Conclusion
p. 263-266
Texte intégral
1Une approche générale de la céramique à paroi fine à partir des typologies ou des catalogues de matériel met en évidence la difficulté à définir ce groupe d’un point de vue technique ainsi qu’à circonscrire sa production et sa diffusion, tant le nombre d’ateliers découverts est important et leur répartition géographique dispersée dans l’ensemble de l’Empire romain. Les premières productions se sont développées entre les dernières fabrications de céramique à vernis noir et les premières productions de sigillée, en Étrurie méridionale et peut-être sur quelques sites côtiers tyrhénniens, dans un territoire qui comprend les cités de Tarquinia, Musarna, Castel d’Asso, Viterbe, Ferento, Tuscania, Norchia, Sovana, Bolsena, Cosa, Populonia, Castiglioncello, Pise et Livourne. La parution, en 1973, du corpus de Cosa, situé dans cette aire géographique, a été fondamentale, puisque son autrice, M.T. Marabini Moevs, y a mis au point une typologie dont elle datait les types entre le deuxième quart du IIe siècle av. J.-C. et le Ier siècle ap. J.-C. Le corpus de Musarna vient compléter cette étude dans la même aire géographique ; il permet de distinguer plus nettement le développement de ces formes dans la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. et offre des précisions sur la distribution de ce groupe céramique dans la région, notamment dans le territoire de Tarquinia où elle est très homogène.
2Riche d’environ 25000 fragments, l’analyse du corpus s’est néanmoins heurtée à plusieurs difficultés. La première a été la quantité de matériel à traiter ; fallait-il faire un tri préalable, choisir des contextes spécifiques ? Une réponse à cette question réside dans la deuxième difficulté du corpus : son homogénéité. Celle-ci a permis d’enregistrer tout le matériel à partir de critères prédéfinis ; cependant, l’homogénéité des techniques, des pâtes et des contextes archéologiques est apparue comme un frein, en nivelant les distinctions, ce qui a semblé limiter les moyens d’analyse. La quantité de matériel et la diversité des contextes archéologiques a toutefois consenti de dépasser ces difficultés, en permettant des analyses comparatives.
3La recherche d’une définition technique a mis en évidence l’hétérogénéité des argiles employées. Trois groupes ont ainsi identifiés à Musarna : le premier est en argile non calcaire, le deuxième en argile indéterminée, voire légèrement calcaire (groupe technique 7), le troisième en argile calcaire. Du début de la production à celui du règne d’Auguste, seules les argiles non calcaires ont été utilisées. Au cours du règne d’Auguste, la même aire de production emploie des argiles légèrement calcaires. Au-delà de cette période, les pâtes calcaires engobées dominent largement le groupe.
4La typologie des formes a conduit à isoler 50 formes, dont 40 destinées à la consommation des liquides (gobelets, bols, tasses, canthares, skyphos, rhyton) et 10 à leur service (cruches, pichets, bouteilles, lagynos, askos, trulla). Les formes restantes sont utilisées pour la conservation (pots, couvercles) ou destinées à recevoir des liquides liés aux soins du corps (aryballes). Les gobelets ovoïdes (3) et à panse sphérique (4), sont sans doute les formes les plus attestées (il n’est pas possible de l’affirmer en raison de la trop grande fragmentation des vases), les plus caractéristiques et les plus constantes à Musarna du début de la production jusqu’à son essoufflement à la fin de l’époque augustéenne. Les autres groupes appartiennent à des phases chronologiques diverses, qu’il n’est pas possible de définir très précisément parce que les contextes archéologiques contiennent une part importante de matériel résiduel et parce que les productions sont constantes techniquement. Elles se transforment alors très lentement.
5Les autres formes du corpus se répartissent en quatre principaux groupes chronologiques datés entre le début de la production et la fin de l’époque augustéenne. À l’intérieur de chacun de ces groupes, il est possible d’identifier au moins une production d’origine locale. Au delà de l’époque augustéenne, l’homogénité disparaît. On retrouve un peu de cohérence dans la production de gobelets à panse trapue (17) au IIe siècle ap. J.-C. Mais le terme de céramique à paroi fine n’est sans doute plus approprié pour ces vases d’origine locale qui sont identiques aux céramiques communes contemporaines et ne forment plus un groupe morphologique à part. Des céramiques à paroi fine, ils gardent la fonction de vase à boire.
6L’ensemble des productions est apparu homogène, non seulement à Musarna, mais également dans les autres centres urbains du territoire de Tarquinia, laissant ainsi supposer l’existence d’un nombre réduit de centres producteurs dominants pour chaque phase. Rien ne permet de savoir si ce groupe d’ateliers est le même pour chaque phase ; ce qui est certain, c’est que le territoire vers lequel il écoule sa marchandise reste le même tout au long de cette période. Au contraire, les lots issus des régions voisines présentent des différences techniques évidentes, mais les mêmes caractéristiques typologiques. Vingt-six formes trouvent ainsi un parallèle dans le lot Cosa, ce qui est considérable puisque ce dernier ne compte qu’environ 500 fragments sélectionnés. Aucune forme d’époque républicaine ou du début de l’Empire attestée à Cosa ne manque à Musarna ; en revanche, plusieurs d’entre elles, datées à partir de l’époque claudienne, y sont absentes. S’il est vrai que les contextes d’époque claudienne ou ceux qui leur sont postérieurs sont mal conservés à Musarna, les quelques exemples disponibles (citerne 424) – qui fournissent des ensembles cohérents – et la présence de sigillée africaine – qui attestent de la documentation céramique pour cette phase - laissent entrevoir une diminution rapide des vases à boire en céramique à paroi fine. Les mêmes observations peuvent être faites pour les corpus, moins riches, de Bolsena et de Véies.
7Ces différences d’un territoire à l’autre sont sensibles dès l’émergence des céramiques à paroi fine, qui apparaissent sous l’impulsion de plusieurs facteurs antagonistes. À Musarna, on observe ainsi un ancrage très fort dans la céramique commune locale prééxistante avec l’augmentation et l’adaptation de formes de vases à boire comme l’olletta, et le gobelet tronconique. À cela s’ajoute une recherche évidente d’un nouveau vocabulaire qui peut puiser sporadiquement des éléments dans des influences lointaines mais contemporaines : comme celles d’origine pergaménienne : bol hellénistique à relief, bol hémisphérique, skyphos, canthare.
8Les données chronologiques de Musarna et celle des parallèles mettent en évidence l’absence de ces céramiques dans la première moitié du IIe siècle av. J.-C. Les formes les plus anciennes semblent être de rares gobelets piriformes (2) ou ovoïdes (3), éventuellement décorés de perles réalisés à la barbotine, et dont la diffusion apparaît encore limitée. Aucun fragment découvert sur les différents sites du territoire de Tarquinia ne peut être à ce jour daté de cette époque ce qui nous invite à considérer la colonie de Cosa et ses abords comme le premier centre de production.
9Les ateliers tarquiniens produisent massivement dans le dernier tiers du IIe siècle av. J.-C., ce qui correspond à l’apparition de la céramique à paroi fine sur de nombreux sites : Bolsena, Jési, Chiusi, Ibiza, Ampurias. Ces derniers deviennent presque immédiatement des centres producteurs. Les productions attestées dans le territoire de Tarquinia semblent avoir peu circulé en dehors, certainement concurrencées par les productions autochtones comme celles de Cosa, Bolsena et peut-être de Véies. Chacune de ces cités semble avoir une aire de diffusion privilégiée qui correspond peut-être à des espaces économiques bien délimités à l’intérieur même de l’Étrurie. Ces espaces peuvent s’être constitués pour des raisons politiques et/ou productives et commerciales. On peut supposer que la production de matières premières agricoles et viticoles ont structuré ces flux. Une recherche dans cette perspective, sur d’autres catégories et classes de matériel contemporaines, toujours en partant du corpus de Musarna, permettrait sans doute d’apporter de nombreux éléments sur ces transformations et ces évolutions de la deuxième moitié du IIe siècle av. à l’époque augustéenne.
10En s’éloignant du territoire de Tarquinia, vers la Vallée du Tibre et au-delà, les différences techniques et typologiques sont plus nettes. Des parallèles étroits sont en revanche attestés le long de la côte tyrrhénienne (Tarquinia, Cosa, Populonia, Castiglioncello, Livourne, Luni), de la côte campanienne (Cumes), à Tarente et le long des côtes ligures et gauloises (Cannes, Madrague de Giens, Entremont, La Ciotat, Marseille), mettant ainsi en évidence la circulation maritime de certains modèles. Ce type de transport est confirmé par les attestations de formes anciennes ou d’ateliers dans les Baléares, le long des côtes de Tarraconaise ou encore en Méditerranée orientale, à Délos.
11Une deuxième vague de diffusion des modèles par voie maritime est manifeste dès le troisième quart du Ier siècle av. J.-C., et jusqu’au début de notre ère (production « des gobelets hauts semi-ouverts »), lorsque les mêmes formes sont retrouvées en Campanie (Naples, Pompéi), dans les Baléares (Ibiza), sur les côtes ibériques (Ampurias, Valence), et attestées tout le long des côtes de la Gaule narbonnaise (Cannes, Fréjus, Olbia de Provence, Marseille, Nîmes, Narbonne). Loin d’être une marchandise, la diffusion du vase à boire romain est un modèle culturel qui s’impose1.
12Leur rapide déclin à Musarna est caractérisé par plusieurs aspects : la disparition des productions d’excellente qualité de l’époque augustéenne (production à pâte crème), les transformations techniques qui en effacent leurs caractéristiques (passage progressif des pâtes non calcaires à des pâtes calcaires, usage des engobes) mais surtout par un appauvrissement drastique du répertoire morphologique presque limité aux gobelets à panse trapue (17). Ce passage au second plan se vérifie par ailleurs à Castel d’Asso, Viterbe et Tarquinia et n’est donc pas lié aux seuls contextes archéologiques de Musarna. Sans savoir où et pourquoi les techniques de production ont été modifiées, ces changements interviennent à l’époque augustéenne, période de profondes transformations marquée dans la production céramique par l’apogée des sigillées arétines.
13De nombreux points de cette étude devraient être encore largement approfondis. Comme déjà évoqué plus haut, il serait nécessaire d’examiner l’évolution parallèle des céramiques communes et des céramiques à vernis noir. En effet, l’émergence des céramiques à paroi fine ne forme pas un ensemble isolé dans l’évolution des céramiques de service et de table de la fin du IIe siècle av. J.-C. D’autres formes sont progressivement introduites : le clibanus et la marmite dans les céramiques de cuisson et les grandes patères en céramique à vernis noir par exemple. Il serait donc nécessaire de relever plus précisément toutes ces transformations, de les délimiter géographiquement. Dans cette perspective il serait également opportun de collecter des échantillons de céramique à paroi fine d’Étrurie méridionale afin de les soumettre à une enquête archéométrique. Cela permettrait d’aborder plus amplement l’organisation des ateliers qui nous est à ce jour totalement inconnue pour cette région de la fin de l’époque républicaine, jusqu’à l’époque augustéenne. Tenter de confronter ces ateliers et leur organisation fournirait des informations précieuses sur les mutations de la production à l’époque impériale.
Notes de bas de page
1 Roth-Rubi 2004.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002