Douzième leçon
11 floréal/30 avril
p. 156-164
Texte intégral
1Après avoir considéré le son dans ses effets les plus généraux, tels que le mouvement de vibration du corps qui le fait naître ou de l’air qui le propage, la vitesse avec laquelle il parcourt cet air, sa reproduction à la rencontre des corps qui le réfléchissent, nous avons à traiter aujourd’hui des rapports entre les sons, comparés d’après les nombres de vibrations que font, dans le même temps, différents corps sonores. Les observations qui déterminent ces rapports sont du ressort de la physique1 et l’art du musicien consiste à les employer de la manière la plus propre à flatter l’oreille ; soit par la succession bien ordonnée des sons simples, d’où dépend la mélodie ; soit par l’heureuse combinaison des sons simultanés, dans laquelle consiste l’harmonie. Le physicien n’envisage que ce qu’on pourrait appeler la musique de l’esprit ; c’est à l’artiste qu’appartient la musique du sentiment2.
2Les sons ne se prêtent à la comparaison qu’autant qu’ils sont appréciables. C’est cette qualité du son qui fait que l’oreille en saisit le degré, et que chacun a naturellement la facilité, lorsqu’il entend un de ces sons qui est à la portée de sa voix, d’en former un qui l’imite parfaitement, et qui ne paraît être que le même son rendu par un autre organe.
3Cette manière de parler des sons, comme étant placés à différents degrés les uns au-dessus des autres, et de supposer que la voix monte ou descend, n’est qu’un langage figuré qui a sa source dans les apparences, et auquel la notation de la musique a été assortie.
4On donne aussi le nom de graves aux sons les plus bas, et celui d’aigus à ceux qui sont les plus hauts.
5Mais la différence réelle et physique entre un son grave et un son aigu consiste en ce que le corps qui rend le premier fait un moindre nombre de vibrations, dans un temps donné, que celui qui produit le second3.
6Les expériences faites sur les cordes sonores ont fourni un moyen facile de trouver le rapport entre les nombres de vibrations, d’où résultent deux sons qui diffèrent entre eux d’un nombre déterminé de degrés. En général, la fréquence des vibrations d’une corde sonore dépend de trois choses, savoir la longueur de cette corde, sa grosseur et sa tension. La formule à laquelle Taylor4 a été conduit par le calcul fait voir qu’à densité égale, le nombre de vibrations, dans un temps donné, est proportionnel au produit de la longueur de la corde par son diamètre, divisé par la racine carrée du poids qui tient cette corde tendue, et c’est ce que confirme l’observation.
7Dans les expériences relatives à cet objet, on se sert d’un instrument appelé sonomètre, qui est une espèce de caisse oblongue, sur laquelle on tend avec des poids deux cordes de laiton, pour comparer leurs nombres de vibrations. Ordinairement on ne fait varier que l’une des trois quantités dont nous avons parlé ; c’est-à-dire, par exemple, que si l’on tend les cordes avec des poids différents, on prend ces cordes de la même grosseur, et on leur donne la même longueur. Dans ce cas, le rapport entre les nombres de vibrations pendant un certain temps pris pour unité est indiqué par le rapport inverse des racines carrées des poids tendants.
8Si l’on représente de même par l’unité le plus bas des deux sons que l’on compare, on aura les rapports suivants entre le son dont il s’agit, et le son aigu qui est supposé être entendu en même temps que lui.
9L’octave sera représentée par 2, c’est-à-dire que le son aigu fera deux vibrations, tandis que le son grave n’en fera qu’une ; c’est l’intervalle entre les deux ut de la gamme ordinaire.
10La quinte, ou l’intervalle de ut à sol, en montant, aura pour expression 3/2 ; ainsi le son aigu de cette consonance fera trois vibrations contre deux du son grave.
11La quarte, ou l’intervalle de ut à fa, sera représentée par 4/3 ;
12La tierce majeure, ou l’intervalle de ut à mi, par 5/4 ;
13La tierce mineure, ou l’intervalle de mi à sol, par 6/5 ;
14Nous nous bornons ici aux consonances5 ; on représenterait de même les dissonances, en faisant varier de plusieurs autres manières les deux termes du rapport6.
15Chaque son, tel qu’il parvient ordinairement à l’oreille, est au jugement de cet organe un effet très simple, une espèce d’élément dont rien ne paraît altérer la pureté ; et cependant chaque son renferme réellement une multitude d’autres sons plus aigus, dont quelques-uns deviennent sensibles dans certains cas, pour une oreille tant soit peu délicate, et les autres ont leur existence indiquée par différentes observations7.
16Supposons d’abord qu’il n’y ait dans un lieu qu’une seule corde d’une certaine longueur, comme l’une de celles qui forment la basse d’un clavecin, ou la grosse corde d’un violoncelle, et qu’après avoir tendu cette corde convenablement on la fasse résonner. En prêtant une oreille attentive, à une petite distance de la corde, on entendra, outre le son principal, deux autres sons plus faibles, mais très distincts ; et si l’on représente toujours le son principal par l’unité, les deux sons concomitants seront représentés, l’un par 3, et l’autre par 5 ; c’est-à-dire que le premier étant ut, le second sera l’octave de sa quinte sol en montant, et le second la double octave de sa tierce majeure mi.
17Cette expérience réussit de même avec un violon, lorsqu’on passe l’archet sur la grosse corde, à une petite distance du chevalet, dans une direction bien perpendiculaire à la corde, comme pour tirer un son plein et nettement prononcé. On peut à volonté laisser substituer ou supprimer les trois cordes, qui ne contribuent en rien à l’effet.
18On entend aussi l’octave 2 et même la double octave 4 du son principal : mais il faut plus d’attention pour les distinguer, parce que les sons placés à l’octave l’un de l’autre approchent beaucoup plus de se confondre dans l’oreille.
19Nous avons donc la suite 1, 2, 3, 4, 5, qui représente les différents sons sensibles pour l’oreille, dont est composée l’harmonie d’un seul son.
20Mais une autre expérience nous porte à croire que ce ne sont ici que les premiers termes de la véritable série qui s’étend indéfiniment. Car si à côté d’une première corde on en dispose d’autres, dont les nombres de vibrations, qui répondent à une seule vibration de la première, soient 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, etc. ; et si l’on fait résonner la première corde seule, toutes les autres frémiront et résonneront en même temps, quoique beaucoup plus faiblement. On peut rendre leur frémissement sensible à l’œil, en plaçant sur chacune d’elles un petit chevalet de papier, que l’on verra s’agiter, ou même sauter en bas, au moment où l’on pincera la corde principale.
21Si les diamètres et les degrés de tension des différentes cordes sont égaux entre eux, les longueurs des cordes que la première fera résonner, en y comprenant l’unisson, devront être d’après ce qui a été dit comme les nombres 1, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, etc. Nous supposerons à l’avenir, pour plus grande simplicité, que les cordes ne varient ainsi que suivant leur longueur.
22Or, puisque les premiers sons de la série se distinguent immédiatement dans la résonance d’une corde que l’on fait vibrer toute seule, il n’y a pas lieu de douter que les suivants n’y soient pareillement renfermés ; et si l’organe ne les saisit pas sans intermédiaire, c’est qu’ils sont tellement affaiblis qu’ils échappent à son attention : sur quoi nous remarquerons que, dans certain cas, avec une seule corde on parvient même à démêler l’impression du son représenté par 7.
23On a donné le nom de son générateur au son principal, et les sons plus faibles qui l’accompagnent ont été appelés sons harmoniques.
24Quelques physiciens8 ont pensé que la corde principale se sous-divisait en parties aliquotes, semblables à celles qui représentaient les longueurs des autres cordes ; en sorte que le son rendu par chacune de celles-ci était produit comme unisson par la partie aliquote qui lui répondait dans la corde principale. Mais ni l’observation, ni le calcul n’indiquent cette sous-division de la corde génératrice. Tout ce que l’on peut conclure des expériences citées, c’est que les vibrations d’une corde sonore ont la propriété d’exciter dans l’air, non seulement des vibrations du même ordre, mais d’autres vibrations de différents ordres plus élevés, analogues à celles que les harmoniques y produiraient, si chacun d’eux était rendu par une corde distincte.
25On pourrait croire encore que quand on emploie une seule corde, la résonance des harmoniques provient des corps environnants dont les fibres se trouvent à leur unisson, de celles du bois même sur lequel la corde est tendue, et avec lesquelles cette corde est censée communiquer ; en sorte que celle-ci commencerait à agir sur les fibres dont il s’agit, et que ces fibres à leur tour produiraient dans l’air les vibrations analogues à la résonance des harmoniques. Mais nous avons fait l’expérience en plein air, et de manière que les points d’attache n’avaient aucune élasticité sensible, et nous avons entendu encore la résonance des premiers harmoniques ; d’où il faut conclure que la corde a par elle-même la propriété d’exciter dans l’air les vibrations qui font ensuite frémir et résonner les corps environnants.
26En partant des faits que nous venons d’exposer, on conçoit pourquoi, lorsqu’on chante dans un lieu où il se trouve des corps susceptibles de rendre des sons appréciables, tels que des vases de verre ou de métal, chacun de ces corps résonne lorsque la voix fait entendre son unisson, ou même lorsqu’elle rend un son qui est à celui que le même corps rendrait par la percussion9, comme le son générateur est à l’octave de sa quinte, ou à la double octave de sa tierce. Ces différents effets sont très sensibles, lorsqu’on rend un son avec la voix, en présentant la bouche à l’ouverture d’un verre ordinaire. La résonance la plus marquée est celle de l’unisson ; et l’on cite des chanteurs doués d’une voix juste et en même temps très forte, qui en prenant ainsi l’unisson d’un verre parvenait à le casser.
27Le changement de figure qu’éprouvent dans ce cas les différents anneaux qui composent le verre est si considérable que les parties n’ayant pas la flexibilité nécessaire pour s’y prêter assez promptement se séparent à différents endroits, comme dans le cas où le verre aurait subi une forte percussion.
28Tout ce que nous venons de dire nous conduit à parler d’une autre expérience, connue sous le nom d’expérience de Tartini10 ; elle consiste à faire entendre à la fois deux sons forts, justes et soutenus : il résulte de leurs concours un troisième son plus faible, et qui est tel que si l’on représente le rapport entre les deux premiers sons par les nombres les plus simples, le son produit sera représenté par 2. Si les deux sons dont il s’agit ont, par exemple, pour expressions les nombres 8 et 9, auquel cas leur accord donnera une dissonance semblable à celle qui résulte des sons ut, ré, le son produit étant 2, répondra à la double octave en dessous de l’ut de la dissonance.
29En général, il ne faudra que transporter à l’octave des sons de l’accord, ou tous les deux, pour qu’ils soient compris dans la série des harmoniques dont le troisième son serait le son fondamental ; ce qui peut lier cette expérience avec celle de la triple résonance d’une corde vibrante, dont elle offre en quelque sorte l’inverse11.
30Nous citerons une troisième expérience très curieuse, qui se trouve indiquée dans Wallis12, mais qui était oubliée, lorsqu’elle s’offrit aux observations de Sauveur13, qui a passé depuis pour en être l’inventeur. Voici le détail de cette expérience.
31Si l’on tend une corde sur une planche, et qu’on la partage en deux portions inégales, et commensurables entre elles, au moyen d’un obstacle léger, qui ne la presse que médiocrement, ces deux parties étant pincées successivement rendront le même son, qui sera différent de celui de la corde entière. Et tel sera ce son, que si l’on représente par les nombres les plus simples, le rapport entre les longueurs des deux parties de la corde, le son qu’elles feront entendre sera celui d’une corde qui aurait l’unité pour expression. Ainsi en supposant la corde divisée en deux parties, qui fussent entre elles comme 3 à 2, auquel cas les sons correspondants seraient dans le rapport d’ut à sol, en montant, si les longueurs des deux parties déterminaient leur résonance, le son rendu par chaque corde sera celui de la corde 16 c’est-à-dire le sol à l’octave aigu du son que rendrait la plus petite partie dans le cas ordinaire14.
32On observe alors que chaque partie se sous-divise en autant de portions égales que le nombre qui lui correspond renferme d’unités. Ainsi entre deux sous-divisions voisines, il y a un point de repos ou un nœud, et au milieu de la même sous-division, l’ondulation forme un ventre, comme dans une corde qui vibre toute entière. Dans l’exemple précédent, la plus grande partie se sous-divise en trois, et la plus petite en deux ; de sorte que le son ut est rendu à la fois par toutes les sous-divisions, qui se trouvent ainsi à l’unisson l’une de l’autre. On voit aisément que la plus petite partie ne doit pas se sous-diviser, lorsque le son, qui lui est analogue, a lui-même l’unité pour expression : alors c’est ce même son que fait entendre la plus petite partie, ainsi que chacune des sous-divisions de la plus grande.
33Tel est donc le mécanisme d’où dépend la série d’unissons donnée par l’expérience dont il s’agit, que l’obstacle léger qui partage la corde empêche seulement les vibrations totales, mais laisse subsister une communication, une dépendance mutuelle entre les deux parties, dont les vibrations tendent par là-même à s’accorder parfaitement entre elles, c’est-à-dire à devenir isochrones. En conséquence, elles sont forcées de se sous-diviser, mais elles le font le moins qu’il est possible ; de manière que le nombre des sous-divisions est toujours le plus petit, parmi tous ceux qui donneraient pareillement l’isochronisme.
34Ainsi dans l’exemple précédent si la corde 2 faisait des vibrations totales, les deux tiers de la corde 3 pourraient bien se mettre à l’unisson avec elle ; mais il resterait un tiers qui ferait ses vibrations séparément ; or c’est ce tiers qui, étant seul propre à déterminer l’isochronisme, donne la loi à tout le reste.
35Sauveur rendait sensible à l’œil la distinction des nœuds et des ventres, en plaçant à l’endroit de chaque nœud un chevron de papier blanc et un autre de papier coloré à l’endroit de chaque ventre. Au moment où la corde entrait en vibration, on voyait tomber tous les chevrons colorés, tandis que les blancs restaient à leur place. Cette expérience réussit bien, à l’aide d’une corde de violon que l’on partage par un chevalet de carton, après l’avoir tendue sur une planche, et que l’on fait vibrer, en passant légèrement l’archet près du chevalet de bois sur lequel repose l’extrémité de la partie qui ne porte point les chevrons15.
36La première des expériences que nous venons de citer, ou celle qui consiste dans la triple résonance d’une corde vibrante, nous fournit quelques réflexions sur la formation de notre échelle diatonique, composée des sons ut, ré, mi, fa, etc. et qui est connue de tout le monde.
37Si l’on désigne toujours par l’unité le premier son ut, la série des 8 sons sera exprimée par celle des nombres16.
381, 9/8, 5/4, 4/3, 3/2, 15/9, 15/8, 2
ut ré mi fa sol la si ut ;
39c’est-à-dire que si l’on faisait vibrer des cordes dont les longueurs fussent propres à donner les nombres de vibrations qui répondent aux termes de la série précédente, on aurait une série de sons qui représenterait très sensiblement notre gamme, telle que chacun l’a pour ainsi dire dans l’oreille et l’exécute par le chant. Cette gamme est très ancienne ; et en remontant jusqu’aux siècles de la Grèce, où le goût pour les arts était si délicat, on trouve que les deux tétracordes, qui formaient l’échelle musicale de ce temps, avaient leurs sons précisément dans les mêmes rapports que ceux de la nôtre.
40Or, il est remarquable que la gradation des sons dans ces deux échelles se trouve soumise au principe de la plus grande simplicité entre les rapports qui les déterminent ; et ce principe paraît avoir été le guide secret dont l’oreille a suivi l’indication. Pour le concevoir, observons qu’en prenant les sons qui donnent deux, trois, quatre et cinq vibrations, contre une seule du son fondamental, nous aurons successivement l’octave de ce son, puis l’octave de sa quinte, ensuite sa double octave, et enfin la double octave de sa tierce ; c’est-à-dire que nous aurons l’harmonie des sons, qui seuls résonnent sensiblement lorsqu’on fait vibrer une corde isolée. Or, l’octave, la quinte et la tierce sont les consonances les plus parfaites, et toute notre échelle diatonique porte sur ces consonances. Car d’après les rapports dont nous avons donné la série, le sol est la quinte d’ut, le ré est celle de sol, qui se trouve seulement transportée à l’octave en dessous, ce qui est toujours permis, à cause de la grande ressemblance entre un son et son octave ; le mi est la tierce d’ut ; le fa est sa quinte prise en descendant et transportée à l’octave en dessus ; le la est la tierce de fa, le si celle de sol, et l’ut terminal est l’octave du son fondamental. Notre gamme est donc limitée aux combinaisons que donnent les sons représentés par les cinq premiers nombres naturels ; tous les autres se trouvent exclus, sur quoi Leibniz disait assez plaisamment que l’oreille ne comptait que jusqu’à cinq17.
41D’une autre part, quelques savants18 ont pensé qu’il y avait une autre gamme préférable à la précédente, et dont l’adoption élèverait la musique à son vrai point de perfection. Voici l’observation sur laquelle ils se fondent.
42Si dans la série des harmoniques donnés par les différentes cordes qui résonnent à côté d’une première corde que l’on a mise en vibration, on prend ceux qui répondent aux fractions 1/8, 1/9, 1/10, 1/11, etc. jusqu’à 1/16 inclusivement, on aura une suite de sons semblables à la gamme ordinaire, excepté que le fa et le la seront un peu plus hauts que dans cette gamme ; de plus l’harmonique 1/13 donnera un son surnuméraire entre le sot et le la.
43Les savants dont il s’agit ont pensé que la véritable gamme devait être cette dernière, parce qu’elle était donnée immédiatement par la nature, et que si l’oreille paraissait blessée de l’intonation des sons/a et la, lorsque cette gamme était rendue par un instrument propre à cet effet, tel que le cor de chasse, c’était la suite d’un préjugé de cet organe gâté par l’habitude, et dont il parviendrait à se désabuser, en se familiarisant avec l’autre, et en laissant agir la nature qui bientôt reprendrait tous ses droits.
44Cependant la raison qui se tire de la simplicité des rapports paraîtra l’emporter si l’on considère que cette simplicité est liée avec la facilité de percevoir les intervalles entre les sons, laquelle influe à son tour sur le plaisir de l’oreille. C’est pour cela que l’octave est l’accord qui plaît le plus généralement, et qu’ensuite l’accord parfait19, composé de la quinte et de la tierce, trouve un accès si facile dans toutes les oreilles qui ne sont pas sauvages à l’égard de l’harmonie. Or c’est dans cet accord et dans celui de l’octave, ainsi que nous l’avons vu, qu’est puisée notre gamme. On s’est arrêté à ces limites, par une espèce d’instinct, et antérieurement à toute étude des propriétés harmoniques du corps sonore. Ce n’est pas que l’oreille compare des nombres : cette comparaison est uniquement du ressort de l’esprit ; mais la simplicité de ces nombres tient à un effet physique, savoir la fréquence des rentrées que font les vibrations des sons comparés, lequel effet semble trouver dans l’organe même une disposition en vertu de laquelle il s’accommode mieux de ce qui est plus simple, parce qu’il a moins à travailler pour le saisir20. Le tempérament que l’on est obligé d’employer dans l’accord des instruments à cordes, en sacrifiant quelque chose de la justesse des quintes et des tierces, pour conserver celle des octaves, n’altère cette simplicité que d’une quantité assez petite pour que l’oreille n’en soit pas sensiblement affectée.
45L’art, en prenant des intermédiaires entre les sons suggérés par la nature, a répandu une grande variété dans les effets de l’harmonie et de la mélodie ; et il est parvenu, par l’ingénieux enchaînement des dissonances et des consonances, à faire tourner au plaisir de l’oreille ce qui ne semblait propre qu’à la chagriner.
46Rameau a essayé de déduire les lois de l’harmonie de la triple résonance des corps sonores. Tartini a cru en avoir trouvé l’origine dans l’expérience que nous avons citée sous son nom. Mais ces systèmes ne donnent que des convenances plus ou moins plausibles, et il y a des phénomènes d’harmonie avoués par l’oreille, qu’on ne peut y ramener21.
47Il nous reste à établir la théorie des différents phénomènes que présente l’expérience, relativement à la propagation du son, et à expliquer comment le son conserve une vitesse uniforme, depuis le corps sonore jusqu’à l’organe, quoiqu’il perde continuellement de sa force ; comment les sons aigus et les sons graves, les sons forts et les sons faibles, ont la même vitesse dans leur course ; comment, enfin, différents sons simultanés se croisent dans l’air sans se confondre, et apportent à l’oreille leur harmonie dans toute sa netteté.
48Cette théorie se déduit de la manière dont le son se forme dans les instruments à vent, et nous l’avons tirée d’un excellent mémoire où Daniel Bernoulli22 l’a développée et soumise au calcul. Nous allons essayer de rendre le plus clairement qu’il nous sera possible les idées de ce célèbre géomètre.
49Concevons d’abord un tuyau cylindrique bouché par un bout, et que l’on fasse résonner en soufflant par l’orifice ouvert. L’air renfermé dans ce tuyau se mettra en vibration, de manière que chacune des couches infiniment minces qui composent la colonne de ce fluide s’approchera et s’éloignera tour à tour du fond, en allant et en revenant de part et d’autre de la position qu’elle avait dans l’état de repos, par de petits mouvements d’oscillation semblables à ceux d’un pendule simple. Les oscillations iront en croissant d’une couche à l’autre, depuis le fond où elles seront nulles, jusqu’à l’ouverture où se trouveront les plus grandes. Celles de chaque couche seront isochrones, et celles des différentes couches seront synchrones, c’est-à-dire, qu’elles commenceront et finiront toutes en même temps, sans quoi elles ne pourraient former un son.
50Tandis que les différentes couches auront un mouvement progressif vers le fond, la couche qui était à l’orifice entrera dans le tuyau, où elle condensera la couche voisine, et ainsi de suite ; de manière que la condensation ira toujours en croissant jusqu’au fond, où elle sera la plus grande, parce qu’elle résultera du concours de toutes les actions des couches postérieures. Dans le retour, vers l’orifice, il sortira au contraire du tuyau une petite portion de l’air qui y était refermé pendant l’état du repos, et les différentes couches subiront de petites dilatations qui iront en diminuant depuis le fond ; d’où l’on voit que l’air situé à l’orifice ne sera ni condensé, ni dilaté, mais conservera la même densité que l’air environnant.
51Voilà ce qui a lieu pour les tuyaux bouchés par un bout. Il s’agit maintenant d’appliquer cette hypothèse aux vibrations de l’air dans un tuyau ouvert par les deux bouts. Or, la seule idée qui s’accorde avec les lois de la mécanique et avec l’observation consiste à supposer par la pensée que le tuyau soit divisé en deux moitiés à l’aide d’une cloison, comme s’il était composé de deux tuyaux bouchés d’un côté et réunis par leurs fonds, et que tout se passât dans chacun d’eux, conformément à l’hypothèse précédente. Il en résulte que la couche d’air située à l’endroit de la cloison ou, pour mieux dire, qui en fait l’office, sera immobile, et que toutes les autres couches feront des oscillations qui iront de part et d’autre en croissant, suivant la loi que nous avons exposée.
52Reste à considérer le cas d’un tuyau fermé par les deux bouts, qui n’a point lieu dans la pratique, mais qui est nécessaire pour la théorie. Si l’on suppose que l’air intérieur soit mis en vibration, par une cause quelconque, on pourra concevoir chaque moitié comme un tuyau fermé seulement par un bout, et dans lequel les oscillations seront les mêmes que pour cette dernière espèce de tuyau, mais de manière qu’elles se feront toutes du même côté, depuis un fond jusqu’à l’autre ; et ainsi tandis que les couches renfermées dans une moitié s’y condenseront, en s’approchant du fond qui la termine, les couches de l’autre moitié se dilateront, en allant dans le même sens que les premières, et la densité de la couche du milieu sera constante.
53On voit que les deux derniers cas ne sont que des conséquences de l’hypothèse faite par rapport au premier ; et si cette hypothèse s’adapte comme d’elle-même aux différents faits donnés par l’expérience, on ne pourra se refuser à la regarder comme infiniment probable.
54Or, on sait d’abord qu’un tuyau ouvert des deux côtés rend le même degré de son qu’un tuyau bouché d’un seul côté, et qui n’a que la moitié de la longueur du premier. C’est une suite nécessaire des principes de la théorie, puisque dans le tuyau ouvert par les deux bouts, il y a un repos au milieu, en sorte que les deux moitiés sont à l’unisson, et que les oscillations de l’air dans chacune d’elles sont parfaitement semblables soit entre elles, soit à celles qui ont lieu dans le tuyau fermé par un bout.
55Dans certains instruments à vent, tels que le cor de chasse, la trompette, où le jeu des doigts n’entre pour rien, la différence des sons dépend de la manière d’augmenter ou de rétrécir l’ouverture des lèvres, suivant qu’on veut obtenir un son plus grave ou plus aigu. Le musicien saisit le degré de cette ouverture, par le sentiment du ton qu’il veut faire naître. Mais tous les tons ne se prêtent pas à sa volonté. L’instrument ne lui obéit qu’autant qu’il ne veut que ce qui est dans sa nature. En conséquence, si l’on représente par 2 le son principal, le musicien ne pourra faire produire à l’instrument que les sons qui répondent aux nombres 4, 6, 8, 10, etc.
56Or, pour expliquer ce progrès déterminé de sons successivement plus aigus, il ne faut que considérer l’instrument comme un tuyau ouvert par les deux bouts. Dans le cas du son fondamental représenté par 2, tel est le degré de pression que le musicien donne à ses lèvres que l’ordre de vibration qui en résulte se développe dans une étendue égale à la moitié du tuyau. Là il se forme une cloison d’air stationnaire, ou un nœud, passé lequel les mêmes vibrations recommencent en sens contraire.
57Le musicien augmente-t-il la pression de ses lèvres, jusqu’au degré qui répond à l’octave en dessus du son fondamental ? Le nouvel ordre de vibrations relatif à ce son n’occupera plus que la moitié de l’étendue du précédent : il y aura un premier repos au quart du tuyau, puis un second aux trois quarts, en sorte que la première et la dernière partie représenteront un tuyau bouché par un bout, et la partie intermédiaire un tuyau fermé par les deux bouts, mais d’une longueur double ; et ainsi l’ensemble équivaudra à quatre tuyaux bouchés par un bout, qui seront tous à l’unisson, et dont chacun rendre le son 4.
58Dans les sons plus élevés, le tuyau se partagera successivement en 6, 8, 10 parties égales, que l’on pourra comparer à autant de tuyaux bouchés par un bout. Les tuyaux extrêmes seront seuls, et les intermédiaires s’aboucheront deux à deux, pour composer des tuyaux fermés par les deux bouts, et doubles des tuyaux extrêmes. Il y aura donc un nœud à l’endroit de chaque cloison, et un ventre au milieu de la distance entre deux cloisons voisines. Les vibrations qui auront leur origine à un même nœud se feront de part et d’autre dans le même sens des deux côtés d’un même ventre.
59Le musicien tentera inutilement de tirer de son instrument quelque autre son, dont le degré ne se trouverait pas sur l’échelle de cette loi ; ou s’il y parvient, ce ne sera que par un artifice particulier, qui produira le même effet que si la forme de l’instrument était changée, comme lorsque celui qui joue du cor de chasse met la main dans le pavillon.
60Une nouvelle expérience qui confirme la théorie, consiste à percer dans un tuyau sonore un trou latéral situé à l’endroit d’un nœud. Quoiqu’on laisse ce trou ouvert, le son restera le même. Mais si le trou est placé ailleurs, le degré du son montera, parce que l’air n’étant pas en repos dans cet endroit, une partie se répandra au-dehors, par l’effet des vibrations qui, éprouvant moins d’obstacle que quand le tuyau n’était point percé, accéléreront leur mouvement. Ceci peut servir à faire concevoir en général le principe auquel se rapporte la construction de flûtes et autres instruments semblables, dont on tire différents sons, suivant que l’on ferme ou que l’on ouvre certains trous de préférence.
61Les oscillations que le son excite dans les tuyaux coniques diffèrent à quelques égards de celles qui ont lieu dans les tuyaux cylindriques. Ce qu’elles ont surtout de particulier consiste en ce que les ébranlements de l’air, dont elles dépendent, vont toujours en diminuant depuis le sommet ; en sorte que les excursions des différentes couches sont elles-mêmes toujours plus petites, et suivent la raison inverse de la distance au sommet.
62Mais cette différence n’altère ni la distance entre les ventres, qui est partout la même, ni la durée des vibrations, qui conservent aussi partout leur isochronisme.
63Appliquons maintenant cette théorie à la préparation du son. Dans chaque rayon sonore, qui est, comme nous l’avons dit, un cône d’air infiniment mince, tout se passe comme dans un tuyau conique où l’air fait ses vibrations ; c’est-à-dire, qu’il y a successivement des nœuds ou des points de repos, et des ventres, ou des points auxquels répondent les plus grandes excursions.
64Comme il y a un ventre à l’origine du cône, et que tous les ventres sont également éloignés, nous pouvons partager par la pensée le cône entier en une suite de cônes tronqués, égaux en longueur, dont chacun aura deux ventres à l’endroit de ses bases, et un nœud situé vers le milieu. Bernoulli donne à ces cônes le nom de concamérations.
65Au moment où le corps sonore sera mis en vibration, tout l’air ne sera point ébranlé à la fois dans chacun des cônes qui ont leurs sommets aux différents points de ce corps ; il ne le sera d’abord que dans la première concamération : quand celui-ci aura fait une oscillation, il commencera à ébranler l’air de la seconde concamération ; et au bout d’une nouvelle vibration, l’air sera ébranlé dans la troisième, et ainsi de suite. On voit par là pourquoi la propagation du son n’est pas instantanée, mais exige un certain temps qui devient toujours plus considérable, à mesure que la distance elle-même augmente.
66Les oscillations qui ont lieu dans les différentes concamérations successives sont parfaitement isochrones. De plus, toutes les concamérations sont égales en longueur. Donc le son doit parcourir, avec une vitesse uniforme, la suite de toutes ces concamérations, ce qui était encore un des effets à expliquer.
67Mais à mesure que les concamérations s’éloignent du sommet, les ébranlements de l’air qui produisent les petites oscillations partielles, dont chaque oscillation totale est composée, vont en diminuant, tandis que l’isochronisme subsiste toujours ; d’où il suit qu’à une plus grande distance l’organe sera plus faiblement ébranlé, et le son moins étendu ; en sorte que dans un certain éloignement, il finira par s’éteindre.
68Que le son soit fort ou faible, la durée des vibrations et la longueur des concamérations resteront les mêmes, parce que c’est le degré seul du son qui détermine l’une et l’autre, ainsi qu’il est facile de le conclure de ce que le ton rendu par un tuyau est le même, quelle que soit la force du souffle qui met l’air en vibration, pourvu que l’ouverture des lèvres soit aussi la même.
69Si l’on suppose deux sons à l’octave l’un de l’autre, qui se fassent entendre successivement ou à la fois, les concamérations relatives au son aigu seront une fois plus courtes que celles qui répondent au son grave ; il y en aura donc une fois plus dans un espace donné. Mais les oscillations de l’air s’y achèveront dans un temps une fois plus court, d’où il suit qu’elles emploieront le même espace de temps pour se propager à la même distance ; et ainsi le degré du son n’influe pas sur sa vitesse, ce qui s’accorde de même avec l’observation.
70Voilà pour ce qui regarde les sons solitaires. Mais lorsque plusieurs corps vibrent à la fois ; lorsque dans un concert, par exemple, plusieurs instruments et plusieurs voix rendent à la fois des sons de divers degrés, comment arrive-t-il que les différentes vibrations qui en résultent, se rencontrent en passant à travers l’air, sans se détruire ou se dérouter par leur choc mutuel, et que chacune d’elles continue ensuite son trajet vers l’oreille, comme si elle eût trouvé le passage libre ?
71Les physiciens modernes ont essayé de résoudre cette difficulté, en adoptant l’idée de Mairan23, qui supposait l’air formé de particules d’une infinité de grosseurs différentes, dont chacune n’était capable que de recevoir et de transmettre les vibrations relatives à un ton particulier. Ainsi, lorsque plusieurs sons concouraient dans une même harmonie, ou de toute autre manière, chacun d’eux ne s’adressait qu’aux particules qui étaient à son unisson, et exerçait sur elles une action indépendante de celle que subissaient les molécules d’un diamètre différent. Mais sans recourir à cette supposition gratuite, qui, pour débrouiller un effet compliqué, emploie une complication d’un autre genre, et n’écarte la difficulté qu’en la transportant ailleurs, nous trouvons, dans la théorie même que nous avons exposée, une manière satisfaisante d’expliquer la distinction des sons simultanés.
72Cette explication tient à l’observation générale que tous les petits mouvements qui ont des points de concours se superposent, en quelque sorte, les uns sur les autres sans se confondre. Pour éclaircir cette idée, considérons deux rayons sonores, qui se rencontrent sous deux directions différentes : le mouvement se composera dans le petit espace où ils se croiseront, de manière que les petites oscillations qui ont lieu dans un rayon, donnant une légère impulsion à celles de l’autre rayon, produiront, dans les molécules situées au point de concours, d’autres oscillations en diagonale. Imaginons un observateur dont l’œil serait capable de saisir le progrès des oscillations, et supposons que cet œil fasse lui-même de petits mouvements oscillatoires, semblables à ceux que les molécules de l’un des deux rayons auraient faits sur le côté analogue du parallélogramme, dont la diagonale est décrite en vertu du mouvement réel. Cet œil verra osciller les molécules qui suivent ce dernier mouvement, comme si elles étaient mues dans la direction de l’autre côté du parallélogramme ; c’est-à-dire que l’œil ayant lui-même un des mouvements qui se composent dans la diagonale, et ce mouvement étant censé détruit à son égard, il ne recevra que l’impression de l’autre mouvement. Or, il est aisé d’en conclure que les molécules d’air situées au-delà du concours des deux rayons, auxquelles le mouvement qui existe seul pour l’observateur se serait communiqué, s’il n’y avait là que le rayon sonore dirigé suivant ce mouvement, ne laisseront pas de le recevoir encore, puisqu’elles sont sur la direction où les vibrations qui se font dans la diagonale, doivent, en se décomposant, produire ce même mouvement. On peut appliquer ce raisonnement à l’autre rayon sonore ; d’où l’on voit que les vibrations, après s’être confondues dans un espace presque infiniment petit, doivent se démêler ensuite, et reprendre leur premier alignement, comme si elles n’avaient rien eu de commun.
73C’est par un mécanisme du même genre que les petites oscillations successives qui se produisent dans l’eau, où l’on a jeté plusieurs pierres, passent l’une sur l’autre sans se confondre, et représentent des circonférences qui s’entrecoupent. La même chose n’a pas lieu dans les grands mouvements, où les molécules situées au point de concours, recevant de fortes impulsions en différents sens, sont emportées à leur tour par un mouvement qui les écarte totalement de leurs premières directions.
74Tel est le terme où nous conduit la théorie : mais ce qui reste inexplicable, c’est cette espèce de souplesse de l’air pour prendre en quelque sorte l’empreinte des différents caractères dont un même ton est susceptible, à raison de la diversité des corps qui le rendent ; et pour se modifier de tant de manières en portant à l’oreille les sons tendres et veloutés de tel instrument, les sons plus mâles et plus vigoureux de tel autre, et les accents infiniment variés de la voix humaine. On ne sait lequel on doit plus admirer ou de la nature du fluide qui remplit ces différents messages avec une fidélité si exacte, jusque dans les moindres détails ; ou celle de l’organe qui les discerne avec une si grande finesse de tact, et renferme dans ses fibres les unissons de tant de nuances particulières.
Notes de bas de page
1 Rappelons que la théorie musicale est considérée jusqu’au début du xviiie siècle comme subalterne aux seules mathématiques ; sa fondation dans la physique commence notamment avec Giovanni Battista Benedetti, Isaac Beeckman, Galilée, Descartes et Mersenne ; elle est ainsi l’une des composantes de la révolution scientifique. Voir F. Cohen, Quantifying Music. The Science of Music at the First Stage of the Scientific Revolution, 1580-1650, Dordrecht, Reidel, 1984 ; S. Dos-trovsky. The Origins of Vibration Theory : The Scientific Revolution and the Nature of the Sound, Ph.D.. Princeton, 1969 ; S. Dostrovski et J. T. Cannon, Enstehung der musikalischen Akustik (1600-1750). Darmstadt, 1987 (vol. 6 de la Geschichte der Musiktheorie, éditée par Fr. Zaminer) ; Cl. V. Palisca. « Scientific empiricism in musical thought », in Studies in the History of Italian Music and Music Theory, Oxford, Oxford University Press, 1994.
2 La distinction proposée ici prolonge celle qui est établie par J. Sauveur, Principes d’acoustique et de musique..., in Mémoires de l’Académie royale des sciences, 1701, p. 299-366, notamment p. 299 : « J’ai donc cru qu’il y avait une science supérieure à la musique, que j’ai appelée Acoustique, qui a pour objet le son en général, au lieu que la musique a pour objet le son en tant qu’il est agréable à l’ouïe. »
3 L’association entre la hauteur du son et la fréquence des vibrations est établie dès la fin du xvie siècle ; tous les auteurs importants, tant musiciens que savants, prennent ce fait pour point de départ de la théorie de la consonance et de la dissonance, à la notable exception de Giuseppe Tartini. qui ne considère que les longueurs de corde. Voir Cl. V. Palisca, « Scientific empiricism in musical thought », art. cité, et F. de Buzon, « L’horizon des problèmes musicaux aux débuts de l’âge classique, Mersenne lecteur de Galilée », Kairos, 21, 2003, p. 35-51.
4 La formule de Taylor est exposée dans le « De motu nervi tensi », Philosophical Transactions, 28, 1713, p. 26-32, démontrée à partir de Newton ; elle est par ailleurs préparée par Mersenne. Voir aussi les ouvrages de S. Dostrovsky et S Dostrovsky-J. T. Cannon cités à la note 166.
5 Par rapport à la tradition harmonique établie depuis le milieu du xvie siècle, Haüy omet ici les consonances de sixte majeure et mineure (représentées respectivement par 5/3 et 8/3).
6 Sous-titre ajouté par Haüy dans le Traité élémentaire de physique, Paris, 1806, 2 vol. : De la série des sons refermés dans celui que rend la corde vibrante.
7 Il s’agit du phénomène des sons harmoniques, perceptibles par l’oreille ou indiqués par la résonance d’un autre corps sonore placé à proximité et convenablement accordé. Décrits fréquemment dans la philosophie naturelle de la Renaissance (en général dans les théories de la sympathie), ces phénomènes ne sont exploités dans la théorie musicale qu’à partir de René Descartes, Compendium Musicae, Utrecht, 1650, trad. fr. père Nicolas Poisson. Paris, 1668 ; trad. et édition nouvelle F. de Buzon, Abrégé de musique, Paris, PUF, 1987, ici p. 82 et 84. Ils sont cependant utilisés dans la facture des instruments à cordes (famille des luths). Les termes de son générateur, ou fondamental, et de son harmonique semblent avoir été utilisés en premier par Sauveur (Principes d’acoustique et de musique..., p. 349) : « J’appelle son harmonique d’un son fondamental celui qui fait plusieurs vibrations pendant que le son fondamental n’en fait qu’une... » Leur utilisation dans la théorie de la musique date de Jean-Philippe Rameau. Démonstration du principe de l’harmonie, Paris, 1750, Préface : « Toute cause qui produit sur mon oreille une impression une et simple me fait entendre du bruit ; toute cause qui produit sur mon oreille une impression composée de plusieurs autres, me fait entendre du son. J’appelai le son primitif, ou générateur, son fondamental, ses concomitants sons harmoniques, et j’eus trois choses très distinguées dans la nature, indépendantes de mon organe, et très sensiblement différentes pour lui : du bruit, des sons fondamentaux, et des sons harmoniques. » Pour une appréciation contemporaine de la question, voir A. Charrak, Raison et perception, fonder l’harmonie au xviiie siècle, Paris, Vrin, 2001.
8 Notamment Francis Robertes (cf. S. Dostrovsky, The Origins of Vibration Theory..., op. cit., p. 206).
9 Sous-titre ajouté par Haüy en 1806 : Expérience de Tartini.
10 Cette expérience dite du troisième son est en effet décrite par G. Tartini, Trattato di musica secondo la vera scienza dell’armonia, Padoue, 1754, chap. 1 et De’principi dell’armonia musicale contenuta nel diatonico genere, Padoue, 1767, chap. 1, mais elle était connue avant lui. Ainsi J. A. Serre, Essais sur l’harmonie, Paris, 1753, p. 114, qualifie ce son fondamental produit par deux sons aigus d’« apparence acoustique » ; il revendiqua plus tard dans les Observations sur les principes de l’harmonie, Paris, 1763, p. 86, la primauté de la découverte, qu’il doit cependant partager avec un membre de la Société royale des sciences de Montpellier. Romieu, qui avait donné un mémoire sur une Nouvelle découverte des sons harmoniques graves en 1763 également. La hauteur réelle du troisième son est communément discutée, l’oreille ayant de la difficulté à distinguer entre l’octave et la double octave grave. Tartini est cependant le seul à en dériver un système musical complet – exposé notamment par J.-J. Rousseau, Dictionnaire de musique, 1768, article « Système », et par Serre (Observations..., op. cit., 1763).
11 Titre ajouté par Haüy en 1806 : Des sons harmoniques.
12 Cf. J. Wallis, Opera mathematica, Oxford, vol. 1, 1693, p. 466-468.
13 J. Sauveur, Principes d’acoustique et de musique..., op. cit., p. 353.
14 Ajout dans Haüy en 1806 : « On a donné le nom de sons harmoniques à ceux qui résultent de cette division de la corde vibrante. »
15 Le texte est modifié par Haüy en 1806 : « sur lequel repose l’une ou l’autre des extrémités de cette même corde. » L’alinéa suivant est précédé d’un titre : Réflexions sur l’échelle diatonique des modernes.
16 Il s’agit de la gamme diatonique de Zarlino, reprise par Descartes et beaucoup d’autres, dont les difficultés apparaissent dans la transposition : elle se construit en effet avec deux tons, l’un majeur (9/8) et l’autre mineur (10/9), distants entre eux d’un comma, et un demi-ton.
17 Cf. G. W. Leibniz, Lettre à Goldbach du 17 avril 1712, in Opera omnia, L. Dutens (éd.), 6 vol., Genève, 1768, t. III, p. 437 ; trad. fr. in P. Bailhache (éd.), Leibniz et la théorie de la musique, Paris, Klinksieck, 1992 et F. de Buzon, « Lettre de Leibniz à Christian Goldbach du 17 avril 1712 », Philosophie, 59, 1998, p. 3-13 : « Nous, en musique, nous ne comptons pas au-delà de cinq. » Ce principe est contesté par Euler qui ajoute de nouvelles consonances obtenues à partir du nombre 7.
18 Il s’agit peut-être de ceux qui sont évoqués plus haut à la note 8.
19 Il s’agit sans doute de l’accord parfait majeur (quinte et tierce majeure), et non de l’accord parfait mineur, composé avec la tierce mineure ; Rameau en fait la base de la théorie harmonique. La justification d’Haüy par l’instinct n’est pas sans rappeler un titre de Rameau, Observation sur notre instinct pour la musique et sur son principe, Paris, 1764 : l’instinct de l’homme correspond aux propriétés naturelles de résonance du corps sonore. Voir A. Charrak, Raison et perception..., op. cit.
20 Principe dérivé de Descartes, Compendium musicae, op. cit., p. 58.
21 Rameau et Tartini revendiquent une valeur scientifique et démonstrative incontestable pour leurs traités de musique, en dépit des critiques des savants authentiques ; on note en particulier celle de J. d’Alembert (article « Fondamental » de l’Encyclopédie, t. VII. p. 263, et Éléments de musique suivant les principes de M. Rameau, Lyon, nouvelle édition, 1762), qui ramène le contenu de ces prétentions scientifiques à n’être que des convenances, et proteste contre l’« abus ridicule de la géométrie dans la musique ». Haüy ajoute en 1806 deux pages intitulées du tempérament, en y exposant le problème, celui de la nécessité de modifier quelque peu les intervalles justes ; il se rallie au tempérament inégal du premier Rameau auquel il attribue des propriétés expressives : « Ainsi, la modulation emprunte de la seule manière dont les intervalles qu’elle emploie ont été altérés, une teinte du caractère qu’elle porte par elle-même ; et ce qu’on aurait été tenté de regarder comme un défaut, devient, pour le musicien, un moyen d’ajouter à l’expression du sentiment qu’il cherche à peindre » (p. 351). On voit que la musique du sentiment est toujours proche de la musique de l’esprit ! Les derniers alinéas sont précédés du sous-titre suivant en 1806 : Théorie de la propagation du son.
22 L’exposé suit D. Bernoulli, Recherches physiques mécaniques et analytiques sur le son et sur les tons des tuyaux d’orgues différemment construits, Mémoires de l’Académie royale des sciences, Paris, 1762, p. 431-485.
23 Voir J. J. Dortous de Mairan, Discours sur la propagation du son, et Éclaircissements, Mémoires de l’Académie royale des sciences, Paris, 1737, p. 1-20 et 20-58, Première partie.
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