Introduction
p. 1-14
Texte intégral
Un dessein balkanique pour l’Italie ?
1En juin 1859, un navire chargé d’armes quitte le port de Marseille, à destination de Constanza (Constanța), sur la mer Noire1. Son équipage est payé par le gouvernement sarde pour remettre la délicate cargaison aux agents d’Alexandru Ioan Cuza, un officier roumain que les intrigues françaises ont mis à la tête des principautés danubiennes2. Le président du Conseil sarde, Camillo Cavour, aimerait en effet entraîner les Roumains et les autres nationalités d’Europe centre-orientale dans son propre projet de guerre de libération nationale contre l’Autriche. À Marseille et Constanza, ce ne sont nullement des agents secrets ni de troubles aventuriers qui se chargent de faire passer les armes, mais bien les consuls de sa majesté sarde, que Cavour commence à installer sur tout le pourtour méditerranéen des Balkans. Un demi-siècle plus tard, la veille de Noël 1914, le port albanais de Valona (Vlorë), situé à quelques encablures de la côte italienne, est mis en émoi par les coups de feu et les cris d’une troupe de réfugiés chassés par l’invasion grecque3. Ces hommes sont stipendiés par le consul d’Italie, qui s’empresse de télégraphier la nouvelle à Rome, donnant ainsi au gouvernement italien le prétexte au débarquement d’un corps expéditionnaire. Cette opération militaire demeure modeste mais permet, sous couvert de maintien de l’ordre, de prendre des gages territoriaux à la sortie de l’Adriatique, dans une zone livrée aux appétits des puissances balkaniques et européennes.
2Le rapprochement de ces deux événements, à cinquante-cinq ans de distance, pourrait laisser croire à une continuité des pratiques et des buts de l’Italie dans le pourtour maritime du Sud-Est européen. Sur une durée plus longue encore, on pourrait avoir l’illusion d’un impérialisme italien dans les Balkans en germe dès l’époque de l’Unité, et prenant toute sa mesure sous le fascisme. Il n’en est rien. La politique balkanique du fascisme a fait l’objet de nombreux travaux, qui ont notamment contribué à mettre fin au mythe des « Italiani brava gente », dont la bonté naturelle aurait été la cause d’une occupation moins brutale que celle des Allemands4. On ne saurait toutefois en déduire une histoire téléologique des ambitions italiennes dans les Balkans. Depuis l’époque du Risorgimento, le voisinage oriental immédiat de l’Italie fait l’objet d’une réflexion géopolitique, dont une partie se trouve ensuite mobilisée en 1911-1912 (guerre italo-ottomane), en 1914-1915 (« Intervention » dans la Grande Guerre) et en 1939-1943 (« guerre parallèle » à celle du Reich). Ce rejeu des discours et, dans une moindre mesure, des pratiques, ne suffit pas, pour autant, à prouver l’existence d’une politique cohérente et tendue, de l’Unité au fascisme, vers la conquête territoriale au sud-est.
3L’objet de cette étude est, précisément, de caractériser les flux et reflux des ambitions de l’Italie dans le quart nord-est de la Méditerranée. Les écrits italiens sur cette région recourent à la taxinomie qui est celle de la culture européenne du temps5 : d’abord des dénominations inspirées par la présence ottomane (« Oriente », « Turchia europea »), puis celle qui est popularisée par les experts : « Balcani ». Pour ma part, j’utiliserai dorénavant le terme de « Balkans » pour caractériser cet espace, car il me semble rassembler efficacement, aux yeux d’un lecteur francophone du début du XXIe siècle, le chapelet de territoires où se manifestent, de façon continue, récurrente ou ponctuelle, les ambitions qui sont formulées en Italie. Il s’agit, avant tout, de l’Albanie, de la partie adriatique des « terres irrédentes » également, mais aussi du monde égéen avec notamment la Crète et le Dodécanèse, ou encore de la Grèce, la Macédoine et dans une moindre mesure les pays danubiens et l’intérieur de la péninsule. On le voit, le géonyme « Balkans » est imparfait pour désigner un espace certes centré sur le Sud-Est européen – cette dernière expression étant d’ailleurs de plus en plus utilisée dans le langage académique contemporain6 – mais très méditerranéen. Néanmoins, plusieurs facteurs contribuent à porter les regards de Rome vers le cœur des Balkans : la présence de nombreux travailleurs italiens, les ambitions des puissances rivales, ou encore l’action de mouvements patriotiques pensés, sur les deux rives de l’Adriatique, comme parents de celui qui a vu, dans le troisième quart du XIXe siècle, l’Italie s’unifier.
« Risorgimenti » parallèles ou impérialisme ?
4Très tôt, les similitudes entre les mouvements de libération nationale en Italie et en Europe de l’Est ont frappé les observateurs. La littérature célébrant la solidarité militante entre exilés italiens, polonais, hongrois, serbes, grecs et autres s’est accompagnée, dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, d’une réflexion savante sur l’organisation de ces contacts, leurs origines intellectuelles et leurs conséquences politiques7. Au sein du vaste carrefour d’empires s’étendant de la mer Blanche à la mer Égée, c’est l’espace « danubiano-balkanique » qui est apparu comme le plus étroitement lié au Risorgimento italien8. Après la Deuxième Guerre mondiale, la recherche s’oriente vers la question des alliances entre mouvements nationaux italiens et danubiano-balkaniques, avant de s’enrichir d’une réflexion sur le rôle politique des circulations individuelles, notamment à travers les chemins de l’exil et des pérégrinations politiques9. De ce courant de recherches émerge l’idée d’une pluralité de « Risorgimenti » ; le Risorgimento italien, mouvement de « renaissance » ou de « résurrection » nationale10, se serait inscrit dans une famille de Risorgimenti européens. Nombre des membres de cette famille sont balkaniques, pour une raison simple : l’Ottoman est le plus faible de tous les empires multiethniques, et c’est en son sein, ou à ses confins, que les mouvements révolutionnaires parviennent à déboucher sur la création d’États. La richesse des liens entre l’Italie et la Grèce fait notamment de l’Epanastasi (Επανάσταση), la « révolution » grecque, un partenaire privilégié du mouvement de libération nationale italien11.
5Entre les deux temps forts du « Risorgimento italo-balkanique » et de l’impérialisme fasciste, l’époque dite de l’« Italie libérale » (1861-1922) a été peu à peu explorée autour de quelques principaux objets de recherche, et d’abord celui du volontariat garibaldien, notamment philhellène12, prolongé plus récemment par la question des contacts entre les Italiens d’origine albanaise, ou Arbëresh, et les mouvements tant panhelléniques qu’albanistes13. Il faut également mentionner des travaux d’histoire économique qui ont fait date, mais se sont longtemps concentrés sur la question d’un « impérialisme économique » dont l’importance a depuis été considérablement redimensionnée14, ou interprétée à la lumière de nouveaux objets tels que l’histoire des entreprises, celle des chemins de fer ou de la dette publique15. L’histoire de la « question adriatique » constitue également un cadre très favorable aux recherches sur les relations italo-balkaniques dans un sens plus large16. La question de l’irrédentisme en constitue elle-même une dimension importante. D’abord considéré comme un achèvement du Risorgimento, le rattachement des terres irrédentes a permis l’intégration de l’irrédentisme à l’histoire nationale17, avant que la disparition tragique des communautés italiennes d’outre-Adriatique à la suite de la défaite du fascisme ne le relègue dans un relatif oubli18. Cet oubli a pris fin à partir des années 1990, lorsque la question de la « frontière orientale » s’est constituée en champ historiographique unifié, par-delà les divisions chronologiques traditionnelles – régime austro-hongrois, Italie libérale, fascisme19. Plus récemment, l’attention des historiens s’est portée sur la question des identités en Adriatique : emboîtées et multiples, celles-ci sont désormais étudiées en privilégiant les jeux d’échelles et les phénomènes de circulations et de transferts20.
6C’est toutefois l’histoire des relations internationales qui constitue la tradition la plus ancienne, la plus longue et peut-être la plus riche pour les études consacrées aux relations entre l’Italie libérale et les Balkans21. Les traités, puis la correspondance diplomatique en constituent la matière première. Les études classiques sur la politique balkanique de l’Italie libérale n’ont pu s’appuyer entièrement sur les documents diplomatiques italiens (DDI). Le traitement de la période 1861-1896 (séries 1 et 2), entrepris par la commission de réorganisation des DDI à partir de 1952, a été achevé en 200022. L’achèvement de la troisième série (1896-1907) s’est fait entre 2008 et 2014. La quatrième série (1908-1914) est en revanche toujours incomplète, avec une double lacune allant du 1er janvier 1908 au 11 décembre 1909 et du 18 octobre 1912 au 28 juin 1914. Deux crises balkaniques majeures, celle qui suit l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie en 1908, et celle des guerres balkaniques, ne sont donc pas couvertes. Les centenaires de ces deux crises ont toutefois permis de significatifs progrès quant à l’attitude alors observée par la diplomatie italienne23. La publication récente de nombreux volumes manquants des DDI a par ailleurs suscité plusieurs travaux qui approfondissent notre connaissance des négociations entre chancelleries24. La politique étrangère italienne ayant été marquée par quelques grands noms, les études biographiques constituent une dimension importante de son traitement. Si les Balkans ne font guère l’objet d’une attention particulière dans les ouvrages dédiés à la figure de Francesco Crispi25, ils sont en revanche très présents dans un ouvrage consacré à Antonino Di San Giuliano, ministre des Affaires étrangères de Giovanni Giolitti26.
7L’époque dite « giolittienne » constitue en effet le moment privilégié des activités italiennes dans les Balkans27. La chute de Crispi après la défaite d’Adoua en 1896 réduit l’influence du parti africaniste, donnant en retour une audience accrue aux ambitions balkaniques, d’autant que la perspective d’un effondrement de l’Empire ottoman se fait plus nette. Une étude extrêmement précise a ainsi été consacrée à la lutte d’influence que se livrent Italie et Autriche-Hongrie entre 1897 et 191328. Il faut y ajouter plusieurs articles également anciens, mais qui demeurent des références incontournables, et signaler notamment le rôle joué par la collection « Civiltà del Risorgimento » de la maison d’édition Del Bianco, située à Udine, et à laquelle on doit quelques travaux précieux sur les relations italo-balkaniques dans les premières années du XXe siècle29.
Pour une histoire impériale centrée sur les acteurs
8Un manque, toutefois, frappe : c’est celui d’une approche impériale de la politique balkanique italienne30. Les études impériales, nées au Royaume-Uni, sont désormais partout bien établies. Pour le cas italien, cependant, force est de constater que les raisonnements à l’échelle impériale, c’est-à-dire envisageant l’empire dans sa globalité, de l’empire aux colonies mais aussi en sens inverse et de colonie à colonie, sont rares. Sans se placer dans le cadre explicite d’une approche impériale, la somme de Daniel Grange sur « les fondements d’une politique étrangère » analyse la Méditerranée d’un seul tenant, mettant en évidence l’action d’individus et de groupes aussi bien en Italie qu’en Afrique et dans les Balkans31. L’historiographie de la colonisation a souvent suscité elle-même des travaux plus généralement consacrés à l’expansionnisme ou à l’impérialisme32. En outre, elle a opéré dans les années 1990 un aggiornamento spectaculaire, rompant avec une longue tradition hagiographique33. Toutefois, du fait des spécialisations académiques, l’Afrique et les Balkans s’ignorent encore. L’une appartient au domaine colonial, les autres à l’histoire des nations européennes. Je cherche pour ma part à situer la construction d’une politique balkanique à l’échelle de l’empire italien dans son ensemble : quel impact les crises balkaniques ont-elles sur la vie politique intérieure de l’Italie dite « libérale » ? En retour, qu’est-ce qui pousse les gouvernements italiens à vouloir exercer une influence sur la péninsule voisine, ou au contraire à s’en désintéresser ? Comment les expériences africaines, qu’elles soient militaires, administratives ou savantes, influent-elles sur la politique balkanique, ce parent pauvre de l’impérialisme italien ? L’empire dont il est ici question est avant tout un projet : en Afrique même, jusqu’aux années 1920 les possessions italiennes se limitent à des emprises côtières en chapelet, avec un hinterland de quelque importance en Érythrée, et dans une moindre mesure en Somalie. Cette somme de « possessions coloniales » n’atteindrait donc pas la « masse critique » qui fait, selon la typologie établie par Jürgen Osterhammel, le véritable « empire colonial »34. L’adjonction, en 1912-1914, de quelques îles et ports sur le pourtour des Balkans (Rhodes, Valona) ne change guère la donne. La politique balkanique de l’Italie correspondrait donc à un « impérialisme restreint », piloté par le ministère des Affaires étrangères plutôt que par le lobby colonial, et coexistant avec une « domination coloniale formelle » en Afrique35. À cela, il faut ajouter une forte spécificité : l’idée, formulée parmi les élites italiennes dès les années 1870, d’un continuum global de la présence italienne à travers l’émigration massive qui débute à la même époque36. Il s’agit là d’une construction intellectuelle, mais qui envisage l’influence italienne par-delà les frontières, et unit la métropole, les colonies formelles et les « colonìe » au sens de communautés italiennes à l’étranger. Dans les Balkans, la présence démographique italienne est faible, notamment en Albanie, où les ambitions sont pourtant les plus nettes. La politique balkanique de l’Italie libérale diffère donc du colonialisme africain aussi bien que de la construction d’une « nation émigrante » globale, tout en fonctionnant en lien direct avec ces deux phénomènes. Elle offre en revanche des similitudes assez nettes avec la politique d’« influence morale » menée dans la même région par la France à travers l’action de ses consuls37.
9La péninsule balkanique apparaît en effet, dès le moment unitaire, comme une zone d’intérêts stratégiques pour l’Italie. Comme le remarque le général Giacomo Durando, qui représente Turin auprès du Sultan, l’Italie unifiée a désormais une frontière maritime avec l’Empire ottoman38. La position centrale du nouvel État en Méditerranée constitue une force, mais elle confère des obligations à la nouvelle puissance, qui ne peut se désintéresser d’un point chaud des relations internationales (comme nous dirions aujourd’hui), qui plus est si proche de ses côtes.
10L’activité de la « sphère de décision » italienne en direction de la péninsule balkanique constitue dès lors l’épine dorsale de cette étude. J’emprunte l’expression à Jean-Baptiste Duroselle, coauteur de l’introduction à la fameuse Histoire des relations internationales de Pierre Renouvin. Ce dernier y insiste sur l’importance « des forces profondes » dans les relations internationales, qui ne se résument pas à l’action des princes et des diplomates, et peuvent être à la fois « matérielles et spirituelles »39. À l’occasion de cette collaboration avec son maître, Jean-Baptiste Duroselle introduit les acquis de la science politique américaine dans la partie consacrée à « l’homme d’État », englobant dans la « sphère de décision » gouvernants, diplomates, chefs militaires, et tous les acteurs de la définition et de la conduite de la politique étrangère40. Jean-Baptiste Duroselle envisage l’action de l’homme d’État sur les forces profondes, mais aussi l’inverse, s’intéressant notamment à la formation individuelle des diplomates et à l’action des groupes à l’intérieur et à l’extérieur de la sphère de décision. La grille de lecture utilisée par Duroselle accorde une certaine importance à la psychologie des acteurs, et notamment aux « mentalités »41. Aujourd’hui nécessairement datée, sa perspective a connu néanmoins une postérité féconde42. Du côté italien, l’histoire des relations internationales a fait également l’objet d’un profond renouvellement au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, notamment sous l’action de l’historien valdôtain Federico Chabod, dont la méthode historique est attentive au rôle des individus et des forces morales dans l’élaboration de la politique étrangère43. D’importants travaux ont été, par la suite, consacrés en Italie aux relations entre diplomatie et opinion publique : la formation des diplomates, les interactions au sein de leur milieu et avec le reste des classes dirigeantes ne peuvent être isolées de l’esprit public contemporain, même au temps de l’Italie libérale, marquée par un fort analphabétisme et par l’étroitesse numérique de la bourgeoisie44. Cette perspective s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, avec l’attention portée au rôle des imaginaires sociaux dans les relations internationales45.
11Pour caractériser la fabrique de la politique italienne dans les Balkans, j’ai donc choisi de faire le portrait des individus et des groupes impliqués dans « l’intéressement de l’opinion publique » aux questions balkaniques46. Par son flou, l’opinion publique demeure un concept dont se méfient les chercheurs. Néanmoins, l’Italie libérale voit précisément s’élargir les secteurs de la société qui participent aux débats d’intérêt général47. Le « retard italien », sous l’effet notamment de l’analphabétisme, doit donc être relativisé, surtout si l’on sort du modèle habermasien centré sur l’Europe du nord-ouest pour embrasser une perspective élargie à l’ensemble du continent48. Les rythmes précoces de la politisation des masses en Italie sont connus49 ; toutefois, cette politisation regarde surtout les grandes questions politiques et sociales intérieures. Même si cette étude entend précisément ne pas séparer politique intérieure et étrangère, cette dernière demeure très éloignée des masses. Quelques moments émotionnels et médiatiques intenses, à l’instar de l’affaire Pritchard quelques décennies plus tôt en France50, font sortir les questions de politique étrangère, et en leur sein les affaires balkaniques, du domaine réservé d’un lectorat bourgeois, élargi aux franges politisées de la classe ouvrière. C’est le cas, notamment, du congrès de Berlin (1878), des crises de Crète (1897) et de Bosnie-Herzégovine (1908), du continuum guerre de Libye / guerres balkaniques (1911-1913), et bien sûr de l’Intervention dans la Première Guerre mondiale (1915).
12Par leur éloignement, par leur complexité aussi, les événements balkaniques restent une affaire d’experts, qui cherchent à se placer en intermédiaires entre la sphère de décision et l’opinion publique51. J’appellerai « balkanistes » les individus qui cherchent à se constituer en experts par leur connaissance des hommes et des choses dans les Balkans, et à en retirer un profit matériel ou symbolique, pour eux-mêmes ou pour la cause qu’ils défendent52. Au sein de la sphère balkaniste, les catégories d’acteurs sont brouillées : savants, journalistes, hommes politiques, militaires, militants et voyageurs se confondent souvent, et entretiennent des rapports étroits avec les diplomates de terrain et de cabinet. Dans la mesure où ils sont peu nombreux, il est possible de caractériser très précisément leur action, grâce à l’étude de la presse53, à celle des sources institutionnelles (diplomatie, gouvernement, parlement, armée, préfectures54, diverses institutions savantes55), mais aussi personnelles, les correspondances privées permettant notamment d’approcher la réalité microhistorique de la production et de l’échanges des savoirs et des discours sur les Balkans56. L’intéressement aux questions balkaniques passe souvent par des chemins détournés, dont les principaux sont la construction des savoirs en Méditerranée et en Europe orientale, l’irrédentisme et le volontariat démocratique, ou encore la colonisation africaine. C’est aussi une affaire de temporalités, celle, longue, de l’évolution des cultures politiques voire de l’identité nationale, et celle, plus brève, des événements politiques et médiatiques, avec leur cortège d’émotions qui contribuent largement à forger les Balkans dans le regard occidental57. Enfin, la relation italo-balkanique doit s’observer à toutes les échelles, tant le terrain balkanique se trouve soumis à un effet de loupe. Scrutées par l’opinion internationale, les influences des nationalistes et des gouvernants locaux, ainsi que celles des experts et des diplomates étrangers s’y déploient et s’y affrontent, donnant à des faits parfois minuscules une importance internationale.
13Centrée sur les acteurs et les situations, cette étude est attentive aux conditions de production des sources, aux logiques institutionnelles et individuelles qui y président. Cette méthode est très courante dans le champ des études coloniales, d’après la fameuse leçon d’Ann Laura Stoler58, et il convient de l’appliquer également à la politique balkanique. Alors que l’historiographie de la colonisation italienne en Afrique d’une part, celle de la Seconde Guerre mondiale dans les Balkans d’autre part, ont rompu avec des traditions hagiographiques bien ancrées, force est de constater que ces traditions n’ont pas disparu en ce qui concerne les relations entre l’Italie libérale et les Balkans. « L’œuvre » de telle institution, notamment les carabiniers ou l’armée, de tel personnage, comme le consul Carlo Galli ou le botaniste Antonio Baldacci, ou encore d’une communauté régionale comme les Italo-albanais, se trouve souvent exaltée, dans des travaux il est vrai plus institutionnels ou patrimoniaux qu’académiques. Le risque d’une trop grande proximité avec les sources, dont le propos serait épousé sans recul, existe pourtant, notamment lorsque les correspondances diplomatiques ou militaires sont utilisées comme matière première exclusive d’une recherche59.
14Il ne s’agit pas, pour autant, de faire le procès d’un peuple, d’une politique, d’une époque, ce qui n’aurait aucun sens. Du reste, il apparaît clairement qu’un mélange de faiblesse militaire, de convictions nationalitaires sincères et de racisme positif (les Albanais, Slaves, Grecs et autres sont malgré tout perçus comme des « Blancs » et traités comme tels) conduit à un recours relativement limité à la violence là où l’Italie libérale a procédé à des occupations, y compris pendant la Première Guerre mondiale60. C’est là une différence fondamentale avec la colonisation africaine d’une part et le fascisme de l’autre, et ce même si ce livre repère, dès les années 1890, des projets de prédation économique. Il distingue aussi, à partir de la même époque, les prodromes d’un racisme qui conduira, quelques décennies plus tard, aux pires violences.
15L’attention portée aux acteurs et aux situations plutôt qu’aux grands modèles conduit ainsi à reconstituer la variété des interactions italo-balkaniques en un demi-siècle de politique d’influence. Cette politique n’est en aucune façon un « dessein national » qui serait conçu par Cavour, poursuivi par Crispi et achevé par Sonnino-Salandra malgré l’impéritie des Visconti Venosta, des Mancini et des Giolitti. C’est plutôt un faisceau d’intérêts fluctuants, qui convergent et divergent fréquemment sous l’effet de la conjoncture intérieure et extérieure. Christian Windler a bien montré toute la portée d’une approche socio-historique de l’activité consulaire61. J’ai cherché à appliquer cette approche à l’ensemble des balkanistes. Les intérêts de l’Italie outre-Adriatique sont définis par les hommes de la Consulta (cette métonymie désigne le ministère des Affaires étrangères) – plus que par la présidence du Conseil et par le Quirinal, même si les coups de majesté existent, mais aussi par des individus et des groupes peu nombreux mais suffisamment liés entre eux pour proposer à l’Italie un récit balkanique convergent. Ce récit, c’est celui d’une Italie pauvre, méprisée, mais qui se pense légitime dans ses aspirations à être la tutrice des périphéries adriatiques et égéennes des Balkans. Cette légitimité est celle que procure la tradition des échanges historiques, le compagnonnage dans la lutte pour la liberté des peuples, et une forme vulgarisée du « primat moral »62.
Observer la genèse d’une politique étrangère : le laboratoire post-unitaire
16Cette étude commence avec l’Unité italienne : la réunion à la Sardaigne des différents États pré-unitaires fait naître une nouvelle puissance en Méditerranée. L’Italie libérale, de l’Unité à la Première Guerre mondiale, peut ainsi être considérée comme un cas idéal pour l’étude de la formation, ex nihilo ou presque, d’une politique étrangère, en l’espèce celle qui est tournée vers l’étranger proche balkanique. Le rôle de Cavour et de ses successeurs immédiats dans le choix de la puissance comme destinée de l’Italie, et dans le choix des Balkans comme une des directions majeures de cette puissance à bâtir, font l’objet du premier chapitre. Assez vite, toutefois, l’Italie découvre la réalité de sa faiblesse stratégique, qui devient criante lors de la grande crise d’Orient. L’épreuve commence en 1875, et s’achève véritablement en 1881, avec le camouflet tunisien qui finit de pousser Rome vers l’alliance austro-allemande. Cet apprentissage douloureux conduit l’Italie à s’inventer, très tôt, en puissance morale, garante de relations internationales régies par le droit et inspirées par un humanisme libéral – le tout dans la limite des intérêts fondamentaux de la nation (chap. 2). Précisément, il n’y a pas consensus sur la définition de ces intérêts, et c’est une faiblesse supplémentaire. Les mouvements nationaux balkaniques font l’objet de débats intenses dans l’espace public italien : leur défense semble appartenir au code génétique de la nation et fait l’objet d’un consensus de surface. Le calcul diplomatique, mais aussi l’examen de la réalité du fait national sur le terrain, poussent toutefois les gouvernements italiens à la prudence dans la défense de causes susceptibles de provoquer des crises, voire des guerres que le pays ne peut se permettre. Il ne s’agit pas là d’une opposition entre opinion publique et diplomatie. En effet, les questions nationales balkaniques sont une arme de politique intérieure utilisée par toutes les formations parlementaires et extra-parlementaires, y compris au sein d’un même camp (chap. 3). Les politiques balkaniques de Pasquale Stanislao Mancini et de Francesco Crispi, étudiées dans le quatrième chapitre, illustrent parfaitement ces pratiques, Crispi marquant toutefois la politique balkanique de l’Italie libérale par son volontarisme – ou son imprudence, pour ses adversaires. Les discours politiques sur les Balkans constituent une arme dans le débat politique intérieur, c’est entendu. Mais comment sont-ils informés ? Mal, le plus souvent. Toutefois, plusieurs filières de production de savoirs sur les Balkans se constituent en Italie, dans divers milieux érudits et savants. Le cinquième chapitre caractérise ces filières, et leur portée politique. Elle est considérable, car l’Italie, « moindre des grandes puissances » selon la formule de Richard Bosworth63, mise sur le soft power pour maintenir son rang, après la crise profonde dans laquelle la plonge la défaite d’Adoua en 1896. Le sixième chapitre analyse la participation italienne aux expéditions militaro-humanitaires de Crète et de Macédoine, au tournant du siècle. Ce moment où l’Italie traduit en pratique ses aspirations à la puissance bienveillante est aussi, paradoxalement, celui où s’affirme un esprit nouveau (chap. 7). L’impérialisme qui naît dans les premières années du XXe siècle, au temps du décollage industriel, est d’abord pensé comme une « pénétration pacifique » qui, d’après ses tenants, sied beaucoup mieux aux Balkans qu’à l’Afrique. La contagion nationaliste affaiblit toutefois lentement le modérantisme qui constitue pendant des décennies le centre de gravité politique du pays. L’enchaînement du conflit italo-ottoman et des guerres balkaniques amène une nouvelle donne, l’Italie devenant une puissance occupante, en Albanie et dans le Dodécanèse. Le chapitre 8 situe cette nouvelle politique dans un cadre impérial, éclairant d’un jour nouveau la période bien connue de la « neutralité italienne » (épilogue), dont la rupture, en mai 1915, procède largement d’un rêve impérial qui paraît brusquement à portée de main pour la minorité interventionniste.
Notes de bas de page
1 ASDMAE, SS, b. 116, Archivio del R. Consolato a Marsiglia, 1859. Invio d'armi a Galatz ; Cuzzi 2013, p. 263-264.
2 Fornaro 1995, p. 131 n. 62.
3 DDI 5.2.457, Sonnino (MAE) à Lori (consul à Valona), Rome, 22 dicembre 1914, et 460, Lori à Sonnino, Valona, 22 décembre 1914.
4 Parmi de nombreux travaux, citons Bucarelli 2006 ; Caccamo – Monzali 2008 ; Clementi 2013 ; Gobetti 2013 ; Rodogno 2002 ; Santoro 2005.
5 Todorova 1997, p. 27.
6 Ibid.
7 Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Europe orientale, qui constitue désormais un champ d’ambitions à part entière pour l’Italie victorieuse, suscite un net engouement intellectuel, qui se traduit notamment par l’édition d’une collection à l’intitulé mazzinien : « Giovine Europa », dont l’un des tout premiers titres est consacré à la Grèce : Kerofilas 1919. Plusieurs nationalités sont ainsi célébrées pour leur participation au Risorgimento : Anzilotti 1920 ; Coppola 1940 ; Vigevano 1924.
8 Pour Angelo Tamborra, premier titulaire d’une chaire d’histoire de l’Europe orientale en Italie (1970), l’espace « danubiano-balkanique » trouverait sa cohérence à travers : a) l’absence d’États-nations capables de procéder au fil du temps à une homogénéisation ethnique, linguistique et religieuse b) la propension, pour cette raison, à imaginer des solutions fédérales capables d’inclure et de dépasser cette pluralité ethno-linguistique, depuis les projets médiévaux d’unions dynastiques jusqu’à l’austro-marxisme. Quoique Tamborra qualifie également cet espace de « plaine orientale » (« piana d’Oriente »), les Balkans auraient pour l’essentiel vocation à faire partie de cet ensemble : Tamborra 1958a, p. 347-376. Sur l’oeuvre d’Angelo Tamborra : Guida 2014.
9 Guida 1984b notamment, et plus récemment D’Alessandri 2007.
10 Sur les enjeux sémantiques du terme Risorgimento, Brice 2016.
11 Liakos 1995.
12 La Grèce est la principale bénéficiaire de la solidarité nationalitaire italienne : Kallivretakis 1987 ; Guida 1985 et 1987 ; Liakos 1993 ; Pécout 2001. Sur le volontariat en faveur des autres nationalités balkaniques (Slaves du sud et Albanais) : De Ambrosis 1967 ; Guida 1981 ; Tamborra 1983b, p. 131-157 ; Terzuolo 1975. Pour une perspective globale, Cecchinato 2007.
13 Sur le concept d’« albanisme », Clayer 2007. Sur la politisation du mouvement arbëresh, Caccamo 2008 ; Clayer 2007, p. 204-209 ; D’Alessandri 2010 et 2013 ; Guida 1981 ; Maserati 1979 ; Tamborra 1980.
14 Grange 1994 ; Sori 1981 ; Tamborra 1974 et 2002 ; Webster 1974.
15 Conte 2018 ; Costantini – Raspadori 2017 ; Ecchia 2018 ; Jesné 2017.
16 Caccamo – Trinchese 2008.
17 Sandonà 1932-1938.
18 Valdevit 1997. Voir également Pupo 2005.
19 Voir, entre autres : Dassovitch 1988-1989 ; Ghisalberti 2001 et 2008 ; Sluga 2001.
20 Cattaruzza 2001, 2003 et 2007 ; Monzali 2004 ; Ivetic 2014, chapitre 6.
21 Riccardi 2018, notamment p. 406 et 416-417.
22 http://www.farnesina.ipzs.it/series/#lista
23 Basciani – D’Alessandri 2010 ; Becherelli 2015 ; Becherelli – Carteny 2013 ; D’Alessandri – Dinu 2014.
24 Rudi 2017 et 2018 ; Sette 2018. On peut y ajouter un travail se concentrant sur les sources militaires : Sciarrone 2015, dans la tradition de Biagini 1981.
25 Adorni 1999 ; Duggan 2000 ; Mori 1973.
26 Ferraioli 2007.
27 Aquarone 1988. Une étude sur la diplomatie italienne au temps du « renversement des alliances » consacre ainsi significativement un espace important aux questions balkaniques : Grassi Orsini 2004. Pour la période précédent l’époque giolittienne, il existe des travaux importants mais isolés, qui caractérisent l’action italienne au moment des plus importantes crises balkaniques de la fin du XIXe siècle : Celozzi Baldelli 2000 ; Guida – Pitassio – Tolomeo 1988.
28 Duce 1983.
29 Dogo 1983 ; Maserati 1981 ; Mazzetti 1973 ; Pastorelli 1961.
30 La littérature sur les « études impériales » étant surabondante, je me borne à citer un ouvrage programmatique : Cooper – Stoler 1997.
31 Grange 1994.
32 Are 1985 ; Monina 2002.
33 Labanca 2014, p. 521 sq. ; Natili 2008.
34 Osterhammel 2010, p. 62.
35 Ibid., p. 65-67.
36 Choate 2008.
37 Massé 2019.
38 DDI 1.1.91, Durando (ministre d’Italie) à Cavour, Constantinople, 8 mai 1861.
39 Frank 2003, p. 42-43 notamment.
40 Duroselle – Renouvin 1964, 2e partie, « L’homme d’État ».
41 Frank 2012b, p. 347-357.
42 Par exemple Grange 1994 ; Milza 1981b et 1985.
43 Vigezzi 1983 ; Chabod 1965.
44 Il faut notamment évoquer les travaux d’Enrico Decleva et Brunello Vigezzi au sein du groupe de recherches « Politica estera e opinione pubblica in Italia » (Université de Milan) : Decleva 1987 ; Vigezzi 1997, ainsi que les précieuses enquêtes prosopographiques sur les diplomates entreprises à la fin des années 1980 : FDN 1986 ; FDN 1987 ; Pilotti 1989.
45 Frank 2012b, p. 357-360.
46 Vernassa 1976.
47 Civile 2000.
48 Eley 1992.
49 Voir notamment les travaux pionniers de Ridolfi 1990.
50 Meltz 2014.
51 Sur l’expertise dans les relations internationales : Jeannesson – Jesné – Schnakenbourg 2018.
52 Il s’agit donc de reprendre la catégorie proposée par Todorova 1997, p. 11, qui envisage surtout les représentations des Balkans.
53 Par sondages dans plusieurs titres reflétant la presse à grand tirage (Corriere della Sera, Illustrazione italiana, La Stampa), régionale (Corriere delle Puglie), élitaire (Nuova Antologia, Rassegna Nazionale). Ce corpus est loin d’être exhaustif et vise à compléter les analyses existantes, qui concernent notamment la presse catholique et socialiste. À l’étude des journaux s’ajoute la consultation d’un grand nombre de monographies consacrées aux Balkans.
54 À l’Archivio storico del ministero degli Affari esteri, j’ai consulté les correspondances des ministres, des secrétaires généraux, des consuls dans divers postes des Balkans, des ambassadeurs et ministres à Constantinople et Durazzo (Durrës), ainsi que les dossiers personnels d’un certain nombre d’agents ; à l’Archivio Centrale dello Stato, équivalent des Archives nationales françaises, les archives de plusieurs personnalités politiques majeures : Ricasoli, Depretis, Cripi, Pisani Dossi et Visconti Venosta ; aux archives de l’état-major, les séries des attachés militaires en poste dans les Balkans ainsi que celles du bureau spécialisé dans les affaires balkaniques et coloniales ; aux archives d’État (équivalent des archives départementales françaises) de Bari et Naples, enfin, les archives de la préfecture chargée de surveiller les circulations trans-adriatiques, celles de la Chambre de commerce pour son rôle dans les échanges économiques avec les Balkans (Bari), et celles de l’Associazione Trento e Trieste (Naples).
55 Le Regio Istituto Orientale de Naples, la Scuola archeologica italiana d’Athènes, la Società Geografica Italiana de Rome.
56 Il s’agit des papiers de l’orientaliste Angelo De Gubernatis, conservés à la bibliothèque nationale centrale de Florence, et surtout de ceux du balkaniste par excellence, Antonio Baldacci, dont la correspondance se trouve à la bibliothèque municipale de l’Archiginnasio de Bologne. Au musée du Risorgimento de cette même ville, j’ai également consulté les papiers du militant socialiste Giuseppe Barbanti Brodano.
57 Capdepuy – Jesné 2012.
58 Stoler 2009.
59 Riccardi 2018, p. 383-385.
60 Dorlhiac – Jesné 2017.
61 Windler 2002.
62 Albarani 2008, p. 9, voit dans les écrits d’exaltation du « primat » italien un véritable genre. Cet ouvrage se consacre aux revendications du primat philosophique, mais d’autres formes existent : celle du « primat mercantile », par exemple : Bossaert 2016, p. 464 sq. Bref, le primat n’est pas le monopole de Gioberti 1946, et nous l’entendrons ici au sens de discours d’exaltation de la nation italienne au nom de l’ancienneté supposée de ses réalisations.
63 Bosworth 1979.
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