7. L’énigme épistémologique1
p. 231-248
Texte intégral
Et voici (qu’avec Hume) le scepticisme empiriste faisait venir
au jour ce qui se trouvait déjà en germe
dans la méditation cartésienne fondamentale,
à savoir le fait que l’ensemble de la connaissance du monde,
qu’elle soit préscientifique ou scientifique, constitue une effroyable énigme.
E. Husserl (1976).
1Nombreux furent les philosophes (Leibniz, Kant, Carnap…), qui, las de l’état de guerre qui leur paraissait régner en philosophie, crurent possible d’instaurer en ce lieu aussi une « paix perpétuelle ». Certes, nous avons cessé de croire que les sciences puissent elles-mêmes se passer de controverses. Des penseurs tels que Bachelard et Popper nous ont même invités à voir dans la possibilité permanente de la remise en cause et le pluralisme critique des traits essentiels de l’activité scientifique. Mais si les sciences avancent par « rectification des concepts » ou par « élimination de l’erreur », il n’en reste pas moins qu’elles « avancent ». L’élucidation de ce progrès manifeste est d’ailleurs l’une des tâches propres de la philosophie des sciences. Selon le schéma poppérien de l’accroissement des connaissances, un problème appelle une tentative de solution ; si elle résiste à la critique, elle fait émerger de nouveaux problèmes, etc. En ce sens, le scientifique se doit de connaître assez bien la problématique (problem situation), qui n’est jamais constituée des seules données empiriques, mais il n’a que rarement besoin de remonter plus haut et de « reproduire en son esprit », comme disait Collingwood, les démarches de ses ancêtres.
Un savant engagé dans une recherche, dans le domaine de la physique par exemple, peut attaquer son problème immédiatement. Il peut aller tout de suite au cœur du sujet, c’est-à-dire au centre d’une structure organisée […] Le philosophe se trouve dans une situation différente ; il n’est pas confronté à une structure organisée mais plutôt à une sorte d’amoncellement de ruines (qui recouvrent peut-être un trésor enseveli). Il ne peut invoquer un état du problème généralement accepté car le seul fait généralement accepté est qu’il n’y a rien de tel2.
2Cette situation, que l’on peut déplorer ou au contraire accueillir comme une bénédiction, enveloppe au moins trois conséquences dignes d’intérêt : d’abord l’existence d’un lien particulier de la philosophie et de son histoire ; s’il n’est pas clair pour tous que le problème des universaux a été « résolu », il faut bien en revenir à la question telle qu’elle a été formulée par exemple par Scot ou Occam. Le problème que nous nous posons n’est certes plus le même – nous avons des données pertinentes supplémentaires, par exemple en logique, et les conséquences de chaque position ont pu être examinées en détail – mais certaines positions typiques demeurent, car aucune ne l’a vraiment emporté sur les autres. En deuxième lieu, cette situation amène au contraire plus d’un philosophe à tenter d’éliminer par la pensée toutes les théories proposées afin d’être mieux en mesure de revenir au problème lui-même dans toute sa pureté. Toute grande philosophie est en ce sens à la fois ressassement et inauguration, reprise réflexive et table rase. En troisième lieu, il n’est guère raisonnable de s’attendre à ce qu’une proposition de solution d’un problème philosophique puisse faire l’objet, même provisoire, d’un large consensus.
3Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas des ambitions de John Watkins. Il ne s’agit pour lui de rien de moins que de « réussir là où Descartes avait échoué : soumettre notre connaissance du monde extérieur à l’épreuve du scepticisme, puis, grâce au peu d’éléments qui y auront survécu, à expliquer comment la rationalité scientifique est possible3 ». Le classicisme de cette démarche saute aux yeux. La forme des arguments et la technicité des outils employés en revanche nous plongent au coeur de l’épistémologie contemporaine. Le problème de l’induction, toujours au centre des débats, doit à nouveau être formulé, évalué : Watkins, disciple de Popper, ne croit plus que ce dernier l’ait totalement résolu. Il faut se remettre à l’ouvrage, et cela ne peut avoir lieu qu’en « remâchant la viande si commune » du scepticisme. Mais, à la différence de Descartes, d’une part, John Watkins ne se réfère pas au scepticisme antique, mais au scepticisme humien ; et d’autre part, il ne lui attribue pas seulement une fonction heuristique : il en accepte au contraire pleinement le verdict. Mais le « scepticisme quant à la probabilité » (probability scepticism) – qui enveloppe le scepticisme quant à la certitude – doit selon lui être distingué du « scepticisme quant à la rationalité », qui tient que nous n’avons jamais de « bonnes raisons » d’adopter une hypothèse. Or, même si nous ne pouvons montrer que l’expérience permet d’augmenter la probabilité d’une hypothèse, nous pouvons justifier (déductivement) notre préférence pour une hypothèse. L’objectif que se fixe Watkins est de montrer en quel sens la théorie la mieux corroborée est la meilleure théorie.
4Dans son refus de toute concession à l’inductivisme, John Watkins demeure plus proche de Popper qui fut son maître que de Lakatos qui fut son collègue – même s’il n’est pas insensible aux critiques que le collègue avait faites naguère à l’encontre des thèses du maître. Ce n’est pas seulement pour des raisons liées à sa personnalité qu’il est difficile d’être un disciple de Sir Karl : c’est aussi parce qu’être un bon poppérien signifie que l’on n’hésite pas à critiquer son maître, sous peine de ne pas appartenir à la « tradition critique » de Thalès et d’Anaximandre :
Il y a là un phénomène tout à fait singulier : le penseur que critique Anaximandre est son maître, son compatriote, l’un des Sept Sages, celui qui a fondé l’École Ionienne. Anaximandre […] a vraisemblablement formulé ses critiques et exposé ses conceptions nouvelles du vivant de son maître […] Or on ne découvre dans les sources aucune trace de dissension, de querelle ni de schisme […] Je conçois assez mal une forme de rapports entre maître et disciple où le premier se bornerait à tolérer la critique sans en encourager l’expression de manière active. .
CR, p. 228 – c’est moi qui souligne
5Au début de sa contribution au Festschrift publié à l’occasion du soixantième anniversaire de Popper4, John Watkins écrivait : « Le cadeau d’anniversaire que (Popper) aimerait le plus serait une critique sérieuse. Hélas, je n’en ai aucune à produire. » Depuis lors, le disciple s’est émancipé : Science and Scepticism vise à offrir une « approche néopoppérienne de la connaissance, et en particulier de la connaissance scientifique » (p. xi). Mais que veut dire « néo » ? En premier lieu, John Watkins veut débarrasser le falsificationnisme de toute trace d’inductivisme ; par ailleurs la notion problématique de vérisimilitude ne joue plus aucun rôle dans sa théorie ; enfin la théorie de la base empirique est entièrement renouvelée.
Le défi sceptique
6Il y a un paradoxe de la théorie de la connaissance : à l’aube de la science moderne, alors que celle-ci était encore avant tout de l’ordre du projet, les idéaux cognitifs proposés par les philosophes ne laissaient pas d’être optimistes et ambitieux : les rationalistes classiques ne doutaient pas de la possibilité de constituer la Science, d’atteindre la réalité ultime des choses. Or, la théorie newtonienne à peine inventée, les philosophes commencèrent à douter. Comme si plus la science progressait et plus ses capacités prédictives devenaient impressionnantes, plus l’on en venait à mettre en question sa possibilité. En 1739, paraissait le livre i du Traité de Hume. Selon John Watkins, ce livre contient deux thèses qui paraissent mettre en cause la possibilité de la connaissance : l’une est que la raison seule, sans l’aide de l’expérience, ne saurait établir aucun fait – l’existence ne peut être prouvée que par l’expérience – ; l’autre que ni la raison ni l’expérience ne peuvent prouver « que les cas dont nous n’avons pas eu d’expérience ressemblent à ceux que nous avons expérimentés5 ». Si la raison et l’expérience ne peuvent prouver que le Soleil se lèvera demain, il est clair qu’elles ne peuvent prouver que la théorie de Newton, dont l’aspect le plus remarquable est la capacité prédictive, est vraie.
7Comment répondre à Hume ? Non seulement la philosophie ne semble pas à la hauteur de sa fille émancipée, la philosophia naturalis, en ce qu’elle ne peut qu’être jalouse de sa fécondité et de sa rigueur, mais encore elle est incapable de remplir une tâche plus modeste : rendre compte rationnellement du succès de la physique. Or la théorie newtonienne semblait bien satisfaire, aux yeux de ses partisans, les réquisits philosophiques les plus importants définissant ce que doit être une science authentique (ce que John Watkins appelle « l’idéal Bacon-Descartes ») : à savoir que la science doit déboucher sur des explications ultimes qui soient vraies et certaines. Comment expliquer le succès de la théorie newtonienne si on ne peut pas démontrer qu’elle est vraie ?
8Pouvons-nous au moins savoir qu’une théorie a une forte probabilité d’être vraie ? Ou du moins que les données disponibles en sa faveur augmentent sa probabilité d’être vraie ? John Watkins, fidèle en cela à Popper, répond par la négative, en offrant d’ailleurs de nouveaux arguments contre le « probabilisme ». Pouvons-nous au moins savoir qu’une théorie, même si sa probabilité demeure nulle, est plus « proche du vrai » qu’une autre ? La réponse est à nouveau négative. Les irrationalistes, ou du moins les sceptiques ou les relativistes auraient-ils raison ? La science ne serait-elle qu’un ensemble de croyances parmi d’autres ou qu’une technique de domination des phénomènes, sans réelle portée philosophique ? Il faut donc bien répondre au scepticisme humien. Formulons ce dernier plus précisément. Il dérive de trois propositions apparemment plausibles (du moins dans la tradition empiriste) :
- il n’y a pas de vérités synthétiques à priori ;
- toute connaissance doit en dernière analyse dériver de l’expérience perceptive ;
- seules les dérivations déductives sont valides.
9On en déduit que toute proposition qui « va au-delà »6 des données ne saurait constituer une « connaissance authentique ». Nous avons ici affaire à une situation philosophique typique : faut-il accepter la conclusion, tenter de « l’apprivoiser » en lui restituant une certaine plausibilité ou encore abandonner l’une des prémisses7 ? John Watkins distingue deux groupes de stratégies : celles qui nient l’une des prémisses (I) et celles qui tentent d’éviter le scepticisme tout en retenant les trois (II).
10À l’intérieur du groupe I, John Watkins distingue (sans souci d’exhaustivité) quatre stratégies :
11I – a) l’apriorisme (Kant) ;
12b) l’argument transcendantal (Russell, Reichenbach) : « Si la science est possible, un principe d’induction doit être vrai. Or la science existe. Donc ce principe est vrai » ;
13c) le conjecturalisme : il faut nier (2) et accepter que la connaissance est conjecturale et seulement « négativement contrôlée » par l’expérience (Popper, bien sûr) ;
14d) le non-déductivisme ;
15II – a) le probabilisme : retenir (3), mais ajouter que la « logique probabiliste » constitue une extension légitime de la logique déductive : on obtient une « logique de la confirmation » (Keynes, Carnap, Hintikka…) ;
16b) le phénoménalisme (le premier Russell, le premier Carnap) ;
17c) la stratégie « vindicationniste » (Reichenbach, Salmon) ;
18d) le pragmatisme ;
19e) le naturalisme (Hume, Strawson). (Ces stratégies, naturellement, ne sont pas mutuellement exclusives.)
20Les critiques auxquelles l’auteur soumet chacune de ces stratégies philosophiques constituent la première partie de l’ouvrage. Elles sont précises, courtoises et équitables : trop souvent, se plaint John Watkins, les philosophes se contentent de réfuter un « sceptique » construit par leurs soins et qui soutient de telles absurdités qu’il n’est guère difficile de le réfuter. L’auteur accepte plutôt le principe de type platonicien (revendiqué par Popper mais à vrai dire pas toujours respecté par lui) qui préconise de renforcer d’abord son adversaire avant de le critiquer. Ce faisant, il dresse un panorama impressionnant des divers déboires de chacune des tentatives faites depuis deux siècles pour donner un statut au fameux « principe d’induction », supposé nécessaire et suffisant pour résoudre le problème de Hume (on peut considérer un tel principe comme une petitio principii, voire comme un asylum ignorantiae).
21La stratégie probabiliste – que John Watkins distingue du non-déductivisme parce qu’elle entend enrichir la logique déductive en une « logique probabiliste », retient plus particulièrement son attention (chap. 2, 2. 52 et 2. 53). Dans la tradition des critiques poppériennes, Watkins maintient que le probabilisme contemporain (représenté par le système de Hintikka) n’est pas plus couronné de succès que celui de Carnap : il conduit immanquablement à préférer une théorie logiquement plus faible à une théorie plus forte, la première étant plus « probable » que la seconde. Le probabilisme est une méthodologie timorée. Par ailleurs, le réquisit de l’« exhaustivité des données » (total evidence) ne peut être rempli (2. 42) ; enfin, les inférences ne sont pas transitives : ce n’est pas parce que a confirme b et b confirme c que a confirme c (2. 41).
La montée inductive
22Notre savoir n’est pas homogène, et le passage entre les différents niveaux qui le constituent est pour le moins problématique. John Watkins distingue (p. 79) cinq niveaux d’énoncés :
23niveau 0 : les comptes rendus d’expérience « égocentrés » (« Je vois maintenant une tache blanche ») ;
24niveau 1 : les énoncés singuliers décrivant des objects observables (« La lune brille ce soir ») ;
25niveau 2 : les généralisations empiriques portant sur des évènements observables ;
26niveau 3 : les lois empiriques reliant des grandeurs mesurables (loi de Gay-Lussac) ;
27niveau 4 : les théories scientifiques universelles postulant des entités inobservables (la théorie des champs).
28John Watkins montre que chaque « fossé » est inductivement infranchissable et qu’aucun principe d’induction assez fort pour légitimer, par exemple, le passage du niveau 0 au niveau 1 ou du niveau 1 au niveau 2 ne peut à son tour être légitimé. À ce point de son raisonnement, John Watkins traite du problème de la simplicité, concept très fréquemment utilisé pour légitimer l’induction8. Citant Poincaré – mais il eût pu remonter à Leibniz9 – il fait remarquer que l’on n’a pas attendu Goodman pour savoir que toute proposition empirique peut être généralisée d’une infinité de manières. Le problème de Goodman n’est pas tant une « nouvelle énigme » que l’extension du vieux problème de l’interpolation et de l’extrapolation à des prédicats non quantitatifs impliquant quelque discontinuité.
29John Watkins fait d’abord remarquer combien la version ontologique de la thèse de la simplicité est peu convaincante, en citant de nombreux passages de La Science et l’hypothèse où le grand géomètre affirme au contraire que la science avance vers la diversité et la complexité. « C’est comme si le Pape vacillait quant à l’existence de Dieu ». La belle théorie de Jeffrey est ensuite analysée, et John Watkins montre qu’elle mène à des contradictions (p. 115-116)10. La simplicité empirique est analysée en termes de falsifiabilité11, et la simplicité théorique le sera en termes d’unité des théories. Quant à la simplicité ontologique, ou « simplicité de la Nature », elle peut éventuellement avoir une fonction heuristique, mais elle ne doit pas être postulée au sein de notre Idée de la science.
30La science est fondée sur la diversité des points de vue et des théories. Qu’est-ce qui l’unifie ? Avons-nous affaire à un ensemble hétéroclite de tribus incapables de se comprendre, ou à une république unifiée par un objectif commun ? Le projet de l’auteur est de proposer un « but optimal pour la science » (optimal aim for science). En 1934, Popper tenait pour impossible une discussion rationnelle sur les « buts12 ». Par la suite, conformément à son évolution quant à l’« argumentabilité » de la métaphysique, il introduira au contraire l’idée de « but de la science » au centre de son Post-scriptum13. Dans ce texte (1954), il proposait l’idée selon laquelle le but de la science est de « découvrir des explications satisfaisantes de tout ce qui nous paraît devoir être expliqué ». Mais par ailleurs, Popper soutient que le but de la science est la vérité ou encore la vérisimilitude14. La première idée, si on la disjoint de la seconde et si on la rapporte à la théorie poppérienne de la résolution de problèmes, conduit à Laudan, et donc à une forme d’antiréalisme. John Watkins, à propos de Laudan, note simplement : « Dire que la vérité ne fait pas partie intégrante du but de la science équivaut à soutenir que soigner ne fait pas partie du but de la médecine15 » ou que le profit ne fait pas partie des buts du commerce ». Les philosophes diffèrent grandement quant au(x) but(s) de la recherche scientifique : la vérité, la solution des énigmes, la prédiction, la domination de la nature, « sauver les phénomènes »… John Watkins pose la question suivante : existe-il un but qui domine les autres, ou tous les buts sont-ils partiels et incommensurables ? Il faut d’abord se donner la peine d’énoncer des critères auxquels toute théorie des finalités de la science doit se conformer ; un « but de la science » doit (p. 124) :
- être cohérent ;
- être « faisable » ;
- servir de guide dans les choix entre théories rivales ;
- être impartial ;
- envelopper l’idée de vérité.
31Un objectif est incohérent s’il contient deux composants qui demandent d’aller dans des directions opposées, de telle manière que l’on ne peut maximiser16 les deux en même temps. « Faisable » veut dire ici tel qu’il ne soit pas impossible (au moins) de progresser dans sa direction. Nous reviendrons sur le point 3 plus loin. Quant à l’impartialité, on pourrait douter de la justesse de ce réquisit : n’est-ce pas là un leurre positiviste, celui d’une « logique de la science » neutre par rapport à tout enjeu métaphysique ? La théorie de John Watkins elle-même n’est-elle pas orientée vers le réalisme ? Quoi qu’il en soit, l’objectif est clair : ne pas calquer l’épistémologie générale sur une théorie scientifique donnée : « Ne pas commettre l’erreur de Kant, à savoir ériger certaines caractéristiques éminentes d’une théorie dominante à son époque en préconditions pour toute théorie future ».
32La stratégie de John Watkins est alors la suivante : décrire un objectif aussi utopique que possible, celui d’une science « rêvée », puis le soumettre au test des conditions précédentes. Ce test conduira à modifier les spécifications de l’objectif idéal : la composante A se révèlera incompatible avec les composantes B. Puis interviendra le scepticisme humien, qui montrera que la composante A est « infaisable », d’où une reformulation de celle-ci. Le résultat sera le « but optimal de la science ».
33L’idéal utopique, dit de « Bacon-Descartes », est le suivant : nous aimerions que tous les phénomènes puissent être explicables et prédictibles en étant déduits de descriptions exactes des conditions initiales et de principes universels vrais, certains, ultimes, exacts et constituant des théories unifiées (p. 129). Si nous relativisons cet objectif dans une perspective régulatrice, nous dirons que la science doit rechercher des théories explicatives qui soient :
34(A) plus probables (se rapprochant de la certitude) ;
35(B1) plus profondes ;
36(B2) plus unifiées ;
37(B3) ayant des capacités prédictives de plus en plus grandes ;
38(B4) plus exactes.
39Le pôle A constitue le « pôle sécurité » et le pôle B le « pôle profondeur ». La bipolarité de cet idéal de la science le rend incohérent. Cette idée est une généralisation de l’une des plus fameuses thèses de Logik der Forschung : la probabilité et le contenu informatif sont inversement proportionnels. Si l’on veut maintenir le cap sur le pôle (A), il faut le payer d’un renoncement plus ou moins avoué à l’acquisition d’information, de « savoir profond » (non purement phénoménal). John Watkins dresse alors un impressionnant tableau de « la guerre antiprofondeur » dans la philosophie moderne, de Mach à Duhem, de Bridgman au Cercle de Vienne (chap. 4. 3). Mais tous ces sacrifices (la profondeur, l’universalité…) furent vains : pour maintenir l’idéal « sécuritaire », il faut renoncer à toutes les caractéristiques intéressantes de la science moderne, et donc à la science telle que nous la connaissons. Les empiristes n’étaient évidemment pas prêts à payer ce prix, d’où le pathétique de leurs tentatives à certains égards admirables17.
40Que faire ? Car si l’on abandonne (A), le réquisit 5 n’est plus satisfait. Il faut donc maintenir une référence à la vérité tout en renonçant à la certitude (et à son ersatz, la probabilité), choix qui est au cœur du « conjecturalisme ». Faut-il, comme Popper, proposer comme idéal la vérisimilitude ? Hélas, la construction du concept de vérisimilitude se heurte à des difficultés logiques considérables. Dès 1974, plusieurs auteurs, dont le poppérien David Miller, ont réfuté la construction proposée par Popper en 196018. Il faut se rendre à l’évidence : nous ne savons pas véritablement ce que nous disons lorsque nous disons qu’une théorie nous paraît constituer une meilleure approximation de la vérité qu’une autre, à moins qu’elle ne soit vraie19. Par ailleurs, John Watkins pense que la thèse de la vérisimilitude introduit la possibilité d’un progrès inductif illicite (chap. 8. 12) : si, du fait que T1 est mieux corroborée au temps t que T2, C0 (T1) > C0 (T2) (1), je déduis qu’il est probable que (2) : Vs(T1) > Vs (T2) (ce qui constitue un jugement indépendant du temps), je peux prévoir que T1 sera en moyenne mieux corroborée dans l’avenir que T2.
41Induction ! Nous sommes au rouet… Popper tient pourtant que nous ne faisons que conjecturer (2) pour expliquer (1). John Watkins pense que cette conjecture n’est pas fondée. Son argumentation ne paraît pas entièrement conforme à l’esprit du faillibilisme. Comment, demande-t-il, critiquer une (méta) conjecture telle que (2), dès lors qu’une critique reviendrait à justifier positivement sa négation ? Mais il n’est pas sûr que l’on ait rien à justifier, pas plus dans ce cas que dans le cas d’une réfutation empirique. Les estimations de vérisimilitude connaissent simplement – si elles sont possibles – le même sort que les estimations du degré de corroboration, qu’elles visent à expliquer.
42Il n’en reste pas moins qu’utiliser sans précautions l’idée de vérisimilitude demeure un exercice périlleux, tant que nous ne disposons pas d’un concept cohérent.
43Faut-il dire (David Miller) que nous recherchons la vérité, un point c’est tout ? Nous aurons du mal à rendre compte dans ces conditions de « jugements réfléchis » du genre : « Ce modèle est approximatif (donc faux), mais il constitue une meilleure approximation de la vérité que celui-là » (cf. Copernic et Ptolémée. Et celui de Tycho ?). Mais le problème n’est pas là, puisque nous voulons seulement proposer un système de fins pour la science. Selon John Watkins, la simple Idée de Vérité ne suffit pas, car elle ne permet pas de guider nos choix (réquisit [3]). La « recherche de la vérité » ne serait pas un objectif suffisamment régulateur.
44En conséquence, John Watkins propose d’abandonner l’idéal de vérité au profit de la vérité possible. T est « une vérité possible » pour X si X, malgré ses tentatives pour ce faire, n’a pu encore découvrir d’incompatibilités entre T et l’expérience (ni d’incohérences dans T). John Watkins considère cet idéal comme « le plus fort possible », dès lors que l’on a abandonné l’idéal de certitude. Après « certainement vrai » et « probablement vrai », il vient naturellement « possiblement vrai » (si l’on autorise cette traduction de « possibly true »). Il semble que l’on pourrait affirmer aussi bien que « probable » n’étant pas un affaiblissement de « vrai » mais de « certain », il ne s’agit pas seulement de dire que nous devons affaiblir encore l’idéal probabiliste au profit d’un idéal « possibiliste », mais de considérer qu’il faut choisir entre la probabilité et la vérité (dans le sens de l’augmentation du contenu informatif : une prédiction vague est, compte tenu des données, plus probable (= probablement vraie) qu’une prédiction précise, mais, à supposer qu’elles soient toutes les deux vraies, elle contient moins de vérité(s) que la seconde). Car enfin, une hypothèse, selon la définition de l’auteur, est « possiblement vraie » si et seulement si elle est corroborée. Mais la corroboration n’est qu’un moyen en vue d’une fin : nous ne cherchons pas seulement des hypothèses corroborées, mais des hypothèses vraies, et pour cela nous les testons ; celles qui résistent à la critique sont retenues, parce qu’effectivement elles peuvent être vraies. Il semble bien que John Watkins hésite à éliminer la vérité en tant qu’objectif (« Science aspires after truth »). L’élimination critique de l’erreur est un moyen, le seul dont nous disposions, pour arriver au vrai. Ce n’est peut-être pas pour autant notre objectif, l’Idée qui nous guide.
45Ayant réduit l’idéal scientifique à la recherche de théories corroborées, il n’est guère difficile alors de montrer que les théories corroborées sont « les meilleures » (et qu’elles doivent en conséquence être préférées), au motif qu’elles remplissent le mieux l’idéal de la science. Cette réussite n’est-elle pas trop facile ? Ne vaudrait-il pas mieux maintenir (comme David Miller) l’idéal de vérité dans toute son austérité et sa grandeur en supposant que ce qui nous sert de guide vers cet idéal est précisément la corroboration ? La différence est que John Watkins veut pouvoir dire que nous avons la possibilité de prouver qu’une théorie T est celle qui satisfait le mieux l’idéal de la science au temps t. Faut-il vraiment chercher à le prouver ? Ne suffit-il pas de le « conjecturer audacieusement », quitte à prendre le risque d’être réfuté ? John Watkins ne se satisfait pas de telles incertitudes. En un mot, suivant sur ce point les leçons de l’un des critiques inductivistes les plus fameux de Popper, à savoir W. Salmon, il ne croit pas que l’on puisse faire l’économie de toute justification positive. Ne voulant d’induction à aucun prix, il veut pouvoir déduire de l’état de la discussion qu’une théorie est à un moment donné la meilleure, et que par conséquent nous sommes justifiés à la préférer. Enfin, l’idéal ainsi défini permet de dire, par exemple, que Copernic, Galilée, Descartes, etc. sont parvenus à réaliser « l’objectif optimal » de la science, même si nous pouvons reconnaître que leurs hypothèses sont, en toute rigueur, fausses. La vérisimilitude le permettait aussi, alors que la position de Miller semble conduire à devoir affirmer qu’ils n’ont pas atteint l’objectif ; et si toutes les théories fausses « se valent » dans leur rapport à la vérité, on ne peut pas « rater » cet objectif « de peu » (et l’on ne peut jamais savoir si on l’a atteint : on ne peut que l’espérer). Cette position « janséniste » ne manque pas d’allure mais elle peut laisser perplexes ceux qui s’accordent avec Popper pour penser que le progrès épistémique de la science est une évidence qui ne relève pas du tout ou rien.
Unité et profondeur
46La partie la plus originale de l’ouvrage est peut-être le chapitre 5 (« The Optimum Aim elucidated »), où John Watkins apporte des contributions techniques importantes à la résolution de problèmes cruciaux. Tout d’abord, grâce au concept de « contreparties non congruentes », il parvient à généraliser le critère poppérien de comparaison des contenus par la relation d’inclusion des classes de falsificateurs potentiels, qui ne vaut évidemment que si l’une des classes inclut l’autre (LDS, p. 33 et 34). L’appel fait par Popper à la théorie de la dimension (id., p. 38 et Appendice i) produit un résultat non désiré lorsque deux théories sont en relation de correspondance (au sens de Bohr), relation que Popper lui-même a mise au centre de sa théorie du progrès. Les arguments de David Miller ont dans les années 1970 jeté le doute sur toute possibilité de comparaison entre contenus disjoints. John Watkins s’attache à produire une théorie répondant aux objections millériennes. Cette théorie permet de donner un sens au réquisit B3. La notion de profondeur est ensuite élucidée en termes de contenus, au moyen d’une distinction cruciale entre le « cœur théorique » (cf. la notion de « hard core ») et les hypothèses auxiliaires d’une théorie. Popper doutait de la possibilité d’analyser logiquement la notion pour lui indispensable de profondeur. John Watkins relève le défi et son analyse paraît constituer un progrès de clarification non négligeable et permettre la « réhabilitation » d’un concept suspecté.
47De même, il est clair qu’un idéal de la science ne serait pas complet s’il ne prenait pas en compte une certaine idée de l’unité des théories (cf. le programme d’Einstein ou les efforts actuels d’unification des interactions). Cette partie de l’ouvrage est singulièrement importante. L’auteur tente, en effet, de donner un sens rigoureux à l’idée de théorie unifiée20, et les contraintes qu’il propose sont très fécondes en conséquences.
48À quelles conditions un système d’axiomes constitue-t-il une théorie scientifique ? (Pour paraphraser Leibniz, on pourrait dire qu’une théorie scientifique est une théorie scientifique.) John Watkins propose un critère simple et intuitivement satisfaisant : puisque toute conjonction a un contenu logique (au sens de Tarski) plus grand que l’union des contenus de chacun de ses éléments, il convient d’exiger que le tout ait plus de conséquences empiriques singulières que la somme des contenus testables de ses composants. Il y a bien « organicité » : le tout est « plus grand », plus fécond que la somme des parties (« principe de fécondité organique ») :
49ct (t) > ct (T’) ∪ ct (t”)
50(en supposant que CT = contenu testable, et que T ↔ T’ ∧ T”). La synergie des axiomes doit être positive, et ce quelle que soit la manière dont on partitionne le système d’axiomes. Ainsi la conjonction de la dynamique newtonienne et de la théorie de l’intérêt de Böhm-Bawerk ne constitue pas une théorie authentique. Un axiome seul peut bien entendu être non testable, « métaphysique », mais si en conjonction avec d’autres il permet de prédire de nouvelles conséquences empiriques, alors son adjonction est légitime. Mais si, à la fois, CT (T”) = ∅, T ↔T’ ∧ T” et CT (T) = CT (T’), alors T” est « un fragment de métaphysique improductive » (idle).
51Encore faut-il s’assurer qu’il ne soit pas possible d’axiomatiser une théorie de telle manière qu’elle puisse toujours être conforme au principe de fécondité. Une axiomatisation « naturelle » doit, selon John Watkins, satisfaire à cinq règles, dont la pertinence paraît devoir solliciter l’attention des logiciens. Le réquisit 4 vient de l’école polonaise (Wajsberg)21 et stipule que l’on n’autorise pas qu’un axiome contienne un composant (propre) qui soit un théorème du système, ou « le devienne lorsque ses variables sont liées par les quantificateurs qui les lient dans l’axiome ». Un corollaire de cette règle élimine la possibilité d’une stratégie empiriste qui ne manquait pas d’allure : la « ramseyification ».
52Cette stratégie apparemment laborieuse permet, selon l’auteur, d’éliminer un certain nombre de paradoxes ou de « puzzles » bien connus, en particulier le célébrissime « paradoxe de Goodman » : les théories « goodmaniennes » (« gruesques ») ne seraient pas des théories au sens de Watkins.
Faut-il une base solide ?
53Rappelons que la théorie poppérienne de la « base empirique » (le terme, ironique, est de Popper) a paru s’imposer (par exemple aux yeux de Carnap) comme une solution satisfaisante mettant un terme au fameux débat qui agitait le Cercle de Vienne concernant le statut des « énoncés protocolaires » (Neurath versus Schlick). Cette théorie vise à résoudre ce que Popper appelle le « trilemme de Fries » (LDS, chap. 5) : si l’on cherche à justifier notre savoir, on ne peut le faire qu’en acceptant le dogmatisme, la régression à l’infini ou le psychologisme22. La solution poppérienne revient à accepter une version inoffensive de chacune des branches du trilemme : on s’arrête effectivement de tester à un certain moment, mais rien n’empêche que l’on continue à tester : cette « chaîne de déductions » est potentiellement infinie23, mais simplement parce qu’elle est ouverte ; enfin un certain rôle est accordé aux états mentaux des chercheurs dans l’acceptation des énoncés de base (eux-mêmes transcendant l’observation), mais ce rôle est de type causal et non de type logique : « Des expériences peuvent motiver une décision et par là l’acceptation ou le rejet d’un énoncé, mais elles ne peuvent pas justifier un énoncé de base, pas plus que ne peut le faire un coup de poing sur la table24. » Popper, en d’autres termes, se passe des énoncés de niveau 0 au sens de Watkins, lesquels ne peuvent être testés intersubjectivement. Les énoncés-tests doivent être publics et impersonnels : les « particuliers égocentriques » n’interviennent pas dans le langage scientifique.
54Selon John Watkins, une telle conception rend les tests impossibles ou arbitraires. Comment tester un énoncé de base controversé ? En dérivant à partir de lui d’autres énoncés plus facilement testables. Mais cela conduit à d’autres énoncés-tests eux-mêmes discutables, etc. Il faut s’arrêter. John Watkins propose l’idée qu’à ce niveau les expériences sensibles (ou plutôt les énoncés de niveau 0, ce qui est différent) jouent le rôle de point d’arrêt, et ce du fait de leur certitude (au sens cartésien)25. Les énoncés-tests ne sont ni déduits ni induits des énoncés perceptifs, mais ils jouent un rôle vital dans leur explication. En temps normal, nous ne distinguons pas notre perception de ce qui est perçu, mais il nous arrive de le faire en cas de surprise ; alors nous opérons consciemment en termes d’hypothèses transcendantes visant à expliquer notre vécu : je vois un point brillant évoluer dans le ciel ; est-ce une étoile filante, un satellite ? Un malin génie pourrait me faire croire plus généralement qu’il y a des étoiles alors qu’il n’y en a pas, mais il ne pourrait pas me faire croire que je vois des taches brillantes alors que je ne les vois pas…
55Ce faisant, John Watkins réintroduit dans l’épistémologie poppérienne un élément infaillibiliste et psychologique dont Popper avait cherché à se passer. En un sens, il reproche à ce dernier d’avoir été trop loin dans l’antipsychologisme (et l’antiempirisme). Popper voulait se passer du Sujet. John Watkins lui donne un rôle modeste, mais indispensable.
L’action rationnelle
56L’Épilogue du livre aurait pu en constituer un véritable chapitre. Il contient en effet la réponse de l’auteur à ce que Popper appelle le « problème pragmatique de l’induction », qui n’est autre que celui de l’action rationnelle.
57John Watkins, influencé par Lakatos et surtout par Salmon, affirme que Popper a sur ce point totalement échoué, et que sa réponse n’a convaincu presque aucun philosophe. Ce dont on a besoin lorsque l’on agit, ce n’est ni la profondeur, ni l’unité, mais la fiabilité. Ayant considéré que d’une hypothèse on peut prétendre seulement qu’elle est « possiblement vraie », et non qu’elle est vraie, John Watkins doit expliquer pourquoi il est rationnel de la prendre en considération.
58Il me semble qu’un rationaliste critique peut bien proposer une hypothèse, et donc l’affirmer : dès qu’il s’agit d’expliquer un phénomène – et la structure de l’explication est la même que celle de la prédiction –, il faut affirmer les théories formant l’explanans : or l’assertion d’une proposition est équivalente à l’assertion (métalinguistique) que cette proposition est vraie (Tarski). Ces assertions sont bien sûr conjecturales et peuvent être critiquées exactement par la même procédure que celle qui permet de critiquer les hypothèses en question. Un faillibiliste peut être extrêmement affirmatif, quitte même à apparaître comme dogmatique à ceux qui confondent esprit critique et pusillanimité théorique.
59John Watkins quant à lui cherche à résoudre le problème en justifiant le principe selon lequel les actions qui sont guidées par des hypothèses bien corroborées ont la meilleure chance d’être couronnées de succès. Ce principe est lui-même justifié par l’appel à deux thèses : d’abord que dans le passé cela a été le cas (« Hume n’aurait rien objecté à cela »), ensuite que ce principe est plus faible quant à ce qu’il requiert de l’avenir (à savoir, aucun changement) que ses rivaux (par exemple le principe selon lequel il vaut mieux agir en tirant au sort les projets). Ces deux thèses ne sont rien moins qu’évidentes, mais elles permettent à l’auteur de déduire (justifier) son principe de rationalité, à supposer que l’on accepte l’idée selon laquelle, en situation d’incertitude, il est rationnel, toutes choses égales par ailleurs, de choisir le cours d’action qui présuppose la prédiction la plus faible quant au futur. Autrement dit, la recherche du contenu, souhaitable en théorie, ne l’est pas en pratique.
Le problème de l’induction a paru insoluble parce que nous ne pouvons, sans circularité, faire aucun usage inductif de nos affirmations concernant le passé ; d’où l’on a généralement conclu que nous ne pouvions faire aucun usage d’elles. Le principe de la présente solution est d’en faire un usage non inductif26.
Conclusion
60Science and Scepticism est un ouvrage important. La hauteur des problèmes abordés, la clarté du style et l’ampleur des développements critiques en font certainement un des livres d’épistémologie les plus remarquables de la décennie. La sérénité avec laquelle l’auteur aborde des problèmes redoutables est exemplaire. Pas de faux semblant, pas de technicités inutiles ni de paradoxes faciles propres à « épater le bourgeois ». Quant au fond, la question pourrait être ramenée à celle-ci : peut-on combattre le scepticisme à partir d’une position radicalement faillibiliste ? Descartes ne le pensait pas : « Celui-là philosopherait fort mal qui n’aurait point d’autres fondements en sa philosophie que des choses qu’il reconnaîtrait pouvoir être fausses. Mais, que répondra-t-il aux sceptiques, qui vont au-delà de toutes les limites de douter ? Comment les réfutera-t-il ? Sans doute qu’il les mettra au nombre des désespérés et des incurables. Cela est fort bien ; mais cependant en quel rang pensez-vous que ces gens-là le mettront ?27 » Peut-on, comme Popper, soutenir les deux thèses suivantes :
- seules les inférences déductives (qui préservent la vérité) sont légitimes ;
- on peut se passer de prémisses certaines et ne rien chercher à justifier ?
61Il me semble que John Watkins en est venu à douter de (2) pour mieux défendre (1). Quoi qu’il en soit, le débat Popper-Watkins, autant que je puisse en juger, n’a pas fini de solliciter notre goût de la vérité (« tout court », simpliciter).
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Tiré de L’Âge de la science, 2, (Épistémologie), sous la direction de Pierre Jacob, Paris, Odile Jacob, 1989 (à propos de Science and Scepticism, de John Watkins, Princeton, Princeton University Press, 1984).
2 K. Popper, Préface à la première édition de Logik der Forschung en 1934.
3 J. Watkins, Science and Scepticism, Préface, p. xi.
4 In M. Bunge (éd.), The Critical Approach.
5 D. Hume, Traité de la nature humaine, vol. i, p. 164.
6 L’interprétation de ce qui « va au-delà des données » est au centre de la polémique entre Popper et Miller et leurs critiques, depuis la parution de l’article des deux premiers (1983).
7 Sur la logique de ce type de combinatoire des réponses possibles face à une conclusion paradoxale déduite de prémisses plausibles, cf. J. Vuillemin, Nécessité et Contingence, p. 61, à propos de l’argument dominateur.
8 Cf. par exemple A. Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme, p. 187.
9 Cf. Leibniz, Discours de métaphysique, art. 6.
10 Cf. K. Popper, La Logique de la découverte scientifique, chap. viii.
11 Id.
12 Id., p. 34. La traduction donne « propos » pour « purposes »…
13 Cf. K. Popper, « The aim of science » (1957), in Objective Knowledge, chap. 5, et Realism and the Aim of Science, chap. 15.
14 Cf. K. Popper, Objective Knowledge, chap. 9, p. 319 et p. 334-335.
15 Affirmation que n’ont pas hésité à formuler certains psychanalystes (montrant par là combien peu ils étaient aristotéliciens).
16 Cf. J. Elster, Leibniz et la formation de l’esprit du capitalisme, chap. 5.
17 Cf. le chapitre 3. 22 sur I’Aufbau de Carnap.
18 Cf. K. Popper, Objective Knowledge, Appendice 2, p. 367-374, et D. Miller, « Truth, truthlikeness, approximate truth », in Fundamenta Scientiae.
19 L’idée de modèle approximatif est en particulier indispensable en sciences sociales (cf. K. Popper, Conjectures et Réfutations, chap. 10, p. 348).
20 Cf. les articles de J. Watkins et É. Zahar dans le Cahier du CREA, 15 (Méthodologie de la science empirique), éd. Alain Boyer.
21 Cf. K. Popper, Conjectures et Réfutations, chap. 10, n. 29, où il est fait allusion à « l’organicité au sens de l’école de Varsovie ».
22 Cf. déjà Aristote, Seconds Analytiques, i, 3 ; H. Albert, La Sociologie critique en question, chap. 2, A ; W. Bartley, The Retreat to Commitment, Appendice 3.
23 On pourrait la rapprocher de la synthèse progressive in consequentia au sens de la Dialectique transcendantale.
24 LDS, 29, p. 105.
25 Cf. aussi la théorie « phénoménologique » de la base empirique proposée par Élie Zahar dans « The Popper-Lakatos controversy », in Fundamenta Scientiae. Husserl, comme Kant, Russell et Popper, prenait au sérieux le défi humien. La solution du problème de la « justification des jugements d’expérience généraux » qu’il donne dans l’Appendice ii d’Expérience et jugement n’en est que plus décevante.
26 Préface à l’édition chinoise de Science and Scepticism. Dans ce texte, John Watkins répond aux critiques apportées par David Miller à ses thèses.
27 Réponses aux Septièmes Objections, in Œuvres, ii, p. 1059.
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