4. Le problème de Duhem1
p. 174-197
Texte intégral
1En dehors des problèmes de l’induction (comment l’apprentissage par l’expérience est-il possible ?) et de la démarcation (que doit-on exiger d’une théorie pour que l’on puisse la considérer comme scientifique ?), le problème de Duhem (quelle partie de la théorie est mise en cause par une réfutation empirique ?) est à n’en pas douter l’un des loci classici de l’épistémologie des sciences empiriques contemporaines, dite « anglo-saxonne » (ou peut-être austro-saxonne). Sa clarification est cependant due au physicien et historien des sciences français Pierre Duhem (1861-1916). Mais il est vrai que l’importance n’en a été évidente pour tous qu’à la suite d’un fameux article du logicien américain W. Quine2, à qui l’on attribue généralement la célèbre « thèse Duhem-Quine », terme qui n’est pas sans introduire quelque confusion. Je tenterai pour cette dernière raison d’exposer le problème en suivant tout d’abord de près le texte même de Duhem, écrit dans une langue qui est un modèle de clarté et de densité.
2À la différence de Quine, qui n’introduit aucune discontinuité dans notre savoir, Duhem, plus rationaliste qu’empiriste, précise dès l’abord que sa thèse ne vaut que pour la théorie physique3. Il reconnaît qu’en physiologie, par exemple, la situation semble de fait aussi simple que le disait Claude Bernard dans l’lntroduction à la médecine expérimentale (1865). L’unique principe qui doit guider l’expérimentation est en l’occurrence de « douter, fuir les idées fixes et garder toujours sa liberté d’esprit ». Le philosophe anglais Bacon avait déjà, à l’aube de la science moderne, mis en garde les scientifiques contre la tendance à croire excessivement dans leurs propres théories : ce préjugé peut conduire à tricher avec l’observation, à l’interpréter au-delà de ce qu’elle recèle, à ne chercher que des confirmations, et à négliger les faits qui ne « cadrent » pas avec la théorie. Le remède baconien consiste à effacer son opinion aussi bien que celles des autres, et à les soumettre identiquement au verdict de l’expérience. Comme le fait remarquer Duhem, la méthode est alors réductible à une éthique de l’esprit scientifique : soyez honnêtes ! Mais cela présuppose deux thèses : 1) il est possible de « laisser à la porte du laboratoire la théorie que l’on veut éprouver »4 ; 2) une réfutation empirique est rédhibitoire. Ces deux thèses définissent assez bien le « falsificationisme dogmatique » selon Lakatos5, dont ce dernier remarque heureusement qu’il constitue l’une des cibles principales à la fois de Duhem et de Popper, contrairement à ce que des lecteurs pressés prétendent avoir lu dans la Logique de la découverte scientifïque.
3Selon Duhem, il est impossible en physique de dissocier les théories d’avec les procédés expérimentaux propres à les contrôler. Le « cercle » n’est donc pas propre aux sciences humaines (« herméneutiques »). Comme plus tard Bachelard, Popper et Quine, Duhem refuse d’effectuer une distinction tranchée entre faits et théories. Le physiologiste à vrai dire utilise lui aussi des instruments (optiques, etc.) dont l’usage présuppose la validité de certaines théories. Mais ce sont alors des théories appartenant à la physique, et que le physiologiste considère comme allant de soi. Dans les termes de Popper, elles appartiennent à la « connaissance d’arrière-plan » (Background Knowledge), considérée comme non problématique par le chercheur pendant qu’il teste une hypothèse touchant à un problème particulier : il n’y a de mise en question que sélective. Le physicien teste quant à lui des hypothèses physiques, alors même qu’il utilise des hypothèses également physiques pour son expérience : il utilise (implicitement) l’optique géométrique pour étudier la lumière.
4Duhem va distinguer alors deux types d’expérimentations. Dans le premier cas (« expériences d’application »), le chercheur se contente de tirer parti des théories pour résoudre un problème pratique, par exemple « allumer une lampe électrique à incandescence ». Il s’agit alors d’une pratique quasi routinière, au sens de Kuhn6, qui ne pose pas de problème logique particulier. Ce type d’expérience n’est absolument pas négligeable7 mais ne conduit pas en général, selon Duhem comme selon Popper, à la découverte de nouveautés théoriques susceptibles de faire progresser sensiblement la science8.
5Dans le cas des « expériences d’épreuve » (les « tests » des anglo-saxons), une hypothèse est testée par le chercheur afin d’éprouver sa capacité à résoudre un problème. Si l’hypothèse conduit à une prédiction qui s’avère contraire aux résultats de l’expérience, l’hypothèse est réfutée. Dans les termes du modèle déductif dit de « Popper-Hempel », nous pouvons écrire :

6(« H » désignant l’hypothèse et « c » les conditions initiales). Ou, plus simplement :

7ce qui est l’énoncé d’une règle logique banale, le modus tollens, à ne pas confondre avec le paralogisme de « l’affirmation du conséquent », par lequel on se croit autorisé à conclure de la vérité d’une conséquence à la vérité de la théorie :

8Une théorie fausse a des conséquences vraies : banalité logique de base9.
9Cette procédure, fondée sur une inférence déductive inattaquable, « semble aussi irréfutable que la réduction à l’absurde usuelle aux géomètres, la contradiction expérimentale jouant dans un cas le rôle que la contradiction logique joue dans l’autre10 ». La démonstration par l’absurde, couramment utilisée depuis au moins Euclide (inexistence d’un plus grand nombre premier, etc.), et remise en cause par les « intuitionnistes » en mathématique, consiste à supposer l’hypothèse non non H vraie, à en déduire une contradiction, voire H elle-même, et à conclure alors à la vérité de H :
10 Ⱶ ( H → pp) → H
11voire
12Ⱶ ( H → H) → H
13 (consequentia mirabilis)
14Duhem pointe ici un des éléments les plus importants de la tradition scientifique occidentale : la fascination exercée par le modèle axiomatique euclidien, aussi bien chez Newton que chez Spinoza, et dont on trouve en un sens la première critique, en ce qui concerne la philosophie, chez Kant.
15Or ce que dégage Duhem, à partir d’une nouvelle banalité logique, c’est l’impossibilité de plaquer le modèle de la démonstration par l’absurde sur le cas des théories empiriques : « si le phénomène ne se produit pas, c’est tout l’échafaudage théorique dont le physicien a fait usage qui est mis en défaut ». Nous savons qu’il existe au moins une erreur, puisqu’une contradiction est apparue, mais où réside-t-elle ? L’expérience est essentiellement ambiguë.
16La trivialité logique est l’inférence valide suivante :

17Loi de De Morgan p v q Soit : l’un des deux au moins est faux
18Il est certain que si la prédiction r est réfutée, il y a au moins une erreur dans le système des prémisses. Mais dans quelle(s) prémisse(s) devons-nous la situer ? La logique ne permet pas de répondre.
Le physicien déclare-t-il que cette erreur est précisément contenue dans la proposition qu’il voulait réfuter et non ailleurs ? C’est qu’il admet implicitement l’exactitude de toutes les autres dont il a fait usage : tant vaut cette confiance, tant vaut sa conclusion11.
19Si Duhem veut dire que ce physicien, pour être logique, doit présupposer – au sens russellien (condition nécessaire) – la vérité de q, il en dit trop, car on n’a pas :
20* ( (pq) → p) Ⱶ q
21Il se peut que le physicien ait raison de mettre en cause p, alors même que q est également faux. Ce qui est vrai, c’est qu’il doit au moins supposer que si q est faux, alors p l’est à fortiori :
22Ⱶ ( (pq) → p) ⃡ (p → pq)
23⃡ (p → q) ⃡ (q → p)
24Il pourra ainsi légitimement mettre en cause q si p implique q, quelle que soit la valeur de vérité de q.
25Ce que veut dire Duhem est en fait que :
26q Ⱶ ( (pq) → p)
27soit :
28Ⱶ q → (p → q) Verum ad quodlibet sequitur
29Autrement dit :

30ou : Ⱶ (pq) → (q → p)
31Le physicien présuppose en général q, au sens où il l’admet comme prémisse. Dans ce cas, le problème de Duhem ne se pose pas. Il se pose dès que l’on s’aperçoit qu’il serait possible également de supposer p vrai :

32soit : Ⱶ (pq) → (p → q)
33On notera que l’élimination des prémisses non suspectes sauf une permettrait ainsi de s’en sortir, mais que cette élimination semble tout aussi utopique que la vérification d’une hypothèse par élimination de ses concurrentes (induction par élimination : cf. Mill et la critique de Nicod), des lors que le nombre des hypothèses est grand, voire impossible à déterminer précisément, et que beaucoup d’entre elles ne peuvent être totalement innocentées (vérifiées)12. Il n’en demeure pas moins une asymétrie entre la réfutation et la vérification, car on n’a même pas :

34Forme de sophisme par l’affirmation du conséquent
35En bref, le physicien qui met en cause p n’est logiquement pas plus justifié à le faire que celui qui rejette q ou même p et q. La cible de la « flèche de la réfutation » est indéterminée. Dans ce type de situation, qui révèle combien la procédure de recherche scientifique est loin d’être certaine et infaillible, trois positions au moins semblent possibles :
- supposer que la logique « classique » est insuffisante et tenter de lui substituer une logique différente ;
- déclarer la procédure réelle illogique et irrationnelle ;
- maintenir la nécessité de maximiser les contraintes logiques, mais laisser la place à une procédure d’essais et erreurs, qui, sans être algorithmisable, ne laisse pas d’être la plus rationnelle possible en l’absence de réponse non ambiguë du fait des seules contraintes logiques.
36Il semble que la position de Duhem oscille en ce qui concerne notre problème entre deux et trois, en tendant le plus souvent vers trois13.
37L’exemple que prend alors Duhem ressortit à l’optique physique, domaine qui a vu depuis le xviie siècle s’affronter deux « courants » opposés, mais non étanchément séparés, le courant continuiste-ondulatoire (Huygens) et le courant corpusculariste discontinuiste (Newton)14. Arago avait pu déduire du « système de l’émission » la prédiction selon laquelle la lumière marche plus vite dans l’eau que dans l’air. Or cela fut réfuté par Foucault et Fizeau (1849). Mais c’est bien le « système entier » qui est alors infirmé. Notons que Duhem ne remet pas en cause l’existence de réfutations, mais la possibilité d’une réfutation concluante d’une hypothèse isolée. « Il serait téméraire de croire, comme Arago, que l’erreur provient de l’hypothèse même de l’émission : il eût été possible d’effectuer à l’intérieur du système corpusculariste des réajustements tels qu’il s’accordât de nouveau avec l’expérience ».
38Galilée lui-même avait eu tort de supposer, ou de feindre croire, que la réfutation quasi certaine du système géocentrique de Ptolémée condamnait toute hypothèse géocentrique et prouvait par ailleurs le système héliocentrique de Copernic. D’une part, les deux théories sont à strictement parler des contraires et non des contradictoires : elles ne peuvent être vraies en même temps (dans une optique non instrumentaliste), mais elles peuvent être toutes les deux fausses15. Un réajustement adéquat du système géocentrique (par exemple sous la forme du système de Tycho Braché) aurait pu convenir, et ne pas être réfuté par les phases de Vénus16.
39Deux principes, mis en évidence par Popper et Quine, sont ici implicites : tout peut être mis en cause, et par là même tout peut être sauvé, pour peu que l’on s’en donne les moyens17. Duhem conclut alors à l’impossibilité de I’experimentatum crucis, chère à Bacon, du moins en physique. Cette procédure a pu être considérée comme assimilable à la reductio ad absurdum, grâce à l’induction par élimination (John Stuart Mill) : énumérons toutes les hypothèses possibles – dans le cas idéal elles seront au nombre de deux –, réfutons-les toutes, sauf une : « elle cessera alors d’être une hypothèse pour devenir une certitude »18.
40Or, si l’expérience décide – dès lors qu’elle a été reconnue comme décrivant un effet reproductible19 et non ambigu –, c’est entre deux systèmes complets, conjonctions complexes de propositions de niveaux différents. Le physicien ne peut jamais être certain d’avoir épuisé toutes les suppositions imaginables : « la lumière peut être une rafale de projectiles, elle peut être un mouvement vibratoire dont un milieu élastique propage les ondes : lui est-il interdit d’être quoi que ce soit d’autre ? »
41Ici réside en fait une différence fondamentale entre l’inductivisme (même « sophistiqué »)20 et le réfutationnisme (même « naïf ») : l’inductivisme éliminationiste21 suppose que l’on puisse épuiser ou réduire autant que l’on veut l’ensemble des hypothèses susceptibles d’êtres vraies22. Mais pour toute hypothèse H (toutes les émeraudes sont vertes) compatible avec nos observations Oi, je peux concevoir une hypothèse H’ (toutes les émeraudes sont « vreues », c’est-à-dire soit observées avant l’an 2000 et vertes, soit bleues) telle que les Oi semblent confirmer autant H’ que H.
42 Ce « paradoxe de Goodman23 » est une illustration frappante, quoiqu’un peu artificielle, de l’idée selon laquelle l’expérience « sous-détermine » les théories, comme dit Quine, à tel point qu’il est toujours possible de construire une hypothèse concurrente de celle qui demeure après la réfutation des autres, et qui soit néanmoins compatible avec les résultats observés. La logique ne restreint pas suffisamment l’ensemble des hypothèses possibles : l’expérience non plus. Faut-il se donner d’autres moyens logiques ? Ou convenir de certaines règles méthodologiques restreignant les types d’hypothèses souhaitables ?
43Duhem en vient à insister sur les différences essentielles que son analyse fait apparaître entre les Mathématiques et la Physique, alors même que celle-ci ne devient vraiment science qu’en tant que physique mathématique, système « symbolique » et non description du réel24. Ainsi, l’enseignement de la physique, enjeu fondamental pour Duhem, ne saurait-il être du même type que celui des mathématiques, se révélant même à coup sûr plus « délicat25 ».
44Soit la structure logique simplifiée de la confrontation d’une théorie à l’expérience26 :

45Or : prédiction p réfutée par l’expérience.
46Selon Duhem, « l’expérience laisse à la sagacité du physicien le soin de rechercher la tare qui rend boiteux tout le système27 ». Deux physiciens peuvent choisir deux pistes différentes, sans qu’aucun d’eux ne puisse être taxé d’illogisme. Mais le « bon sens » peut nous permettre, à moyen terme, de décider entre les deux :
Après que l’expérience de Foucault eut montré que la lumière se propageait plus vite dans l’air que dans l’eau, Biot renonça à soutenir l’hypothèse de l’émission ; en toute rigueur, la pure logique ne l’eût point contraint à cet abandon, car l’expérience de Foucault n’était point l’experimentum crucis qu’Arago y croyait reconnaître ; mais en résistant plus longtemps à l’optique vibratoire, Biot aurait manqué de bon sens28.
47Duhem plaide alors pour un retour à l’idée de Claude Bernard : la méthode est « subordonnée » à une morale, qui vient au secours de la logique. Car « rien ne contribue davantage à entraver le bon sens, à en troubler la clairvoyance, que les passions et les intérêts ». Toute la question sera de savoir s’il est possible de formuler des règles (souples) moins vagues et, pour tout dire moins décevantes que le simple rappel de « l’impartialité » et de la « loyauté » du savant, qui semble nous ramener au point de départ : suffirait-il que le physicien soit « encore plus loyal » que le physiologiste, s’il est vrai que la situation de ce dernier est plus simple ?
48Il serait, on l’a vu, utopique et vain de rechercher un algorithme quelconque pour automatiser la solution des situations « duhémiennes ». On ne peut non plus se contenter d’un « holisme » qui amènerait à ne pas dépasser le stade de l’étonnement impuissant devant le caractère erroné de la totalité de notre savoir. Le problème est bien de « dédramatiser » la situation en explicitant des règles (faillibles) par lesquelles le choix de l’hypothèse à sacrifier pourrait être facilité. La victime ne saurait être arbitrairement désignée. Duhem cite29 un texte de Poincaré – qu’il ne semble pas lui-même approuver franchement, y reconnaissant la marque de l’idéal euclidien – où le grand savant incite le chercheur à pratiquer une forme de nominalisme dans la production des hypothèses complémentaires : « Il importe de ne pas multiplier les hypothèses outre mesure et de ne les faire que l’une après l’autre. Si nous construisons une théorie fondée sur des hypothèses multiples et si l’expérience la condamne, quelle est, parmi nos prémisses, celle qu’il est nécessaire de changer ? Il sera impossible de le savoir. Et, inversement, si l’expérience réussit, croira-t-on avoir vérifié toutes ces hypothèses à la fois ? Croira-t-on, avec une seule équation, avoir déterminé plusieurs inconnues ? ».
49Selon cette règle, le chercheur préfèrera une hypothèse unique (« organique » à la conjonction de plusieurs hypothèses indépendantes, ceteris paribus. Réduire le nombre des hypothèses centrales va dans le sens de la dédramatisation souhaitée des situations duhémiennes, et peut également s’interprêter en termes de testabilité ou « falsifiabilité » au sens poppénen : une hypothèse unique est moins ad hoc et plus facile à réfuter (éventuellement) qu’une conjonction d’hypothèses indépendantes, pour peu qu’elle soit formulée clairement. Mais cette règle n’est pas à confondre avec celle qui consisterait à conseiller au chercheur de ne pas multiplier les hypothèses concurrentes, contraires entre elles mais compatibles avec les données. L’idée qu’il est toujours bon de travailler avec plusieurs hypothèses concurrentes, ou d’organiser la communauté scientifique de telle manière que des programmes concurrents puissent effectivement être comparés, a été popularisée par Feyerabend, mais elle se trouve déjà au centre de la conception poppérienne30.
50Le problème de Duhem rend évidemment futile tout « falsificationnisme dogmatique » au sens de Lakatos. Mais il est tout au contraire au centre de tout falsificationnisme un tant soit peu « sophistiqué », tel celui de Popper. Celui-ci appelle « conventionnaliste » toute méthodologie qui part de l’idée que les théories ne sont pas réfutables par l’expérience, et doivent être choisies pour leur « commodité » ou « simplicité », voire même « beauté ». Le noyau de vérité de cette philosophie réside dans la constatation selon laquelle il est toujours possible « d’atteindre, pour tout système axiomatique choisi, ce que l’on appelle sa “correspondance avec la réalité”31 ». De ce fait, le conventionnalisme – tel qu’il est ici défini – constitue une philosophie cohérente et défendable32. Le conflit entre le conventionnaliste et le « réfutationniste » ne sera à vrai dire sensible « qu’en temps de crise », lorsqu’il s’agira de décider de l’attitude à adopter face à une situation dans laquelle un système se trouve globalement remis en cause par une expérience. Loin de voir là le signe d’un progrès possible, le conventionnaliste peut avoir tendance à défendre le système du jour à n’importe quel prix. La spécificité de la méthodologie poppérienne tient dans l’explicitation des décisions qu’il est nécessaire de prendre à priori afin de ne pas se donner le droit d’utiliser toutes les méthodes possibles pour défendre un système : quelles sont les stratégies (« conventionnalistes » ou « immunisantes ») qu’il convient de ne pas utiliser ? Si la logique ne suffit pas à restreindre le nombre des ecoupse admissibles, peut-on pour autant énoncer des règles rationnelles33 stipulant des contraintes méthodologiques de type empiriste, c’est-à-dire fondées sur le rapport à l’expérience possible ?
51 Il est logiquement possible de sauver n’importe quelle théorie, en se donnant par exemple le droit d’introduire dans le système des hypothèses ad hoc, grâce auxquelles l’anomalie peut être « expliquée », c’est-à-dire être déduite du système, sans qu’elles soient elles-mêmes testables indépendamment de l’anomalie. Popper propose de n’accepter une hypothèse auxiliaire que si elle ne diminue pas la testabilité du système, c’est-à-dire si elle est elle-même empiriquement testable indépendamment du phénomène qu’elle permet d’expliquer34. D’autre part, toute modification du système eu égard à son contenu empirique doit être considérée comme la construction d’un nouveau système35, qui doit être jugé sur le fait de savoir s’il constitue une avancée cognitive.
52Il est cependant clair qu’il « ne convient pas d’édicter des interdits trop sévères contre les hypothèses ad hoc : elles peuvent devenir testables36 ». D’autre part, une hypothèse peut être plus ou moins ad hoc, comme le montre la discussion de l’hypothèse de contraction de Fitzgerald-Lorentz. Popper avait soutenu que celle-ci « servait simplement à restaurer l’accord avec l’expérience ». Grünbaum ayant contesté ce point, Popper reconnaît son erreur37, mais maintient que cette hypothèse étant « moins testable » que la relativité restreinte, « cela peut illustrer l’existence de degrés d’adhocité ». À l’opposé, le principe d’exclusion de Pauli, introduit d’abord de manière ad hoc, accroît le degré de précision, et donc de testabilité de la théorie quantique38. En tout état de cause, il convient non pas d’interdire ou d’éliminer le recours à des hypothèses ad hoc, mais de ne pas se satisfaire de leur « adhocité », de ne pas les protéger de la réfutation et au contraire de chercher à les tester, fût-ce très indirectement.
53Un autre stratagème conventionnaliste consisterait à changer les définitions des termes : ces changements ne seront autorisés que s’ils sont regardés comme des modifications du système, et ne sont pas effectués subrepticement39. Toute stratégie conduisant à « expliquer » un phénomène par une hypothèse qui « expliquerait » aussi bien l’occurrence de l’évènement contraire (« pile je gagne, face tu perds ! ») est évidemment à proscrire. Il est enfin toujours possible de refuser les résultats empiriques. On exigera de ceux-ci pour le moins qu’ils soient eux-mêmes contrôlables intersubjectivement. La répétition pourra permettre de faire baisser la probabilité que le résultat était dû à un « effet occulte », si les expériences sont indépendantes40.
54Mais ces procédures ne sauraient permettre d’éliminer le problème :
Par le modus tollens, nous réfutons la totalité du système requis pour la déduction de l’énoncé p réfuté. Il ne peut donc être affirmé d’un des énoncés du système qu’il est ou qu’il n’est pas touché par la réfutation. C’est seulement si p est indépendant d’une partie du système que nous pouvons dire que cette partie n’est pas impliquée dans la réfutation. Nous ne pouvons à priori savoir lequel des énoncés du sous-système restant t’ nous devons mettre en cause […] C’est souvent l’instinct scientifique du chercheur (influencé, bien entendu, par les résultats des tests répétés), qui le font estimer (guess) quels énoncés de t’ il doit regarder comme innocents, et ceux qu’il doit considérer comme devant être modifiés. Mais c’est souvent la modification de ce que nous avons tendance à considérer comme évidemment innocent (à cause de son accord complet avec nos habitudes de pensée) qui peut amener un progrès décisif. Un exemple remarquable de ceci est fourni par la modification du concept de simultanéité opérée par Einstein41.
55Pour éviter tout holisme sceptique, il est utile de pouvoir distinguer dans le système des « niveaux d’universalité », allant des hypothèses les moins générales (« auxiliaires ») aux principes centraux, voire aux présupposés d’ordre métaphysique. De ce fait, il sera plus aisé de rejeter une nouvelle hypothèse si c’est son intervention qui permet seule de déduire la prédiction apparemment erronée. « Nous chercherons alors, à sa place, d’autres généralisations de haut niveau, mais nous ne serons pas alors obligés de considérer l’ancien système, de moindre niveau de généralité, comme ayant été réfuté » (ce qui serait une forme du sophisme par la négation de l’antécédent).
56D’où l’intérêt de l’axiomatisation, même partielle, des théories physiques, qui devrait permettre d’énoncer des postulats indépendants.
Dans une théorie axiomatisée, il est possible de chercher les interdépendances entre les différentes parties du système. Par exemple, nous pourrons chercher à savoir si une certaine partie de la théorie est dérivable d’un certain sous-ensemble des axiomes […] Ces recherches peuvent expliquer pourquoi la réfutation d’un énoncé logiquement déduit du système peut quelquefois ne pas en affecter la totalité, mais seulement une certaine partie, qui peut alors être considérée comme réfutée. Ceci est possible parce que, bien que les théories de la physique soient en général incomplètement axiomatisées, les connexions entre leurs différentes parties peuvent cependant être suffisamment claires pour que nous puissions décider lesquels d’entre les sous-systèmes sont affectés par une observation falsifiante particulière42.
57La vision holistique des tests (Quine) ne pose pas de problème à celui qui a abandonné d’une part l’idéal de certitude et d’autre part le vérificationnisme, c’est-à-dire la doctrine selon laquelle nous devons et pouvons chercher à établir la vérité (ou la haute probabilité) de nos théories. De fait, la pratique des preuves d’indépendance d’un système d’axiomes peut passer « par la construction – ou la découverte – d’un modèle – un ensemble d’objets, de relations, de fonctions ou d’opérations qui satisfait tous les axiomes à l’exception de celui dont on veut démontrer l’indépendance : pour cet axiome – et donc pour la théorie dans sa totalité – le modèle constitue un contre-exemple43 ». Ainsi, un contre-exemple empirique peut ne pas affecter la plupart des axiomes, mais seulement un certain groupe d’entre eux, voire un seul (dont l’indépendance est alors démontrée). D’où l’intérêt de travailler avec des théories au moins analysées en sous-groupes d’hypothèses bien distincts44.
58Faut-il considérer que certains énoncés sont à priori à l’abri de la réfutation ? À cette question, les conventionnalistes45 répondent par l’affirmative, alors que Duhem, Popper et Quine répondent par la négative. Quoiqu’instrumentaliste en ce qui concerne le statut ontologique des théories, Duhem – contrairement à ce que dit Popper46 – n’est pas conventionnaliste en méthodologie : dans un chapitre intitulé « Certains postulats de la théorie physique sont-ils inaccessibles aux démentis de l’expérience ?47 », Duhem discute des positions de Le Roy et Poincaré. É. Le Roy soutenait que certaines hypothèses étaient irréfutables car elles n’étaient autres que des définitions48. Soit la thèse selon laquelle un corps en chute libre à la surface de la terre a une accélération variable ; nous aurons le choix entre deux positions : 1) refuser d’appeler « chute libre » ce phénomène, ou 2) construire une nouvelle mécanique. Selon Le Roy, nous choisirons toujours la première solution. Duhem accorde qu’il en sera presque toujours ainsi, mais pour des raisons différentes de celles qu’avance Le Roy. L’option (2) conduirait en effet à détruire un vaste système « très bien corroboré », comme dirait Popper, sans nous permettre de le remplacer. Le réfutationnisme radical conduirait à la destruction de l’édifice entier de la science. Mais la sauvegarde des principes n’est pas une nécessité logique : « Un jour peut-être, en agissant autrement, en refusant d’invoquer des causes d’erreur et de recourir à des corrections pour rétablir l’accord entre le schéma théorique et le fait, en portant résolument la réforme parmi les propositions qu’un commun accord déclarait intangibles, il accomplira l’œuvre de génie qui ouvre à la théorie une carrière nouvelle49 ». Les hypothèses devenues apparemment des conventions, « il faut bien se garder de les croire à tout jamais assurées », comme en fait foi le destin de la loi de la propagation rectiligne de la lumière : « Un jour vint où l’on se lassa d’attribuer à quelque cause d’erreur les effets de diffraction observés par Grimaldi, où l’on se résolut à rejeter (cette) loi, à donner à l’Optique des fondements entièrement nouveau50 ».
59Sous prétexte que des hypothèses ne sont pas directement réfutables, peut-on en conclure qu’elles n’ont « plus rien à redouter de l’expérience ? […] qu’elles (sont) assurées de demeurer immuables quelles que soient les découvertes que l’observation des faits nous réserve ? Le prétendre serait commettre une grave erreur51 ». Le problème de Duhem, loin de suggérer une interprétation antiréfutationniste des théories, permet au contraire à Duhem de contrer radicalement le conventionnalisme :
Au Congrès international de philosophie, tenu à Paris en 1900, M. Poincaré avait développé cette conclusion : « Ainsi s’explique que l’expérience ait pu édifier (ou suggérer) les principes de la Mécanique, mais qu’elle ne pourra jamais les renverser52. » À cette conclusion M. Hadamard avait opposé diverses observations, entre autres celle-ci : « D’ailleurs, conformément à une remarque de M. Duhem, ce n’est pas une hypothèse isolée, mais l’ensemble des hypothèses de la Mécanique que l’on peut essayer de vérifier expérimentalement53. »
60Duhem, contre toute attente, est donc bien anticonventionnaliste, anti-inductiviste54 et réfutationniste : un système ne peut jamais être établi complètement et définitivement, mais il peut « s’écrouler, sous le poids des contradictions infligées par la réalité (à ses) conséquences55 ». Les différences essentielles entre Duhem et Popper sont cependant importantes, et ne peuvent ici qu’être indiquées :
- Alors que Duhem fait appel au « bon sens » et à la « loyauté », Popper propose des règles méthodologiques objectives d’élimination des stratégies immunisantes, sans prétendre qu’elles soient suffisantes ;
- Duhem s’en tient au point de vue logique à une vision holistique de l’expérimentation réfutante, alors que Popper insiste sur la possibilité de réfutations de sous-systèmes indépendants ;
- Duhem oppose fortement les « lois empiriques », susceptibles d’être vraies ou fausses, ou, plutôt « plus ou moins vraies », aux théories, qui n’ont aucune valeur explicative, mais visent à une « classification naturelle » des lois. À cet instrumentalisme « sophistiqué », s’oppose le réalisme critique de Popper, pour lequel les théories peuvent être elles aussi, au sens strict, « plus ou moins vraies » (concept de vérisimilitude), le but de la science étant, toujours et partout, l’explication des phénomènes : « expliquer le connu par l’inconnu ».
61La leçon habituellement retenue, de manière quelquefois dogmatique, des subtils développements de Duhem se ramène à la thèse de l’impossibilité de toute expérience cruciale. Tout le monde56 ou presque reconnaît qu’il en est logiquement ainsi. D’une part, aucune expérience ne peut vérifier une théorie en en réfutant une qui lui est contraire ; d’autre part, il n’est pas logiquement impossible que de deux théories fausses, celle qui l’est « moins » que l’autre passe un test « crucial » avec plus de succès. En effet, si : (T ∧ H) → p, et (T ∧ H’) → p, or, p, nous ne sommes pas contraints logiquement à innocenter H’ et rejeter H. Il se peut que H soit vraie et H’ fausse, si T est fausse. Encore une fois, nous ne pouvons logiquement condamner H qu’en supposant T vraie. Cette situation n’est pas sans poser quelque problème pour le réfutationniste, que Popper ne paraît pas prendre dans toute sa mesure. Il soutient en effet à plusieurs reprises57, ce qui en l’occurrence est « crucial » pour sa théorie, que si Duhem a réussi à montrer qu’une expérience cruciale ne peut jamais établir une théorie, il n’a pas montré qu’elle ne pouvait jamais en réfuter une.
62« (Le holisme) sous-estime le fait que si nous prenons chacune des deux théories en conjonction avec la “connaissance d’arrière plan” (CA), comme nous sommes obligés de le faire, alors nous décidons entre deux systèmes qui ne diffèrent que sur les deux théories en question ».

63Si p est réfuté, (CA ∧ T) est réfutée, mais, à moins de supposer CA vraie, le fait que CA et T’ impliquent non-p ne montre pas que T est faux. Il est logiquement possible que CA soit faux et T vrai. Il semblerait que Popper commette une erreur de logique ou bien qu’il ne fasse que réintroduire le problème de Duhem, qui n’existe évidemment qu’à la condition que CA ne soit pas automatiquement innocentée58 !
64De fait, Popper ne prétend pas qu’une telle expérience puisse condamner de manière décisive une hypothèse isolée : « Nous n’affirmons pas la réfutation d’une théorie en tant que telle, mais de la théorie conjointe à la connaissance d’arrière-plan, dont certaines parties peuvent un jour ou l’autre être rejetées comme responsables de l’échec, si d’autres expériences cruciales peuvent être imaginées59. » Autrement dit, nous choisissons entre deux systèmes60, comme l’affirmait Duhem, mais nous pouvons raisonnablement choisir entre les deux à la suite de certaines expériences, quitte à nous apercevoir plus tard qu’il eût mieux valu conserver T au lieu de choisir (CA et T’), au prix du remplacement de CA par CA’. L’asymétrie logique entre la vérification et la falsification demeure.
65D’autres considérations peuvent également, à « degrés de corroboration » par l’expérience identiques, nous permettre de choisir (non sans risques) : cohérence, accord avec des principes métaphysiques, caractère non ad hoc, rareté des paramètres indépendants (= simplicité = testabilité61), capacité prédictive, lien avec des théories plus profondes etc. Il est indéniable que sur ces questions, l’épistémologie contemporaine a précisé les intuitions d’un Duhem ou d’un Whewell, quoi qu’en disent les « dadaïstes » (Feyerabend).
66 Mais rien ne saurait transformer la recherche des « coupables » en une procédure mécanique : il n’y a pas d’algorithme pour cette question. Autrement dit, le fait que les chercheurs essayent autant qu’ils le peuvent d’élaborer des expériences permettant de distinguer deux théories, après en avoir dérivé des conséquences à priori divergentes, en tâchant de faire jouer le même rôle dans les deux cas à la « connaissance d’arrière-plan » (non problématique pendant le temps du test), y compris les conditions initiales, ce fait ne garantit pas qu’ils ne puissent commettre une « erreur judiciaire62 ». Un élément de décision (révocable) intervient dans toute attribution de l’erreur :
Nos procédures scientifiques ne sont jamais fondées entièrement sur des règles […] il n’y a pas de procédure routinière63, pas de mécanisme automatique pour résoudre le problème de l’attribution de la falsification à une partie spécifique d’un système de théories, tout comme il n’y a pas de procédure routinière pour inventer de nouvelles théories. Le fait que tout n’est pas logique dans notre recherche sans fin de la vérité n’est cependant pas une raison pour ne pas utiliser la logique pour éclairer autant que nous le pouvons cette recherche, indiquant à la fois où nos arguments ne marchent plus et jusqu’où ils vont.
67Selon Noretta Koertge, l’attribution de l’erreur à une partie déterminée du système pourra être l’occasion des débats les plus âpres et les plus importants que peut connaître une communauté scientifique64. Si, comme le fait remarquer John Watkins, « la décision qui porte sur le lieu de l’erreur peut être la matière d’une controverse critique prolongée65 », celle-ci est en fait profitable, puisqu’elle peut aider à clarifier les conséquences des divers changements possibles de la théorie66.
68En fin de compte, les réponses de Duhem et Popper au « problème de Duhem » ne sont pas contradictoires. Aucun des deux ne prétend pouvoir émettre de règle générale, même si Popper précise les conditions d’élimination des stratagèmes conventionnalistes et propose des conditions objectives d’amélioration d’un système dans le sens de l’augmentation de son « contenu informatif ». Le scientifique est libre de remettre en cause ce qu’il veut, mais le rejet d’une théorie générale et bien corroborée par ailleurs coûtera plus cher, si l’on peut dire, que le remplacement d’une hypothèse auxiliaire. Tout remplacement doit s’effectuer au profit de l’accroissement, ou au moins du maintien, des capacités explicatives du système, à quelque niveau qu’on l’effectue. La mise en cause d’une théorie hautement corroborée n’est pas à proscrire dogmatiquement, mais il est clair que la communauté dans son ensemble n’acceptera le rejet de cette théorie (d’ailleurs lui-même révocable) qu’à la condition qu’une théorie « meilleure » soit proposée67.
69Mario Bunge, qui prend au sérieux – mais pas au tragique – le problème de Duhem, propose d’appliquer une politique différente selon que l’on est en présence d’une théorie déjà ancienne et testée avec succès, ou d’une hypothèse nouvellement introduite : dans le premier cas, on retiendra la théorie autant qu’il est possible en tâchant d’améliorer les modèles intermédiaires. « C’est ainsi par exemple qu’en théorie classique des liquides on imagine des modèles de plus en plus complexes de la structure des liquides tout en se gardant bien de toucher aux lois du mouvement et, de façon plus générale, à l’ensemble de la mécanique classique68 » ; ce ne sera qu’après avoir essayé sans succès plusieurs modèles (mais combien ?), que l’on pourra raisonnablement mettre en doute la théorie. S’il s’agit d’une hypothèse nouvelle, on testera d’abord ses éléments les plus spécifiques, puisqu’ils « ont le plus de chances d’être faux, dans la mesure où ils ont moins de chance précisément d’avoir été testés ».
70Cette recherche ne doit pas, selon Bunge, se faire « au hasard » : « En fait, en règle générale, on doit toujours procéder du particulier au général et commencer par mettre en doute ce qui est le moins anciennement établi. » De ce point de vue, note alors Bunge après Popper, « il est plus facile de travailler sur une théorie déjà axiomatisée, car alors les hypothèses et les présupposés de la théorie sont étalés au grand jour ». Une bonne partie de la controverse entre Popper, Kuhn et Lakatos roule en fait sur la question de savoir quelle est et quelle doit être la place respective de la défense et de l’attaque des théories « importantes » lors d’une « situation duhémienne ». Il faut dire qu’entre La Logique de la découverte scientifique (1934) et La Structure des révolutions scientifiques (1962) est paru le non moins fameux article de Quine, « Two dogmas of empiricism » (1951), qui n’a pas peu contribué à dramatiser la question.
71 Comme on l’a vu, les empiristes logiques (Carnap, Neurath, Franck, Nagel) étaient loin de méconnaître le problème posé par Duhem69, mais ils le considéraient comme un problème pragmatique, ne relevant ni de la syntaxe ni de la sémantique du langage scientifique. Leur « critère de signification » vérificationniste n’était en rien mis en cause. À l’opposé, Quine va transformer le problème de Duhem en thèse sémantique, sans abandonner le principe selon lequel « le sens d’un énoncé réside dans la différence que sa vérité ferait à l’observation possible », selon les termes de Peirce, moins restrictifs, mais plus ambigus que ceux des empiristes logiques70. Quine en tire l’idée que l’unité de signification n’est ni le mot ni même l’énoncé, mais la « totalité de la science » (holisme sémantique)71. Son objectif est de mettre en cause « deux dogmes de l’empirisme », d’ailleurs liés, à savoir la distinction entre énoncés analytiques (vrais en seule vertu du sens des termes) et synthétiques, et la thèse « réductionniste », c’est-à-dire « la croyance selon laquelle chaque énoncé doué de sens est équivalent à une certaine construction logique à partir de termes qui se réfèrent à l’expérience immédiate72 ». Cette dernière thèse est le produit direct du programme empiriste moderne tel qu’il a été tracé par Russell : « La maxime suprême en philosophie scientifique est celle-ci : à chaque fois que cela est possible, des constructions logiques doivent être substituées aux entités inférées73. » À cela Quine oppose, en référence à Duhem, l’idée selon laquelle « nos énoncés sur le monde extérieur affrontent le tribunal de l’expérience sensible non pas individuellement mais comme un corps organisé (corporate body)74 ». Les différences entre Duhem et Quine sont cependant nombreuses :
- Duhem ne s’intéresse pas à une question sémantique, mais méthodologique ;
- Duhem est discontinuiste, Quine continuiste75 : il n’y a pas pour ce dernier de rupture dans le corps des connaissances, du sens commun à la science et à la philosophie ;
- Quine demeure profondément empiriste ;
- Pour Quine, la science est « engagée ontologiquement », pour Duhem, elle est neutre ;
- Duhem restreint sa thèse à la physique, Quine l’étend à la totalité du savoir, mathématiques et logique y compris.
72C’est en fait ce dernier point qui a suscité le plus d’étonnement et de réactions. Quine ne va-t-il pas jusqu’à soutenir que nous pouvons remettre en cause aussi bien la logique que la géométrie ou la théorie de Ptolémée, que les différences en question ne sont que de degré ?76 Le seul exemple qu’il cite semble être la possibilité d’avoir à renoncer à la bivalence pour les besoins de la Mécanique Quantique, hypothèse surtout explorée par des philosophes du reste (Reichenbach, p. Février, Putnam)77, et comparée au rejet de la géométrie à courbure nulle dans la relativité générale. Mais, comme l’a dit fortement Einstein, il faut distinguer géométrie mathématique et géométrie physique. Ce que la relativité générale rejette, c’est l’hypothèse physique du caractère euclidien de l’espace réel : celui-ci n’est pas un modèle des axiomes de Hilbert. Mais ces derniers ne sont en aucune manière « réfutés », pas plus que l’addition des gouttes d’eau dans un récipient ne réfute les lois de l’arithmétique78, sous prétexte que deux gouttes d’eau mises ensemble font une goutte d’eau ! Il n’y a donc pas continuité entre mathématiques et science empirique, mais connexion entre tous les éléments d’une théorie empirique, y compris les hypothèses centrales énonçant que le domaine d’objets considéré est muni d’une certaine structure mathématique. Le holisme hyperbolique de Quine me paraît insoutenable. Le rejet par Kepler du circulaire uniforme n’est pas à comparer au prétendu rejet par Einstein d’Euclide, mais au rejet par Einstein de l’hypothèse du caractère euclidien de l’espace, qu’après tout Gauss avait déjà essayé de tester79.
73Il est par ailleurs à remarquer que Quine passe de son constat holistique à l’adoption de stratégies fort conservatrices, y compris sur la logique classique, dont il combat nombre de concurrentes80. En ce qui concerne ce problème, si l’on considère la logique non comme une partie de la Science (comme les stoïciens et Quine), mais comme un organon de celle-ci (comme Aristote et Popper), la question n’est pas de savoir s’il pourrait être légitime d’abandonner la logique classique (bivalente et munie des principes de contradiction, tiers-exclu et double négation) pour rétablir l’équilibre entre l’édifice entier de la Science et une expérience récalcitrante, puisque les lois de la logique ne portent pas directement sur l’être mais sur le discours81. La logique est une théorie des inférences valides.
74Putnam a tenté de relever le défi de Quine en exhibant un principe totalement à priori tel que nous sommes certains que rien ne pourra jamais nous amener rationnellement à l’abandonner : ce « principe minimal de contradiction » énonce que « tous les énoncés ne sont pas vrais et faux à la fois82 ». Cette réponse ingénieuse du philosophus habilis ne conteste pas cependant l’« aplatissement » de la logique sur les autres sciences que nous avons noté. Selon Popper, la logique est à la fois l’organon de la preuve et celui de la critique. En mathématiques, domaine de la preuve, nous pouvons avoir intérêt à produire une preuve « minimale » d’un théorème en utilisant une logique affaiblie83, mais dans les sciences empiriques, nous n’avons pas intérêt à affaiblir la critiquabilité de nos théories, en autorisant par exemple une logique trivalente, grâce à laquelle un énoncé a deux manières de ne pas être faux. Soyons au contraire le plus sévère possible : l’organon est une arme, un filet.
75Bartley, disciple de Popper, infère de cette conception une critique radicale de la thèse de Quine84 : la révision d’une partie du système sous la menace d’une expérience présuppose le « noyau dur » de la logique classique, c’est-à-dire les règles de « transmission de la vérité (des prémisses à la conclusion) » et de « retransmission de la fausseté ». L’opération de remise en cause les présuppose. Constituant les règles du jeu de la raison, il ne sera jamais rationnel de les abandonner. Il existe une différence de nature entre ce qui est soumis à la révision et ce qui est présupposé par l’opération de révision. Tu quoque !, aurait dit un Aristote latin85…
76Plusieurs autres contributions seraient à évoquer, en particulier celles de Grünbaum (très « falsificationniste »)86 et de Lakatos, qui distingue avec raison une « thèse D-Q faible », acceptable, et une « thèse D-Q forte », inacceptable87. Comme tout problème épistémologique, le problème de Duhem ne peut être dit avoir été « résolu », mais j’espère avoir montré qu’il en existait des solutions au moins partielles. Le recours à l’histoire des sciences serait évidemment indispensable pour une étude plus approfondie de la question.
77Bien d’autres problèmes fondamentaux pourraient être traités à partir de La Théorie physique :
- l’interprétation des théories : instrumentalisme contre réalisme ; Bellarmin contre Galilée ;
- le rapport au positivisme et le statut de la métaphysique ; l’unité de la méthode, indépendante de toute ontologie ; la question des « Programmes métaphysiques de recherche » (Popper, Lakatos) ;
- le succès des prédictions improbables, la « classification naturelle » ; le problème de la « sévérité des tests » (Popper, Zahar) ;
- mathématiques et physique : le problème de la précision ; l’exemple des courbes de Hadamard, repris par Popper dans sa critique de Laplace ;
- la critique de l’induction et le problème du continuisme en histoire des sciences (Koyré contre Duhem) ;
- le caractère « théoriquement chargé » de toute observation et la rupture sens commun/science (Bachelard, Hanson, Feyerabend).
78Citons encore : le problème des modèles, la thermodynamique générale et l’unité de la physique, la reprise de Pascal, etc. Tout autant que de Mach, Peirce et Russell, l’épistémologie contemporaine est fille de Duhem et de Poincaré.
Addenda
791) Soit T une théorie, A1 une hypothèse auxiliaire complexe affirmant entre autres choses que les instruments sont fiables ; si (T ∧ A1)) → : q, l’expérience qui amène à affirmer q réfute (T ∧ A1). Si l’on répète l’expérience plusieurs fois, voire dans des laboratoires différents, avec toujours le résultat q, et si l’on a : (T ∧ A2) → : q, (T ∧ A3) → : q, (T ∧ A4) → : q etc., la vérité de T implique la fausseté des (A1…An). Ceci revient à postuler l’occurrence de n évènements indépendants, dont la probabilité doit être multipliée. Nous pouvons donc conjecturer que T (qui reste complexe !) est fausse, restreignant le domaine du problème de Duhem. La répétition intersubjective d’une expérience réfutante a pour but d’exclure autant que faire se peut la possibilité d’effets aléatoires ; cf. sur cette argumentation, le très dense et très stimulant article d’Élie Zahar : « The Popper Lakatos Controversy » (Fundamenta Scientiae, vol. 3, 1, 1982, p. 28-31), où est défendue, d’un point de vue falsificationniste, une version « phénoménologique » des énoncés de base, susceptible de réconcilier ou dépasser les conceptions de Poincaré et de Popper.
802) À propos du holisme quinien, J. Vuillemin a formulé une objection qui rappelle la critique par le jeune Russell du monisme ontologique. Si la Nature est connaissable, c’est parce qu’elle « admet des degrés de compartiments », c’est-à-dire de « systèmes quasi fermés et autonomes qui s’approchent d’assez près de l’idéal du système indépendant88 ».
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bibliographie
10.1007/978-1-4020-5632-1 :Agassi, Joseph, « Towards an historiography of science », History and Theory, 2, 1963.
Bartley, William, « The philosophy of Karl Popper », vi, in Philosophia, Israël, 1979.
Bunge, Mario, Philosophie de la physique, Paris, Le Seuil, 1975.
10.4324/9781315823010 :Carnap, Rudolf, The Logical Syntax of Language, Londres, RKP, 1937.
— , Der Logische Aufbau der Welt, Berlin, Werltkreis-Verlag, 1928.
Duhem, Pierre, La Théorie physique, Paris, Vrin, 1906.
— Sôdzein ta phainomena, Paris, Vrin, 1981.
Geach, Peter, « Some problems about time », Proceedings of the British Academy, 1965.
Gochet, Paul, Quine en perspective, Paris, Flammarion, 1978.
Goodman, Nelson, Fact Fiction and Forecast, Indianapolis, Bobbs-Merril, 1965.
Harding, Sandra (éd.), Can Theories be Refuted ? Essays on The Quine-Duhem Thesis, Dordrecht, Reidel, 1976.
Hempel, Carl, Aspects of Scientific Explanation, New York, The Free Press, 1985.
— , Aspects of Scientific Explanation, New York, The Free Press, 1965.
Holton, Gerald, L’Imagination scientifique, Paris, Gallimard, 1981.
10.2307/2412896 :Lakatos, Imre (éd.), Criticism and the Growth of Knowledge, Cambridge, Cambridge University Press, 1970.
Lalande, André, Théories de l’induction et de l’expérimentation, Paris, Boivin, 1929.
Largeault, Jean, Énigmes et Controverses, Paris, Aubier, 1980.
Le Roy, Édouard, « Un positivisme nouveau », Revue de métaphysique et de morale, 9, 1901.
Musgrave, Alan, « Falsification, heuristics and anarchism », in G. Radnitzky (éd.), Progress and Rationality in Science, Dordrecht, Reidel, 1978.
Nicod, Jean, Le Problème logique de l’induction, Paris, PUF, 1961.
Poincaré, Henri, La Science et l’Hypothèse, Paris, Flammarion, 1968.
10.4324/9780203713969 :Popper, Karl, Realism and the Aim of Science, Londres, Hutchinson, 1983.
— , The Logic of Scientific Discovery, Londres, Hutchinson, 1980.
— , Two Arguments of Poincaré ; trad. fr. R. Bouveresse, Karl Popper, Paris, Vrin, 1978.
— , Objective Knowledge, Oxford, Oxford University Press, 1972.
— , Conjectures and Refutations, Londres, RKP, 1963.
— , Misère de l’historicisme, Paris, Plon, 1956.
Quine, Willard, From a Logical Point of View, New York, Harper, 1963 ; trad. fr. P. Jacob, De Vienne à Cambridge, Gallimard, 1980.
— , Philosophie de la logique, Paris, Aubier-Montaigne, 1975.
Schilpp, Paul A. (éd.), The Philosophy of Karl Popper, LaSalle (Illinois), Open Court, 1974.
Thom, René, Morphogenèse et Imaginaire, Circé, 8, Paris, Lettres modernes, 1978.
Vuillemin, Jules, La Logique et le monde sensible, Paris, Flammarion, 1972.
Notes de bas de page
1 Cahiers du CREA, 5, 1985.
2 « Two dogmas of empiricism » (1951), in W. Quine, From a Logical Point of View chap. ii, trad. fr. P. Jacob, De Vienne à Cambridge.
3 P. Duhem, La Théorie physique, chap. i et vi. L’un des deux ou trois plus grands livres de philosophie des sciences du siècle.
4 Ibid.
5 In I. Lakatos (éd.), Criticism and the Growth of Knowledge.
6 Et de Popper : cf. Misère de l’historicisme, § 30, p. 143.
7 Et a la même structure déductive que les tests : tout dépend de ce qui est considéré comme problématique ; cf. Objective Knowledge, appendice i.
8 8 Sauf imprévu, lorsqu’une expérience supposée anodine vient remettre en cause une théorie : cf. J. Agassi, « Towards an historiography of science ».
9 9 De même, le paralogisme de la « négation de l’antécédent » mérite d’être rappelé :
Ce n’est pas parce qu’un énoncé est la conséquence d’une théorie fausse qu’il est faux.
10 P. Duhem, La Théorie physique, p. 280.
11 Ibid., p. 281.
12 Dans le « tribunal » des théories selon Popper, une hypothèse est à jamais suspecte et doit se défendre contre les accusations de culpabilité, sans pouvoir prouver son innocence.
13 On pourrait répéter la question en ce qui concerne les problèmes de l’induction, de la confirmation ou de la découverte (heuristique).
14 Cf. les « themata » de G. Holton, L’Imagination scientifique.
15 Ce qui est d’ailleurs le cas, bien que la théorie de Copernic soit « moins fausse » ; en termes poppériens : ait une plus grande vérisimilitude ; cf. K. Popper, Two Arguments of Poincaré, trad. fr. R. Bouveresse, Karl Popper.
16 Cf. P. Duhem, Sôdzein ta phainomena.
17 Cf. W Quine, From a Logical Poinf of View, ii.
18 P. Duhem, La Théorie physique, p. 286.
19 Du moins si l’on accepte ce réquisit, en particulier exigé par Popper pour éliminer les effets accidentels ou « occultes » ; cf. K. Popper, The Logic of Scientific Discovery, § 22.
20 Au sens de Lakatos, in Criticism and the Growth of Knowledge.
21 Cf. sa critique par A. Lalande, Théories de l’induction et de l’expérimentation ; et surtout J. Nicod, Le Problème logique de l’induction.
22 Cf. K. Popper, La Logique de la découverte scientifique, Appendice ix*, p. 422.
23 Cf. N. Goodman, Fact Fiction and Forecast et K. Popper, Realism and the Aim of Science, p. xxxvii, où ce « paradoxe » est présenté comme un résultat du calcul des probabilités.
24 P. Duhem, La Théorie physique, i, chap. 2.
25 Ibid., p. 30 sq.
26 Structure identique à celle de l’explication, de la prédiction et de la réalisation technique : cf. K. Popper, Objective Knowledge, Appendice i, et C. Hempel, Aspects of Scientific Explanation, passim.
27 P. Duhem, La Théorie physique, p. 329.
28 Ibid. p. 331-332 ; cf. la citation de Bacon, p. 276 : le savant « ne doit jamais avoir l’œil humecté par les passions humaines ». Pour Popper ceci est un leurre et une fausse conception de l’objectivité, cf. Conjectures and Refutations, Introduction.
29 La Théorie physique, p. 305 : cf. H. Poincaré, La Science et l’Hypothèse, p. 166.
30 Cf. K. Popper, in P. A. Schilpp (éd.), The Philosophy of Karl Popper, ii, p. 1187 : « L’idée de pluralisme théorétique n’est pas une nouveauté. Sous le titre La Méthode des hypothèses multiples, son importance a été mise en valeur par le géologue T. C. Chamberlain à la fin du xixe siècle ».
31 R. Carnap, cité in The Logic of Scientific Discovery, sect. 19.
32 Ibid., p. 80.
33 Exprimables dans les seuls termes de la logique déductive classique, idéal régulateur minimum de la « fonction argumentative du langage » ; cf. Objective Knowledge, chap. 8.
34 Logic of Scientific Discovery, p. 82.
35 Sauf s’il s’agit d’une hypothèse singulière portant sur les conditions initiales.
36 The Philosophy of Karl Popper, p. 986.
37 Logic of Scientific Discovery, p. 83.
38 Ibid., p. 126.
39 Ibid., p. 84.
40 Cf. Addendum (1).
41 Logic of Scientific Discovery, p. 76. Ce texte, je le rappelle, est de 1934.
42 Logic of Scientific Discovery, sect. 17, p. 72.
43 Conjectures and Refutations, 10, p. 239.
44 Id. Popper cite comme exemple de réfutation partielle celle de la parité en théorie atomique.
45 Le Roy, Dingler, Eddington, Cornelius, etc. Poincaré professe un conventionnalisme « partiel » (la géométrie euclidienne et la mécanique), aussi bien parfois qu’un quasi « falsificationisme naïf » au sens de Lakatos. Cf. É. Zahar, Poincaré et le principe de relativité, in Colloque Popper (Strasbourg, 1982). Lakatos répond également par l’affirmative, mais du fait d’une décision : ne pas mettre en cause les principes de base d’un programme de recherche.
46 Logic of Scientific Discovery, 19, p. 78.
47 La Théorie physique, vi, § 8.
48 « Un positivisme nouveau ».
49 La Théorie physique, p. 322.
50 Ibid.
51 Ibid., p. 327.
52 Ce qui – au « suggérer » près – est l’exact inverse de la position poppérienne !
53 La Théorie physique, ii, chap. 6, § iv et v : Critique de la méthode newtonnienne.
54 Ibid.
55 La Théorie physique, p. 328.
56 Y compris les prétendument « naïfs » empiristes logiques, à qui l’on attribue bien vite toutes les grossièretés épistémologiques dont on veut se démarquer ; cf. par exemple, sur l’expérience de Foucault, Philipp Franck (physicien cofondateur du Wiener Kreis), in The Encyclopedy of Unified Science, i, Foundations of Physics.
57 Conjectures and Refutations, 3, p. 112 ; cf. aussi Misère de l’historicisme, p. 172, n. 2 (fin).
58 Cf. A. Musgrave, « Falsification, heuristics and anarchism », in G. Radnitzky (éd.), Progress and Rationality in Science, p. 148.
59 Conjectures and Refutations, ibid.
60 Si l’on néglige provisoirement la possibilité de l’axiomatisation.
61 La seconde identification étant propre à Popper, qui n’hésite pas à en énoncer une autre encore plus provocante : testabilité = improbabilité à priori ; cf. Logic of Scientific Discovery, chap. vii.
62 K. Popper, Realism and the Aim of Science, p. 188.
63 Fait qui, incidemment, montre que le « problème de Duhem » peut au moins aussi bien conforter la critique poppérienne de Kuhn (qui parle constamment de « routines », « rules of thumb », etc.) que la critique kuhnienne (conservatrice) de l’épistémologie « révolutionniste » de Popper. Lakatos a essayé de profiter de ces deux critiques réciproques pour édifier sa méthodologie des « programmes scientifiques de recherche ».
64 Progress and Rationality in Science, p. 266.
65 « Epistemology and politics », Proceedings of the Aristotelian Society, 1957.
66 La Théorie physique, p. 329.
67 L’un des critères de ce progrès pouvant être que la nouvelle théorie « dépasse » l’ancienne en respectant le « principe de correspondance » énoncé par Niels Bohr ; cf. K. Popper, Objective Knowledge, chap. 5.
68 M. Bunge, Philosophie de la physique, p. 290.
69 Cf. R. Carnap, The Logical Syntax of Language, p. 318 ; E. Nagel, Principles of the Theory of Probability, in Foundations of the Unity of Science, i, 3, § 7, p. 397.
70 Cf. sur les différents énoncés du principe, C. Hempel, Aspects of Scientific Explanation, chap. 4. La thèse centrale de Popper pourrait être formulée comme une thèse sur le sens : la signification d’un énoncé empirique n’est liée ni à sa « bonne formation », ni à son rapport à l’expérience possible. Cette thèse explique en partie la distance qui le sépare de la « philosophie analytique » en général.
71 From a Logical Point of View, p. 42 ; cf. P. Gochet, Quine en perspective, p. 38.
72 From a Logical Point of View, p. 20.
73 Cité par Carnap en exergue de son livre Der Logische Aufbau der Welt, qui tente de réaliser ce programme dans le détail.
74 From a Logical Point of View, p. 41.
75 Cf. J. Vuillemin, Cours au Collège de France, 1975.
76 From a Logical Point of View, p. 43.
77 Mais rejetée par Popper, cf. Nature, 5155, 1968. Quine, citant ce texte, semble vouloir désormais rester prudent sur cette question : cf. Philosophie de la logique, p. 127.
78 Cf. le très suggestif essai de Popper à propos de la question fondamentale : « Why are the calculi of logic and arithmetic applicable to reality ? », in Conjectures and Refutations, chap. 9 ; cf. aussi R. Thom, in Morphogenèse et Imaginaire, p. 9 sq.
79 Ce point soulève l’immense problème du conventionnalisme eu égard aux géométries « dans le monde sensible », que nous ne pouvons ici qu’évoquer ; cf. la critique de Nicod à Poincaré, in J. Vuillemin, La Logique et le monde sensible, p. 228.
80 W. Quine, Philosophie de la logique, chap. 6.
81 Néanmoins se pose la question « aristotélicienne » de l’adéquation entre les règles de la prédication et l’ontologie ; sur l’« engagement ontologique » en logique, cf. W. Quine, ibid.
82 In Revue de métaphysique et de morale, 2, 1974.
83 Cf. Objective Knowledge, chap. 8.
84 Cf. W. W. Bartley, « The philosophy of Karl Popper », vi.
85 Cf. P. Geach « Some problems about time », cité in P. Gochet, Quine en perspective, p. 158.
86 Cf. le très bon recueil de S. Harding (éd.), Can Theories be Refuted ?, et son commentaire par J. Largeault, dans Énigmes et Controverses, chap. x.
87 In Criticism and the Growth of Knowledge, 1970.
88 Cité dans P. Gochet, Quine en perspective, p. 26.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Undoing Slavery
American Abolotionism in Transnational Perspective (1776-1865)
Michaël Roy, Marie-Jeanne Rossignol et Claire Parfait (dir.)
2018
Histoire, légende, imaginaire : nouvelles études sur le western
Jean-Loup Bourget, Anne-Marie Paquet-Deyris et Françoise Zamour (dir.)
2018
Approches de l’individuel
Épistémologie, logique, métaphysique
Philippe Lacour, Julien Rabachou et Anne Lefebvre (dir.)
2017
Sacré canon
Autorité et marginalité en littérature
Anne-Catherine Baudoin et Marion Lata (dir.)
2017
Jouer l’actrice
De Katherine Hepburn à Juliette Binoche
Jean-Loup Bourget et Françoise Zamour (dir.)
2017
Les Petites Cartes du web
Analyse critique des nouvelles fabriques cartographiques
Matthieu Noucher
2017