La Chambre de la Signature ou la « naturalisation » de la culture
p. 109-121
Texte intégral
1La chambre de la Signature constitue, concurremment avec la voûte de la Chapelle Sixtine, la première formulation monumentale du « style classique » à Rome1. Elle s’inscrit aussi, au service d’une nouvelle idée impériale de la papauté, dans un vaste projet de Renovatio, dont les pièces maîtresses sont architecturales et urbanistiques2. Mais par delà les questions, abondamment débattues, de la destination de cette pièce dans l’appartement de Jules II au deuxième étage de l’aile nord du palais pontifical, et du programme d’inspiration néoplatonicienne qui présiderait à sa décoration, il semblerait que, dans un milieu de première importance, celui de la cour du pape, on voie s’élaborer, à travers une nouvelle mise en image de la culture humaniste, un nouvel usage social de cette culture, de nouvelles modalités de sa transmission, voire de sa légitimation. C’est ce que nous voudrions essayer de cerner, en partant de l’écart manifeste entre les fresques de la voûte, où seraient reléguées les figurations traditionnelles du savoir, et celles des murs (l’École d’Athènes surtout), où se déploient de vastes groupements de personnages savamment agencés, animés de relations inédites. Le rapport de la storia au « lieu » (des personnages à l’architecture peinte) et le thème de la « grâce » nous serviront d’index.
2Comme l’a excellemment montré E.H. Gombrich, le plus important ontologiquement est à la voûte, et préside au déploiement d’un cycle épidictique sur les murs3. Dans l’épistémê de la Renaissance, Causarum cognitio est plus vraie, plus réelle, que tel ou tel philosophe, fût-ce Platon ou Aristote. « Universalia sunt ante res. » Dès lors, dans une culture qui est avant tout rhétorique, les fresques des murs prennent leur sens à partir de la voûte, comme l’éloge de quatre champs culturels, solidaires les uns des autres en tant qu’ils émanent de la Divinité. Dans la logique de l’amplificatio épidictique, c’est une vaste comparaison amplifiante qui s’opère d’un mur à l’autre, dans un réseau serré de correspondances thématiques et plastiques entre les fresques4.
3Si la peinture semble au premier abord n’être ici exaltée qu’indirectement comme médium de l’éloge, dans la tradition néo-platonicienne Renaissante la vue n’en est pas moins privilégiée, car, du fait notamment de son immédiateté non discursive, elle a partie liée avec la « vision » des Idées5. En ce sens, la « beauté tendue » de la « ravissante » Poésie, plus sensible encore selon Gombrich dans le dessin préparatoire de Windsor, confirmerait sa supériorité sur tous les poètes.
4En fait, l’intérêt réel s’est déplacé de la voûte aux murs6. Non seulement la voûte est malaisée à contempler du fait de l’exiguïté relative de la Chambre, mais surtout sa décoration procéderait largement d’accidents. La clé aux armes de Nicolas V là où on attendrait la Divinité était sans doute incontournable, mais surtout Raphaël reprend en partie, selon Vasari, une voûte déjà décorée par d’autres, et, d’après des observations permises par des travaux de restauration, il ne saurait y avoir, si on en croit D. Redig de Campos, le subtil jeu de correspondances à double circulation entre les quatre champs culturels et les quatre éléments que E. Wind y avait décelé7. Il est en tout cas incontestable que par inadvertance deux genietti des éléments ont été intervertis8. A vrai dire, une exécution heurtée n’empêcherait pas de trouver a posteriori, dans le cadre de l’épistémê Renaissante, des relations entre des images ne procédant pas d’une conception d’ensemble9.
5La présence d’un cycle épidictique (que le désintérêt pour la voûte interdisait peut-être de saisir dans toute sa cohérence) n’est en rien une innovation. L’éloge d’un ou de plusieurs secteurs de la culture savante est une pratique traditionnelle dans la rhétorique humaniste, comme le prouvent les discours universitaires d’apparat du xve siècle cités en exemple par Gombrich10. Parallèlement il existe en peinture un solide répertoire traditionnel pour décorer des lieux en rapport plus ou moins direct avec les Arts ou les Vertus (ou d’autres Réalités Supérieures liées à la vie intellectuelle ou religieuse). Ce répertoire constitue au fond la version en images de l’éloge épidictique de la culture savante11.
6De fait, comme réalisations de ce genre antérieures seulement d’une à deux générations, et que Raphaël et/ou Jules II ont connues ou pu connaître, on ne manque pas de citer, pour faire valoir la rupture « géniale » de Raphael, le Studiolo d’Urbin, le Cambio de Pérouse, et, juste au-dessous des Chambres, l’Appartement Borgia12. La série devient plus significative si on y adjoint, toujours dans la même aile du palais pontifical mais au rez-de- chaussée, la Bibliotheca Latina et surtout la Bibliotheca Graeca13.
7Dans les trois exemples habituels, que l’image soit compartimentée ou unitaire, on trouve toujours des séries strictes d’« hommes illustres », ou de saints, de sages, de prophètes, d’apôtres ... comme autant d’images exemplaires d’un Art, d’une Vertu ; ce sont, si l’on veut, des imagines agentes, en termes d’art de la mémoire. Ils s’inscrivent de façon stricte dans leur encadrement (voire dans les architectures peintes) ; leur identité est établie de façon univoque, par des attributs, banderoles, tituli... Leur nombre et leur raison d’être là sont clairs : ils ne sont là qu’en tant qu’ils se subordonnent directement, dans une relation de filiation-soumission, à une Réalité Supérieure, à un Art, ou à une Vertu, qui peut être explicitement présente dans l’image, ou implicitement seulement dans ses « fils ». Que ces personnages soient pris dans des stone ne change pas grand-chose, la storia se rattachant directement elle aussi, comme un exemplum visuel, aux Arts ou aux Vertus qui président à ces personnages. Ces cycles fonctionnent dès lors, sans grand jeu, plus ou moins comme des images mnémoniques, ordonnées à la vertu de prudence14. Ils correspondent à un certain fonctionnement de l’imaginaire, difficile à préciser, mais autre que celui qui entre en jeu dans la Chambre de la Signature15. Ils concernent directement le spectateur, ils « influent » sur lui immédiatement. En somme, sans nier qu’il y entre du plaisir, on aurait traditionnellement un mouvement descendant strict entre trois termes : l’Art / ses « fils » (avec peu ou pas du tout de relations entre eux) / le spectateur.
8La rupture qu’on constate dans la Chambre de la Signature ne saurait se réduire à l’effet, sur une tradition illustrative neutre, de nouvelles exigences spécifiquement esthétiques par lesquelles la peinture serait en train de se constituer comme classique. Certes, après Léonard, ce à quoi Raphaël et Michel-Ange travaillent, à Rome à partir de 1508, c’est sans doute, comme l’analyse bien Freedberg, à assurer à la peinture une compétence accrue dans la manipulation du corps humain comme outil plastique prioritaire, renversant l’antériorité albertienne du « lieu » sur la storiu, mais cela ne suffit pas à rendre compte des nouveaux rapports proxémiques qui, du même mouvement, se créent dans l’image entre les personnages, ni surtout du nouveau rapport, lui aussi proxémique, qui s’établit entre cette image et son public, avec ce qui s’y joue peut-être d’un fonctionnement différent de l’imaginaire, d’une relation nouvelle de plaisir et de séduction16. La relation des « fils » à l’Art s’est distendue, tandis que les relations entre les « fils » se sont enrichies, ainsi que celle des « fils » au spectateur17.
9Comment donc cerner l’enjeu socioculturel de la Signature d’un point de vue véritablement historique ? Qu’on le veuille ou non, la démarche qui fixe là la formulation du classicisme romain participe encore d’une approche téléologique, celle-là même de Vasari, qui, quarante ans plus tard, ordonne rétrospectivement l’histoire de la peinture à l’avènement de la terza maniera, comme le confirmerait l’absence, à notre connaissance, d’étude récente sur les cycles de Pinturicchio à l’Appartement Borgia18.
10Il y a d’abord le succès immédiat auprès du principal intéressé. Si on en croit Vasari, alors que la décoration de la Chambre était comme de coutume confiée à plusieurs équipes, l’École d’Athènes plut tellement à Jules II, qu’il fit redécorer toute la Chambre par Raphaël seul, et « demeura très satisfait de l’ensemble »19. Ce n’est pas la première fois que le fait du prince dicte la norme artistique, mais il n’est pas indifférent que la tâche se personnalise pour l’éloge de la culture, faisant ressortir par contraste ce qui en résulte de quelque peu chaotique à la voûte pour les figurations traditionnelles du savoir20.
11Il y a surtout le premier témoignage direct d’un exact contemporain de Raphaël : né comme lui en 1483, Paolo Giovio écrit une Ruphuelis Urbinutis Vita une quinzaine d’années seulement après la Chambre de la Signature21. Cette courte notice comporte quelques-uns des topoi fondamentaux sur Raphaël, que la littérature ultérieure développera, de Vasari à Dolce et à Armenini. Cette « vie » est centrée sur les fresques des Chambres, et ces topoi, c’est capital, concernent solidairement l’homme et l’œuvre. Pour l’homme, ce sont la « douceur », l’humanité qui lui acquiert la familiarité des « puissants » ; pour l’œuvre, c’est entre autres la « vénusté », identifiée à la « grâce ».
12Il semble qu’il y ait là à l’œuvre une structure littéraire, liée à des genres qui ont leurs lois, la vita, la legenda, chargés d’un riche passé médiéval. Leur application aux artistes n’est encore que très incomplètement étudiée22. Peut-être entre autres raisons pour faciliter l’exposé ou la mémorisation, quelque chose qui a trait aux œuvres est transféré à la vie de l’artiste, ici sous forme d’anecdote naissante, confinant semble-t-il à l’exemplum23. Giovio souligne cette contiguïté de la vie à l’œuvre (et ce n’est pas forcément à prendre comme une critique de l’ambition) : « (Raphaël) devint célèbre autant par sa grande familiarité avec les puissants... que par la noblesse de ses œuvres ». Il a même transcrit quelque chose du caractère épidictique de la Signature : écrivain lui-même, il en retient le Parnasse, et le décrit comme « les neuf Muses (qui) applaudissent Apollon en train de chanter en s’accompagnant de sa lyre ».
13Plaisir du prince, personnalisation de l’exécution et de la relation du peintre au commanditaire, et surtout grâce : nous allons voir que c’est décidément une relation personnelle de grâce, de séduction par le plaisir, qui s’instaure entre ces personnages en échange culturel intense et un spectateur privilégié.
14Il importe alors de souligner que le public visé, c’est le pape, sinon seul, du moins dans une relative intimité, qui fait de Jules II le destinataire privilégié de ces images. Les Chambres de Raphaël constituaient en effet un espace délibérément non public24.
15Il est maintenant admis, comme l’avait déjà cru F. Wickhoff en 1893,au point de départ des longues discussions sur son programme iconographique, que la Chambre de la Signature était la bibliothèque personnelle de Jules II et son lieu de travail privé (ou semi-privé), distinct du studiolo25.L’enfilade des trois Chambres de Raphaël constituerait une sphère qu’on pourrait appeler privée, intermédiaire entre une sphère publique (d’apparat) et la sphère proprement intime, comme le confirmeraient notamment les dimensions relatives des pièces et les possibilités de communication entre elles telles que les restitue Redig de Campos26.
16Donnant sur la petite Cour du Perroquet, sur laquelle elle a accès par un escalier discret construit par Jules II, la sphère intime regroupe quatre petites pièces (chambre à coucher, stufetta ou salle de bain, chapelle -celle de Nicolas V décorée par Fra Angelico – et studiolo) ; elle communique avec la sphère publique et la sphère privée, qui correspondent à deux ailes de bâtiment en équerre. La sphère publique, à laquelle un escalier d’apparat, la cordonata de Bramante alors en construction, donne accès à partir de la grande Cour de Saint Damase, est constituée d’une enfilade de trois grandes salles (Sala Vecchia dei Svizzeri, Sala dei Chiaroscuri ou dei Palafrenieri, et future Salle de Constantin). De la Salle de Constantin, qui, d’après Paolo Giovio, servira de grande salle à manger sous Léon X, on passe à la sphère privée, c’est-à-dire, dans l’ordre du parcours en enfilade, d’abord l’Héliodore, puis la Signature, et, tout au bout, l’Incendie du Bourg, qui servira, toujours sous Léon X et selon P. Giovio, de salle à manger intime27. Prise entre les salles à manger intime et publique, la Signature est précédée d’une « anti- chambre secrète », la Chambre d’Héliodore, qui assure la communication avec la sphère intime28. Et c’est de la fenêtre de sa salle de travail privée, que le pape pourra contempler dans toute son ampleur le Cortile del Belvedere qui transformera son palais en villa impériale.
17Peu importe dès lors qu’outre ses nombreux déplacements de pape voyageur et guerrier, Jules II n’ait probablement pas utilisé, du moins dans leur zone privée, les appartements qu’il se faisait aménager, puisque de la date où, selon son maître de cérémonies, il décide d’y habiter (26 novembre 1507), jusqu’à sa mort (26 février 1513), les Chambres ont continuellement été en travaux29. Ce qui compte, c’est que le public pour lequel est conçu cet éloge de la culture savante déployé sur les murs, c’est le pape, avec peut-être quelques familiers (mais quelle partie de la curie ?). Il en va exactement de même pour le Cortile del Belvedere, qui ne peut être perçu dans sa spécificité d’architecture spectaculaire, de scénographie, que depuis la fenêtre du Parnasse : c’est un spectacle privé, pour Jules II seul, et ses familiers30. Le pouvoir, en somme, c’est de pouvoir voir.
18Comme indice de la reconnaissance dans les codes de comportement du caractère privé des Chambres, il y aurait, sans compter leur viol délibéré lors du Sac de Rome en 1527, le refus d’Alfonso d’Este, en 1512, d’aller visiter « la camera del papa et quelle Che dipingie Rafaello », refus qu’il prend soin de faire expliquer comme une marque de respect pour l’intimité du pape-souverain31.
19Que la Signature soit un lieu privé n’est pas du tout indifférent, à une époque de forte valorisation, et pas seulement dans les mœurs, de la sphère intime (ou privée) autour de l’individu32. S’agissant de la peinture, on pourrait dire, pour faire vite, que les intendenti, à Rome comme ailleurs (en Vénétie notamment), ont cette fois décidément acquis -intériorisé -de nouvelles modalités du rapport à l’œuvre d’art, qui demande une plus grande participation du spectateur pour lire plastiquement 1’ image, et qui procède davantage par associations d’idées, de références culturelles, d’affects, éventuellement érotique33.
20Au profit de relations entre les personnages, et d’eux au spectateur, on assiste d’abord dans l’École d ‘Athènes à un déplacement de l’architecture : elle passe, sinon « derrière les décors », du moins à l’arrière-plan34. Certes, l’accord plastique entre l’architecture et les personnages est incontestable, et c’est même, paradoxalement, un des lieux obligés de tout discours sur l’École d’Athènes alors même que le lieu mnémonique se retire. On ne saurait « se contenter » de d’impression première de majesté » qui découle de « l’enveloppement » des groupes par l’architecture35. Car cette architecture fait aussi ressortir la liberté de mouvement des groupes. Et cette égale mise en valeur de la liberté des personnages, et de leur accord avec l’architecture, en somme c’est déjà une de ces synthèses, qui réussit à se donner sous &es dehors si simples, entre des exigences exclusives les unes des autres d’harmonie et de liberté, selon la définition que Gombrich essaie de donner du classicisme de Raphaël36. Une difficulté résolue en facilité. L’art du peintre se cache tellement, que la critique ne perçoit le plus souvent que l’accord ou que la liberté, alors qu’il y a l’accord et la liberté37.
21Le rapprochement, lui aussi obligé, avec la Salle des Arts Libéraux, ou avec la Dispute de Sainte Catherine de la Salle des Sept Saints, à l’Appartement Borgia, montre à l’évidence que la typologie traditionnelle s’est dissociée chez Raphaël, libérant les personnages, qui créent des groupes. Gzusarum cognitio est reléguée à la voûte, même si l’encadrement décoratif et le genietto en camaïeu accusent la continuité entre le tondo et la lunette38. A sa place, Platon et Aristote, en avant de l’architecture. Ils sont certes magnifiés au possible -en dépit d’une légère entorse à la perspective39. Mais ils restent consubstantiels aux autres personnages. Il n’y a guère que cinq ou six personnages, sur une soixantaine, qui sont dans l’espace voûté en berceau ; représentants anonymes de l’Académie et du Lycée disposés en deux haies, ils confortent l’impression de mouvement vers l’avant des deux maîtres, comme s’ils sortaient de l’édifice40.
22Ce qu’il y a à la fois d’albertien et de bramantesque dans cette architecture indique ce qui s’y joue d’une relégation du lieu mnémonique. La conformité de cette architecture aux théorisations d’Alberti pour les édifices sacrés n’a rien d’étonnant, puisque Bramante s’inscrit dans la tradition de l’architecture humaniste en choisissant le plan central pour le nouveau Saint-Pierre41. Mais, outre le plan central, le pavement géométrique, la luminosité, les fenêtres hauts situées et le refus de la décoration colorée, on retrouve le recours à la sculpture, dont par deux fois, pour les édifices sacrés, Alberti exalte les fonctions mnémoniques42. Les sculptures feintes symboliques sont fréquentes, mais ici, tout en contribuant à expliciter la bipartition de Gzusarum cognitio en deux secteurs complémentaires (moralis/naturalis ; métaphysique et physique), les statues d’Apollon et Minerve sont d’abord des images mnémoniques, dont elles retrouvent le fréquent principe de subordination, avec les bas-reliefs qu’elles dominent. Mais non sans ambiguïté. Elles sont reculées, comme des images (mnémoniques) dans l’image, et se donnent comme moins « réelles » que les personnages, qui sont plus petits, mais colorés, animés, groupés. Elles sont plutôt allusives : si le symbolisme moral du combat et de l’enlèvement est clair pour les bas-reliefs de gauche, en revanche, quand il grave le bas-relief de droite, Marc-Antoine Raimondi complète l’image : en ajoutant un globe sous les pieds de la femme, en inscrivant « Chauxar(um) cognitio » dans le cartouche tenu par les deux putti, il en fait une allégorie explicite des Sciences Naturelles. Raphaël joue là d’un désir d’interpréter, de même qu’il joue du désir de compléter les statues et bas-reliefs tronqués par la perspective sur les côtés, dans les niches et aux pendentifs. Une participation plus ouverte, plus active, est demandée au spectateur.
23Hommage évident à Bramante, cette architecture n’a rien de l’échelle colossale du nouveau Saint-Pierre (l’ordre de pilastres toscans jumelés ne mesurerait que sept mètres au sommet de l’entablement), ni de sa massiveté (si l’on juge de l’effet imposant de la grande ruine moderne d’après les dessins de Maerten Van Heemskerck)43. La couleur se concentrant sur les personnages, elle est comme dématérialisée, et s’inscrit d’autant mieux en comparaison amplifiante avec la Dispute, dont l’abside nuageuse, purement idéelle, viendrait la conclure en englobant le spectateur.
24Cette irréalité, qui a parfois fait parler d’une architecture rêvée, tient pour partie au point de fuite trop élevé et au point de distance trop éloigné, qui excluent toute continuité illusionniste de la perspective avec l’espace de la Chambre44. Le Carton de 1’Ambrosiana est encore plus révélateur, et pas seulement parce que, comme on sait, la bâtisse n’y figure pas45. Il comporte en fait, autour de Diogène et dans la zone basse, des études pour une perspective de degrés, pour le profil des pilastres, et pour une abside conclusive, remplacée finalement par un grand arc ouvert, qui, dans une double comparaison amplifiante, aurait renvoyé à l’abside de la Dispute et au Nicchione de Bramante. Surtout toute une planimétrie de la partie droite de l’architecture y figure, capitale parce qu’elle est discontinue, et parce que le pilier bisauté supportant la coupole (elle-même figurée comme circulaire) y fait un angle de 38°, et non de 45°, avec le bras du fond. Autrement dit, Raphaël ne se souciait ni de ce qui dans son architecture ne se verrait pas, ni même de sa constructibilité46. La coupole est elliptique, aux deux sens du mot. D’ailleurs dans la fresque, le tracé des corniches à la base des pendentifs, strictement horizontal, est en contradiction manifeste avec le tracé du départ du tambour, sans doute pour stabiliser l’image. Sauf à supposer une erreur de perspective (peut-être perçue par P. Giovio, mais occultée semble-t-il par toute la critique, sauf Oberhuber), il faut bien conclure à un recul du degré de réalité de l’architecture47. Là encore, Raphaël joue d’une participation plus active du spectateur, d’un désir de compléter, mais la série des réponses est ouverte.
25Sur trois étages de l’aile nord du palais pontifical, dans des salles où la décoration se rattache à la vie intellectuelle, le rapport de l’architecture aux personnages semble exemplaire de l’évolution du rapport privé à la culture, de 1455 environ à 1509-1510.Si on en croit T. Yuen, la Bibliotheca graeca au rez-de-chaussée, avant son intégration par Sixte IV, sous le nom qu’elle a gardé, à la Bibliotheca communis confiée à Platina, était le nouveau studiolo qu’en remplacement d’un premier studiolo décoré par Fra Angelico, Nicolas V, juste avant sa mort, se faisait aménager par Andrea del Castagno sur les suggestions d’Alberti48. Il s’agissait de constituer comme classique un lieu dévolu à la pensée. Un portique feint, constitué par une colonnade et un entablement all’anticu, et surmonté d’une balustrade avec vasques, fleurs et rubans, court tout autour de la salle, en complète continuité illusionniste avec l’espace réel pour un spectateur situé au centre. Il devait s’agir de restituer une villa, par une cour péristyle, avec allusion à un jardin. Or, à part deux personnages quattrocentesques apparaissant au-dessus de la balustrade sur le mur nord, ce lieu ne se définit que par l’architecture peinte en perspective rigoureuse presque sur toute la hauteur des murs. En revanche, l’adjacente Bibliotheca latina est décorée sous Sixte IV, seulement dans sa partie haute, d’un cycle d’hommes illustres par l’atelier Ghirlandajo : dans les huit lunettes apparaissent des philosophes et des pères de l’Église, désignés par des tituli et des banderoles.
26A l’étage au-dessus, dans la Salle des Arts Libéraux de l’Appartement Borgia, la décoration se cantonne aux lunettes, et c’est, selon la typologie traditionnelle, l’architecture qui y organise les personnages et leurs relations de subordination ; sur fond de paysage ombrien avec balustrade, les Arts trônent dans de vastes niches richement architecturées (surtout la Dzizlectique), flanqués de putti, dominant leurs « fis » anonymes, désignés seulement par des livres, des instruments de musique ou d’autres attributs. Dans la pièce contiguë, la Salle des Sept Saints, où la storia de chacun des saints illustrerait une Vertu, la Dispute de Sainte Catherine imagerait la Prudence. Or Vasari dénonce avec véhémence dans cette storia, comme « une hérésie très grande dans notre art », le fait que l’architecture passe avant les personnages. De fait, derrière Ste Catherine tournée vers l’empereur, et que son geste de comput digital désigne comme en train de disputer, l’Arc de Constantin (mis pour Rome/Alexandrie) est bel et bien en relief : Or Vasari dénonce avec insistance en Pinturicchio, dans l’introduction et la conclusion de sa Vie, une artiste à qui le caprice de la « fortune », et non la « vertu » de l’homme, a valu un grand succès immérité49. A l’inverse de Raphaël, Pinturicchio était « strano e fantastico ». Et pourtant lui aussi, avant Raphaël, « donnait grande satisfaction à de nombreux princes et seigneurs ». Non pas par sa « douceur », son « humanité » ou sa « grâce » (la sienne propre ou celle de son œuvre), mais parce qu’employant de nombreux aides, « il donnait rapidement les œuvres achevées », et surtout parce qu’il avait l’habitude de « faire à ses peintures des ornements en relief recouverts d’or, pour satisfaire les gens qui s’y connaissaient peu dans cet art ». La robe et la couronne de Ste Catherine portaient de fait des incrustations, perdues. Le succès auprès des puissants est cette fois négatif50. On voit ce qui se joue là d’à la fois social et esthétique. Le succès auprès des puissants est une mauvaise ou une bonne chose, selon qu’il se fonde sur la rapidité, la flatterie du mauvais goût, le caprice de la fortune, ou sur la douceur, l’humanité, la grâce ; et, redoublant cette distinction, s’agissant de l’exaltation de la culture savante par la peinture, l’architecture organise strictement les personnages, voire passe devant eux contre toutes les règles, ou bien elle se retire au profit des relations entre les personnages, et entre eux et le spectateur.
27A la Signature, Causamm cognitio se donne désormais, visuellement sinon essentiellement, comme étant avant tout une affaire de relations proxémiques dans des groupes et entre des groupes, ce qui n’exclut pas qu’il y ait aussi un parcours symbolique des gradations dans le savoir.
28Chez les deux maîtres suprêmes sur lesquels se focalise toute la fresque, il n’y a rien qui rappelle une iconographie du triomphe d’un docteur ou d’un théologien51. Outre la complémentarité philosophique de leurs gestes et des positions de leurs livres, ils se touchent, sont légèrement tournés l’un vers l’autre, et le doigt pointé de Platon, prolongé par l’arcature, donne assurément l’impression qu’ils sont intimement pris dans une même sphère52. Leurs disciples paraissent certes déférents, par contraste avec les postures plus dynamiques dans les autres groupes, mais ils sont très proches des maîtres, sur un pied d’égalité avec eux, comme l’isocéphalie le souligne au prix d’une légère entorse à la perspective. Si la parole des maîtres est, pourrait-on dire, en avant, voire autour d’eux, et reçue avec respect, en tout cas elle ne tombe pas de haut53.
29Toute la composition s’organise par les groupes, et, dans les groupes, par le jeu des postures. Certes les personnages ont besoin pour reposer du dallage et des degrés (dont la signification symbolique est indéniable), mais, comme Freedberg l’analyse excellement à partir d’une approche stylistique, dès la Dispute et plus encore dans l’École d’Athènes Raphaël met au point, à l’échelle monumentale, pour ce qui est de la composition, la solution classique à « la relation entre les substances et les espaces »54 : l’espace cesse d’être une structure d’accueil perspective, un vide préalable où se distribuent les substances, mais est créé par les personnages, et animé par leurs énergies ; c’est un espace relationnel, affectif, qui prime. Deux spatialités se font valoir réciproquement : l’une est héritée (la perspective architecturée), l’autre est inédite (l’espace façonné par les personnages), et marque l’aboutissement des recherches de Léonard.
30Dès lors une autre forme d’art se cache, ou du moins se fait discrète, ce sont les Arts Libéraux. Qu’on le veuille ou non, on aura quelque peine à les retrouver dans les divers groupes55. Il y a par exemple sûrement la Musique en bas à gauche, la Géométrie en bas à droite, mais l’Astronomie se dédouble puisqu’il y a un géographe. Où est la Grammaire ? Dans le groupe appuyé au socle, sur la gauche ? Ou contre le pilastre d’angle en haut à droite, dans le groupe du maître à l’élève qui écrit en posture de spinario ? Là encore les indications sont allusives, délibérément : Raphaël appelle des réponses du spectateur, pour jouer de ces possibilités ouvertes d’interprétation56.
31L’écrit, si important dans les images de mémoire, change de statut : les tituli sont relégués dans le tondo, et, comme le remarque Freud précisément à propos du Parnasse et de l’École d’Athènes, « la peinture a fini par trouver le moyen d’exprimer autrement que par des banderoles les intentions des personnages qu’elle représentait »57. « Etica » et « Timeo » sont presque naturalisés en titres sur la tranche des livres. Ce qu’écrivent Pythagore et Héraclite est intégré à l’image en superscriptiones illisibles, et fonctionne donc comme « image mnémonique subsidiaire »58 : toujours la relégation de l’art de la mémoire. Il reste en bas deux inscriptions proches du titulus, les concordances harmoniques à gauche et la figure de géométrie à droite, qui permettent d’identifier de façon univoque la Musique et la Géométrie, mais là encore une intégration s’opère : l’écrit est sur des tablettes, prises dans des gestes de groupe. Tout ce qui a trait à l’écriture est finalement naturalisé en geste de lire, d’écrire, de dessiner, de recopier, de montrer dans un livre, ou de regarder écrire, voire d’apporter des volumes.
32Il y a chez des comparses trois gestes déictiques et un d’appel, certes importants pour la circulation de l’image, mais, parmi les maîtres pris dans un groupe, les gestes philosophiques complémentaires de Platon et d’Aristote étant à part, seul Socrate a, semble-t-il, un geste répondant à une codification stricte, le geste de comput digital, fréquent au Studiolo d’Urbin et à l’Appartement Borgia59.
33Or Léonard théorise ce geste traditionnel60. Quand le peintre doit « figurer quelqu’un qui parle parmi plusieurs personnes », les « actes » de l’orateur (au sens d’« actio » rhétorique) doivent être « accomodés à la matière » dont l’orateur a à traiter : le comput digital convient à une « matière déclarative »61. A une « matière persuasive » conviennent des « atti al proposito » ; la formule paraît évasive, mais justement, chez les maîtres qui écrivent, dessinent, montrent dans un livre, ou regardent écrire, n’y a-t-il pas des gestes très simples, sans codification énonçable -en un mot, « naturels » -, mais fortement pris dans une relation de persuasion avec le groupe ?62. La réponse à cette persuasion, ce sont, dans leur variété qui permet de les lire, les affects des disciples, qui se manifestent indissociablement dans leurs postures et leurs visages63.
34Cette intense relation de persuasion crée à chaque groupe son espace propre : massif et grave autour de Pythagore, aéré et enthousiaste autour d’Euclide-Archimède, proche mais déférent autour de Platon et Aristote ; l’enseignement collectif de Socrate (plus distant et formalisé, mais d’égal à égal) est confronté à son pendant l’enseignement individuel (plus intime mais inégal).
35Or, redoublant le parti général qui préside à la décoration de la Chambre, les groupes de l’École d’Athènes s’organisent en un « quadrilobe » ouvert, qui appelle l’hémicycle de la Dispute pour se refermer en englobant le spectateur64.
36Cette configuration s’anime au fur et à mesure qu’elle descend en s’élargissant pour s’ouvrir, et là juste où elle s’ouvre, Michel-Ange médite, en posture de mélancolique, absorbé dans sa sphère intime : il s’enroule plastiquement sur lui-même, tendant à former une sphère fermée tournée vers nous. Il a une perspective à part, et est peint selon une technique différente65. A travers cet hommage ambigu au grand rival de Raphaël, au risque d’atténuer l’effet de symétrie dans la distribution des personnages avec la Dispute, l’ajout sert peut-être à programmer les réactions attendues du spectateur devant une image qui rompt si fortement avec la tradition66. Fonctionnant comme pivot de toute l’image, il amorcerait en somme ma propre méditation.
37Ce ne sont plus les Arts Libéraux qui m’« influencent » directement, ni même leurs « fils », mais je suis pris dans l’intensité des relations qui animent ces groupes à propos de la communication du savoir. Dans cette foule nombreuse, quatre personnages seulement nous regardent ; outre un bébé à l’extrême gauche, ce sont, à l’extrême droite, Raphaël lui-même, qui est l’humanité et la douceur dans la vie, et la grâce dans son œuvre -et, sur la gauche, deux jeunes gens (dont l’un très jeune) d’un type de beauté caractéristique de Raphaël, qu’on retrouve dans d’autres personnages de la Chambre, et que de Vasari à Taine et à Redig de Campos, on s’accorde à reconnaître comme « angélique »67. Beauté néo-platonicienne ? On aurait envie de dire que la grâce regarde le spectateur68. En tout cas le savoir s’humanise et se fait gracieux. Ce qui se joue dans l’œuvre est aussi ce qui se joue entre l’œuvre (sa grâce) et le spectateur, et entre 1’artiste (sa douceur, son humanité) et le commanditaire dont il s’est assuré la familiarité. Ce thème de la grâce, essentiel dès Alberti et plus encore à partir de Léonard, il y aurait décidément à l’étudier, en art comme dans les mœurs, en termes de séduction, de plaisir, et, pourquoi pas, d’intériorisation douce des contraintes sociales69.
38Une fois qu’il est englobé dans ce « quadrilobe », pris – en privé – dans cette relation de grâce, la réponse du spectateur (son plaisir ?) serait peut-être de se projeter, de chercher à identifier, voire paradoxalement d’un peu tout confondre. Chercher à identifier, c’est par exemple avoir envie de compléter l’architecture et les statues tronquées, déchiffrer les bas-reliefs allusifs et les superscriptiones illisibles, ou repérer les Arts Libéraux. C’est aussi glisser à une interprétation narrative (quels événements, même imaginaires, ces fresques nous montrent- elles ?) comme le fait Vasari70. C’est surtout chercher à débusquer des portraits (Qui est Platon ? Où est Federigo Gonzaga ?).
39Il est bien difficile de déterminer s’il y avait dans l’École d’Athènes des portraits de dignitaires de la cour. Au terme d’une étude minutieuse de la méthode de travail de Raphaël, conduite sur les dessins préparatoires, les copies et le Carton de l’Ambrosiana, Oberhuber (comme d’ailleurs Gombrich) estime que là où on a aimé voir des portraits, il y a presque toujours des personnages synthétiques : des types s’élaborent, un même modèle d’atelier pose pour divers personnages dont l’existence s’ordonne d’abord aux relations de groupe, au genre de message philosophique qui’ y est communiqué. L’effort du peintre aurait porté en priorité sur la « variété » dans l’« invention », qui est, au dire de Vasari, la spécialité que se choisit Raphael71.
40En guise de portraits, il n’y aurait que Fedra Inghirami (le bibliothécaire de Jules II), couronné de pampres à gauche, l’Héraclite-Michel-Ange, et Raphaël et son voisin immédiat. Le géomètre n’est pas Bramante, Platon n’est pas Léonard72.
41Vasari croit pouvoir identifier trois portraits de contemporain73. Mais, à la lettre, il ne se trompe pas quand il écrit : a... sono ritratti tutti i savi del mondo Che disputano in van modj ». C’est exactement ça, l’École d’Athènes : des types où l’on aimerait voir des portraits « aritratti »), tellement, encore une fois, l’ordre et la vie se sont réconciliés74. C’est sans doute à partir de cette formulation à l’ambiguïté significative de Vasari, que Bellori le premier, en 1695, propose pour chaque personnage une identification d’un contemporain, précisément au nom d’une esthétique qui privilégie d’« invention »75.
42La prolifération de la légende raphaëlesque est en elle-même un fait historique, pas unique, mais sûrement significatif, et qui a sans doute à voir, consciemment ou non, avec la legenda et les lois propres à ce genre. Commençant à apparaître quarante ans plus tard, la quête des portraits est peut-être déjà un contresens historique, mais comment a-t-il été possible ? Gombrich suggère une explication à propos de la Kerge à la Chaise (Florence, Palais Pitti), autre œuvre rétrospectivement emblématique du classicisme de Raphaël, et sur laquelle la légende s’est abondamment développée76. La synthèse réussie à son plus haut degré sous des apparences de simplicité, entre des ordres d’exigences contradictoires (« lifelikeness » et « arrangement ») inciterait à ramener à la vie l’œuvre qui paraît si simple, par exemple en la rattachant à la quotidienneté par des anecdotes. Pourquoi pas, ici, en ayant envie d’y reconnaître des familiers de la cour, surtout si une anecdote est toute prête, sous les traits du jeune Federigo Gonzaga, présent à titre d’otage, et qui s’est acquis la familiarité du pape, son affection, au point de manger à sa table ?77.
43Cela confirmerait que la relation de grâce aurait fonctionné au moins encore chez Vasari, s’il est vrai qu’il veut dire, non pas qu’il y ait des portraits identifiés (à part les deux ou trois cas qu’il cite), mais que cette fresque déclenche forcément un processus de projection, d’identifications plurielles, ouvertes. Pourquoi ne pas non plus laisser se produire certaines associations d’idées (fût-ce à partir de copies gravées modifiant certains groupes), et voir dans l’École d’Athènes, si on en a envie, des astrologues à côté des sages, et même des anges, voire les évangélistes ? Ce serait possible, s’il est vrai que, surtout en privé, l’œuvre d’art prend en compte positivement toute l’harmonique des suggestions qu’elle peut éveiller. Ce serait même désormais légitime78.
44Il semblerait qu’une autre légitimation se joue dans la comparaison amplifiante d’un mur à l’autre, à proportion peut-être de l’intériorisation plus ou moins poussée dont seraient susceptibles les Arts et Vertus qui y sont exaltés.
45De fait, une fois la décoration confiée à un seul peintre et au style classique, la comparaison amplifiante se développe, surtout entre trois de ces fresques, en réseaux de rappels et d’échos beaucoup plus riches que les jeux de correspondances, somme toute limités, qui pouvaient s’instaurer dans les séries d’hommes illustres, d’Arts ou de Vertus.
46Sur trois des murs, les personnages se déploient en hémicycles, en profondeur et/ou dans le plan de l’image. Les architectures complémentaires de l’École d’Athènes et de la Dispute sont séparées par la « nature » du Parnasse ; mais, alors que le studiolo de Nicolas V se définissait comme une villa fictive par un portique illusionniste avec une allusion discrète à un jardin, le dialogue de l’architecture et de la nature se poursuit ici, passant de la fiction à la réalité justement par la fenêtre du Parnasse, dans le Cortile del Belvedere qu’à son tour le dialogue de l’architecture et de la nature organise en une gigantesque villa79. Trois fois, des personnages en saillie quasi illusionniste exploitent les échancrures des portes ou des fenêtres, souvent renforcées ou équilibrées par des motifs architecturaux feints, pour amorcer les réseaux de circulation dans l’image80. On pourrait aussi relever les postures et les types de personnages qui se répondent, en particulier la beauté angélique qui nous regarde81.
47Plus que jamais, la comparaison amplifiante assure une interlégitimation entre différents champs culturels82. D’abord par que « l’humanisme » ne va jamais de soi : s’il s’est bien créé depuis le xive siècle une tradition culturelle qu’on peut bien appeler humaniste (« studia humnitatis »), les questions de sa transmission, du statut social de ses porteurs, de leurs trajectoires sociales sont encore trop souvent occultées83. Surtout parce que vers 1510, dans les sociétés de cour, il semble bien se jouer une intégration plus poussée que jamais de la culture humaniste aux mœurs, comme une pratique sociale normée, intériorisée, qui a aussi besoin d’être légitimée.
48Certes, bien avant Jules II, des papes se sont entourés d’humanistes ou les ont favorisés à la cour ou à l’Université, notamment Sixte IV et, avant lui, Nicolas V, qui a reçu d’Alberti les suggestions pour son nouveau studiolo « all’antica »84. Mais c’est en 1510 que Paolo Cortese publie son De Cardinalatu, dédicacé à Jules II. Dans un article où il esquisse une sociologie historique des humanistes et des écrivains de la Renaissance italienne,
49C. Dionisotti souligne l’importance de ce livre (négligé sans doute parce qu’écrit en latin)85.
50Certes P. Cortese traite du cardinal, non du pape, mais le collège des cardinaux est bien le premier entourage du pape, et sans doute la forme la plus immédiate pour lui de la contrainte sociale (quand ce n’est pas de l’opposition politique). En fait le pape est constamment visé dans ce traité, et pas seulement parce qu’il lui est dédicacé, ou que le livre III porte sur l’exercice de ses fonctions officielles par le cardinal (en consistoire, en conclave, dans ses relations avec les congrégations, etc.) : tout le portrait que Cortese trace du cardinal s’ordonne à la nouvelle configuration du pouvoir qui se dessine alors en Italie, c’est-à-dire à l’émergence du pape comme seul prince possible. Son proemio le dit assez clairement86.
51A la différence des traités antérieurs sur le cardinalat, qui en étudient l’origine ou les aspects juridiques, le De Cardinalatu analyse en trois livres un personnage social, idéal mais au moins vraisemblable, envisagé dans les différents aspects de sa vie, au milieu de sa cour. Le premier livre en particulier (Liber ethicus et contemplativus), décrivant le cardinal dans la solitude de sa vie intellectuelle et de sa conscience, traite des vertus, des sciences, de la rhétorique, de la philosophie, du droit canon...87. Jusque dans l’intimité, c’est à une norme sociale de comportement de cour que se fonctionnalise la culture humaniste. Elle se « naturalise », pourrait-on dire, s’intègre à un « portrait » social, et on saisirait là, dans la sphère privée, son intériorisation en train de se réassurer. Le cardinal est doublement homme de cour, comme « prince » de sa cour, comme « courtisan » du pape-prince88.
52Le pendant profane du De Cardinalatu, le Libro del Cortegiano de Baldesar Castiglione, publié officiellement en 1528 seulement, se réfère lui aussi à des situations sociales de 1507-1510 (puis de 1516)89. Lui aussi fonctionnalise complètement la culture humaniste à une socialité de cour, il la « naturalise » en un personnage social, le courtisan, lui aussi au service d’un prince. C’est un « portrait » social que selon ses propres termes Castiglione dresse, au fil des « ragionamenti » censés s’être déroulés en quatre soirées à la cour d’Urbin90.
53Or Urbin dépend de plus en plus étroitement de Rome, surtout après 1508. Déjà les quatre soirées concluent des fêtes données en l’honneur de Jules II, qui fait étape du 5 au 7 mars 1507 à Urbin, lors de son retour triomphal de Bologne, et plusieurs de ses cardinaux se sont attardés quelques jours à Urbin après le départ du pape91. Il est significatif que finalement en 1516 Léon X confisque arbitrairement le duché d’Urbin. En même temps que la cour par excellence, celle d’Urbin, est comme absorbée par Rome, le courtisan aspire de plus en plus à devenir cardinal, comme le montre très bien Dionisotti92. L’accession de Castiglione à l’état ecclésiastique en 1524 est emblématique ; l’auteur du Cortegiano est nonce apostolique, quand il meurt en 1529. La focalisation sur la cour de Rome est nette.
54Au fond, l’impossible livre complémentaire qui surplomberait le De Cardinalatu et le Libro del Cortegiano, celui qu’il serait inconvenant d’écrire, puisque nul ne saurait dicter sa norme au pape en général, et plus encore au nouveau prince, le « terrible » Jules II, non seulement on peut le lire entre les lignes chez Cortese ou Castiglione, mais Raphael en écrirait à sa façon un passage à la Signature93. Au niveau suprême, Raphaël reprend bien le premier livre du De Gardinalutu : comme dans le Liber ethicus et contemplutivus, il s’agit bien ici des vertus, des sciences, de la rhétorique, de la philosophie, du droit canon ; il s’agit bien, ici encore, de la sphère privée (ou intime). Mais surtout, de tout ce qui s’est « naturalisé » de la culture humaniste dans ces personnages du courtisan et du cardinal ordonnés en priorité à une socialité de cour autour du pape, Raphaël nous donne l’emblème, voire la « forme symbolique » dans l’École d’Athènes : rompant avec la tradition iconographique, il présente la culture humaniste comme étant avant tout une affaire de relations entre des personnages, une affaire de persuasion, de grâce, avec le pape comme spectateur central que tout tend à englober dans le cycle décoratif94.
55Il n’est alors pas étonnant que tant de formes d’art se cachent à la Signature, depuis l’Art (Causurum cognitio), relégué à la voûte, jusqu’à l’art de la mémoire, passé à l’arrière-plan, et aux Arts libéraux, suggérés discrètement dans certains groupes, sans compter l’art du peintre, puisqu’ayant à être « persuasifs » comme le dit Léonard, les maîtres ont des « actes à propos », si simples -si « naturels » -qui créent l’espace des groupes par des relations de persuasion, c’est-à-dire de grâce.
56Dans sa représentation aussi, le savoir s’est « naturalisé ». En même temps, une pratique d’interlégitimation s’opère d’un mur à l’autre, par laquelle Raphaël confirme dans son bien-fondé cette intégration achevée de la culture humaniste en des personnages sociaux.
57Le topos de la « grâce » de Raphaël, apparu dès P.Giovio, prend dès lors tout son sens, indistinct entre la vie et l’œuvre. En effet, si dans la théorisation explicite de Castiglione, tout le comportement du courtisan doit respirer la grâce, c’est à titre de cause efficiente ; la cause finale, c’est, en s’acquérant ainsi la grâce de son prince, de lui inculquer en douceur la vertu, pour qu’il gouverne bien ses États95. La grâce est une relation de séduction, à finalité pédagogique. Il suffit de comparer à l’École dythènes la Conférence à la cour d’Urbin (Windsor, datable 1480), où la relation pédagogique est encore explicite, frontale, entre le conférencier humaniste à gauche (Paul de Middelbourg ?) et l’élève Federigo di Montefeltro à droite, flanqué de son jeune fils Guidobaldo. Raphaël, lui, a été un courtisan accompli, s’il est vrai qu’à propos du savoir, et au lieu « d’influer » comme le faisaient les vieux cycles d’Arts et de Vertus, il a réussi à instaurer une relation beaucoup plus subtile de grâce entre son œuvre et Jules II. Comme de juste, Raphaël est issu du milieu d’Urbin où, dès l’époque de Federigo, un code écrit fait de la grâce le maître mot en matière de comportement à la cour96. Et Vasari dit vrai sur l’œuvre, quand, peut-être rétrospectivement, il prête à Raphaël un comportement de courtisan97. Quand des courtisans ou cardinaux sont admis dans l’espace privé de la Chambre de la Signature, la relation de grâce ne fait que se redoubler autour de Jules II.
58Enfin, s’il est bien vrai qu’il se joue alors une intégration plus poussée de la culture humaniste (« studia humanitatis ») à des personnages sociaux ordonnés à une vie de cour autour du pape, le topos, lui aussi apparu déjà chez P.Giovio, de « l’humanité (humanitus) qui vaut à Raphaël la familiarité des puissants » se charge d’une ample résonance, comme le confirmerait, en attendant une étude sociologique plus détaillée, le besoin, attesté à partir de 1512-1516, d’utiliser un terme propre (« humanista ») pour désigner un professeur spécialisé en littérature latine98. L’apparition du terme indexerait le creusement de l’écart entre celui qui fait de la culture humaniste une spécialité professionnelle, et celui qui l’a parfaitement intégrée à une socialité de cour, dans une éthique de la grâce, où rien ne doit trahir l’affettazione, où les comportements doivent tous donner une impression de sprezzatura99. Dans le même ordre d’idée, un peu plus tard, le Pédant émerge comme personnage de théâtre comique, en 1529100.
59La présence de Réalités Supérieures juxtaposées aux personnages humains dans les fresques des murs servirait enfin d’index du degré de « naturalisation », d’intériorisation du champ culturel concerné.
60Certes dans la Dispute les contraintes thématiques et iconographiques qui obligent à figurer les personnes divines étaient sans doute incontournables, mais dans le Purnasse, la cohabitation d’Apollon, des Muses (et de putti volants, du moins la gravure de Marc-Antoine Raimondi) avec des poètes et des poétesses peut se comprendre comme la figuration emblématique d’un des ressorts essentiels de la poétique de l’époque, notamment dans le registre amoureux (du filon arcadien au pétrarquisme) qui utilise la mythologie pour jouer constamment de la juxtaposition de différents niveaux de réalité et d’irréalité101. Cela indexerait aussi que cette littérature se donne délibérément comme une fiction, dans une pratique ordonnée à un plaisir de société, comme le théorise explicitement, à propos des « miracles de l’amour », Pietro Bembo, lui aussi très lié à Urbin puis à Rome dans ces années- là102.
61Il en va tout différemment de la fresque des Vertus. La Justice dans son tondo, avec ses attributs traditionnels, est la seule des quatre figurations des tondi qui regarde vers le bas, et dont le syntagme concerne explicitement les autres (« Jus suum unicuique tribuit »). Certes, il s’agit peut-être bien de la justice platonicienne, puisqu’elle a été disjointe des trois autres vertus cardinales pour trôner à la voûte, mais cela importe peu pour ce qui est de son degré d’intériorisation et de son usage social. Dans les Vertus de la lunette la grâce raphaélesque se combine avec un michelangélisme marqué, qui ne se réduit pas à la compétition avec les Prophètes et les Sibylles de la Sixtine, car, du même mouvement, l’architecture fait un retour en force pour organiser toute la paroi par un rigoureux système d’ordre (niches, pilastres doubles, entablement, murette), et le traditionnel principe de subordination reparaît à trois, voire quatre niveaux :
- du tondo à la lunette,
- de la lunette au spectateur, par un léger sott’in sù,
- des Vertus à leurs « fils » dans les deux stone, où, en deux exempla imagés, ces « fils » posent deux actes fondateurs de l’administration de la justice civile et religieuse,
- dans les stone elles-mêmes, qui sont deux scènes de cour, actualisées par des portraits, où l’on s’agenouille devant le souverain entouré de ses dignitaires103.
62Les péripéties politiques de l’année 1511 conditionnent sûrement cet infléchissement délibératif, qui marque la transition avec la Chambre d’Héliodore104. Mais la forte échancrure du mur par la fenêtre n’était guère plus contraignante que pour le Parnasse105.Et, à supposer qu’il n’y ait pas de précédent directement adaptable, Raphaël s’est fait comme on sait une spécialité de l’« invenziones ». Il demeure certain qu’ici la justice s’administre de haut, et vers l’extérieur, passant directement des réalités supérieures au souverain administrant ses sujets. Elle ne saurait être relayée par des groupes animés de relations intenses, comme c’est le cas dans les autres fresques. Personne dans ce mur ne nous regarde, sauf peut-être au niveau actuel, parmi les courtisans des deux scènes narratives : la justice ne saurait être prise dans une relation de grâce avec le spectateur.
63L’écart qui, au sein même d’une pratique d’interlégitimation, apparaît entre les Vertus et les trois autres champs culturels, confirme que la culture humaniste est envisagée ici du point de vue privé du pape-prince, et rend précaire, ou plus que jamais nécessaire, ce que Castiglione théorise comme la finalité du courtisan, à savoir induire le souverain à pratiquer la justice, dont, dit-il précisément, découlent toutes les autres vertus106. Le pouvoir, c’est d’administrer la justice, plus que d’y adhérer. Encore plus si cette Chambre, comme on l’a cru, a bien été, sinon dans sa conception d’origine, du moins dans son usage ultérieur, le siège d’un tribunal, celui de la Signatura Gratiae, qui lui aurait laissé son nom.
64En définitive, dans cette étape qui se marquerait à la Signature d’un processus d’intégration de la culture humaniste à une socialité de cour, et sans préjuger de ce qu’il en est, à d’autres moments, pour d’autres sociétés de cour, on retrouverait à l’œuvre une problématique traversant divers champs culturels autour de 1510 à Rome : il s’agit de l’imitation.
65On l’étudie d’habitude séparément, dans les mœurs, ou en littérature, ou en peinture107. E. Battisti l’aborde justement comme une technique adaptable à diverses fins, dans divers champs, en soulignant qu’elle procède alors d’abord de la pratique de la vie de cour, et qu’elle a à voir avec l’intériorisation des contraintes sociales108. De fait, Castiglione aborde très vite la question du maître ou des maîtres que le courtisan doit imiter, avec cette contradiction qu’il faut être né noble, et que, si la grâce ne peut donc pas s’acquérir, on peut cependant, si on ne l’a pas, être « aggraziati »109. Toute noblesse est essentialiste, envers et contre tout, et on en aurait l’écho à la Signature dans la relégation à la voûte de ce qui, en bonne orthodoxie, ne peut pas ne pas rester l’essentiel, même si en fait l’accidentel le supplante sur les murs.
66En peinture, la célèbre lettre à Castiglione révèle comment Raphaël se situe face à l’imitation en 1514. En 1512-1513, Bembo polémique avec Giovan Francesco Pic de la Mirandole à propos de l’imitation littéraire. Il semble bien qu’une solution, unique mais très souple, ait alors cours à Rome, dont on pourrait désigner l’emblème dans le cicéronianisme défendu par Bembo : il faut distinguer entre inventio et elocutio. On peut tout dire, mais en langage cicéronien de cour. Le cicéronianisme étant, en littérature vulgaire, le toscan tel que Bembo travaille à le reconstituer de 1505 à 1524-1525, en peinture, le langage classique du corps humain (qu’il soit gracieux ou « terrible », son expressivité est diffuse dans tout le corps), et, dans la vie du courtisan, la sprezzatura, la grâce (qui émane de tous les comportements) –tout cela sous le regard du pape, et pour le pape.
67Car ce pape, aussi terrible qu’il soit, se laisse aussi séduire, du moins en privé. Notamment par Raphaël, vie et œuvre confondues, dans une situation typique de courtisan. Et cette séduction, c’est toujours « l’humanité » qui l’exerce, à tous les niveaux et dans tous les sens du mot. Dans la vie, c’est l’humanité (« humanitus ») de Raphaël ; dans la fresque, et de la fresque au pape, ce sont des relations humaines de séduction qui s’exercent à propos d’humanités « studia humanitatis »), même si la « grâce ou vénusté » de l’œuvre, loin de se réduire à cette séduction humaine, tient aussi sans doute à la couleur110. Finalement P. Giovio dit très bien, dès les années 1520, que la culture humaniste s’est intégrée, « naturalisée » en socialité de cour.
Notes de bas de page
1 Entre tant d’analyses de la Signature, on retiendra S. J. Freedberg, Painting of the High Renaissance in Rome and Florence, Cambridge (Mass.), 1961, p. 112 à 131, et l’excellente étude du carton de 1’Ambrosiana de K. Oberhuber et L. Vitali, Raffaello, il Cartone per la Scuola di Atene, Milan, 1972. Freedberg donne quelques suggestions sur l’enjeu social de ces fresques, à propos des groupements des personnages, des postures, des portraits.
2 A. Bruschi, Bramante, Rome, 1973
3 E.H. Gombrich, Raphael’s Stanza della Segnatura, dans Symbolic Images, Londres, 1972, p. 85 à 101.
4 Freedberg notamment étudie cette structure en échos. Sur l’amplificatio, cf. par exemple Cicéron, De Oratore, III, 104, 105,106 et 202. R. Barthes rappelle rapidement les constituants du genre épidictique dans L’ancienne Rhétorique, Aide-mémoire, dans Communications 16, Paris, 1970, p. 210. L’importance de la comparaison dans la pratique rhétorique humaniste est soulignée par M. Baxandall, Giotto and the Orators, Oxford, 1971. Cf. note 83.
5 Gombrich, op. cit., p. 151 à 160 notamment, sur les deux formes, « analogique » et « mystique », du symbolisme dans le néo-platonisme. Cf. traduction française dans Symboles de la Renaissance, Paris, 1976, p. 19 à 22.
6 Cela n’empêche pas les peintres d’utiliser des motifs de la voûte, véhiculés par des copies, notamment le bourreau du Jugement de Salomon, qui devient un motif maniériste de répertoire.
7 E. Wind, The four Elements in Raphael’s Stanza della Segnatura, dans Journal of the Warburg and Courtauld Institute, II, 1938-1939, p. 75 à 79. D. Redig de Campos, Raffaello nelle Stanze, Milan, 1965, p. 21.
8 A. Chastel, Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent IeMagnifique, Paris, 1961, p. 474.
9 M. Foucauld, Les Mots et les Choses, Paris, 1966, p. 32 à 45. Dans Le Vite (Milanesi, IV), Vasari prend soin de préciser, comme si cela n’allait plus de soi : « (Raffaello) fece per ciascuno (tondo) una figura del significato delle storie di sotto, volte da quella banda dove era la storh (p. 333), et : K... la volta cioè il ciel0 di quella stanza » (p. 334). Ciel0 est pourtant un terme traditionnel d’architecture. Les tondi seraient, au moins en 1550-1568, perçus comme des figures de rhétorique, creusant l’écart par rapport à l’énoncé principal (on n’ose dire essentiel), qui serait celui des storie.
10 Gombrich, op. cit., discours de Giovanni Toscanella, Bologne, vers 1425 ; de Gregorius Tiphernius, Rome, sous Nicolas V ; de Poggio Bracciolini ; de Giovanni Argyropoulos, 1458. Pour n’importe quel champ culturel, ces discours épidictiques comportent rituellement l’exaltation de son origine divine, de ses bienfaits, et de sa solidarité avec d’autres disciplines, en tant qu’émanant de la divinité.
11 Si on remarque moins la portée épidictique de ce répertoire traditionnel, c’est peut-être que l’éloge pratiqué par Raphaël est, comme nous le verrons, plus efficace, plus séduisant, pour nous encore.
12 •Sur le STUDIOLO D’URBIN, cf. Chastel, op. cit., p. 364 à 370. L’aménagement est datable autour de 1475. Jules II a fait halte à Urbinle 26 septembre 1506 et du5 au 7 mars 1507.
— Cycle de vingt-huit hommes illustres (théologiens, philosophes, poètes, juristes) sur deux rangs superposés, regroupés par deux dans des loggias à double ouverture. Vus en buste, presque tous de face, identifiables surtout par des tituli sur le rebord des loges.
— Soubassement de marqueterie, avec notamment les Vertus Théologales.
— Il y a ailleurs dans le château, une Chapelle des Muses, et, à la Salle des Anges, un cycle des Arts Libéraux.
• Sur la SALA DELLE UDIENZE du COLLEGIO DEL CAMBIO à Pérouse, cf. Gombrich, op. cit., p. 87. Raphaël aurait collaboré à sa décoration, assurée par Pérugin et son atelier, en 1498-1500. Jules II a visité Pérouse en 1506.
— Dans les fresques des deux lunettes de gauche, cycle des quatre Vertus Cardinales regroupées à deux par fresque, assises dans les nuages, dominant chacune trois « fils » sur fond de paysage ombrien traditionnel, sans architecture. Les tituli aux pieds des « fils », et leurs attributs permettent seuls l’identification (ainsi qu’une grande inscription dans un cadre tenu par des putti flanquant chaque Vertu). Pour les identités, cf. Gombrich, légendes des III. 80a et 80b.
— Dans les trois autres lunettes, cycle des Vertus Théologales illustrées par des storie (la Foi par la Transfiguration, la Charité par la Nativité), et, pour l’Espérance, par une composition analogue à celle des Vertus Cardinales: sur fond de paysage, l’apparition de l’Eternel domine une série de six prophètes et de six sibylles.
— Soubassement de marqueterie.
• Sur l’APPARTEMENT BORGIA, cf. F. Saxl, Lectures, Londres, 1957, p. 174 à 188. La décoration par Pinturicchio et son atelier (et d’autres équipes ombriennes) date de 1492-1494. Jules II y a habité sans doute au moins jusqu’en 1507.
— Dans les lunettes de la Salle des Arts Libéraux, sur fond de paysage, les Arts trônent dans des niches richement architecturées, avec à leurs pieds leurs « fils », reconnaissables seulement à leurs attributs.
— Dans les lunettes de la Salle des Sept Saints, chaque saint est pris dans une storia qui illustrerait une Vertu.
— Espérance : Ste Elisabeth, la Visitation.
— Foi et Charité : St Antoine et St Paul, le partage
— Prudence : Ste Catherine, la Dispute devant l’empereur.
— Courage : Ste Barbe.
— Justice : Ste Suzanne, la scène avec les Vieillards.
— Tempérance : St Sébastien, son martyre (1). du pain.
• La CHAMBRE DE LA SIGNATURE comportait à l’origine un soubassement en marqueteries (Vasari), qui devait consister en « banchi-spalliere » cachant des étagères à livres, selon Oberhuber.
13 T. Yuen, The « Bibliotheca Graeca » ; Castagno, Alberti and Ancient Sources, dans Burlington Magazine, novembre 1970, p. 725 sq.
14 F. Yates, L’art de la mémoire, Paris, 1975, p. 62 à 143
15 Sur l’histoire de l’art de la mémoire comme index pour une histoire de l’imagination, cf. D. Arasse, ArsMemoriae et symboles visuels, la critique de l’imagination à la fin de la Renaissance, dans Symboles de la Renaissance, op, cit., p. 57 à 73.
16 Sur la notion de sphères et de rapports proxémiques, cf. E.T. Hall, La dimension cachée, Paris, 1971.
De même, au cours du Quattrocento et dans un autre registre, celui du tableau d’autel, s’agissant de la Sainte Conversation, l’entrée en jeu, entre le polyptyque et la pala unitaire, d’une nouvelle exigence esthétique (formulée en termes pris à la rhétorique), celle de la compositio albertienne, emportait peut-être déjà un changement dans le rapport proxémique du fidèle à l’image de dévotion. Les rapports spatiaux entre les personnages peints, et entre l’image et le spectateur, pourraient, dans une histoire des mœurs, servir d’index à une étude des configurations proxémiques dans une société donnée.
17 Cela n’implique évidemment pas qu’il n’y aurait pas d’intérêt à analyser en détail la spécificité que prend le style classique quand il adopte le genre épidictique, en le confrontant à ce qu’il devient quand il adopte, dans la Chambre d’Héliodore, le genre délibératif: il ne s’agit peut-être pas seulement de « prémaniérisme ».
18 L’étude de F. Sax1 mentionnée à la note 12 est une conférence de 1945. On ne peut guère signaler que F. Carli, Pintoricchio, Milan, 1960, et J. Schulz, Pinturicchio and the Revival of Antiquity, dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XXV, 1962, p. 35 à 55.
19 Vasari : « Adornὸ ancora questa opera di una prospettiva e di molte figure finite con tanto delicata e dolce maniera, Che fu cagione Che papa Giulio facesse buttare a terra tutte le stcrie degli altri maestri e vecchi e moderni, e Che Raffaello solo avesse il vanto di tutte le fatiche Che in tali opere fusser0 state fatte sino a quell’ora .» (p. 332) Et : « Resto il papa di questa opera molto sodisfatto.» (p. 337). Peu importe que Raphaël ait, comme on l’admet aujourd’hui, commencé par la Dispute, où les relations entre les personnages prennent une importance analogue. On a parfois interprété le « ad praescriptum Julii pontificis » de P. Giovio comme signifiant que le programme iconographique avait été établi par Jules II lui-même (Cf. note 21).
20 Le prince suprême n’aime pas l’appartement Borgia, et pas seulement par haine d’Alexandre VI, puisque d’après son maître des cérémonies Paris de Grassis, il ne saurait se contenter d’y faire détruire d’image même « et des armes peintes » de son prédécesseur détesté, mais il reste « très satisfait » de la Signature, tandis qu’en 1512, Alfonso d’Este admire sans discrimination, au cours de sa visite du Vatican, l’Appartement Borgia, la Sixtine, et sans doute Raphaël (dont il ne va pas voir l’oeuvre pour des raisons autres qu’esthétiques). Cf. olzio, Raffaello nei documenti, Rome, 1971. Cf. note 31.
21 P. Giovio (Paul Jove), Raphaelis Vrbinatis Vita, cité par P. Barocchi, Scritti d’Arte del Cinquecento, Milan, 1971, p. 13 à 18. « Tertium in pictura locum Raphaël Vrbinas mira docilis ingenii suavitate atque solertia adeptus est. Is multa familiaritate potentium, quam omnibus humanitatis officiis comparavit, non minus quam nobilitate operum inclaruit adeo, ut nunquam illi occasio illustris defuerit ostentandae artis. Pinxit in Vatican0 nec adhuc stabili authoritate cubicula duo ad praescriptum Julii Pontificis: in altero novem Musae A pollini cythara canenti applaudunt, in altero ad Christi sepulchrum armati custodes in ipsa noctis umbra dubia quadam luce refulgent. In penitiore quoque Leonis X triclinio Totilae immanitatem, ac incensae urbis casus atque pericula repraesentavit, parique elegantia, sed lascivienti admodum penicillo Porticum leoninam florum omnium ac animantium spectabili varietate replevit ; eius extremum opus fuit devicti Maxentii pugna in ampliore caenacula inchoata, quam discipuli aliquanto post absolverunt ...
Caeterum in toto picturae genere nunquam eius operi venustas defuit, quam gratiam interpretantur .. » Sur P. Giovio, cf. T. Price Zimmermann, Paolo Giovio and the Evolution of Renaissance Art Criticism, dans Cultural Aspects of the Italian Renaissance, C. Clough ed., New York, 1976, p. 406 à 424.
22 E. Kris et O. Kurz, Die Legende vom Künstler, Vienne, 1934, édition amplifiée Legend, Myth, and Magic in the Image of the Artist, Londres, 1979.
23 F. Grossmann, Bruegel, une dynastie de peintres, Bruxelles, 1980, p. 38-39.
24 Ce n’est qu’à l’extrême fin du xvie siècle, sous le pontificat de Sixte-Quint, une fois transférés ailleurs les appartements privés du pape, que les Chambres sont devenues un musée de fait, accessible au moins aux artistes. En 1575 l’archéologue français Blaise de Vigenères n’a pas encore pu les visiter. Cf. J. Pope-Hennzssy, Raphael, Londres, 1970, sur les vicissitudes ultérieures des Chambres. Vasari ne les a peut être pas vues, et ce qu’il est convenu d’appeler ses erreurs d’interprétation s’expliquerait en partie par le fait qu’il rédige d’après des descriptions verbales et des gravures qui transmettent des états antérieurs à l’exécution à fresque, ou qui adaptent certains groupes à d’autres iconographies.
25 D. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani, Bologne, 1967, p. 100 sq. Compte tenu de l’arnplificatio épidictique, et de l’anticipation sur des réalisations en cours ou seulement projetées, la description, abondamment débattue, que F. Albertini donne de la « bibliothèque suspendue de Jules II » dans son Opusculum de mirabilibus novae urbis Romae (1506-1509-15 10) s’appliquerait sans doute possible à la Signature. De plus, Redig de Campos retient comme décisif un documentde paiement effectué le 9 mars 1509 à Lorenzo Lotto pour des travaux cin cameris superioribus pp. prope libreriam superioremu. Ces travaux concernent la Chambre d’Héliodore, et la « librairie haute » (par opposition à la librairie de Sixte IV au rez-de-chaussée) ne peut être que la Chambre de la Signature.
Voir enfin J. Shearman, The Vatican Stanze : Functiuns and Decorations, Londres, 1972.
26 Ces catégorisations (publique, privée, intime) sont évidemment hypothétiques, dans la mesure où l’architecture Renaissante n’est encore presque jamais abordée en termes de sphères proxémiques. Cf. R.A. Goldthwaite, The Florentine Palace as a Domestic Architecture, dans The American Historical Review, 71, 1912, p. 977 à 1012.
27 P. Giovio, op. cit. à la note 21. « Penitius triclinium» et « amplior caenaculau ».
28 Redig de Campos, op. cit., donne à la Chambre d’Héliodore, sans la justifier, cette appellation d’« antichambre secrète ». La Chambre d’Héliodore, avec son cycle délibératif qui vise à prouver par quatre exempla historiques la justice permanente de la cause du pape, et à réaffirmer la certitude en sa victoire finale, s’il est vrai qu’elle ne pouvait être vue que d’un public restreint, renverrait à un effort de persuasion, peu distinct d’une efficacité magique, qui s’exercerait d’abord sur le pape lui-même, puis sur une cour dont il faudrait voir dans quelle mesure au juste elle était traversée de doutes et de conflits de pouvoir. Cf. E. Rodocanachi, Le pontificat de Jules II, Paris, 1928.
29 Redig de Campos, op. cit.
30 Bruschi, op. cit., p. 172. En fait, la vue est décalée: c’est de la fenêtre de la Chambre de l’Incendie du Bourg, qu’on a une vue parfaitement axiale du Belvedere. Fortuit ou délibéré, on pourrait rapprocher ce décalage de celui que Bramante avait exploité à Milan, dans l’organisation perspective des fresques des Hommes d’Armes. Cf. G. Mulazzani et M. Dalai, L’espace impossible de Bramante, dans Actes de la recherche en SciencesSociales, 23, septembre 1978, p. 38 à 50.
31 Lettre de Grossino à Isabelle d’Este, datable de 1512, citée par Golzio, op. cit., p. 26. « II S. Ducha se ne vene a palazo con li soi gientilhomini, sua S. si piglio grande apiacer in veder tute le stanzie di Papa Alexandro Che sono bellissime, et poi disnorno in la salla di Pontificy ... II S. Fed. CO vedendo Che Sua Ex. stava tanto alla volta (de la Sixtine) meno li soi gientilhomini a veder le camere del Papa et quelle che dipingie Rafaello da Urbino : dopoi Che ? S. Ducha fu venuto a basso lo volsero menar a veder la camera del papa et quelle Che dipingie Rafaello, ma non li volse andar et quelli soi gientilhomini dissero Che l’aveva auto grandissimo rispecto andar in la camera dove dormiva il Papa ».
32 N. Elias, La civilisation des mœurs, Paris, 1973. Et E.T. Hall, op. cit.
33 Gombrich, Psychoanalysis and the History of Art, dans Meditations on a Hobby-Horse, Londres, 1965, p. 30 à 44. L’art érotique, qui semble se développer au début du xvie siècle, notamment à Rome et en Vénétie, se rattacherait au gonflement de la sphère intime, selon l’hypothèse de N. Elias, op. cit., p. 235.
Un indice confirmant qu’il y aurait une spécificité de l’intimité, et, à un moment précis, des convenances implicites qui la régissent quand il s’agit du pape, serait un contraste frappant entre la Sixtine et la Signature. A la voûte de la chapelle palatine, qui est un lieu beaucoup plus ouvert, le nu féminin et surtout masculin triomphe, sans provoquer dans l’immédiat de gêne ou de réprobation. En revanche le nu est extrêmement discret à la Signature : sauf lorsqu’il est imposé par l’iconographie (putti, serviteur), ou réservé à des degrés de réalité différents (compartiments oblongs de la voûte, statue feinte d’Apollon), on ne trouve guère qu’une muse du Parnasse légèrement dévêtue. Pour la niche gauche de 1’Ecole d’Athènes, en pendant à la Minerve vêtue de droite, selon Oberhuber, Raphaël avait d’abord pensé à une Vénus nue, à laquelle il substitue l’Apollon. Il y aurait là un « passage derrière les décors », selon la formule de N. Elias.
34 Ce qui a plu à Jules II, ce sont « la perspective » et des nombreuses figures finies avec une manière si délicate et « les douce » (Cf. note 19), c’est-à-dire précisément le rapport de l’architecture et des personnages. Peut-être par ce qu’il se joue de nouveau dans ce déplacement de l’architecture et de tout ce qui la rattache aux images mnémoniques. Par ailleurs Jules II tourne en dérision un projet d’inscription hiéroglyphique que lui soumet Bramante pour le Belvedere (Vasari, IV, p. 158-159). Cf. Gombrich, Bramante and the Hypnerotomachia Poliphili, dans Symbolic Images, p. 102 à 108. Certes l’égyptologie devait rappeler à Jules II l’appartement de son prédécesseur détesté, mais il semble bien que le « symbolisme mystique », auquel se rattache l’égyptologie Renaissante, soit alors en retrait, au moins autour du pape, au profit du « symbolisme analogique » c’est-à-dire de l’efficacité de la beauté sous les espèces de la grâce. Cf. note 5.
35 Chastel, op. cit., p. 476.
36 Gombrich, Raphael’s Madonna della Sedia, dans Norm and Form, Londres, 1978, p. 64 à 80. Ces deux pôles sont, au sens le plus large, « arrangement » et « lifelikeness ».
37 Oberhuber souligne justement l’accord et la liberté.
38 Vasari prend la peine de souligner la continuité logique entre les tondi et les lunettes. Cf. note 9.
39 Les personnages qui touchent Platon et Aristote sont en arrière ; la perspective exigerait qu’ils soient un peu moins grands qu’ils ne sont, comme le note Oberhuber : Raphaël a délibérément privilégié l’isocéphalie. L’alternance des zones architecturales sombres et éclairées, s’emboîtant selon un rythme qui s’accélère pow déboucher sur la découpe de ciel bleu clair, contribue fortement à mettre en valeur les deux maîtres, selon M. Ermers, Die Architekturen Raffaels, Strasbourg, 1909.
40 Impression toute métaphorique, que conforte toutefois la position des pieds de Platon.
41 Bruschi, op. cit. Sur l’architecture humaniste, cf. R. Wiffkower, Architectural Principles in the Age of Humanism, Londres, 1973.
42 Alberti, De Re Aedificatoria.
– VII, 16 : « Sed omnium, ni fallor, egregius fuit usus statuarum. Ornamento enim veniunt et sacris et profanis et publicis et privatis aedificiis, mirificamque praestant memoriam cum hominum turn et rerum ».
– VII, 17 : « Alii effigies eorum qui de genere hominum bene meriti essent, quosve in deorum numero memoriae consecrandos censuissent, locis sacratis ponendos visendosque dedere, quo eos posteri venerantes ad virtutis imitationem studiis gloriae incenderentur. »
43 Sur les dimensions qu’aurait cette architecture, cf. Ermers, op. cit. Oberhuber signale que selon Frommel, le canon de proportion des pilastres (1 : 8) n’est pas bramantesque.
44 Oberhuber relève ce caractère de rêve. Selon Redig de Campos, l’architecture a plu à Jules II peut-être parce qu’accomplissant son désir, elle évoquait comme en rêve le nouveau Saint-Pierre si long à construire. Par ailleurs, la parenté des images mnémoniques avec le rêve est traditionnellement reconnue. Cf. Arasse, art. cit., p. 37.
45 Oberhuber analyse très en détail les recherches sur l’architecture dont le carton de l’Ambrosiana porte témoignage.
46 C’est la conclusion à laquelle arrive Oberhuber. Toutes les restitutions en plan et en élévation sont donc vaines, surtout lorsqu’elles supposent quatre bras symétriques autour de l’espace central, comme c’est le cas de Ermers, op. cit.
47 Oberhuber, op. cit., p. 47 : « Vi sono infatti dei particolari, come quello dell’architrave dei pilastroni della cupola, in cui per ragioni estetiche Raffaello non si attenne al’esatta prospettiva e si prese delle libertà che si ritrovano anche nella composizione figurativa. » P. Giovio, op. cit. (ed. cit. p. 15), entre les éloges de la grâce et de la couleur de Raphaël, fait deux réserves, dont celle-ci : « Optices quoque placitis in dirnensionibus distantiisque non semper adamussim observans visus est. »
48 T. Yuen, art. cit.
49 Vasari : « Uso molto (Pinturicchio) di fare alle sue pitture ornamenti di rilievo messi d’oro, per sodisfare alle persone che poco di quell’arte intendevano, accio avessero maggior lustro e veduta ; il Che è cosa gofissima nella pittura. Avendo dunque fatto in dette stanze una storia di Santa Caterina, figurd gli archi di Rom di rilievo, e le fïguro dipinte di modo, che essendo innanzi le figure e dietro i casamenti, vengono più innanzi le cose che diminuiscono, Che quelle che secondo l’occhio crescono : eresia grandissima nella nostra arte., (III, p. 498-499)
Et : (« Pinturicchio) sodisfece essai a molti principi e signori, perchè dava presto l’opere finite siccome disiderano., (III, p. 5 11).
E. Carli, op. cit., p. 7 sq, relève, pour s’en étonner. l’extrême sévérité de Vasari à l’égard de Pinturicchio, estimant que c’est seulement parce qu’il a travaillé pour de grands commanditaires, dont plusieurs papes (Jules II notamment), que Vasan admet Pinturicchio parmi « les plus excellents peintres », au lieu de s’en débarrasser au moyen de quelques lignes en appendice à la vie d’un autre peintre ombrien de « la deuxième manière » traité de façon plus estimable, Pérugin par exemple. Mais le problème n’est pas, comme le tente E. Carli, de reconstituer la personnalité de Pinturicchio à partir de ses surnoms, de ses autoportraits, et des quelques renseignements documentaires que nous avons sur sa vie privée et sociale. Il ne suffit pas non plus d’estimer que « la plus authentique inspiration de Pinturicchio est étrangère à ce qui est désormais reconnu comme l’expression spécifique d’une culture figurative Renaissante ». Car non seulement avant de peindre l’Appartement Borgia en 1492-1494, Pinturicchio (ou son atelier) a travaillé pour les Della Rovere (aux chapelles latérales de S. Maria del Popolo ; au palais de Domenico cardinal de S. Clemente, piazza Scossacavalli ; au palais de Giuliano, futur Jules II, piazza SS. Apostoli), mais encore en 1508-1509, il peint sa dernière œuvre romaine, la voûte du chœur de S. Maria del Popolo, sur commande de Jules II. Or, ne serait-ce que par son emplacement sur le parcours des pèlerinages, S. Maria del Popolo est une église prestigieuse, et Jules II porte un intérêt soutenu à son embellissement (avec aussi le souci d’en effacer les traces des Borgia). Même après qu’il a privilégié Raphaël pour la Signature, la « manière » de Pinturicchio (son « style ») ne déplaît donc en rien à Jules II, du moins pour la «sphère» des églises. Décidément la rupture qui se joue à la Signature ne saurait être uniquement une affaire de « manière » de peindre. Et on comprend peut-être mieux pourquoi Vasari est particulièrement sévère pour la Dispute de Ste Catherine.
50 Il y a quelque chose d’un rite d’inversion sociale dans ce topos du prince ou du pape qui a mauvais goût, que Vasari utilise aussi pour Sixte IV et les fresques de Cosimo Rosselli à la Chapelle Sixtine. Car c’est bien le prince, ou le pape, ou un groupe dirigeant, qui définit la norme artistique, en commençant par sacrifier des satisfactions esthétiques décrétées vulgaires ; cf. Gombrich, Visual Metaphors of Value in Art, dans Meditations on a Hobby-Horse, p. 12 à 29. Comme le dit explicitement Gombrich, ce n’est là que l’application aux arts de « la dynamique de l’Occident » étudiée par N. Elias dans les moeurs, la « civilisation » procédant des restrictions toujours plus nombreuses que les classes dirigeantes s’imposent pour se démarquer, et qu’imitent des classes subalternes, relançant ainsi le processus.
51 Nombreux exemples aux xive et xve siècles. Cf. par exemple le Triomphe de Saint Thomas d’Aquin, de Benozzo Gozzoli au Louvre.
52 L’arcature ouverte sur le ciel rappelle la manière dont Léonard dans la Cène magnifie et isole le Christ par une ouverture dans l’architecture.
53 Il ne s’agit pas de prétendre que les personnages parlent, mais de tenter une lecture proxémique de l’image, comme on peut dans des textes dégager des structures proxémiques.
54 Freedberg, op. cit., p. 119-120 et 124. Les précédents sont chez Léonard (l’Adoration et la Cène), selon Freedberg.
55 Chastel, op. cit., p. 479.
56 Sur le caractère ouvert et continu de la signification en peinture, cf. Gombrich, Aims and Limits of Iconology, dans Symbolic Image, p. 1 à 22.
57 Freud, L’interprétation des rêves, Paris, 1971, p. 270. Le passage porte plus généralement sur la figuration des relations logiques ; la contiguïté spatiale implique une continuité logique. De fait Raphaël s’est représenté à côté du géographe et de l’astronome : la peinture a partie liée avec la cartographie et la géodésie, jusque dans le domaine militaire, au service du pouvoir : le géographe est roi, pas seulement parce que Ptolémé le géographe est confondu depuis le Moyen Age avec le roi Ptolémée Philadelphe. Cf. B. Naldi, Copernic e i ire filosofi di Giorgione, dans Medioevo e Umanesimo, 12, 1911.
58 Arasse, op. cit., p. 66.
59 O. Chomentovskaja, Le Comput digital, dans Gazette des Beaux-Arts, 1938, 2, p. 157 à 172.
– Au Studiolo d’Urbin, St Thomas, Duns Scot, Boèce, Bartole ont des gestes variés de comput digital.
– A l’Appartement Borgia, on le trouve notamment chez une Sibylle, la Dialectique, Ste Catherine. Ce geste, capital dans la pratique universitaire et dans la prédication, devenu en peinture un quasi attribut iconographique pour des Docteurs ou pour la Dialectique, remonte en fait à l’Antiquité grecque. Cf. R. Brilliant, Gesture and Rank in Roman Art, New Haven, 1963.
60 A la Signature Raphaël doit notamment à l’Adoration de Léonard le groupe en bas à gauche. Cf. Gombrich, Raphael’s Stanza della Segnatura, p. 97 sq. Cf. note 54.
61 J.P. Richter, The Literary Works of Leonard0 da Vinci, Londres, 1970, fragment 594 (BN 2038.21a)
« Del figurare uno che parli infia piÙ persone.
Userai fare quello, Che tu voi Che infia molte persone parli, di considerare la materia di Che lui à da trattare: e d’accomodare in lui li atti apertenenti a essa materia, cioè se l’è materia persuasiva che li atti sieno al pro osito, se l’è materia dichiarativa per diverse ragioni, Che gello che dice pigli per le dita della mano destra uno dito della sinistra avendone serrate li 2 minori, e col viso pronto rivolto verso il popolo colla hocca alquanto aperta Che pia Che parli.. .» Or, pour l’un des auditeurs, le prétendu Xénophon, très différent des autres vieillards de la fresque, Raphaël rejoint les prescriptions que Léonard donne ensuite justement pour les auditeurs, qui doivent « tous regarder l’orateur au visage avec des actes admiratifs ». En particulie r:« ... e fare le hoche d’alcuno vechio per meraviglia delle udite sententia tenere la hocca coi sua stremi bassi, tirarsi dirietro molte pieghe delle guancie, e colle ciglia alte nelle giunture le quali creino molte pieghe per la fronte .. .»
62 Après l’Art (Causarum cognitio), après l’art de la mimoire et les Arts Libéraux, d’autres formes d’art sont cachées par l’art, dans cet apparent «naturel», ce sont l’art du peintre et celui du courtisan en société. La sprezzatura théorisée par Castiglione dans les mœurs (Il Cortegiano, 1, 16) sert de modèle à Vasari pour élaborer sa théorie de la grâce en peinture, selon A. Blunt, La théorie des arts en Italie de 1450 à 1600, Paris, 1966, p. 168. Or, déjà d’après P. Giovio (cf. note 21), la grâce est à l’œuvre chez Raphaël. Doublement. Dans ce qu’on pourrait appeler la sprezzatura de ses personnages, de leurs postures non codifiables ; et dans l’art avec lequel Raphaël les campe si « naturel » et si persuasifs - sans que cet art se voie. On aurait une confirmation du caractère désormais non énonçable des gestes de la communication linguistique (chez le courtisan aussi bien que chez les maîtres de la fresque) dans un autre fragment de Léonard, qui oppose pour leurs «actions» rhétoriques deux représentants de deux classes sociales. Cf. Richter, op. cit., fragment 593 (CA 139a) : « La pictura over le figure dipinte dehhono esser fatte in modo tale Che li riguardatori d’esse possino con facilità conosciere mediante le loro attitudine il concetto dell’animo loro e se tu ai a fare parlare un Omo da bene, fa Che li atti sua sieno conpagni delle bone parole, E similmente se tu ai a figurare uno uomo bestiale, fa lo con movimenti fieri, gittando le braccia contro all’auditore, e la testa col petto sportanti fori de’piedi accompagnino le mani del parlatore. ..,Y Le geste de l’»homme bestial » est descriptible, pas celui de l’« homme de bien » (le courtisan ?). De même, pour la conversation (moment privilégié de la relation de grâce), il est plus facile à Castiglione de nommer ce qu’il exclut, que de théoriser ce qu’il faut faire, autrement qu’en donnant des exemples (de sujets de conversation : II, 17 ; ou de plaisanteries : II, 46), ou en conseillant de faire preuve de « bon giudicio » (II, 6) et de tenir compte des « circunstanzie » (II, 8). En art comme dans les mœurs, la norme se définit d’abord par ce qu’elle exclut, ce qui contribue à la naturaliser. Cf. Gombrich, The Stylistic Categories of Art History and their Origins in Renaissance Ideals, dans Norm and Form, p. 81 à 98.
63 Léonard insiste sur l’expressivité diffuse dans tout le corps (mais souvent en termes de types sociaux ou tempéramentaux : Cf. le fragment cité 6. la note 62 ; cf. Richter, op. cit., no 584). « Le membra Cho1 corpo debono essere accomodate con gratia al proposito dello effetto Che tu vuoi Che facia la figura. » (Richter, no 592).
64 Freedberg, op. cit., p. 117 et 127.
65 Redig de Campos, Raffaello e Michel-AngeIo, Rome, 1946. Oberhuber, op. cit., p. 21, pour la perspective à part de l’Héraclite, qui serait davantage prévue, elle, pour un spectateur au centre de la pièce.
66 L’ajout détruit la symétrie avec la Dispute, selon Redig de Campos, Raffaello nelle Stanze ; selon Oberhuber, le fait qu’il s’agisse d’un ajout prouve qu’il répond à un souci de liaison avec l’espace réel, qui ne pouvait donc ni apparaître ni se formuler à aucune phase préparatoire, même pas dans le carton.
67 Vasari, parlant du « groupe de Pythagore » avec les correspondances harmoniques : « Sonvi in disparte alcuni astrologi Che hanno fatto figure sopra certe tavolette e caratteri in varj modi di geomanzia e d’astrologia, ed ai Vangelisti le mandano per certi Angeli bellissimi. » (p. 331).
68 Il est significatif qu’on ait voulu reconnaître dans ces jeunes gens Francesco Maria della Rovere et Federigo Gonzaga, qui jouissent tous deux de la familiarité de Jules II. Un personnage du même type de beauté a également une fonction d’invitation dans la Dispute.
69 Que l’influence magique de l’image puisse alors prendre la forme d’une séduction, même en un sens franchement érotique, Léonard le dit déjà clairement, en reprenant le topos de l’Aphrodite de Cnide de Praxitèle. Cf. Gombrich, le pouvoir de Pygmalion, dans L’Art et l’illusion, Paris, 1971, p. 127sq. Raphaël a aussi peint pour Agostino Chigi à la Farnesine, dans un tout autre registre.
70 Vasari : « ... una stona quando i teologi accordano la filosofia e I’astrologia con la teo1ogia.S (p. 330), et : « ... un numero infinito di Santi Che sotto scrivono la messa, e sopra I’ostia Che 2 sullo altare disputano. » (p. 335-336). Freedberg, p. 118, parle pour la Dispute d’un « concile idéal sur la transsubstantiation ».
71 Vasari : « …(Raffaello) considero Che la pittura non consiste solamente in fare uomini nudi, ma Che ell’ha il campo largo, e Che fra i perfetti dipintori si possono anco annoverare coloro Che sanno esprimere bene e con facilità l’invenzioni delle storie ed i loro capricci con bel giudizio ... » (p. 375).
72 Selon Oberhuber Raphaël a repris pour Platon un type, celui de l’idéal générique du philosophe grec, souvent adopté au Quattrocento pour Aristote, et sur lequel Léonard a conformé son célèbre autoportrait. L’Aristote de la fresque est une invention. En revanche Socrate retrouve pour la première fois son masque de silène. Le modèle utilisé pour cette « intégration iconographique » (Chastel, op. cit., p. 250) serait le type B alors connu par deux bustes, l’un dans la collection Farnese, l’autre aujourd’hui au Palais des Conservateurs (Oberhuber, op. cit., p. 31). La « préoccupation d’authenticité inconnue jusque là » (Chastel) s’équilibrerait avec le geste à codification stricte. La persuasion se jouerait dans le visage et sa relation aux auditeurs, qui répondent selon Oberhuber à un souci de diversification sociale des types. Mais la ctbocca della meravigliau du vieillard est aussi une manifestation d’affect, que Léonard reprend dans son célèbre projet pour une Cène.
73 Federigo Gonzaga, Raphaël, et peut-être Bramante (p. 331-332).
74 Vasari, p. 330.
Sur le classicisme de Raphaël, cf. note 36 et 76.
75 G.P. Bellori, Descrizione delle immagini dipinte da Raffaello nelle camere del palazzo apostolico Vaticano, Rome, 1695. Gombrich, op. cit., ill. 74, reproduit le tableau synoptique dressé par A. Springer en 1883, qui fait ressortir l’absurdité de la recherche des portraits. Mais, même en admettant avec Gombrich que chaque personnage soit significatif en tant qu’il répond,. non à un programme iconographique (à une identité), mais aux lois d’un genre littéraire, on n’explique pas comment un morceau épidictique m’incite à aimer ce qu’il loue. Pourtant Gombrich cite (p. 96-97) un texte de Giovanni Argyropoulos, de 1458, qui joue déjà explicitement d’une séduction érotique.
76 Gombrich, Raphael’s Madonna della Sedia.
77 Toute la critique renvoie aux vieilles études de A. Luzio sur les Este et les Gonzaga.
78 Ce ne serait d’ailleurs, sur le mode de plaisir, que le processus d’hypothèses, erreurs et adaptations, dans lequel, après K. Popper, Gombrich voit un fonctionnement fondamental de l’esprit humain. Cf. L ‘art et l’illusion.
79 J. Ackerman, The Belvedere as a Classical Villa, dans Journal of the Warburg and Courtauld Institute, 1951, 14, p. 70 à 91. Ce qui n’était qu’une fiction allusive en 1455 se prolonge maintenant dans la réalité à l’échelle monumentale. Cf. J. Le Goff, Les intellectuels au Moyen Age, Paris, 1957, p. 137 à 188. L’essor de la villa indexe toujours l’éloignement de la culture savante par rapport au « chantier urbain », et sa curialisation. Il est doublement symptomatique qu’une villa classique prolonge un lieu de travail privé, dans lequel l’image donnée de la culture privilégie les relations sociales.
80 Le vieillard à côté de Pythagore dans l’École ; Sapho et Horace ( ?) dans le Parnasse ; dans la Dispute, le prétendu Bramante et un jeune homme en pendant.
81 Cf. Les études de la méthode de travail de Raphaël, par Gombrich et Oberhuber.
82 P. Bourdieu, La distinction, Paris, 1979, notamment p. 55 sp.
83 L’humanisme ne va pas de soi, puisqu’il s’agit d’un terme forgé par l’érudition allemande du xixe siècle, qui donne une impression trompeuse d’unité essentielle. Or, pour l’historien, Universalia non sunt ante res. Baxandall, op. cit., évite à juste titre de parler d’humanisme quand il analyse ce qu’ont théorisé sur la peinture divers humanistes dans différents milieux. En montrant que les premiers écrits d’humanistes sur la peinture procèdent de comparaisons entre l’art des orateurs (ou des poètes) et celui des peintres (avec comme principal souci de bâtir de bonnes périodes), il fait découvrir des pratiques d’interlégitimation « en abyme » : Cicéron (ou Quintilien) qu’imitent ces humanistes, recourait à des comparaisons avec la peinture pour expliquer ou refonder une théorie et une pratique de la rhétorique. Or ce souci des belles périodes comparatives, dans une polémique sur une retraduction d’Aristote contre Leonardo Bruni Aretino (1370-1444), le cardinal Alonso Garcia de Carthagène l’a déjà ramené explicitement à la « curialitén », à la « courtoisie ». Cf. Le Goff, op. cit., p. 179-181. L’« humanisme civique florentin » était aussi une norme de comportement, un idéal de « gravité » à l’antique dans les mœurs, par exemple chez Niccolo Niccoli. Cf. J. Burckhardt, La civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, 2, p. 76 sq.
84 Eugène IV introduit en 1431 les études humanistes a l’université de Rome.
85 C. Dionisotti, Chierici e laici nella letteratura italiana, dans Geografia e storia della letteratura italiana, Turin, 1961, p. 47 à 73.
86 Dans son Proemio, Cortese explique qu’il ne publie là que la partie théologique d’un traité plus vaste, un De Pnncipe en trois livres, qu’il avait achevé dans une première rédaction en 1504, et dont il ne publie que le De Cardinalatu sur la suggestion du cardinal Ascanio Sforza. Or, selon Dionisotti, outre ce conseil avisé puisqu’émanant de l’héritier d’une famille princière déchue, l’échec emblématique de César Borgia avait dû confirmer aux yeux de Cortese que le seul prince qui pût alors s’imposer en Italie, c’était le pape. C’est bien ce à quoi travaillait alors Jules II.
87 On croirait voir l’École d’Athènes. A propos de la décoration qui convient à son palais, Cortese fait un rapprochement entre le cardinal et le pape, puisqu’il cite comme exemples de décorations érudites la Chapelle Sixtine et la chapelle du cardinal Olivero Carafa. Cf. K. Weil-Garris et J. d’Amico, The Renaissance Cardinal Ideal Palace : a Chapter from Cortesi’s de Cardinalatu, dans Memoirs of the American Academy in Rome, XXXV, 1980.
88 C’est à la cour d’un évêque que se situe l’anecdote qui donne son nom au Galateo, qui fixe la norme dans les mœurs au milieu du xve siècle. L’auteur, Giovanni della Casa, est archevêque de Bénévent.
89 Le Cortegiano est riche indirectement de renseignements sur l’évolution des couches dirigeantes de la société de 1507 à 1528, comme le relève Dionisotti, op. cit. De fait, sans doute en liaison avec une centralisation étatique en progrès autour de la papauté, les écrivains italiens sont encore plus nombreux qu’auparavant à désirer ou à avoir un statut social de clerc, comme si, la configuration sociale changeant, c’était l’Eglise qui leur offrait l’espace social le plus vaste. Dans le même temps, toujours selon Dionisotti, le courtisan aspire à devenir cardinal : le De Cardinalatu serait la vérité du Cortegiano. Léon X aurait promis un « chapeau rouge » à Raphaël selon Vasari (p. 381).
90 Lettera dedicaton...don Michel de Silva, vescovo di Viseo : « ...mandovi questo libro, come un ritratto di pittura della corte d’Urbino, non di mano di Raffaello O Michel- Angelo, ma di pittore ignobile ... »
91 II Cortegiano, 1, 6. Les cardinaux de Mantoue, Narbonne, d’Aragon, et de Saint-Pierre aux Liens, c’est-à-dire Galeotto della Rovere, neveu de Jules II. Les liens se resserrent entre Urbin et Rome lorsqu’en 1508 Francesco Maria della Rovere, qui assiste aux soirées de 1507, succède comme son héritier adoptif à Guidobaldo di Montefeltro. Lié à Galeotto, Castiglione est souvent à Rome dans les dernières années de Jules II, avant de s’y fixer sous Léon X. En 1510, toute la cour d’Urbin est à Rome pour le carnaval.
92 En étudiant notamment les promotions ecclésiastiques dont Castiglione fait état, pour les courtisans de 1507, dans le Proemio de son quatrième livre (qui date de 15 16).
93 Sur la « terribilità » de Jules II, cf. F. Hartt, Lignum vitae in medio Paradisi, dans Art Bulletin, juin 1950, XXXII, 2, p. 115 à 145.
94 Il s’agirait de voir si les rapports proxémiques dans et avec l’image ne seraient pas une forme symbolique au sens repris à Cassirer par Panofsky, pour une histoire des mœurs.
95 Il Cortegiano, IV.
96 Ordini et offici de Casa de lo Ill. mo Sig Duca d’Urbino, datant de Federigo, cité par V. Cian, Un illustre nunzio pontificio del Rinascimento, Baldassar Castiglione, Rome, 195 1, p 31-32
97 Vasari : « ... si vedeva Che non andava mai a corte, Che partendo di asa non avesse sec0 cinquanta pittori, tutti valenti e buoni, Che gli facevano compagnia, per onorarlo. Egli, in somma, non visse da pittore, ma da principe. » (p. 384-385).
98 A. Campana, The Origin of the Word « Humanist », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institute, IX, 1946, p. 60 à 73. Il y a une occurrence isolée vers 1490. Le mot est d’abord un terme de vulgaire, formé avec le suffixe désignant les spécialisations universitaires. Il a un sens second, de grand connaisseur de la culture latine, quasi professionnel. Voir également P. Grendler, The Concept of Humanist in Cinquecento Italy, dans Renaissance Studies in Honor of Hans Baron, Florence, 1971, p. 445 sq.
99 Sur les notions antithétiques de sprezzatura et d’affettazione, cf. II Cortegiano, I, 16.
100 M. Baratto, Tre saggi su1 teafro italiano, Venise, 1971, p. 28. Le personnage s’élabore dans la tradition des mascarades en milieu universitaire, pour émerger en 1529 dans II Pedante de Belo et dans Il Marescalco de l’Arétin.
101 Ph. Fehl, The Hidden Genre: a study of the Concert Champêtre in the Louvre, dans Journal of Aesthetics and Art Criticism, XVI, décembre 1957, 2, p. 158 à 168.
102 P. Bembo, Gli Asolani, II, 8. Bembo est à Urbin à partir de 1506, mais ses contacts sont étroits avec Rome bien avant sa nomination comme secrétaire aux brefs en 1513. Il est lié lui aussi au cardinal Galeotto della Rovere. E. Battisti fait écho à l’hypothèse selon laquelle Bembo serait l’auteur du programme de la Signature, dans Il concetto di imitazione ne1 Cinquecento italiano, dans Rinascimento e Barocco, Turin, 1960, p. 177.
103 Surtout par contraste avec les perspectives de l’École et de la Dispute, qui ne visent à aucune continuité illusionniste avec l’espace de la Chambre.
104 Sur le pape barbu, cf. F. Hartt, art. cit.
105 Les deux scènes narratives en camaïeu sous le Parnasse sont des ajouts de 1514.
106 Il Cortegiano, IV, 18 : de la justice proviennent dans une relation d’engendrement explicite la magninimité, la prudence, la libéralité, la magnificence, le désir de gloire, la douceur, l’affabilité, etc. Dans le Prince, s’attachant à « la verita effettuale delle cose », Machiavel voudrait s’affranchir des lucidités et cécités croisées entre peuple et prince, comme il le dit avec sa métaphore de la plaine et de la montagne, mais il reste dans une relation de grâce avec le prince auquel il dédicace son ouvrage.
107 Panofsky, Idea, 1924.
108 Battisti, op. cit., signale que la théorie de l’imitation rigide défendue par Bembo provient de la vie de cour, et se retrouve, plus tard, dans un contexte différent, comme un moyen explicite d’intérioriser les contraintes sociales, dans l’obéissance selon Ignace de Loyola.
109 Il Cortegiano, I, 14-15.
110 Après avoir énoncé le topos de la grâce ou vénusté, P. Giovio, op. cit., émet deux réserves sur l’œuvre (pour la perspective, et pour les musculatures), et termine par un vif éloge de la couleur de Raphaël, ce qui nous amène à une autre forme de « vénusté », théorisée un peu plus tard et surtout en milieu vénitien, celle du nu féminin, qui est indissociablement érotique et chromatique. Voir notre étude à paraître sur les « miracles de l’amour », de Bembo à Titien.
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