Les Normaliens dans l’Église
p. 620-650
Texte intégral
1Tout se voit à l’École normale et les directeurs doivent être assurément les hommes du monde les plus aptes à se plier à toutes les tendances, à comprendre tous les esprits. « Eh ! messieurs, il faut savoir se faire tout à tous, comme disait Fénelon ! » s’écria un jour M. Cousin — du moins on le raconte — au cours d’un amical entretien avec les catholiques de l’École. Et de fait on n’entendrait pas sans surprise telle instruction, digne du sage et paternel abbé de quelque monastère, que M. Nisard, appuyé de l’aumônier, dut adresser à l’un de ses élèves, j’allais dire à l’un de ses novices, pour modérer les austérités et les « rudes disciplines » dont il affligeait son corps. Ce normalien, qui fait honneur au clergé de Paris, ne mangeait que du pain, ne buvait que de l’eau et couchait tout habillé sur le tapis de sa modeste cellule. Ne fallut-il pas l’autoriser à se rendre chaque jour au salut du saint sacrement chez les bénédictines de la rue Tournefort ? L’excellent M. Jacquinet appelait cela « une sortie de bain ».
2Aussi bien, le premier normalien qui soit entré dans les ordres se fit trappiste et trouva moyen d’ajouter quelque chose aux sévérités de la règle : c’est M. Jousse, de la promotion de 1810. Né à Paris le 2 décembre 1791, il entra à la Grande-Trappe le 2 2 mai 1816 et y fit profession solennelle le 2 juillet 1817. Il mourut en 1866 aumônier des trappistines de Lyon, laissant une réputation de sage conseiller et de parfait religieux.
3On n’est guère plus accoutumé à chercher les normaliens dans les rangs des zouaves pontificaux que parmi les trappistes, et c’est là cependant qu’à Mentana et à Patay on eût trouvé notre ancien camarade Doussot, dominicain, aumônier de la petite armée. Ame éprise de solitude et d’idéal, il n’a quitté sa retraite silencieuse et recueillie que pour le tumulte des champs de bataille. A Patay, le drapeau des zouaves a passé des mains du sergent de Verthamon blessé mortellement dans celles du caporal de Cazenove, puis des deux Bouillé, père et fils, puis du sergent Le Parmentier, qui tous l’ont rougi de leur sang. Doussot reçoit à son tour la précieuse relique, trouée de balles, et la rapporte, serrée sur sa poitrine, ralliant à travers le champ de carnage ceux des blessés qui peuvent encore se relever1.
4Voici maintenant Cambier, oratorien puis missionnaire, qui fait naufrage clans les mers de Chine ; le feu a pris au navire qui le portait ; ses livres, ses collections, ses manuscrits, sa bourse se sont abîmés dans les flots. Une frôle embarcation l’a recueilli avec les trente hommes de l’équipage ; huit longues journées, sous un ciel enflammé, il faudra supporter la faim, la soif, les brutalités des matelots, la grossière ineptie du capitaine. Enfin l’on touche terre. Mais de nouvelles épreuves fondent aussitôt sur le pauvre missionnaire, et, lorsque après quatre ans il voit le succès lui sourire, il tombe malade et meurt. Mort calme et grande, sur laquelle s’étend je ne sais quel reflet du martyre ! Il est là, agonisant, au fond d’une barque qui glisse rapide sur les eaux débordées ou bondit de cascades en cascades ; il répond aux prières que récite près de lui l’abbé Gennevoise, son compagnon ; il exhorte les quatre chrétiens qui l’entourent ; il indique lui-même le lieu de sa sépulture, puis il expire, après avoir jeté vers Celui qu’il a servi jusqu’à la mort le suprême appel : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum ! A peine peut-on défendre son corps contre les indigènes païens qui croient leur barque à jamais maudite. Ce vaillant chrétien avait gardé le goût des bonnes lettres ; il lui arriva, sur les routes du Su-Tchuen, de traduire en vers français tel chapitre de l’Imitation, ou de célébrer en excellents vers latins les souvenirs toujours vivants de son premier voyage à Rome2.
5Serait-ce un vain rapprochement que celui qui s’impose en ce moment à mon esprit entre la mort du normalien Cambier et celle du normalien Olivaint ? Non, car le martyre que l’un a cherché et entrevu en Chine, l’autre l’a trouvé à Paris, en 1871, dans la fureur de nos guerres civiles. Mais je ne voudrais pas laisser croire qu’une fin tragique est réservée à toutes les vocations normaliennes, ni même qu’elles présentent pour la plupart le caractère un peu extraordinaire des premières que j’aie voulu signaler, et j’ai hâte d’en venir à celles qui sont chez nous les plus communes : la science, l’enseignement, l’éducation, s’associant à la vie ecclésiastique. Sur vingt-sept élèves de l’École entrés dans les Ordres, vingt sont demeurés, à des titres divers, éducateurs ou professeurs ; neuf ont su joindre au labeur professionnel des travaux scientifiques ou littéraires de quelque importance.
1813
6La promotion de 1813 nous fournit à elle seule quatre exemples, dont l’un n’est pas sans éclat, de ce genre plus ordinaire de nos vocations. Bautain, Bouchitté, Johanet et Pinault ont tous été des maîtres de la jeunesse ; trois d’entre eux ont écrit ; le premier, par sa parole et par ses œuvres, a conquis la célébrité et, sans s’élever aux plus hauts sommets, s’est placé néanmoins au nombre des hommes rares qui exercent une action sur la pensée de leurs contemporains.
71813, 1814, 1815, quelles années pour des jeunes gens qui appartenaient à l’élite intellectuelle de leur génération et à qui il était donné de les passer dans un des asiles, si peu nombreux alors, qui fussent réservés à la pensée ! Deux fois l’Europe perdue par nos armées, la France envahie, le trône renversé, la monarchie restaurée ! Tant de révolutions, tant de désastres ! n’y avait-il point de quoi faire entrevoir aux normaliens de ces temps troublés « ce rien de toutes choses », thème habituel des réflexions de l’un d’entre eux, M. Pinault ? Non, ce n’est pas le hasard qui a conduit au sanctuaire quatre des élèves de 1813, alors que tant d’autres promotions ne comptent pas un seul prêtre.
8Jusqu’à la fin de 1813, l’École normale, établie dans les combles du lycée Louis-le-Grand et du vieux collège du Plessis, n’avait pas d’autre service religieux que celui du lycée. Au commencement de 1814, installée dans l’ancien séminaire du Saint-Esprit, elle eut aussi sa chapelle : « Qui de nous, écrivait en 1862 M. Dubois, ne se la rappelle avec son inscription du dehors transparente encore sous la chaux : Le peuple français reconnaît l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. L’Empire tombé, M. de Fontanes, ému des accusations qu’avait lancées Chateaubriand, « son foudroyant ami3 », contre l’Université, songea à faire de l’inauguration rétrospective de celte chapelle une solennité d’apparat. Il appela à la célébrer dans la chaire M. de Frayssinous, depuis plus de dix ans condamné au silence, et le brillant orateur parut à l’École entouré de tout le séminaire Saint-Sulpice. La pompe fut magnifique. Le dimanche suivant, le service allait paraître bien pauvre avec l’aumônier solitaire. Or voici qu’au grand étonnement des élèves, l’un d’eux, Bouchitté, apparut, dans toute la rigueur du costume, à la droite du célébrant, tandis qu’un autre normalien se tenait à sa gauche. La même scène se renouvela souvent. C’était une vocation qui se dessinait : Bouchitté, qui avait fait à l’École l’office de diacre, entré en 1823 dans la carrière ecclésiastique, promu au diaconat en 1824, devait rester diacre toute sa vie. Quels scrupules le saisirent au moment où il allait franchir le dernier degré ? Les luttes renouvelées de l’ultramontanisme et du gallicanisme, la mise en scène excessive de quelques missions militaires, peut-être même, du moins on l’a dit, certaines difficultés de nature philosophique, jetèrent le trouble dans sa conscience : il s’arrêta et pour toujours. Revenu à l’Université, professeur, inspecteur, puis recteur, Bouchitté, dans l’austère dignité de sa vie, resta constamment fidèle aux serments qu’il avait prêtés à l’Église. Ses travaux élevés sur l’Histoire des preuves de l’existence de Dieu, sur la Persistance de la personnalité après la mort, sur Saint Anselme ou le Rationalisme chrétien à la fin du xie siècle, témoignent de son dévouement à la science et au spiritualisme chrétien4.
9Le 14 février 1820, au lendemain de l’assassinat du duc de Berry, deux jeunes gens qui s’étaient séparés la veille, laissant inachevée la préparation commune d’une thèse de droit, se rencontraient dans une modeste chambre du quartier Latin pour se faire l’un à l’autre la même confidence. Sous le coup du tragique événement qui renouvelait les inquiétudes des esprits sérieux au sujet de l’avenir politique réservé à la France, tous deux, persuadés que la religion seule sauverait la patrie, avaient spontanément promis de se consacrer au service de Dieu. L’un de ces étudiants était Alexandre Johanet, depuis cinq ans sorti de l’École normale. Fidèle aux croyances qu’il avait reçues au foyer paternel et fortifiées au petit séminaire d’Orléans, Johanet, entre les soixante-douze Normaliens présents à l’École en 1814, avait été l’un des neuf qui firent leurs pâques. Affiliée la Congrégation, pénitent d’un pieux sulpicien, M. Boyer, qui l’aidait à observer un règlement de vie fort rigoureux, auditeur assidu des Frayssinous, des Borderies, des Mac-Carthy, il s’était, peu à peu et presque à son insu, acheminé vers la vocation que le poignard de Louvel lui avait révélée. Il entra donc au séminaire de Saint-Sulpice, où se trouvaient déjà le prince de Rohan, Blanquart de Bailleul, Dupanloup, de Ravignan, et où allait bientôt arriver, sous le patronage même de Johanet, celui qui devait être le père Lacordaire. En 1823, Johanet n’était encore que sous-diacre lorsqu’il fut nommé chanoine et choisi comme secrétaire par Mgr de Beauregard, nouvel évêque d’Orléans. L’année suivante, il était attaché comme professeur de morale au grand séminaire de cette ville. C est là qu’il devait passer le reste de sa vie, un demi-siècle, dans les travaux modestes mais importants qui incombent aux directeurs des grands séminaires. Après avoir refusé l’épiscopat, il se fit agréger à la Société de Saint-Sulpice, replacée en 1829 à la tête du séminaire d’Orléans, et pratiqua toutes les vertus sacerdotales dont celte vénérable compagnie a gardé la tradition. D’un esprit attique et volontiers plaisant, il contait à merveille ; fort aimé des jeunes gens, il les gouvernait par le cœur ; très généreux, il donnait aux pauvres tout ce qu’il possédait, et c’est en accomplissant un acte de charité qu’il contracta le germe de la cruelle maladie dont il mourut, en huit jours, au mois de février 18735.
10L’École normale n’a donné que deux prêtres à Saint-Sulpice et tous deux appartiennent à la promotion de 1813 : avec Alexandre Johanet, son camarade Alexis Pinault, un savant, un original et un saint. « Je n’ai que deux élèves, disait quelquefois Ampère, Pinault et Savart. » Professeur de mathématiques spéciales, maître de conférences à l’École normale, Pinault devait collaborer aux belles recherches de Savart sur l’acoustique. Mais bientôt l’administration l’attira : il fut successivement censeur du collège royal de Limoges, et, quand il eut reçu le sacerdoce, proviseur du collège de Reims. Il paraît que la gent écolière, à la vue de ce nouveau venu, petit, contrefait, d’une figure plus qu’austère, ne demandait qu’à s’égayer ; mais la main était rude, la parole énergique, la menace toujours suivie d’effet ; maîtres et élèves apprenaient vite à leurs dépens que, si M. Pinault était dur envers lui-même, il ne se croyait pas tenu à de grands ménagements envers les transgresseurs du devoir. Le plus bel avenir universitaire attendait M. Pinault lorsqu’en 1824 il avait pris la résolution d’entrer au séminaire ; proviseur d’un grand collège, il ne craignit pas d’interrompre une seconde fois sa carrière pour se consacrer, humble vicaire, au soulagement des malheureux d’une des plus pauvres paroisses de Paris, Saint-Étienne-du-Mont. Ce ne fut pourtant qu’en 1829 qu’il trouva sa voie définitive en se faisant sulpicien. Quarante années durant, il allait être, par ses vertus et par son esprit, l’âme du séminaire d’Issy. Travailleur infatigable, il dota la science d’un Traité élémentaire de physique, simple cahier de professeur, disait-il dans sa modestie, œuvre supérieure en réalité, où les questions de hautes mathématiques et les théories les plus élevées étaient abordées avec une rare compétence. Sans une certaine dédicace à la sainte Vierge que l’auteur ne voulut jamais supprimer, ce livre était pris pour manuel à l’École polytechnique. « Mais faites donc un grand traité de physique et de mathématiques ! disait un jour à M. Pinault l’un de ses confrères. Le bon Dieu vous aurait-il fait acquérir les connaissances que vous avez pour les laisser enfouies ? Par ce travail, vous montreriez que l’Église n’est pas ennemie des sciences et que le clergé ne les néglige pas. — Ah ! répondit-il, si on me l’ordonnait, j’obéirais. Mais rappelez-vous qu’un acte d’amour de Dieu vaut mieux et fait plus pour l’Église que toutes les sciences de la terre. » Cette parole explique la vie de M. Pinault. Du jour où il était venu à Saint-Sulpice, il n’avait plus voulu vivre que pour Dieu. « J’en reviens toujours à mon rabâchage, répétait-il souvent, à mon rien de toutes choses. Si on a une passion, quelle qu’elle soit, fût-elle légitime comme celle de l’étude, si ce n’est la passion de Dieu, on n’arrive jamais à la sainteté. » L’obéissance seule avait pu le déterminer à reprendre au profit des séminaristes l’enseignement qu’il avait donné jadis aux élèves de l’Université. « Je croyais, disait-il encore, n’y plus revenir jamais et j’y ai été enfoncé à mon corps défendant. Qu’y a-t-il en effet qui me puisse attacher quand j’apprends que les trois angles d’un triangle valent deux droits ? Qu’est-ce que cela dit à l’intelligence ? A quoi cela m’avance-t-il ?... Mais quand on me dit qu’il est venu un homme sur la terre et que cet homme est Dieu, ah bon ! c’est autre chose. Cet homme est Dieu ? Voyons-le ; et après voyons ce qui s’ensuit. Voilà qui en vaut la peine. » Par un tour habilement donné à la conversation, il ramenait toujours les esprits aux choses qui l’occupaient lui-même uniquement : « Quelquefois on m’aborde et on me dit : Bonjour, père Pinault ! il fait bien chaud aujourd’hui ! A cela je n’ai rien à répondre ; qu’est-ce que cela me fait ?... Alors j’en viens à un sujet sensé, et je réponds à mon tour en disant : Quels beaux enseignements dans la parabole de l’enfant prodigue ! je la lisais ce matin.... » Cette originalité d’expressions, cette pointe de paradoxe, ce sans-façon, ce franc parler qui n’était pas rare chez les sulpiciens d’autrefois, jusqu’à certaines excentricités, attiraient et retenaient les séminaristes autour de M. Pinault ; c’était à qui soutiendrait de son bras les pas chancelants du vieillard, ou pousserait à travers les allées du parc la petite voiture où ses infirmités l’avaient relégué. Il supportait avec un admirable courage les pires souffrances et n’y trouvait pas un motif pour se dispenser des exercices de règle. Mais depuis longtemps il se plaignait, avec une aimable impatience, que « la mort l’eût oublié dans sa tournée ». En juin 1866, Mgr Darboy, visitant le séminaire, félicitait M. Pinault de la conservation de ses forces : « Ah ! monseigneur, lui répondit celui-ci, il y a soixante-treize ans que je fais antichambre, je trouve le temps bien long ; aussi quand le Père éternel voudra de moi, il peut me prendre ; je suis prêt. — Tout le monde n’est pas de votre avis, répliqua l’archevêque, et il y en a, je vous assure, qui consentiraient à faire antichambre plus longtemps encore. » Le 14 mars 1870, le « Père éternel » rappelait à lui son serviteur M. Pinault ; quatorze mois après, l’archevêque, tombé sous les balles des insurgés parisiens, cessait à son tour « de faire antichambre6 ».
11Bien différente des figures que nous avons jusqu’à présent esquissées est celle de l’abbé Bautain. Élève de Villemain au lycée Charlemagne, de Royer- Collard et de Cousin à l’École normale, intime ami de Jouffroy et de Damiron, ses camarades, il se révéla du premier coup leur émule. A peine parut-il dans la chaire de philosophie du Collège royal et bientôt de l’Académie de Stras bourg, qu’il fut ce qu’il resta jusqu’au terme de sa carrière, un brillant, disons même un grand professeur. Ses débuts furent éclatants ; on se pressait autour de la chaire du jeune maître. Une parole incisive et spirituelle, pleine de feu et d’entrain, une voix vibrante, instrument exquis dont il savait jouer en artiste pour rendre tous les accents de l’âme, des traits fins et distingués dignes d’être gravés en médaille, un regard perçant, une physionomie résolue, quelque chose à la fois d’imposant et d’attirant, tout cela au service d’un esprit élevé, nourri d’excellentes études, en fallait-il davantage pour séduire un auditoire et le maîtriser ? La jeunesse de Strasbourg était conquise ; jamais les officiers de la garnison ne montrèrent un goût plus vif pour la philosophie. Mais aussi de telles leçons étaient de vraies batailles et dans celle lutte ardente où il poursuivait tout ensemble — lui-même en a fait l’aveu — la gloire et la vérité, Bautain usait rapidement ses forces ; deux ans ne s’étaient point écoulés, que, frappé en pleine chaire, « il tombait enseveli dans ce que le monde appelait son triomphe7 ». Humilié, désespéré, parce qu’il était réduit à l’impuissance, il ne se sentait plus le courage de vivre ; déjà il tournait ses regards vers la plus désolante des délivrances, lorsqu’il fut sauvé par la grande et noble femme dont le nom se retrouve à l’origine de quelques-unes des plus belles vocations de ce siècle, Mlle Humann. Elle lui apprit à connaître le Dieu des chrétiens ; elle le lui fit aimer ; la foi venait de naître dans l’âme malade et troublée de l’orgueilleux philosophe ; une parole du cœur l’y avait appelée ; Bautain ne devait plus témoigner que défiance à l’égard de cette raison qui ne l’avait tiré ni de l’erreur, ni du chagrin. Les entretiens qu’il avait eus avec les représentants les plus illustres de la philosophie allemande lui revinrent à l’esprit ; les preuves purement rationnelles de la vérité lui parurent sans valeur ; il inclina dès lors vers cette doctrine que l’Église devait condamner vingt ans plus tard sous le nom de traditionalisme.
12Le cours de métaphysique qu’il professa en 1821-1822 — M. Bautain était remonté dans sa chaire à la fin de 1820 — dénotait déjà l’évolution de sa pensée et provoquait, à côté d’admirations enthousiastes, d’ardentes contradictions. L’année scolaire ne s’acheva pas sans que l’inspecteur général, Budan de Saint-Laurent, eût infligé au professeur un blâme public, prélude de mesures plus rigoureuses qui ne tardèrent pas à le frapper ; M. Bautain se vit destitué de sa chaire au Collège royal et contraint par ordre supérieur de suspendre son cours à la Faculté. Il enlevait, disait-on, toute base à la croyance religieuse, puisqu’il niait que la raison pût atteindre la certitude.
13L’administration universitaire avait voulu miner l’influence de M. Bautain sur la jeunesse ; la jeunesse alla chercher M. Bautain dans la retraite où il s’était enfermé, et le transforma en chef d’école. Alors vinrent à lui les Carl, les Ratisbonne, les Goschler, les Level, un peu plus tard, les de Régny, les de Reinach, les Gratry, les Mertian, les Bonnechose. Pendant six années, sous l’active et féconde présidence de Mlle Humann, leur mère spirituelle, ces jeunes hommes, pour la plupart riches, distingués, remplis d’esprit et d’instruction, formèrent une famille philosophique où tout était commun, les idées, les sentiments, la demeure, la bourse, le genre de vie, tout, jusqu’au costume modelé sur celui du maître8.
14Quel était le secret de cet ascendant prodigieux, de cette action singulière et pénétrante exercée par Bautain sur ces âmes généreuses et altérées de vérité, quelques-uns de ceux-là même qui l’ont subie paraissent avoir cessé de le comprendre dans les dernières années de leur vie. Les épreuves, les déceptions, les luttes incessantes d’une existence contrariée dans tous ses projets, avaient fini par donner à M. Bautain cotte apparence froide, un peu dure, quelquefois hautaine, qui choquait si fort Montalembert et détournait même le cours d’anciennes sympathies ; jeune, dans toute la ferveur d’une conversion récente, contenu par la discrète influence de Mlle Humann, Bautain était plus simple, plus ardent, plus communicatif : « Nous reçûmes avec délices, écrit l’un de ses disciples, — et tous alors s’exprimaient de même, — la parole simple et vivante qui jaillissait avec abondance du cœur de notre maître ; c’était une véritable initiation aux mystères de l’homme et de la nature9 ».
15Cependant la transformation commencée dès 1819 dans l’âme de l’ancien Normalien se poursuivait graduellement, et peu à peu l’idée du sacerdoce germait en lui : « Tu dois rester, — c’est lui-même qui parle, — me disait la voix intérieure, un instrument, un héraut de la vérité parmi les hommes, et puisque la grâce t’a été donnée de la trouver dans l’Evangile et dans l’Église qui l’enseignera jusqu’à la fin des temps, de professeur que tu étais lu deviendras prédicateur ; ministre de la science, tu deviendras ministre de Jésus-Christ ».
16Beaucoup d’amis avaient prédit à M. Bautain les peines qui l’attendaient dans l’Église, étant ce qu’il était ; rien ne put ébranler sa résolution une fois prise. En août 1828, il se rendait au séminaire de Molsheim, où plusieurs de ses disciples ne tardaient pas à le rejoindre ; dès la fin de décembre, il était ordonné prêtre par Mgr Le Pappe de Trévern. L’abbé Gratry assista à la première prédication du nouveau prêtre dans la petite église de Saint-Pierre le Jeune : « Je n’ai jamais vu, écrivait-il quarante ans plus tard, d’auditoire écoutant ainsi ; jamais pareille émotion religieuse ; jamais tant de larmes de joie, d’espérance, d’adoration. C’était incomparable10. »
17Par quelle œuvre M. Bautain élevé au sacerdoce allait-il donc servir l’Église ? Au fond il n’hésitait guère : « Le plus grand mal de notre siècle, disait-il dans l’opuscule intitulé : De l’enseignement de la philosophie en France au xixe siècle, c’est que la foi religieuse lui manque et elle lui manque parce qu’on a séparé la foi de la science, parce qu’on les a déclarées incompatibles, sinon contraires. C’est la science qu’il veut ; c’est donc par la science qu’il faut lui parler. » La réconciliation de la science et de la foi, l’apostolat par l’enseignement, le relèvement des études dans l’Église, telle était la tâche à laquelle M. Bautain entendait désormais consacrer sa vie, et certes elle était digne d’un prêtre normalien.
18La petite école qu’il avait groupée autour de lui et qui, à peine formée, avait exercé son activité sur toutes les parties du savoir humain, devait être pour lui le plus admirable instrument11. Tous ceux qui la composaient s’étaient convertis à la foi chrétienne ; tous avaient été admis aux saints Ordres ; la Société des Prêtres de Saint-Louis était fondée12. L’évêque de Strasbourg lui confiait la direction de son petit séminaire ; elle y introduisait, avec de nouvelles méthodes, les plus heureuses réformes. Appelé à Besançon par le cardinal de Rohan, l’abbé Goschler, de son côté, tentait de les faire prévaloir au moins dans l’enseignement de la philosophie. Une École de hautes études ecclésiastiques s’ouvrait à Molsheim, et déjà les plus éclairés parmi les évêques encourageaient M. Bautain à entreprendre quelque chose de plus.
19Ces vues nouvelles et hardies, ces projets, ce succès rapide et sans égal de prêtres étrangers à la formation commune, n’allaient pas sans heurter certaines traditions, sans effaroucher l’esprit de routine, et même sans exaspérer bien des jalousies. Une erreur doctrinale, ou, pour mieux dire, une tendance doctrinale dangereuse, habilement exploitée par des rancunes personnelles, servit à perdre l’abbé Bautain dans l’esprit de celui qui avait été son protecteur déclaré, Mgr Le Pappe de Trévern. Depuis 1824, M. Bautain avait repris son enseignement à la Faculté des lettres13 ; la vivacité même d’une foi nouvellement retrouvée n’avait pu qu’exagérer en lui les tendances fidéistes que, dès 1820, on lui avait justement reprochées. Le jour vint où l’évêque de Strasbourg crut devoir défendre les droits de la raison ; le la septembre 1834, il condamna la doctrine du professeur de la Faculté ; trois semaines plus tard, il lui enlevait ainsi qu’à ses confrères la direction du petit séminaire de Saint-Louis ; bientôt il leur retirait jusqu’aux pouvoirs de confesser et de prêcher.
20Le philosophe, il faut en convenir, ne se montrait guère disposé à adhérer sans discussion aux propositions que Mgr Le Pappe de Trévern entendait lui faire admettre. Ce fut en vain qu’à Rome, M. Bautain, accueilli avec tout l’honneur que méritaient ses talents et ses vertus, se soumit d’avance aux décisions du Saint-Siège et demanda spontanément l’examen de sa Philosophie du christianisme ; l’évêque de Strasbourg, l’un des prélats les plus gallicans de France, ne désarma pas. En 1840 seulement, la signature des six propositions relatives aux rapports de la raison et de la révélation réconcilia l’abbé Bautain et ses disciples avec le chef d’un diocèse qu’ils avaient résolu de quitter14.
21Sans doute, après le coup qui l’avait frappé en 1854, M. Bautain avait fondé deux écoles libres, l’une primaire et l’autre secondaire, qu’il dirigeait avec ses confrères ; il était devenu, en 1858, doyen de la Faculté des lettres et, en 1859, membre du Conseil académique. Cependant, à Strasbourg, il se sentait désormais mal à l’aise ; d’ailleurs le désir d’assurer l’avenir de sa petite société religieuse faisait depuis longtemps désirer au fondateur la propriété d’un collège libre de plein exercice où elle fût bien chez elle et, s’il était possible, à proximité de Paris. MM. de Scorbiac et de Salinis étaient précisément alors disposés à vendre la célèbre maison de Juilly qu’ils avaient eux-mêmes reçue, en 1828, des derniers survivants de l’ancien Oratoire. La Société de Saint-Louis en prit possession au mois de mai 1841.
22A Juilly, l’abbé Bautain ne perdit pas de vue ce qui avait été de tout temps son idée favorite : l’organisation d’une école supérieure ecclésiastique. De jeunes prêtres vinrent y achever leurs études classiques, y conquérir leurs grades, s’y préparer en un mot à tenir dignement dans leurs diocèses les chaires de professeur qui leur étaient destinées. C’était, on le voit, la pensée qui devait présider, si peu d’années après, en 1845, à la création de l’École des Carmes. En même temps, d’accord avec le gouvernement pontifical, appuyé par un très grand nombre d’évêques, M. Bautain poursuivait à Rome, où il avait envoyé l’abbé de Bonnechose avec un essaim de la jeune congrégation, l’utile projet de transformer Saint-Louis-des-Français en une maison de hautes études théologiques15.
23Comment tous ces desseins, première ébauche de ceux qu’allait bientôt chercher à accomplir l’Oratoire renaissant, ont-ils successivement échoué, entraînant dans leur ruine la petite société religieuse dont nous avons vu les débuts si pleins d’élan ? Il ne nous appartient pas de le dire ici, et d’ailleurs l’heure n’est pas venue d’établir ou de divulguer les responsabilités de chacun. Peut-être a-t-il manqué à M. Bautain ce parfait oubli de lui-même, cette extrême abnégation, cette accueillante charité, cette profonde humilité, ces héroïques vertus, que l’histoire de l’Église nous montre à l’origine de toutes les grandes fondations chrétiennes. Comme le P. Gratry, en face d’épreuves analogues, il aurait vraisemblablement imputé à ses propres fautes l’avortement d’entreprises qui étaient bonnes en elles-mêmes ; mais il aurait eu le droit d’ajouter, lui aussi, que les hommes sont souvent paralysés par autrui dans ce qu’ils veulent de meilleur. M. Bautain porta toute sa vie le poids d’une erreur excusable et sincèrement rétractée. Il fut victime de ces esprits étroits et jaloux dont la plus grande joie est de découvrir partout l’hérésie et d’éteindre autour d’eux les flambeaux qui brillent. Dans son propre entourage, des intérêts personnels prirent, à une heure donnée, le pas sur le bien de l’œuvre commune. Enfin la défaite n’est-elle pas l’inévitable partage de ceux qui se heurtent les premiers à des préjugés depuis longtemps établis ? Leurs idées triomphent, mais eux-mêmes sont vaincus.
24M. Bautain souffrit beaucoup, il est superflu de le dire, du résultat négatif de si longs efforts et de tant de belles espérances. Mais, au témoignage d’un prêtre distingué qui lui resta fidèle jusqu’au bout, « il se soumit à l’insuccès de sa vie entière avec une douce résignation, priant beaucoup, parlant peu et remplissant avec sérénité les devoirs de chaque jour16 ». Il vécut encore dix-huit années, qu’il employa avec un courage soutenu au service de l’enseignement chrétien. Vicaire général de Paris, il prit l’initiative de presque toutes les mesures qui tendirent au relèvement de la science ecclésiastique, et présida notamment à l’institution du Chapitre de Sainte-Geneviève. A partir de 1853, professeur de théologie morale à la Sorbonne, il retrouva devant un auditoire, auquel il fallut plus d’une fois ouvrir le grand amphithéâtre, les succès de sa jeunesse : « Bautain est notre maître à tous ! » disait de lui Géruzez. Il était doué d’une puissance de travail telle, que ces deux fonctions, qui eussent absorbé l’activité de tout autre, ne l’empêchaient pas de consacrer un tiers de son temps au collège de Juilly et à la communauté des Dames de Saint-Louis établie par lui dans le même village ; il prêchait souvent et il écrivait. Plusieurs de ses ouvrages les plus connus, l’Art de parler en public, la Belle Saison à la campagne, la Philosophie des Lois au point de vue chrétien, la Chrétienne de nos jours, datent de cette dernière période de la vie de M. Bautain. « Plusieurs personnes qui nous ont entendu avec plaisir n’auront peut-être pas le courage de nous lire », disait-il lui-même dans la préface d’un de ses livres. Et, de fait, ce professeur éloquent à force de lucidité, d’esprit et de vie, est un écrivain assez froid. On l’a lu cependant, car toutes ses œuvres ont eu plusieurs éditions17.
25Par ses écrits, comme par son enseignement et par ses fondations, M. Bautain tenait donc une grande place dans l’Église de France. On le vit bien lorsqu’il disparut presque subitement en 1867. Ses adversaires même ne purent s’empêcher d’admirer « ce rare et imposant ensemble de talents variés dont un seul aurait suffi pour distinguer un homme », et reconnurent, avec ses amis, que M. Bautain avait non seulement bien servi l’Église, « mais encore grandement honoré son pays et son temps par sa haute intelligence, son noble caractère et ses glorieux travaux18 ».
1835-1840
26De 1813 à 1835 nous ne relevons, parmi les anciens normaliens, qu’une seule vocation sacerdotale, celle de M. RARA, de la promotion de 1818. Agrégé des lettres et professeur au collège royal de Douai, il partit un jour pour Saint-Sulpice, y passa le temps voulu pour gravir les degrés de la hiérarchie sacrée, puis remonta tranquillement dans la chaire de troisième qu’il avait quittée. Une exquise bonté, une simplicité antique, de grandes vertus pratiquées sans ostentation durant de longues années, valurent à M. Rara la vénération de la ville de Douai. Déjà fort âgé, il donna, en deux bons ouvrages, Révélation et Philosophie, Raison et Révélation, les résultats d’un demi-siècle de sages réflexions et de patientes recherches.
27De 1835 à 1840, au contraire, naîtront neuf vocations dont la majeure partie (cinq et même six un moment) se tournera vers la Compagnie de Jésus. Parmi nous, en effet, les vocations ecclésiastiques présentent ce caractère singulier qu’elles appartiennent à un très petit nombre de promotions, loin de se répartir également sur toutes ; elles se groupent en quatre séries : 1813, 1835-1840, 1845-1848, 1851-185919. Sans doute, l’appel divin se fait entendre à chacun d’une façon différente, et, dans toutes les âmes, la vocation a une histoire intime, attachante le plus souvent, qu’il n’est pas toujours possible aux témoins du dehors de connaître et de reconstituer. Mais il est aussi certaines influences générales, contre-coup des événements, action personnelle des hommes, qui s’exercent sur tous et produisent à une heure donnée chez un grand nombre des résolutions identiques. Nous avons constaté dans l’esprit des normaliens de 1813 la trace des catastrophes politiques dont ils avaient été les témoins éclairés et émus ; les perturbations sociales de 1848, la parole ardente et féconde du P. Gratry, ne furent assurément pas étrangères au don que plusieurs normaliens de ce temps firent d’eux-mêmes à Dieu. Ces vocations fleurirent à leur date, sous l’empire de circonstances différentes, mais la religieuse semence dont elles devaient sortir un peu plus tôt, un peu plus tard, avait été déposée chez presque tous au même moment. De 1835 à 1840 il ne se produisit aucun de ces événements politiques qui bouleversent les âmes jusqu’au fond ; mais, en 1835, le P. Lacordaire jeta du haut de la chaire de Notre-Dame le grand appel que tant d’esprits désorientés, que tant de cœurs troublés entendirent ; en 1837, le père de Ravignan tourna décidément vers la vie chrétienne ceux que Lacordaire avait ébranlés ; enfin, aux apôtres du dehors répondit, au dedans de l’École, une âme apostolique, celle de Pierre Olivaint. Il fut l’instigateur d’un mouvement religieux qui vaut la peine d’être conté20.
28Olivaint n’était pas chrétien lorsqu’il entra à l’École en 1836, mais il était apôtre. Michelet fut sa première divinité ; Buchez fut la seconde. Toutefois le mysticisme démocratique de l’un et les utopies néo-chrétiennes de l’autre ne devaient être pour le jeune Normalien que de courtes étapes vers le vrai christianisme. Lacordaire le lui révéla dans toute sa splendeur ; Olivaint sentit, son âme frémir sous la parole du grand orateur ; « la première étincelle qui ralluma sa foi, ce fut l’éclair qui jaillit de cet homme21 ». Mais l’auteur de sa conversion totale et définitive fut le P. de Ravignan qui, suivant l’originale expression d’Augustin Cochin, le conduisit au Credo par le Confiteor.
29« Olivaint, a dit un de ses plus vieux amis, comme un boulet, allait toujours jusqu’au fond des conséquences. » Incapable de rien faire à demi, dès qu’il fut croyant, il voulut être saint. Son zèle ne connut plus de bornes ; il l’exerça parmi ses camarades sous la forme du prosélytisme et parmi les pauvres du quartier Mouffetard sous la forme de la charité.
30En même temps que lui, avaient été reçus à l’École Félix Pitard et Charles Verdière, bientôt ses inséparables amis, les compagnons de son apostolat, et plus tard de sa vie religieuse. Ame douce et naturellement timide, Pitard alliait aux qualités du cœur les plus attirantes les dons les plus brillants de l’intelligence ; il venait de remporter au concours de 1855 le prix d’honneur et le premier prix de vers latins. Charles Verdière, son émule, cinq fois couronné au concours général, lui était uni par la plus tendre amitié. Tous deux partageaient l’enthousiasme d’Olivaint pour les conférences de Notre-Dame et subissaient comme lui ce travail intérieur qui, dans le courant de 1857, les mena les uns et les autres aux pieds du P. de Ravignan.
31Au nombre de leurs camarades plus jeunes, ils ne tardèrent pas à distinguer J. Chartier, de la section des sciences, qui, fervent catholique, devait les suivre sous l’étendard de saint Ignace et conquérir par sa Démonstration de la Religion et ses Eléments philosophiques une place honorable parmi les apologistes de notre temps. Un de leurs aînés, Adrien Déroulède-Dupré, venait de quitter l’École après un séjour de dix mois pour se faire prêtre ; il succombera vingt-trois ans plus tard, aumônier du lycée d’Angoulême, aux pénibles labeurs de son dévouement. Lui aussi avait commencé dès l’École son métier d’apôtre et il avait légué à ceux de ses successeurs qui partageaient sa foi l’œuvre vainement tentée par lui de la conversion de son camarade Charles Hernscheim.
32Charles Hernscheim ! avec Olivaint, le nom le plus sympathique peut-être de toute cette pléiade de convertis ! Le Dominicain à côté du Jésuite ! Fils d’Israélites alsaciens, ruinés par de mauvaises affaires, adopté par une institution qui escomptait les succès de sa précoce intelligence, conduit au baptême par le zèle hypocrite de ses maîtres, il avait pris en dégoût une religion qui lui avait été montrée sous un si triste jour. « Condamné à remporter des couronnes », il n’avait développé en lui que les qualités de l’esprit et n’avait pas tardé à devenir le plus impitoyable des railleurs, comme à se croire le plus hardi des sceptiques. A l’École, sa verve s’exerçait indifféremment sur la philosophie de M. Cousin et sur les croyances naissantes de ses camarades catholiques, « la bande des niais ». Et pourtant, qui l’aurait cru, ce railleur et ce sceptique était à la veille « d’embrasser la folie de la croix et les anéantissements du cloître22 ». Mortellement brouillé avec M. Cousin, qui s’était senti atteint par les sarcasmes du jeune philosophe, envoyé au lycée de Pontivy, il tomba si gravement malade à Rennes, qu’on le recueillit par pitié à l’infirmerie du lycée. « Rendu à la vie contre toute espérance, Hernscheim était chrétien quand il reprit ses sens23. » A Paris, les entretiens des catholiques de l’École achevèrent la transformation que la mort, vue de tout près, avait commencée en lui ; bientôt des actes décisifs firent pressentir qu’Hernscheim n’appartiendrait pas longtemps au monde.
33La philosophie pourtant lui tenait toujours au cœur. Veuillot l’entendit un jour faire une conférence sur la monade de Leibniz (c’était le sujet de sa thèse). « Vous avez bien parlé, lui dit-il, mais à quoi bon ? — C’est précisément, répondit Hernscheim, ce que je me demandais en parlant, et néanmoins, au moment de commencer, je croyais encore que j’allais vous dire des choses utiles. Cette philosophie n’est qu’un jeu d’esprit bon pour divertir un petit nombre d’initiés. En vous exposant ce système, j’en voyais deux ou trois autres à bâtir, tout contraires et tout aussi bons. Jamais on ne tirera de là une prière, un gémissement vers Dieu, encore moins la conversion d’un peuple, qui est le résultat où il faut tendre. Mais si mon discours a été du temps perdu pour vous, il ne l’a pas été pour moi. Dieu a béni mon intention. A partir de ce moment, je m’attache au solide24. »
34Quelques années après, vêtu de la robe de saint Dominique, Hernscheim, du haut des chaires de Nancy et de Paris, distribuait au peuple chrétien la doctrine évangélique avec une force et une onction admirables. Veuillot l’écoutait perdu dans la foule, y coudoyant peut-être quelqu’un de ces normaliens qu’il a si vivement maltraités.
351847 n’était pas achevé qu’une dernière entrevue rapprochait d’Hernscheim Louis Veuillot, puis Charles Verdière et l’un de ses camarades, Lacroix. Verdière venait de terminer son noviciat chez les Pères Jésuites ; il passait par Nancy : « Profitant de l’heure laissée pour le repas aux voyageurs de la diligence, raconte-t-il dans une de ses lettres, je courus à la rue Sainte-Anne pour y voir le P. Hernscheim, ne me doutant pas que je le trouverais malade et mourant. On me fit monter près du lit où il gisait, vêtu de sa grande robe blanche, la barbe longue et une croix blanche près de lui » (plus blanc que le froc blanc qui l’enveloppait, dira Veuillot) ; « il s’éteignait lentement ; il voulut encore me parler du Ciel ouvert pour lui et y donner rendez-vous à Olivaint, à Pitard, à moi, à tous ses chers camarades d’École, n’oubliant pas ceux dont Dieu attendait encore la conversion : l’un de ceux-là pleurait au pied du lit avec nous ». — « Quoi ! mon Père ! s’était écrié Veuillot. C’est vous ! Déjà !
36— Ah ! répondit Hernscheim en souriant, n’ai-je pas bien fait de me hâter, et de ne point écouter ceux qui me reprochaient de quitter trop tôt la philosophie25 ! »
37« Convertis-moi, je t’en supplie, écrivait à Olivaint l’un de ses amis ; je t’aime et je sens que c’est par ta bouche seule que la vérité peut me venir.
38— Entre amis, répondait Olivaint, tout va du cœur au cœur, et quand la raison apporte ses preuves, c’est par le cœur qu’elle doit les faire passer. » Ces quelques lignes marquent bien la nature de l’action personnelle qu’exerçait le Normalien sur ses camarades. Mais il était impossible que des jeunes gens animés pour le bien d’un zèle aussi ardent ne cherchassent pas à créer quelque œuvre catholique capable de leur survivre. Aussi ne sera-t-on pas surpris de les voir, en juin 1839, s’entendre avec la vénérable sœur Rosalie et fonder, au milieu des paroisses Saint-Médard et Saint-Marcel, ce refuge jusqu’alors inexploré de toutes les misères parisiennes, une Conférence de Saint-Vincent de Paul qui n’a pas cessé depuis lors de jouer un rôle important dans la vie religieuse de l’École. Elle a vu passer dans ses rangs plus de deux cents de nos camarades et a choisi parmi eux deux présidents et plus de vingt secrétaires ou vice-secrétaires. On l’a appelée l’École d’application de la charité ; on peut la dire aussi le berceau des vocations normaliennes, puisque, sur vingt élèves de l’École entrés dans les Ordres depuis 1839, quinze ont appartenu à la Conférence de Saint-Médard. C’est là qu’ils ont appris à unir, comme l’ont fait admirablement les Olivaint, les Perraud, les Thenon, à l’apostolat de l’enseignement l’apostolat de la charité26.
39Cependant Lacordaire avait, par son fameux Mémoire aux catholiques de France, manifesté l’intention de faire refleurir l’ordre des Frères Prêcheurs sur le sol qui l’avait vu naître au xiiie siècle. Olivaint, l’un des premiers, avait résolu de répondre à cet appel ; c’était lui qui avait conduit Hernscheim à Lacordaire ; seules des circonstances plus fortes que sa volonté avaient pu l’empêcher de partir pour Rome dès 1839. Et pourtant, lorsqu’en 1845 il se trouva libre enfin de rejoindre celui qu’il appelait « son père et son maître27 », il se détourna de lui pour se donner à la Compagnie de Jésus. Pourquoi ce revirement dont la conséquence fut d’entraîner vers les Jésuites tant d’autres normaliens à qui la vocation d’Olivaint devait servir de modèle ? Pourquoi ces universitaires ont-ils préféré la traditionnelle rivale de l’Université à d’autres sociétés religieuses, moins opposées, semble-t-il, à l’esprit reçu au lycée ou à l’École ? Sans doute le jeune homme, au moment où il change de vie, se jette volontiers vers l’extrémité opposée à celle qu’il vient de quitter. Après l’extrême indépendance, il a soif de soumission. Grâce à ses nombreux collèges, la Compagnie de Jésus ne permet-elle pas aussi, mieux que toute autre, aux universitaires qui viennent à elle, de tirer parti de leur acquis et de leurs talents ? Mais ces raisons générales ne suffiraient pas à nous expliquer la résolution d’Olivaint et de ses compagnons. Rappelons-nous que le P. de Ravignan était devenu le père spirituel de tous ces jeunes gens, et croyons-les lorsqu’ils nous disent que les attaques dont les Jésuites furent l’objet, en 1844, excitèrent la générosité de leurs âmes vaillantes en faveur des persécutés : « C’était comme un courant d’attraction vers la Compagnie de Jésus, écrit un ami d’Olivaint qui marcha peu après sur sa trace. Et qu’est-ce donc qui s’éveillait en nous ? L’attrait de la persécution dirigée contre elle. » Les lettres intimes d’Olivaint ne laissent pas de doute sur ce point28. Au surplus, ne choisit-il pas pour se rendre au noviciat de Laval la veille même du jour où M. Thiers devait interpeller le ministère sur la question religieuse ? « Il avait l’air fort joyeux, raconte Louis Veuillot, qui le rencontra dans la rue ; je lui demandai où il allait d’un pas si allègre : « Aux Jésuites ! me dit-il. J’hésitais ; je n’hésite plus. M. Thiers m’a indiqué mon chemin ; c’est là qu’il faut aller. J’entre aujourd’hui. » Maintenant il est arrivé, ajoutait l’illustre écrivain en rapportant ce trait le 30 mai 1871.
40Successivement professeur d’histoire à Brugelette, à la maison de la rue des Postes, au Collège de Vaugirard, dont il fut ensuite recteur de 1857 à 1865, Olivaint continua à dépenser chaque jour pendant vingt ans, au profit de la jeunesse catholique, les trésors de l’expérience qu’il avait acquise au lycée de Grenoble et au Collège Bourbon. Il devança sur bien des points les réformes qui ne devaient s’accomplir ailleurs qu’après plusieurs années. « De notre temps, écrivait-il dans un mémoire de tous points excellent, on ne croit plus guère à la philosophie ; mais on croit à l’histoire. » L’enseignement de l’histoire est donc devenu le véhicule par lequel les principes s’insinuent dans l’esprit ; bien compris il peut même être pour les jeunes gens la leçon anticipée de la vie : « L’histoire, disait Olivaint à ses élèves, ajoute en quelque sorte à notre existence les siècles qui ne sont plus. Créature faible et née d’hier, l’homme est cependant si grand que son esprit aspire à embrasser, comme celui de Dieu, tous les temps et tous les êtres. L’avenir, l’immortalité, est devant lui comme une terre à conquérir, mais le passé est notre tributaire, et c’est à lui que nous devons demander les moyens d’assurer notre victoire.... Les grands hommes des temps passés sont pour nous comme des ancêtres dont les âmes généreuses nous parlent et nous aident à bien faire. »
41Recteur du Collège de Vaugirard, Olivaint fut, au témoignage des universitaires les plus illustres, Saint-Marc Girardin, Egger, Patin, Wallon, Saisset, Victor Le Clerc, le défenseur énergique et heureux des humanités. C’est qu’il considérait que, de toutes les études, elles sont encore les meilleures pour former l’homme. Véritable éducateur, il n’avait pas d’autre but29. Mais il n’ignorait pas que, pour l’atteindre, la culture de la volonté et du caractère importent encore plus que celle de l’intelligence, grande vérité qu’il rappelait souvent en termes éloquents à ceux qui lui étaient confiés.
42On le voit, ce n’est pas seulement par l’éclat tragique de ses derniers jours qu’Olivaint tient un rang à part entre tous ceux dont l’École a le droit de s’honorer. Ce qu’il fut en face de la mort attendue, acceptée durant deux longs mois, qui ne le sait encore aujourd’hui ? Le 26 mars 1871, deux mois jour pour jour avant l’horrible massacre de la rue Haxo, le P. Olivaint, en présence des religieuses du couvent des Oiseaux, développait avec une merveilleuse énergie cette divine promesse à laquelle les circonstances donnaient un saisissant à-propos : « Pas un cheveu ne tombera de votre tête sans la permission du Père Céleste ». Son visage devint radieux, sa voix vibrante : « Quelle faveur serait-ce ! s’écria-t-il. Voyez les apôtres ; ils allaient transportés de joie d’avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus, ibant gaudentes.... Soyons, nous aussi, généreux et prêts au sacrifice. Il faut du sang pur à la France pour la régénérer ; mais qui de nous sera jugé digne de verser le sien ? Si nous sommes choisis, quelle grâce ! Si nous sommes laissés, humilions-nous ! »
43Averti de l’imminence du péril par un insurgé à qui il a jadis rendu un important service, il refuse de s’enfuir. Supérieur, il n’a pas le droit de quitter son poste.
44Le 4 avril, après quatre heures d’interrogatoires et d’exigences impassiblement subies, il est arrêté et conduit au Dépôt de la Préfecture de police. Il y reste jusqu’au 22 mai, calme, joyeux, poursuivant la longue série des Exercices de saint Ignace. Ce jour-là, ou transporte les prisonniers à la Roquette ; ils sont entassés dans un chariot de factage, exposés à toutes les insultes de la populace et des gardes nationaux qui les escortent. Une foule immense hurle : « A mort les calotins ! » Olivaint ne sait que répéter le Ibant gaudentes des âmes fortes injustement persécutées. A la Roquette, il soutient et console ceux que la mort menace. Le 26 mai, le lugubre cortège se remet en marche. Le terme cette fois est au mur de la rue Haxo ; Olivaint reçoit une balle en plein cœur, tandis qu’une autre lui enlève la moitié du crâne et qu’une troisième lui brise la mâchoire. « Où mène-t-on ces gens-là ? avait demandé quelqu’un à un homme de l’escorte. — On les mène au ciel », avait répondu celui-ci30.
45Que nous sommes loin de 1840 et des aimables compagnons d’Olivaint, Verdière et Pitard, ses camarades de promotion, Pharou, entré trois ans après eux, en 1839, mais admis bien vite dans le cercle de leur intimité ! « Mon cher frère, écrivait, en 1845, Olivaint à Verdière, encore un normalien qui prend la fuite ! Pharou qui te porte ma lettre est bien heureux d’avoir déjà pu te suivre. Tu as choisi la bonne part et depuis longtemps tu me fais envie. Mais bientôt pcut-être il me sera aussi donné de prendre le même chemin.... Si nous nous mettions tous à prier de tout notre cœur, nous parviendrions peut-être à gagner Pitard. »
46Verdière et Pharou avaient en effet devancé Olivaint au noviciat des Jésuites. Le premier, docteur ès lettres et agrégé d’histoire, avait été deux ans professeur au lycée de Dijon et quatre ans à Stanislas. Le second, agrégé de grammaire, avait enseigné quatre ans à Saint-Étienne et à Amiens. Tous deux sont restés fidèles à leur première vocation. Pharou, depuis plus de trente ans professeur ou directeur du collège Saint-François-Xavier, à Vannes, s’est fait un nom en Bretagne par les succès de ses élèves aux examens universitaires. Si l’on excepte trois années de mission à Cayenne, où le gouvernement avait appelé les Jésuites, Verdière n’a pas cessé jusqu’à sa mort (1889) de professer ou d’écrire. Rédacteur des Études religieuses, érudit de bonne marque, il a publié d’importants travaux historiques, entre lesquels son Histoire de l’Université d’Ingolstadt occupe la première place. La vivacité et la simplicité de sa foi, sa candeur et sa douceur faisaient de Ch. Verdière un homme à part ; il était le plus aimable et le plus conciliant des apologistes31.
47Tandis qu’Olivaint, Verdière et Pharou ont passé chez les Jésuites la plus grande partie de leur vie, Pitard a donné presque toute la sienne, beaucoup plus courte il est vrai, à l’Université. Agrégé des lettres en 1839, professeur de seconde au collège royal de Caen, à Stanislas en 1841, divisionnaire de troisième à Louis-le-Grand en 1845, il se vit obligé, en 1846, par une maladie dangereuse et par la mort d’une sœur bien-aimée, à suspendre son enseignement. « Son âme profondément chrétienne se tourna avec plus de ferveur vers le Dieu qui le consolait32. » Il fit de la présidence de la conférence Saint-Médard qu’il exerçait depuis 1841 un sacerdoce anticipé. Cependant en 1848 et jusqu’en 1853 il reprit, à titre de professeur de seconde, sa classe au lycée Louis-le-Grand. Il remplissait en même temps les fonctions de précepteur des fils de M. Ferrand de Missol. Singulière et touchante coïncidence ! la vocation sacerdotale du père et celle du précepteur se décidèrent à la fois ; tous deux allèrent, en 1854, chercher au Collège Romain, dans la capitale même du monde chrétien, la science théologique. Dès la fin de 1855, Pitard était docteur et prêtre. Il balança quelque temps entre l’Oratoire et la Compagnie de Jésus ; enfin les souvenirs de l’enseignement qu’il avait reçu à Rome et les amitiés qu’il comptait depuis tant d’années dans la Société le déterminèrent à se rendre, en septembre 1S57, au noviciat de Saint-Acheul. L’année suivante, il était appelé à continuer, comme professeur de rhétorique au collège de Vaugirard, le temps d’épreuves marqué par les constitutions, et c’est là que la mort vint le prendre, le 11 mars 1859, à l’âge de quarante-deux ans. Ses confrères et ses élèves l’entourèrent à ses derniers moments : « Combien elle est belle, disait en termes émus M. Dubois à l’Association des Anciens Élèves, cette fin si doucement reposée en Dieu, qui s’échappe dans une prière et dans de paternels conseils adressés à de jeunes enfants agenouillés sous la bénédiction d’une main déjà glacée, mais pressant et élevant, sous un dernier baiser, cette croix symbole de douleur et d’espérance ! Il était digne de mourir ainsi. Et nous reconnaissons là ce maître de si parfaite douceur, de si gracieuse aménité, qui donnait à un enseignement solide l’attrait d’un esprit charmant et d’un cœur aussi pur et aussi ouvert que les âmes adolescentes confiées à ses soins. Il n’y aura pas deux traditions, sur tant de savoir aimable et de douces vertus, dans l’Université et dans la religieuse Compagnie qui nous l’emprunta33. »
48L’élan donné aux catholiques de l’École par Olivaint et ses amis n’était point encore épuisé lorsqu’y furent admis, en 1840, Marmier et Rossigneux. Ni l’un ni l’autre cependant n’arrivèrent au sacerdoce par la voie que semblaient avoir frayée leurs aînés, ces fidèles disciples de Ravignan. Il ne fallut pas moins que le spectacle des cours pour détacher du monde Joseph Marmier. Secrétaire de la maison du duc de Montpensier depuis six ans, il échangea, dans le courant de 1849, le palais du prince contre une cellule à Saint-Sulpice. Mener une vie cachée fut désormais son unique passion. Après un peu de temps passé chez les Jésuites en 1855, il revint à sa chère Franche-Comté pour s’enfermer jusqu’à sa mort dans les obscurs travaux de l’enseignement et de l’économat au collège Saint-François-Xavier de Besançon. Ce n’était pas qu’il ne fût capable d’écrire ; de charmants détails semés par lui dans les Souvenirs de Franche-Comté de son frère l’académicien suffiraient à le prouver. Un grand évêque a dit de lui « qu’il était apte à tous les ministères parce qu’il était capable de tous les dévouements34 ». Mais il était surtout modeste. Pendant la guerre, il visita, veilla, consola, administra plus de deux mille blessés, et s’usa de telle sorte à ce rude service que, la guerre finie, il se sentit perdu lui-même : en effet, le 28 juin 1871, il tombait frappé d’un coup subit.
49C’est encore une histoire intime que celle de Rossigneux, l’histoire d’une âme qui connut toutes les angoisses du doute et qui, une fois éclairée, s’éleva jusqu’aux hauteurs les plus sublimes de la perfection religieuse. Un journal tout personnel, d’une profonde humilité, d’une poignante éloquence, conserve le secret de cette existence ignorée des hommes et si digne d’admiration. Rossigneux avait erré dix ans de doctrine en doctrine lorsque certains désenchantements, l’exemple de son camarade Marmier, la lecture de saint Augustin et de Bossuet, une soudaine illumination intérieure, l’amenèrent à la foi chrétienne : converti, il voulut être prêtre et religieux. L’état de sa santé l’ayant contraint de chercher dans les Pyrénées un climat plus doux que celui de Paris, il s’arrêta près d’un célèbre sanctuaire de la Vierge et s’y plaça sous la direction d’un prêtre vénérable que la voix du peuple appelait le saint de Bétharram. Bientôt admis dans la communauté du P. Garicoïts, confondu avec quelques jeunes gens qu’émerveillait la simplicité d’un aussi savant professeur, il acheva ses études théologiques et s’initia à la pratique de toutes les vertus. Le paysage enchanteur qu’il contemplait de sa cellule, accrochée à une antique chapelle, noyée dans un massif de verdure, lui inspira une œuvre toute pleine de poésie : le Guide du pèlerin à Notre-Dame de Bétharram. Mais c’est à l’enseignement qu’il devait consacrer tout l’effort de son intelligence pendant les deux années qui lui restaient à vivre. Chargé de la direction des études, il fit du collège Sainte-Marie d’Oloron un centre littéraire très actif, grâce à la passion des langues anciennes qu’il sut inspirer à tous ses collaborateurs. Pour venir à bout de sa tâche quotidienne, il lui fallait se raidir contre de cruelles souffrances que trahissait malgré lui son visage pâle et ravagé. Le 12 décembre 1857, âgé de trente-six ans, il s’éteignit entre les bras de son supérieur, dans les plus admirables sentiments de foi, d’espérance et d’amour. Qu’aurait-il eu à faire de vivre plus longtemps ? Huit années avaient suffi à le conduire jusqu’à la sainteté35.
1845-1848
50Les aumôniers de l’École ne paraissent avoir exercé qu’une influence fort restreinte sur les vocations ecclésiastiques dont nous avons parlé jusqu’à présent36. Mais, à la rentrée de 1846, un nouvel aumônier, l’abbé Gratry, ce grand éveilleur d’âmes à qui tant de nos contemporains sont redevables de leur retour à Dieu, vint prendre auprès des catholiques normaliens la place des Lacordaire et des Ravignan. « Ce sont les conférences du P. Gratry à la chapelle de l’École normale, qui, en me révélant son âme, m’attirèrent à lui », a écrit le premier de ses disciples et le plus fidèle de ses amis, Mgr Perraud. « J’avais entendu auparavant de grands orateurs et j’avais senti plus d’une fois le glaive de leur éloquence aller, comme dit saint Paul, jusqu’à la moelle de l’âme. Je dois dire cependant que cette parole du P. Gratry, qui n’était qu’une conversation sur les choses de Dieu, me pénétrait et me remuait davantage. Vis-à-vis de lui, il n’y avait point à se mettre en garde contre les artifices de la rhétorique ; il les ignorait ou les dédaignait, et précisément à cause de cela, il atteignait très aisément au fond des cœurs où sa parole laissait après elle je ne sais quel inexprimable malaise mêlé aux plus fortes émotions, un profond dégoût de tout ce que la vie présente a de vulgaire et d’incomplet, avec le besoin de contempler de plus près et de posséder plus intimement Celui qui est à la fois la souveraine vérité, la beauté idéale et le souverain bien Quand on l’avait entendu, on voyait le christianisme sous un jour tout nouveau37. » Par ce commerce plus intime et plus efficace que la langue chrétienne appelle la direction, l’abbé Gratry versait à la lettre son âme dans l’âme de ceux qui s’adressaient à lui ; il les transformait ; il les illuminait ; il leur apprenait « à nourrir leur pensée de la substance de la pensée divine », et résumait pour eux tout l’ensemble des idées chrétiennes en ce mot de l’Évangile sans cesse commenté : « Mon ami ! montez plus haut ! »
51Enfin au milieu des vives et intarissables discussions qui, pendant les années agitées de 1848 et 1849, mirent si souvent aux prises à l’École les représentants passionnés de toutes les opinions, l’aumônier fut vraiment « le général de ce petit bataillon de catholiques appelé à descendre tous les jours sur le terrain des controverses religieuses ». Il leur fournissait, chaque jeudi, les armes nécessaires et leur indiquait la tactique à suivre. Ce fut alors, nous dit encore Mgr Perraud, que plusieurs d’entre eux entrevirent « ce qu’il y aurait de fécond pour le développement de la science chrétienne dans une association libre d’hommes habitués aux recherches de l’érudition,... qui formeraient un groupe d’ouvriers évangéliques uniquement voués à la mission de défendre et de propager la foi par la parole et par la plume38 ».
52C’était l’idée de l’Oratoire : des cinq prêtres que les promotions de 1845 à 1848 ont donnés à l’Église, deux devaient, avec l’aumônier, inscrire leurs noms parmi ceux des six fondateurs qui relevèrent en ce siècle l’illustre congrégation des Bérulle et des Malebranche.
53Les trois autres, Joubert, Pouget de Saint-André, Barnave, ont suivi des voies bien diverses. Le premier, membre de la Compagnie de Jésus, est à coup sûr un des hommes les plus savants et les plus modestes qui soient sortis de l’École normale. A voir passer ce religieux, d’une figure humble et discrète, on ne soupçonnerait guère un des maîtres de la science mathématique contemporaine. Et pourtant, les juges les plus éclairés n’ont pas hésité à donner ce itre à l’auteur de tant de travaux plus que distingués sur la théorie des fonctions elliptiques et les équations du cinquième et du sixième degré. Se dévouer en silence, ensevelir ses talents dans l’humilité, telle a été toute la vie de ce professeur qui, pouvant s’élever au premier rang, a fait la classe durant quarante années.
54Pouget de Saint-André nous appartient à peine. Entré à l’École en novembre 1847, il partit peu de temps après la révolution de février 1848 avec sa famille pour l’île de la Réunion, son pays d’origine, et donna sa démission. Bien des années après, en 1865, devenu veuf, il vint à Orléans et prit, sous la conduite de Mgr Dupanloup, la généreuse résolution de demander à Dieu et au service des âmes un bonheur que les choses de la terre ne pouvaient plus lui donner. Prêtre depuis 1868, il s’est voué, sans interruption, comme vicaire à Saint-Augustin, aux labeurs féconds du ministère paroissial.
55Plus tardive encore fut la vocation de Barnave. Né en 1829, entré à l’École en 1848, professeur de rhétorique à Avignon et à Marseille, fondateur et directeur de l’école Salvien dans cette dernière ville, il ne s’est fait ordonner prêtre qu’en 1886, à cinquante-sept ans. De la famille du grand orateur dont il porte le nom, Charles Barnave avait, lui aussi, rêvé d’éloquence et sa nature ardente s’y fût prêtée. Il a mieux aimé, dans un âge plus mûr, dépenser son talent et sa vie à former des esprits solides, nourris aux bonnes lettres, des cœurs honnêtes et des volontés droites.
56Perraud et Cambier avaient été initiés, avant de quitter l’École, aux pensées que l’abbé Gratry nourrissait depuis longtemps et qui allaient aboutir enfin au rétablissement de l’Oratoire. Toutefois, comme tous ceux qui devaient concourir à l’exécution de ce dessein n’étaient pas prêts, Perraud se laissa nommer professeur d’histoire au lycée d’Angers et il occupa ce poste avec distinction pendant deux ans. Cambier, au grand étonnement de ses camarades, refusa la chaire de philosophie qui lui était offerte, et se rendit au séminaire d’Orléans. Au mois de septembre 1852, tous deux se retrouvèrent dans ce modeste appartement de la rue d’Assas qui a été, avec le presbytère de Saint-Roch — et après l’École normale, — le berceau du nouvel Oratoire.
57Professeur au petit séminaire de Saint-Lô, Perraud remplit auprès de ces élèves avec plus de perfection ce « sacerdoce intellectuel », qu’il avait déjà regardé comme sa mission au lycée d’Angers. Il voulait faire de ses élèves des Français de leur temps, mais qui comprissent aussi « qu’un amour intelligent de la France n’a pas le droit de biffer quatorze siècles de son histoire39 ». Les mêmes sentiments d’affection éclairée pour le présent et de respect pour le passé ne pouvaient manquer de se retrouver dans les maîtresses œuvres d’Adolphe Perraud : l’Oratoire de France au xviie et au xixe siècle, les Études sur l’Irlande contemporaine ; le premier de ces livres, ouvrage excellent dont on a dit en toute vérité « qu’il est impossible de le lire sans estimer davantage, en même temps que le talent, la parfaite loyauté et le noble caractère de celui qui l’a écrit40 » ; le second, travail fait sur place, riche d’informations originales, dicté par la justice encore plus que par la pitié.
58« Occupez-vous d’histoire ecclésiastique, avait dit un jour Pie IX au père A. Perraud ; il importe que la science sérieuse dissipe les préventions dont l’incrédulité et l’hérésie s’arment contre l’Église, et rétablisse la vérité. » La mort d’Henri Perreyve, « le charme et l’espoir de l’Église de France41 », laissant vacante la chaire d’histoire ecclésiastique à la Faculté de théologie de Paris, allait permettre au P. Perraud de répondre à l’auguste parole qu’il avait acceptée comme l’indication providentielle de sa mission. A la fin de l’année 1865, il prenait le grade de docteur en théologie et était nommé professeur à la Sorbonne.
59Qu’il soit permis à un prêtre, fils de l’Université, de saluer d’un hommage et d’un regret ces Facultés de théologie, dont le gallicanisme expirant n’avait été dans ce siècle que la dernière rançon d’une étroite union entre l’Église et l’État, et qui montraient du moins à tous les yeux l’importance qu’attachait l’État à la haute culture de l’Église. « Ces grandes catéchèses chrétiennes », comme les appelait l’abbé Bautain, étaient pour les âmes ébranlées des asiles où elles pouvaient retremper leur foi, et pour les prêtres qui y enseignaient des foyers intellectuels où ils entraient en contact avec les représentants les plus éminents de la science contemporaine ; ils apprenaient à les connaître et savaient forcer leur estime. De ces Facultés, combien d’évêques sont sortis qui se rendaient un juste compte de ce que sont et de ce que valent les choses de l’esprit ! Elles couvraient l’Université des plis du drapeau chrétien : était-ce un mal pour l’Église ou pour l’État ?
60A la Sorbonne, le P. Perraud vit pendant huit années un auditoire nombreux et sérieux se presser autour de sa chaire. Il s’attacha presque uniquement à retracer l’histoire du protestantisme français. Chacune de ses leçons était une œuvre d’art ; souvent il atteignait l’éloquence par la simple exposition des faits, tant il savait la ménager habilement. L’émotion naissait d’elle-même sans nulle recherche de l’effet oratoire. Le prédicateur obtenait les mêmes succès ; cette éloquence grave, contenue, sortant du fond des choses, portait la conviction dans les esprits, et, par une chaleur qui n’avait rien de factice, ranimait les cœurs et les volontés.
61La vie digne et austère du P. Adolphe Perraud, les services qu’il avait rendus à l’Église par ses écrits et par sa parole, les tendances sagement libérales de sa doctrine, sa courageuse conduite pendant la guerre, la réputation même qu’il avait conquise dans tous les rangs de la société parisienne, le désignaient naturellement à l’attention d’un gouvernement soucieux de la bonne direction de l’Église. Cependant l’ami, le successeur des Lacordaire, des Gratry, des Montalembert, des Dupanloup, vivait humble et caché dans la modeste communauté de la rue du Regard. En 1874 enfin, sur le glorieux témoignage de ses supérieurs, aux applaudissements de « tout ce qu’il y avait de pieux, de distingué, d’ami de la science ecclésiastique et du salut des âmes dans l’Église de France42 », le P. Perraud, sans l’avoir cherché, sans l’avoir voulu, se vit élever à la dignité épiscopale. Huit ans plus tard, l’Académie française, en l’élisant à la place d’Auguste Barbier, se plaisait à rendre un double hommage au talent personnel de l’évêque d’Autun et au caractère dont il était revêtu.
62Évêque et, depuis 1884, supérieur général de l’Oratoire, Mgr Perraud devait rester le modèle des religieux : fidèle aux pratiques de la règle oratorienne, passant au pied de l’autel tous les moments que l’administration d’un grand diocèse lui laisse libres, silencieux et recueilli au milieu des plus multiples occupations, il est, par l’intensité de sa vie intérieure, l’imitateur et l’émule des Bérulle et des Condren. Il a gardé de l’École normale l’amour passionné du travail et le souci poussé jusqu’au scrupule de la recherche personnelle des sources dans n’importe quel genre de discours et d’écrits. D’un désintéressement absolu à l’égard des honneurs et des richesses, médiocrement soucieux de l’opinion publique, incapable de s’abaisser à la moindre intrigue, il ne semble pas qu’une seule pensée d’ambition ait jamais effleuré son âme. Une dignité frappante, faite de la gravité même de sa physionomie et d’une impeccable correction, traduit au dehors la rectitude de sa conscience ; il est impossible de mieux personnifier le type de l’évêque tel qu’on aime à se l’imaginer.
63Un pape comme Léon XIII ne pouvait manquer d’apprécier un évêque comme Mgr Perraud. Après l’avoir, en maintes circonstances, honoré, à Rome même, des marques les plus éclatantes d’une souveraine estime et d’une paternelle affection, il a voulu, en lui conférant la plus haute dignité qui soit dans l’Église après le pontificat suprême, l’associer au gouvernement de l’Église universelle. Les raisons politiques n’empêcheront pas toujours, nous l’espérons, le gouvernement français de se rendre au désir de Léon XIII. Mgr Perraud sera le premier cardinal sorti de l’École normale : il faudrait sans doute remonter bien haut dans l’histoire de la vieille Université pour lui trouver un prédécesseur.
1851-1859
64A l’extrême et peut-être excessive liberté qu’avaient connue Perraud et ses camarades, avait succédé, à l’École, un régime que l’on a pu sans exagération qualifier de « mortifiant ». Le directeur, M. Michelle, avait reçu la mission d’éteindre les ardeurs nées de la période révolutionnaire ; et de son côté l’aumônier, le digne abbé Flandrin43, avant tout prudent et discret, n’était pas homme à ressusciter les enthousiasmes, bien moins encore les polémiques, entretenus ou soulevés naguère par le P. Gratry. Vers la fin de 1858, il consentit à laisser le Saint Sacrement dans la chapelle ; à partir de ce moment et jusqu’au jour où elle fut fermée, la chapelle devint pour les catholiques, dans le tumulte de la vie normalienne, le dulce refrigerium que chantent les hymnes chrétiens. Môme en ce temps d’accalmie, il y eut toujours à l’École un mouvement religieux réel et sincère, qu’attestent non seulement des convictions durables, mais quelques conversions et cinq nouvelles vocations ecclésiastiques. Celles-ci d’ailleurs ne se ressemblent guère.
65Tandis que Doussot, admis à l’École en 1851, la quittait dès 1853 pour le noviciat des Dominicains, Barbier et Legouis, après un certain stage dans l’Université, se faisaient Jésuites ; le premier, de la promotion de 1857, astronome à l’Observatoire avant d’entrer en 1865 dans la Compagnie de Jésus, annonçait un génie mathématique des plus remarquables, quand il fut frappé par un de ces coups funestes qui enlèvent à l’homme jusqu’à la possibilité du travail ; le second, de la promotion de 1859, naturaliste distingué, jadis cité avec éloge par Paul Bert à l’Académie des sciences, s’est fait connaître par ses Recherches sur les tubes de Weber et le pancréas des poissons osseux. Une parfaite simplicité, un grand amour de la pauvreté, une bonté tendre, compatissante, agissante, sont les traits dominants de son caractère. Ceux de ses camarades, et ils sont nombreux, qui ont gardé des relations avec lui ne se sentent pas tentés de soutenir que la vie religieuse tue nécessairement les affections même les plus légitimes, car il n’est pas de meilleur ami que le P. Legouis.
66L’École normale ne renie assurément aucun de ses enfants ; mais, s’il en était qu’elle dût préférer, il me semble que M. Thenon serait de ceux-là. Il est resté si fidèle à l’Université, que, devenu prêtre, il a voulu, par une idée neuve et hardie, l’associer à l’Église dans une œuvre commune d’éducation.
67Tout dans la vie de l’abbé Thenon l’avait préparé à fonder cette œuvre des Externats de lycéens dont son nom restera désormais inséparable. Né de parents chrétiens et charitables, préservé de beaucoup d’égarements par la vie de famille, il avait compris que « la famille est le moule providentiel où les hommes prennent leur caractère, tous les traits essentiels de leur physionomie, et que par conséquent l’éducation idéale est celle de la famille bien constituée44 ». Externe depuis l’âge de dix ans dans une institution composée surtout de pensionnaires, où toute la bonne volonté des maîtres et l’exemple d’un groupe d’élèves excellents ne suffisaient pas à empêcher les maux très graves que l’internat entraîne d’ordinaire, Thenon s’était accoutumé de bonne heure à considérer cette forme de la vie d’écolier comme le fléau de la jeunesse française. Élève et professeur de lycée, il avait appris à estimer la haute valeur scientifique de ses maîtres ou de ses confrères et aussi l’influence morale d’une éducation qui s’efforce de faire passer toute la sagesse antique dans l’âme de l’enfant. Mais il s’était dit que, « depuis dix-huit siècles, l’idéal de la vertu n’est plus dans Thraséas et qu’on n’a pas le droit de se passer de Jésus-Christ quand on fait de l’éducation ». Fondateur ou directeur d’un très grand nombre d’œuvres de charité, il avait senti son zèle s’enflammer et sa vertu s’affermir au contact des enfants du peuple. Chargé, comme séminariste, du catéchisme de persévérance des garçons à Saint-Sulpice, il était devenu le confident de bien des angoisses maternelles. Toutes ces expériences, jointes aux longues et solitaires réflexions du séminaire où il s’était enfermé à trente ans, en 1861, l’avaient amené à regarder comme nécessaire, dans l’état présent de la société, une éducation où l’idéal chrétien, par l’action quotidienne du prêtre, vînt s’ajouter, sans supprimer la vie de famille, à tout ce qu’il y a non seulement d’utile mais de moral et d’élevé dans l’enseignement du lycée « Ému par les périls et les besoins d’une société où tant de forces se neutralisent parce qu’elles se combattent au lieu de se prêter un harmonieux concours, disait en une circonstance solennelle Mgr Perraud, M. Thenon a voulu, suivant la parole de l’Écriture, faire une œuvre de rapprochement et de réconciliation : « In tempore iracundiæ factus est reconciliatio ». Et appliquant aussitôt cette grande, féconde et cordiale inspiration à l’éducation de la jeunesse, il a résolu d’y faire concourir d’abord la religion, préposée à la discipline et à la garde des mœurs ; puis la famille qui n’a pas le droit de se désintéresser du labeur sacré de l’éducation des enfants et à qui l’externat assure sa part légitime de responsabilité et d’action ; enfin cette tradition des grandes études que l’Université de France a maintenue jusqu’à ce jour et saura, je l’espère, maintenir intacte au milieu des vicissitudes de nos révolutions.... Unir ces trois forces, en faire le triple faisceau qui ne pourra que très difficilement être rompu ; chercher dans cette union le bien de la famille, le bien des âmes, le bien de la patrie : telle est la pensée qui a inspiré toute la carrière de M. l’abbé Thenon. »
68Une conception aussi originale devait entraîner toutes sortes de conséquences dans la manière de comprendre et de diriger l’éducation. Un externat de lycéens ne pouvait pas être une maison comme une autre ; il allait constituer un type spécial et nouveau, bien éloigné de cette combinaison de la caserne et du couvent qui est restée l’idéal de la plupart des éducateurs français. Ce qu’il s’agit de développer chez ce jeune externe qui jouira forcément d’une grande liberté, qui connaîtra dès sa douzième année les épreuves et les conflits de l’éducation publique et commune, qui n’ignorera jamais les divergences d’opinions et de croyances et qui devra souvent « faire partie d’une minorité », ce qu’il importe de fortifier en lui, c’est la volonté, c’est le sentiment du devoir et de la responsabilité, c’est la conviction personnelle. Aussi, tout en surveillant l’élève, on le mettra souvent en face de sa propre conscience et c’est par là qu’on le tiendra plutôt que par les minuties d’un règlement qui n’empêche le plus souvent que les apparences du mal : « Se préoccuper de l’intérieur des enfants plus que de l’ordre extérieur de la maison, écrira l’abbé Thenon ; éviter les règles inutiles ; ne jamais fausser par des exagérations la conscience des enfants ; respecter leur liberté tant qu’ils n’en font pas mauvais usage ; en les portant au mieux, ne leur imposer cependant que ce qu’exigent la foi et la raison ; les gouverner surtout par l’honneur, par la responsabilité, par la conscience, par les sentiments élevés plus que par la crainte et même par l’affection ».
69Des œuvres de charité, dont la direction, sous un contrôle sérieux, était confiée aux plus grands élèves, devaient développer en eux l’esprit d’initiative, et, par le contact fréquent avec les déshérités de ce monde, les remettre sans cesse en présence du côté sérieux de la vie.
70Même « hardiesse chrétienne45 » enfin et même largeur de vues dans la façon d’entendre la pratique religieuse ; point de ces dévotions multiples et trop sensibles qui ne donnent guère que l’illusion de la vertu ; mais un enseignement solide et tendant toujours au perfectionnement de la conscience.
71Comment toutefois, partagé entre tant d’influences et soumis à tant de maîtres, le jeune homme échappera-t-il au scepticisme ? Grâce à l’intensité de l’action que le prêtre éducateur exercera sur lui pendant le temps très court dont il disposera. Un même homme — homme de zèle et de foi — n’aura affaire qu’à un petit nombre d’enfants et, dans l’École, ces enfants n’auront affaire qu’à lui ; il sera vraiment le pasteur de ce petit troupeau, réunissant entre ses mains tous les genres d’influence : discipline, par la surveillance du travail et des récréations ; direction des études, par le contrôle des devoirs et les répétitions ; direction morale, par l’enseignement religieux, par les avis généraux, par les entretiens particuliers. Son âme agira directement sur celle de l’enfant ; suivant le mot de l’abbé Thenon, il fera de l’éducation individuelle. C’est assez dire avec quel soin ce prêtre, le directeur de division, devait être choisi et formé.
72L’abbé Thenon, dans sa haute intelligence, avait ainsi trouvé du premier coup la forme définitive des Externats de lycéens. Application opportune, au moment où elle fut instituée, de ce principe de concordat qui préside en France aux relations de la société religieuse et de la société civile, cette œuvre, on peut l’affirmer, devint moralement nécessaire après nos désastres de 1870 : nous n’en voulons d’autres preuves que les rapides développements qu’elle a pris. Le premier externat de lycéens, l’École Bossuet, avait été fondé en janvier 1866 dans une pauvre chambre du patronage de Sainte-Mélanie avec quatre élèves et quelques centaines de francs. Trois ans après, non seulement l’École Bossuet occupait de vastes salles dans l’ancien couvent des Carmes, mais on fondait une seconde maison, l’École Fénelon, près du lycée Bonaparte. D’autres imitaient l’œuvre de l’abbé Thenon ; l’Oratoire donnait le signal, au lendemain de la guerre, en ouvrant l’École Massillon ; maintenant Paris seul compte au moins six ou sept maisons ecclésiastiques du même genre.
73Dès le mois d’octobre 1866, par une décision flatteuse pour M. l’abbé Thenon, mais qui aurait pu compromettre son œuvre naissante, Mgr Darboy avait nommé l’ancien élève de l’École normale et de l’École d’Athènes directeur de l’École préparatoire et bientôt après supérieur de l’École ecclésiastique des Carmes, à la place de M. Hugonin, devenu évêque de Bayeux46. M. Thenon n’accepta ces fonctions importantes qu’après avoir reçu de l’archevêque l’autorisation d’installer l’externat de lycéens dans les locaux inoccupés de l’École des Carmes. Il ne pouvait manquer de fortifier encore les liens qui ont de tout temps uni cette grande École à l’Université ; en effet, il y attira beaucoup d’universitaires et il en fit vraiment l’École normale ecclésiastique. Il ne rêvait pas de plus beau titre pour cet établissement.
74Vers 1875, l’avenir de l’École Bossuet et de l’École des Carmes et leur union sous un même chef semblaient pour longtemps assurés. Entouré de nombreux élèves, l’abbé Thenon contemplait avec joie l’œuvre dont il avait conçu le plan dix ans auparavant et qui avait grandi sous ses yeux. Ce fut le moment où fondit sur lui l’épreuve qui devait, entre toutes, manifester sa vertu. La loi sur la liberté de l’enseignement supérieur venait d’être votée ; de tous les bâtiments diocésains, le couvent des Carmes pouvait seul s’adapter aisément aux services d’une université catholique ; à la veille des vacances, l’archevêque de Paris pria l’abbé Thenon de transférer ailleurs l’École Bossuet et ses trois cents élèves.
75Le saint prêtre n’hésita pas ; il refusa d’invoquer les délais légaux auxquels il avait droit, et partit avec son œuvre, sans savoir si elle pourrait subsister. Une aussi généreuse soumission trouva sa récompense ; à la rentrée d’octobre, malgré les incommodités d’une installation provisoire et plus que médiocre, un seul des élèves de l’année précédente manqua à l’appel. Se pouvait-il rêver marque plus éclatante de l’attachement des enfants et de la confiance de leurs familles ?
76Mais le coup avait été trop fort. Atteint déjà des premiers germes d’une maladie de cœur, M. Thenon ne fit plus, pendant six années, que s’acheminer vers la mort. Toujours infatigable dans son zèle, malgré des crises douloureuses et fréquentes, il recevait à toute heure les nombreux enfants qu’il dirigeait et les anciens élèves qui se serraient autour de celui qu’ils appelaient si justement leur père. Quelles brûlantes paroles il trouvait pour eux dans les conversations intimes de la direction spirituelle ! La puissance de sa foi, la véhémence de sa charité transformaient les âmes ; à voir comme il aimait l’Église, chacun se sentait prêt à donner sa vie pour elle ; et, quand, après un entretien dont notre vie morale pouvait dépendre, il lui arrivait de nous presser sur son cœur, il nous semblait qu’un cœur nouveau entrait dans notre poitrine. Lumière par l’intelligence, il était ardeur et chaleur par la bonté. J’ai vu des hommes plus rapprochés de la perfection, je n’ai jamais rencontré de plus vrai prêtre.
77Né avec une nature emportée et des instincts violents qui l’eussent aisément entraîné au mal, il les a fait servir au bien ; sa vie est le triomphe de la vertu. Il était arrivé à ce parfait détachement de lui-même qui est la marque de la sainteté ; il a méprisé la richesse ; il est mort pauvre, après avoir manié beaucoup d’argent ; il a négligé sa réputation littéraire, laissant à d’autres le soin de publier les notes qu’il avait recueillies en Orient. Enfin, « de deux récompenses qui lui ont été offertes, il a refusé formellement l’une, la décoration de la Légion d’honneur, parce qu’elle n’était qu’honorifique, et il a accepté l’autre, le titre de membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique, parce qu’elle lui a permis de travailler au bien des âmes et à la défense de la vérité47 ». Sa bonté s’est étendue à tous ; les personnes même les plus étrangères aux croyances chrétiennes trouvaient le plus touchant accueil auprès de ce prêtre qui « a eu le rare et glorieux privilège de réunir dans l’affection commune à sa personne des hommes de toutes les conditions et de toutes les opinions48 ».
78De même que l’abbé Thenon, M. Huvelin a tout mis au-dessous du soin des âmes et tout quitté pour elles. Il était à l’École un helléniste consommé. Quelque auteur que l’on eût à étudier, poète ou prosateur, dès que l’on se trouvait arrêté, embarrassé, on courait vers lui. Il quittait ce qu’il faisait, lisait le passage qu’on lui présentait, et l’expliquait à fond. Il n’était pas moins bon historien ; il le prouva par son succès à l’agrégation, par son enseignement au petit séminaire de Paris et surtout par les conférences d’histoire ecclésiastique qui attirèrent, de 1875 à 1885 , l’auditoire le plus distingué dans la chapelle des catéchismes de Saint-Augustin. Aussi n’est-il pas surprenant que l’archevêque de Paris ait souhaité d’attacher à l’Institut catholique un maître qui eût fait honneur à l’enseignement supérieur. L’abbé Huvelin refusa ; quitter le commerce journalier des âmes, échanger le confessionnal pour la chaire du professeur, lui parut au-dessus de ses forces ; Mgr Guibert entendit ses raisons, fut convaincu et le laissa à la paroisse Saint-Augustin. Il y prie, il y confesse, il y prêche. Sa parole, sans nul apprêt, mais où passent tout son cœur et toute son expérience de la souffrance et de la vie, émeut, pénètre et persuade. D’où vient l’extraordinaire influence qu’il exerce sur les âmes ? « On fait du bien beaucoup moins par ce que l’on fait ou dit que par ce que l’on est », disait-il un jour. A l’École déjà, l’austérité de sa vie, l’ardeur de sa prière, la hauteur de ses aspirations le faisaient regarder comme un saint. Je n’en veux pas trop dire ; je suis dans une région intime et délicate ; je citerai seulement ce mot d’un Normalien son ami : « Dieu même semblait transparaître en lui ». C’est assez révéler le secret de sa puissance.
79Ainsi, dans toutes les voies, l’École normale a donné à l’Église des prêtres dont pas un n’a failli à la noble tâche qu’il avait volontairement embrassée : vicaires de paroisse, religieux, directeurs de séminaire, éducateurs, professeurs, écrivains, missionnaire même et évêque. Peut-être conviendrait-il de ranger parmi ses titres de gloire la part qu’elle a prise à deux des tentatives les plus sérieuses faites en ce siècle pour relever les hautes études dans le clergé.
80Barbier, Huvelin, Le Gouis marquent la lin d’une période. Après eux, pendant près de vingt ans, plus un normalien n’entrera dans la vie ecclésiastique. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Sans doute, les circonstances générales qui ont, depuis les dernières années du second Empire, prédominé dans le monde de la pensée et le plus souvent dans la direction de l’instruction publique ne sont guère favorables à l’éclosion des vocations sacerdotales, hors des milieux où elles sont plus particulièrement préservées. Cependant le nombre des chrétiens pratiquants n’a pas diminué à l’École et ils n’ont à aucune époque fourni plus de recrues à la Conférence de Saint-Vincent de Paul.
81En 1885, M. Wehrlé, de la promotion de 1884, par son entrée au séminaire d’Issy, a renoué l’ancienne tradition. Ordonné prêtre en 1889 , il fut nommé vicaire à Saint-Jacques-du-Haut-Pas sur la demande du dernier aumônier de l’École, devenu curé de cette paroisse, M. l’abbé Bernard. Sa parole élégante et forte attire, nous le savons, au pied de la chaire chrétienne bon nombre de ceux dont il eût été le confrère dans l’enseignement.
82Celui qui écrit ces lignes, oratorien depuis 1890 , est le dernier prêtre qui soit sorti de l’École normale. Il doit à cette circonstance l’honneur de parler au nom de tous ses camarades entrés dans les saints ordres ; tous, il peut l’affirmer, sont restés fidèles à leur vieille École, comme ils en sont demeurés dignes ; ils sont heureux de répondre par une parole de reconnaissance à ce témoignage de haute et paternelle bienveillance que leur donnait, en 1860, le vénéré M. Dubois : « Dans des jours de polémique ardente, disait-il à l’Association des anciens élèves, les adversaires de l’Université n’ont pas ménagé à l’École les reproches et les attaques sur son origine, ses traditions philosophiques et sa fidélité à l’esprit moderne. Ils n’y voyaient ou affectaient de n’y voir qu’un foyer d’hostilité contre la religion. S’ils eussent examiné de plus près, consulté les faits de sang-froid..., ils auraient vu, en ce séminaire de la science laïque, la ferveur pieuse de vocations sacerdotales se maintenir, et même prendre naissance, dans ce doux et fraternel commerce de jeunes intelligences.... Pour moi, c’est, dans ma vieillesse déjà bien près du terme, mon plus doux souvenir que d’avoir été pendant dix ans le témoin, et j’ose dire le tuteur respectueux de ces libres et généreux élans vers la vérité, dégagés de tout intérêt et de toute ambition ; elle m’est restée chère en particulier toute cette jeune milice catholique qui est allée recruter, outre le sacerdoce séculier, les ordres religieux renaissants, et, sous l’habit de saint Dominique, de l’Oratoire, de la Compagnie de Jésus elle-même, consacrer au service de sa foi la science et, disons-le aussi, les sévères habitudes d’esprit et de cœur contractées au milieu de nous. Soyons heureux et fiers, mes chers camarades, des vertus et des talents ainsi appliqués à la même mission de spiritualisme énergique, et dévoués, dans des voies différentes, à la défense sacrée de Dieu et de l’ordre social. »
Notes de bas de page
1 Année dominicaine, 1889. p. 365.
2 Notice biographique sur l’abbé Cambier, par le R. P. Adolphe Penaud, Paris, 1867.
3 Le mot est de M. Dubois.
4 Mémorial de l’Association des anciens élèves de l’École normale, notice de M. Dubois, p. 108.
5 Annales religieuses d’Orléans, t. XIII, 15 et 22 mars 1873.
6 Notice nécrologique de M. Pinault, 14 mars 1870, envoyée aux prêtres de Saint-Sulpice, par M. Caval, supérieur général. — Notice publiée par le Journal des villes et des campagnes, 6 avril 1870. — Notes manuscrites communiquées par M. l’abbé Monier, supérieur de l’École des Carmes.
7 Notice sur M. Bautain par M. Campaux, professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg, 1869. La plupart de nos renseignements sont empruntés au livre de l’abbé de Régny : L’abbé Bautain, sa vie et ses œuvres, Paris, 1884. Nous avons eu entre les mains un grand nombre de documents manuscrits conservés à la Bibliothèque du Collège de Juilly.
8 Gratry, Souvenirs de ma jeunesse, p. 165.
9 Lettre de Théodore Ratisbonne, citée par l’abbé de Régny, p. 94. Goschler dans une lettre analogue (p. 96) se dit - subjugué par le charme d’un enseignement plein d’âme, où le maître semblait épancher dans ses disciples la surabondance de ses sentiments et de ses lumières. » Jules Level s’exprime de même : « C’était là cette parole vivante que je cherchais depuis si longtemps ».
10 Étude sur l’abbé Bautain, par A. Campaux, p. 27, et de Régny. p. 157.
11 De 1825 à 1828, cette petite École avait donné au public : les Variétés philosophiques de M. Bautain, ses Discours sur le rang de la logique et de la rhétorique et sur la Morale de l’Évangile comparée à la morale des philosophes, sa thèse pour le doctorat en médecine sur la Vie ; les thèses de lettres et de médecine d’Adolphe Carl sur l’Origine et la nature de la parole humaine, le Langage articulé, le Spiritualisme en médecine ; le brillant enseignement de Théodore Ratisbonne et d’Isidore Goschler aux Écoles israélites.
12 C’est en 1828 que la famille philosophique se transforme en communauté religieuse ; le pacte de 1832 lui donne ses premières constitutions.
13 La révolution de 1830 devait de nouveau et pour deux années suspendre le cours de M. Bautain à la Faculté des lettres, cette fois sous la pression d’étudiants qui se disaient libéraux et qui n’entendaient pas qu’un prêtre restât chargé de l’enseignement de la philosophie.
14 La correspondance de M. Bautain relative à son séjour à Rome et aux six propositions est conservée au collège de Juilly.
15 Sur ces deux écoles de Juilly et de Rome, voir l’abbé de Régny, chap. xix. La correspondance relative à l’affaire de Saint-Louis-des-Français est conservée au collège de Juilly.
16 L’Abbé Bautain, par l’abbé de Régny, p. 363.
17 La bibliographie des Œuvres de l’abbé Bautain se trouve à la fin de sa biographie par l’abbé de Régny.
18 Semaine religieuse du 26 octobre 1867. Article nécrologique par M. l’abbé Lamazou plus tard évêque de Limoges. Ce numéro dut être tiré à plus de dix mille exemplaires et fut reproduit en brochure pour satisfaire aux demandes du public.
19 A ces quatre séries appartiennent vingt-trois vocations sur vingt-sept.
20 Il l’a été par le P. Ch. Clair dans sa Vie du Père Olivaint. C’est à ce livre plein de faits intéressants que nous empruntons beaucoup des détails qui suivent.
21 Mgr de la Bouillerie, Éloge funèbre du P. Lacordaire ; cité par Clair, p. 42.
22 Ces expressions comme celles qui précèdent sont tirées d’une Notice sur Hernscheim publiée par le P. Danzas, Paris, 1856. Outre cette notice, on peut consulter sur Hernscheim P. Chocarne, Vie du P. Lacordaire, t. I, p. 311 ; P. Clair, Vie du P. Olivaint, ch. iv et v ; Veuillot, Çà et là, t. I, p. 145.
23 Les détails relatifs à la conversion d’Hernscheim n’ont été connus que trente-cinq ans plus tard, grâce à une lettre de Mgr Martin, ancien aumônier du lycée de Rennes, devenu évêque en Amérique, lettre publiée dans l’Année dominicaine, t. XIII, p. 334.
24 Veuillot. Çà et là, t. I, p. 145.
25 Ch. Clair, Vie du P. Olivaint, p. 238, et Veuillot, Çà et là, loc. cit.
26 Trois Rapports étendus, publiés en 1868, en 1882, en 1889, donnent l’histoire très intéressante de cette Conférence si originale et fournissent de nombreux détails sur ses relations avec l’École normale.
27 « Je me suis donné à vous tout entier par l’âme ; je vous appartiens, mon père et mon maître, » écrivait Olivaint à Lacordaire, le 8 avril 1839. Cité par Clair, p. 97.
28 Le P. Clair cite d’importants extraits de ces lettres, p. 190-192.
29 « Donne-moi ton fils, écrivait-il à un de ses amis, j’en ferai un homme. »
30 Sur la captivité et la mort d’Olivaint, voir les chap. xvii et xviii de sa Vie, par le P. Clair.
31 Il semble que sa propre manière soit caractérisée dans une fort belle lettre qu’il cite du P. Lefèvre au P. Lainez, général des Jésuites, en 1540, sur la manière de traiter avec les hérétiques. Voir aussi Clair, Vie du P. Olivaint.
32 Notice de M. Dubois, Mémorial de l’Association, p. 81.
33 Mémorial de l’Association, p. 81.
34 Notices biographiques, par Mgr Besson, t. I. L’abbé J. Marmier.
35 Nous devons ces renseignements sur le P. Rossigneux au R. P. Vignolle, supérieur du collège Sainte-Marie d’Oloron, qui prépare lui-même une étude sur notre ancien camarade.
36 En 1809, l’abbé Clouet ; 1813, l’abbé Bourgade ; 1810, l’abbé Garnier, puis l’abbé Devins ; de 1826 à 1846, les aumôniers de Louis-le-Grand.
37 J. Gratry, Souvenirs de ma jeunesse, Ses Derniers jours par Mgr Perraud, p. 201.
38 Perraud, ibid., p. 203-209.
39 Paroles de Mgr Perraud, dans un discours prononcé à Juilly.
40 Cam. Rousset, Discours prononcé à la réception de Mgr Perraud à l’Académie française.
41 Cam. Rousset, ibid.
42 Ce sont les expressions dont se servit la Semaine religieuse de Paris pour annoncer la promotion de Mgr Perraud à l’épiscopat.
43 Successeur de l’abbé Duquesnay qui n’avait fait que passer (1851-1852).
44 Cette expression et celles qui suivent sont tirées de notes biographiques rédigées par M. l’abbé Thenon, et dont nous devons l’obligeante communication à M. le directeur de l’école Bossuet.
45 Cette expression qui caractérise admirablement M. Thenon est de M. l’abbé de Broglie dans un remarquable discours sur l’abbé Thenon prononcé le 9 janvier 1882 au patronage de Sainte-Mélanie.
46 A la rentrée de 1868, M. Thenon fut momentanément déchargé de la direction de l’École ecclésiastique, remise à M. Maricourt ; mais il la reprit immédiatement après la guerre et la conserva jusqu’en 1875. L’École préparatoire fut supprimée en 1871.
47 Abbé de Broglie, Discours sur M. l’abbé Thenon, p. 20.
48 Allocution prononcée par M. l’abbé Raphanel, directeur de l’École Bossuet, lors de l’inauguration du buste de l’abbé Thenon, 1883.
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