Métaphore, lieux communs et récit exemplaire : les images de la folie simulée dans la Vie du terrible Robert le Dyable (1496)
p. 89-108
Texte intégral
« Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou à conter de mensongères et monstrueuses histoires de miracles. Ils ne se lassent pas d’entendre des fables énormes sur les fantômes, lémures et revenants, sur les esprits de l’Enfer et mille prodiges de ce genre. Plus le fait est invraisemblable, puis ils s’empressent d’y croire et s’en chatouillent agréablement les oreilles. Ces récits, d’ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l’ennui des heures ; ils produisent quelque profit, et tout au bénéfice des prédicateurs ».Erasme, .Éloge de la folie, 40, trad. de P. de Nolhac, Paris, 1964, p. 49.
1Le 7 mai 1496 sort des presses de Pierre Mareschal et de Bernabé Chaussard, imprimeurs à Lyon, un ouvrage promis au plus grand succès : la Vie du terrible Robert le dyable1. De 1496 à 1580, onze éditions se succèdent : sept à Paris, trois à Lyon, une à Rouen2. En février 1522, huit cents exemplaires de cet ouvrage sont dénombrés chez Jean Janot, libraire juré de l’université, domicilié rue Neuve-Notre-Dame à Paris3
2L’ouvrage était destiné à des notables où dominaient déjà, à côté des ecclésiastiques, les officiers de justice et de finance ; il semble avoir pénétré chez les marchands et chez certains artisans4.
3Ce texte, ce « roman égaré » suivant l’expression de Geneviève Bollème5, est avant tout une histoire morale qui s’inscrit dans la ronde infinie des récits exemplaires d’apprentissage qui mènent un héros vers les valeurs inhérentes à la doctrine chrétienne. Ces récits ont longtemps échappé à la critique. Littéraires, ils ne l’étaient pas. Historiques, ils ne l’étaient que par prétexte. Moraux, ils étaient renvoyés dans les bas-fonds des productions destinées à l’édification du peuple.
4S’intégrant dans une vaste entreprise de persuasion qui visait à provoquer un comportement souhaité par l’Église par le biais du récit, ces textes ont charrié des images, alimenté un imaginaire.
5Dans la Vie du terrible Robert le dyable croisent les images de la folie. Les images d’une folie répercutée par le personnage du fol dont Robert le Diable revêt les oripeaux. Il ne s’agit pas toutefois du fol de la Nef des Fols, du Narrenschiff de Sebastian Brant, du fol « qui dévie, qui est en dehors des normes chrétiennes »6. Il ne s’agit pas non plus du fol qui résumera dans son outrance le xvie siècle. Arrêtons là ces définitions par la négative. Et essayons de cerner la folie de Robert le Diable qui a échappé jusque là aux historiens, alors qu’en cette fin du Moyen Age, comme le disait Michel Foucault en des termes désormais classiques, « la folie et le fou deviennent personnages majeurs, dans leur ambiguïté : menace et dérision, vertigineuse déraison du monde et mince ridicule des hommes »7.
6L’épisode qui nous intéresse se trouve inclus au beau milieu de notre texte. Résumons donc les aventures de ce maudit à la recherche de son salut.
7Le duc de Normandie, vaillant et très pieux, n’est pas marié, au grand dam de ses barons qui le lui font remarquer. Un baron lui conseille d’épouser la fille du duc de Bourgogne. Les noces sont bientôt célébrées. Le duc et la duchesse vivent pendant dix-sept ans sans avoir d’enfant, malgré leurs incessantes prières. Le duc se plaint amèrement de ne pas avoir d’héritier et perd confiance en Dieu. De retour d’une chasse, il se met au lit avec la duchesse et supplie Dieu de lui donner un enfant ; sa femme, quant à elle, promet de donner l’enfant au diable si ce dernier lui permet de l’engendrer.
8La duchesse devient enceinte ; elle accouche dans d’horribles souffrances. Robert se révèle vite un enfant infernal : d’une taille stupéfiante, il mord ses nourrices, bat ses camarades, tue même son maître d’école. Sa mère demande alors au duc son mari de le faire chevalier. Le jour de l’adoubement, Robert massacre au cours du tournoi donné en son honneur plusieurs chevaliers, au mépris des règles de la chevalerie. Commence ensuite pour Robert une vie de pillages, de vols et de viols. C’est d’ailleurs cette phase du récit qu’illustrent les gravures sur bois qui ouvrent les textes imprimés. Dans l’édition de Mareschal et Chaussard, l’on voit Robert, vêtu des habits de l’époque, qui tient en main une massue et s’apprête à frapper un homme agenouillé, en proie à la terreur. Au premier plan, un homme est étendu, mort. Sur la gauche, un autre s’enfuit pour échapper au massacre. Robert a déjà quitté le château paternel dont les murailles se dressent en arrière-plan. Il est maintenant dans la forêt, soulignée par l’arbre qui se dresse, à gauche de la gravure. Mais continuons.
9Robert tue un jour sept ermites qu’il rencontre dans un bois. Couvert de sang, il erre dans la forêt. Il parvient au château d’Arques où se trouve sa mère. Tout le monde le fuit. Robert prend conscience de sa méchanceté. Arrivé auprès de sa mère, il la contraint à lui avouer les raisons de sa cruauté. La duchesse lui révèle la nature de sa conception. Robert décide alors d’aller à Rome pour confesser les péchés qu’il a commis. Avant de partir il tente de ramener ses compagnons de brigandage dans le droit chemin ; devant leur refus, il les massacre.
10Robert part à Rome pour rencontrer le pape ; ce dernier ne sait que faire et le renvoie à un ermite. Le saint homme, perplexe devant l’énormité des crimes de Robert, prie le Seigneur de l’éclairer. Un ange vient la nuit apporter à l’ermite la pénitence de Robert :
Il fault qu’il contreface le fol et le muet et qu’il ne menge riens synom ce qu’il pourra oster aux chiens et si fault qu’il soit en tel estat sans parler et sans menger autre chose jusques a ce qu’il plaira a Dieu luy reveler et qu’il aura faite sa penitance suffisante pour purger ses pechés. En telle maniere se contiendra Robert sans parler et sans menger comme dessus est dit.
11Robert accepte cette pénitence avec joie. Il prend congé de l’ermite et s’en retourne à Rome pour accomplir sa tâche :
Or s’en va Robert d’avec l’ermite – Dieu y ait part et le vueille conduyre si bien qu’il puisse bonnement faire et accomplir sa penitence au proffit de son ame – et tant chemina qu’il vint arriver a Rome et quant il fut la venu, il se print a cheminer par la ville contrefaisant le fol.

Fig. 1. –La vie du terrible Robert le dyable, page de titre, Lyon, 1496.
12Arrivé dans la ville, il subit avec patience les persécutions des enfants :
Il n’eust guères cheminé que plusieurs petys enfans qui cuydoient qu’il fust fol tous ensemble alloient courans après en se mocquans de luy et gettoient après luy souliers vieulx, pierres et fanges, ordures, immundices de toutes sortes, alloient cryans après luy faisans grant bruit par les rues.
13Robert endure ces avanies, dehors, dans la rue. Tout va changer quand il pénètre à l’intérieur du palais de l’empereur :
Quant Robert eut longuement demoré par la cité de Romme, ung jour advint qu’il se trouva auprès du logis de l’empereur et pour ce que la porte estoit ouverte il y entra et tantost se print a pourmener parla salle, et une foys il alloit tost a l’autre tard puis couroit et puis s’arrestoit tout quoy mais il ne demouroit guères en ung lieu.
14De « fou » persécuté par la foule et les enfants, Robert devient un fol, un bouffon de cour. Il continue de simuler la folie. Reste l’injonction qui regarde la nourriture. Comme le lui a enjoint l’ermite, Robert cherche à la gagner en la disputant aux chiens :
Tandis que Robert estoit a table, l’empereur advisa ung chien qui estoit soubz la table et estoit blessé d’ung aultre chien ; l’empereur lui getta ung os lequel chien commença a fort ronger. Quant Robert vit le chien qui tenoit l’os, incontinent saillit de la table et courut droit au chien et tant fist Robert qu’il print l’os.
15Le chien sert d’ailleurs à Robert de compagnon puisque notre héros dort avec lui sous un escalier. De persécuté, Robert devient protégé :
L’empereur qui la estoit s’en print garde [de la « folie » de Robert] et vit de Robert les manieres de faire et dist a ung de ses escuyers en parlant de Robert : Voyla, dist l’empereur, le plus bel escuyer que jamais veisse et si cuyde qu’il soit fol dont c’est grant dommaige car il est beau et bien formé de tous ses membres. Faictes luy bailler a manger.
16Nous savons que Robert refuse de toucher à cette nourriture pour préférer l’os du chien. De même, l’empereur veut fournir un lit à Robert ; devant le refus de ce dernier, il se contente de lui faire apporter a grant foison de paille.
17Se succèdent alors trois séquences comiques :
181. Robert le Diable fait baiser le cul de son chien à un juif qui dînait avec l’empereur :
Or advint ung jour que l’empereur tenoit grant compte des seigneurs de Romme et y tenoit court à laquelle il avoit fait assembler plusieurs grans et puissans hommes entre lesquelz il y avoit ung juif très riche et puissant qui estoit recepveurquasi de la plus grande partie de la terre impériale. Et quant chascun fut assis a table Robert tenoit son chien entre ses bras et cheminoit par la salle contrefaisant le fol ainsy qu’il avoit acoustumé vint au devant du juif et le tyra par derriere. Le juif se retournantpour regarder que c’estoit, lors Robert tenoit la queue de son chien levée et luy fit baiser le cul dudit chien. Alors chascun se print a rire qui la estoit. De quoy le juif eut très grand despit mais il n’en fit aultre semblant. Apres Robert laissa aller son chien parmy la salle mais le chien incontinant saillit sur la table et tant aux dens que aux piés il fit tomber tout ce qui estoit sur la table ; et Robert y passoit son temps sans mot dyre comme l’ermite luy avoit enjoint.
192. Robert jette une reine dans la boue :
Or advint ung jour que l’on menoit une royne a I’eglise pour espouser, laquelle estoit moult richement parée et si avoit sur elle de riches joyaux tout ainsi que a une royne apartient accompaignée de toute la noblesse du pays comme seigneurs et barons et chevaliers, dames et damoiselles. Robert qui la vit ainsi parée la vint prendre par la main et puis l’amena en la plus grande fange qui fust en toute la rue et la .fit tomber tellement qu’elle en fut toute soillée et puis s’enfouit la gueule ouverte et criant comme ung fol et riant portant sa maistresse sur son col et s’en alla ...
203. Robert jette un chat dans une marmite :
... s’en alla tout droit bouter dedans la cuisine en laquelle cette royne avoit fait apareiller le disner des noces et quant il fut la arivé sans gueres atendre il print ung chat et le getta tout vif en une chaudière en laquelle cuysoient les viandes du disner. Cella fait incontinent fut raporté a l’empereur lequel en rit moult et aussi firent ceulx qui estoient avec iuy.
21La pénitence en forme de folie simulée dure sept ans. Le temps est venu de la révélation. Résumons rapidement la fin du récit.
22L’empereur refuse de donner sa file au sénéchal qui se lie aux Sarrasins pour lui faire la guerre. Les troupes de l’empereur sont mobilisées pour repousser l’invasion. Un ange est envoyé par Dieu pour donner à Robert un cheval blanc et des armes afin qu’il aille aider l’empereur et ses hommes. Robert vole vers le champ de bataille et défait les Turcs. Puis il revient au palais pour se débarrasser des armes et du cheval. La fille du roi –qui était muette –voit cette dernière scène. La princesse fait comprendre que c’est le fol qui est responsable de la victoire, sans être crue par son père. Le même épisode se renouvelle. L’empereur, désireux de connaître l’identité du mystérieux chevalier ordonne de le capturer. L’un de ses hommes poursuit Robert et lui plante sa lance dans la cuisse où le fer reste fixé. Robert gagne le palais, cache le fer et couvre sa blessure de mousse. Ce que voit la princesse qui tombe d’amour pour Robert. L’empereur promet sa file et la moitié de son royaume au chevalier inconnu. Le sénéchal se blesse volontairement pour avoir la fille de l’empereur. Un ange vient annoncer à l’ermite que la pénitence de Robert est accomplie et qu’il doit se rendre à Rome pour que Robert obtienne la princesse en mariage. Tout est prêt pour l’union du sénéchal et de la princesse quand cette dernière se met à parler et confond le félon qui s’enfuit. L’ermite arrive sur ces entrefaites et ordonne à Robert de parler et de ne plus simuler la folie. Robert quitte Rome mais Dieu le rappelle par trois fois pour qu’il s’y rende à nouveau pour épouser la princesse. Le mariage est célébré. Robert et son épouse partent en Normandie où ils sont accueillis triomphalement. Robert fait pendre un seigneur félon qui terrorisait le pays depuis la mort de son père ; il retourne à Rome ensuite pour tuer le sénéchal qui s’était encore révolté. Robert et son épouse vivent ensuite paisiblement en Normandie8.
23Ce résumé provoque deux remarques. Tout d’abord, il est incontestable que ce texte prend l’aspect d’un étonnant kaléidoscope qui assemble les motifs les plus hétéroclites empruntés à plusieurs cultures9. De plus le récit paraît étrangement peu « moderne » face à l’irruption de la folie en littérature10. Parler d’archaïsme ne résoudrait rien. Car ce qui est précisément intéressant, c’est le rapport qui s’est instauré entre la production de ce texte et le succès qu’il a pu avoir. L’érudit normand René Herval le notait en son langage (en 1964) en écrivant : « ...toute cette histoire n’est qu’une adaptation populaire et fantaisiste de thèmes hagiographiques courants. Mais il faut constater qu’en dépit de toute son absurdité, elle a connu une grande diffusion »11.
24La description de la genèse d’un tel texte est indispensable pour en saisir toute la portée. C’est l’étape obligée d’une recherche qui nous conduira à la découverte du fonctionnement de ce récit.
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25La Vie du terrible Robert le dyable n’est pas un texte premier. Il clôt au contraire une série de textes médiévaux pour ouvrir, en leur servant de matrice, aux éditions imprimées qui conduiront Robert le Diable dans la Bibliothèque bleue12. G. Doutrepont a montré avec raison que notre texte imprimé était la mise en prose d’un Dit, constitué de deux-cent-cinquante-quatre quatrains monorimes qui fut écrit et diffusé dans la première partie du xive siècle par des jongleurs13. Notre texte prend donc place dans la série des mises en prose, des dérimages des romans chevaleresques au même titre que Huon de Bordeaux, Fierabras, Ogier le Danois, les Quatre Filz Aymon, etc.
26Au xive siècle, l’histoire de Robert le Diable est également véhiculée par le théâtre : le Miracle de Nostre Dame de Robert le Diable, drame en deux mille deux cent soixante-dix-neuf vers, est. Le trente-troisième miracle d’un ensemble de quarante qui constituait le répertoire d’une confrérie parisienne vouée spécialement au cuite de la sainte Vierge14.
27Il est difficile de trouver une tête de série précise. Tout au plus pouvons-nous décrire les différentes versions de notre histoire. Robert le Diable, c’est un « roman » de cinq mille soixante-dix-huit vers octosyllabiques datant sans doute de la fin du xiie siècle et qui fut écrit en picard15. C’est également un récit exemplaire, un exemplum qui est serti dans le Tractatus de diversis matenis predicabilibus élaboré par le dominicain Étienne de Bourbon entre 1250 et 126116. C’est enfin un récit qui forme les six premiers chapitres d’un texte peu connu et étudié, les Chroniques de Normandie, écrites en langue vulgaire probablement à la fin du xiiie siècle17.
28Nous possédons de plus pour la période médiévale un texte allemand du xve siècle et un roman anglais en vers, du xve siècle également, Sir Gowther18. Ces récits seront ici peu utilisés, dépendant d’une sphère culturelle différente.
29Une première question s’impose : peut-on comparer des textes dont la production s’échelonne sur cinq siècles ?
30Au delà de la vieille distinction entre la forme et le fond de l’œuvre, l’on peut remarquer que le récit, ce « message qui énonce le devenir d’un sujet » suivant la définition de Claude Brémond19, a conservé du xiie au xvie siècle la structure canonique du récit moral et exemplaire. Y compris le récit serti dans les Chroniques de Nomndie20, chaque texte respecte le procès qui part de l’introduction de l’épreuve pour aboutir à la récompense finale du héros positif, après la mise à l’épreuve et la révélation du mérite.
31L’on ne saurait en effet se laisser abuser par le changement de dénouement qui intervient à partir du Dit. Jusqu’à ce dernier texte, Robert devenait ermite après avoir refusé la fille du roi ou de l’empereur. Les auteurs du Dit montrent Robert finissant par épouser la fille de l’empereur et revenir à une vie civile et chevaleresque. A la fin ascétique du roman et de l’exemplum succèderait donc une fin « mondaine ». Ce qui est d’ailleurs faux pour la version allemande du xve siècle dans laquelle Robert devient un ermite. Nous ne saurions nier toute l’importance de l’apparition du mariage (précédé de l’amour que porte la princesse à Robert) dans nos textes. Cette création témoigne sans doute de la « sécularisation » des récits moraux, nous y reviendrons. En attendant, ce qu’il faut bien noter c’est la permanence d’une récompense qui clôt le récit, que la gratification réside dans une vie d’ermite garantissant le Paradis futur ou dans une vie de chevalier mise au service de l’Église et source elle-même de vie éternelle.
32C’est pourquoi le récit de la rédemption de Robert le Diable21 au delà des variations que l’on peut dire de conjoncture peut se réduire à l’analyse suivante22 :
I. LES CIRCONSTANCES DE L’EPREUVE
1. l’introduction de l’épreuve
331.01 Le héros (Robert) est victime d’un démérite dû à l’intervention d’un agent (sa mère) qui de façon volontaire, mais sans se douter des effets de cette action, le lui a infligé.
341.02. Le démérite est décerné par le jugement :1) des victimes, 2) du héros lui-même et 3) de la mère. Ce dernier jugement entraîne le processus informatif. La doctrine chrétienne permet alors de ne pas confondre, par l’importance du rachat, le rôle de victime effective d’un démérite acquis et celui de la victime éventuelle d’un châtiment.
2. le processus d’information
352.01 L’agent du démérite devient un agent modificateur volontaire en apportant au patient une information concernant son état.
362.02 Le patient passe de l’absence de conscience vers un état de croyance en son état qu’il juge vrai.
372.03 Le patient devient un agent obligateur puisqu’il influence la décision de sa mère en lui intimant la conscience d’un devoir à remplir.
382.04 L’informateur révèle à l’agent obligateur la cause de son état.
392.05 L’agent obligateur devient alors le bénéficiaire d’une amélioration de son état par la révélation même de son état pour lui insatisfaisant. Le processus d’évolution est alors prêt à se déclencher qui va faire passer Robert de son état initial A (la malédiction) à un état terminal non A (la salvation). Robert est devenu un agent volontaire éventuel dont est témoin et garant son départ pour Rome qui prouve qu’il a conçu qu’il peut entreprendre la tâche, et qu’il juge avoir les moyens d’en entreprendre l’exécution.
II. LA MISE A L’EPREUVE
1. la recherche de l’épreuve
401 .01 Premiers échecs : voir le pape et se confesser à lui est vu par Robert comme la seule possibilité de résolution du démérite ; mais le pape fait reculer la résolution du démérite et devient l’obligateur volontaire de Robert ; il le renvoie à un obligateur plus puissant. L’ermite ne peut enjoindre une épreuve : s’éprouve alors le besoin d’une aide étrangère.
411 .02 Dieu se fait l’obligateur de Robert par l’intermédiaire d’auxiliaires. L’obligateur secondaire (l’ermite) énonce au patient l’épreuve qu’il doit subir pour passer de son état présent à l’état souhaité.
2. l’accomplissement de la tâche
42Le héros accomplit sa tâche (la folie volontaire) avec l’aide et l’intervention de prestateurs qui volontairement ou non améliorent son état :1) améliorateurs involontaires sous l’apparence d’obstructeurs : les enfants, les courtisans, les chiens ; 2) prestateur/protecteur volontaire : le roi qui est en même temps améliorateur involontaire.
III. LA REVELATION DU MERITE
1. les trois échecs de révélation de mérite au monde
431 .01 La révélation du mérite apparaît à l’agent (Robert) par un informateur (l’ange) qui lui donne une épreuve ; cependant de par l’interdictiori comprise dans son épreuve l’agent ne peut communiquer à l’extérieur l’information.
441.02 La transformation de la situation du héros (A vs non A) est révélé à un témoin (la princesse) qui est dans l’impossibilité –physique cette fois –de la révéler.
451.03 Le processus de révélation s’accélère par la volonté du prestateur (le roi ou l’empereur). La révélation est retardée et toutefois provoquée par l’intervention du frustrateur (le sénéchal).
2. la révélation au monde par l’intervention de l’améliorateur final
462.01 L’améliorateur final intervient et permet au témoin privilégié d’exposer les mérites du héros.
472.02 Le deuxième témoin (le chevalier qui a blessé le héros) expose alors également les mérites du héros.
482.03 Le héros, libéré par le relais de l’améliorateur (l’ermite), peut révéler ses mérites.
IV. LA RECOMPENSE
1. la récompense ici-bas
491.01 Vie érémitique.
501.02 Mariage et pouvoir + vie chrétienne.
2. La récompense dans l’au-delà : connotée par 1.01.
51La permanence de structure du récit moral permet de mieux définir la nature de la folie de Robert : elle est une épreuve à surmonter, une tâche à remplir, un passage obligé vers l’obtention de la récompense finale : le salut. Tout cela pour dire que les variations dans les manifestations de la folie (simulée) ne nous feront pas oublier que les symptômes feints de la démence participeront tous d’une même obligation de structure : la mise à l’épreuve du héros.
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52Examinons rapidement les variations qui peuvent se présenter dans nos textes. Commençons par les injonctions faites à Robert par l’ermite.
53Dans l’ensemble des textes le héros doit conserver le silence pendant une durée déterminée et arracher sa nourriture de la gueule des chiens. Tous les textes appartenant à la zone d’influence française (à l’exception des Chroniques de Normandie) présente l’injonction de simuler la folie, de contrefaire le fol. Le roman et l’exemplum latin y ajoutent l’ordre de subir sans protestation les persécutions de la foule et en particulier des enfants. Les textes imprimés recommandent de ne faire de mal à personne. Enfin, le Miracle apporte des précisions sur le déguisement du fol :
Vous vous maintendrez comme fol 1337
Portant une massue au col.
54Nous résumerons ces informations (en incluant pour mémoire les textes étrangers) dans le tableau n°1.
55Pour ce qui est des manifestations de la « folie Robert le Diable », il s’agit moins de variations que d’ajouts successifs (ou de disparitions). Contentons-nous pour l’instant de les noter, à l’aide du tableau n°2
Tableau n°1

Tableau n°2

56Nous avons mis en valeur jusque là la lourdeur structurelle qui caractérise nos textes. A cette pesanteur, il faut ajouter celle des lieux communs, des topoi que véhiculent ces mêmes récits. La description de la pénitence en forme de folie renvoie en effet à un ensemble de thèmes et de motifs bien répertoriés dans la littérature hagiographique et chevaleresque du Moyen Age, et plus précisément des xiie et xiiie siècles. En un mot, cette folie laisse un goût de déjà vu et semble se complaire dans les poncifs les plus éculés.
57Premier topos : la massue. La porter est un trait caractéristique de folie très répandu dans les textes littéraires du xiie et du xiie siècle ; comme le note Philippe Ménard dans un article récent, les proverbes disent Au plus fol la machue23. Or, dans nos textes imprimés nous pouvons encore lire : »Après Robert se commença à promener par la salle tenant en sa main ung baston de quoy il frappoit sur les bancz comme ung fol ».
58Autre topos : celui de la persécution, de la dérision collective. Ne prenons qu’un exemple tiré d’Amadas et Ydoine :
Car de la vile la fripaille 2737
Le sivent quel part que il aille,
Li pautonier, les gens menues,
Toutes en sont plaines les rues.
Grans est la noise et grans li cris
Des garçons, des en fans petis,
Qui I’empaignent et qui le batent,
Qui le descirent, qui le gratent ;
59Le rôle des enfants est bien souvent souligné, dans le Lancelot en prose, notamment24. Ce trait est fréquent dans des récits hagiographiques d’origines diverses et qui mettent en scène des personnages qui simulent –généralement par ascèse –la folie. Saint Andreas Salos dont la Vie fut écrite entre 950 et 96025 se voit giflé par des enfants qui confectionnent de l’encre avec du charbon pour lui en barbouiller le visage. Notons que ce dernier trait est présent dans le Miracle. De même, dans le monde musulman : le cycle d’anecdotes centrées autour d’un nom historique, celui de Buhlûl qui, semble-t-il, vécut à l’époque de Hârun ar-Raschid (+ SOS), offre 1’image du « fou idiot » dont l’une des principales caractéristiques est d’être lapidé par les enfants26. Dans la culture russe enfin, mais de façon plus tardive, apparaît également ce motif, toujours à propos de saints simulant la folie et l’idiotie27. Ces derniers parallèles ne sont d’ailleurs évoqués ici qu’en tant que références non significatives –pour l’instant du moins –puisqu’apparaissant dans une ère culturelle différente dont les relations avec l’occident médiéval restent encore à étudier. Plus utile à notre propos est cet exemplum que propose Étienne de Bourbon à quelques folios de l’exemplum de Robert le Diable ; ce texte lié étroitement aux textes hagiographiques orientaux dépendant des Vite Patrum28 présente des analogies frappantes avec les nôtres. En voici le début, en traduction :
J’ai entendu dire de la bouche d’un frère qui affirmait l’avoir vu écrit, qu’un chevalier riche, jeune, raffiné et cultivé se mit à réfléchir sur la vanité du monde et comprit qu’il ne pourrait qu’avec difficulté, sinon jamais, être sauvé s’il restait dans l’état où il se trouvait et que « Heureux étaient les pauvres, ceux qui pleuraient et les persécutés ». Voulant pleurer sur ses péchés et obtenir ainsi le divin réconfort, il s’en vint à Constantinople. Il rencontra à son arrivée un pauvre charbonnier avec qui il échangea ses bons vêtements contre ses hardes. Une fois en ville, il se fit fou. La journée c’était pitié de voir les enfants le frapper, se moquer de lui, le fouetter ; mais lui, jamais il ne les blessait. La nuit, couché sur un tas de fumier, il veillait, en pleurs, et s’adonnait à la prière. Le jour venu, il revenait se livrer aux moqueries des enfants ...
60Comme on peut le constater, ce chevalier simulant la folie par choix délibéré est également frappé et persécuté par des enfants.
61Troisième topos : celui du saint sous l’escalier. Lieu commun hagiographique célèbre. Saint Alexis –qui ne simulait pas la folie mais la pauvreté –trouve refuge et couche soz le degret29. A ce motif se lie étroitement celui du chien. La pénitence de Robert passe par un retour feint à l’abjection de soi se réalisant dans la Begierde, dans l’animalité abjecte30, source de résurrection31. Le chien apparaît dans notre corpus comme mêlé aux besoins les plus fondamentaux : manger et dormir. Robert n’accepte en effet qu’une nourriture arrachée à la gueule des chiens et trouve auprès d’eux son repos. Le chien, modèle d’animalité abjecte, sert tout à la fois de faire-valoir dans le dégoût-de-soi et d’aide obligé dans la satisfaction de besoins primaires : de la viande (et même du pain, dans le texte imprimé) pour manger, de la chaleur pour dormir. Thème du retour à l’animalité qui n’est cependant pas à confondre avec le motif de l’homme sauvage même si Robert, comme Yvain se nourrit dans sa folie de viande crue32. Le monde de Robert est celui de la de, et non de la forêt ; sa rencontre avec l’ermite n’était en effet qu’une étape dans sa quête. Pour en revenir au chien, notons donc qu’il est un aide précieux pour Robert à la différence de l’énorme chien qui se précipite dans Amadas et Ydoine (v. 3176-3 190) sur le fou en lui plantant ses crocs dans l’épaule et en le renversant à terre. Le chien permet également au rédacteur du Dit de créer une scène boufonne, celle du « cul baisé ».
62Ce motif du chien, tant révélateur d’abjection que protecteur, se retrouve dans les Vies des « saints fous pour le Christ », des saloi byzantins :saint Andreas Salos se couche tout contre un chien pour en recevoir un peu de chaleur33 ; terriblement battu pour avoir fait ses besoins corporels derrière une taverne, devant les passants, il se prosterne et lèche les pieds de son bourreau, « comme un chien »34. D’autres textes témoignent de la présence de ce motif dans le monde islamique35. Motif qui est bien connu en Occident : Jean de Saint-Quentin reprend au xive siècle dans un Dit en quatrains d’alexandrins monorimes un conte en vers de la Vie des Pères ; dans ce récit un « fou » dispute du pain aux chiens, comme le fait Robert le Diable36. Dans le récit de Valentin et Orson que nous connaissons grâce à une version imprimée en 1489 par Jacques Maillet à Lyon et fondée sur un manuscrit -perdu –de la première moitié du xive siècle, l’un des héros, Valentin, subit une pénitence comparable à bien des égards à celle accomplie par Robert le Diable. Le pape lui ordonne en effet de changer ses vêtements et de se vêtir pauvrement, de loger soubz les degrez de son palais, de rester sept ans sans parler, et de ne se nourrir –tout comme saint Alexis –que de rogatons37. Le motif était dans l’air, puisque, sept ans plus tard, et dans la même ville, Lyon, paraissait La Vie du terrible Robert le dyable, en édition imprimée.
63Autre texte, en langue italienne, et qui date du xive siècle : la Leggenda di Santo Albano. Alban, après avoir tué la fille du roi, est empli de remords :
Incontanente incominciò a pensare il gran fallo ch’avea fatto, e di presente se ne dette lui stesso la penitenza ; imperò Che si puose in cuore de mai albergare l’una notte dove l’altra, né mai mangiare se non erbe, e di non andar mai se non carpone, e di mai non guardare verso l’cielo, e mai non mettersi in dosso altro Che quella gonnella stracciata ch’avea in dosso. E di presente prese a fare la detta vita, e in questa strana e austera vita stette per tempo di sett’anni38.
64A la différence de Robert le Diable, Alban se nourrit d’herbe ; en revanche, les autres traits de sa pénitence se rapprochent singulièrement de ceux que l’on rencontre dans la version anglaise de Robert le Diable, Sir Gowther : Alban marche à quatre pattes et refuse de regarder le ciel. Le thème des vêtements grossiers est présent puisqu’Alban décide de ne rien mettre sur le dos que sa robe déchirée. Un seul élément nouveau : le fait qu’Alban prend la décision de ne jamais dormir au même endroit.
65Le motif du silence est plus banal encore. Souvenons-nous de la Règle de saint Benoît, au chapitre VI : « ...même s’il s’agit de paroles bonnes, saintes et édifiantes, les disciples parfaits ne recevront que rarement la permission de parler, pour qu’ils gardent un silence plein de gravité, car il est écrit : En parlant beaucoup, tu n’éviteras pas le péché »39.
66Enfin, les scènes finales de bouffonnerie n’étonnent point quand on a pris la mesure de la vogue du fou, du bouffon de cour qui s’est accrue considérablement durant le xive siècle et a culminé au xve et au début du xvie siècle40.
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67Pris isolément, chaque motif se place sous le signe du topos et du lieu commun. Il reste maintenant à considérer la folie de Robert le Diable comme un tout. Commençons par un thème bien connu, celui de la simulation.
68Là encore Robert le Diable n’est pas le seul héros de la littérature médiévale qui simule la folie.
69Si Yvain et Amadas sont devenus à la lettre fous d’amour, d’autres héros empruntent le visage de la folie pour parvenir à leurs fins (amoureuses). Le plus célèbre : Tristan. Deux poèmes (du xiie siècle) sont consacrés41 à cet épisode précis de la vie de ce héros. Ils narrent tous les deux une visite de Tristan si bien déguisé en fou qu’Iseut ne peut le reconnaître que bien difficilement. Dans la Folie Tristan de Berne, Tristan se présente ainsi :
Haut fu tonduz, lonc ot lo col 150
A mervoille sambla bien fol
70Dans la Folie Tristan d’Oxford :
Od les forces haut se tundi 208
Ben senble fol u esturdi
Enaprés se tundi en croiz.
Tristan sont ben muer sa voiz.
71Autre fou, autre simulateur habile :Ipomedon, héros du poème de l’écrivain anglo-normand Hue de Rotelande dont l’activité littéraire se situe dans le dernier quart du xiie siècle42. Ipomedon, décidé à sauver la Fière et à devenir son champion pour la défendre en combat singulier contre Léonin, prince indien d’une laideur régugnante, prend la résolution de se rendre à la cour de Meleager, convaincu que c’est là que se dirigera en premier lieu Ismeine, la messagère envoyée par la Fière pour chercher un secours. A la suite de cette décision, il se déguise en fou :
Tundre se fet, rere son col 7763
Pur ben sembler musart e fol
72Sa conduite et son apparence étrange suscitent l’hilarité générale : ne va-t-il pas jusqu’à faire semblant de dévorer la main d’Ismeine (v. 8841-8856) ? Non sans avoir auparavant distribué des coups au hasard (li fous ne pent garde ou il fert, v. 8487). Folie qui sera récompensée puisqu’ Ipomedon en arrivera à vaincre Léonin et plus tard, après d’autres aventures, à épouser la Fière, qui lui donnera de nombreux enfants.
73La folie de Robert le Diable se distingue pourtant radicalement de ce type de démence puisqu’elle n’est pas simulée par ruse d’amour mais par pénitence.
74Il faudra donc en premier lieu interroger les textes. Et dans le même temps se demander si la pénitence en forme de folie fut pratiquée de manière courante dans le Moyen Age.
75Ce qui frappe immédiatement dans la folie pénitentielle de Robert, c’est son apparente ressemblance au comportement de ces ascètes auxquels l’on a généralement donné le nom de « fous pour le Christ ». Inspirée de quelques versets de l’Évangile « (Heureux êtes-vous si l’on vous insulte », Mt. 5, II) et des paroles de saint Paul « (Nous sommes fous à cause du Christ... », 1 Cor. 4, 10-13), cette attitude ascétique peut se définir ainsi : « vivre en ce monde selon les critères qui ne sont pas de lui et, en particulier, accepter les insultes à cause du nom de Jésus, les pardonner, supporter joyeusement l’isolement qui en résulte à l’égard de la société, avec l’humiliation que cela corn porte »43.
76Les caractéristiques principales de ce type de sainteté : la liberté totale de l’ascète, l’apatheia et l’amour de la souffrance, la simplicité de l’esprit, le don de prophétie, l’apostolat par l’exemple et la prière et enfin la solitude de l’esprit, la solitude intérieure servant de bouclier contre les rapports familiers avec autrui.
77Le terrain de prédilection de cette forme de sainteté fut essentiellement l’Orient et la Russie. Le plus célèbre des « fous pour le Christ » orientaux, des saloi, est sans conteste Andreas Salos dont nous avons au passage rencontré la Vie. Voici en guise d’illustration un résumé de celle-ci44 :
Sous le règne de Léon le Grand, un esclave très pieux a, une nuit, une vision : il bat des démons sur la demande d’un jeune homme brillant et resplendissant qui lui dit : Fac stultus, fias propter me. Andreas, puisqu’il s’agit de lui, demande conseil à Nicéphore, son directeur de conscience qui lui conseille de simuler la folie. Pris pour un possédé du démon, il est envoyé en cure à l’église de Sainte-Anastasie où il reste enfermé pendant quatre mois ; relâché comme incurable, il erre dans Constantinople. Commence alors sa vie de « fou » : il est conspué par la foule, battu, humilié. De son côté, il provoque de par son attitude agressive les coups. Andreas est doué du don de clairvoyance, dont il se sert en maintes occasions. Andreas a un disciple :Epiphanios, qui découvre son secret mais doit conserver le silence. Andreas meurt en odeur de sainteté.
78Il en est d’autres comme sainte Isidora (+ v. 365), saint Marc d’Alexandrie (ve-vie siècles), saint Syméon d’Émèse (+ 550), etc. Cette tradition ascétique pénétra ensuite en Russie, peut-être par le détour de l’Occident45. Au xiiie siècle déjà, la Vie de saint Andreas Salos était traduite en langue slave et largement répandue en Russie. A partir du xive siècle, la vocation de « fou pour le Christ » fait partie intégrante de la spiritualité russe. Pouchkine, Dostoievsky et Tolstoï en rendront compte encore pour la Russie des derniers Czars46.
79Et en Occident ? Fr. Vandenbroucke note que les « fous pour le Christ » semblent plus rares en Occident qu’en Orient. Il ajoute : » L’Occident n’a guère connu de genre de vie comparable à celui-là – son génie, semble-t-il, le supporterait malaisément. En revanche, il serait aisé de relever des actes épisodiques, des attitudes, des comportements qui s’apparentent manifestement à ce genre de folie : gestes d’humiliation poussés à l’extrême, gestes éclatants de rupture avec la mentalité ambiante ou tout simplement gestes d’apparente déraison »47.
80Tout se passe comme si cette ascèse n’avait pas – pour parler vulgairement –pris et accroché en Occident. Les exemples que propose Fr. Vandenbroucke sont trop souvent liés au comportement en question de manière arbitraire ou artificielle. Si tant est que la « folie pour le Christ » pénètre en Occident, elle n’en conserve pas moins des aspects fragmentaires qui n’atteignent jamais au systématisme oriental.
81Certes, l’on nous opposera les figures de saint François d’Assise et des premiers franciscains. Il est vrai que les premiers frères jouèrent la folie, passant pour fous aux yeux du monde48. Frère Genièvre traversa nu Assise, au grand scandale des frères :
Li frati, molto turbati e scandalezzati, lo ripresono molto duramente, chiamandolo pazzo e stolto...49.
82Toutefois cette forme de folie nous paraît bien différente de celle des ascètes orientaux. Si frère Rufin se qualifie lui-même de simplex, inscius et idiota, c’est autrui qui le juge fatuus, « fou ».Il en est de même pour Frère Genièvre. Les frères ne simulent pas la folie, ils passent pour fous. Ce qui est bien différent. De plus, c’est moins au personnage du « fou » défini plus haut qu’à celui du jongleur que les franciscains se rattachent50.
83Pour résumer, si quelques traits de l’ascétisme oriental en forme de folie volontaire et simulée « pour le Christ » apparaissent en Occident, notamment dans la spiritualité bernardine et franciscaine, il ne s’agit en aucun cas d’une transposition directe et littérale.
84En revanche, si la « folie pour le Christ » ne trouve pas en Occident de double historique, ce thème remporte un franc succès dans la littérature morale. Et particulièrement dans le dixième conte de la Vie des Pères, Fou. Ce texte, peut-être d’origine cistercienne51, mérite un résumé :
Trois chanoines, Boniface, Dieudonné et Félix, passent au cours d’une chasse devant un cimetière et se mettent à méditer sur leur sort. Ils décident de se retirer du monde. Boniface part à Jérusalem, Dieudonné à Antioche et Félix à Besançon comme fou aux yeux du monde.
Un chevalier tue le prêtre responsable de son excommunication. Il est pris de repentir. L’archevêque l’envoie vers le pape qui le dirige à son tour vers Boniface ; ce dernier le confie à Dieudonné qui l’envoie enfin à Félix, le « fou ». Le chevalier se rend à Besançon. Il prie Notre Dame avec Félix et l’informe de sa situation. Félix prie la Vierge Marie qui dit alors au chevalier de se laisser conduire jusqu’à la tombe du prêtre. Ce dernier ressuscitera sur l’ordre de Félix, donnera l’absolution à son meurtrier puis regagnera son tombeau. Le miracle a lieu devant la foule amassée dans l’église. La gloire de Félix est immense. Il est obligé de fuir ses admirateurs et de se réfugier à Citeaux. A sa mort, Dieu le couronne de son Paradis ainsi que ses deux compagnons, Boniface et Dieudonné. L’épilogue invite les lecteurs à faire le bien et à suivre la voie qui conduit au Paradis.
85Un texte similaire et de la même période nous est offert par le dominicain Étienne de Bourbon, au milieu du xiiie siècle. Il s’agit de l’exemplum que nous avons déjà cité plus haut. A la différence du texte précédent, le meurtrier qui vient chercher recours auprès du « fou » n’est plus un chevalier excommunié mais bien le fis de l’empereur, meurtrier de son frère. Sinon l’intrigue et la conduite du récit sont identiques52.
86Ces deux textes occidentaux du xiie siècle offrent l’image de personnages ayant embrassé l’état de « fou », de salos à la suite d’une méditation sur la vanité du monde et sur la mort, sans lien direct avec une quelconque pénitence ou le rachat d’un péché. Dans les deux textes, ce n’est pas le meurtrier qui devient « fou » mais bien son confesseur, son ultime conseiller.
87Or, Robert le Diable se voit infliger en réparation de ses crimes un type de punition qui le force à abandonner la parole, à simuler la folie et enfin à vivre comme un animal, comme un chien. Ouvrons le dossier.
88Revenons aux saloi orientaux. Parmi eux, deux seulement ont choisi un tel mode de pénitence. Le premier apparaît dans la Vie de l’abbé Daniel le Scétiote (vie siècle) ; il s’agit de Marc d’Alexandrie qui a passé quinze ans sous le joug du démon de la luxure avant de rentrer en lui-même et de décider qu’il servirait le Christ pendant le même nombre d’années. Il a donc pris l’habit au Pempton où il a passé huit ans, puis il s’est dit :» Allons, va à la ville et fais-tois salos huit autres années ». Découvert par Daniel, il est conduit chez le patriarche d’Antioche à qui il révèle sa situation. Le patriarche l’invite alors à passer la nuit sous son toit. Le lendemain, on le trouve mort dans son lit53. Le second salos-pénitent, Hierothée, figure dans la Vie de Syméon écrite par Nicétas Stétathos ; c’est un ancien évêque qui, ayant commis un meurtre par accident, s’est réfugié dans le monastère de Saint- Mamas, entre 980 et 1000. Il feint non l’extravagance mais la balourdise, endommageant ou cassant les outils et la vaisselle afin d’être puni par des injures ou même par des gifles54. Comme on le constate, ces saloi le sont bien par pénitence, mais en vertu d’une décision personnelle et individuelle et non d’une injonction d’autrui. L’attitude de ces saloi relèvent alors de la même conduite de vie, de la même ascèse que les « saints fous pour le Christ » byzantins cités plus haut.
89Qu’en est-il en Occident ?
90Nous trouvons dans un certain nombre de textes hagiographiques venus d’orient, généralement au xe siècle55, la trace d’une pénitence qui évoque celle de Robert le Diable. Le pénitent n’y est pourtant pas un salos, mais recherche la réparation de ses péchés dans le retour à l’animalité, tel Nabuchodonosor qui fut chassé d’entre les hommes pour aller brouter l’herbe comme les bœufs (Dan. 4 ; 29, 30) ; ce dernier épisode est d’ailleurs représenté dans le cloître de Moissac. Les Vies de saint Alexis et de saint Alban ont déjà été évoquées. Il faut citer également les Vies de saint Jean Bouche d’Or56 qui fut traduite en langue romane au xiie siècle ou celle de saint Jean le Paulu. Il existe trois versions de cette dernière légende hagiographique : l’une en vers du xiiie siècle, l’une en prose et la dernière sous forme de Miracle. Cette légende consiste en un habile montage de séquences empruntées aux Vies de saint Basile, de saint Jean Ermite, d’Alban, etc57.Le résumé qui suit nous fait retrouver le thème du saint tondu et découvrir celui de l’homme sauvage, vivant en forêt, contrairement à Robert le Diable, et comme une bête :
Le pape, en voyage en enfer sous la houlette de saint Michel, voit une femme subir d’atroces tourments. Elle lui déclare qu’elle a une fille mariée et enceinte, à Rome, qui aura une fille dont naîtra Jehan Paulus devant racheter ses péchés. L’enfant naît. Devenu grand, sa grand-mère lui narre les faits. Il quitte tout, porte des vêtements usés, se fait couper les cheveux. Il souffre des paroles blessantes des gens qui l’appellent truand ou voleur. Il se fait ermite dans une grotte d’ours, près de Toulouse, en vivant comme une bête. Il est tenté par le diable et perd sa virginité avec la fille du roi de Toulouse. Il la tue. Pris de remords, il va tout d’abord voir le pape qui refuse de l’absoudre, puis un ermite qui refuse également. Il décide alors de vivre comme une bête dans la forêt. Des chasseurs le capturent et l’amènent devant le roi de Toulouse. C’est alors qu’une femme entre dans la salle avec un enfant d’un an qui répète trois fois que Jehan a accompli sa pénitence et que l’âme de son aïeule est sauvée. Jehan se redresse et se met à chanter. Puis avoue son crime. Si la reine s’évanouit de douleur, le roi veut voir le lieu du crime. Jehan avait jeté la fille du roi dans un puits. Ils l’appellent. Elle répond qu’elle est heureuse avec les anges et les martyrs. Mais, sur l’instance de Jehan qui l’implore au nom de ses parents, elle consent à revenir sur terre. Jehan veut rester dans sa forêt mais le roi l’invite à rester dans le monde pour sauver des âmes. A son entrée en ville, les cloches se mettent miraculeusement à sonner. Miracles et bienfaits se succèdent et il est élu au bout de deux ans évêque de Toulouse. Il est appelé Paulus à cause de sa sagesse qui était aussi grande que celle de saint Paul.
91Or, face à ces textes qui enregistrent une pénitence en forme de retour à l’animalité, s’oppose la position de l’Église qui fustige le fait de se comporter comme un animal. Jacques de Vitry (+ 1240) dont les sermons fourmillent d’exempla, met en scène dans l’un de ses exempla un pénitent qui mange de l’herbe sine manibus, sans s’aider de ses mains, jusqu’à ce qu’un ange lui dise qu’il était au rang des ânes, non des anges58. Cette méfiance allait durer jusqu’à la fin du Moyen âge59.
92Nous sommes maintenant en mesure de poser les termes de deux paradoxes :
- Les images rapportées dans la narration de la « folie » de Robert le Diable sont des motifs connus et répertoriés dans les textes littéraires et hagiographiques. Cependant, même si certains traits de ce genre de comportement furent le fait de tenants de mouvements spirituels déterminés, comme les franciscains, ce type de « folie pour le Christ » fut sévèrement contrôlé en Occident par 1’Église.
- La pénitence en forme de retour à l’animalité apparaît dans des récits hagiographiques, en provenance d’orient. Ces récits sont largement diffusés. Or l’Église manifesta une extrême méfiance vis-à-vis de ce type de satisfaction.
93D’où deux interrogations :
- N’y a-t-il pas contradiction entre le fait de présenter du xiie au xve siècles une attitude et un comportement généralement condamnés ou fortement contrôlés par 1’Église et celui d’offrir en pâture au public récepteur (auditeurs, spectateurs, lecteurs) ce même comportement, surtout quand les vecteurs sont des récits exemplaires ?
- De plus, alors qu’au xiiie siècle 1’Eglise a cherché à instaurer un système pénitentiel fondé sur une confession et une réparation régulières, dans le temps et la densité, une contradiction n’apparaît-elle pas quand un mode de satisfaction fondé sur une conception pénitentielle dépassée (le contritionnisme larmoyant) survient précisément pour fonder la croyance dans le nouveau système ; et ce, encore au xve et xvie siècles ?
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94Les paradoxes ne peuvent être résolus que si la pénitence proposée par les textes qui nous concernent n’est pas le reflet de celle pratiquée par les chrétiens au cours du Moyen âge. Simple évidence. De fait il semble bien que la folie pénitentielle présentée ne soit que la métaphore de la pénitence exigée.
95Nous sommes – ne l’oublions pas – dans le domaine du récit moral et exemplaire qui ne vise qu’à l’effet. Et là, qu’on nous pardonne l’expression, tous les coups sont permis.
96Trois des six textes qui composent notre corpus latin, roman et français se placent directement et explicitement sous le signe de l’efficacité pénitentielle : l’exemplum d’Étienne de Bourbon, le Dit et nos textes imprimés.
97L’exemplum proposé par Étienne de Bourbon s’inscrit dans la troisième partie du Tractatus de diversis materiis predicabilibus, consacrée à l’illustration de la pénitence. Soyons plus précis : avant de fournir des « matières prêchables » en faveur de chaque étape du comportement pénitentiel (prise de conscience de l’état peccamineux ; contrition ; confession ; jeûne, etc.), Étienne de Bourbon présente les avantages de la pénitence en générai. Et l’exemplum de Robert le Diable survient dans le chapitre qui énumère les quinze effets positifs (les utilitates) de cette pénitence ; plus précisément encore sous la onzième rubrique : vincit et superat hostes, scilicet spirituales et infernales. Rubrique qui présente six exempla : le premier, tiré des Vite Patrum, met en scène un moine qui résiste victorieusement aux tentations diaboliques60 ; les quatre exempla suivants appartiennent à l’histoire légendaire de la Première croisade et répondent tous au même schéma : les Croisés, sur le point d’être vaincus (puisqu’en état de péché) font pénitence et sortent victorieux du combat contre les Infidèles61.
98Le dominicain Jean Gobi (+ 1350) reprend, en le résumant, l’exemplum d’Étienne de Bourbon dans son recueil d’exempla qui porte le titre de Scala celi. Ce dernier ouvrage comprend un ensemble d’un millier d’exempla environ, placés sous cent vingt-cinq rubriques alphabétiques. L’exemplum de Robert le Diable se trouve sis sous la rubrique Satisfactio et sert à démontrer ou plutôt à illustrer que la satisfaction permet d’apaiser le Seigneur62.
99Le sens que doit revêtir le récit exemplaire est exprimé directement par l’impulsion didactique que donne l’auteur du recueil. Si pour Étienne de Bourbon l’exemplum en question illustre la victoire de la pénitence sur les ennemis spirituels et infernaux, pour Jean Gobi il éclaire plutôt le fait que Dieu peut être apaisé par la satisfaction. La pénitence reste cependant bien la notion-clé sous laquelle s’inscrit l’exemplum. Il resterait à connaître quel usage en ont fait les prédicateurs dans leurs sermons et dans quel contexte ils le définissaient. Malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé l’exemplum de Robert le Diable dans un quelconque sermon. Ce qui n’empêche pas de penser qu’il a dû être employé.
100Pour ce qui est du Dit et des textes imprimés un sens univoque s’affiche d’entrée de jeu par un prologue. Vient en premier lieu l’invocation.
101A Jésus Christ pour le Dit :
El non de Jesu Crist qui est nostre douz pere, 1
Veul commencier .i. dit ; mais por la grant misère
Que je sent dedenz moi pria sa douce mere
Que je puisse conclurre par tel point ma matere
Qua tous ceulz qui lorront puist estre porfitable.
102A la Vierge pour les textes imprimés :
Au commencement de chascune œuvre l’on doit invoquer l’aide de nostre seigneur ainsi que dit Boece de consolation sans laquelle nulle chose ne peust estre bien commencée, moyennée ne terminée. Mais pour ce que nous aultres humains pecheurs ne pouvons riens avoir ne obtenir de Dieu que premièrement il ne passe par les mains de la Vierge Marie sa glorieuse mère ainsi que dit saint Augistin ; et aussi car I’ystoire cy après escripte et laquelle j’entens narrer a esté par le mérite de la glorieuse vierge Marie miraculeusement conduite ainsi comme plus a plain par la lecture d’ycelles pourés cognoistre, affin que a celle vierge Marie plaise impetrer envers Dieu que je, povre et simple d’entendement puisse cette présente hystoire réciter au profjït et salut de ceulx qui icelle liront, au commencement de ce present traicté je veulx présenter a icelle dame de grace la salutation angélique que l’ange Gabriel du ciel en terre luy apporta cest Ave Maria, priant et suppliant a tous ceulx qui d’icy en avant liront ce présent livre que ainsi le facent pour mieulx entendre et retenir les grans enseignemens et bons exemples en cedit livre contenus.
103Le récit est ensuite placé sous le signe de la pénitence. Dans le Dit :
Bonne gent, il nest roy, prince ne connestable,6
Si1 se sent en pechie-et ne se rent coupable,
Quil ne faille quil chiee en la main du deable
Bon se feroit garder de cheoir en teulz rois,
Car qui y chiet nen yst en .ii. mois ne en trois,
Et faut quil y demeure tant que li roys de roys
Demourra en la joie ou il na nus destrois
Cest ou soulaz des ciex, ou touz porrons venir,
Se du cuer nous meton a Jesu Crist servir ;
Si comme fist celui de qui porrons oir.
104Dans les textes imprimés :
Tout homme qui a sens, raison et entendement s’il cognoist qu’il soit en peché mortel de celluy peché se doit repentir et demandé pardon a Dieu ou autrement le dyable le menera a perpetuelle damnation laquelle ne sera rachetée ; ainsi sera éternellement en enfer tormentée avec 1es damnés ; et se le pécheur prent cognoissance de son péché et d’icelluy aye repentance, il pourra obtenir remission et pardon en la gloire de Paradis ainsi que ja longtemps advint a icelluy duquel cy après vous orrés parler.
105Que la référence explicite à la pénitence soit absente des autres textes ne doit pas surprendre. Le récit qui ouvre les Chroniques de Normandie a une vocation de légitimation dynastique et doit présenter un héros pieux dès l’origine de la famille ; son but n’est donc pas directement pragmatique. Quant au Roman et au Miracle, le défaut de références précises relatives à la pénitence est à notre avis inhérent aux genres dont relèvent nos deux textes63.
106Revenons à l’exemplum d’Étienne de Bourbon et au xiie siècle. C’est au début de ce siècle que l’affirmation d’une confession auriculaire obligatoire se lie avec le développement sans précédent d’une prédication populaire. Ne rappelons que la date de 1215, date du canon Omnis utriusque sexus qui astreignait chaque chrétien à se confesser au moins une fois l’an à son curé64. Depuis cette date –symbolique pour l’historien –d’homme, en Occident, comme l’énonce avec raison Michel Foucault, est devenu une bête d’aveu »65.
107Pour faire pénétrer profondément dans le peuple chrétien la croyance qui fondait cette nouvelle attitude, les prédicateurs utilisèrent à foison l’exemplum que Jacques Le Goff a pu définir ainsi : « une historiette, un récit dont on truffe un sermon pour faire passer auprès de l’auditoire une leçon morale, une vérité religieuse, en l’amusant et en proposant un conte qu’elle a plus de chance de retenir qu’une démonstration abstraite »66. Les forces se mobilisèrent pour procurer aux prédicateurs une matière narrative à prêcher. Les recueils d’exempla se multiplièrent. Et pour les remplir s’instaura une chasse au récit qui tourna vite à la réquisition à outrance.
108Il n’est d’ailleurs pas surprenant de découvrir dans cette gigantesque razzia de textes quelques « bavures ». C’est ainsi que l’on voit Étienne de Bourbon fournir l’exemplum dit de la Messe de saint Gilles tiré d’une légende condamnée avec force par l’Église67. Que s’est-il passé ? Dans l’exaltation de la confession, Étienne de Bourbon a respecté l’étape nécessaire de la contrition. Et qu’a-t-il trouvé pour défendre et illustrer cette contrition ? En majeure partie des textes relevant de cette dévotion, de cette spiritualité de type monastique passées d’orient en Occident par l’intermédiaire du monachisme marseillais ou lérinien : le contritionnisme larmoyant. Or, comme le note avec soin J.-C. Payen : « ...le contritionnisme n’implique pas seulement une pénitence larmoyante. Il correspond à toute une conception de la rémission des péchés fondée non sur la confession régulière, mais sur une conversion bouleversante qui a pour effet une expiation visible et une profonde réforme des mœurs »68. La contradiction apparente est vite dépassée puisque les textes contritionnistes qui sont devenus exemph ont été isolés de leur contexte, en quelque sorte réifiés, pour être mis au service d’un système pénitentiel qui absorbe et phagocyte littéralement le contritionnisme. De récits polyvalents qui s’inscrivaient dans une spiritualité vivante, le producteur d’exempla (et à sa suite le prédicateur) en ont fait des objets finis et pleins, des métaphores closes.
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109Le récit métaphorique qu’est l’exemplum reproduit par analogie un comportement désiré par l’Église. Dans le cas présent, il s’agit de la confession. L’exemplum est donc un instrument de persuasion dont la vertu conative se mesure à l’aune de son efficacité. Et pour fonctionner en tant que récit métaphorique au service d’une morale et d’une éthique, il doit remplir deux obligations.
110En premier lieu, sa structure doit être isomorphe à celle de la conduite idéale proposée69. Pour reprendre les termes de Bronislaw Geremek dans sa belle étude sur l’exemplum et la circulation de culture au Moyen âge70, il faut que l’ordre thématique des exempla soit adapté aux rigueurs de l’exposé de la théologie morale, aux vérités de la foi, aux principaux thèmes de l’enseignement religieux. Pour ce qui nous concerne, l’exemplum tissant le devenir de Robert le Diable est bien l’histoire d’un pécheur trouvant son salut dans la pénitence. L’isomorphie des conduites est donc respectée.
111Le second impératif tient au contenu des images véhiculées par le récit exemplaire. L’exemplum atteint le récepteur non pas en vertu de correspondances saisies par l’intellect, comme dans le cas de l’allégorie, voire même du symbole, mais par la sensibilité, les sens et l’imagination71. En un mot, l’exemplum persuade mais ne convainc pas. Et les prédicateurs avaient bien compris ce que notera plus tard Pascal : « …tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve mais par l’agrément »72. Bronislaw Geremek l’a bien vu : « ...les récits, écrit-il, devaient composer des tableaux, nourrir l’imagination. Ainsi, non seulement les récits devaient faciliter la compréhension des vérités abstraites qui étaient enseignées, mais encore ils devaient former des images dans l’esprit des auditeurs, ils devaient agir sur l’imagination de l’homme »73.
112L’appréhension du caractère fondamentalement métaphorique de l’exemplum, du récit dit exemplaire, va nous fournir une clé commode pour comprendre bien des traits de la littérature morde du Moyen âge et de la Renaissance. Elle va nous permettre peut-être de saisir mieux la permanence d’images éculées dans le récit exemplaire, de réviser la notion inquiétante de déclin de l’exemplum et d’ouvrir enfin sur les questions soulevées par la réception des récits moraux.
113De même que pour la métaphore poétique, il convient que les images présentées dans le récit exemplaire reçoivent un relief particulier en raison de leur degré d’imprévisibilité qui puisse rompre la monotonie du discours, l’exemplum ne doit pas ennuyer le récepteur mais tout au contraire l’intéresser, l’amuser, voire même le réveiller74. Jacques de Vitry, gros producteur d’exempla du xiiie siècle, associait étroitement dans l’exemplum l’edificatio à la recreatio75.Toutefois, l’on comprend bien que pour garder tout leur impact et leur efficacité, les images proposées ne doivent pas trop étonner. Pour paraphraser la définition du merveilleux donnée par Michel Leiris, l’exemplum doit sortir du quotidien sans se réduire à l’insolite76.Tout se passe finalement comme s’il fallait que l’auditeur eût déjà l’exemplum dans l’esprit pour que la vertu conative de la métaphore s’exerçât pleinement. Ce qui signifie que l’exemplum ne pouvait fonctionner qu’à la condition que le locuteur –en l’occurrence le prédicateur –tînt compte des images déjà ancrées dans l’esprit des allocutaires, des fidèles qui composaient son public. Jean Bromyard (+ 1390) ne demandait-il pas dans le Prologue de sa Summa predicuntium de ne parler au public que de nota et credibiliora persuasionis77. Autant que le prédicateur impose ses images et joue du plaisir du public vers une fin qui est la sienne, autant le public pèse sur le choix des images manipulées par les créateurs et les diffuseurs des récits exemplaires.
114Voilà qui nous expliquerait pourquoi l’épisode de la folie simulée se meut dans une topique connue et renvoie à des lieux communs bien répertoriés. Voilà qui nous permettrait de comprendre pourquoi certains topoi apparaissent tandis que d’autres se meurent.
115Disparitions tout d’abord. Robert le Diable, dans l’exemplum et le Roman, est tondu. Or nous savons que la tonsure est un signe extérieur de folie très répandu dans les textes littéraires du xiie et du xiiie siècle ainsi que dans l’iconographie78. Ainsi se présente Amadas79 :
Tous déguisés, en crins tondus, 2723
Corn cil qui a le sens perdus,
Qui de soi ne set nule rien
Savoir ne sens ne mal ne bien ;

Fig. 2. – « Ici jeue Robert de l’escremie d’un festu à l’emperiere ». Paris, Bibl. nat., fonds français, 820, f° 157 r°.
116Les textes postérieurs ne montrent pas Robert ainsi tondu. La miniature qui ouvre le Miracle présente notre héros chevelu80. C’est que le topos s’est affaibli au point de ne plus être repris à partir du Miracle et du Dit, à partir donc du xive siècle. Inversement, les attributs traditionnels de la folie du Moyen âge (le capuchon pourvu d’oreilles d’âne et de grelots, l’habit bariolé, la marotte, la vessie de porc gonflée) n’apparaissent pas dans nos récits81. Si un topos par trop éculé a été rejeté, le nouvel aspect du fol de cour dont Robert pourtant remplit bien la fonction a dû paraître trop « moderne » aux créateurs du Miracle et du Dit pour figurer dans le récit. Ce n’est là qu’une hypothèse puisque le Miracle (pour n’évoquer que lui) était joué. Nous ignorons la nature des costumes portés par les acteurs. Et la miniature ne saurait être un témoignage irréfutable de l’archaïsme de la représentation de la folie dans le Miracle. Quant aux textes imprimés, ils ne nous offrent que la représentation de Robert avant sa conversion.
117Second exemple : dans le Dit Robert se moque d’une fromagère. Dans le Miracle aussi
La fromagère
Je croy qu’il est bon que ci mette 1370
Mon pannier a tout mes fromages,
Car par cy passent folz et sages,
Et aussi c’est le droit marchié.
Puis que j’ay jusques cy marchié,
Jus les mettray ...
Ho dya ! un fol cy endroit voy 1390
Qui a mon pennier rit des dens
Pour les fromages qui dedans
Sont. Mais, foy que doy saint Germain,
Avant qu’il y mette la main,
De cy bien tost les leveray
Et, ailleurs vendre les iray ;
II me pourroit bien d’un fromage
Ou de plus faire tost damage ;
De ci m’en vois.
118Or, le fromage est fréquemment associé à la folie dans la littérature des xiie et xiiie siècles. Le proverbe A foul fourmaige en est une excellente illustration82. Ce topos avait-il assez vécu ? Toujours est4 que les textes imprimés délaissent cette aventure.
119Inversement, l’on assiste à la création de nouvelles images. C’est avec le Dit comme nous l’avons vu qu’apparaissent les scènes comiques où Robert se comporte en véritable bouffon de cour. Cela, au moment même où la vogue des fous de cour ne fait que s’accroître.
120Il y a dans l’apparition de ces trois scènes bouffonnes autre chose que la simple émergence d’images. C’est l’irruption massive du plaisir dans la littérature morale, concession qui rend possible que Robert le Diable se marie ou que la princesse tombe amoureuse de lui (pour ne prendre que ces deux exemples). Certes, les prédicateurs insistaient sur la recreutio inhérente à l’exemplum. Mais il ne s’agissait pas d’aller trop loin et de proposer au public des choses vaines et frivoles que dénonce par exemple Thomas Waley83. L’exemplum reste muet sur les gaudrioles de Robert, si tant est qu’il en eût commises. Le Roman lui-même, s’il note que la réputation de Robert comme bouffon dépassait les murs du palais, reste silencieux sur le contenu des beles folies :
Ja le connoissent tout par Rome 1373
Femes et clers, nès li lai home,
Les dames et les damoiseles,
Et en la chambre les pucheles
Et la fille l’enperreor :
De Robert font lor jongleor
Petit et grant, tant vous puis dire,
Car il les fait mout souvent rire ;
De lui ont merveilleus deduit ;
De teus folies se sont duits
A faire les beles folies
Et les boines malencolies.
121Le Dit et à sa suit les textes imprimés exposent lourdement les scènes les plus bouffonnes, répondant ainsi aux besoins exprimés par le public.
122Il est bien clair également que les personnages du moult riche juif et de la jone jupe ne participent pas d’un souci de décrire la société du temps mais sont une concession patente à l’« antisémitisme » du public. N’oublions pas que le Dit est contemporain des Pogroms de la Grande Peste de 1348. Robert ne fait là que cristalliser la vengeance contre ces parias, haïssables mais nécessaires et utiles84. Dans les textes imprimés dont le premier, rappelons-le, date de 1496, si le personnage du riche juif reste intact (il est même précisé qu’il était recepveur quasi de la plus grande partie de la terre impériale), c’est une reine qui est substituée à la figure de la jeune juive. Sans pouvoir aller plus loin pour l’instant, remarquons que cette transformation n’est pas nécessairement le fruit du hasard.
123Ces concessions au public semblent corroborer la thèse de F. C. Tubach selon laquelle l’on ne peut penser l’évolution de l’exemplum qu’en terme de déclin85. Pour le chercheur américain, à un exemplum pur aurait succédé à partir de la fin du xiie siècle un récit gagné par les forces malignes du plaisir, de la personnalisation du héros et de la socialisation des protagonistes. L’exemplum qui constituait une summa cohérente des principes religieux serait devenu à la fin du Moyen âge un éloquent miroir du monde. Enfin, tout lien aurait été rompu entre le récit et la morale. Comme il le dit savoureusement : « Explicit didacticism... »86.
124Tout n’est pas faux dans ces assertions. Il est vrai que l’exemplum a fourni bien des canevas de nouvelles ou de facéties87. Il est vrai que les forces de l’exemplum déclinent à partir de la fin du xive siècle. Les recueils se raréfient. Les condamnations se multiplient dans la seconde moitié du xve siècle et après. Des humanistes comme Le Pogge, Aurelio Brandolini, Henri Éstienne et Érasme raillent les diseurs d’historiettes en chaire. Et les déclarations hostiles des conciles du xvie siècle semblent s’acharner sur un cadavre88.
125Mais la réalité n’est pas si simple. Ne serait-ce que pour l’exemplum de Robert le Diable, nous avons la certitude qu’il était encore véhiculé par des prédicateurs franciscains en Italie du Sud à la fin du xve siècle sous la forme du fidèle résumé qu’en avait fait au siècle précédent Jean Gobi89.
126De plus, nous avons noté au début de cette étude la permanence de structure de nos récits. Robert qui passe de l’état du pécheur à celui de pénitent pour se diriger vers le salut n’a pas vu son caractère s’affiner. Dans nos textes, nulle « personnalisation » du héros. Il en va de même pour la « socialisation » des protagonistes. Leur monde est celui des personnages stéréotypés du récit exemplaire et les brefs éclairs de reconnaissance sociale (les juifs) ne sont là que par concession au comique. S’il y a socialisation, elle participe de l’adaptation du récit exemplaire qui ne revêt plus la forme unique de l’exemplum, stncto sensu.
127F. C. Tubach n’a pas cherché à cerner l’enjeu du récit exemplaire en général. En s’attachant seulement à l’exemplum, il ne pouvait effectivement parler qu’en terme de déclin, de proto-exemplum, etc. Il a fossilisé l’exemplum, lui imprimant une fausse évolution.
128Plus important nous paraît de souligner les facteurs d’efficacité de textes qui s’affichent comme pragmatiques. Pour ce faire, il est capital de penser le passage du récit exemplaire raconté dans un sermon, dit ou joué sur une scène, transmis donc par la voix du prédicateur, des jongleurs ou des acteurs, au texte imprimé, au livre. Une objection s’impose : le Roman et les Chroniques de Normandie ne furent-ils pas lus ? S’ils le furent sans conteste, ils s’adressaient cependant à un public restreint. Le Roman ne faisait-il pas les délices de la Cour de Bourgogne90 ?
129Les autres textes sont tournés d’emblée vers un public plus large, même s’il est bien difficile à définir. C’est pourquoi, en deçà de la question du public récepteur, nous pouvons essayer de souligner comment le récit exemplaire s’est adapté en passant d’une forme orale à une forme écrite, sans pour autant perdre (théoriquement s’entend) de son efficacité.
130La suite d’images qu’est l’exemplum s’adresse à la mémoire de l’auditeur. Les producteurs d’exempla l’ont bien noté91. Dans le cadre de la persuasion par le biais de la parole, l’exemplum s’impose alors comme un récit bref, unité minimale de narration mémorisable. L’exemplum de Robert le Diable reste un récit court, malgré sa longueur relative eu égard aux exempla qui l’entourent. Le Miracle et le Dit, textes longs, ont d’autres atouts : la théâtralité, la mise en scène qui fixent concrètement les images. Les textes imprimés ont aussi leur spécificité.
131L’écriture dans sa pauvreté même s’adapte rigoureusement aux besoins et aux réalités de l’époque. Geneviève Bollème a remarquablement analysé ce type d’écriture où l’économie et la répétition n’excluent nullement la perfection de la représentation92. La Vie du terrible Robert le dyable est divisée en trente-neuf chapitres précédés chacun d’un résumé de deux ou trois lignes qui livre le texte à venir sans pourtant en déflorer la saveur93. Le texte même est hâché. Les reprises abondent (et irritent le lecteur moderne). Les images se succèdent en saccades. Et le temps est laissé au rêve, cependant dirigé. L’écriture du récit s’est adaptée parfaitement au public visé.
132Ce qui ne signifie pas que le récit est laissé à lui-même. Le Dit était précédé, comme on l’a vu, d’un sévère prologue qui l’inscrivait dans le champ moral de la pénitence. Les textes imprimés sont précédés d’un prologue du même type. Pouvons-nous croire alors qu’après ce prétexte tout est joué ? Que le récit peut commencer, libre de tout entrave (éthique) ? Il n’en est rien. Le récit qui suit et réalise le prologue est étroitement ceint de morale. Et le prologue pourra par la suite disparaître sans pour autant priver le récit de l’axe moral qui le fonde94. Le rédacteur de l’adaptation en prose du Dit ne cesse en effet d’intervenir dans le texte. Deux exemples de cette intrusion intra-diégétique nous suffiront.
133Nous sommes au début du récit. Le duc de Normandie a épousé la fille du duc de Bourgogne. Dix-sept ans plus tard, ils n’ont toujours pas d’enfant. Intervention de l’auteur : « Car aucunes fois c’est grant proffit à l’homme et à la femme de non avoir enfans et seroit plus profitable aux peres et meres n’avoir jamais engendré que par faulte d’enseignements eulx et les enfans estre damnés. Pourquoy je dy que l’omme ne doit demander à Dieu synon ce qui est nécessaire à l’ame ».
134Second exemple : le duc et la duchesse viennent d’engendrer Robert dans les conditions que l’on sait. Le cinquième chapitre arrive à sa fin : « Or advint que sur ce point que le duc qui du dyable fut tenté engendra ung enfant lequel fit plusieurs maulx en sa vie et destruist maintes gens comme après verrés car naturellement estoit enclin à tous maulx ; toutesfois à la fin se corrigea et amenda et fit penitence salutaire et fut sauvé comme on treuve ».
135La lecture est donc aussi contrôlée que l’était l’écoute.
136Ce n’est pas tout. L’imprimé a un autre avantage : celui de pouvoir présenter des images par le truchement des gravures sur bois qui ouvrent généralement les livres moraux. Les livrets xylographiques ne furent-ils pas d’ailleurs vers 1450 les premiers balbutiements de l’imprimerie naissante ? Pour ce qui est de la Vie du terrible Robert le dyable, l’image d’ouverture ne représente pas la folie du héros mais sa méchanceté, sa soif de meurtres que seule la repentance contiendra. Scène théâtrale dont le mérite est de durer et de s’offrir à l’œil comme l’exemplum s’offrait à la mémoire.
137Il n’en reste pas moins que la question fondamentale reste posée. Au-delà de l’efficacité théorique de ces récits, peut-on dire que ces textes –et particulièrement nos textes imprimés –furent réellement efficients ? Entraînèrent-ils le public visé vers la pratique régulière de la confession ?
138Le but du récit exemplaire est pragmatique : infléchir les actes des hommes en leur faisant lire une histoire95. Le succès fut-il assuré ? En un mot, le sens univoque que portait en lui le récit fut-il partout réfléchi ? Répondre d’emblée par l’affirmative serait négliger les interstices du sens par lesquels se glissent de furtives interprétations hétérodoxes. Nous pensons mutatis mutandis aux paroles d’Octave Mannoni : « Dans une pièce aussi peu « profonde » que la Folle de Chaillot, le président, devant les extravagances d’Aurélie, s’indigne en ces termes : « Je pense au scandale que je provoquerais, si... » (si je faisais moi aussi le fou de cette façon). Derrière cette indignation, une forte tentation est nécessairement sous-entendue. C’est celle du spectateur, qui lui est représentée et niée...C’est de ce côté là, sans aucun doute, que se trouvent les formes les plus élémentaires du plaisir et de l’émotion que l’on éprouve à la représentation théâtrale de la folie »96.
139Nous avons montré que la folie de Robert le Diable n’était à tout prendre qu’une suite de lieux communs mis au service d’une morde. Alors que parler de la folie signifie souvent évoquer une marge, la démence (simulée) de Robert s’inscrit au contraire dans le fonctionnement parfait –ou qui voudrait l’être –d’un ordre moral strict et précis si tant est que, suivant Shoshana Felman, « une folie qui est lieu commun marque...un lieu d’inclusion, et précisément le dedans d’une culture »97. La folie de Robert le Diable, loin d’être un exemple à suivre, s’affirme-au sein d’un processus général de persuasion –comme la métaphore d’une conduite obligée. Mais cette métaphore, pour être efficace, devait se mouvoir nécessairement parmi les lieux communs.
Notes de bas de page
1 La Vie du terrible Robert le dyable fut imprimée à Lyon par Pierre Mareschal et Bernabé Chaussard, le 7 mai 1496. Le seul exemplaire connu est conservé à la Bibliothèque nationaleà Paris (Rés. Y2-712) ; voir Baudrier, Bibliographie lyonnaise ..., Paris-Lyon, t. 11, 1914, p. 496-497 ; A. Claudin, Histoire de l’imprimerie en France au xve et au xvie siècles, Paris, 1900-1904, t. 2, p. 154 et t. 3, p. 175 et 181. Lyon était spécialisée dans les livres « populaires » (traités moraux et ouvrages de piété), voir H.-J. Martin et L. Febvre, l’Apparition du livre, Paris, 1958, p. 134.
2 Lyon, 1496 ; Paris, 1497 (2) ; Paris, v. 1525 ; Paris, v. 1510-1530 ; Paris, v. 1550 ; Rouen, v. 1515 ; Lyon, v. 1515 ; Lyon, v. 1576 ; Paris, v. 1570-1575 ; Paris, v. 1580. Sur ces différentes éditions, B. Woledge, Bibliographie des romans et nouvelles en prose française antérieurs à 1500, Genève-Lille, 1954, p. 111-112 et Supplément, Genève, 1975, p. 92-93. Le tirage devait approcher les mille exemplaires (voir H.-J. Martin et L. Febvre, op. cit., p. 329). Nous citerons ce texte à partir de la première édition citée dans la note précédente. L’édition suivante (Nicole de la Barre, Paris, 2 avril 1497) dont le seul exemplaire subsistant est conservé à la Bibliothèque nationale de Vienne en Autriche (cote Ink. 6 H 8) a été utilisée pour pallier l’absence de deux folios remarquée dans l’exemplaire unique de la première édition.
3 Inventaire des livres de Jean Janot ..., dans R. Dousset, Les bibliothèques parisiennes au xvie siècle, Paris, 1956, n° 110, p. 100. L’ouvrage était vendu quatre livres.
4 Nous renvoyons à H.-J. Martin, Culture écrite et culture orale, culture savante et culture populaire dans la France d’Ancien régime, dans le Journal des Savants, juillet-décembre 1975, p. 232-233.
5 G. Bollème, Des romans égarés, dans La Nouvelle Revue Française, octobre 1972, p. 191-228.
6 J. Lefebvre, Les fols et la folie, Étude sur les genres ducomique et la création littéraire en Allemagne pendant la Renaissance, Paris, 1968, p. 79. Rappelons après lui que l’emploi du mot « fou » est, pour la Renaissance, équivoque et n’est exact ni du point de vue historique ni du point de vue sémantique. La forme « fol » est la seule qui existait dans la langue du xve siècle (op. cit., p. 17).
7 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, 1972, 2e éd., p. 26.
8 Dans l’édition de 1496, la gravure sur bois du titre est répétée au verso ; elle est reproduite dans A. Claudin, op. cit., t. 2, p. 497. L’édition de Nicole de la Barre, voir supra n. 3, présente également une gravure sur bois, sur et derrière le titre; elle est reproduite dans A. Claudin, op. cit., t. 2, p. 288. Robert occupe la partie droite de la gravure. I1 tient une massue dans la main droite et pose la main gauche sur le pommeau de l’épée qu’il porte à la ceinture. I1 s’apprête à frapper de la massue un personnage along6 à ses pieds et qui crie grâce. Au premier plan, gît un homme mort, le front entaillé. En arrière-plan, sur la gauche, figurent les murailles du château paternel alors qu’à la droite de Robert s’inscrit le symbole de la nature et de la forêt, un arbre. Enfin, l’édition de Nicolas Bonfons (Paris, v. 1570) présente un bois en frontispice : Robert est cette fois sur la gauche, tenant de la main gauche une massue; il menace un homme qu’il agrippe par le flanc et qui crie merci. Aux pieds de Robert, un personnage est allongé, mort. Un autre s’enfuit. Les murailles sont toujours présentes en arrière-plan, mais l’arbre a disparu. Ce bois est reproduit dans H. W. Davies, Catalogue of a collection of early French books in the library of C. Fairfax Murray, Londres, t. 1, 1910, no 241, p. 255. Ce même bois a servi pour illustrer et ouvrir l’Histoire de Valentin et Orson, édité par Louys Costé en 1631.
9 Les éléments du texte peuvent se classer sous trois modèles culturels. Deux incontestables, le dernier plus hypothétique. Le premier est le modèle ecclésiastique ou savant. Il est inutile d’insister. Les personnages : Dieu et le diable, le pape et l’ermite, l’ange. Le thème de l’enfant voué au diable présente un impressionnant dossier (voir P. Meyer, L’enfant voué au diable, rédaction en vers dans Romania, t. 33,1904, p. 163-178). D’autres topoi autres que la folie simulée peuvent être identifiés : l’ange qui apporte la pénitence et qui rappelle la « Messe de saint Gilles (voir G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1865, p. 148-153) ; le saint militaire qui tel saint Georges adopté par les croisés volait au secours des Croisés, monté sur un cheval blanc. Le second est le modèle chevaleresque. Robert est le fils d’un duc de Normandie ; il est adoubé deux fois : une première fois par son père, une seconde fois par l’ange. Arrêtons ici non sans avoir évoqué la trouble figure du sénéchal (voir à ce sujet l’excellent article de B. Woledge, Bons vavasseurs et mauvais sénéchaux, dans Mélanges offerts à Rita Lejeune, t. 2, 1969, spécialement p. 1272-1277). De plus, Robert ne représente-t-il pas le type christianisé de ces juvenes bien étudiés par G. Duby ? Le voyage à Rome n’est-il pas le fait de ces nobles du xie siècle qui cherchent auprès du pape une pénitence à bon compte ? Nous reviendrons dans un livre à venir sur ces points essentiels. Troisième modèle, plus délicat à appréhender et que nous ne ferons qu’évoquer seulement : le modèle folklorique. Disons simplement que les deux dernières parties de nos textes (révélation de sainteté et récompense) offrent une stupéfiante ressemblance avec le conte publié par les frères Grimm en 1813 sous le titre de Der eiserne Hans (trad. fr. Jean de Fer). Voir une première approche de la question dans P. Delarue, Le conte populaire français, t. 1, 1976, p. 243-263. Aucune version plus ancienne que celle de Grimm n’est connue. Il reste à définir les rapports entre le conte (du xixe siècle) et nos textes médiévaux.
10 L’on verra l’ouvrage de J. Lefebvre, op. cit., 457 p. A cette étude l’on ajoutera notamment l’ouvrage collectif Folie et déraison à la Renaissance, Colloque international tenu en septembre 1973..., Bruxelles, 1976, 234 p.
11 R. Herval, notice « Robert le Diable» dans le (médiocre) Dictionnaire des lettres françaises, Moyen âge, Paris, 1964, p. 640. L’on se méfiera de l’article du même auteur, La Iégende de Robert le Diable, dans Sicilia, n 23, 1959, non paginé qui offre une interprétation douteuse et sujette à caution de scènes représentées au Palais Chiaramonte, dit Lo Steri à Palerme. Pour René Herval, c’est le début de l’histoire de Robert le Diable qui est exposée en quatre tableaux dont le premier n’est plus identifiable. Il se fonde sur une version de la légende que nous n’avons pu retrouver (y compris dans les papiers de l’érudit conservés aux Archives départementales de la Seine-Maritime). Nous reprendrons la question dans notre livre à venir. En attendant, l’on peut consulter G. Bresc-Bautier, Le décor du plafond de la Grande salle du « Steri » à Palerme (1377-1380), dans le Journal des savants, avril-juin 1979, p. 115-123.
12 Sur les éditions de la Bibliothèque bleue, voir K. Breul, éd., Sir Gowther, ein englische Romanze ausdem XV Jahrhundert, Oppeln, 1886, p. 198-241, et plus particulièrement la bibliographie, p. 198-202 ; A. Morin, Catalogue descriptif de la Bibliothèque bleue de Troyes.... Genève, 1974, p. 420-423 ; C. Nizard, Histoire des livres populaires ou de la littérature du colportage, Paris, 1968 (Ire éd. 1864), p. 435-448 ; G. Bollème, La Bible bleue ; anthologie d’une littérature populaire, Paris, 1975, p. 158-159 et 168-169. Signalons une excellente étude sur le passage du récit de Robert le Diable dans la littérature populaire brésilienne : F. N. F. Borges, L. de Arruda Mello et M. C. Meira de Souza, « Deus O diabo » naliteratura popular em verso, Modelo hipotético da narrativa, Joio Pessoa, 1976, 68 p. dactyl. Aperçu dans I. Fonseca dos Santos, La littérature populaire en vers du Nord-Est brésilien, dans Les Imaginaires1.2, Paris, 1979, p. 192-201.
13 G. Doutrepont, Les Mises en prose des épopées et des romans chevaleresques du xive au xvie siècle, Bruxelles, 1939, p. 310. Le Dit qui date du xive siècle (sans qu’une précision ne puisse être apportée pour l’instant) a été édité par K. Breul, dans Mélanges A. Tobler, Halle a. S., 1895, p. 464-509. Compte rendu critique de cette édition par G. Paris, dans Romania, t. 24, 1895, p. 461-462. Sur ces récits, voir encore E. Faral, Les jongleurs en France au Moyen âge, Paris, 1910, p. 175-177 ; pour Faral, ce sont vraisemblablement des clercs qui écrivirent ces contes moraux et qui en furent les propagateurs.
14 Ed. G. Paris et U. Robert, Les Miracles de Notre Dame ..., Paris, 6, 1881, p. 1-77. Edition corrigée par R. Glutz, Les Miracles de Nostre Dame par personnages, Kritische Bibliographie und Neue Studien zu Text, Entstehungszeit und Herkunft, Berlin, 1954, p. 169-171. Le texte se trouve dans un seul manuscrit, le BN, Paris, fr. 820, fos 157-173. Les miracles furent écrits avant 1382. Robert le Diable fut joué devant la Confrérie des orfèvres de Paris, le 6 décembre 1375. Les Miracles de Nostre Dame par personnages appartiennent à la bourgeoisie parisienne de la deuxième moitié du xive siècle. Voir Gr. A. Runnalls, éd., Le Miracle de l’enfant ressuscité..., Paris-Genève, 1972, p. VII-LVIII.
15 Ce texte a été édité par E. Loseth, Robert le Diable, roman d’aventures, Paris, 1903, XLVIII-264 p. Nous continuerons à l’appeler Roman. II faut signaler que le titre Li romans de Robert le Dyable n’est attestée d’après l’édition de G. S. Trébutien (Paris, 1837) que dans un manuscrit partiel non retenu par E. Loseth. Sur cette question, J.-C. Payen et F.N.M. Diekstra, et alii, Le Roman, Brepols, 1975, n 5, p. 21 . Pour J.-C. Payen est en définitive « roman » tout ce que l’on ne sait ranger dans d’autres genres « comme Robert le Diable qui est l’histoire dramatique d’une conversion dans le sang et la honte » (op. cit. supra, p. 23). Disons toutefois en suivant H. Coulet, Le Roman ..., Paris, t. 1, 1967, p. 20-29, que notre texte revêt les caractères du roman médiéval définis par cet auteur puisque Robert le Diable est un poème en octosyllabes à rimes plates et présente non pas une geste mais une aventure. Pour E. Loseth, éd. cit., p. XLVIII, le texte est postérieur à la première moitié du xiie siècle.
16 Texte latin édité de façon fautive par A. Lecoy de la Marche, Anecdotes historiques, légendes et apologues, tirés du recueil inédit d’Étienne de Bourbon, dominicain du xiiie siècle ..., Paris, 1877, p. 145-148. Nouvelle édition, se fondant sur le ms. Paris, Bibl. nat., lat. 15970, fo 249a-c, vérifié sur le ms. Paris, Bibl. nat., lat. 14599, dans J. Berlioz, Le Tractatus de diversis materiis predicabilibus d’Étienne de Bourbon, troisième partie : de dono scientie, étude et édition, Paris, 1977, dactyl., p. 373-377. Voir le résumé de cette thèse d’Ecole des Chartres dans Positions des thèses ..., Paris, 1977, p. 25-32. Sur Etienne de Bourbon, l’on verra J.-Th. Welter, L’Exernplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen âge, Paris-Toulouse, 1927, p. 215-223 et J.-C1. Schmitt, Le saint lévrier, Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le xiiie siècle, Paris, 1979, p. 27-58. En voici une traduction :
Voilà ce que j’ai entendu de la bouche de deux frères, ainsi que d’un autre, qui affirmaient l’avoir lu : l’épouse d’un comte n’avait pas de descendance et ne cessait de prier le seigneur pour en avoir. Sans résultat. A la fin des fins, elle promit au diable de lui donner l’enfant s’il lui en faisait avoir un. Elle conçut et enfanta un fils ?qui il l’on donna comme nom de baptême Robert. Plus il grandissait et plus la méchanceté croissait en lui. Et de commencer par mordre les seins de ses nourrices, puis, devenu plus grand, de frapper d’autres gens ; ensuite de tuer et de ravir tous ceux qui lui tenaient tête, d’enlever les vierges - et même les femmes mariées – et de les violer ; de capturer et de tuer les hommes. Il crût avec le temps dans les turpitudes ; fait chevalier, il n’en devint que plus méchant.
Une fois, sa mère, que les plaintes à son sujet peinaient beaucoup, lui dit qu’on chercherait en vain à le rendre meilleur car elle voyait bien qu’il ne ferait jamais que le mal. Robert se jeta alors sur elle, l’épée à la main, et lui dit que soit il la tuait, soit elle lui avouait pour quelle raison elle lui avait dit cela et la cause de sa méchanceté. Sa mère terrifiée, lui raconta comment elle l’avait donné au diable et tout ce qui est rapporté ci-dessus.
Sur ces mots, il abandonna tout, alla à Rome, cherchant sans trêve l’occasion de se confesser au Pape. Finalement, au cours d’une procession, il le saisit par les pieds, lui disant qu’il préfèrerait plutôt être tué que ne pas lui parier. Le pape l’ayant écouté, l’envoya à un saint reclus qui, au cours de sa messe, demanda au seigneur de lui faire connaître la pénitence, à imposer, car ce qu’il avait entendu l’avait laissé perplexe. II lui fut envoyé par une colombe une feuille de papier sur laquelle se trouvait écrite la nature de la pénitence : ne plus parler sans la permission de l’ermite, se faire « fou », supporter Sans impatience les offenses que pourraient lui faire les enfants et d’autres gens, coucher avec les chiens et ne rien manger qui ne leur fût arraché. Ceci dit, il reçut cette pénitence comme un présent envoyé par Dieu et promit de la faire jusqu’au bout et complètement. Tondu comme le sont les fous par l’ermite, il se rendit à la capitale royale. Poursuivi par les enfants, il monta dans la grande salle du palais royal, se battit avec les chiens, arracha de leurs crocs ce qui leur était jeté. Les courtisans leur lancèrent alors des os et d’autres choses pour le voir combattre avec les chiens. Le roi remarqua qu’il ne voulait manger que ce qui était jeté aux chiens, leur lança beaucoup de choses, afin que celui qu’il prenait pour un fou pût en manger. Robert refusait de coucher ailleurs qu’avec les chiens, sous l’escalier. Ses nuits s’y passaient en pleurs et en prières.
Comme les Barbares avaient fait irruption dans son royaume et le dévastaient, le roi et ses hommes marchèrent au combat. Alors que Robert s’apitoyait beaucoup sur son sort et priait pour lui, l’ange du Seigneur lui apparut ; il lui demanda de le suivre, d’accepter les armes envoyées par Dieu, d’aller porter secours à son seigneur et, après la victoire, de remettre les armes là où il les avait prises. L’ange mena Robert près d’une fontaine qui se trouvait dans le jardin royal et c’est ici qu’il le munit de blanches armes frappées d’une croix rouge et le fit monter sur un cheval blanc. Volant vers le champ de bataille, il pénétra les rangs de l’ennemi, le mit en fuite et l’anéantit. Ayant remporté la victoire, il revint à l’endroit d’où il était parti et déposa les armes ainsi que le cheval là où l’ange le lui avait dit. Ce que vit la fille unique du roi – qui était muette – de la fenêtre de sa chambre.
Le roi revint et demanda à ses hommes qui était ce chevalier aux blanches armes qui s’était ainsi comporté. Ce chevalier fut introuvable. La fille muette désignait le fou du doigt mais elle fut vivement réprimandée par son père.
Les ennemis s’en revinrent avec une armée plus forte. Robert, averti par l’ange, fit comme précédemment, libéra le roi et son armée et écrasa tous les ennemis. Voyant cela, le roi demanda à ses chevaliers de le capturer – s’ils ne pouvaient l’amener à lui d’une autre manière – afin de le promouvoir aux plus grands honneurs. L’un des chevaliers, ne pouvant pas le capturer malgré tous ses efforts, planta sa lance dans la cuisse de Robert. Le fer resta dans la blessure. Ce que voyant, la fille du roi accourut, et s’empara du fer de lance.
Le roi déclara que si le chevalier vainqueur se présentait, il lui donnerait sa fille en mariage et le ferait héritier de son royaume. Le sénéchal du roi se blessa alors la cuisse et apporta le fer d’une lance. Le chevalier qui avait blessé Robert ne fut pas dupe mais n’osa pas dire que ce fer n’était pas le sien. Le sénéchal devait épouser la jeune fille qui protestait par tous les signes possibles, montrait le« fou » et repoussait le sénéchal. Son père la réprimandait sévèrement et voulait la forcer au mariage. Ce fut alors que Dieu lui ouvrit la bouche : elle raconta ce qu’elle avait vu à son père, apporta le fer de lance que le chevalier reconnut et posa sur la hampe de sa lance. Averti par Dieu, l’ermite, qui avait imposé la pénitence, arriva et ordonna à Robert de parler et de dire la vérité ; ce que Robert fit avec peine.
Le roi voulut donner à Robert sa fille unique, renoncer à son royaume et le lui laisser. Les hommes du père de Robert, entendant cela, lui demandèrent d’être leur chef. Il refusa de répondre à leurs souhaits. Il quitta tout et partit avec l’ermite pour mener une vie d’ermite.
17 Ce texte est fort mal connu. Il faut attendre le résultat des recherches de G. Labory (IRHT, Paris) pour le dater exactement. Ces Chroniques auraient été rédigées à la fin du xiie siècle ou au cours du xive siècle, sans qu’une précision puisse pour l’instant être apportée. Voir B. Woledge, op. cit., p. 110-111 et Supplément, op. cit., p. 92. La fonction de l’histoire de Robert le Diable au début de ces Chroniques peut se concevoir comme une réplique des récits légendaires qui ouvraient les textes généalogiques (ou certains d’entre eux) au xie et xiie sièclse. Dans ces généalogies, le héros fondateur prenait l’allure d’un type exemplaire, d’un modèle de vertu; de plus c’est au xiie siècle que les généalogies subissent une contamination de la part des œuvres de divertissement qui est à l’origine de l’invention d’ancêtres mythiques. Voir G. Duby, Remarques sur la littérature généalogique en France au xie et xiie siècles, dans Hommes et structures au Moyen âge, Paris, 1973 (1967), p. 287-298. Afin de revêtir le caractère de récit généalogique, les Chroniques de Normandie ont donc adopté Robert le Diable déjà localisé en Normandie. Cependant, il est à noter que Robert n’est pas le fondateur de la famille: c’est le demi-frère de Robert, Richard, qui prend la succession du duché. Tout se passe donc comme si Robert le Diable n’était là que pour revêtir la défroque d’un faux ancêtre mythique (puisqu’en’ayant point de descendant). Nous nous fondons sur la transcription du ms. Pans BN fr. 5 388, fos X-XI qui nous a été communiquée par Madame Labory que nous remercions ici.
18 Ed. K. Breul, Sir Gowther ..., op. cif., p. 135-192 ; edition reprise dans Maldwyn Mills, Six Middle English Romances, Londres, 1973, p. 148-168 ; voir L. A. Hibbard, Mediaeval Romance in England ..., now. éd., New York, 1960, p. 49-57. Pour le texte allemand du xve siècle, éd. K. Borinski, dans Germania, 37, 1892, p. 44-62.
19 C1. Brémond, Logique du récit, Paris, 1973, p. 101-102.
20 Résumons ce texte : Aubert, duc de Normandie, est marié à la sœur du duc de Bourgogne. Un samedi, en rentrant de chasse, le duc veut de toute force coucher avec sa femme, qui se refuse à lui. Dans l’impossibilité de résister plus longtemps à ses ardeurs, elle demande que Dieu n’ait part dans ce qu’ils feront. Un enfant naît de cette union : Robert qui grandit dans la méchanceté. Il va jusqu’à tuer d’un coup de couteau son maître d’école. Après son adoubement il réunit une bande de brigands et sème la terreur dans le pays. Son père. poussé par les barons, fait crier qu’il pardonnera à celui qui tuera son fils. Une chasse à l’homme s’organise. Robert, acculé, fuit seul dans la forêt. Il rencontre un ermite à qui il raconte son existence. L’ermite lui enjoint de ne rien manger qui ne soit arraché aux chiens et d’aller trouver le pape a Rome. Le pape, en guise de pénitence, lui interdit de parler pendant sept ans. Robert s’offre aux offenses de la foule et couche sous l’escalier du palais de l’empereur. Il arrache sa nourriture à un lévrier. L’empereur ordonne que l’en ne meffeist au fol. Il quitte Rome au bout de sept ans. Il se rend à Jerusalem ou il fu hermite toute sa vie et vesqui et mourut tres saintement. La mère de Robert meurt pour le courroux de son enffant. Aubert se remarie. Il a un fils, Richard, qui prend sa succession. Citations d’après le ms. cité plus haut, n. 17. Le récit ne met certes pas en œuvre la révélation de sainteté de Robert mais elle est imposée au lecteur par le rédacteur du texte qui annonce que Robert mourur tres saintement.
21 Le surnom de Diable apparaît avec le Dit, v. 18, Fu Robert le deable de toutes genz nommez.
22 L’analyse qui suit ici doit tout aux travaux de Claude Brémond, Logique du récit, op. cit., p. 131-350. Plutôt que les fonctions proppiennes, nous avons préféré présenter la suite des rôles narratifs principaux. Le récit des Chroniques de Normandie dont nous avons vu plus haut le statut particulier est privé de la troisième partie (la révélation du mérite) qui n’est que sous-entendue. De plus, le processus d’information (II. 2.) est raccourci puisque c’est le héros lui-même qui est son propre informateur.
23 Cité par Ph. Ménard, Les fous dans la société médiévale, le témoignage de la littérature au xiie et xiie siècles, dans Romania, t. 98, 1977, p. 440.
24 Cité par Ph. Ménard, loc. cit., n. 1, p. 450.
25 Précision chronologique présentée par L. Rydén, The date of the Life of Andreas Salos, dans Dumbarton Oaks Papers, 32, 1978, p. 127-155. Sur Andreas : S. C. Murray, A Study of the life of Andreas, the Fool for the Sake of Christ..., Borna-Leipzig, 1910, 134 p. ; à compléter par G. da Costa-Louillet, Saints de Constantinople, dans Byzantion, 24, 1954, p. 179-214 ; enfin et essentiel : J. Grosdidier de Matons, Les thèmes d’édification dans la vie d’André Salos, dans Travaux et Mémoires (Centre de recherche d’histoire et civilisation byzantine), 4, 1970, p. 277-328. Sur le thème des enfants, voir les références dans J. Grosdidier de Matons, op. cit., n. 80, p. 304.
26 Voir Al. Bausani, Note sul « pazzo sacro » nell’Islam, dans Studi e materiali di storia delle religioni, 29, 1958, p. 100.
27 Voir J. Kologrivof, « Les fous pour le Chris t» dans I’hagiographie russe, dans Revue d’Ascétique et de Mystique, 25, 1949, p. 426-437; d’après cet auteur, le premier « fou pour le Christ », est Prokop d’oustjoug (+ 1302).
28 Exemplum édité par A. Lecoy de la Marche, op. cit., 151-153. Voir pour un texte parallèle, J. Chaurand, éd., Fou, dixième conte de la Vie des Pères, conte pieux du xiiie siècle, Genève, 1971, p. 1-71. Nous consacrerons un article prochain à cet exemplum.
29 Cité par Ph. Ménard, loc. cit., p. 448.
30 Voir J. Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, essai sur l’abjection, Paris, 1980, p. 37.
31 Voir idem, p. 22; et pour le thème du complexe de Jonas, G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Paris, 1948, p. 182.
32 Les Romans de Chrétien de Troyes..., IV, Le Chevalier au lion (Yvain), éd. M. Roques, Paris, 1978, p. 86, v. 2827-2828 ; voir J. Le Goff et P. Vidal-Naquet, Levi-Strauss en Brocéliande, danscritique, n° 325, 1974, p. 549-551.
33 Cité dans G. da Costa-Louillet, op. cit., p. 193.
34 Cité par J. Grosdidier de Matons, op. cit., p. 305.
35 Voir Al. Bausani, op. cit., p. 98.
36 Cité pax J. Chaurand, op. cit., p. 29.
37 Voir A. Dickson, Valentine and Orson ..., New York, 1929, p. 253-265, et particulièrement, p. 255.
38 Ed. A. d’Ancona, La Leggenda di Santo Albano, prosa inedita del secolo xiv. .., Bologne, 1965, reproduite dans G. de Luca, éd., Leggende cristiane del Trecento, Turin, 1977, p. 44.
39 La Règle de saint Benoît, éd. et trad. A. de Vogüé et J. Neufville, Paris, 1972, p. 470. Sur le vœu de silence, voir V. Roloff, Reden und Schweigen. Zur Tradition und Gestaltung eines Mittelalterlichen Themas in des Franz Literatur, Munich, 1973, p. 181-187. L’on pense aussitôt au silence de Berthe au grand pied gardé à la suite d’un voeu (tout au moins dans la version que donne Adenet le Roi): voir R. Colliot, Adenet le Roi « Berthe aus grans piés » ..., Paris, t. 1, 1970, p. 25.
40 Voir particulièrement E. Welsford, The Fool. His social and literary history, Londres, 1968 (lreéd. 1935), p. 115-116.
41 La Folie Tristan de Berne, éd. E. Hoepffner, Paris, 1938 (2e éd. 1943); La Folie Tristan d‘Oxford, éd. E. Hoepffner, Paris, 1934 (2e éd. 1949).
42 Ed. A. J. Holden, Ipomedon, poème de Hue de Rotelande (fin du xiie siècle), Paris, 1979. Analyse du poème, p. 12-16
43 Dom J. Leclercq, L’idiot à la lumière de la tradition chrétienne, dans Revue d’histoire de la spiritualité, 1973, p. 291.
44 Résumé plus ample dans Murray, op. cit., p. 35-53.
45 Voir I. Kologrivof, op. cit., p. 429.
46 Références dans T. Spidlίk, art. « Fous pour le Christ » en Orient, dans Dictionnaire de spiritualité, 5, 1964, c. 760.
47 Fr. Vandenbroucke, art. (Fous pour le Christ) en Occident, dans Dictionnaire de spiritualité, 5 , 1964, c. 761.
48 Voir Fr. Vandenbroucke, op. cit., c. 764-765.
49 L’anecdote est narrée dans la Vita, éd. G. D. Bonino (reprenant l’éd. critique de G. Petrocchi, Bologne, 1960), Turin, 1974, p. 297.
50 Voir C. Casagrande et S. Vecchio, Clercs et jongleurs dans la société médiévale (xii et xiii siècles), dans Annales E. S. C., 34e année, n 5, sept.-oct. 1979, p. 913-928. Outre l’article de J. Leclercq, cité plus haut, n. 43, l’on verra du même auteur : Le thème de la jonglerie chez saint Bernard et ses contemporains, dans Revue d’histoire de la spiritualité, 48, 1972, p. 385-400 ainsi que loculator et saltator. S. Bernard et l’image du jongleur dans les manuscrits dans Translario studii. Manuscripts and Library Studies honoring O. L. Kapsner, OSB, Collegeville, 1973, p. 124-148.
51 Voir les réflexions de P. Gallais à propos de l’édition de « Fou », dans Cahiers de civilisation médiévale, oct.-déc. 197 1, p. 363-366.
52 Voici la fin de la traduction de cet exemplum : Les deux fils de l’empereur étaient alors en lutte et le cadet tua l’aîné.
Le prince, au comble de l’affliction, se rendit à Rome. Le pape le confia à son patriarche qui l’adressa à un ermite égyptien, qui l’envoya, lui, dans l’autre bout du désert d’Egypte, à un autre ermite de très grand mérite : Dieu se révélait souvent à lui et le réconfortait ; chaque jour, un pain céleste lui était envoyé. Informé de son arrivée, il courut à la rencontre du prince. L’ange apporta dès lors deux fois plus de pain. Tous deux se restaurèrent. Après qu’ils eurent prié et conversé, l’ermite, averti par une révélation divine, l’adressa au chevalier qui se faisait passer pour fou; il lui montra ce qu’il devait faire et lui indiqua qu’il trouverait le chevalier sur tel tas de fumier.
Il s’en vint en secret à Constantinople et alla à l’heure du premier sommeil au tas de fumier. Il vit celui qu’il cherchait se lever brusquement et partir pour Sainte-Sophie. Deux chœurs qui chantaient les Psaumes le précédaient. Ils ouvrirent l’église et lui préparèrent un siège pour prier. Le fou pria fort longtemps. On approchait de matines quand il se leva soudainement et se retira, accompagné des chœurs qui refermèrent les portes et montèrent aux cieux. Il s’en revint à son tas de fumier. Le jeune homme le suivit et s’attacha à ses pas. Le fou crut tout d’abord qu’il s’agissait des enfants et cria qu’il ne faisait pas encore jour. Le prince lui apprit alors qui il était, la cause de sa venue, qui l’envoyait et ce qu’il avait vu. Le fou lui indiqua ce qu’il devait faire et lui enjoignit aussi, en le forçant à prêter serment, de ne jamais révéler à quiconque tant qu’il vivrait ce qui s’était passé. Devant les demandes du prince, le fou avoua qui il était.
Comme l’empire, à la mort de son père, faisait l’objet de nombreuses convoitises, faute d’héritiers, le prince le revendiqua, et l’obtint. Une fois empereur il voyait l’homme de Dieu conspué, fouetté, etc., mais, tenu par son serment, il ne pouvait montrer qu’il le connaissait. Il pleurait même à chaudes larmes lors des repas ou quand il entendait les injures que l’on lançait au fou. Un jour, apprenant la mort de cet excellent fou, il se précipita à toute allure là où se trouvait sa dépouille mortelle; il pleurait, le proclamait son père et révélait tout ce que le fou avait fait. L’on trouva dans la main du fou une cédule où il était écrit qui il était, d’où il venait et pourquoi il s’était ainsi méprisé. L’empereur porta le lit funèbre et le fit ensevelir avec tous les honneurs. Le Seigneur gratifia le fou de la gloire abondante des miracles.
53 Voir J. Grosdidier de Matons, op. cit., p. 289-290.
54 Voir idem, n. 67, p. 302.
55 C’est au Xe siècle qu’« arrive de l’orient, en passant sans doute la plupart du temps par l’Italie, une masse de légendes sur des saints inconnus jusque là », écrit Gaston Paris (La littérature française au Moyen âge, Paris, 1905, p. 233).
56 Voir A. Weber, La Vie de saint Jean Bouche d’Or, dans Romania, 6, 1877, p. 328-340.
57 Voir L. Karl, La Légende de saint Jehan Paulus, dans Revue des langues romanes, 61, 1913, p. 426-434. Cette légende a un caractère marqué de « roman hagiographique » : « Jehan Paulus est un ascète inconnu dans l’hagiographie latine. Il fut inventé par quelque clerc de talent qui lui attribuait des actes et des faits racontés dans les vies des saints authentiques ou apocryphes » (J. Karl, ibid., p. 425).
58 Ed. T. F. Crane, The Exempla or illustrative stories from the Sermones vulgares..., Londres, 1890, p. 21-22, commentaire p. 157.
59 Nous pensons aux processions pénitentielles des flagellants qui débutèrent en mai 1260 à Pérouse pour gagner toute l’Italie, puis l’Autriche, la Bavière, la Hongrie, le sud de l’Allemagne et l’Alsace. Le flot fut endigué par les autorités ecclésiastiques. Ce courant réapparut en 1349 après la Grande Peste et fut condamné par Clément VI. Il s’affirma de nouveau au xve siècle et se heurta notamment à l’opposition de Gerson (Contra flagellantiurn, 1417) ; voir P. Bailly, art. « Flagellants » dans Dictionnaire de spiritualité, t. 5, 1964, col 392-407.
60 Ms. BN Paris lat. 15 970, fo 248 c-d. Texte de base dans Patrologia latina, 73, col. 1148-1149.
61 Ms. cité, fo 248d-249a.
62 La Scala celi n’a pas encore fait l’objet d’une édition critique ; cette dernière est en cours (A. Vitale-Brovarone, Univ. de Turin). Voir Welter, op. cit., p. 319-325. L’exemplum se trouve dans l’édition incunable d’Ulm, 1480 (BN, Paris, rés. D 846) aux fOS 1611-161v. Jean Gobi résume le texte en l’explicitant parfois : le quod fatuum se faceret d’Etienne de Bourbon devient quod fatuum se simularet ; les disparitions sont significatives : dans Jean Gobi, l’allusion aux enfants persécuteurs disparaît (affaiblissement du topos ?) dans l’injonction de la pénitence ; ils sont cités plus tard comme poursuivant Robert (insequentibus pueris), trait qui perd tout son sens premier puisqu’il n’est pas expliqué auparavant. La poursuite du fou par les enfants, de topos précis devient une simple indication, privée de signification.
63 Il est bien certain que le roman médiéval « apporte un message moral et intellectuel d’une haute portée sans cesser de distraire et de susciter le rêve » en remplissant au xiie siècle une mission pédagogique privilégiée (voir J.-C. Payen et F.N.M. Diekstra, op. cit., p. 66-67). Et ce, sans l’aide du prologue. Pour ce qui est du miracle, même si certaines scènes sont purement séculières et bourgeoises, la pièce conserve son aspect de récit exemplaire. Elle se termine par une chançon à la Vierge. L’on ne saurait nier que le Miracle reste le plus « profane » de nos récits. Le moins contrôlé. Mais il s’adressait à un public précis et délimité : la bourgeoisie parisienne de la fin du xive siècle et particulièrement les orfèvres (voir G. A. Runnals, op. cit., p. XXX-XXXI).
64 Pour le texte du canon 21 du Concile de Latran IV, voir R. Foreville, Latran I, II, III, et Latran IV, Paris, 1965, COI. 392-407. p. 357.
65 M. Foucault, Histoire de la sexualité, I. La volonté de savoir, Paris, 1976, p. 80.
66 J. Le Goff dans Les propos de saint Louis présentés par D. O’Connel, Paris, Gallimard, 1974, p. 17.
67 Nous nous permettons de renvoyer à notre article (Quand dire c’est faire dire), exempla et confession chez Étienne de Bourbon, dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle (Actes de la Table ronde, Rome, 22-23 juin 1979), Rome, 1981, p. 330-333.
68 J.-Cl. Payen, Le Motif du repentir dans la littérature française médiévale, des origines à 1230, Genève, 1967-p. 37.
69 Voir l’excellent article de K. Stierle, L’Histoire comme Exemple, l’Exemple comme Histoire, Contribution à la pragmatique et à la poétique des textes narratifs, dans Poétique, 10, 1972, p. 176-198. « Dans le mesure où la situation donnée et l’exemple sont liés par une isomorphie, on peut concevoir l’issue de l’exemple comme anticipant l’issue de la situation correspondante. L’exemple montre les conséquences inévitables de telle ou telle décision prise dans une situation donnée. C’est dans cette isomorphie que réside la force de conviction de l’exemple, qui nous engage à accomplir une action ou à y renoncer » (p. 183). Le terme d’« exemple » doit être compris au sens d’exemplum.
70 B. Geremek, L’« exemplum » et la circulation de la culture au Moyen âge, dans Rhétorique et histoire. L’« exemplurn » et le modèle de comportement dans le discours antique et médiéval (Table ronde organisée par 1’École française de Rome, le 18 mai 1979), dans Mélanges de l’École française de Rome, Moyen âge-Temps modernes, t. 9211, 1980, p. 172.
71 Voir M. Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris, 1973, p. 57.
72 B. Pascal, De l’art de persuader, éd. B. Clerté, Pans, 1979, p. 32.
73 B. Geremek, op. cit., p. 112.
74 Jacques de Vitry (+ 1240) demandait d’employer l’exemplum de préférence quand le public, fatigué et tombant d’ennui, se met à sommeiller; voir J.-Th. Welter, op. cit., p 68-69.
75 Voir Welter, ibid.
76 Voir A. Chastel, Fables, formes, figures, t. 1, 1978, p. 22, citant la définition de Leiris
77 ...predicandum est magis nota et credibiliora, cité par Welter, op. cit., n. 86, p. 330.
78 Dossier dans Ménard, op. cit., p. 436-440. Voir aussi F. Garnier, Les conceptions de la folie d’après l’iconographie médiévale du psaume « Dixit hipiens », dans 102e Congrès nat. des soc. sav., Limoges 1977, phil. et hist., t. 2, 1979, p. 215-222.
79 Amadas et Ydoine, éd. J. R. Reinhard, Paris, 1926.
80 Ms. Paris BN fr. 820, fo 157 r. Sur le manuscrit, G. A. Runnals, op. cit., p. XI-XIX.
81 Voir Ménard, op. cit., p. 434-435; le point dans A. Stegmann, Sur quelques aspects des fous en titre d’office dans la France du xvie siècle, dans Folie et déraison à la Renaissance, op. cit., p. 55-56.
82 Voir Ménard, op. cit., p. 441-442.
83 Thomas Waleys (+ 1340), De modo componendi sermones, 1, éd. T. M. Charland, Artes predicandi. .., Pans-Ottawa, 1936, p. 218.
84 Voir J. Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, Paris, 1964, p. 389.
85 F. C. Tubach, Exempla in the Decline, dans Traditio, t. 18, 1962, p. 407-417. C’est à ce chercheur que l’on doit le précieux Index exemplorum ..., Helsinki, 1969, 430 p.
86 F. C. Tubach, Exempla in the Decline, op. cit., p. 416.
87 Voir R. Dubuis, Les d e n t nouvelles nouvelles» et la tradition de la nouvelle en France. Grenoble, 1975, p. 492-500.
88 Toutes références dans J.-Th. Welter, op. cit., p. 449.
89 On retrouve trace de l‘exemplum dans un manuscrit conservé dans la Bibl. nat. de Naples (ms. VIII, B. 43, fos 40r-41 r) ; ce manuscrit provient du couvent de S. Francesco di Capestrano et date du xve siècle ; il s’agit d’un recueil d’exempla composé par Fr. Francesco di Fabriano regroupant des textes de la Scala celi, d‘Etienne de Bourbon, et des exempla personnels. Voir C. Cenci, Manoscritti francescani della Bibl. nazionale di Napoli, Grottaferrata, 2,1971, p. 816-817.
90 D’après un inventaire de 1405, se trouvait avec les romans de la Table Ronde un volume contenant Robert le Diable; volume qui a été identifié avec le ms. Paris BN fr. 25 516. Un autre volume contenait à la fois Cléomades et Robert le Diable, il est sans doute perdu. Voir G. Doutrepont, La Littérature française à la cour des ducs de Bourgogne, Paris, 1909, p. 9-10.
91 Nous nous permettons (encore une fois) de renvoyer à notre article Le récit efficace : l’« exemplum » au service de la prédication (xiiie-xve siècles), dans Rhétorique et histoire ..., op. cit., p. 127-130.
92 G. Bollème, Des romans égarés, op. cit., p. 218.
93 Prenons l’exemple des résumés des deux chapitres mettant en scènes les scènes bouffonnes : 1. Comment Robert fit baiser le cul de son chien a ung juif qui disnoit avec l’empereur ; 2. Comment Robert contrefaisant le fol et I’enraigé bouta une royne au mylieu de la fange et luy gasta ses habillemens et comment il bouta le chat dedans la chaudière duquel chat orrés merveilles.
94 Voir G. Bollème, Des romans égarés, op. cit., p. 217.
95 Voir S. Suleiman, Le récit exemplaire, Parabole, fable, roman à thèse, dans Poétique, 32, 1911, p. 469-489.
96 O. Mannoni, Le théâtre et la folie, dans Clefs pour l’imaginaire, Paris, 1969, p. 314.
97 S. Felman, La Folie et la chose littéraire, Paris, 1978, p. 13.
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