriales et politiques formulées à titre officiel ou officieux. Ces ambitions sont encore trop limitées pour hypothéquer sérieusement les relations italo-grecques. Comme on le verra dans le deuxième chapitre de cet ouvrage, c’est à la fin des années 1870 que la diplomatie italienne rompt avec l’idéal philhellène. Au lendemain de l’Unité, les anicroches sont encore de faible portée.
61La première alerte est liée à la question des îles Ioniennes. Le traité du 5 novembre 1815 fait de ces anciennes possessions vénitiennes un protectorat britannique136. Quoique les populations y soient majoritairement grecques, l’italien est l’une de ses langues officielles du fait de la présence de familles vénètes, d’ailleurs augmentées d’exilés libéraux137. Progressivement, toutefois, les Italiens, en proie à l’hostilité des nationalistes grecs, y sont marginalisés, comme le déplore le poète dalmate Niccolò Tommaseo durant son exil corfiote138. En 1863, la diplomatie européenne est agitée par un projet de congrès sur la Pologne. Le ministre Visconti Venosta veut donc proposer à la Prusse d’en profiter pour soulever les questions du Schleswig-Holstein et des îles Ioniennes. Concernant ces dernières, il ne s’agit sans doute pas de les revendiquer pour l’Italie, mais d’obtenir un droit de regard sur leur sort, en tant qu'État successeur du royaume de Naples qui avait lui-même signé le traité de 1815139. Le projet fait long feu, et le Royaume-Uni cède les îles Ioniennes à la Grèce l’année suivante, après avoir consulté les deux autres puissances protectrices de la Grèce, la France et la Russie :
Le notizie che mi giungono dalla R. Legazione in Atene e dal Consolato in Corfù accennano alla continuazione del disordine nelle isole Jonie. L'amministrazione Greca vi surroga con creature di capi-partito gli impiegati onesti e capaci, formatisi sotto il regime anteriore. La parte migliore della popolazione è sistematicamente tenuta in disparte dalla cosa pubblica, e la plebe trascorre sovente, come di recente avvenne a Zante, a deplorabili eccessi. Essendo noi affatto estranei agli atti diplomatici che regolarono la condizione di quei territorii, noi lasciamo ai Governi protettori la cura di dar consigli e far rappresentanze al Governo ellenico ; tuttavia la prossimità delle isole al litorale del Regno, la somma considerevole degli interessi italiani in quei paesi, non possono a meno di farci provare qualche rincrescimento per un cosimile stato di cose140.
62De cette déception naît un répertoire d’arguments mishellènes qui connaîtra sa pleine fortune dans les décennies suivantes et notamment en 1879 et 1913 (infra, chapitres 2 et 8). L’irrédentisme grec nourrirait le désordre, et les autorités d’Athènes seraient incapables de gouverner correctement les territoires réunis. Voilà des accusations très proches de celles que portent les gouvernements ennemis de Turin après l’annexion des Deux-Siciles. À propos des îles Ioniennes, si l’argument des « considérables intérêts italiens » paraît très exagéré, celui de leur proximité géographique avec les côtes italiennes, encore formulé de façon vague, annonce les considérations géo-stratégiques qui seront l'un des principaux facteurs de la décision à la veille de la Première Guerre mondiale. Pour l’heure, la diplomatie italienne ne peut que formuler ses « regrets ». Il faut dire qu’elle a aussi fort à faire avec les ambitions du roi Victor-Emmanuel, qui envisage d’installer des membres de sa dynastie sur des trônes méditerranéennes, en Espagne ou en Grèce141.
63Le début de la décennie bruit ainsi de rumeurs sur l’établissement d’un souverain italien à Athènes, à la suite de l’échec du roi Othon, déposé par un coup d’État en 1862. En dépit des souhaits personnels de leur souverain, la préoccupation des gouvernements italiens successifs est cependant d’éviter à l’Italie d’être impliquée malgré elle dans les affaires grecques. Aussi le ministre italien à Athènes reçoit-il, au début de l’année 1863, la consigne de démentir le projet d’installation d’un Savoie-Carignan sur le trône de Grèce142. Dans les Balkans, l’Italie s’efforce avant tout de faire admettre sa nouvelle qualité de grande puissance, et la toute première mission des représentants italiens à Athènes est de casser l’image révolutionnaire héritée des deux premières « guerres d’indépendance ». Il s’agit donc de faire clairement comprendre aux comités grecs qu’ils ne doivent espérer aucune aide de l’Italie, et cela sans dilapider le capital de sympathie dont dispose l’Italie en Grèce. En cela, le ministère des Affaires étrangères n’est guère aidé par le roi lui-même. Celui-ci, non content de prêter une oreille complaisante aux velléités nationalistes d’Othon de Grèce, correspond avec Garibaldi et les comités grecs143.
64La situation grecque finissant par se stabiliser, les diplomates en poste à Athènes se bornent à exercer, en plus de leur mission de représentation auprès de la cour de Grèce, une action de surveillance de l’agitation nationaliste aux frontières, en collaboration avec leurs collègues de Constantinople, Corfou, La Canée et Salonique : il s’agit d’empêcher autant que possible la participation de volontaires italiens à l’insurrection crétoise de 1866 et aux combats en Thessalie et en Épire qu’elle suscite144. Au lendemain de l’Unité, la correspondance entre le ministre d’Italie à Athènes, Mamiani Della Rovere, et le ministre des Affaires étrangères, Durando, montre que la sphère de décision italienne est, à des degrés divers, acquise à l’idée que la nation grecque est promise à un brillant avenir. Dans leur esprit cette perspective est toutefois obérée dans l’immédiat par les manœuvres des puissances protectrices, mais aussi par la situation actuelle du peuple grec, rendu à la fois apathique et ambitieux par le malgoverno de partis clientélistes. La mission de la diplomatie italienne est alors de contribuer au redressement national de la Grèce en faisant, auprès de son gouvernement, la pédagogie d’un libéralisme bien tempéré145.
65À l’exception des Cyclades, seul archipel échu à la Grèce en 1830, le monde égéen se trouve encore sous la souveraineté ottomane. C’est un haut lieu du commerce italien, soutenu par de nombreuses délégations consulaires commandées par le consulat général d’Italie à Smyrne, un poste à la fois prestigieux et confortable et dès lors très convoité au sein de la carrière consulaire. Tourné vers le commerce, le service consulaire italien dans la région va cependant devoir faire face, à partir des années 1860, à certaines des crises les plus dramatiques de la question d’Orient. En 1860, une révolte de paysans maronites au Liban provoque en représailles des massacres parmi les chrétiens de Syrie, dont on redoute la propagation jusqu’à Smyrne. En Crète, de même, la violence tend à s’installer146. En 1858, une révolte éclate parmi les populations chrétiennes ; le consulat général de Smyrne se constitue alors en relai des informations collectées sur place, avec beaucoup de difficulté, par le délégué consulaire à La Canée147. L’île de Crète apparaît, dès le lendemain de l’Unité, comme un abcès dangereux en Méditerranée et qui fera jusqu’en 1912 l’objet d’une attention constante de la part du service consulaire italien.
1.2.6. Dans les Balkans autrichiens : prudence et surveillance
66Les questions géopolitiques se posent de même avec acuité au nord-ouest de la péninsule balkanique, alors possession des Habsbourg. L’Italie et l’Autriche se livrant trois guerres en moins de vingt ans, la mise en place de relations diplomatiques stables est évidemment malaisée. Jusqu’en 1866, les intérêts italiens dans l’Empire sont gérés par la légation du Royaume de Suède et de Norvège à Vienne148. Les affaires autrichiennes sont cependant surveillées par le représentant du roi d’Italie à Francfort, le comte Giulio Camillo De Barral De Monteauvrard. Après la signature du traité de Vienne le 3 octobre 1866, De Barral est accrédité comme « envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire » à Vienne (27 janvier 1867). Après avoir renoué avec Vienne, il faut reconstituer le réseau consulaire dans l’Empire.
67C’est bien sûr dans les territoires comprenant des minorités italiennes que la question est la plus délicate. La paix signée, l’Italie proclame sa volonté de ne pas reconquérir par la force les Terre irredente149. Comme partout où sont massivement présents des Italiens, les représentants du royaume ont pour tâche de faciliter les relations commerciales et les communications de tout ordre avec la mère patrie. Le peuplement italien dans l’Empire d’Autriche constitue cependant un cas tout à fait particulier. Les Italiens d’Istrie et de Dalmatie ont gardé des liens culturels et politiques très forts avec les Italiens d'Italie, tout en étant pour le moment fidèles aux Habsbourg150. Du reste, l’Autriche n’est pas la Turquie : pas de capitulations ici, les Italiens sont des sujets autrichiens directement administrés par les autorités impériales et royales. La forte présence consulaire italienne sur le Littoral autrichien est finalement comparable aux réseaux de représentations réciproques entre États pré-unitaires. Il s’agit de faciliter au maximum les échanges entre des populations séparées par des barrières étatiques mais habituées à commercer entre elles. Il est donc nécessaire de rationnaliser l’entrelacs des nombreuses représentations consulaires pré-unitaires sur la rive orientale de l’Adriatique, d’autant que les relations économiques entre la Vénétie et la Dalmatie ne se font plus, depuis 1866, au sein d’un unique État, mais de part et d’autre d’une frontière très sensible. Il incombe par exemple aux consuls italiens de défendre en Dalmatie les intérêts des pêcheurs de corail chioggiotes, en plus de ceux des gens de mer marquésans, apuliens ou autres, qui étaient quant à eux déjà représentés en Autriche avant l’Unité.
68L’Ausgleich de 1867 voit par ailleurs naître un acteur supplémentaire des relations entre l’Italie et la monarchie des Habsbourg : la Hongrie. La défaite de 1866 a rendu inéluctable l’octroi d’importantes concessions à la nationalité non-allemande la plus puissante de l’Empire. Par le compromis de 1867, la monarchie danubienne se scinde en deux entités unies par le principe dynastique mais autonomes en matière de politique intérieure. Le royaume de Hongrie devient donc un interlocuteur obligé de l’Italie dans la relation complexe qu’elle entretient avec son voisin oriental, et ce d’autant plus qu’une partie de la façade adriatique échoit à la Cisleithanie (Autriche). Des zones peuplées d’Italiens sont donc désormais sous administration hongroise, de Fiume à Zara (Zadar, exclue). De part et d’autre, l’Istrie et la Dalmatie restent sous administration autrichienne.
69En quelques années, le royaume d’Italie se dote d’une représentation diplomatique et consulaire en Hongrie. En plus de la légation à Vienne, il existe désormais trois consulats généraux en Autriche-Hongrie, à Vienne, Trieste et Budapest151. L’essentiel de l’activité consulaire incombe à celui de Trieste, et au relais fiumain de Budapest. Sur la côte hongroise, on trouve un consulat à Fiume, dont dépendent les agences de Porto Re (Kraljevica) et Segna (Senj), deux des trois ports mineurs du littoral croate. Il s’agit en définitive d’une restauration de l’ancien réseau pré-unitaire, en tenant compte de la nouvelle réalité institutionnelle austro-hongroise par la promotion en 1869 du poste de Fiume au rang de consulat. Du ressort de Trieste dépendent les représentations italiennes dans la partie autrichienne du littoral adriatique. En Dalmatie, Rome entretient des délégations consulaires à Lussin Piccolo, Parenzo, Pirano, Rovigno, Sebenico, Spalato (Mali Lošinj, Poreč, Piran, Rovinj, Šibenik, Split) et Zara. Au-delà du littoral hongrois, on trouve un vice-consul à Raguse en charge de l’activité italienne aux bouches de Cattaro (Kotor).
70Les postes installés en Autriche-Hongrie assurent une importante activité d’assistance aux nationaux, dits « régnicoles » pour les distinguer des sujets italophones de l’Empereur, vis-à-vis desquels les consuls italiens doivent se garder de toute ingérence152. Si, officiellement, les relations austro-italiennes sont pacifiées, sur place les consuls sont en butte à l'hostilité des fonctionnaires locaux153. Ils sont néanmoins en position de fournir une information plus cruciale encore que celle que peuvent apporter les postes de Belgrade, Sarajevo ou Scutari sur l’activité militaire austro-hongroise154.
711866 marque cependant la dernière tentative italienne armée en Adriatique. Jusqu’au printemps 1915, c’est une prudence absolue vis-à-vis de l’Autriche puis de l’Autriche-Hongrie qui s’impose. Giovanni Domenico Bruno, chargé en 1867 de rouvrir le consulat général à Trieste, proclame dans son premier rapport sa volonté de demeurer neutre politiquement. « Benissimo », écrit le ministre en marge155.
1.3. Vers une politique d’équilibre et de prudence
1.3.1. « L’Italia non dee far follie » (Bettino Ricasoli)
72Le 6 juin 1861, Cavour meurt, et il revient à ses successeurs de poursuivre l’entreprise de construction d’une grande puissance, en cherchant d’abord à achever l’unification de la péninsule. Les circonstances amènent toutefois le gouvernement italien à se poser la question des moyens de la puissance, qui peu à peu vont faire défaut et conduire à une redéfinition des ambitions italiennes, dans les Balkans notamment. À la mort de Cavour, c’est le Toscan Bettino Ricasoli qui prend les fonctions de président du Conseil et ministre des Affaires étrangères156. Peu familier des choses de l’Orient, Ricasoli souhaite avant tout être éclairé sur la nature des contacts entretenus par Cavour avec les nationalités danubiennes et balkaniques d’Autriche. En effet, depuis la guerre de 1859, l’Italie n’a plus aucun représentant dans l’empire des Habsbourg, qui détient toujours la Vénétie. À Cerruti, Ricasoli affirme vouloir continuer la politique orientale de Cavour, ce qui se traduit notamment par le maintien de subsides à divers agents et journaux. Il recommande néanmoins la prudence : il s’agit d’une part d’éviter la discorde entre les alliés balkaniques potentiels, d’autre part de ne pas offrir de prétexte à une intervention autrichienne ou ottomane157.
73Dans sa correspondance, Ricasoli semble avoir un besoin urgent d’informations sur les affaires orientales : quelles sont les intentions du prince de Serbie ? Peut-on faire confiance aux révolutionnaires hongrois ? Du fait de l’absence de relations diplomatiques avec l’Autriche, il est particulièrement ardu de connaître la situation des nationalités dans l’empire. Ricasoli et ses successeurs prennent, jusqu’au rétablissement des relations diplomatiques avec Vienne en 1867, leurs informations par l’envoi d’agents en mission spéciale. À l’été 1861, Ricasoli est pressé par le parti d’action hongrois, représenté en Italie par Lajos Kossuth et György Klapka. Ces derniers l’implorent d’agir en faveur d’un soulèvement hongrois, censé provoquer à coup sûr l’effondrement de l’empire autrichien. À la recherche d’un informateur crédible sur la situation de la Hongrie, Ricasoli s’en remet au jugement de Marcello Cerruti, l’homme des intrigues cavouriennes en Orient, qui exerce alors l’intérim à la tête de la légation d’Italie à Constantinople158.
74Cerruti recommande, pour la mission en Hongrie, un jeune diplomate italien qui se trouve précisément à Constantinople, le comte Alessandro Fé d’Ostiani159. Né sujet des Habsbourg à Brescia en 1825, il a fait des études de droit à Vienne, avant de rallier l’armée et le corps diplomatique sardes. Il a gardé d’importants contacts à Vienne et Prague : c’est de ces relations parmi les cercles aristocratiques et intellectuels qu’il tire l’essentiel des renseignements collectés au cours de sa mission effectuée en août 1861160. Ayant suivi à Prague les cours du philologue et père de la nation tchèque František Palacký, toujours lié au patriciat libéral tchèque, Fé d’Ostiani propose de miser sur les Slaves septentrionaux plutôt que sur ceux du Sud, trop éloignés, selon lui, de la civilisation et liés aux forces du désordre et de la subversion161. Évoquant les Magyars, les Roumains et les Serbes, le jeune comte parle de « races paresseuses et ignorantes ». Il s’agit pourtant des nationalités sur lesquelles tous les efforts italiens dans la région ont porté depuis les années 1840. Avec plus de lucidité, Fé d'Ostiani considère l’effondrement annoncé de l’Autriche comme une perspective en réalité très lointaine, que seuls des événements exceptionnels pourraient précipiter. À demi-mots, Fé d’Ostiani recommande d’abandonner la chimère des alliances de revers avec les nationalités danubiennes et balkaniques, au profit de la théorie de l’inorientamento de l’Autriche. Formulée par Cesare Balbo en 1846, cette idée consiste à faire accepter par l’Autriche ses pertes en Italie par des compensations dans les Balkans162, et continue à séduire dans la sphère de décision italienne au cours des années 1860163. Comme nous l'avons vu, la diplomatie ottomane est parfaitement au fait de ces projets, et s’inquiète de ce que Cavour leur ait donné son assentiment164.
75Son successeur Ricasoli est toutefois de plus en plus soupçonneux à l’égard de ses alliés hongrois. En décembre 1861, il expédie une dépêche circulaire aux consuls italiens dans les Balkans165, afin d’obtenir des renseignements supplémentaires sur les rapports entre la Hongrie et les nationalités balkaniques voisines, qui d’après Fé d’Ostiani sont mauvais, en dépit des assurances régulièrement données par le prince Michel de Serbie et les exilés hongrois166. Les représentants italiens sont alors chargés d’une enquête sur la répartition ethnique des populations balkaniques, que le Ministère des Affaires étrangères italien ne semble pas parvenir à se représenter avec précision :
Le nozioni statistiche contenute nelle più recenti pubblicazioni mancano quasi sempre di esattezza, e non bastano a dare un concetto preciso di quel complesso di rapporti etnografici religiosi e politici che lega fra loro le popolazioni del sud-est dell’Europa167.
76La statistique ethno-nationale en est, en effet, à ses balbutiements. Il n’en est pratiquement pas question en Italie, où l’on commence à peine à collecter les données relatives à la péninsule elle-même168. Au moment où les agents italiens partent à la découverte des nationalités balkaniques, c’est l’expertise autrichienne qui domine. La monarchie danubienne s’est dotée d’un service de statistiques en 1829, mais il a fallu attendre 1850 pour que soit pratiqué un recensement moderne, renouvelé d’ailleurs dès 1857169. Dès lors on voit mal comment, à eux seuls, les trois consuls italiens pourraient en quelques semaines reprendre et compléter le travail des statisticiens autrichiens. Leurs rapports confirment toutefois les craintes de Ricasoli170, qui décide, à la fin du mois de décembre 1861, de ne compter que sur les propres forces de l’Italie et de renvoyer toute action contre l’Autriche à 1863. En attendant, « L’Italia non dee far follie, non dee fare rodomontate, non dee farsi apportatrice di rivoluzioni »171.
77Au printemps et à l’été 1863, une insurrection en Pologne fait renaître à Turin la tentation d’organiser une insurrection générale en Orient en vue de saisir la Vénétie172. Le président du Conseil, Marco Minghetti, confie alors deux missions de renseignements dans les pays danubiens au colonel Gerbaix de Sonnaz, ainsi qu’à un proche voyageant sous le pseudonyme de Giuseppe Vignarolo173. Les conclusions du premier sont catégoriques : partout les masses sont apathiques, les projets révolutionnaires se limitent à quelques esprits exaltés ou aux intrigues des princes. Vignarolo considère, quant à lui, que tous les peuples de Hongrie sont, à l’exception des Roumains, prêts à s’insurger, mais dissuade les chefs de passer à l’action, leur enjoignant d’attendre une prochaine entrée en guerre de l’Italie contre l’Autriche. En 1866 précisément, Marcello Cerutti, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, mandate le jeune patriote Biagio Caranti, ancien garibaldien de 1860, pour se rendre à Belgrade, Bucarest et Constantinople en vue d’organiser le plan de soulèvement des nationalités d’Autriche élaboré par István Türr, aide de camp de Victor-Emmanuel qui avait servi sous Garibaldi en Sicile174.
78Depuis Cavour, la politique italienne dans les Balkans offre un double visage : celui d’une puissance en devenir, désireuse de se faire respecter des chancelleries européennes, et celui d’une nationalité insatisfaite préparant la rébellion générale contre l’Autriche. Ainsi, même lorsque le gouvernement choisit la prudence, désavouant les projets de ses alliés hongrois, il tolère, voire encourage en sous-main des contacts entretenus par les représentants les plus divers de l’Italie officielle et officieuse avec les mouvements nationaux d’Europe de l’Est, de la Pologne à la Grèce. La diplomatie italienne présente, à propos de la question nationale et de son utilisation au profit de l’unification, une large gamme d’opinions. Plusieurs ministres d’Italie à l’étranger éprouvent la plus franche sympathie pour la cause des peuples, à commencer par le philhellène Terenzo Mamiani Della Rovere, ministre d’Italie à Athènes175. D’autres diplomates sont nettement conservateurs : ainsi le ministre d’Italie à Londres, d’Azeglio, pour qui « la teoria del chiuder gli occhi è stata talmente sviluppata dai varii Gabinetti a principiare da Cavour che resta difficile persuadere una tale verità ai poco benevoli uditori »176. Il faut dire que c’est Massimo Taparelli d’Azeglio qui, en 1849, fut appelé à la présidence du Conseil par le nouveau roi Victor-Emmanuel pour négocier la paix avec l’Autriche après la défaite de Novare. Entre ces positions tranchées, la plupart des décideurs et des agents italiens adoptent une attitude fluctuante, consistant à maintenir avec les patriotes est-européens des contacts qui pourront à l’occasion s’avérer utiles, mais ne doivent pas, dans l’immédiat, compromettre la position internationale de l’Italie. Il s’agit aussi de garder sous contrôle l’action des révolutionnaires italiens eux-mêmes, regroupés autour de Mazzini et Garibaldi (voir infra, chap. 3) : leur faire miroiter des expéditions en Orient sans cesse repoussées est un bon moyen de détourner leurs énergies177.
79C’est au cours de la « Troisième guerre d'indépendance » (1866) que sont envisagés pour la dernière fois les projets d’alliances de revers conçus en 1848-1849 et réactivés par Cavour178. Le gouvernement conservateur du général La Marmora est pourtant hostile aux « intrigues d’Orient » et rejette catégoriquement l’idée d’une annexion des provinces danubiennes par l’Autriche en échange de la session de la Vénétie à l’Italie179. Il rompt en cela avec la politique de Marco Minghetti, qui en 1864 avait prêté une oreille favorable à un projet de soulèvement conjoint de la Hongrie et de la Pologne vaticiné par des exilés de ces deux pays180. Un « comité révolutionnaire hongrois » fondé à Genève tente alors de se constituer en interlocuteur unique du gouvernement italien, évinçant la figure historique de Lajos Kossuth. La Marmora revenant à la politique prudente de Ricasoli, rien ne se fait, mais les exilés d’Europe centrale et orientale trouvent toujours des oreilles complaisantes au sein de la sphère de décision italienne.
80De même qu’en 1864 le consul à Bucarest, Annibale Strambio, était en liaison avec les révolutionnaires hongrois et le prince Cuza de Moldavie-Valachie, deux ans plus tard le consul à Belgrade, Scovasso, est en rapport avec le ministre des Affaires étrangères serbe, Ilija Garašanin, qui prépare un soulèvement général dans la péninsule. Le gouvernement serbe voit dans la guerre austro-italienne qui se dessine une excellente occasion de hâter ces projets. Scovasso expose ainsi à La Marmora le plan consistant à acheter des complicités parmi les Grenzer, ces gardes-frontières serbo-croates des confins autrichiens, pour marcher en direction de la Dalmatie où Garibaldi et ses volontaires débarqueraient181. La Marmora ne voit d’ailleurs pas d’un mauvais œil l’idée d’une diversion en Dalmatie, mais seulement après que la flotte italienne aura détruit l’autrichienne et se sera assuré la maîtrise de l’Adriatique182. Des pressions de la Russie font toutefois reculer les Serbes. Reste que Scovasso nourrit des projets grandioses de soutien à l’émergence d’une Yougoslavie qui permettrait à l’influence italienne de supplanter celle de la France parmi les Slaves du sud.
81Marcello Cerruti, désormais secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, est parfaitement au fait de ces intrigues, et bénéficie en cela du soutien du roi Victor-Emmanuel : « la Maestà Sua apprezza molto il modo di vedere politico della S.V. nella quistione Ungherese e Slava essendo questo identico alle vedute della Maestà Sua », écrit son chef de cabinet, Francesco Verasis di Castiglione183. Cette implication personnelle du roi d’Italie n’est pourtant pas le signe d’une politique concertée du gouvernement, comme le note l’ambassadeur ottoman à Turin :
[Victor-Emmanuel] est assez mal entouré et avec sa légèreté habituelle il se laisse facilement entraîner à encourager les intrigants qui l’approchent et lui promettent monts et merveilles. […] Mais il ne faut pas attacher trop grande importance à ce qu’il fait ou laisse faire, car heureusement il n’est ni profond politique ni homme sérieux et de talent. […] Pour qui a pu l’examiner de près il est presque impossible de le prendre au sérieux, mais l’on peut toujours craindre un coup de tête, car à l’occasion il aura probablement assez d’énergie pour renvoyer des ministres trop honnêtes et les remplacer par des hommes plus disposés à le suivre dans ses errements184.
82Rustem Bey n’ignore pas que le roi paye sur sa cassette personnelle plusieurs agents hongrois. Cerruti est par ailleurs toujours en relations avec le comte Tivadar Csáky, envoyé du comité hongrois en Italie et désormais principal interlocuteur du gouvernement de Turin185. Ce dernier lui indique, plein d’amertume, devoir renoncer temporairement à l’aide italienne dans l’attente que La Marmora quitte la présidence du Conseil186. La défaite italienne de Custoza, et surtout le désastre naval de Lissa, mettent fin à tous ces projets. Gagnant néanmoins la Vénétie grâce aux victoires de l’allié prussien, l’Italie prend acte de son incapacité à défaire l’Autriche. En 1867, la légion hongroise créée par Garibaldi est dissoute, après qu’en 1863 l’école militaire polonaise de Cuneo a déjà été supprimée pour complaire à la Russie187. La défaite française de 1870 permettant à l’Italie d’acquérir Rome, on renonce officiellement à toute revendication territoriale ultérieure.
1.3.2. L’Adriatique, une nouvelle frontière maritime
83Avant l’Unité, aucun des États riverains de l’Adriatique ne constitue une véritable puissance maritime ; la flotte la plus considérable était celle des Deux-Siciles, qui surclassait celle de l’Autriche mais demeurait extrêmement modeste. Dans ce contexte de sous-armement généralisé dans la région, ni l’Autriche, ni les États pontificaux, ni les Deux-Siciles ne procèdent à la réalisation de fortifications188. Le règlement territorial de la guerre de 1866 établit la configuration stratégique de l’Adriatique pour près d’un demi-siècle ; elle est nettement défavorable à l’Italie189.
84Certes, l’Italie reconstruit une marine qui surclasse rapidement celle de l’Autriche-Hongrie, et pour longtemps190. En outre, elle a pu mettre la main sur l’arsenal de Venise, dont elle modernise les fortifications entre 1869 et 1873. Plus au sud, sur la vingtaine de ports répertoriés au milieu du siècle par le patriote Felice Orsini, seul Ancône dispose de fortifications modernes voulues par Cavour en 1861191. On décide en 1865 d’implanter à Tarente un arsenal, dont les travaux ne débutent cependant qu’en 1882192. Située en mer Ionienne, cette nouvelle base est à l’abri des attaques autrichiennes mais ne permet pas de défendre la côte adriatique italienne.
85Face à elle, l’empire des Habsbourg, devenu en 1867 l’Autriche-Hongrie, dispose, de l’Istrie aux bouches de Cattaro, d’une côte où les navires de guerre peuvent facilement se dissimuler dans la multitude d’échancrures offertes par la plongée des Alpes dinariques dans la mer Adriatique. Le littoral italien, au contraire, n’offre guère d’abris naturels et se trouve à peu près sans défense193. Dès lors, l’Autriche-Hongrie peut se résigner sans mal à laisser déchoir sa marine194. En outre, elle n’a pas encore véritablement mis en valeur ses côtes : Vienne décide certes, dès 1848, d’installer un arsenal à Pola (Pula), en arrière de Trieste, dans une rade exceptionnellement favorable. Toutefois les travaux ne débutent qu’en 1856, et ne donnent à plein qu’à partir de 1865, le projet étant achevé en 1881195. Au printemps 1873, le ministre austro-hongrois de la Guerre visite cependant le Littoral en vue de rechercher un nouveau site pour la Kriegsmarine, mal placée à Sebenico (Šibenik) depuis que l’Italie a entrepris la construction de la base de Tarente196. Durant toute la période, les ports dalmates ne constituent toutefois que des points de ravitaillement et en aucun cas des bases navales à proprement parler197. Pour corriger le déséquilibre qui se dessine, l’Italie ne procède qu’à des travaux limités à Brindisi en 1865198, misant ensuite tout sur Tarente.
86L’annexion des Légations pontificales, des Deux-Siciles puis de la Vénétie dote pourtant l’Italie d’une immense frontière maritime avec les Balkans, du Littoral autrichien au royaume de Grèce en passant par l’Albanie ottomane. Giacomo Durando s’en inquiète d’ailleurs auprès de Cavour dans une dépêche de mai 1861 : « La nouvelle organisation de l’Italie nous rapproche trop des frontières turques »199. Pour Bettino Ricasoli, en revanche, c’est un argument de poids pour confirmer un statut de puissance protectrice de l’Empire ottoman que la Sardaigne pouvait avoir du mal à justifier : « Per la sua posizione come per le sue relazioni commerciali l’Italia ha troppo interesse a quanto concerne la situazione della Turchia perché possa rinunziare a quei diritti ed a quei doveri che sono conferiti dai Trattati al suo Governo200 ». Dans l’esprit des décideurs italiens, le pays ne peut échapper aux responsabilités qui découlent de sa nouvelle configuration géographique.
87Dans les années qui suivent l’Unité, l’une des premières tâches qui incombent à la nouvelle marine italienne consiste à surveiller le littoral adriatique201. Il faut dire qu’au début des années 1860, l’Europe voit des actions armées à toutes les frontières de l’Italie. Quelques semaines après la prise de Naples par Garibaldi, la diplomatie ottomane croit ce dernier et Mazzini prêts à soulever les Slaves des Balkans en vue de créer une confédération danubienne, et cela en liaison avec « les hétairies de la Grèce »202. Le gouvernement de Turin s’alarme lui-même régulièrement des intentions du parti démocratique : au printemps 1863, « l’état-major mazzinien » serait à Lugano, en vue d’organiser une expédition dans le Trentin203 ; quant à Garibaldi, il s’apprêterait à passer en Albanie204, en Grèce205 ou en Herzégovine206. Assez peu fondées, ces rumeurs sont cependant encouragées par certains secteurs de la sphère de décision italienne : comme nous l’avons vu, le roi Victor-Emmanuel, toujours désireux de monter à cheval, caresse l’espoir de voir Garibaldi « porter le feu de la révolution et de la guerre dans les régions orientales où la question italienne trouvera si cela réussit une grande force »207. Marcello Cerruti, qui est encore ministre d’Italie à Constantinople, considère quant à lui les rumeurs de débarquement comme un utile moyen de pression sur le gouvernement turc, ce qui n’est pas sans occasionner de frictions avec Ricasoli, auquel il assure considérer Garibaldi comme un « esprit fébrile proche de la folie »208.
88En sens inverse, l’Italie redoute que des infiltrations bourboniennes puissent venir renforcer le grand brigandage méridional par la mer. Des comités légitimistes s’agitent en effet dans toute la Méditerranée, à Malte, à Trieste, et en Dalmatie209. Au printemps 1863, un front supplémentaire semble s’ouvrir du côté des Balkans. On croit « 5000 bachi-bouzouks » prêts à débarquer dans les Pouilles depuis Valona210. Des intrigues hostiles à l’Italie unifiée ont bien lieu dans ce port du sud albanais situé à 80 kilomètres d’Otrante, mais elles sont tout à fait modestes, et surtout liées à la « bataille consulaire » qui se déroule au début des années 1860211. Les exilés bourboniens soutenus par l’Autriche contestent en effet à l’Italie le droit d’administrer les Italiens méridionaux se trouvant en Italie du sud, qui pour Vienne et les partisans de François II sont toujours des sujets des Deux-Siciles. Dès lors, le vice-consul d’Autriche et ex-consul des Deux-Siciles à Valona, Calzavara, fait tout ce qui est en son pouvoir pour nuire à l’Italie212. Il aurait entre autres été en rapport avec deux individus, dont un prêtre, à Mola di Bari ; encore s’agit-il là de soupçons et non de faits avérés213. Il est en revanche certain que Calzavara a accueilli un jeune homme de 23 ans, réfractaire au service militaire, et un contrebandier apulien. Au premier, le vice-consul autrichien a d’ailleurs donné un laissez-passer autrichien214. Or ces petits faits ont été transformés en complot bourbonien par deux personnages aspirant à une place dans l’administration consulaire italienne. Giuseppe Bosio, médecin militaire dans l’armée turque, fait partie de ces nombreux italiens recrutés dans le cadre de la modernisation de l’administration ottomane, où les « Levantins »215 figurent également en bonne part. Leandro Osman Carboneri, un Arménien de Salonique, neveu du consul de Belgique et des Pays-Bas, est quant à lui le secrétaire particulier du pacha de Janina (Ioannina)216. Pour le consul général d’Italie à Salonique, Salomone Fernandez, Carboneri est un mythomane ; pour son collègue à Corfou, Pinna, c’est un agent bourbonien. À Scutari, Eugenio Durio semble en revanche lui accorder une certaine confiance217.
89Le gouvernement de Turin, inquiet de la tournure des événements, fait croiser quatre bâtiments en basse Adriatique, deux du côté italien et deux du côté albanais. Les navires ne trouvent pas trace de mouvements suspects218 ; néanmoins, le commandant de la canonnière à vapeur Ardita fait mouiller son navire à Valona et descend interroger Calzavara, qui prétend n’aider les ex-sujets du roi de Sicile qu’en raison de l’absence d’un consul d’Italie dans la localité219. L’affaire prend une tournure tragi-comique lorsque Leandro Carboneri réquisitionne la force publique et procède à la perquisition du vice-consulat d’Autriche. Calzavara, « ayant perdu la tête », laisse faire, et l’on trouve chez lui « une grande quantité de poudre » ; la garde albanaise arrête le beau-frère, le domestique et le cavas de Calzavara, ainsi qu’un contrebandier apulien, Peppino De Gilio. Les trois premiers sont vite relâchés, ce qui n’empêche pas la presse autrichienne de protester contre la violation du bâtiment consulaire. De Gilio est en revanche conduit à Valona, où il avoue tout. Sa confession est recueillie en prison par le médecin militaire Bosio, qui s’abstient de la transmettre au consul à Scutari220. Durio y voit une manœuvre de Bosio et Carboneri, qui souhaitent garder les pièces à conviction afin de se faire bien voir de Turin. Le consul parvient néanmoins à recueillir les témoignages des uns et des autres et à transmettre le tout aux autorités italiennes. L’affaire n’a d’autre suite que l’envoi de l’escadre de Syracuse devant Valona en septembre 1865 pour une « visite d’intimidation », afin de montrer qu’on n’oublie pas les manœuvres de ceux qui ont aidé les agitateurs221.
90Cette affaire peut paraître anecdotique. Elle est pourtant symptomatique d’une situation qui préoccupera la Consulta des décennies durant : les autorités italiennes ont le plus grand mal à contrôler les allées et venues entre les péninsules italienne et balkanique. Les trajets trans-adriatiques sont faciles et discrets, étant donné le grand nombre de petits bâtiments de cabotage et de pêche qui circulent entre les Marches et les Pouilles d’un côté, le sud de la Dalmatie, l’Albanie, les îles ioniennes et le Péloponnèse de l’autre222. En outre, pendant des décennies vont se développer, autour des consuls italiens dans les Balkans, de minuscules intrigues nourries par des acteurs locaux balkaniques ou italiens désireux d’exploiter la volonté d’influence italienne dans la région, à des fins politiques mais aussi souvent matérielles. Les autres puissances régionales, à commencer par l’Autriche-Hongrie, utiliseront souvent ces petits faits pour mettre en difficulté l’Italie, leur donnant des proportions internationales.
91Suite à l’affaire de Valona, Eugenio Durio recommande au ministère l’affectation aux postes albanais de consuls de carrière. Le ministère, à court de fonds, ne parvient à envoyer des fonctionnaires que dans deux localités, alors que Durio préconise une présence italienne à Antivari (Bar), Durazzo, Valona et Janina. Le premier poste ne voit le jour qu’au début du XXe siècle, le second est supprimé. À Valona, Domenico Brunenghi arrive dès l’année suivante, en 1864. Enfin, l’Annuario diplomatico del Regno d’Italia pour l’année 1870 mentionne un nouveau consulat à Janina, capitale de l’eyalet éponyme et de la région d’Épire qui fait face aux Pouilles. Ce poste commande les délégations consulaires de Préveza et Valona, sur le littoral. La précarité et la volatilité du réseau consulaire en Albanie montrent que ni la volonté politique, ni les moyens financiers ne semblent clairement établis à Florence puis Rome. En 1868-1869 sont menées des négociations pour une alliance franco-austro-italienne qui restent sans lendemains223. L’Italie exprime néanmoins des vues sur « un établissement [...] sur les côtes de l’Adriatique orientale », c’est-à-dire en Albanie, une région dont l’importance stratégique est confirmée par la grande crise d’Orient qui s’ouvre en 1875.
Notes de bas de page
1 Chabod 1940, p. 367.
2 Allain – Frank 2012, p. 152-158.
3 Broglio 1848, p. 37.
4 À des fins de propagande, on « gonfle » tout de même la présence génoise en mer Noire : Valsecchi 1968, p. 368 n. 1. Voir infra la réalité des intérêts sardes en Orient.
5 Valsecchi 1968, p. 411 ; sur le congrès de Paris : Nathan – Soutou 2009.
6 Contuzzi 1885, p. 248 sq. ; Augusti 2013, p. 259-306. Il ne faut pas, toutefois, exagérer la passivité de la diplomatie ottomane : elle est précisément le fer de lance de l’adaptation au défi occidental par la creation d’une bureaucratie moderne et d’une identité imperiale. Gürpinar 2014, p. 79-81.
7 http://mjp.univ-perp.fr/traites/1856paris.htm.
8 Tamborra 1958, chap. Per l’unità romena, p. 245-304, p. 257.
9 Jesné 2011b.
10 Fornaro 1995, p. 42-50 ; Banjanin 2003.
11 Clemente – Pirjevec 1980.
12 DDI 1.1.347, Scovasso (consul) à Ricasoli (MAE), Belgrade, 16 octobre 1861. Dans ce document, le consul Scovasso décrit au baron Ricasoli la situation dans laquelle se trouve la Serbie. La principauté y apparaît bien incapable de servir de contrepoids à l’influence autrichienne parmi les Croates et les Magyars.
13 Elle devient consulat général le 16 juillet 1859, Annibale Strambio succédant à Benzi. Dinu 2007, p. 213.
14 Il a été « jeune de langue », élève consul à Tripoli et Tunis, puis consul à Tanger et Chypre. FDN 1987, p. 66-67. Voir également Jesné 2011b, p. 147-148.
15 FDN 1987, p. 700 et 32-33 ; Banjanin 1999. Compromis dans des intrigues avec la Serbie, Francesco Astengo doit céder la place à Eugenio Durio en février 1860 : ASDMAE, SS, b. 150, r. s. n. d’Astengo (consul) à Cavour, Belgrade, 2 février 1860 et r. s. n. confidentiel de Durio (consul) à Cavour, Belgrade, 29 février 1860. Sur leur action : Cuzzi 2013, p. 257-274.
16 ASDMAE, SS, b. 120, s. fasc. 3, D’Aste Galatz 1859, r. 33 de D’Aste (délégué à la Commission internationale pour le Danube) à Cavour, Galatz, 8 juillet 1858.
17 Cialdea 1966, p. 142-154 ; Farah 2000, p. 648. Les puissances arguent du fait que la Sardaigne n’a pas été admise aux règlements de 1848 sur la question libanaise et ne peut donc être consultée en dépit du traité de Paris. Pour Cavour, c’est le résultat de l’obstruction de l’Autriche et il convient de ne pas donner suite, officiellement pour ne pas compromettre le sauvetage des chrétiens : ASDMAE, MAERI, b. 1, Cavour aux légations sardes à Paris, Londres, Berlin et Saint-Pétersbourg, Turin, 15 octobre 1860.
18 Onorato Bosio est envoyé en Égypte et en Mésopotamie : FDN 1987, p. 101-102. Sur la mission en Perse, Fiorani Piacentini 1969. Depuis Tanger, où la Sardaigne entretenait déjà un consul, l’Italie unifiée envoie en 1875 une ambassade à Fez, capitale du sultan ; l’expédition est conduite par le consul Scovasso : De Amicis 1879.
19 Valsecchi 1968, p. 146.
20 Ibid., p. 148.
21 İnalcik – Quataert 1994, p. 828.
22 Contuzzi 1885, p. 236-237 ; Kançal 1983, p. 362.
23 Tamborra 1958a.
24 ASDMAE, SS, b. 120, s. fasc. 3, Istruzioni al cav. Annibale Strambio, console di S. M. in Bukarest, Turin, 26 mai 1859. Voir également Jesné 2011b, p. 141. La bibliographie consacrée aux relations économiques italo-roumaines dans les deux premiers tiers du XIXe siècle est vaste. Pour un bilan complet, D’Alessandri 2020.
25 Jesné 2020.
26 MAE 1859, articles 108-120.
27 Schmitt 2005, p. 397 sq.
28 Jesné 2020.
29 Protesta dei deputati della provincia di Genova contro l’accessione della Sardegna al trattato d’alleanza anglo-francese, 22 gennaio 1855, citée dans Valsecchi 1868, p. 368 ; voir également ibid., p. 482.
30 Conclusions de la commission pour la loi consulaire, citées dans Moscati 1947, p. 38.
31 MAE 1859, article 102, cité dans Jesné 2015c, p. 279.
32 Un rapport « sur la filature de la soie en Grèce » dû au consul Malavasi inspire ainsi, en marge, ce commentaire de la main de Cavour : « ce rapport traduit en italien pourrait être imprimé dans la Perseveranza qui renferme souvent des articles moins intéressants et plus soporifiques » : ASDMAE, SS, b. 250, Sur la filature de la soie en Grèce, r. s. n. de Malavasi (consul) à Cavour, Athènes, 23 août 1860.
33 C’est en tout cas ce que prévoit l’article 102 de l’Ordinamento consolare de 1859.
34 ASDMAE, SS, b. 215, voir par exemple la n. 17548/60 cons. 2576/1291 transmise par le MAIC aux Affaires étrangères, Turin, 22 décembre 1860 : Relazioni di consoli di Trieste e di Algeri, ou la correspondance avec la chambre de commerce de Turin relativement aux rapports des consuls à Bucarest et Salonique sur la sériciculture.
35 ASDMAE, MAERI, b. 1, Cavour au MAE de Grèce, Lettre de créance auprès du Ministre susdit pour le Comm. Cerruti, Ministre de Sardaigne, s. l. [Turin], 25 septembre 1860.
36 Allegri 1987.
37 ASDMAE, SS, b. 250, r. com. 2 de Malavasi (consul) à Dabormida (MAE), Athènes, 1er janvier 1860.
38 Ibid., r. 30 de Malavasi à Cavour, Athènes, 6 avril 1860.
39 Aglietti, 2012, p. 411 n. 816.
40 Jesné 2016, p. 190-192.
41 ASDMAE, SS, b. 262, r. com. 37 de Fernandez (consul) à Cavour, Salonique, 18 janvier 1861.
42 Ibid., l. de Fernandez à Cavour, Salonique, 4 septembre 1860.
43 ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 2, d. 15 du MAE à Fernandez, Turin, 14 mars 1861.
44 Windler 2002, p. 44 sq., p. 98.
45 Jesné 2017.
46 Pour illustrer la modestie des échanges, on donnera ici l’exemple de l’activité consulaire sarde dans les îles Ioniennes pour les années 1850, 1851 et 1852 : en trois ans, Corfou voit mouiller 6 bâtiments sardes, Zante 16 et Céphalonie 7, tandis que 98 passeports et visas sont remis à des sujets sardes, et 5 actes notariés établis à Corfou. ASDMAE, SS, b. 253, tableau annexé au r. com. 48 d’Astarita (consul), à Dabormida (MAE), Corfou, 25 mars 1853. Le directeur de la division consulaire du ministère, Cristoforo Negri, établit par ailleurs un diagnostic précis de la faiblesse générale du commerce napolitain en Orient : ASDMAE, SS, b. 110, r. 29 de Negri à Cavour, Naples, 10 janvier 1861.
47 Pour une présentation de la notion d’« epiphenomenal port » sur les côtes napolitaines, Carrino – Salvemini 2006. Je remercie Christopher Denis-Delacour de m’avoir communiqué cette référence.
48 Grange 1994, p. 21 sq.
49 Romeo 1984, p. 848 sq.
50 D’Alessandri 2014.
51 Cialdea 1966, notamment p. 48, 217-225, 534-535 et 598-600.
52 DDI 1.6.35, Nigra (ministre d’Italie) à La Marmora (MAE), Paris, 8 juin 1865.
53 Ibid., De Launay (ministre d'Italie) à La Marmora, Saint-Pétersbourg, 2 juillet 1865.
54 Autheman 1996, p. 5-29 ; Clay 2000, p. 314 et 428.
55 Augusti 2015, p. 300-308.
56 Augusti 2012, p. 21-24 et 33-34.
57 Le ministère des Affaires étrangères italien ne fit l’objet d’aucune réforme d’ampleur entre les règlements sardes des années 1850 et la réorganisation de 1885 due à Alberto Blanc. Le corps diplomatique se réduisait à une soixantaine de personnes, dont une petite minorité de non-Piémontais intégrés le 20 octobre 1862 : Serra 1981, p. 197-198. On trouvera également une analyse de la sociologie du personnel diplomatique italien dans Dinu 2007, p. 129-215. Voir également Ferraris 1955, p. 16-27 ; FDN 1986 ; Pilotti 1989.
58 Regolamento 1857, p. 47-48. À titre de comparaison, en 1861 le traitement des magistrats les moins gradés est fixé à 1900 lires annuelles : Banti 1996, p. 118.
59 Serra 1987, p. 10-11.
60 MAE 1865, p. 230. Sur la législation relative à la carrière consulaire : Cacioli 1988, p. 17-24.
61 Le terme « ministre » renvoie ici au grade diplomatique d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire.
62 Brancati 2007. Pour le détail de la perception de la Grèce par Mamiani, Liakos 1995, p. 32-34.
63 DDI 1.1.347, Scovasso à Ricasoli, Belgrade, 14-16 décembre 1861.
64 DDI 1.3.337, Caracciolo di Bella à Visconti Venosta, Péra, 29 janvier 1863.
65 FDN 1987, p. 719-721, et Serra 1963.
66 Petricioli 1987.
67 Casana Testore 1993.
68 Durando 1846.
69 Rustem Bey (chargé d’affaires ottoman) à Mehmet Fuat Paşa (ministre ottoman des Affaires étrangères), Turin, 20 janvier 1859, dans Kuneralp 2009, p. 30.
70 ASDMAE, SS, b. 120, s. fasc. 3, Istruzioni al Cavre Annibale Strambio Console di S. M. a Bukarest, s. d. [24 mai 1859].
71 Petricioli 1987, p. 10. Anastassiadou 2012, p. 36-38, 68.
72 DDI 1.2.476, Istruzioni del Ministro degli Esteri, Durando, al Ministro a Costantinopoli, Caracciolo di Bella, Turin, 5 juillet 1862.
73 À partir de la loge Italia, 14 loges italiennes se développent dans l’Empire à la fin du XIXe siècle : sept dans la capitale, trois à Smyrne, une à Salonique, Büyük Dere et Magnésie : Iacovella 1997, p. 6-7 et 25.
74 Sur la misère de l’ambassade de Constantinople et du réseau italien en général au début du XXe siècle : Grange, 1994, p. 1167, et Petricioli 1987, p. 10-11.
75 Clemente – Pirjevec 1980.
76 Barbagallo 1976.
77 Rustem Bey (ambassadeur ottoman) à Mehmed Emin Âli Paşa (ministre ottoman des Affaires étrangères), Turin, 10 juillet 1862, cité dans Kuneralp 2009, p. 582.
78 Scolari Sellerio Jesurum 1967.
79 Kostopoulou 2016.
80 Windler 2002, p. 36.
81 Bartolomei et al. 2017 ; Jesné 2015c ; Ulbert – Prijak 2010, p. 11-13 ; Windler 2002.
82 Jesné 2020.
83 Les divisions administratives ottomanes sont fluctuantes. Le territoire fut d’abord divisé en grandes provinces, ou eyalets, jusqu’à la réforme administrative de 1864, par laquelle les eyalets sont remplacés par des vilayets plus petits. Sur les divisions administratives ottomanes, Birken 1976.
84 Aglietti 2012 ; Jesné 2020.
85 Jesné 2020.
86 Contuzzi 1885, p. 236-237.
87 Jesné 2020.
88 Bosworth 1979, chap. 4, p. 95-126.
89 Palamas 1987.
90 Jesné 2015c.
91 ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 2, r. 8764, 10919 et 13807 de Fernandez (consul) à Cavour (PCM et MAE), Salonique, 7 juillet, 21 juillet et 12 octobre 1860.
92 Sur l'intérêt que peut représenter une charge consulaire non rémunérée : Marzagalli – Ulbert 2019.
93 Articles 4 et 5 de la loi consulaire du 15 août 1858.
94 FDN 1987, p. 101-102.
95 ASDMAE, FP, s. I., M12, Millelire Giorgio, l. de Millelire (consul), à San Giuliano (MAE), Guatemala Ciudad, 4 octobre 1911.
96 Avvenimenti d’Oriente 1897, p. 234.
97 Caracciolo Di Bella 1888, p. 71.
98 Hitzel 1995.
99 Benbassa – Rodrigue 1993, p. 149.
100 ASDMAE, MAERI, b. 905, r. 1 de De Gubernatis (consul) à Ricasoli (MAE), Scutari, 24 décembre 1861.
101 Mirelli 1989, p. 444.
102 Bossaert 2020.
103 MAE 1865, p. 162.
104 Ibid., p. 98 ; MAE 1870, p. 50.
105 Bossaert 2020.
106 Caracciolo Di Bella 1888, p. 70 ; De Carla 1998.
107 Massé 2019, p. 320, 551, 554.
108 ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 2, d. 4119 et 7754 de Fernandez (consul) à Cavour (PCM et MAE), Salonique, 5 et 14 mars 1861.
109 Ibid., b. 905, r. conf. 4732/61 de Fernandez (consul) à Cavour (PCM et MAE), Salonique, 22 mars 1861.
110 Le poste scutariote est en réalité ouvert par Enrico De Gubernatis, qui n’occupe encore qu’un rang subalterne et installe le consulat pour son premier véritable titulaire, Durio, qui arrive en Albanie dans les premiers jours de 1862 : ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 13, Protocolli anni 1861 a 1867. R. Consolato Scutari.
111 FDN 1987, p. 304.
112 ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 2, r. 7754/52 de Fernandez (consul) à Cavour (PCM et MAE) 14 mars 1861.
113 Pour le cas albanais, voir Clayer 2007, p. 21-155.
114 La guerre de Crimée et le patronage français favorisent en effet les ambitions monténégrines sur l’Herzégovine, petite province ottomane en état d’agitation chronique, dont la conquête augmenterait de façon significative le poids du Monténégro et contribuerait à en faire le « Piémont des Balkans » : Sbutega 2006, p. 276-285 et 289-290.
115 Clayer 2007, p. 75-71.
116 Burzanović 2013, p. 119.
117 ASDMAE, MAERI, b. 905, r. 3412/62 de Durio (consul) à Ricasoli (MAE), Scutari, 23 février 1862.
118 Sur l’importance du don dans les échanges diplomatiques interculturels : Windler 2002, p. 485-548.
119 DDI 1.2.170, Durio (consul) à Ricasoli (MAE), Scutari, 10 mars 1862. L’agence consulaire de France est créée en 1844 : Massé 2019, p. 556.
120 ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 13, Protocolli anni 1861 a 1867. R. Consolato Scutari, d. 18 du 10 octobre 1862.
121 DDI 1.8.31, Bosio (consul) à Visconti Venosta (MAE), Scutari, 2 décembre 1866.
122 Sbutega 2006, p. 276.
123 L’Autriche voisine exerce évidemment elle aussi une grande influence mais peut se dispenser d’entretenir un représentant, puisqu’elle communique avec le prince directement depuis la Dalmatie. ASDMAE, MAERI, b. 116, 1, 24 novembre 1867, s. n., Console in Scutari d'Albania.
124 DDI 1.2.476, Istruzioni del Ministro degli Esteri, Durando, al Ministro a Costantinopoli, Caracciolo di Bella, Turin, 5 juillet 1862.
125 Petrović 2005, p. 239.
126 ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 2, r. 7754/52 de Fernandez (consul) à Cavour (PCM et MAE), Salonique, 14 mars 1861.
127 Ibid., b. 906, r. 3 de Durando à Visconti Venosta (MAE), Sarajevo, 15 août 1863.
128 Sur le développement de ces régions au XIXe siècle : Ardeleanu – Lyberatos 2016.
129 MAE 1870.
130 Crampton 1983, p. 1-24.
131 Tamborra 1958a, p. 307. Les consuls de France eux-mêmes ne semblent découvrir les Bulgares qu’à la fin des années 1840 : Massé 2019, p. 44 n. 46.
132 Tamborra 1958a, p. 324-325.
133 DDI 1.3, annexe au doc. 34, Scovasso (consul) à Durando (MAE), Belgrade, 23 septembre 1862. Rakosvki s’inspire effectivement de Mazzini tant dans son projet politique – une confédération balkanique démocratique – que dans sa tactique révolutionnaire : l’emploi de bandes armées, les ceti, pour soulever les masses paysannes. Crampton 1983, p. 1-24.
134 Liakos 1995, p. 24-75 et 164-167.
135 Le paradigme de l’antique est utilisé dès avant l’Unité pour exalter l’identité régionale à travers l’évocation des divers peuples qui ont peuplé la péninsule au cours des âges : Ceserani 2012.
136 Cialdea 1966, p. 217-225.
137 Grange 1994, p. 453-457.
138 Tommaseo 1862.
139 DDI 1.3.642, Visconti Venosta à D’Azeglio (ministre à Londres), Turin, 28 mai [1863] ; 658 et 682, D’Azeglio à Visconti Venosta, [Londres], 3 et 19 juin 1863 ; DDI 1.4.111, Visconti Venosta à De Launay (ministre à Berlin), Turin, 17 août 1863.
140 DDI 1.5.503, La Marmora (PCM et MAE), à D’Azeglio et Nigra (ministres à Londres et Paris), Turin, 31 décembre 1864.
141 Pascual Sastre 2001, p. 53-82.
142 DDI 1.3.291, Pasolini (MAE) à Mamiani Della Rovere (ministre à Athènes), Turin, 7 janvier 1863. Si le ministre Pasolini donne assez sèchement l’ordre de ne rien tenter, le chef du gouvernement, Durando, est moins catégorique et n’exclue pas la possibilité de saisir une occasion favorable, qu’il espère proche : DDI 1.3.277, Durando à Pasolini, s. l., 25 décembre 1862. Sur ces projets, Maturi 1958, p. 559-643, ainsi que Guida 1984b, p. 503-509.
143 DDI 1.2.614, Victor-Emmanuel à Othon, s.l. n.d. [juillet 1861] ; 1.2.615, Garibaldi à Victor-Emmanuel, s.l. n.d. [fin juillet 1862].
144 DDI 1.8.283, Visconti Venosta à Ricasoli, Florence, 20 mars 1867 ; Kallivretakis 1987 ; Liakos 1993.
145 DDI 1.2.341, Mamiani à Durando, Athènes, 22 mai 1862.
146 Kallivretakis 2006, p. 11-36.
147 Jesné 2015c.
148 Aglietti 2020.
149 Arrivé à Vienne le 18 février 1867, le tout premier ministre d’Italie à Vienne, De Barral, se présente le surlendemain au baron von Beust, ministre-président d'Autriche et ministre des Affaires étrangères autrichien, afin de l’assurer de l’amitié de l’Italie et de son intention de ne pas recourir à la force pour obtenir le Tyrol : DDI 1.8.199, De Barral à Visconti Venosta, Vienne, 20 février 1867. Trois jours plus tard, le diplomate italien présente ses lettres de créance à François-Joseph, auquel il assure le peu de soutien que recueille le « parti d’action » dans la population italienne : DDI 1.8.208, De Barral à Visconti Venosta, Vienne, 25 février 1867.
150 Cattaruzza 2007, p. 16-17 ; Monzali 2004, p. 39 sq.
151 MAE 1870. Voir également Tamborra 1967, p. 364-366.
152 Grange 1994, p. 439-444 ; Silvestri 2017, p. 55-62.
153 ASDMAE, MAERI, b. 272, fasc. 2, r. 37 de Bruno (consul général) à Di Campello (MAE), Trieste, 23 août 1867.
154 Ibid., b. 116, vol. 12, « précis » (giornale degli arrivi dei quali prende nota il Segretario Generale) 3, 1er semestre 1868, doc. 7, 31 décembre 1867, Console in Trieste.
155 Ibid., b. 272, fasc. 2, r. 1 de Bruno (consul général) à Visconti Venosta (MAE), Trieste, 27 février 1867.
156 Sur le nouveau cours donné par Ricasoli à la politique orientale de l’Italie, Fornaro 1995, p. 150 sq.
157 DDI 1.1.281, Ricasoli à Cerruti, Turin, 27 août 1861.
158 DDI 1.1.229, Cerruti à Ricasoli, Constantinople, 21 juillet 1861.
159 Fé d’Ostiani aurait dû assurer les fonctions de secrétaire au sein d’une mission diplomatique en Perse dont l’exécution se trouve alors suspendue : Márkus 1958, p. 97.
160 ACS, FRB, b. 1, fasc. 2, s. fasc. e, Relazione di viaggio di Alessandro Fé d’Ostiani al Ricasoli, sullo stato presente dell’Ungheria » (1861 – settembre 3). Ce texte a par ailleurs été édité dans Márkus 1958, p. 95-98.
161 ACS, FRB, b. 1, fasc. 2, s. fasc. e, Relazione di viaggio di Alessandro Fé d’Ostiani al Ricasoli, sullo stato presente dell’Ungheria » (1861 – settembre 3), p. 13-14.
162 Balbo 1844 ; Fornaro 1995, p. 16-17 ; Furiozzi 2000. Balbo est également l’auteur de divers écrits sur les Balkans demeurés inédites : D’Alessandri 2018.
163 Caccamo 1980.
164 Rustem bey (chargé d’affaires ottoman) à Mehmed Emin Âli Paşa (ministre ottoman des Affaires étrangères), Turin, 23 mai 1861 et réponse, Constantinople, 19 juin 1861, dans Kuneralp 2009, p. 506-511.
165 DDI 1.1.450, Ricasoli à Strambio, Scovasso et Durio (consuls à Bucarest, Belgrade et Scutari), Turin, 18 décembre 1861.
166 DDI 1.1.227, le général Klapka à Ricasoli, Genève, 20 juillet 1861 ; Fornaro 1995, p. 169.
167 DDI 1.1.450, Ricasoli à Strambio, Scovasso et Durio, Turin, 18 décembre 1861.
168 Jesné 2015c, p. 278-279.
169 Horvath 1991, p. 293 ; Labbé 1997, p. 128-131.
170 DDI 1.1.457, Strambio (consul) à Ricasoli, Bucarest, 24 décembre 1861. La réponse de Scovasso n’est pas connue, toutefois ses rapports peignent une Serbie certes bien disposée à l’égard de la Hongrie mais totalement apathique : DDI 1.1.449, Scovasso (consul) à Ricasoli, Belgrade, 14-16 décembre 1861. Durio ne peut, quant à lui, répondre, car il ne parvient à sa résidence de Scutari qu’en janvier 1862 : ASDMAE, MAERI, b. 399, fasc. 13, Protocolli anni 1861 a 1867. R. Consolato Scutari.
171 DDI 1.1.468, Ricasoli à Cerruti, Turin, 28 décembre 1861, également citée dans Fornaro 1995, p. 152-153.
172 Fornaro 1995, p. 151-193 ; Sotirović 2008, p. 76 sq. Cet article insiste toutefois sur les politiques parallèles menées par Garibaldi et le roi, et néglige celle du gouvernement italien, beaucoup plus prudente.
173 DDI 1.3.535, 551, 576, et 614, 627, 637, 638, avril-mai 1863.
174 Pignatelli 1976 ; Cecchinato 2007, p. 98.
175 DDI 1.1.287, Mamiani à Ricasoli, Athènes, 6 septembre 1861.
176 DDI 1.3.651, D’Azeglio (ministre) à Visconti Venosta (MAE), Londres, 1er juin 1863.
177 Cecchinato 2007, p. 91-92.
178 Fornaro 1995, p. 251-274.
179 DDI 1.6.568, La Marmora (MAE) à Visconti Venosta (ministre à Constantinople), Florence, 7 mai 1866.
180 Borsi-Kálmán 2018, p. 51 sq.
181 DDI 1.6.572, 664 et 720, Scovasso à La Marmora, Belgrade, 7 mai, 27 mai et 7 juin 1866.
182 Chiala 1872, p. 38.
183 DDI 1.6.158, Verasis à Cerruti, Turin, 7 octobre 1865.
184 Rustem Bey (ambassadeur ottoman) à Mehmed Emin Âli Paşa (ministre ottoman des Affaires étrangères), Turin, 25 février 1864, dans Kuneralp 2009, p. 660-661.
185 Fornaro 1995, p. 243-245.
186 DDI 1.6.231, Csáky à Cerruti, Paris, 22 décembre 1865.
187 Cecchinato 2007, p. 91 et 98. Dès 1861, la légion hongroise apparaît comme une épine dans le pied au gouvernement de Turin : Fornaro 1995, p. 185-188.
188 Chaline 2000, p. 416-417, 432-433.
189 Jesné 2014b ; Monzali 2004, p. 113-114.
190 Chaline 2000, p. 458-465.
191 Orsini 1852 ; Chaline 2000, p. 433.
192 Tajani 1900, p. 99-105.
193 Friz – Gabriele 1973, p. 90.
194 Chaline 2000, p. 460-461.
195 Zingarelli 1915, p. 125.
196 Gabriele 1965, p. 402-404.
197 Comando della 3a armata 1918.
198 Gabriele 1958, p. 252.
199 DDI 1.1.91, Durando (ministre d’Italie) à Cavour, Constantinople, 8 mai 1861.
200 DDI 1.2.142, Ricasoli à Nigra (ministre d’Italie à Paris), Turin, 28 février 1862.
201 DDI 1.2.43, Cerruti, (ministre d’Italie) à Ricasoli, Constantinople, 22 janvier 1862.
202 Rustem Bey (chargé d’affaires ottoman) à Mehmed Emin Âli Paşa (ministre ottoman des Affaires étrangères), Turin, 6 décembre 1860, dans Kuneralp 2009, p. 494.
203 DDI 1.3.486, Nigra (ministre d’Italie) à Visconti Venosta, Paris, 8 avril 1863.
204 DDI 1.3.504, D’Azeglio (ministre d’Italie), à Visconti Venosta, Londres, 14 avril 1863.
205 Tamborra 1983b, p. 54-57.
206 DDI 1.2.43, Cerruti à Ricasoli, Constantinople, 22 janvier 1862.
207 DDI 1.2.272, Victor-Emmanuel II au prince Napoléon, Turin, 22 avril 1862.
208 « Mente febbrile che [confina] con la pazzia », DDI 1.2.140, Cerruti à Ricasoli, Constantinople, 27 février 1862.
209 Sarlin 2013, p. 146-180.
210 DDI 1.3.578, Visconti Venosta (MAE) à D’Azeglio (ministre à Londres), Turin, 6 mai 1863.
211 Jesné 2020.
212 E. Durio, Nota sulla parte attiva presa a danno della sicurezza del Regno dall’attuale I. R. agente consolare austriaco in Vallona, di nome Calzavara, dans ASDMAE, MAERI, b. 905, fasc. 3, n. jointe au r. 615 de Durio (consul) à Visconti Venosta (MAE), Scutari, 23 août 1863.
213 Ibid., d. télégraphique de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 14 mai 1863.
214 Ibid., r. 13110 de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 24 mai 1863 ; copie d’une l. de Durio à Fernandez (consul général à Salonique), Scutari, 22 septembre 1863, joint au r. 15428 de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 22 septembre 1863, et b. 903, r. 14202 de Fernandez à Visconti Venosta, Salonique, 30 août 1864.
215 Sur cet ethnonyme, Schmitt 2005.
216 ASMAE, MAERI, b. 905, fasc. 3, r. 13061 de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 10 mai 1863.
217 ASDMAE, MAERI, b. 903, r. 14202 de Fernandez à Visconti Venosta, Salonique, 30 août 1864 ; b. 905, fasc. 3, r. 615 de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 23 août 1863.
218 ASDMAE, MAERI, b. 905, fasc. 3, r. 13062 de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 11 mai 1863, et d. 191 du commandant de la frégate Archimede à Durio, Antivari, 17 mai 1863.
219 Ibid., d. 11 du commandant de la canonnière Ardita à Durio, Valona, 19 mai 1863.
220 Ibid., r. 16436 de Durio à Visconti Venosta, Scutari, 13 octobre 1863.
221 Mariano 1958, p. 298-303.
222 Bašić 2007, p. 452 et 454 ; Gangemi 2007, p. 178, 191-196 et 212-219 ; Silvestro 2003.
223 Monzali 2004, p. 113-114.
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