Vingt-cinquième leçon
26 floréal/15 mai
p. 466-478
Texte intégral
De la ponctuation1
1Si l’homme, après avoir inventé les premiers signes de ses idées, et les avoir employés à exprimer les jugements qu’il portait des objets, se fût borné à la simple énonciation de la proposition, notre cours grammatical serait terminé. Mais l’homme alla plus loin ; et de plusieurs propositions, qui d’abord ne formaient que des images détachées, il composa des tableaux, où ces idées, fondues ensemble, ne présentèrent plus rien d’isolé. Néanmoins, chacun de ces tableaux resta distinct et séparé ; chacune de ses parties resta également distincte, et il fut facile de remarquer cette séparation et de l’exprimer par des signes. Ce sont ces signes dont la destination fut d’abord d’indiquer ces distinctions et ces démarcations entre les différents membres d’une période, qui forment la dernière partie de la grammaire connue sous le nom de ponctuation.
2Un grammairien célèbre définit la ponctuation l’art d’indiquer les endroits où l’on se repose pour reprendre la respiration. Nous pensons que la ponctuation a eu, dans son origine, une destination plus noble. Et voici la manière que nous avons employée pour en donner la connaissance à nos élèves sourds-muets.
3Nous avons fait plusieurs actions à l’un d’entre eux : nous avons fait rendre compte de ces actions par un autre, dans l’ordre suivant :
4« Massieu porte une clef » I « il porte un gant » I « il porte un sceau. »
5Je fais placer à la fin de chacune de ces phases une ligne perpendiculaire qui indique que la phrase est finie. Comme dans l’exemple suivant : « Massieu porte une clef |. »
6Je fais remarquer à l’élève que le sens recommence après chaque ligne perpendiculaire ; qu’il doit donc y avoir dans la lecture un petit repos, une petite pause, à chacune de ces lignes.
7Après cela, je fais effacer une grande partie de cette ligne dont je ne fais conserver qu’une très petite portion qui nous sert à former ce qu’on nomme la virgule.
8Il ne s’agit plus, quand, de toutes ces lignes perpendiculaires, nous avons fait autant de virgules, que de faire observer qu’on peut et qu’on doit retrancher tous les mots dont on peut se passer, sans toucher aux virgules. Or, on peut se passer de tous les pronoms qui se rapportent au sujet principal. On peut se passer du verbe porte qu’il est inutile de répéter et qu’il suffit d’avoir énoncé une fois. Ces ratures nous donnent d’abord la même proposition ainsi arrangée.
9« Massieu porte une clef | un gant | un sceau |. »
10Et puis, quand chaque ligne est devenue une virgule, nous avons :
11« Massieu porte une clef, un gant, un sceau. »
12C’est le cas de dire que chaque virgule (,) est une sorte de signe elliptique qui suppose toujours l’omission ou la sous-entente d’une partie de la proposition, facile à suppléer par ce qui précède. C’est par ces procédés qu’on apprend à donner à la ponctuation l’importance qu’elle mérite2.
13Elle n’est plus considérée uniquement comme une simple indication de quelques repos ; on commence à s’apercevoir qu’elle est une partie du système général de l’art de la parole.
14On s’en aperçoit bien mieux quand on décompose une période. C’est alors qu’on voit les raisons de la virgule (,), du point et de la virgule ( ;), des deux points ( :), du point (.). Aussi ne soyons plus surpris de la difficulté que trouvent, dans la ponctuation, tant de personnes, d’ailleurs instruites. C’est que pour bien connaître les règles de la ponctuation, il faut connaître la théorie de la période, en savoir bien distinguer chaque membre. Je dirai plus (et j’avoue qu’il faut avoir une grande confiance en mes lecteurs pour oser le dire), c’est que pour posséder les règles de la ponctuation, il ne suffit pas de savoir la grammaire ; il faut encore savoir l’art d’écrire.
15Aussi, comment donner des règles sur l’art de ponctuer à ceux qui on n’a eu que le temps d’exposer les règles matérielles du langage, sans avoir pu donner des règles de style ; et quand on est forcé de laisser entre la syntaxe et la ponctuation cet intervalle que devrait remplir un traité complet de l’art d’écrire ?
16La ponctuation n’a rien de matériel, comme peuvent l’imaginer le commun des lecteurs. Rien sans doute de plus facile que de distinguer les signes qu’on emploie pour couper les périodes et les terminer. Mais les employer à propos c’est une véritable science dont les principes, a dit très judicieusement Beauzée, « sont nécessairement liés à une métaphysique très subtile, que tout le monde n’est pas en état de saisir et de bien appliquer. »
17Le même auteur définit ainsi la ponctuation. « La ponctuation, dit-il, est l’art d’indiquer dans l’écriture, par les signes reçus, la proportion des pauses qu’on doit faire en parlant. »
18Nous pensons que pour rendre cette définition complète, il fallait y ajouter ce que l’auteur dit plus loin ; que la ponctuation sert surtout à distinguer les sens partiels qui constituent un discours, et la différence des degrés de subordination qui conviennent à chacun de ces sens.
19Ces signes dont nous avons déjà parlé sont, comme nous l’avons dit, la virgule (,) qui indique matériellement à un lecteur la plus petite de toutes les pauses, et qu’on ne met que pour séparer entre eux plusieurs sujets ou plusieurs objets dépendants d’une action commune. Ce signe ne termine jamais un membre complet dans une période ; il ne fait autre chose que distinguer divers sujets desquels on affirme ou on nie une même qualité, comme dans l’exemple suivant :
Des ministres du Dieu les escadrons flottants
Entraînèrent sans choix animaux, habitants,
Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure.
20Ce sont ici des objets d’une même action séparés par la virgule :
Entraînèrent... animaux, habitants,
Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure.
21Le point et la virgule (;) désignent matériellement une pause un peu plus grande ; il s’agit alors de deux membres distincts l’un de l’autre, tous deux subordonnés également à un sujet principal. Encore une fois, l’usage devient nul ici ; et ce ne sera pas pour avoir souvent vu et même remarqué le point et la virgule placés dans une période qu’on saura, au besoin, les employer soi-même. Mais c’est quand on saura ce que c’est, dans une période, qu’un sujet principal, qu’un membre subordonné ; et on ne sait bien tout cela que lorsqu’à la suite d’un cours de grammaire, on a fait, comme nous l’avons dit, un cours sur l’art d’écrire. Exemple de l’emploi du point et de la virgule (;) :
Mais la nuit aussitôt de ses ailes affreuses
Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses ;
Revole vers Paris, et hâtant son retour
Déjà de Montlhéry voit la fameuse tour.
22Autre exemple
ô mortelles alarmes !
Tout Israël périt : pleurez, mes tristes yeux ;
Il ne fut jamais sous les cieux
Un si juste sujet de larmes.
23Les deux points (:) expriment un repos plus considérable que le point et la virgule. Chacun des membres divisés par les deux points formerait une phrase à lui seul, et n’exigerait pas, pour être compris, de tenir à celui qui le suit ou qui le précède ; néanmoins on remarque une sorte de liaison de sens qui tient attachés ces deux membres, et qu’un esprit un peu attentif y retrouve aisément.
24Exemple
Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes !
A nos sanglots donnons un libre cours :
Levons les yeux vers les saintes montagnes
D’où l’innocence attend tout son secours.
25Le point indique la pause la plus grande de toutes. Il termine la période, et par conséquent il annonce que le sens est complet. En voici un exemple :
Parle-lui, tous les jours, des vertus de son père,
Et quelquefois aussi parle de sa mère.
Mais qu’il ne songe plus, Céphise, à nous venger.
Nous lui laissons un maître, il le doit ménager.
Qu’il ait de ses aïeux un souvenir modeste.
Il est du sang d’Hector ; mais il en est le reste.
26Outre le point (.), il y a encore deux autres signes, qu’on nomme aussi des points, dont l’un indique que ce qui le précède est une phrase interrogative, aussi l’appelle-t-on point interrogati f; il est marqué ainsi : (?) ; et dont l’autre indique un mouvement de surprise ou d’admiration, ou quelque autre sentiment d’une âme qui sort de son repos, et qui s’exprime d’une manière forte, et au-dessus du ton ordinaire de la conversation. Ce point se nomme exclamatif ; en voici la figure : (!). Voici des exemples de ces deux points :
Ô rives du Jourdain ! Ô champs aimés des cieux !
Sacrés monts, fertiles vallées,
Par cent miracles signalées ;
Du doux pays de nos yeux
Serons-nous toujours exilées ?
27D’après ces observations, on conclura, sans doute, que la ponctuation ne se borne pas à indiquer des repos dans la lecture, à haute voix ; que c’est encore la science grammaticale appliquée aux tableaux de la pensée. On conclura qu’il n’y a rien d’arbitraire dans la ponctuation, pas plus que dans la période ; que ce n’est donc pas au besoin de respirer qu’on doit avoir égard dans la distribution des signes de la ponctuation, mais aux différents sens du discours.
28Quelque perfectionné que paraisse, et que soit en effet notre système de ponctuation, nous serions encore très loin de l’art de bien lire, si, dans cet exercice, nous nous contentions des pauses indiquées par le petit nombre de signes que les anciens nous ont transmis. Quelle monotonie sèche et ennuyeuse ! À force de s’astreindre aux règles que commande la distribution des membres de la période, le discours lu publiquement serait sans vie. Il nous manque encore trop de signes pour la peinture d’un grand nombre de mouvements de l’âme, auxquels on n’a pas songé quand on a inventé le point exclamatif, celui d’admiration et celui d’interrogation.
29N’y a-t-il pas à peindre tantôt l’horreur, qui n’est ni l’admiration, ni l’interrogation ; tantôt l’étonnement, l’agitation, le déchirement, le désespoir d’une âme qui passe du calme habituel à ces sentiments pour lesquels notre art de ponctuer n’a aucun signe ?
30Mais ces signes qui nous manquent, sans doute que des grammairiens philosophes les chercheront, les imagineront et en enrichiront un bon traité de grammaire élémentaire qui nous manque encore, quoique Dumarsans, Beauzée, Condillac et Girard en aient composé de très précieux.
31En attendant cette richesse si désirable dans notre ponctuation, tâchons de tracer des règles pour bien user de ce que nous avons. Voyons dans quelles occasions la virgule est indispensable, et quand est-ce que les deux points ne pourraient être remplacés par elle. Voyons quand est-ce que le point doit être employé, et quand il faut employer le point et la virgule.
32Nous ne pouvons tracer ici que quelques règles générales, et déterminer qu’un très petit nombre d’occasions où les signes de la ponctuation doivent être employés. Un développement d’une étendue suffisante supposerait des détails sur le style que le temps et les bornes de notre travail ne nous ont pas permis de donner.
De la virgule
33Tout signe de ponctuation est une sorte de borne qui arrête l’esprit du lecteur, plus encore qu’il n’indique une pause à la voix essoufflée. Mais tout signe n’est pas indifférent ; et on ne place pas l’un au lieu de l’autre, sans avoir pris conseil de la raison, qui seule créa l’art d’écrire. Par exemple, la virgule dont nous nous occupons ne peut jamais remplacer le point, ni être remplacée par lui.
34Plusieurs sujets de suite, affirmés de la même qualité, suivis d’un seul et même verbe, ou même de plusieurs qui se disent de tous, sont toujours divisés entre eux par des virgules, et la raison en est simple : c’est que chaque sujet forme une proposition complète, et qu’une proposition doit toujours être distincte et séparée de toute autre proposition. Il en est de même de plusieurs qualités et de plusieurs compléments, ou objets d’actions.
35Exemple pour les sujets
36« Les biens de la fortune, les talents de l’esprit, l’élégance des formes, ne sont rien auprès de la vertu. »
37Exemple pour les qualités
38« Le vrai courage est généreux, sensible, compatissant, prévenant. »
39Exemple pour les objets
40« La mort ne distingue, ni les rangs, ni les âges, ni la fortune, ni la pauvreté. »
41Exemple pour plusieurs verbes
L’orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent emporta tout.
42En général, on place la virgule entre tous les objets d’une énumération quelconque, quels qu’ils soient. On la place entre deux sujets qu’une conjonction ne sépare pas, mais que sépare la diversité de sens, comme dans cet exemple :
43Exemple
44« La haine pour toute espèce de tyrannie, l’attachement pour tout ce qui est juste, annoncent dans une âme l’amour de la vraie liberté. »
45Il n’en est pas de même de deux sujets liés par une conjonction. La conjonction exclut la virgule comme lui étant opposée ; et cela arrive toutes les fois que le sens ne sépare pas deux sujets, et que ces deux sujets ont entre eux quelques rapports de parité, ou même de ressemblance, qu’il n’y a rien dans l’un qui repousse l’autre, comme dans l’exemple suivant.
46Exemple
47« La science et le courage sont de puissants moyens dans un général. »
48On observe encore de placer la virgule entre les deux membres d’une période, quand la période n’est composée que de deux membres, et qu’aucun de ces deux membres ne se trouve sous-divisé en deux parties.
49Exemple
50« La vertu fait le véritable bonheur de l’homme, quoiqu’elle exige souvent de lui des sacrifices pénibles à la nature. »
51« Le glaive du méchant peut bien atteindre le corps du juste, il ne peut atteindre son âme. »
52Mais au lieu de la virgule, ce serait les deux points qu’il faudrait employer, si chacun des membres se sous-divisait en deux parties, et si chaque sous-division exigeait la virgule. Pour rendre cette règle facile à comprendre et à mettre en pratique, nous allons rappeler l’exemple précédent, en y ajoutant ce qui lui manque pour cette règle-ci :
53« Le glaive du méchant, toujours avide de sang et de carnage, peut bien atteindre le corps du juste : il ne peut atteindre son âme. »
54La raison de la préférence qu’on donne aux deux points, en ce cas, c’est qu’il y a à exprimer une démarcation plus prononcée entre les deux membres qu’entre les deux parties du premier membre. Et nous avons déjà vu que les deux points indiquent un repos plus grand que celui qu’indique la virgule.
55En général, on peut tenir pour certain que toutes les fois qu’une proposition est complète, sans être divisible en plusieurs parties, dans une suite de propositions, on place la virgule après chaque proposition.
56Exemple
57« La passion pour le bien est la passion des grandes âmes : elle les ravit à la dissipation, elle leur rend l’oisiveté insupportable, elle les anime, elle les échauffe, elle les précipite vers tous les actes de courage qui peuvent être utiles, comme l’amour-propre précipite vers tout ce qui les isole ceux qui n’écoutent que la voix trompeuse des sens. »
58On remarquera sans doute deux points au lieu d’une virgule après la première proposition. C’est que cette proposition étant plus générale que toutes les autres, elle doit être séparée par une ponctuation plus prononcée.
59Chaque proposition de la période qui vient de nous servir d’exemple, considérée dans son organisation grammaticale, est sans doute un tout complet, et par conséquent doit être séparée des autres par un signe de ponctuation. Mais aussi chaque proposition faisant partie et étant un des membres d’une sorte de corps qu’on nomme la période, cette proposition ne doit être distincte des autres que par le signe indiquant la séparation la plus légère possible. Telles sont les raisons de préférence de la virgule entre les divers membres de la période, quand ces membres sont simples, et que, comme nous l’avons dit, ils ne sont susceptibles d’aucune sous-division.
60Mais quelque longue que soit une proposition, quand elle est simple, il ne faut en suspendre le sens par aucun signe de ponctuation.
61Exemple
62« L’amour de la justice ne permet pas d’examiner les suites que peut avoir l’accomplissement d’un devoir de première nécessité : l’homme juste ne voit jamais que le devoir qui commande ; il laisse à l’autorité légitime dont on lui intime les ordres le soin de pourvoir aux événements qui pourront résulter de son obéissance. »
63Un objet d’action que les anciens grammairiens appelaient le régime ou le cas du verbe, et que Beauzée et quelques autres appellent le complément prochain de la proposition, ne doit jamais être séparé du reste de la proposition par aucun signe de ponctuation. L’action qui précède cet objet serait arrêtée dans sa marche par une virgule, et n’irait pas frapper, à plomb, comme cela doit être, sur l’objet. Ce que nous disons d’un objet simple, il faut le dire de tout ce qui en tient lieu. Quelquefois c’est une grande portion de phrase qui est le complément de la phrase principale ; c’est une préposition avec son régime qui est à la suite du premier complément. La phrase marche sans que rien doive l’arrêter jusques au second complément, comme on le voit dans l’exemple suivant :
64Exemple
65« Le méchant se laisse entraîner dans toute sorte d’excès, par l’habitude de ne jamais résister à ses passions. »
66Le premier complément se termine à ces mots : toute sorte d’excès. La phrase sans ce complément serait en effet incomplète. On ne peut placer un signe de ponctuation avant le complément ; mais on peut en placer un après ce complément, et avant le suivant, entre le mot excès et le mot par.
67Quelquefois il arrive qu’un complément, un objet d’action, est transposé ; alors on le sépare, par une virgule, du reste de la proposition.
68Exemple
69« Ces fruits que l’amitié vous offre, l’amitié les a cueillis pour vous. »
70D’autres fois, on place un complément éloigné, exprimé par une préposition suivie de son régime, entre un sujet et son action ; mais alors, deux virgules sont là pour le circonscrire, pour marquer la première suspension du sens de la proposition, et pour arrêter et amortir le sens du complément, comme dans cet exemple :
71Exemple
72« L’éternel, par une de ces merveilles qu’on ne peut assez admirer, fait servir au bien général de ses créatures le désordre qui semble régner dans l’univers. »
73En général, toute phrase incidente qu’on pourrait retrancher sans nuire au sens d’une phrase principale doit être circonscrite entre deux virgules, surtout quand cette phrase incidente est explicative du sujet principal, comme dans cet exemple :
74Exemple
75« Les plus grands talents, qui sont des dons du ciel, ne valent pas les qualités du cœur. »
76On peut retrancher cette phrase : « qui sont des dons du ciel ». Il faut donc la placer entre deux virgules, d’après notre règle.
77Il n’en serait pas de même si la phrase incidente, au lieu d’être explicative, était déterminative ; comme on ne pourrait la supprimer sans nuire au sens de la proposition, on ne peut la séparer par une virgule du sujet qu’elle détermine3.
78Exemple
79« L’homme dont vous m’avez vanté les talents est encore au-dessus de sa renommée. »
80Enfin tout ce que l’on ajoute à une proposition doit être séparé par des virgules, quand on peut l’ôter sans nuire à la construction grammaticale, soit que l’addition soit à la phrase, soit qu’on la place dans le corps de la proposition.
81Exemple
Daigne, daigne, ô mon Dieu ! sur Mathan et sur elle
Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,
De la chute des rois, funeste avant-coureur.
82Et la raison de cette extension de règle, c’est que ces expressions exclamatives jetées ainsi, au commencement ou au milieu d’une proposition, sont aussi des phrases entières, des phrases elliptiques ; et nous avons dit, en son lieu, qu’on devait séparer par des virgules des phrases qui avaient entre elles une liaison de sens qui les faisait rapporter à un sujet principal. Nous dirons à cette occasion qu’il y a dans toutes les phrases composées, ou dans les périodes, des liens grammaticaux et des liens logiques. On doit séparer toute proposition qui n’a avec les propositions de la même période aucun lien grammatical ; et cette séparation se fait seulement par une virgule, quand entre les propositions, il reste un lien logique, un lien de sens.
83N’oublions pas que l’ellipse se présente, dans les langues, presque à chaque phrase, et que l’habitude de parler par imitation et sans analyse la fait méconnaître presque partout.
84C’est cette ignorance des tours elliptiques qui rend la ponctuation si difficile dans la pratique. Voici quelques exemples de ces tours elliptiques qui vont nous servir à développer avec plus de clarté ce qui nous reste à dire de l’usage de la virgule.
85« Ô homme ! la dernière heure va sonner pour toi, et tu vis comme si tu étais éternel. »
86Il faut un signe de ponctuation après Ô homme. Est-ce que ces deux mots forment, eux seuls, une phrase entière ? Oui, sans doute. Ces deux mots n’ont réellement aucun lien de syntaxe avec la proposition qui est à leur suite. Ce mot homme est le sujet d’une phrase entière sous-entendue : comme s’il y avait : « Ô homme ! écoute-moi. »
87Autre exemple
88« Je réserve une récompense pour l’élève qui a été bien attentif à mes leçons ; pour l’élève dissipé, je ne lui donnerai rien. »
89Toute la difficulté de ce dernier exemple est dans ces trois mots : pour l’élève dissipé. Il faut placer la virgule après ces mots, parce qu’ils forment aussi comme les précédents, une phrase complète, et qu’il n’y a aucun lien grammatical ou de syntaxe entre ces mots et la proposition suivante. C’est comme si nous disions : « Je réserve une récompense pour l’élève attentif », « Je n’en réserve pas pour l’élève dissipé », « Je ne donnerai rien à l’élève dissipé. »
90N’oublions pas que la ponctuation a égard surtout à la constitution grammaticale de la phrase composée, plutôt qu’à sa constitution logique ; qu’indiquer les repos est pour elle une fonction très secondaire, parce que le repos se trouve naturellement où se termine chaque membre de la période ; et qu’indiquer la terminaison de chacun d’eux, c’est en même temps désigner les repos.
91Nous trouverions, sans doute, à multiplier sur l’emploi de la virgule, et les règles et les exemples ; mais nos observations générales donneront lieu à d’autres observations sur tous les cas particuliers.
92En voilà assez, sans doute, sur la virgule.
93Nous n’oublierons pas qu’elle n’indique qu’un repos passager entre des sujets ou des objets de la même action ; qu’elle ne sert qu’à circonscrire, au milieu d’une phrase principale, une phrase incidente explicative ; ou à marquer le repos qui doit être observé entre une proposition et un de ses compléments éloignés ; ou même à séparer de la proposition un de ses compléments les plus prochains, quand d’ailleurs la proposition renferme un sujet, une action et un objet d’action, comme dans l’exemple suivant :
94Exemple
95« Un propriétaire cueille des légumes, dans son jardin. »
96On peut très bien employer la virgule entre le premier complément légumes, et le second complément dans son jardin ; et la raison en est simple : c’est que l’action se trouve complète, et par conséquent la proposition se trouve terminée aussitôt que le sujet est suivi d’une action, et que l’action a après elle un objet sur lequel elle porte son influence. Alors le second complément est une sorte de proposition qu’on peut tellement détacher de la proposition principale qu’on peut, à volonté, transposer ce complément où l’on veut ; donc on peut, et on doit séparer le complément du reste de la proposition, par une virgule, comme dans l’exemple suivant.
97Exemple
98« Un propriétaire cueille des légumes, dans son jardin. »
99Et cela parce qu’on peut faire les transpositions suivantes : « Dans son jardin, un propriétaire cueille des légumes », « Un propriétaire, dans son jardin, cueille des légumes », « Un propriétaire cueille, dans son jardin, des légumes. »
100Mais à la suite de la virgule, se présente le point par lequel peut-être il eût fallu commencer ; car on pourrait absolument se passer de celle-là ; mais on ne peut exprimer la plus simple pensée, sans employer le point. On peut se méprendre sur l’emploi de la virgule ; on ne peut jamais se tromper sur l’usage du point. Le point est le signe le plus fort de la ponctuation : il termine le sens de toutes les propositions. On le met à la fin de toutes les phrases qui n’ont aucun rapport grammatical entre elles. On rencontre le point partout, bien plus souvent que la virgule. Les gens les moins instruits l’emploient, à propos, comme les plus instruits ; surtout ceux qui, n’ayant aucune connaissance de la période, ne s’expriment qu’en phrases simples ou, tout au plus, en phrases composées ou en périodes à deux membres.
101C’est en faveur de ces derniers que nous intervertissons un peu l’ordre des matières dans cet essai sur la ponctuation. La virgule et le point étant les seuls signes dont fassent usage, pendant toute leur vie, le commun des hommes, nous avons cru devoir commencer par ces deux signes.
102Le point sert à marquer les sens indépendants et absolus. Que la proposition soit plus ou moins courte, quand elle est terminée, c’est-à-dire quand tous les compléments sont exprimés, le point est là pour l’indiquer, et avertir qu’on doit se reposer, dans la lecture, en cet endroit. Nous n’en donnerons point d’exemple. On en trouve partout ; et d’ailleurs la règle en est si simple, si claire, si facile à comprendre, que ce serait l’obscurcir que de vouloir lui donner plus de clarté.
103Outre le point simple et ordinaire, il y a encore dans la ponctuation deux autres points ; l’interrogatif et l’exclamatif. La seule énonciation de la qualité de ces points est une définition ; et il ne reste plus rien à en dire quand on les a nommés.
104Il est tout simple que le point interrogatif soit placé à la fin d’une proposition qui sert à interroger, quelle que soit la forme de cette proposition. Voici la forme de ce point : ( ?).
105Exemple
Ne m’as-tu point flatté d’une fausse espérance ?
Puis-je, sur ton récit, fonder quelque assurance ?
Ô toi qui vois la honte où je suis descendue,
Implacable Vénus, suis-je assez confondue ?
106Mais si la phrase interrogative est tellement enchâssée dans la proposition principale qu’elle soit une de ses incidentes, le point interrogatif n’a pas lieu, comme dans cet exemple : « Quand un enfant bien né fait quelque faute, moins par réflexion que par défaut d’usage, un instituteur attentif lui demande par quel motif il s’est laissé déterminer. »
107Le point exclamatif est également facile à connaître, et on l’emploie sans méprise. Il termine toutes les phrases qui expriment une grande admiration, ou simplement de l’étonnement, de la surprise, de la pitié, de la tendresse ou tout autre sentiment autre affectueux. En voici la forme : ( !).
108Exemples
Ô désespoir ! Ô crime ! Ô déplorable race !
Voyage infortuné !
Rivage malheureux !
Fallait-il approcher de tes bords dangereux !
Plût aux Dieux ... qu’à son sort inhumain
Moi-même j’eusse pu ne pas prêter la main !
Et que simple témoin du malheur qui l’accable,
Je le pusse pleurer, sans en être coupable !
109On pourrait multiplier à l’infini les exemples de l’emploi de ces deux points.
110Outre le point simple et les points interrogatif et exclamatif, il y a un signe de ponctuation qui indique un repos bien plus grand, et dont on ne peut se dispenser de parler à la suite des autres ; c’est l’alinéa. Il a lieu quand, par exemple, dans une lettre d’affaires, on veut distinguer les objets dont on traite, et qu’on désire que le lecteur donne à chacun une attention particulière. Alors on abandonne la ligne au point qui termine une proposition, et on reprend à la ligne suivante. C’est la logique qui vient ici diriger la grammaire. Car ce changement ne peut avoir lieu qu’autant qu’il se trouve dans l’esprit, entre ce qu’on vient de traiter et ce qu’on va traiter encore, un repos assez considérable pour que ce signe de ponctuation qui indique le repos le plus considérable ne soit jamais disconvenant.
111Pour en donner des leçons autrement que par des exemples, il faudrait encore ici nous élever au-dessus de la grammaire, et passer le but qui nous a été prescrit ; et pour en donner des exemples, on pourrait, au hasard, ouvrir le premier livre qui nous tomberait sous la main ; car il est rare d’écrire deux pages sans employer l’alinéa.
112Il nous reste à parler de deux signes de ponctuation dont l’emploi suppose plus de connaissances que nous n’avons pu en donner dans un cours de grammaire générale. Ce sont le point et la virgule ( ;) et les deux points ( :).
113Nous allons essayer de tracer des règles sûres qui fixent l’emploi de ces deux signes, de manière que sans avoir aucune connaissance de l’art d’écrire, et avec les simples notions du mécanisme de la période, on puisse nous comprendre, et faire usage de cette dernière leçon.
114Commençons par exclure tous les cas où l’usage de ces deux signes ne peut avoir lieu. Cette exclusion sera un pas de plus vers la connaissance de ceux où leur emploi est de rigueur.
115Il est nécessaire de rappeler ici, au moins succinctement, ce que nous avons dit ailleurs du mécanisme de la proposition et de celui de la période.
116La proposition est l’exposé d’un jugement, prononcé à la suite de la comparaison que l’esprit a fait de deux ou de plusieurs choses entre elles. Lisez ce que nous en avons dit dans une leçon sur la syntaxe.
117Si la proposition restait dans sa simplicité originelle, les signes de ponctuation se réduiraient au point qui la terminerait. Si, sans sortir de cette simplicité, il n’y avait dans le mécanisme de sa formation que pluralité dans son sujet ou dans son objet, il ne faudrait ajouter que la virgule.
118Exemple
119« Le Soleil répand une chaleur douce et bienfaisante. »
120On ne voit dans cette proposition d’autre signe que le point (.) qui la termine, parce que, étant simple et tous les mots qui composent étant nécessaires à l’expression de l’affirmation qui y est contenue, on arrêterait l’influence que ces mots ont les uns sur les autres, si on mêlait entre eux quelque signe de repos. Il en serait de même dans une proposition, même simple, dans laquelle deux sujets seraient liés par une conjonction, comme dans l’exemple suivant : « Le Soleil et la Lune ne sont pas les plus grands astres de notre système planétaire. » Ainsi toute proposition semblable à ces deux-là n’admet d’autre signe de ponctuation que le point.
121Si la proposition renferme, ou plusieurs sujets, ou plusieurs objets, ou plusieurs verbes, sans avoir pour cela plus d’un seul membre, on a recours à la virgule, comme nous l’avons dit en son lieu. En voici de nouveaux exemples : « Le Soleil, la Lune, les étoiles et les planètes ne paraissent pas ensemble et à la fois sur notre horizon. » Dans aucun de ces cas, on ne peut employer ni le point et la virgule, ni les deux points. C’est que, quoiqu’il y ait plusieurs sujets et deux compléments, il n’y a pas pour cela plusieurs propositions ; c’est toujours une seule et même proposition, et un seul membre. Il pourrait y avoir même deux membres, que les signes de ponctuation ne seraient pas pour cela multipliés ; en voici un exemple : « Le courage fait les héros, la vertu fait les sages. »
122Et la raison de cette règle, c’est que chacun de ces deux membres est une proposition simple où l’on ne peut rien diviser, rien séparer. Mais si chaque membre se composait d’une autre idée et exigeait la virgule, c’est alors qu’il faudrait recourir à un signe de plus. Et en procédant à cette composition, nous sortirons des bornes de la ponctuation réduite au point tout seul et à la virgule seule, pour passer au point et à la virgule ( ;) dont l’emploi a été jusqu’ici d’une si grande difficulté.
123« Le courage qui fait les héros, en leur faisant affronter les plus grands dangers ; la vertu qui fait les sages, en les rendant supérieurs aux passions, établissent une grande différence entre les uns et les autres. »
124On remarquera que ces deux membres ne sont plus aussi simples qu’ils l’étaient ; que chacun a un complément, et qu’une virgule sépare ce complément de la proposition à laquelle il est attaché. On remarquera aussi qu’il y a une séparation plus grande entre le sens de chaque membre qu’entre la proposition de chaque membre et son complément ; et que s’il faut une virgule pour une séparation quelconque, il faut un peu plus qu’une virgule, pour une plus grande séparation. Aussi dans l’exemple cité, voit-on une virgule entre la proposition : « Le courage qui fait les héros » (,) et le complément : « en leur faisant », etc. : et aussi voit-on, pour cette même raison, le point et la virgule ( ;) entre ce premier membre et le second, quand dans le premier exemple, il n’a fallu que la simple virgule.
125Mais on a lié plusieurs propositions qui dans l’esprit dépendaient les unes des autres, et on a voulu qu’elles formassent, dans l’énumération, le même tableau, le même ensemble qu’elles formaient dans l’intelligence. En liant ainsi plusieurs propositions, on les a fondues ensemble ; et ce composé, on l’a appelé période. Il a fallu indiquer les différents points de section : et comme ces différentes parties étaient plus ou moins séparées entre elles, il a fallu aussi différents signes de repos et de séparation. De là, outre le point et la virgule, l’invention des deux points et du point avec la virgule.
126Quelle différence y a-t-il entre ces deux nouveaux signes de la ponctuation ? Dans quelles occasions emploie-t-on le point avec la virgule par préférence à la simple virgule ? Quand faut-il employer les deux points ?
127Nous avons assez dit quel doit être l’usage du point seul, de la virgule seule : nous avons assigné les cas où il ne faut ni les deux points, ni le point avec la virgule ; nous pouvons passer sans danger au développement qu’exigent ces deux signes de la ponctuation. Prenons pour sujet qui pourra nous servir d’exemple la matière d’une période.
128Exemple
L’amour est une passion de pur caprice :
Il attribue du mérite à l’objet aimé.
Il ne fait pas aimer le mérite.
La reconnaissance lui est inconnue.
Chez lui, tout se reporte à la volupté.
Rien, chez lui, n’est lumière et ne tend à la vertu.
129Nous avons six propositions dans cet exemple. Point d’autre signe que le point dans les quatre premières. Nous avons et le point et la virgule dans les deux dernières, parce qu’on y retrouve un complément qui peut être transposé. Mais dans tout cet exemple, il n’y a ni les deux points, ni le point avec la virgule. C’est que chaque proposition est ici détachée, et forme, à elle seule, un sens absolu, indépendant grammaticalement du sens de la précédente et de la suivante. Mais lions ensemble ces propositions de sorte qu’elles forment un tout complet, sans cependant en couper les différentes parties par les signes de ponctuation convenables.
130Exemple
131« L’amour est une passion de pur caprice qui attribue du mérite à l’objet aimé mais qui ne sait pas aimer le mérite à qui la reconnaissance est inconnue parce que chez lui tout se rapporte à la volupté et que rien n’y est lumière ni ne tend à la vertu. »
132Ici, il n’y a, non plus, d’autre signe de ponctuation que le point qui termine cette période. N’en faut-il point d’autres ? Sans doute, il en faut. Examinons quels ils doivent être. Avant tout, combien de membres y a-t-il dans cette période ? Il y en a deux. Voici le premier : « L’amour est une passion de pur caprice, qui attribue du mérite à l’objet aimé, mais qui ne fait pas aimer le mérite. » Voici le second : « A qui la reconnaissance est inconnue, parce que chez lui tout se reporte à la volupté, et que rien n’y est lumière, ni ne tend à la vertu. »
133La première proposition du premier membre est la principale, car elle est suivie de deux incidentes explicatives ; or, la règle est qu’il faut séparer les propositions qui forment un membre quelconque par le signe de la moindre séparation possible, et c’est la virgule. Il faut donc deux virgules, dans le premier membre, aux deux points de section ; et comme il faut toujours une séparation plus forte entre les divers membres qu’elle ne doit l’être entre les parties d’un même membre, il faut quelque chose de plus qu’une simple virgule, au point de séparation des deux membres. Et ce plus, que sera-t-il que le point avec la virgule, ou les deux points ?
134Dans cette période, il faudra les deux points entre les deux membres ; en voici la raison : c’est qu’il y a toujours une distinction de sens, ou une séparation plus grande entre les deux membres d’une période qu’entre les parties de chaque membre ; et que, dans une période, la distinction des sens partiels allant toujours croissant, dès qu’on a employé la virgule pour la distinction des parties d’un membre, il faut, au moins, la virgule avec le point pour la distinction des membres eux-mêmes. Mais comme dans cette période la virgule a été employée pour la séparation de la première partie du premier membre, et la virgule avec le point pour la séparation de la seconde partie, il est tout simple que pour être fidèle à la loi de la gradation proportionnelle des sens, on emploie les deux points, au point de séparation des deux membres entre eux.
135Ainsi la période qui nous sert d’exemple doit être ponctuée ainsi : « L’amour est une passion de pur caprice, qui attribue du mérite à l’objet aimé ; mais qui ne fait pas aimer le mérite : à qui la reconnaissance est inconnue ; parce que chez lui tout se rapporte à la volupté, et que rien n’y est lumière, ni ne tend à la vertu. »
136Si au lieu d’être suivi d’une seconde phrase incidente explicative, la phrase principale du premier membre était seulement accompagnée de la première incidente, les deux points qui séparent les deux membres n’auraient pas lieu ; on devrait employer à la place le point avec la virgule.
137Exemple
138« L’amour est une passion de pur caprice, qui attribue du mérite à l’objet aimé, à qui la reconnaissance est inconnue. »
139Supposons encore que la phrase du premier membre est seule et n’est suivie d’aucune autre proposition, et que le second membre lui succède et lui est attaché immédiatement ; alors il ne faudra pas même le point avec la virgule, mais seulement la virgule.
140Exemple
141« L’amour est une passion de pur caprice, à qui la reconnaissance est inconnue. » Allons plus loin : ôtons au premier membre les mots qui déterminent le qualificatif ; on pourra, dans ce cas, se passer même de la virgule. « L’amour est une passion à qui la reconnaissance est inconnue. »
142C’est en composant et en décomposant ainsi qu’on peut apprendre d’une manière sûre à employer, à propos, les divers signes de la ponctuation ; c’est ainsi que si elles n’étaient déjà fixées, on en pourrait créer les règles.
143C’est aussi en appliquant ces règles à divers exemples, en prose et en vers, où se trouvent, plusieurs fois, dans un court espace, les divers signes de la ponctuation, qu’on en apprendra facilement les différents usages. Voici quelques exemples dont nous avons fait choix, où l’on trouvera l’application de ces signes. Dans le premier, c’est l’emploi fréquent du point avec la virgule. Dans le second, c’est celui des deux points.
144Premier exemple
Ô mon fils ! de ce nom j’ose encore vous nommer :
Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
Que m’arrachent pour vous de trop juste alarmes.
[...]
Promettez sur ce livre, et devnt ces témoins,
Que Dieu sera toujours le premier de vos soins ;
Que sévère aux méchants, et des bons le refuge,
Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge ;
Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin,
Comme eux, vous fûtes pauvre, et comme eux, orphelin.
145Second exemple
Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d’Egée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée ;
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi :
Athènes me montra mon superbe ennemi.
146En général, tout membre d’une période doit être matériellement séparé du membre suivant par un signe quelconque de ponctuation. Il doit en être séparé par la virgule seulement, quand ce membre de la période ne contient qu’une proposition simple dont les parties, par conséquent, ne peuvent être divisées. Il doit être séparé par le point avec la virgule, quand, étant formé de deux propositions, ces deux propositions sont séparées par une virgule. Il doit être séparé par les deux points, quand le point avec la virgule a été employé déjà dans la séparation des parties qui composent ce premier membre.
147Nous prendrons dans Beauzée, qui a répandu tant de clarté sur cette matière si obscure, une règle et un exemple dont les applications achèveront de fixer invariablement l’emploi de divers signes de la ponctuation. « Si un membre de période, dit ce célèbre grammairien, renferme plusieurs incises sous-divisées en parties subalternes, il faudra distinguer entre elles, par la virgule, ces parties subalternes ; les incises, par un point et une virgule, et les membres, par les deux points. »
148Exemple
149« Si vous ne trouvez aucune manière de gagner honteuse, vous qui êtes d’un rang pour lequel il n’y en a point d’honnête ; si tous les jours c’est quelque fourberie nouvelle, quelque traité frauduleux, quelque tour de fripon, quelque vol ; si vous pillez et les alliés et le trésor public ; si vous mendiez des testaments qui soient favorables, ou si même vous en fabriquez : » (Premier membre avec quatre incises.)
150« Dites-moi, sont-ce là des signes d’opulence ou d’indigence ? » (Second membre.)
151Enfin, souvenez-vous que quand on a employé dans la ponctuation d’un des membres d’une période le point avec une virgule, il faut deux points entre les deux.
152Exemple
153« L’esprit, les talents, le génie procurent la célébrité ; c’est le premier pas vers la renommée : mais les avantages en sont peut-être moins réels que ceux de la réputation d’honneur. »
154Le point avec la virgule ne peut être employé que dans la phrase composée et dans la période. Mais les deux points sont d’un usage bien plus fréquent. Outre qu’on les emploie aussi, comme le point avec la virgule, dans la période et dans la phrase composée, on s’en sert encore dans les énumérations, quand on annonce un exemple, un discours, étranger à celui qui l’annonce.
155Voici une application de cette règle, dans un exemple tiré de la tragédie d’Edouard III, où M. Gresset fait parler ainsi Alzonde, héritière du royaume d’Ecosse :
S’élevant contre moi de la nuit éternelle,
La voix de mes aïeux dans leur séjour m’appelle ;
Je les entends encor : nous régnions, et tu sers :
Nous te laissons un sceptre et tu portes des fers !
Règne. Ou prête à tomber, si l’Écosse chancelle ;
Si son règne est passé : tombe, expire avant elle.
Il n’est dans l’univers, en ce malheur nouveau,
Que deux places pour toi ; le trône ou le tombeau.
156Il ne nous reste plus à connaître que les guillemets : ce sont deux virgules unies qu’on met à côté du mot par lequel commence chaque ligne, pour avertir que c’est une citation, un discours de toute autre personne que de celle qui écrit. Nous avons mis des guillemets à tous les exemples rapportés dans cet essai de ponctuation4 : nous en avons mis également à ce que nous avons cité de Beauzée. On peut y recourir : on verra l’emploi qu’il faut faire des guillemets.
157Ici se termine ce cours sur l’art de la parole, que les circonstances m’ont forcé à réduire à une sorte d’essai de grammaire générale, n’ayant pas eu assez de temps pour lui donner plus d’étendue et de plus grands développements.
158On n’y trouvera rien qui ne soit commun à toutes les langues ; mais rien n’y manque de ce qui leur convient : cependant ma dernière leçon n’eut pour objet que la conjugaison ; mon travail n’a donc pas cessé avec les Écoles normales5 : il n’eût été que commencé. Puisse-t-il, tout imparfait qu’il est encore, être reçu de ceux dont le souvenir m’est aussi cher que leur réunion me fut agréable, avec cette même indulgence dont ils me firent constamment éprouver les effets.
Notes de bas de page
1 Avec ce dernier chapitre, qu’il reproduit en même lieu dans ses Éléments, Sicard se conforme encore à l’ordre que suivent les grammaires de son temps (cf. J.-C. Pariente, Grammaire générale...,op. cit., p. 83-101). La ponctuation l’intéresse en tant que susceptible d’être raisonnée. C’est ce que Lancelot n’avait pas pensé : il la disait arbitraire et différente selon les langues et les styles. De même, Condillac, Sicard, et Tracy, après lui, ne l’étudient guère, alors que l’abbé Girard, mais également Buffier ou Restaut, parlent de ponctuation. Le modèle de l’abbé est, ici encore, Beauzée, mais il ne le considère pas tout de suite au titre de la description des types de propositions explicatives et déterminatives, même s’il l’a rencontrée dans le cadre de son travail sur la syntaxe raisonnée et traitée par sa théorie des chiffres (cf. supra, notes 43, 55 et 142).
2 Cf. note précédente et la séance du 22 pluviôse. C’est bien par une analyse du sens partiel qui constitue le discours et de la différence entre degrés de subordination du sens partiel, et non par une simple référence au besoin de respirer, que Sicard définit la ponctuation, en reprenant sans doute les trois principes fondamentaux de Beauzée.
3 Voici très exactement la sixième des règles de Beauzée. Mais ici l’abbé Sicard semble ne faire usage que de l’héritage que Beauzée dit avoir tenu de l’abbé Girard. Apparemment il ne s’intéresse qu’incidemment, si l’on ose dire, à la question des déterminatives et explicatives eu égard à la ponctuation. Son apport propre est au niveau de l’ellipse de phrase dans la conjonction des sujets ou attributs telle que peut la figurer la théorie des chiffres. Il ne l’aborde pas vraiment par l’aspect logique qui intéressait les Messieurs, en liaison avec la critique du jugement que les termes complexes peuvent fausser. Et il ne semble pas même s’inquiéter de ce que la règle pour l’explicative fonctionne pour la période, et non pour son exemple de l’astre qui éclaire la Terre, donné à la leçon datée de manière fautive du 17 floréal.
4 Par souci de conformité avec les usages typographiques actuels, nous avons supprimé les guillemets pour les citations de textes poétiques.
5 On voit que le jugement de P. Dupuy sur l’inachèvement du cours de Sicard est tout à fait tendancieux. Le programme annoncé avait été rempli. Restait à donner le paradigme entier de la conjugaison, à mettre en forme de façon séparée la théorie des chiffres et la syntaxe particulière des mots. Sicard l’explicitera à travers la publication d’ouvrages qui connaîtront un réel succès, et à la fin du tome de Débats paru en 1800. Les textes des lettres publiées dans ce même tome montrent en quel sens les élèves devenus maîtres qui demandaient ce complément ont considéré cette fin qui n’était qu’un commencement : « Cet ouvrage n’a pas été fini avec le temps que durèrent les Écoles normales. » (lettre du 16 fructidor an IX)
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