Art, société et dévotion : les Dominicains et la première statue de sainte Catherine de Sienne
p. 149-197
Texte intégral
1Le 24 avril 1969*, le journal local les « Nuove Cronache di Siena » titrait : « Le débat est ouvert. Quel est l’auteur de la statue de bois de sainte Catherine placée dans la Fontebranda ? ». La question a paru sans doute à ce point dénuée d’intérêt qu’à ce jour, personne n’a même cherché à y répondre : déposée dans l’oratoire de la sainte, la sculpture demeure pour l’histoire de l’art anonyme, inconnue ...
2Pourtant les « Nuove Cronache di Siens », dans leur naïve et « trop directe » interrogation, enregistraient ce qui constituait une découverte récente et, éventuellement, importante ; en effet, peu de mois auparavant, une statue de bois placée dans la niche latérale de la Fontebranda avait été portée à la Surintendance des Beaux-Arts. Le nettoyage confirmait alors qu’il s’agissait bien d’une représentation ancienne de sainte Catherine de Sienne, qui avait été mise « au goût du jour » par un stucage baroque. Cette intervention du xviiie siècle montrait, en tout état de cause, une volonté « d’actualisation » dévote, en elle-même intéressante1. Peu après, le retour de la statue dans la Contrada de l’Oca – Quartier de l’Oie – a été l’objet d’une fête où cité, Église et quartier ont à leur tour « réactualisé » la pratique ancienne du parcours triomphal de la ville par la statue de la sainte ... Parcours triomphal devenu enterrement en bonne et dûe forme : ces dix années passées dans l’oratoire ont été dix ans d’obscurité et de silence.
3Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’attribuer la statue de l’Oca, mais plutôt, de s’interroger sur les raisons de ce silence de l’histoire de l’art à propos d’un objet qu’elle a elle-même remis à jour pour, semble-t-il, mieux l’enterrer ensuite : car, dans sa niche, Sainte Catherine était sans doute exposée aux intempéries, mais elle demeurait un objet de culte devant lequel, occasionnellement, brûlaient quelques cierges ; en la protégeant de la pluie et du vent, l’histoire de l’art l’a aussi mise à l’abri des dévotions ...
4Car aucun spécialiste, aucune autorité n’a ensuite proposé de réponse. Les seuls avis donnés l’ont été oralement et « à l’œil » : la statue est estimée maladroite, « rozza » (grossière), en un mot « populaire » ... Son seul mérite - d’importance il est vrai –serait d’être une des premières images de la sainte2 contemporaine presque du reliquaire3 conservé aujourd’hui à la Bibliothèque communale et de la fresque peinte par Vanni en 1399 à San Domenico ; elle daterait -au plus tard -des premières années du Quattrocentro4.

Fig. 1. VECCHIETTA, Sainte Catherine de Sienne, Sienne, Oratoire de sainte Catherine de Sienne (Contrada de l’Oca).
5Or ces seuls commentaires rendent le silence des historiens de l’art pour le moins paradoxal. Car ils seraient, de leur propre jugement, en face d’une image exceptionnelle : œuvre d’un sculpteur local inconnu, la statue aurait été réalisée entre 80 et 50 ans avant la canonisation5 – ce qui est en soi exceptionnel. De plus, elle constituerait éventuellement comme un « portrait » de la sainte alors même, on le verra plus tard, que Catherine Benincasa n’était pas populaire à Sienne même6.
6Les analyses qui suivent reposent sur l’hypothèse que cette statue, négligée parce que difficilement dé– chiffrable, constitue un « objet de culte » dont la particularité la plus remarquable tient à ce qu’il est le fruit non pas d’une mystérieuse « expression populaire », mais de ce que l’on voudrait presque appeler un calcul esthétique dont la paternité – d’ordre politique – revient aux Dominicains de la ville.
7Cette Sainte Catherine n’est en effet nullement naïve : elle est marquée au contraire par une iconographie rare, dont le caractère oblige d’entrée à changer radicalement une datation fondée trop approximativement sur de pseudo-considérations stylistiques. La question de la date de l’œuvre n’est pas pour autant le but de cette étude ; il s’agit simplement de voir comment une précision de date permet de mieux cerner la fonction et le fonctionnement d’un « objet dévotionnel » en le situant dans les débats de son temps.
8Par ailleurs, cette Sainte Catherine n’est nullement maladroite. La date (corrigée) de sa production implique un « archaïsme » qui ne peut être que voulu, dans la mesure même où, observé de près, il apparaît comme ambigu. Une étude rapprochée de la configuration oblige en effet à y pressentir le « talent » d’un « maître-sculpteur » capable de jouer sur le double registre du « primitivisme » et du raffinement, ou du « savoir-faire ». En bref, les pages qui suivent articulent sur un cas précis une série de questions plus fructueuses sans doute que celle des « Nuove Cronache di Siena » :
- Quels types de rapports peuvent exister entre un objet de dévotion et un objet d’art ?
- Comment et jusqu’à quel point un ordre religieux pouvait-il intervenir au Quattrocento sur la production de ce type d’objet ?
- Qu’en est-il d’une histoire de l’art muette dès lors qu’un objet n’entre pas clairement dans ses schémas traditionnels d’interprétation, ou, pour reprendre presque à l’envers, l’interrogation de Morelli devant la Vénus de Dresde : que vaut une « culture » qui a besoin d’un nom d’artiste pour voir une image ?
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FIG. 2a (2b, 2c, voir note 8) École vénitienne, Sainte Catherine de Sienne, Sienne, Bibliothèque communale, vers 1417.
Le cœur et son origine
9Dune hauteur d’un mètre cinquante environ7, en bois polychrome, la Catherine de la Contrada de l’Oca tient dans sa main gauche un livre et, de la main droite, elle porte sur son cœur un cœur d’un rouge éclatant : référence aux écrits de sainte Catherine de Sienne, le livre est un attribut de la sainte tout à fait traditionnel8. Le cœur, en revanche, est beaucoup plus rare, et donc intéressant.
10Force est de constater d’abord qu’entre 1380 – date de la mort de la sainte –et 1461 – date de sa canonisation –très peu d’images montrent Catherine de Sienne tenant un cœur dans ses mains9. A notre connaissance, il n’existe en fait que deux œuvres où sainte Catherine tient un cœur, et elles font aussi figure d’exception par la personnalité de leurs auteurs : la première a été peinte par le moine dominicain Fra Angelico en 1434, et l’autre par le peintre local Giovanni di Paolo en 1447. Jusqu’en 1460 environ, aucun autre artiste semble n’avoir retenu le thème de « l’échange du cœur » entre Catherine et Jésus pour son iconographie. Ce n’est que plus tard que le cœur sera retenu comme attribut de la sainte, au point de se retrouver même dans certaines xylographies -prétendument populaires, en fait « officielles » – telle celle, bien connue, de l’Archivio di Stato de Sienne10.

Fig. 3. – Anonyme toscan, Sainte Catherine de Sienne, xylographie, Sienne, Patr. Resti 468, fin xve.
11Le thème est pourtant directement tiré de la spiritualité catherinienne. C’est chez Raymond de Capoue, directeur de conscience, confesseur et principal hagiographe de la sainte que l’anecdote trouve très tôt son développement : la dévotion toute particulière de la sainte au cœur du Christ est attestée par les écrits de ce témoin de tout premier plan : lors d’une extase, elle aurait entendu le Christ s’adresser à elle en ces termes : « Ma file, l’autre jour je t’ai pris ton cœur. Aujourd’hui je te donne le mien qui te servira désormais à la place du tien. ». Dès lors, elle avait coutume de dire non plus : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur » ; mais : « Mon Dieu, je vous donne Votre cœur. »11.
12C’est très exactement l’anecdote que Giovanni di Paolo (en 1447) représente dans la prédelle du Retable des Pizzicaioli où le panneau prend sa place dans une série racontant l’activité mystique de la sainte. L’épisode s’y trouve au même titre que les autres, sans être particulièrement mis en valeur12. L’échange du cœur est ainsi retenu, sous une forme narrative, par un artiste local, siennois, parfaitement informé donc des anecdotes illustrant la vie de Catherine.
13Le cas de Fra Angelico est dès lors frappant dans la mesure où, treize ans avant Giovanni di Paolo, l’image qu’il peint n’est pas anecdotique, bien qu’il ait retenu l’épisode raconté par Raymond de Capoue, mais « synthétique »13 puisque le Christ en est absent. En effet, à l’extrémité gauche de la prédelle du reliquaire conservé au Couvent San Marco à Florence, Catherine (de profil) présente un cœur en direction des saintes qui ornent la prédelle. Le geste est tout juste esquissé : en fait le cœur est présenté comme « attribut ». On peut le décrire comme la trace laissée sur la figure par sa « storia ». L’image est devenue statique et c’est, à ma connaissance, la première image de ce type.
14On pourrait croire que le « génie » d’un maître comme l’Angelico serait ici responsable de cette innovation remarquable. Il n’en est rien : il n’a pas inventé le thème de Catherine portant le cœur du Christ dans ses mains ; il le reprend à la tradition figurative de son ordre. Peintre dominicain, il peint une image dominicaine.
15L’origine de cette figure se trouve dans un manuscrit longtemps conservé au couvent de San Domenico in Camporreggi à Sienne, et aujourd’hui à la Bibliothèque communale de la même ville : le Supplementum14. Supplément à la Légende majeure, ce texte a été rédigé par Tommaso Caffarini, ultime confesseur de Catherine et donc dernier hagiographe contemporain de la sainte. Il comporte une dizaine de pages où figurent dans les marges de nombreux dessins ajoutés à la plume qui, pour une bonne part, concernent la vie de la sainte. L’abondance de ces dessins fait de ce Supplementum une des sources les plus importantes de l’iconographie de sainte Catherine de Sienne, puisqu’il propose un « corpus iconographique catherinien » dès la date de 1417, et peut-être même avant15.
16Tout comme Giovanni di Paolo, Fra Angelico se situe dans la lignée du Supplementum mais il se distingue du peintre siennois en ce qu’il condense en une seule image -image de synthèse -la séquence narrative des différentes phases de l’échange du cœur, celle-là même que l’on trouve aux folios 58 et 59 du manuscrit T.I.2 de Sienne16. Dans ce processus menant de la figuration narrative à la représentation synthétique du « saint à l’attribut », la figurine de Fra Angelico pourrait être qualifiée de charnière, dans la mesure où les traces de la gestuelle propre à l’image « historique » y persistent. Fra Angelico a gardé le souvenir du rapport dynamique entre Catherine et le Christ, et l’image du couvent de San Marco suggère encore un appel de la sainte vers le Christ, bien qu’elle tende le cœur vers ses voisines de prédelle17.
17Le processus amorcé par Fra Angelico trouve en fait sa conclusion dans celui qui est affiché par la statue de l’Oca : cette fois, le cœur est devenu l’attribut de la sainte et il définit ainsi son « iconographie ». Détail secondaire en apparence et, pourtant, significatif, le geste que Catherine esquisse chez Fra Angelico est, ici, annulé ; le bras se replie sur Catherine elle-même : elle n’arbore pas ostensiblement le cœur en le tenant droit devant elle18, elle le tient posé sur son propre cœur, cœur contre cœur. Par sa rétention, le geste qui était auparavant narratif change de nature : la superposition des cœurs transforme l’image narrative en une condensation « synthétique » et le glissement opéré dans cette fonction du cœur -innovation d’une importance exceptionnelle dans l’imagerie catherinienne -ne peut être dépourvu de signification.

Fig. 4. – GIOVANNI DI PAOLO, Sainte Catherine de Sienne donnant son cœur au Christ. Collection Rudolf Heinemann, New York, vers 1447.

Fig. 5. – FRA ANGELICO, Reliquaire (detail), Florence, Museo San Marco, 1434.

Fig. 6a. – Ecole vénitienne, Scènes mystiques, Sienne, Bibliothèque communale, vers 1417.

Fig. 6 b, c, d, e, f. -Ecole vénitienne, Scènes mystiques, détail, Sienne, Bibliothèque communale.
Iconographie et actualité
18Une question se pose dès lors : si l’ordre dominicain est à l’origine de cette innovation tant morphologique qu’iconographique, pourquoi, dans le vaste corpus iconographique catherinien, les Dominicains ont-ils précisément choisi cet épisode de l’échange du cœur ?19.
19Ils auraient pu en particulier choisir la fameuse stigmatisation de Catherine. Avec elle, ils pouvaient prétendre récupérer en faveur de leur sainte une part de la ferveur accordée à saint François et, en particulier, à l’épisode de ses stigmates, un des plus abondamment représentés et, donc, des plus populaires. Les Dominicains n’avaient d’ailleurs pas ménagé leurs efforts pour arracher aux Franciscains l’exclusivité des stigmates. Par deux fois Catherine apparaît comme stigmatisée dans le Supplementum20.La répétition du thème et le développement figuré qui lui est accordé participent d’une démonstration quelque peu rhétorique. La controverse aura d’ailleurs lieu. Elle aboutit même à une bulle de Sixte IV en 147321.Mais, avant cette intervention pontificale, les Dominicains pouvaient utiliser le thème au profit de leur sainte. S’ils ne l’ont pas fait, c’est sans doute que le thème catherinien leur proposait mieux, ou plutôt plus précis, plus spécifique sur le plan d’une « proposition dévotionnelle ».
20L’analyse de la statue en fonction de l’actualité pourrait être ici du plus grand intérêt car elle permet d’en dégager sans doute la signification historique et politique. En effet, tout se passe comme si le choix dominicain de ce cœur était lié à l’actualité et, en particulier, à la convergence vers les années 1460 de deux grandes données historiques : la « Querelle du Saint-Sang » et l’élection d’un Siennois au pontificat, Pie II Picolomini, pape de 1458 à 1464.
Querelle du Saint-Sang
21Entre 1450 et 1462, un débat de plus en plus virulent a opposé les Franciscains et les Dominicains sur la délicate question de savoir comment on peut rendre un culte au sang du Christ, au Saint-Sang. La question, complexe, se pose en termes théologiques précis, qu’il convient de rappeler rapidement :
- Le sang répandu par le Christ au moment de la Passion a-t-il été alors séparé de la personne du Verbe ?22.
- Le sang du Christ a-t-il pu être conservé sous forme de reliques ?23.
22Les deux questions sont étroitement liées pour des raisons qui sont à la fois d’ordre théologique -l’Église enseigne que la mort du Christ n’a pas eu de conséquences sur l’union de son corps à la personne du Verbe -et dévotionnelle -le fidèle trouve dans le « précieux sang » le signe le plus sensible et l’instrument effectif de la rédemption.
23Le débat atteint un point critique en 1462 et le Franciscain Jacques de la Marche est obligé de s’incliner devant les Dominicains sous l’arbitrage du pape Pie II qui, d’ailleurs très prudemment et, semble-t-il, avec quelque bon sens, prend la décision d’interdire aux deux parties toute dispute ultérieure sur ce thème par la bulle Ineffabilis Summi Providentia du ler août 146424.
Canonisation et état du culte de Sainte Catherine de Sienne
24Le même Pie II avait canonisé Catherine trois ans plus tôt, en 146125.Pour les Dominicains, cette canonisation est bien venue, très à propos. L’autre grand saint siennois du xve siècle, Bernardin, prédicateur très populaire, a été canonisé en 1450, six ans après sa mort. Canonisation rapide, rendue plus prestigieuse encore par le fait que l’année 1450 est une année de jubilé marquée par des fastes exceptionnels26. Au contraire de saint Bernardin, Catherine n’est pas populaire ; elle est même relativement peu connue de la masse des fidèles. Morte en 1380, elle n’est toujours pas sainte quatre-vingt ans après sa mort. Des témoignages sont là pour montrer qu’en dehors de la rhétorique habituelle dans ce genre d’affaires27, les Dominicains voient dans ce délai un retard injuste, fruit d’une lenteur officielle d’autant plus choquante qu’elle met en relief, dès 1450, la rapidité avec laquelle les Franciscains ont obtenu la canonisation prestigieuse de Bernardin, leur saint.
25Pourtant les Dominicains n’ont pas ménagé leurs efforts et ils travaillent à cette canonisation depuis longtemps. Or, les conditions même de ce travail et ce qu’il met à jour font paradoxalement apparaître -mais le paradoxe n’est qu’apparent -que Sienne ne s’est guère intéressée à sa propre beutu. Les témoignages fondamentaux présentés au procès de canonisation de Catherine sont explicites :
- S’étendant largement sur les qualités mystiques de la Siennoise et multipliant les dépositions des confesseurs, les Dominicains veulent emporter l’adhésion en montrant que Catherine est vénérée rapidement dans de multiples lieux. Or, si Venise est abondamment citée dans ces témoignages, il est extrêmement frappant, en ce qui nous concerne, de constater que le nom de Sienne n’apparaît pas -ou très peu. Il semble bien en effet que la cité de la Louve n’a pas su apprécier la sainteté de Catherine aussi rapidement que l’aurait souhaité l’ordre : dans son accumulation de témoignages, où Sienne apparaît comparativement peu, le Processo Castellano constitue la meilleure preuve qu’à Sienne même, le culte de Catherine manquait de vigueur.
- Par ailleurs, la cité d’origine de la sainte n’est pas au nombre de ces villes où de multiples images à son effigie ornaient les autels. Mieux, l’ultime confesseur de Catherine, le Siennois Caffarini, doit aller à Venise pour susciter la création d’un véritable atelier où étaient produites en série des images de la sainte presque « publicitaires »28.
26En 1460, cette canonisation est « dans l’air ». Pie II Piccolomini a été élu en 1458 ; c’est un Siennois et, s’il n’inaugure pas son règne par la canonisation de Catherine, il la promulgue très vite : son prestige ne peut être que renforcé par celui de sa cité. Après la canonisation de Bernardin (1450) et le couronnement de Pie II (1458), la fête de la canonisation de Catherine est la troisième glorification siennoise en onze ans. Cet ensemble d’événements marque clairement l’apogée siennois au xve siècle29.
27De 1461 à 1464, les Dominicains jouissent donc -à propos de Catherine -d’une conjoncture extrêmement favorable : la canonisation de « leur » sainte décidée par le pape et la victoire dans la querelle du Saint-Sang ne font que se renforcer l’une l’autre.
28Cette conjonction événementielle est telle, que l’on peut penser que les Dominicains ont décidé de lier canonisation et victoire dogmatique. Cela leur est d’autant plus possible que le thème mystique de l’échange du cœur est proche de celui de la relique du Saint-Sang :
- Le cœur de sainte Catherine, celui qu’elle a échangé avec le Christ, devient la « bonne relique » par excellence. Il condense le mérite d’être une relique presque « banale » – ce à quoi elle fait référence est un symbole familier – et, grâce à l’échange mystique des organes, le cœur de la « sposa del Cristo » est devenu celui du Christ même, rendant stérile la dispute délicate sur le précieux sang et le caractère licite ou non de son adoration.
- La statue de l’Oca est comme la « figura » de la canonisation. Manifestement transportable, grâce à un anneau fixé au dos d’un corps lui-même taillé dans deux demi-troncs largement creusés pour alléger l’ensemble, la statue a été très probablement transportée. Sans affirmer pour autant que la Sainte Catherine de l’Oca a été utilisée lors de la fête de la canonisation pour la montée vers le « paradise », elle a, en tout état de cause, pu constituer comme le « souvenir » de cette image de Catherine en ascension, que le machinisme de la fête ait mis en jeu un acteur ou une statue30.
29On peut dès lors penser que les Dominicains ont utilisé la canonisation pour installer à Sienne un culte dont l’existence était pour le moins fragile, comme l’atteste, on l’a vu, le Processo Castellano. Dans ces conditions, il y avait quelque utilité à fournir un support visuel à une dévotion un peu trop « tiède ». L’image de la sainte dominicaine devait pouvoir être assez « politique » et s’inscrire en particulier dans la lignée des fêtes prestigieuses qui avaient animé Sienne antérieurement.
30La stricte contemporanéité de la querelle du Saint-Sang -à son paroxysme -et de la canonisation fait des années 1461-1462 la période la plus raisonnable pour dater la Catherine de l’Oca. La date de 1462 est la plus tentante car, on l’a dit plus haut, c’est en 1462 que Catherine Benincasa, devenue sainte Catherine, est « nommée » protectrice de la cité ; l’année 1464, la dispute est officiellement close, constituant de la sorte le terminus ad quem.
31La Sainte Catherine de l’Oca apparaît dans ce contexte comme un lieu de convergence et de condensations multiples : la statue affirme la force des Dominicains dans la cité siennoise, tout en visant à organiser une dévotion populaire. Au niveau régional, elle apaise l’impatience dominicaine tout en évoquant, sur le plan national « italien », la querelle du Saint-Sang. Et, en dernière analyse, l’iconographie montre que cette sculpture est à la fois un « objet politique » qui a pu opérer en tant que tel, et une « figura Santa » qui a fonctionné religieusement.
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L’efficacité et l’impact des formes
32Ainsi, cet objet fonctionne sur un double registre : religieux et politique. Mais son analyse ne peut s’arrêter là : cette Sainte Catherine est une statue. Et, en tant que sculpture, elle est susceptible d’un impact particulier. Il s’agit sans doute de la première représentation sculptée de la sainte et il est probable que son caractère « sculptural » a joué son rôle pour organiser le sentiment religieux d’une population, de manière à l’orienter vers des comportements dévotionnels concrets.

FIG. 7 a, b. – VECCHIETTA, Sainte Catherine de Sienne, Sienne,

Oratoire de sainte Catherine de Sienne (Contrada de l’Oca). détail.
33On peut considérer en effet qu’une image sculptée est « plus présente » qu’une image peinte et qu’elle peut éventuellement mieux se prêter à soutenir des pratiques de culte ou de vénération31.
34Car, quelle que soit sa mise en place, une sculpture est tridimensionnelle. Elle « occupe » son lieu32 selon les mêmes données spatiales que tout corps humain. Et, pour peu que cette sculpture ait la taille d’un homme, elle se présente alors à celui qui la regarde selon des données extrêmement concrètes qui en constituent la présence. D’autant plus ici, que le « corpusculum » de sainte Catherine de Sienne est « magnifié » par la Sainte Catherine de 1’Oca.
35Il est frappant de constater que le xve siècle aime parfois installer un rapport dialectique entre figure peinte et figure sculptée, l’image bidimensionnelle servant de faire-valoir, de « repoussoir » à la figure sculptée, selon des modes très divers de relations d’ailleurs33.
36Un des exemples les plus frappants de ce rôle reconnu à la sculpture au xve siècle pourrait être celui des Monti Santi, développés à partir de la seconde moitié du xve siècle par les Franciscains, et dont l’efficacité dévote sera bien reconnue plus tard par les Jésuites. Reconstitutions dans la nature des lieux saints impossibles désormais à voir, les Monti Santi proposent d’ordinaire une série de chapelles à l’intérieur desquelles des groupes de terre cuite, reconstituant les différentes étapes de la Passion, sont « mis en situation », parfois dans un décor à fresque. Les plus célèbres sont sans doute ceux de Varallo, en Lombardie. Il n’est pas indifférent de savoir qu’il en existait tout près de Sienne, à San Vivaido, de conception franciscaine, et dont le développement date du début du xvie siècle.
37Ce « prestige » particulier de la sculpture autorise ainsi à penser que la statue de 1462 a pu entrer dans une pratique dominicaine visant à fournir un support concret -un relais efficace -pour soutenir la dévotion siennoise. Au début des années 1460, Catherine n’est qu’une simple représentante du tiers-ordre dominicain, morte depuis quatre-vingt ans et peu vénérée par son peuple. Mais la récente polémique du Saint-Sang et la canonisation toute fraîche se renforcent l’une l’autre : la statue vient « à point pour marquer le coup », c’est-à-dire en particulier équilibrer, à Sienne même, la faveur dévote dont les Franciscains avaient pu bénéficier à travers saint Bernardin. Il est peu probable que ces « spécialistes » en théorie artistique que sont les Dominicains aient négligé la possibilité que leur offrait ici le prestige de la statuaire et que, précisément, ils n’aient pas été attentifs à la configuration que le sculpteur donnait à la figure. Reste à savoir et à identifier comment ...
38Ce qui suit n’est nullement une analyse formelle ou stylistique de la statue. Il s’agit plutôt d’en relever l’aspect de grossièreté générale et de l’interpréter non pas comme résultant d’une incapacité de sculpteur, mais d’un calcul très précis. Le fait, on l’a vu, que les historiens de l’art antidatent intuitivement la statue d’une cinquantaine d’années au moins révèle le caractère archaïsant de son travail ; et pourtant des détails obligent à reconnaître chez le sculpteur la maîtrise de la technique, et si l’on ose, du « style ».
39Au premier regard, de loin, la statue frappe par son élégance générale. Elégance gothique d’ailleurs, dans le déversement d’un corps longiligne, dans cette incurvation légère qui se marque à la fois latéralement et vers l’arrière. Par sa légère inclinaison sur le côté et par la force du regard qui l’anime, la tête instaure d’emblée un .rapport d’intimité avec le spectateur. De même l’ovale du visage demeure idéalisé, et très linéaire le dessin de l’arcade sourcilière prolongée dans le profil jusque dans la subtile commissure des lèvres ; mais cette continuité souple enveloppe d’une certaine douceur le caractère très appuyé du regard. Par leur délicatesse, les traits du visage participent à la sobriété et à la retenue de l’ensemble, dans la mesure surtout où aucune expression particulière ne vient animer le visage. Très révélatrice ici, la comparaison avec la figure que sculpte, une dizaine d’années plus tard (1474), Neroccio de Landi : l’élève de Vecchietta donne à sa sainte un caractère nettement sensuel où paupières demi-closes et moue tout juste boudeuse alanguissent le regard. A l’opposé, la Sainte Catherine de l’Oca affiche presque une expression de tranquillité confirmée par le drapé de la robe où aucun pli intempestif, aucun agencement coquet ou savant du tissu ne vient détourner l’attention religieuse vers la qualité esthétique d’une « œuvre d’art », dont le succès tiendrait d’abord à sa fascination spécifique.
40Élégance donc, et sobriété. Pourtant l’ensemble est marqué par un travail du bois dont le « style », la cohérence plastique se manifestent dans une lourdeur relative de l’exécution. Or, à cette date et dans cette ville, lourdeur signifie archaïsme ... Il semble bien que cet archaïsme soit en fait « archaïsant » : calculée, sciemment utilisée, la « maladresse » prétendue se concentre en un point hautement significatif de la statue, ses mains.


Fig. 7 c, d. – VECCHIETTA, Sainte Catherine de Sienne, Sienne. Oratoire de sainte Catherine de Sienne (Contrada de’ l’Oca), détail.
41Portant les attributs de la sainte, elles constituent le support de la principale « zone iconographique » de l’image. Ces attributs doivent être identifiés comme ceux qui ont permis la promotion au rang de sainte d’une simple tertiaire dominicaine : importance de ses écrits et « aventure » de l’échange du cœur, décisives pour les multiples raisons indiquées plus haut.
42Or, ces attributs sont précisément présentés ici dans un « style » dont la « manière » est extrêmement caractéristique. La main droite est manifestement grossière : épais, raides et mal dégrossis, les doigts sont comme inachevés. Cette main droite, la plus « gauche » des deux -si l’on ose dire -, est celle qui porte le livre. La main gauche est aussi affectée de lourdeur, mais elle s’achève par des ongles fins sur des doigts longs et articulés. Or ces doigts, « discrètement » délicats, tiennent l’attribut spécifique de Catherine, le cœur.
43Est-il excessif de suggérer qu’à travers la main qui le tient, l’attribut-livre voit son prestige réduit au profit de l’attribut-cœur ? Traditionnellement associé à l’imagerie de la sainte, le livre ne mérite pas vers 1461, de capter l’attention. Cet affaiblissement relatif de la mise en valeur d’un attribut se justifie dans la mesure où il vise à faire valoir le cœur. Il ne s’agit pas ici de dire que le dévot devait percevoir cette concentration de l’archaïsme sur les mains de la statue et qu’il devait en particulier reconnaître la modernité et l’actualité plus grande de la « main du cœur » : mais d’une manière ou d’une autre, il ne pouvait pas « échapper » à cette notation presque « subliminale ». Concentré sur un lieu privilégié du « trajet visuel » dévot, cet archaïsme archaisant – faussement grossier, fausse– ment « populaire » –fonctionnait à l’insu même de la catégorie de dévots que visaient en 1462 les Dominicains de Sienne : le populus, toujours, on le sait, inscius et rudis.
44Mais il y a plus, qui confirme cette hypothèse : l’archaïsme fait écho dans l’ensemble ; il se répartit sur toute la statue : le nez est alourdi d’un empâtement et, bien que modelée par des plis dont la courbure est d’une sobre élégance, la masse du vêtement « fait bloc », elle participe ainsi à l’effet « primitif » global, à la différence, par exemple de la discrète mobilité du corps qui caractérise la Suinte Catherine de Nerroccio de Landi.
45Cette silhouette même permet de préciser enfin l’analyse : par le double déversement latéral de son axe, la Sainte Catherine de l’Oca évite toute raideur et cette souplesse évoque nettement un déhanchement gothique. Mais celui-ci est, ici, comme maîtrisé. Car le sculpteur a renoncé au « brio » du gothique, en faveur précisément d’un archaïsme à l’impact moins « cultivé », moins prestigieux peut-être, mais dont la grossièreté vise à être plus « populaire »34. Bref, tout se passe comme si la Sainte Catherine de l’Oca, qui devait être tactiquement un objet de prestige, ne devait pas pour autant briller de l’éclat esthétique du « grand art ». Le savoir-faire s’y retient pour instituer un relais mieux capable de concentrer la ferveur dévotionnelle du populus. Par sa grossièreté « artificielle » la statue arrive à suggérer une origine populaire de la dévotion, à imposer l’idée (fausse) que l’art vient répondre ici à une attente des humbles, qu’il leur « ressemble ». C’est pur sa statue que Catherine Benincasa devient populaire à Sienne.
46L’interprétation paraîtra peut-être forcée ; mais elle a pourtant le mérite de rendre compte du paradoxe interne de l’œuvre : investie d’une iconographie moderne, calculée, tactique, elle affiche un style « archaïsant » et sa grossièreté manifeste s’articule sur une élégance.
47Il convient d’ailleurs de souligner qu’un tel calcul s’accorde à l’attitude dominicaine. Tout en utilisant, en effet, les services d’un peintre (moine, il est vrai) aussi brillant que Fra Angelico, l’archevêque dominicain de Florence, le futur saint Antonin, se défie des artistes et il tient, dans sa Summa, à maintenir le prestige de l’art dans les limites traditionnelles.
48Au milieu du xve siècle, la pensée la plus moderne de l’ordre dominicain continue de ne pas valoriser le « brio artistique », de ne pas accorder au prestige de l’art plus de valeur qu’il n’en faudrait35.
49Il est ainsi probable que le caractère archaïsant de la statue de l’Oca n’est pas de source populaire. La commande et « l’invention » en sont dominicaines et son style a été « popularisé » pour imposer visuellement une évidence en fait problématique : la statue fait foi et, avec elle, le culte de sainte Catherine se rapproche, dans ses manifestations, du « populus ». L’opération d’ailleurs a été réussie : la Catherine de l’Oca a été approchée, touchée, pratiquée au point que les cierges ont brûlé une partie de sa base et fortement altéré les vernis du visage.
50Par les conditions même de sa naissance, cette image montre comment l’ordre dominicain a réalisé une opération proprement idéologique (artistique, religieuse et politique). Plastiquement maîtrisée, la statue est savamment « dosée ». Rozza sans doute, rudis, mais nullement inscia36. Restait encore à réussir l’opération, à s’en donner les moyens en créant un support visuel susceptible de solliciter effectivement le dévot potentiel. En un mot, il fallait encore pouvoir disposer du sculpteur capable de répondre à une demande aussi complexe.

Fig. 8 a. – VECCHIETTA, Saint Pierre, Montemerano, San Giorgio.

Fig. 8 b. – VECCHIETTA, Saint Pierre, Montemerano, San Giorgio, detail.
Le nom de l’histoire
51Il est temps enfin de poser la question qui, si elle n’intéresse pas le fond de cette étude, ne manque pas de concerner l’histoire de l’art dans son activité classificatrice traditionnelle. Quel pouvait être au début des années 1460, l’artiste travaillant en Toscane, et si possible à Sienne même, le plus capable d’une telle maîtrise tout en ayant un goût pour les formes simples, robustes et efficaces ? Quel est le nom responsable de la statue ?
52Ainsi formulée, la question suscite d’elle-même une réponse d’autant plus séduisante que cet artiste supposé a représenté Catherine à plusieurs reprises, qu’il l’a fait dans des lieux hautement prestigieux et à un niveau officiel.
53Dès 1445-1446, l’architecte et sculpteur Lorenzo di Pietro dit le Vecchietta est le peintre d’une des toutes premières images « officielles » de la Beata Catherina - qui est encore loin d’être sainte - :il la représente sur un des panneaux de l’Arliquiera, cette armoire peinte qui contenait les très vénérées reliques de l’ospedale della Scala, monument de propagande « visuelle » de l’hagiographie siennoise37. Dès la canonisation, en 1461, il reçoit commande de l’image triomphale qui, au Palazzo Pubblico, vient faire pendant à celle que Sano di Pietro avait peinte de saint Bernardin en 1450. En 1461-1462, il peint pour Pie II le triptyque de l’Assomption pour la Cathédrale de Pienza, où sainte Catherine figure en bonne place aux côtés de Caliste III et de Pie I38. Ce simple rappel montre que, de 1445 à 1462, Vecchietta est comme préposé à l’imagerie officielle de Catherine que les autorités siennoises (hôpital, gouvernement, Pape) veulent instaurer.
54Il est d’autant moins déraisonnable de supposer que le sculpteur siennois le plus prestigieux du moment a été à l’origine de la statue de l’Oca que celle-ci est la première que l’on connaisse du xve siècle (où elles sont, par ailleurs, assez rares) et que la statue a une iconographie d’autant plus marquante, on l’a vu, que sa mise en place « synthétique » implique, de la part de l’artiste siennois exécutant le programme dominicain, une incontestable capacité d’invention.
55Deux ordres de raisons différentes viennent par ailleurs conforter cette hypothèse : la situation historique même du style de Vecchietta, les similitudes qui rapprochent Sainte Catherine des sculptures qui lui sont certainement attribuées.
56On reconnaît d’habitude en Vecchietta un de ces artistes nés avec le siècle qui assurent, à Sienne, l’articulation du Gothique à la Renaissance. Après avoir travaillé avec Masolino da Panicale, le maître de Masaccio, à Castiglione d’Olona, Vecchietta apparaît « maître en florenticisme ». Mais dès son retour à Sienne, une résurgence des conceptions plus médiévales semblent se faire jour chez lui39. Cette évolution est d’autant plus suggestive qu’après 1460, Vecchietta s’adonne avant tout à la sculpture : il abandonne la fresque après 1461 et le plus remarquable de ses tableaux d’autels, postérieurs à cette date, est précisément celui de Pienza.
57En outre, si on procède à une étude comparative de la statue de Catherine et du corpus des sculptures connues de Vecchietta, on voit apparaître des similitudes frappantes. Si l’on rapproche, par exemple, la Catherine du Cristo risorto de la Chiesa parrocchiale de Vico Alto (considéré comme une œuvre de jeunesse de Vecchietta), de la Vierge de l’Annonciation du Musée du Louvre et de la Vierge de l’Annonciation de la Collection Contini (probablement assez précoce aussi), on constate un style étrangement proche : l’idéalisation des visages passe par le même type de géométrisation et tend en particulier à un ovale assez pur. Chacune de ces œuvres est marquée par un effet de masse : les robes sont traitées avec une grande sobriété, leurs plis sont assez simplifiés, géométrisés même. Mais, surtout, on y retrouve la même incontestable élégance, alliée à un effet général de « primitivisme », à une tendance vers l’archaïsant. La Madone à l’enfant d’Istia d’Ombrone (des alentours de 1450), le San Leonardo de Monticchiello (environ 1450) ont des visages dont la géométrisation est très proche. Leur regard aussi rappelle le regard de Catherine. La structure des trois visages repose sur la linéarité du nez et on observe en particulier un empâtement identique de ce nez chez la Madone d’Istia d’Ombrone et chez Catherine.
58Convaincant également le rapprochement entre Sainte Catherine et le Saint Paul du Musée Horne à Florence (même tendance à l’archaïsant, même sobriété générale). La main gauche de Saint Paul semble inachevée, un peu raide, et le nez de Saint Paul a la même « épaisseur » que celui de Catherine. Épaisseur que l’on retrouve encore dans le nez du célèbre Saint Bernardin du Bargello. Par ailleurs, la courbure caractéristique du corps de Catherine se trouve dans d’autres œuvres de Vecchietta, comme les Anges Candélabres de Massa Maritima à l’intérieur du Duomo et les Vierges des deux Annonciations (Musée du Louvre, et Collection Contini).
59De toutes les statues de Vecchietta, la plus proche de Sainte Catherine (ou plutôt celle dont le rapprochement est le plus probant) est sans doute le Saint Pierre de San Giorgi0 à Montemerano : mêmes yeux, même nez empâté, même force du regard qui rend le personnage extrêmement présent ; les mains sont identiques, presque inachevées, travaillées avec retenue, et les plis du vêtement sont plus sobres. Bref, si l’on ose, la Sainte Catherine oubliée de l’Oca prend tout à fait sa place dans l’œuvre de Vecchietta.
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60L’important n’était pas, pour cette étude, d’attribuer la sculpture, mais d’essayer de démonter le mécanisme complexe qui soustend une énigmatique effigie, « remisée » depuis plus de dix ans dans les locaux d’une Contrada siennoise. Il convenait pourtant sans doute de montrer, comment la Catherine de l’Oca constitue un cas particulièrement révélateur des conséquences qu’entraîne parfois la classification d’un « objet de civilisation » comme œuvre d’art. Devant Catherine, l’histoire de l’art traditionnelle est demeurée silencieuse, alors même qu’elle avait « inventé » l’objet et qu’elle avait su, par la « restauration », en dégager l’aspect originel avant de l’avoir instauré objet de musée.
61En définitive, l’énigme de la statue tient aussi, c’est évident désormais je l’espère, à la pratique même de « l’histoire de l’art » : en transformant le statut de l’objet –objet de culte devenu objet d’art –, elle s’est rendu incapable d’en percevoir les « ressorts ». Si les spécialistes ont tendance –sans d’ailleurs pouvoir ni vouloir confirmer « scientifiquement » leur « sentiment » –à voir dans l’œuvre une image très précoce, c’est que son ambiguïté spécifique leur a échappé : grossière elle paraissait, grossière elle était. Ancienne, donc ... Peu importait alors qu’il fût peu vraisemblable de supposer l’existence d’une statue de Catherine, à Sienne, dès 1400. Autant ne pas en parler. Privée de nom d’auteur, l’histoire de l’art a été prise au « style » de l’image et à son piège. Ce n’est sans doute pas le moindre succès de l’intelligence dominicaine et du talent de Vecchietta que d’avoir, un demi millénaire plus tard, réussi à prendre l’histoire de l’art à un piège dressé pour de toutes autres raisons. L’histoire de l’art a cru « populaire » une œuvre dont l’objet était de faire croire « le » populaire.
Notes de bas de page
* Cet article fait suite à un travail présenté lors du Simposio internazionale cateriniano-bernardiniano, ne1 seste centenano della morte di S. Caterina e della nascita di S. Bernardino, Siena, 17-20 aprile 1980, et d’un autre sur le même thème, organisé à Avignon en juin 1980.
1 La tête était prise dans un long voile de style baroque qui enveloppait l’arrière du corps jusqu’aux pieds. Les traits du visage avaient été alourdis par des reprises stuquées. Cette intervention est intéressante en ce qu’elle fait apparaître la volonté de ne pas détruire l’objet. Bien au contraire, l’activité cultuelle a été reconnue vivante, mais probablement estimée « déclinante ». Le besoin de « réactualiser » la statue a été alors ressenti pour stimuler et éventuellement « faire repartir » son activité d’objet de dévotion.
Il n’est pas déraisonnable de penser que, si G. Gigli n’est pas le seul agent du renouveau du culte en faveur de Catherine au xviiie skie, il en est très probablement un des vecteurs essentiels : je dois à mon ami Alberto Cornice (dont la perspicacité n’est pas étrangère à l’invention de la Sainte Catherine de l’Oca et sans l’insistance duquel cet article n’aurait sans doute pas vu le jour) de savoir que différentes interventions urbanistiques sur la ville de Sienne auraient été opérées sous l’égide de G. Gigli, en faveur de Sainte Catherine de Sienne notamment. Ces interventions s’incrivent en parallèle de son activité importante d’éditeur des œuvres de sainte Catherine.
A cela s’ajoute que plusieurs manuscrits du xve siècle de la Bibliothèque communale de Sienne concernant les œuvres et la vie de Catherine ont été restaurés au xviiie siècle grâce à la bienveillance de dévotes membres du tiers ordre. Elles ont assuré les frais de restauration des couvertures (tendues encore aujourd’hui de velours rouge et fermées au moyen d’une boucle d’argent). Il s’agit des manuscrits des séries T.I.1 à T.L4, T.L7 et T.I.8, T.I.10, T.II.1 à T.IL8, T.III.l, T.III., et T.IIL8.
Il y a donc bien un climat dévotionnel en faveur de Catherine au xviiie siècle.
2 Il s’agirait en effet d’une des premières images sculptées de celle qui est protectrice de Sienne par la décision du Conseil della Campana, prononcée le 19 mars 1462 (Regoli, Documenti relativi a Santa Caterina da Siena), protectrice de Rome, patronne d’Italie et Docteur de 1’Eglise
3 La tête a été transportée de Rome à Sienne en 1385 par Tommaso della Fonte. Le reliquaire en cuivre de la Bibliothèque communale de Sienne, étant très probablement celui qui a servi par la suite, date donc de cette époque.
4 Considérons 1410 comme limite extrême.
5 Morte le 29 avril 1380, canonisée le 29 juin 1461. Si on retient toujours la date limite de 1410, la période possible est alors bien comprise entre 80 et 50 ans avant la canonisation.
6 Certains auraient aimé voir en Andrea Vanni l’auteur de cette statue. Cette idée est répercutée - prudemment – sous forme interrogative par les « Nuove Cronache di Sena ». Or, Andrea Vanni est considéré par beaucoup (voir l’article de R. Fawtier, sur Le portrait de Sainte Catherine de Sienne, dans Mélanges d’Archéologie et d’Histoire de l’École Française de Rome, 1912, pp. 233-244) comme l’auteur (disciple et dévot de Catherine) du portrait (fait du vivant même de la sainte) qui se trouve dans la Chapelle delle Volte de 1’Eglise San Domenico in Camporeggi. L’analyse de R. Fawtier écarte toute interprétation de cette fresque comme portrait. Il en est de même pour le reliquaire de cuivre de la Bibliothèque communale de la ville de Sienne. Il n’y a, donc, pas plus de raisons pour que la statue de la Fontebranda – si elle est effectivement d’Andrea Vanni, ce qui est difficilement crédible puisqu’il n’est pas connu comme sculpteur – soit elle aussi un portrait de la sainte. Sans doute le plus important de cette image sculptée est qu’elle constituerait alors un des premiers « documents artistiques » la concernant.
Plus affirmative, bien que nuancée, la très petite notice explicative en regard de l’image de Catherine, publiée dans l’ouvrage de Walter Nigg, Caterina da Siena, dottore della Chiesa, ed. Paoline, Roma 1980, se fait l’écho d’une part, des propositions d’attributions en faveur d’Andrea Vanni et d’autrepart, d’hypothèses extrêmement fantaisistes selon lesquelles, il s’agirait d’une statue de vierge retaillée.
7 Catherine était petite : elle-même parle de son « corpusculum », Dialogue de Sainte Catherine de Sienne, éd. par E. Cartier, Paris, 1892, LXXIX, pp. 131-133.
8 Le livre apparaît très tôt dans l’iconographie catherinienne. Les manuscrits de la Bibliothèque communale de Sienne, pour ne citer que ces exemples, présentent de nombreuses miniatures où Catherine tient un livre dans ses mains. Le folio 4 et le folio 193 du manuscrit T.I.2 peuvent être notés à titre indicatif. Autour du thème des écrits de la sainte, il faut signaler le panneau La bienheureuse Catherine de Sienne et quatre bienheureuses dominicaines, considéré comme une œuvre de l’école siennoise du tout début du xve siècle. Ce retable, conservé à la Galerie de l’Académie, à Venise, fait la synthèse des différents attributs « d’écriture » de Catherine. Les nombreuses lettres de la sainte, largement figurées à l’intérieur des manuscrits siennois T.II.2 et T.II3 (figure 2c) sont ramassées en un paquet tenu par la main droite de la sainte et, reliées sous forme de livre, dans la main gauche (figure 2b). Cette image est d’autant plus intéressante qu’elle fait valoir en prédelle l’épisode des stigmates et qu’elle est de toute évidence à usage dominicain. Ainsi des manuscrits siennois jusqu’aux représentations par Sano di Pietro en passant par celles de Giovanni di Paolo, sainte Catherine est très fréquemment représentée avec un livre. C’est donc un attribut permanent de la sainte et il ne sera pas étudié ici en raison de sa banalité même. Dans l’autre main, Catherine tient généralement un lys ou un crucifix, parfois même les deux à la fois.
9 1420 – date de la première trace d’un paiement effectué en faveur d’un artiste ayant fait une image de Catherine. Ce paiement concerne Giovanni di’Paolo qui, de la sorte, pourrait constituer le départ d’une forme de chronologie, délicate à établir, des artistes qui ont peint Catherine, à plusieurs reprises et avant sa canonisation. Sano di Pietro, lui, n’a pas laissé d’images de Catherine avec un cœur. Il a préféré le lys et le livre tout comme, par exemple, Giacomo da Lodi, connu à partir de 1451 seulement.
10 Autre exemple de cette diffusion du cœur, le petit panneau de Cozzarelli de la Pinacothèque de Sienne, connu pour son effet relativement spectaculaire de la fin du xve siècle.
11 Légende Majeure, chap. VI, 2e partie, 8 179-180, selon la division établie par les Bollandistes dans Acta Sanctorum, avril, III, 851-959, 1re éd., 1738.
12 Le Retable des Pizzicaiolia été commandé en 1447 par la corporation de Charcutiers pour la chapelle récemment construite dans l’église de l’hôpital de Santa Maria della Scala à Sienne. Un résumé des différentes thèses sur l’agencement originel du retable est donné dans la notice 211 du Catalogue de la Pinacothèque de Sienne, établi sous la direction de Pietro Torriti, Gênes, 1977, p. 316. E. Fernandez-Gimenez développe un peu plus longuement ces thèses dans The Cleveland Museum of Art. Catalogue of Painting.1 : European Painting Before 1500, Cambridge, 1974, pp. 105-110. Il ressort de son analyse que, quelle que soit la reconstitution, l’anecdote de l’échange du cœur ou plutôt le don du mur de Catherine au Christ n’est pas particulièrement mis en valeur par son emplacement ni à l’intérieur de la prédelle, ni à l’intérieur du retable. Notamment, appuyée sur la description semble-t-il assez complète de l’Abbé Carli (1800-1810), la reconstitution proposée par Cesare Brandi placecette anecdote à côté du panneau central de la prédelle, en symétrique de la prière de la sainte pour obtenir la guérison de sa mère Lapa. La mise en rapport symétrique des deux épisodes empêche toute valorisation de celui du don du cœur en raison du succès très limité, auprès des fidèles, de celui de la guérison de Lapa.
13 Par « synthétique », il faudrait entendre une image où s’effectue la synthèse figurée d’une « satoria ». L’image synthétique est d’ordre hiératique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas engagée dans une action ; le personnage représenté affiche les attributs qui le caractérisent.
14 II s’agit d’un codex en parchemin, écrit sur deux colonnes de quarante-trois lignes, en écriture gothique, par une main du xve siècle. Ce sont les folios 56 à 66 qui nous intéressent. Ce manuscrit est probablement une « copie contemporaine d’un original disparu », exécutée et donnée à ce couvent sur les instances de Caffarini à N. et A. de Guidicconi (Cf. R. Fawtier, Sainte Catherine de Sienne, essai de critique des sources, Tome I, Paris, 1921, p. 45, n.1).
15 Il existe une copie du manuscrit T.I.2 de Sienne à la Bibliothèque de l’université de Bologne : Cod. lat. 1574, Référencé sous le n° 810 dans le catalogue Frati. Considéré de la première moitié du xve siècle (Frati est même plus précis : alentours de 1417). Il provient de la bibliothèque du couvent Saint Domenico in Camporreggi. Selon Frati, les dessins seraient à attribuer à Jacopo Bellini (Cf. Bibliofilia, XXV, p. 127 et suiv.). En général, on y a plutôt vu des dessins de l’école vénitienne.
16 En effet, les différentes phases qui caractérisent le thème de l’échange du cœur de Catherine avec le Christ se répartissent en plusieurs dessins portant sur plusieurs saints ou bienheureux. La première phase où le Christ a pris le cœur de Catherine est en fait représentée par un bienheureux ermite dont le cœur est pris par un ange (Fig. 6b). La phase suivante, intervenue plusieurs jours après, selon la légende, est représentée par le Christ qui, tenant bien haut dans sa main droite le cœur qu’il va mettre dans la poitrine de Catherine, ouvre celle-ci de sa main gauche (Fig. 6c). Sur le folio suivant, un troisième dessin représente la dernière phase de l’épisode : Catherine est en prière devant le crucifix et offre au Christ en croix un magnifique cœur (Fig. 6d). La narration de l’anecdote de l’échange du cœur est faite ici en trois séquences. Il faut remarquer une ces trois séquences sont regroupées sur don du clou ne s’intercale pas entre les deux dernières phases de l’échange du mur. Le manuscrit bolonais se marque ainsi par une certaine unité – plus cohérente – dans l’échelonnement des dessins qui s’y trouvent. On peut y voir la confirmation que le manuscrit siennois serait bien antérieur au manuscrit de Bologne (cf. les thèses contradictoires sur ce sujet) (Frati, op. cit. et R. Fawtier, op. cit.).
17 A la différence de Catherine d’Alexandrie, le mariage mystique de Catherine de Sienne a eu lieu avec le Christ adulte. Il n’est donc pas étonnant que l’enfant du registre supérieur ne soit pas concerné par le geste de Catherine.
18 La statue polychrome – sans doute du xvie siècle – conservée au musée du Petit Palais d’Avignon représente Catherine couronnée d’épines. La sainte affiche un cœur aux proportions non négligeables en le tenant pratiquement à bout de bras. Il n’est pas possible de ne pas voir ce cœur dont l’exposition est pesamment affirmée. Cette statue provient du couvent dominicain d’Avignon. Elle constitue ainsi un autre exemple – même tardif – d’une iconographie dominicaine.
19 Pourquoi ne pas avoir préféré la thématique du don des clous de la croix ou de la couronne d’épines, ou celle encore de la tentation de Catherine par de multiples démons? Le manuscrit T.I.2 de la Bibliothèque communale de Sienne contient la presque totalité du répertoire iconographique de sainte Catherine de Sienne. Le folio 58 fait apparaître la sainte couronnée d’épines par le Christ même (Fig. 60. Au bas du même folio, le Christ encore lui donne un des clous de la croix. A plusieurs reprises les démons tourmentent Catherine au folio 64. Au bas du folio 57, sainte Catherine se mortifie au moyen de chaînes. Il faut noter qu’elle n’est pas la seule beata ou sainte à se livrer à de sévères macérations. En effet, folio 57 toujours, un bienheureux est agenouillé devant l’autel et se flagelle le dos. Une bienheureuse, probablement Brigitte, se fait subir le même genre de mortifications. Noter aussi que Jérôme est flagellé par un ange, fol. 58, et que Marguerite fait pendant à Catherine de part et d’autre du texte du folio 64 en subissant des mortifications au moyen de verges, grâce au concours bienveillant d’une religieuse. Thomas n’est pas oublié et, sur l’intervention d’un frère, il subit la flagellation au bas du même folio. Il ressort de ces observations que la diversité des bienheureux ou des saints n’est due qu’à l’intention de faire valoir la qualité du comportement mystique de Catherine : elle n’a pas été épargnée par les épreuves qui ont jalonné sa vie et qui sont celles subies par beaucoup de mystiques de renom. De plus chaque dessin est conçu comme le développement figuré du texte en regard, tant et si bien qu’une lecture rapide du manuscrit est sous-tendue et soutenue périodiquement par une image de Catherine. Le manuscrit est conçu comme un outil qui doit aider à promouvoir le culte de la sainte à la fois par le texte et par l’image, et notamment par le caractère répétitif de l’un et de l’autre. Il s’agit donc d’un outil de propagande où tous les thèmes iconographiques sont présentés, constituant ainsi le corpus iconographique catherinien.
20 Il faut souligner que le thème de la stigmatisation de Catherine a été un thème cher aux Dominicains. Encore une fois, la popularité du thème, ne pouvait être que bénéfique au culte de la Siennoise. En effet, l’épisode de la stigmatisation de saint François a été à ce point populaire qu’il n’est pas neutre de le trouver représenté en tête du folio 81. La stigmatisation du Franciscain constitue la première image du folio et d’elle découlent toutes les autres stigmatisations figurées. La page entière semble de la sorte didactique en ce qu’elle donne une «liste» figurative de Dominicains, qui, comme saint François, ont été stigmatisés : la bienheureuse Hélène de Hongrie, le Frère Gauthier de Strasbourg et, bien sûr, Catherine de Sienne. Ils occupent avec le Franciscain la totalité de l’espace du folio, divisé en quatre compartiments égaux. Saint François introduit le thème de la stigmatisation en haut à gauche, et Catherine clôt le discours figuré en bas à droite. La popularité du thème est bien en jeu ici en ce qui concerne Catherine de Sienne... et son potentiel de popularité propre.
La deuxième représentation de Catherine stigmatisée est une image de condensation en ce qu’elle concentre deux épisodes de la vie mystique de Catherine : il s’agit de la stigmatisation et du don des clous (Fig. 6e). Au bas du folio 58 à droite, Catherine reçoit des mains du Christ un des clous de la croix. L’important est que ce clou perce la main de Catherine de part en part. Catherine est suppliciée par le Christ même. Lavéracité des stigmates de Catherine ne peut même plus être mise en cause.
21 Ordre de Sixte IV qui interdit de « ...habere, pingere et facere... » des images de Catherine avec les stigmates sanguinolantes, mais seulement lumineuses. Le 3 février 1473, le Consistoire a communiqué au Cardinal de Sienne le contenu restrictif de cette bulle : il s’agit du document no 118 exposé à la Mostra Cateriniana di documenti, manoscritti ed edizioni (secoli xiii-xviii) ne1 Palazzo del Commune diSiena, agostoottobre 1947. Catalogo. Sienne, 1947.
22 Si tel est le cas, ce sang ne devrait pas être l’objet d’adoration. C’est la position franciscaine. Voir Pastor (L.). – Histoire des papes– trad. de l’allemand par F. Raynaud. T.3., 3e éd., Paris, 1909, pp. 273-274.
23 Il serait alors d’origine miraculeuse et pourrait être l’objet de culte (d’ailleurs autorisé en 1448 sous Nicolas V). Voir Pastor, op. cit., pp. 273-274. Voir aussi l’article de M.-D. Chenu dans le Dictionnaire de théologie catholique. XIV. Sang du Christ. 1094-1097.
24 La bulle interdit même toute prédication à ce sujet, et il est spécifié qu’il ne faut pas considérer le point de vue franciscain comme « hérétique ». Voir Pastor, op. cit., p. 274, n. 3.
25 Le 29 avril 1461. Pie II a composé lui-même la bulle de canonisation. Voir Pie II, Commentarii, p. 135.
26 Cf. D. Arasse, Fervebat pietate populus. Art, dévotion et société autour de la glorification de saint Bernardin de Sienne, dans «Mélanges de l’École Française de Rome», 89, 1977, 1, pp. 189-263.
27 Voir, à titre d’exemple, ce qu’écrit F. Sorelli, au sujet des comportements d’hagiographes, dans son article : La production hagiographique du Dominicain Tommaso Caffarini : exemples de sainteté, sens et visées d’une propagande, dans «Faire croire», modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle, Ecole Française de Rome, Rome, 1981.
28 De l’aveu même de Tommaso Caffarini dans sa déposition au Processo Castellano. Voir II Processo castellano, ed. par Laurent (M.-H.), Milan, 1942, pp. 91-93 : « ... ymago eiusdern, communiter depicta more beatarum ab ecclesia nondum solempniter canonizatarum, multipliciter in diversis provinciis reperitur, prout de pluribus fore in remotis partibus fide digna relatione percepi, et de quampluribus propriis vidi luminibus, utpote Polonie, Theuthonie, Grecie sive Romanie, Dalmatie sive Sclavonie, thuscie et Lombardie, et signanter in civitate Venetiarum, ac Rome et Apulie, allisque diversis locis christianitatis, et hoc aut in tabulis, aut in muris sive in cartis, sive in panis, ac etiam libris ; sicque per hec non solum ad loca fidelium, sed etiam infidelium, prout michi constat, per fiddes virgini precipua devotione affectos ymago virginis deportaturtam per mare tam per terram. Nam, et dum ista scriberem, ordinatum est quod alique virginis ymagines de Venetiis Alexandriam sint transmisse... ordinatum fuit per quemdam devotum eiusdem precipuum, ut ymago ipsius virginis etiam ystorialiter de facili multiplicabilis depingeretur in cartis, de quibus in die commemorationis prefate plurime inter ramos seu florum manipulos in ecclesia ponerentur, ut sic omnibus et maxime devotis virginis communicari valerent, ac per hos virginem possent iuxta debitam decentiam non solum in publico, sed etiam in propriis stationibus sive domibus venerari. Et certus sum quod, ex quo ceperunt dicte ymagines virginis fieri, plura millia facta sunt et quotidie fiunt, ex quibus non solum per vivitatem Venetiarum sed etiam per partes suprascriptas est huc usque non parva multitudo transmissa ; et quod plus est quod ex hoc habuit ortum, ut usque hodie per diversas ecclesias Venetiarum aliquorum sanctorum ymagines in die festo ipsorum in talibus cartis multiplicarentur, ut ad manus personarum devotarum et presertim eorurndern sanctorum perveniant in augmentum reverentie et devotionis ad ipsos sanctos ... ». La grande attention dominicaine à fabriquer des images en grand nombre est probablement liée au personnage du Cardinal Giovanni Dominici « ... the one most direct bridge in his time between the high clercy and painting » (cf. Creighton E. Gilbert, Italian Art, 1400-1500, Prentice Hall 1980, pp. 145-146). Sa vocation de moine est redevable à sainte Catherine de Sienne, il a été responsable d’une « reprise en main » d’un groupe de monastères, où la règle était rigoureusement respectée. Peintre lui-même – il fit des manuscrits enlumines –, il considérait la peinture utile à l’éducation des petits enfants et, ne la tenant pas particulièrement en haute estime, était cependant attentif aux conditions dans lesquelles celle-ci était comprise.
29 Cf. D. Arasse, op. cit., pp. 210-211
30 Cf. D. Arasse, op. cit., p. 211, note 58 ; particulièrement le texte cité des dronache Aldobrandini), Bibl. comm. de Sienne, Cod. 1 IV c, p. 307 : « A 16 d’Agosto si fe in Sena una nobil festa a honore di detta Santa (Caterina), Che s’amajo per Siena, e tutta la Piazza, e fessi el Paradis0 in su la Cappella del Campo ».
31 Cf. R. Trexler, Florentine Religious Experience : The Sacred Image, dans Studies in Renaissance, XIX, 1972, pp.7-41.
32 Tout particulièrement une « surface au sol » concrète, doublée d’un développement vertical réel.
33 Il n’est pas question ici d’aborder ce problème, qui met à jour dans la pratique, avant même que la théorie ne l’articule, le thème du paragone des deux arts. Il suffit sans doute d’évoquer le succès des terres cuites polychromes de l’atelier des Della Robbia. Si la structure générale, sur la surface, demeure celle des images peintes, la couleur même vise à laquer le relief, à lui donner cette peau, qui est la surface des corps peints chez Alberti en 1435 (II, 32). Quelques exemples choisis arbitrairement attestent la force de ce caractère concret propre à la sculpture. Il semble ainsi que Nerroccio di Bartolo ait tenu compte de cette mise en valeur de la sculpture par la peinture pour saMadone à l’Enfant entre des saints et des chérubins, conservés au Museo della Maremma (Grosseto). Le bas-relief constitué par la Madone «fait corps)) avec le panneau, mais il s’en détache par son léger ressaut et par la planarité, en retrait, des saints peints qui encadrent Marie. Il faut, par ailleurs, souligner l’effet chromatique de l’ensemble : la tonalité générale ocre n’est pas sans rappeler la couleur d’une terre cuite ou même d’un bois, c’est-à-dire de deux matériaux propres à l’élaboration de volumes sculptés. Le Saint Sébastien de la Pinacoteca di S. Andrea d’Emploi fonctionne de la même manière. La qualité esthétique des anges peints SUI les &tés du saint, mettent en valeur la force sculptée du martyr. D’autant plus que le but de la peinture dans cette œuvre est de paraître à trois dimensions, à la fois par le mouvement esquissé par les anges de part et d’autre de ce Saint Sébastien, et par la couleur blanche de la robe de ces derniers, identique à celle du matériau dans lequel est sculpté le martyr. Ici encore, la peinture est utilisée comme faire valoir de la sculpture.
34 C’est-à-dire proche du goût populaire, afin de plaire au plus grand nombre. Sur le lien entre grossièreté de la facture et caractère « populaire » de l’œuvre, cf. en particulier la phrase célèbre de Vasari : « Non parlerb d’alcuni ceri Che si dipignevano in varie fantasie, ma goffi tanto, che hanno dato il nome ai dipintori plebei; onde si dice alle cattive pitture : Fantocci da ceri... », Vie de Cecca, éd. Milanesi, III, p. 203.
35 Pour une étude ponctuelle sur saint Antonin et les artistes contemporains, cf. Creighton Gilbert, The Archbishop on the Painters of Floreme, 1450, dans Art Bulletin, 1959, vol. XLI, pp. 75-87. En ce qui concerne les images et ce qu’en pense saint Antonin, voir : Saint Antonin, Summa, Pars III, tit. XII, cap. IX, 8 4, Verona 1740 : dgitur, si consideramus imaginem Christi et sanctorum, in quantum est quaedam res, puta lignum vel sculptum ; sic nulla reverentia est exhibenda, quia reverentia non debetur nisi rationali creature. Sed si onsideramus imagines Christi vel sanctorum repraesentatas, sic reverentiam et adorationem exhibere debemus, sicut et ipsis. ».
36 La statue de l’Oca a pu jouer d’autant mieux un rôle de « relais dévotionnel » que la Catherine réelle pouvait « ressembler » à cette figure de sainte Catherine. Catherine était en effet une «fille du peuple », la fille d’une femme vingt-cinq fois mère. Rien que de très humble dans cette descendance d’artisan; somme toute, rien de surprenant ici dans les couches populaires. Curieusement, cette origine sociale si peu « aisée » a comme contre-poids une relative « impopularité » de Catherine et le fait que son culte était soutenu par des couches sociales plutôt de haut niveau. Pour mémoire l’affaire des Ciompi, où Catherine a été menacée de mort, cf. Anta1 (F.), Florentine Painting and its Social Background, 14th and early 15th Centuries, Icon Editions, Harper and Row Publishers, N. Y., s.d. (lreed. 1948), p. 35, n. 62 et p. 98, n. 85.). En devenant sainte, Catherine Benincasa a parcouru un chemin exemplaire : au départ, l’ordinaire populaire et, à l’arrivée, une élévation spirituelle très exigeante, où le corps tend petit à petit vers l’inexistence matérielle. Dans cet itinéraire ascétique et mystique, la Catherine de Sienne « réelle » – Catherine Benincasa – pouvait être le «modèle» de son image, sainte Catherine de Sienne, la Catherine de 1’Oca.
37 Cf. H.W. Van Os, Vecchietta and the Sacristy of the Sena Hospital Church, La Haye, 1974.
38 Calixte III, pape de 1445 à 1458, prédécesseur immédiat de Pie II.
39 Cf. P.H. Michel, Vecchietta, dans Dict. de la peinture italienne, Paris, 1964, p. 305, et surtout P. Torriti dans La Pinacoteca nazionale di Siena, i dipinti da1 xii al xv secolo, Gênes, 1977, p. 353, dont la description s’accorde particulièrement bien à notre hypothèse.
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