Sur l’iconographie de Saint Jérôme pénitent : symbolisme chrétien et sujet dans l’Italie de la Renaissance (vers 1450 - vers 1550)
p. 223-239
Texte intégral
1Dans les derniers siècles du Moyen Âge, saint Jérôme connaît dans l’art visuel un succès considérable : il s’impose sur les fresques et sur les retables, répondant à l’attente d’un public sans cesse plus large. En raison de son triomphe, c’est un saint protéiforme, accumulant sur sa seule figure une pluralité de significations : figure d’autorité par excellence, cet intellectuel de l’Église incarne tour à tour ou dans le même temps le moine, le docteur de l’Église revêtu des insignes cardinalices, le pénitent au désert et l’humaniste dans son étude1. C’est cependant sous l’aspect du pénitent, retiré dans les solitudes et s’infligeant une sévère macération, que saint Jérôme domine à partir du milieu du xve siècle l’iconographie chrétienne en Italie, principalement dans les ateliers du nord et du centre de la péninsule. En plein cœur de la dévotion Observante, poussé par de nouvelles communautés religieuses qui se réclament de son patronage, l’austère ascète parvient au faîte de sa carrière, à ce point précis où l’image condense toutes les virtualités de sens contenues dans la figure d’autorité. J’ai donc choisi d’étudier, à l’aide d’un corpus limité, la mise en œuvre de l’iconographie complexe du pénitent entre le moment de son affirmation dans l’art, vers 1450, et celui de sa banalisation, autour de 1550, afin de mieux distinguer son rôle fondamental dans la constitution du sujet chrétien à l’imitation de Jésus Christ, et de proposer quelques interprétations sur la réception possible du thème parmi un public choisi2.
L’ICONOGRAPHIE COMPLEXE DU PÉNITENT AU DÉSERT
2Par iconographie complexe, j’entends le montage en un même ensemble de plusieurs fragments discursifs provenant de systèmes figuratifs antérieurs, à présent recouverts, mais conservant leur sens premier. Cet ensemble globalisant constitue un type iconographique par synthèse de ce qui précède et, plus encore, par synthèse sélective qui opère un choix dans ces fragments significatifs du champ iconique : c’est un découpage qui tire les éléments en fonction de leur pertinence par rapport au nouvel ensemble. A leur tour, ces fragments résultent de l’assemblage d’objets plus simples qui renvoient à un inventaire premier, théologique et social, de l’ordre visuel médiéval3. Le type iconographique du pénitent est donc le catalyseur autour duquel se cristallise la multivocité thématique inhérente à l’image même de la pénitence ; il en devient l’agent cohésif.
Une culture élargie de saint Jérôme
3Ce qui rend possible cette remarquable condensation thématique et figurative autour du pénitent au désert, c’est, à partir des années 1450, la diffusion des grands textes de base du corpus hiéronymien, traduits la plupart du temps en langue vulgaire, pour une clientèle de dévots laïques épris de l’idéal de la vie du saint et en contact étroit avec les communautés des Jésuates ou celles des Frères Ermites de Saint Jérôme4. Dès le début du xve siècle, en relation avec le petit groupe d’ermites rassemblés sur les hauteurs de Florence, à Fiesole, par Carlo de Montegranelli, les plus grands noms des familles patriciennes de la ville se retrouvent au sein d’une confrérie placée sous le patronage de saint Jérôme5. Les Médicis, les Rucellai, les Albizzi, les Bardi, les Pazzi, les Strozzi, entre autres, s’y côtoient6.
4Ce public choisi dispose de meilleurs moyens culturels pour connaître le saint humaniste et prolonger l’expérience originale des Hiéronymites, Jésuates et Frères Ermites de Saint Jérôme confondus7. Des textes ainsi diffusés, ceux qui sont lus, ce sont d’abord les lettres adressées à Eustochium, Paule, Pammachius et Héliodore, les disciples et les amis les plus proches du savant moine de Bethléem, le cercle étroit de ses fidèles de toujours ; c’est, ensuite, le recueil composé d’apocryphes, le Hieronymianus Vita et Transitus, qui connaît un énorme succès éditorial jusqu’aux premières années du xvie siècle8. Ainsi, à Venise, Giovanni de Bruni édite en 1468 le Hieronymus (Sanctus), Epistolae, encore en latin ; en 1497, à Ferrare, Matteo de Ferrare traduit les principaux extraits de la correspondance et les édite sous le titre de Vita et Epistole de Sancto Hieronymo volgare : ce texte se situe dans tout un contexte de traductions en langue vulgaire des oeuvres de saint Jérôme. Pour le recueil de légendes apocryphes, les éditions en vulgaire se multiplient vers 1480-1490 : à Florence, Francesco Bonaccorsi fait paraître en 1490 le Divoto Transito de Sancto Hieronymo rìdacto in lingua fiorentina-, à Milan, la même année, Gabriel Pietro de Trévise édite une autre version, Sanctus Hieronymus : Comincia la vita del glorioso sancto Hieronymo doctor excell.mo ; enfin, à Venise et dans les provinces vénitiennes, de 1475 à 1498, on ne note pas moins de quatorze éditions successives du texte, dont douze en langue vulgaire. A ce matériel déjà considérable, il faut ajouter la Légende Dorée de Jacques de Voragine, compilation du xiiie siècle, dont le succès ne se dément pas : elle est traduite à plusieurs reprises, lue et parfaitement connue de tout ce public9.
5A travers les morceaux choisis de la correspondance, ceux des traités de dévotion et de la Légende Dorée, l’image de saint Jérôme s’affine et se complique tout à la fois. Au cœur, comme à la racine du personnage ainsi construit, se place l’expérience solitaire dans le désert de Chalcis, non loin d’Antioche, telle que Jérôme lui-même l’a racontée à sa discipline Eustochium10. Il est bien le pénitent au désert, c’est-à-dire non pas un ermite, peu fait pour plaire au patriciat urbain de l’Italie du nord et du centre, mais cet homme épris de la quête de Dieu et se retirant à l’écart des villes pour mieux se livrer à sa méditation11. En milieu empreint des valeurs spirituelles de l’Observance, le pénitent fait la synthèse aussi bien du moine que du docteur de l’Église ; figure d’autorité, il se trouve actualisé pour mieux répondre aux attentes de son public. Et, vraisemblablement à Florence pour l’une des toutes premières fois, dans la mouvance du peintre camaldule Lorenzo Monaco, le FIG. 1 pénitent est représenté sur un panneau de dévotion privée, vers 140012. Le merveilleux monastique que rapporte la Légende Dorée est surtout mis en œuvre sur les fresques ou les retables commandés par les Jésuates au xve siècle : ainsi, à Sienne, sur les retables de Sano di Pietro vers 1444, à Ferrare autour de 1450, ou à Venise sur les prédelles de Lazzaro Bastiani et de Giovanni Mansueti, à la fin du siècle13. L’épisode du lion guéri par le saint, puis les aventures charmantes qui s’y rapportent, sont alors développés.
6En revanche, sur les panneaux destinés aux Frères Ermites de Saint Jérôme, et commandités dans tous les cas par de riches laïcs, le pénitent au désert est replacé dans un contexte différent tiré des apocryphes et repris du Divoto Transito14. Sur les retables peints pour le monastère de Fiesole entre 1460 et 1490, sous l’impulsion des Médicis et des Rucellai, les cartouches de la prédelle exposent le songe de saint Jérôme, ses apparitions et ses miracles posthumes15. Le choix des épisodes exclut l’aventure du lion, la construction du monastère de Bethléem, ou tout autre détail emprunté à la vie du moine ; il privilégie, au contraire, les miracles théologiques qui exaltent les hauts faits d’un patron spirituel devenu le modèle de vertu chrétienne pour toute une classe d’hommes.
7Cependant, par-delà ces différences socio-culturelles, le noyau dur de l’image du pénitent s’impose : Jérôme se frappe la poitrine, dans un paysage désolé, devant le Crucifié. Vêtu d’un sac informe, il « suit nu le Christ nu » et s’élève jusqu’au martyre. Plus que les autres saints composant la cour céleste, à l’égal des deux plus grands, Jean-Baptiste et François, le Poverello d’Assise, il a souffert dans son cœur la Passion de Jésus Christ16. Le pénitent délivre le message central à la spiritualité du temps, celui de l’Imitado Christi. A partir des années 50 du xve siècle et jusqu’au xvie, la figure de saint Jérôme sédimente la thématique attachée à cette idée de pénitence et se trouve enserrée dans un dense réseau figuratif.
Une multivocité thématique
8A cette diffusion en profondeur des textes hiéronymiens au sein d’un public élargi qui n’est plus le public restreint des doctes17, correspond le montage thématique le plus complexe qui aide à fabriquer la figure du pénitent au désert. Vers 1450, le saint Jérôme pénitent qui triomphe dans les programmes iconographiques, sur les fresques, dans l’histoire de sa vie ou de ses miracles, et sur les retables, au sein de Conversations Sacrées ou seul au centre du panneau18, articule les trois grands thèmes de l’iconographie chrétienne : celui du combat des vices et des vertus, la psychomachie, celui du Purgatoire, à forte réminiscence dantesque, enfin celui du memento mori ou de l’image de vanité19. Sur le plan chronologique, la psychomachie forme la base de l’ensemble figuratif nouveau. L’écho dantesque du Purgatoire, plus tardif, vers 1450, apparaît aussi sur presque toutes les représentations. Quant au memento mori, qui est un thème ancien, il apparaît sous sa forme réactualisée, au xive siècle, tel qu’il avait été mis en œuvre par Buonamico Buffalmacco et son atelier sur les fresques du Camposanto de Pise, à travers la figure du vieil ermite Macaire dont Jérôme prend la suite et auquel il se substitue20.
9Le pénitent Jérôme devient une véritable image-devise qui agit comme un carrefour métaphorique d’où rayonnent les différents thèmes qu’il suggère. Car le processus qui les lie entre eux est moins un empilement, à la façon d’une sédimentation géologique, qu’un enchaînement formel qui se déroule dans chacune de ses parties selon un degré de pertinence par rapport à l’ensemble construit21. Si bien qu’au gré du (ou des) commanditaire(s), c’est tel ou tel fragment discursif qui prime sur les autres et sert de pôle organisateur : mais dans tous les cas, les thèmes rendus ainsi secondaires conservent intacte une virtualité au développement, à la faveur d’un regard différent, d’un autre lieu d’exposition, ou encore d’un léger déplacement d’intérêt22.
10Ces remarques préliminaires s’avèrent nécessaires pour comprendre la mise en forme de la pluralité thématique à la surface du saint Jérôme pénitent.
11–Le combat des vices et des vertus. En 1357, reprenant une série de sermons prononcés lors du Carême de 1354, Jacopo Passavanti dédie son traité sur le Miroir de la vraie pénitence à « Messire saint Jérôme »23. Il fait donc du saint le miroir de la pénitence, c’est-à-dire, dans la tradition médiévale, l’exemple achevé du spéculum24. Qu’il se batte la poitrine avec une pierre, qu’il lise dans un paysage ou qu’il contemple les vérités éternelles25, le pénitent Jérôme est donc toujours représenté comme un résumé de la vision chrétienne de l’univers. Il est le miroir qui reflète la structure moralisée du monde. Par suite, il témoigne d’un discours collectif sur les choses, au sens de res, c’est-à-dire de lieux communs, de topoi. Le type construit du pénitent au désert est à concevoir comme un parcours encyclopédique, une inscription de l’intérêt porté par les commanditaires aux topoi de la tradition chrétienne rencontrés le long d’un véritable itinéraire. Ainsi, sur la Thébaïde peinte vers 1460 par Paolo Uccello pour le couvent des sœurs de Vallombreuse, l’observateur parcourt les diverses étapes d’un itinéraire spirituel qui le conduit le long des grandes figures fondatrices du monachisme jusqu’au sommet occupé par saint François recevant les stigmates26 : au niveau intermédiaire sur la toile, au-dessous de cet épisode sublime, le peintre a disposé dans une anfractuosité rocheuse saint Jérôme faisant pénitence devant le Crucifié. La pénitence s’impose comme l’étape la plus sûre de l’Imitation de Jésus Christ. Et l’on avance de topos en topos de la tradition monastique, chaque lieu, nettement circonscrit, devenant une réserve d’images familières, comme des lettres échappées de ces livres conservés avec amour dans la bibliothèque du couvent. Chaque rencontre est en effet moins une découverte qu’une remémoration.
12J’interpréterai en ce sens le bestiaire symbolique qui figure sur presque tous les saints Jérôme pénitents. Il s’agit d’un montage d’éléments tirés du plus vieux fonds iconographique, assemblés dans le but précis de servir à cette encyclopédie du parfait chrétien27. Sur la Pala Odoni que Carlo Crivelli peint vers 1490, le saint Jérôme pénitent placé sur la gauche de la Nativité témoigne de ce sens exemplaire28 : sur le crucifix en face de l’ascète est peint un vautour ; en bas, enserrant de toutes parts le saint, les forces du mal sont figurées par un scorpion, un serpent et un dragon qui cherche à atteindre de sa langue fourchue l’oiseau perché sur le haut de la croix. Les bêtes démoniaques forment comme un cercle infernal. A l’inverse, le lion, le cerf et le lapin sont tournés vers la grotte qu’on aperçoit dans le fond et à l’abri de laquelle un chien se repose : chacun de ces animaux comporte en lui-même toute une symbolique29 ; mais ici, dans le champ figuratif, ils ne valent que par leur association suivant cette ligne oblique qui conduit en dehors de la scène où se joue le drame du salut, dans la grotte. Loin d’être d’une profonde originalité, ce bestiaire, partagé selon la topique de l’opposition bien/mal, sort tout droit des répertoires d’iconographie datant au moins de l’époque carolingienne30. Il constitue un ensemble de signes que le peintre distribue sur l’image en deux configurations distinctes : l’une, circulaire, est une ronde infernale disposée par derrière le Christ mort sur la croix ; l’autre, linéaire, mène en un endroit pacifié, hors d’atteinte. De plus, à l’intérieur de chaque configuration le peintre associe des signes qui ont entre eux un rapport qualificatif : le scorpion, le serpent, le dragon, sont des reptiles évoquant ce qui provient d’en bas, du puits des Enfers ; ce sont aussi des êtres (surtout le dragon ailé à demi-fabuleux) décrits et interprétés dans la Physiologus, puis repris selon une perspective moralisatrice dans les Bestiaires médiévaux. Carlo Crivelli crée donc une unité à partir des rapports qu’il sent entre les objets figuratifs qu’il manie31 ; par son travail d’agencement, et avant même toute signification recherchée à l’extérieur de l’image, il dessine un double réseau de signes contraires pour matérialiser le combat des vices et des vertus dont saint Jérôme est le centre passif. Le réseau symbolique forme une profonde unité de signification.
13S’il y a une logique dans le pénitent au désert, ce n’est pas celle de l’avant ou de l’après, ni celle de l’enchaînement causal. La double configuration que je viens de décrire relève seulement du procédé de juxtaposition. En effet, la logique de cette iconographie n’est pas d’ordre narratif, mais distributif ; elle est fondée entièrement sur la topique du bien et du mal32. Les parties de la vaste encyclopédie du monde sont disposées comme les rameaux d’un arbre des connaissances, en une taxinomie33. L’œuvre de Carlo Crivelli est particulièrement révélatrice : chaque animal occupe une place à l’intérieur du dispositif dont il tire en retour son véritable sens. Il en va de même sur des panneaux de forme plus condensée où un bon nombre de détails restent sous-entendus, de l’ordre de l’allusif. Mais toujours, l’ensemble est régi par une dialectique qui assure le passage d’un élément à un autre : il n’y a pas rupture entre le monastère représenté dans le fond et l’ermitage du devant, ni entre le pénitent se battant la poitrine et le chien tapi au creux de l’antre ; un pont permet de circuler entre les différents plans de la représentation, de même que les animaux enfilés l’un à la suite de l’autre relient saint Jérôme au chien. Ce parcours ne se referme pas sur lui-même : bien au contraire, il s’ouvre sur les deux livres de Dieu, la Création et la Révélation. Au cœur du processus s’affirme la figure de Jérôme traducteur de la Bible et savant exégète34. Les divers topoi juxtaposés dans l’image renvoient toujours à la transcendance divine, et désignent manifestement ou obscurément les épisodes de la Création, de la Chute, de l’Incarnation, et de la Rédemption ; ils évoquent les étapes successives qui doivent mener au Christ. En tant que miroir spirituel, le type du pénitent est donc une allégorie. Il encode une ambivalence et la nécessité de choisir : d’un côté ce qui conduit sur la voie du Christ, de l’autre ce qui en écarte et tire vers le démon. C’est en ce point précis que se situe la tension, dans ce risque inhérent à toute destinée humaine cherchant le salut.
14–Le Purgatoire de Dante. A ce thème central du pénitent, s’ajoute la réminiscence du Purgatoire dantesque qui intervient au niveau fondamental de la mise en scène. Presque tous les Saint Jérôme au désert sont placés en un lieu bien délimité, véritable espace scénique, de forme circulaire, évoquant la plage sur laquelle le poète parvient après sa remontée du puits de l’Enfer35. Vers 1436, au bas du retable peint pour l’église de l’Observance, Sano di Pietro inscrit le pénitent à l’intérieur d’un théâtre en rond ; sur un panneau de dévotion privée datant de 1506, Lorenzo Lotto évoque ce même espace par la plate-forme rocheuse située au premier plan36.
15Le rappel du Purgatoire est aussi présent à travers l’usage précis d’accessoires figuratifs, en particulier celui de la caverne. C’est l’élément constitutif du décor parce qu’il lui communique tout son sens : dès les premières formulations du type, vers 1400, dans l’ambiance florentine, la caverne sert de cadre de majesté à la figure37. Creusée au pied de la montagne38, ou apparaissant dans le fond, elle est le point d’aboutissement du long couloir vertical de l’Enfer ; elle ouvre sur un paysage auroral de calme et de sérénité retrouvée où la couleur se donne libre cours39. Par rapport à saint Jérôme lui-même, elle répète le thème de la grotte de Bethléem, celle de la Nativité, auprès de laquelle l’ascète vint établir avec sainte Paule son monastère40. Enfin, dans une configuration l’associant au crâne, la caverne renvoie au mont du Golgotha sur lequel le Christ souffrit la Passion et où furent ensevelis, d’après la tradition, les restes du premier homme, Adam41. Dans une certaine mesure, le bestiaire riche en symbolisme qui accompagne le pénitent s’inscrit en complément de ce décor. A l’intérieur de la Divine Comédie, le Purgatoire correspond au « stade du miroir », au sens où saint Paul l’entend en écrivant que la vision de Dieu sur terre est une « vision par énigmes », « comme dans un miroir ». L’ensemble de ces significations impliquées les unes dans les autres fait de l’image du pénitent une mosaïque de fragments discursifs seulement déchiffrable par le public averti.

Fig. 1. - Lorenzo Monaco ( ?), Saint Jérôme pénitent, localisation inconnue.

Fig. 2. - Francesco Botticini, Saint Jérôme pénitent et saints, Londres, National Gallery.

Fig. 3. - Carlo Crivelli, Saint Jérôme pénitent, prédelle, Londres, National Gallery.

Fig. 4. - Sano di Pietro, Saint Jérôme pénitent, prédelle, Sienne, Pinacoteca Nazionale.
16Le pénitent Jérôme peut être lu comme la reprise systématique de tous les éléments figuratifs formant le décor habituel des représentations infernales. Seulement, et à la grande différence, ces éléments sont déplacés, mis en mouvement et redéfinis suivant le nouvel ordre de la rédemption par la foi. Ainsi sur la Pala Odoni peinte par Carlo Crivelli, les animaux, démoniaques ou non, sont classés à la surface de l’image à partir de l’idée chrétienne de la répartition des péchés capitaux. Chacun d’entre eux est alors susceptible d’interprétation dans cette langue moralisée et peut renvoyer à l’un des sept péchés capitaux42. Cependant le plan général de l’œuvre les oriente vers le salut, vers cette grotte à l’abri de laquelle repose un chien endormi. Il y a donc orientation, explication, et transformation selon la norme chrétienne de lecture. Dès lors, comme le Purgatoire de Dante, l’allégorie du pénitent Jérôme est le lieu d’une répétition rituelle et théâtrale, d’une représentation initiatique et conjuratoire : le saint se frappe inlassablement la poitrine d’une pierre, et se trouve confronté à la sempiternelle mise en scène des forces du bien et du mal. Cette image n’est compréhensible que de l’intérieur, par qui se change en la parcourant. Sur l’œuvre de Lorenzo Lotto, dans l’espace intermédiaire, l’observateur distingue un cavalier immobile en train de regarder en direction du pénitent, à moins qu’il ne soit le double de celui qui contemple la scène de l’extérieur. En ce cas, le panneau de dévotion privée remplirait sa fonction de miroir spirituel, d’objet appartenant à une bibliothèque personnalisée et y prenant tout son sens par rapport au maître des lieux43. Il condenserait à lui seul ce que la Thébaïde de Paolo Uccello montrait par la juxtaposition de ses différents morceaux choisis.
17–Le memento mori. A partir des années 1470, dans la peinture du nord-est de l’Italie, saint Jérôme pénitent reçoit pour attribut un crâne. L’une des premières associations de ce genre se trouve sur le panneau de Marco Zoppo, qui date de cette période44. C’est qu’à ce moment, et pour le public choisi au sein duquel se développe la dévotion au saint, celui-ci se substitue à saint Antoine abbé, l’ermite qui, jusqu’alors, incarnait le mieux la méditation sur la vanité du monde et la sienne propre45. Le pénitent devient, et pour longtemps, le type achevé du saturnien. Déjà, vers le milieu du siècle, dans ce milieu si fertile en échanges d’idées et inventions qu’est la cour des Este à Ferrare, bon nombre de peintres, Pisanello, Bono de Ferrare, représentent un saint Jérôme en proie à la mélancolie, pendant cet entre-deux qui sépare les tentations de la contemplation céleste. Vers 1460, Francesco del Cossa reprend le thème de la mélancolie, qu’il traite à travers l’allégorie de l’Automne et des panneaux illustrant la pénitence de saint Jérôme au désert : dans les deux cas, il adopte le même schéma formel, la même centration de la figure, la même évocation figée de la nature par-derrière, aride sur la gauche du personnage, fertile sur sa droite46. A l’extrême fin du xve siècle, en 1495, dans la région vénitienne, Vittore Carpaccio superpose en deux compartiments, au centre d’un polyptyque, saint Jérôme et saint Antoine abbé : dans le registre supérieur, Jérôme vient d’interrompre sa traduction de la Bible ; il détourne les yeux du pupitre qu’il s’est improvisé et semble s’abîmer dans ses pensées ; en face, sur un tronc d’arbre mort, un crâne est posé, tourné vers lui. Au-dessous, Antoine abbé a saisi un petit crucifix : il le fixe intensément pendant qu’il prie. Dès lors, c’est Jérôme qui exprime le mieux cette affection intellectuelle et morale qu’on nomme mélancolie. Au début du xvie siècle, à Ferrare, le peintre Lorenzo Costa transforme un Saturne antique en un saint Jérôme perdu dans sa méditation47. Le pénitent s’est aussi annexé le thème de la Méditation sur la mort.
18Saint Jérôme médite sur la vanité des choses ; il personnifie l’idée même de cette réflexion mélancolique : d’où son apparence lugubre, qui fait de lui un personnage ambigu, à la limite entre le monde des vivants et celui des morts. Sa fortune iconographique s’épuise dans cette veine à partir du moment où le thème du memento mori se dégage de la notion de personnification : au cours de ce processus qui s’achève au xvie siècle sur une nouvelle formule, on insiste davantage sur le contraste qui existe entre le contenu triste de la réflexion et l’apparence si belle du personnage qui s’y livre et qui est, de plus en plus souvent, une Marie-Madeleine. Après les ermites de la Thébaïde, saint Jérôme pénitent subit à son tour les caprices de la mode et doit céder la place. Il n’incarne plus alors que l’idée centrale, celle du miroir de pénitence.
19Ainsi, entre 1470 et le Concile de Trente, saint Jérôme pénitent s’impose-t-il sur des représentations qui prennent le relais du Dit des Trois Morts et des Trois Vifs si prisé au xive siècle. Il y a comme un enchaînement de l’un à l’autre : saint Macaire, en effet, est aussi un miroir de la pénitence, mais ne construit aucune image idéale du sujet ; il le montre seulement aux prises avec les contingences. En continuité, mais plus en profondeur, saint Jérôme pénitent permet de rendre compte de ces contingences et fait apparaître les forces qui gouvernent l’univers dès lors qu’il montre ces forces dans leur antagonisme même, sous la forme du combat moralisé des vertus et des vices48. La composition de l’image obéit, dans les deux cas, à des principes semblables. C’est d’abord la caractérisation du trait qui est privilégiée au cours du face à face Jérôme-Christ sur la croix : à l’anatomie détaillée du Crucifié répond la nudité contrôlée du pénitent, cette poitrine qu’il découvre pour la battre sans relâche. Dans ce corps pour corps, chacun peut reconnaître la volonté de l’ascète de se conformer au Christ Souffrant. Saint Jérôme meurtrissant sa chair se charge des péchés de ceux qui le regardent, en même temps qu’il leur permet d’en prendre conscience49. D’autre part, la structure de la représentation est énumérative, obtenue à coups de montages successifs (montage d’objets figuratifs, montage de sens)50. Aux xve-xvie siècles, le type iconographique du saint Jérôme pénitent est un « dit » dont le message sur la vanité des choses terrestres se veut universel.
20L’homme de la pénitence, ce saint Jérôme sans cesse en mouvement, réinterprété au goût du jour, s’affirme donc au cœur d’une iconographie complexe, cristallisant une multiplicité de thèmes fondamentaux pour la spiritualité chrétienne. Au-delà, il met en question le sujet lui-même.
LE SUJET DÉVOT
21C’est en effet le paradoxe du miroir de la pénitence que de s’adresser à un sujet51. Vers le milieu du xve siècle, l’allégorie des vices et des vertus à valeur universelle tend à devenir un tableau privilégiant un destinataire en particulier. De plus en plus, aux côtés du pénitent, apparaît la figure singulière d’un dévot : de 1450 à 1550 environ, l’usage se généralise, pour culminer dans le genre du portrait d’humaniste, qui renoue avec la tradition antique du portrait d’auteur. Cette pénétration de la subjectivité, même modeste, s’effectue selon des modes précis qui mettent aussi en jeu l’évolution du cadre matériel de l’image, et qui incluent peu à peu le peintre.
Le sujet confronté au miroir de la pénitence
22En tant qu’image allégorique, le saint Jérôme pénitent agit comme une exploration généralisante de la conscience : il est le théâtre où se joue la lutte entre les forces du bien et celles du mal, indépendamment de son rôle de sujet et de l’intérêt que peut y prendre son dévot. Celui-ci voit dans ce combat l’application de lois permanentes et intemporelles, sans la moindre référence aux accidents particuliers, aux circonstances, ou à l’immersion dans le quotidien. Plus qu’à une saisie par l’allégorie de l’état présent d’une subjectivité, on assiste à une confrontation d’une subjectivité avec l’allégorie. La question est de savoir par quelles modalités ménager cette confrontation sur les retables ou les panneaux de dévotion privée.
23Le moyen le plus commode est de juxtaposer le sujet au miroir spirituel, de telle sorte que le sens de l’image s’applique directement à lui. Or, dans les mêmes années, autour de 1440-1450, ce procédé passe tout entier dans la prédelle52. Certains endroits de la forme prédelle s’avèrent d’ailleurs plus susceptibles que d’autres de servir de support à la représentation du dévot : de 1450 à 1500, se dessine une circulation générale des figures de dévotion qui tendent à se rapprocher du thème central exposé sur le grand panneau du retable. Vers 1430, à Florence, Francesco d’Antonio peint pour un riche banquier, Luca di Piero Rinieri, une pala d’autel représentant la Vierge à l’Enfant entre les saints Jean-Baptiste et Jérôme ; dans les cartouches de la prédelle, il retrace quelques épisodes tirés de la vie de saint Jérôme d’après les apocryphes53. Or, sur les montants du compartiment central de la prédelle apparaissent deux figurines : l’une est vêtue d’un manteau brun sur une robe blanche ; l’autre, au contraire, est représentée en train de se flageller la poitrine ; toutes deux sont agenouillées de part et d’autre de deux scènes de la légende, au-dessous de la Vierge à l’Enfant et des anges musiciens qui l’entourent54. Il s’agit du bienheureux Jean Colombini de Sienne, fondateur des Jésuates, drapé dans l’habit de son Ordre55, et d’un flagellant : le premier, mains jointes, semble assister à l’apparition de la Sainte Trinité à Jérôme ; le second regarde vers l’intérieur de la chambre où le moine, sur son lit de mort, délivre ses derniers conseils à ses frères56. C’est l’un des tout premiers portraits du bienheureux Jean Colombini qui, ainsi placé sur le montant de la prédelle, se trouve associé à la gloire du saint patron : au-dessus, en ordre croisé, saint Jérôme se tient dans la majesté de ses attributs de docteur et cardinal de l’Église. De l’autre côté, le flagellant incarne un type de spiritualité religieuse et rappelle la pénitence du saint dans le désert de Chalcis. Comme l’a montré C. Gilbert, à une représentation d’un personnage contemporain, ou peu s’en faut, du retable, fait face un type universel ; à un sujet qui suit l’exemple de saint Jérôme et assiste à sa gloire, répond un non-sujet57.
24En 1460, un disciple de Fra Angelico peint à la commande des Médicis un retable pour l’église du couvent des Frères de Saint Jérôme à Fiesole58. Au centre d’un cadre uniforme, en une aimable Conversation Sacrée, se trouve la Vierge à l’Enfant assise sur un trône59. A gauche du couple divin, le peintre a disposé le groupe le plus important de tout le panneau : saint Jérôme, revêtu de l’habit des Hiéronymites, se tient auprès du trône, en pénitent ; immédiatement derrière lui, apparaissent les deux saints patrons de la famille des Médicis, Côme et Damien60. Sur les montants extérieurs de la prédelle, on distingue aussi les armoiries du clan familial, aux deux bouts de la bande narrative qui développe les principales séquences de la vie de saint Jérôme. Dans ce cas, ce n’est plus un bienheureux que le peintre et ses commanditaires choisissent de représenter, mais des laïcs qui sont sur l’image par délégation et s’associent de cette manière à Jérôme lui-même.
25Vers 1490, Francesco Botticini reçoit de Girolamo di Piero di Cardinale Rucellai la commande d’un retable destiné à l’église des Hiéronymites de Fiesole61. Au centre, isolé dans un tableau à l’intérieur du tableau, saint Jérôme se donne la pénitence devant le Crucifié ; sur les côtés de l’ancône, le peintre a disposé les personnages les plus proches du saint, ses protecteurs et ses amis : le Pape Damase, Eusèbe de Crémone, Paule et sa fille Eustochium, les fidèles disciples. De petites figures de donateurs sont agenouillées devant l’icône sacrée et sont très probablement le commanditaire et son fils. Aux extrémités de la prédelle, apparaissent les armes des Rucellai. Les laïcs, cette fois, sont directement confrontés à l’image de la pénitence, et par l’intermédiaire d’un panthéon hiéronymien ; cependant, l’image elle-même est donnée en retrait de l’ensemble, à l’intérieur d’un cadre qui la retranche du contact des donateurs62.
26Ainsi, au terme de l’évolution, la figure du dévot a progressé des montants de la prédelle au panneau central du retable, dans un cadre réaménagé qui est celui de la Conversation Sacrée. Mais elle se place toujours à distance du miroir spirituel, confrontée à lui, jamais à son contact immédiat.
Le sujet interprétant
27Sur toutes les prédelles qui mettent en récit les différents épisodes de la vie de saint Jérôme, le premier se rapporte toujours au fameux songe survenu une nuit de Carême, pendant lequel Jérôme se voit comparaître devant le tribunal de Jésus Christ et accuser d’être plus cicéronien que chrétien63. La fréquence du choix de l’épisode est révélatrice des goûts d’un public cultivé, préoccupé de concilier la culture chrétienne avec tout l’héritage de la culture classique : le thème du songe s’accorde aux soucis immédiats d’un bon nombre de lettrés dévots de saint Jérôme. De plus, la présence du donateur ou du dévot sur le retable est liée d’une certaine façon à cette séquence. Le songe, en effet, affirme une expérience subjective, donc la réalité du vécu, sans revendiquer celle du contenu. Il est aussi porteur d’un sens dissimulé sous la forme d’une énigme et qui, par là, s’apparente à celle de l’allégorie.
28Le texte de Macrobe dans les Saturnales permet de comprendre cette association64. Dans presque tous les cas, le somnium est la représentation imagée ou indirecte d’un sens que seul le décryptage de l’interprétation laisse percevoir. Le songe de saint Jérôme, tel que le rapportent les différentes Vies et les apocryphes, relève de la troisième catégorie dans le plan général proposé par Macrobe : il s’agit du somnium commune, c’est-à-dire du songe qui touche à la fois soi et autrui, Jérôme et son fidèle dévot65. Dès lors, il y a coïncidence entre le songe, l’allégorie et la mise en scène du sujet : d’abord parce que le rêveur contemple un monde allégorique soumis à son jugement et, même s’il demeure confronté de l’extérieur à ce théâtre, il acquiert la virtualité de s’impliquer dans ce qu’il voit ; puis, parce que le rêve n’est pas du tout impersonnel et contient de multiples références au monde contemporain. A commencer par les armoiries familiales qui ornent les montants extérieurs des prédelles sur les retables peints par Francesco d’Antonio et le Maître de la Madone de Buckingham Palace : les insignes des Médicis et des Rucellai agissent comme des repères actifs de la dévotion qui rapportent les scènes choisies aux destinaires immédiats. Cette présence des dévots se matérialise toujours de part et d’autre du Christ de Douleur figuré en prédelle soit comme Pietà, soit comme le Crucifié : ainsi, sur le retable peint par Francesco d’Antonio, le bienheureux Jean Colombini de Sienne regarde l’apparition de la Sainte Trinité à Jérôme, au centre de laquelle se détache le Christ mort sur la croix ; dans la prédelle du retable commandé par les Médicis en 1460, le Christ de pitié occupe la place intermédiaire entre deux épisodes tirés de la vie du saint et deux autres de sa légende posthume66 ; de même, au bas du Retable Placidi que Matteo di Giovanni peint à Sienne vers 1478 pour orner la chapelle familiale, le panneau central de la prédelle est une Crucifixion67. Or, ce thème iconographique (et ses variantes) inséré dans la trame de la vie ou de la légende hiéronymienne a une signification double : dans le récit, il rappelle l’Imitation de Jésus Christ qui constitue la base du message que délivre le pénitent au désert ; vers l’extérieur, en direction de l’observateur, il évoque le sacrifice du Christ répété pendant l’office et permet au suppliant de participer à sa commémoration68. Le thème agit en tant que réactivation du souvenir personnel.
29Enfin, au niveau figuratif, les références à la réalité quotidienne brossent un décor : ce sont bien davantage des effets de réel qui font perdre à l’allégorie son abstraction à prétention universelle69. Dans l’épisode du songe tel que l’a peint Matteo di Giovanni, la flagellation de Jérôme prend place dans un élégant cortile décoré à l’antique d’un marbre situé au-dessus de la porte et représentant le baptême d’un catéchumène. Outre la culture figurative du peintre dont il témoigne, ce détail rappelle le goût de l’époque pour les statues et les marbres de l’Antiquité chrétienne ; de même le cortile qui apparaît aussi sur les peintures contemporaines évoque le cadre confortable de la maison patricienne à la Renaissance70. Sur les prédelles déjà citées de Francesco d’Antonio et du Maître de la Madone de Buckingham Palace, les différents acteurs du récit sont vêtus selon la mode du jour. Ce sont autant de signes faits à la réalité vécue des commanditaires, autant de repères qui leur permettent de s’identifier à l’histoire sacrée qu’ils voient se dérouler sous leurs yeux.
30Le songe de saint Jérôme s’avère ainsi fondamental pour saisir le point d’entrée du sujet dans l’image. Il suppose l’interprétation par une conscience individuelle de cet épisode crucial pour le saint, et l’intériorisation du message. Il équivaut dès lors à une mise en scène du dévot lui-même.
Miroir spirituel et autoportrait
31En fait, le dévot est intéressé directement à ce qu’il voit. D’où, sur les panneaux de dévotion privée, ce regard intense qui relie la figure du donateur à celle du saint patron. Sur le Polyptyque de Zara peint vers 1487 par Vittore Carpaccio, le commanditaire, le chanoine Martin Mladosich, est représenté en buste parmi les rochers, et, les mains jointes, en prière, il regarde saint Jérôme ; celui-ci, le torse dénudé, se tient à genoux devant le Christ crucifié. Ce jeu triangulaire des regards inscrit matériellement dans la représentation le processus qui rend conforme au saint patron, puis, par son intermédiaire, au Christ71. Il y a d’ailleurs à la base une perversion dans l’échange ou dans la communication : car l’observateur éventuel ne perçoit l’allégorie qu’en tant qu’il est en position de tiers exclu. Ainsi, sur le panneau de Carpaccio, Martin Mladosich est seulement juxtaposé au débat essentiel qui se situe entre Jérôme et le Christ : revêtu de son habit, le chanoine assiste à l’effort accompli par le saint pour se rendre conforme au Sauveur étendu nu sur la croix ; mais il y assiste à l’intérieur de l’image, ce qui traduit une évolution considérable. Faute de pouvoir apostropher le Christ, le donateur passe par le truchement de son patron Jérôme.
32Dans le même temps, le pénitent est le moyen le plus commode pour se placer en face à face du Christ. C’est en cela que réside la perversion de l’échange, l’observateur n’ayant d’autre choix que de se glisser à sa place et d’entrer dans le jeu. L’Imitation de Jésus Christ recommande au dévot de méditer sur les scènes principales de la Passion et de se substituer en imagination au Crucifié72. En 1547, Fra Gregorio Belo, maître général de l’Ordre des Hiéronymites, demande à Lorenzo Lotto de le représenter en buste sur fond de calvaire, une pierre à la main : il s’est substitué au pénitent Jérôme73. L’autoportrait est toujours la rentrée en force du tiers exclu.
33Précisément, entre 1480 et 1500, un sujet inattendu se manifeste sur les peintures : celui qui les fait, le peintre lui-même. Et cette fois, l’intervention ne s’opère plus par délégation comme c’était le cas vers 1440, par le moyen d’un même prénom ou la figure du saint patron, ce qui renvoie à la juxtaposition du sujet au miroir de la pénitence74 ; mais elle s’effectue comme par infusion à travers l’image. En 1509, de séjour à Rome, Lorenzo Lotto peint un très beau Saint Jérôme pénitent, en donnant libre cours à son invention et à sa mélancolie75. Tenu à l’écart des commandes pontificales parce qu’on lui préférait Raphaël, il se reconnaît volontiers dans la figure de l’ascète au premier plan ; dans le lointain, la sombre masse du Château Saint-Ange se découpe sur l’horizon. Sont ainsi superposés en un raccourci saisissant saint Jérôme qui incarne la voie de ¡a réforme dans l’Église, le retour aux sources, et la Papauté incapable de changement76. Le peintre a choisi de dédoubler le moment de la pénitence et celui de la lecture apaisée : un saint Jérôme majestueux repose sur le devant de la scène, entouré de livres épars ; au-dessus, le même se frappe la poitrine auprès d’un Crucifix dans une nature menaçante où les formes anthropomorphiques des arbres, jusqu’au premier plan, évoquent les menaces constantes du démon77. Au niveau intermédiaire de la composition, un paysan fouette son âne, pâle allusion à la légende hiéronymienne ou réminiscence d’un vieux topos monastique ; les deux sans doute78. Lorenzo Lotto s’immisce par ses inventions dans le cadre de la représentation, et par de légères variantes à la tradition se profile derrière le saint pénitent. Au terme du processus, il y aura le genre de l’autoportrait du peintre par lui-même qui retrouvera ainsi la veine antique du portrait d’auteur.

Fig. 5. - Marco Zoppo, Saint Jérôme pénitent, prédelle, Bologne, Pinacoteca Nazionale.

Fig. 6. - Matteo di Giovanni, Flagellation de saint Jérôme, prédelle du Retable Placidi, Chicago, Art Institute.

Fig. 7. - Vittore Carpaccio, Polyptyque de Zara (détail), Zara.
L’émergence du sujet et le déchirement du monde
34La rentrée en force du tiers exclu, ce sujet qu’on avait eu tendance à occulter, ne se fait pas sans heurts, ni sans difficultés. C’est un accroc à une trame jusqu’ici sans failles. Autour de 1500-1510, dans l’œuvre de Vittore Carpaccio, le macabre envahit l’espace de la représentation : en particulier sur les deux œuvres qui mettent en scène le Christ mort, l’amoncellement de crânes, d’ossements en tout genre, ajoute une pièce de plus à la mélancolie du sujet devant un monde devenu vide79. Sur la première d’entre elles, une Méditation sur le Christ mort, deux ermites entourent le Christ avachi sur un trône délabré. Tout est désolation et ruine. Le Verbe de Dieu s’est tu. Une plaque de marbre portant des caractères hébraïques forme le dossier du trône, et apparaît rognée dans le coin gauche : les tables de la Loi sont brisées. Sur fond de paysage aride, un carnassier donne la chasse au cerf, cet ancien symbole du Christ ; plus loin, sur la corniche rocheuse qui surplombe la scène, il le dévore. A droite du trône, Carpaccio a disposé un perroquet de couleur rouge, tourné vers le fond de l’image. Le Verbe de Dieu n’est plus ; seul subsiste un verbiage inconsistant et répétitif. Enfin, s’enracinant entre les rocs, un arbre mort se dresse juste au-dessus du trône : son tronc tordu, ses branches noueuses, il évoque le bois dont la Croix fut faite. Unique touche d’espoir, un oiseau prend son envol vers le ciel80. Les deux ermites méditent sans regarder le thème central de la composition. Celui de gauche est un saint Jérôme qui ressemble fort à un saint Antoine abbé : désormais la distinction entre les figures n’a plus guère d’importance. Il pose sa main gauche sur la poitrine et regarde en direction de l’observateur. Sur ses genoux est posé le bâton du prêtre itinérant, attribut traditionnel d’Antoine abbé. Juste par-derrière le personnage, sur une colonne à l’antique en ruine, quelques livres sont placés ainsi qu’un chapelet ; à l’entrée d’une grotte, le lion semble attiré par la scène de chasse qui se déroule de l’autre côté81. Le personnage en face de Jérôme, Job peut-être, paraît absorbé dans sa réflexion sur la vanité des choses : à ses pieds, gisent les restes d’un crâne humain. Sur l’autre panneau, la Lamentation, le Christ est étendu sur le plateau d’une table d’autel, dans un décor empli de ruines antiques et de corps en décomposition, ou d’ossements82. La séquence iconographique choisie porte sur l’instant qui suit immédiatement la Déposition du Christ ; mais la pose insolite, le décor étrange, tout semble indiquer que le Christ mort s’offre à la vue, comme l’hostie aux fidèles. Par la présentation du corps, le peintre insiste sur la notion de sacrifice. Et le schéma formel constitue la base de ce qui va devenir le thème de la leçon d’anatomie tel qu’on le trouvera dans l’art des xvie et xviie siècles.
35A ce point limite de l’étude, le miroir de pénitence se fond dans l’image de vanité, s’efface presque devant l’affirmation centrale de la mort du Christ. La figurine du dévot a disparu également : à présent, celui-ci fait l’objet de peintures indépendantes ; plus encore, il est confronté, dans le silence de son cabinet d’étude ou celui de sa chambre, à cette image terrifiante. Il est seul face à l’univers décentré et à l’absence de révélation établie. Dès lors, il doit apprendre que le sens recherché avec passion ne peut venir que de lui. La naissance du sujet s’accomplit dans une déchirure. Au sens propre, le macabre, tel que le met en œuvre Carpaccio, est brisure d’os et lambeaux de chair. Le crâne des images de vanité est ici complètement désarticulé : mâchoire, débris osseux ou cavité, il devient un objet figuratif débité en morceaux83. Au sens second, le macabre correspond à la désintégration de l’ancien système de représentation, si bien que l’accumulation d’éléments se lit aussi comme un ensemble de traces passées, ou plus exactement dépassées. La construction du peintre, le paysage macabre, obéit à une interprétation personnelle de la tradition iconographique et laisse place à la fantaisie la plus pure. Ce paysage est un peu sa bibliothèque figurative.
36En 1506, Lorenzo Lotto intègre ces différents éléments à une composition unitaire du paysage. Sur le panneau de dévotion qu’il peint pour l’évêque de’Rossi, il représente une nature magnifique, au sein de laquelle il place le pénitent Jérôme. Influencé sans doute par les recherches contemporaines de certains peintres, Patinir ou Altdorfer entre autres, il plonge la petite figure du premier plan dans ce paysage panoramique. Le cavalier placé à distance regarde-t-il le pénitent ou bien, parcourant la campagne, est-il la marque visuelle laissée à la surface de l’image du nouveau spectateur du monde ? Un autre ensemble de signes recouvre le précédent : même s’il reste solidaire de saint Jérôme, le spectateur s’affirme distinct de lui, peut-être même le juge. La représentation objective du paysage suppose la constitution de ce sujet.
37Ainsi donc, peu à peu, le dévot est devenu sujet à travers le dense réseau symbolique du miroir de la pénitence. Au terme du procès, il a pris la place du saint patron Jérôme et intégré en lui-même son enseignement ; vers 1510, s’affirmant sur les autoportraits, il rivalise avec le Christ, en certains endroits va jusqu’à se substituer à lui. Dès lors, dans le travail du peintre, le système de représentation symbolique bascule tout entier vers un autre système figuratif, lui laissant une relative mouvance et la possibilité de se montrer aux regards des spectateurs.
Notes de bas de page
1 Qu’on me permette de renvoyer à ma thèse de doctorat, Saint Jérôme en Italie : étude d’iconographie et de spiritualité (xiiie-xvie siècle), Paris-Rome, La Découverte - École Française de Rome, 1987, 300 p. (coll. Images à l’appui, 2). Pour une situation plus précise des remarques qui suivent, voir en particulier chapitre VII, Le Pénitent au désert. Dans ces pages, j’ai élargi l’enquête jusqu’au milieu du xvie siècle de manière à mieux comprendre les rapports qui existent entre symbolisme chrétien et affirmation d’un sujet.
2 La documentation iconographique est ici volontairement limitée à des œuvres toscanes et vénéto-padouanes. Il va sans dire que ce choix ne porte que sur quelques représentations de saint Jérôme pénitent dont le nombre, pour l’Italie du nord et du centre, défie déjà tout effort d’exhaustivité. Pour un inventaire plus complet, voir D. Russo, Saint Jérôme en Italie, op. cit., la liste des œuvres étudiées en fin de volume.
3 On trouvera une réflexion d’ensemble dans P. Francastel, La Réalité figurative, Paris, 1965, p. 210 sq. La question se pose en des termes semblables à propos de l’espace théâtral ; voir E. Koenigson, L’espace théâtral médiéval, Paris, 1975, 319 p., en part, p. 231-273 (« La figuration des lieux et les éléments figuratifs »). Je rappellerai que déjà dans ses travaux E. Mâle a cherché à mettre en évidence une même conception du monde active parallèlement dans les arts visuels et dans les écrits de large diffusion, tels le Miroir de Vincent de Beauvais ou les Bibles moralisées. Il a donc tenté une explication de l’art et de la pensée par la référence à la culture globale de la société médiévale (notamment, E. Mâle, L’Art religieux en France au xiiie siècle, Paris, 1907, 8e éd. 1948, passim ; ID., L’Art religieux en France à la fin du Moyen Âge, Paris, 1908, 5e éd. 1949, passim). La difficulté de la démarche d’E. Mâle tient à la volonté d’établir l’ensemble des manifestations culturelles à la fois chronologiquement et synchroniquement, et d’admettre ainsi sur le plan de la méthode une simultanéité des expressions idéologiques, plastiques, de la société médiévale, tout en conservant par ailleurs un système d’explication par les influences, ce qui n’est pas justifié historiquement.
4 D. Russo, Saint Jérôme en Italie, op. cit., en part, chapitre VI, Les cycles de saint Jérôme.
5 Il s’agit de la Compagnia di San Girolamo, fondée dans ses statuts le 25 mars 1410, le jour de la fête de l’Annonciation. La patronne en est officiellement Marie, d’où la titulature de Compagnia di Santa Maria della Pietà’, saint Jérôme n’intervient qu’au second rang même si, dès le début, il sert à la désigner de façon la plus courante, ce qui prouve l’extension de son culte dans la ville de Florence. En 1413, la Confrérie s’installe à l’intérieur de l’Hôpital de Saint Matthieu.
6 Ces noms des grandes familles patriciennes de la ville de Florence apparaissent cités dans G. M. Monti, Le Confraternità medievali dell’Alta e Media Italia, Venise, 1927, 2 vols., 1, p. 264 sq. ; 2, p. 35 sq.
7 Sur l’histoire de ces communautés, Dictionnaire de Spiritualité,. s.v. « Jésuates », col. 392-404 ; ibid., s.v. « Hiéronymites », col. 451-462.
8 Les trois apocryphes sont les lettres d’Eusèbe de Crémone sur la mort de Jérôme, de saint Augustin à Cyrille de Jérusalem sur les mérites du Bienheureux et la réponse de Cyrille racontant ses miracles ; voir Migne, Patrologia Latina, 22, col. 239-282, col. 282-289, col. 289-326. Le Hieronymus Vita et Transitus reprend ces trois textes.
9 Entre d’autres exemples, je citerai la traduction, à Venise, de la Légende Dorée, en 1475, par Nicolas Jenson.
10 Lettre 22, § 30, à Eustochium, dans J. Labourt, Saint Jérôme. Lettres, Paris, 1949, vol. 1, 144-146. L’épître est destinée à une certaine diffusion puisqu’elle prend la forme d’un traité. Jérôme a d’ailleurs repris le fameux épisode du songe survenu une nuit de Carême de l’année 376, dans son traité In Galatas, prologue, 3 (dans Migne, P L., 26, col. 401 C), et dans son Contre Rufin, 1, 30 ; 2, 34 ; 3, 32 (dans Migne, P L., 23, col. 421, 455 C, 481 A, B).
11 Ce qui est un thème cher à l’Observance de la fin du xive et du xve siècle. Antonio des Alberti mène ce genre de vie dans sa ville du Paradis, construite aux environs de Florence : spiritualité élevée et style de vie courtois se mêlent dans un décor qui rappelle, jusqu’à son nom, les édifices monastiques. Sur tout ce mouvement très riche au plan spirituel comme au plan artistique, R. Piattoli, Il Monastero del Paradiso presso Firenze nella storia dell’arte del primo Quattrocento, dans Rivista d’Arte, 18, 1936, p. 4 sq.
12 La localisation du panneau n’est pas connue. M. Meiss, Scholarship and Penitence in the Early Renaissance : The Image of St. Jerome, dans Pantheon, 32, 1974, p. 134-140, repris dans The Painter’s Choice. Problems in the Interpretation of Renaissance Art, New York, 1976, p. 189-202, fig. 171.
13 Sano di Pietro. Retable des Jésuates, 1444, auj. à Sienne, Pinacothèque Nationale ; voir J. Torriti, La Pinacoteca Nazionale di Siena. I Dipinti dal xii al xv secolo, Gênes, 2e éd., 1980, n° 246, p. 254-256. Sur le retable ferrarais de 1450, F. Bisogni, Contributo per un problema ferrarese, dans Paragone, 23, 1972, p. 69-79, fig. 44 à 47. La prédelle peinte par Lazzaro Bastiani (v. 1470-1480) se trouve partagée entre la Galene Brera de Milan et celle de l’Académie à Venise ; B. Berenson, Italian Pictures of the Renaissance, Venetian School, Londres, 1957, p. 26. Celle de Giovanni Mansueti (début xvie siècle) est aujourd’hui conservée au musée Correr à Venise ; 11), ibid., p. 109, pl. 375.
14 Cette distinction est due à une différence de pénétration dans la société urbaine.
15 Maître de la Madone de Buckingham Palace, Retable de saint Jérôme (1460), auj. Avignon, Musée du Petit Palais ; M. Laclotte et E. Mognetti, Peinture Italienne, Avignon, Musée du Petit Palais, Paris, 1976, n° 139. On trouvera une reprod. en couleur dans G. de Love, E. Mognetti et D. Thiébaut, Avignon, Musée du Petit Palais, Paris, 1983, p. 60-61. Francesco Botticini, Saint Jérôme pénitent et saints, auj. Londres, National Gallery. Ces deux retables étaient destinés à la petite église des Frères de Saint Jérôme à Fiesole.
16 Ainsi, dans la traduction en langue vulgaire de Francesco Bonaccorsi, est-il écrit : « [...] si rallegrava della sua infirmità et pena sì che veramente fu martyre » ; Divoto Transito di Sancto Hieronymo ridocto in lingua fiorentina, Florence, 1490, n.p. Sur cette thématique de la pénitence de saint Jérôme comme martyre, voir L. Braccaloni, L’arte francescana nella vita e nella storia dell’Ordine, Todi, 1924, p. 228.
17 J’utilise ici la distinction faite pour le xvie siècle par M. Fumaroli, L’Age de l’éloquence. Rhétorique et res literaria de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, 1980, p. 607-612. Le public élargi correspond en effet à l’adjonction des mondains (patriciens, humanistes...) aux doctes et savantes autorités religieuses. Le culte de saint Jérôme recouvre à présent les deux.
18 Après 1450, on a tendance à représenter saint Jérôme pénitent seul au centre du retable d’autel, ce qui confirme son succès dans l’art et dans la dévotion. Ainsi, sur le panneau de Francesco Botticini, le pénitent figure au centre de l’image, isolé par un cadre des autres saints personnages et des donateurs.
19 Sur le thème de la psychomachie dans l’art médiéval, A. Katzenellenbogen, The Sculptural Programs of Chartres Cathedra !, New York, 1959, 2" éd. 1964, 151 p. Je renverrai aux études fondamentales sur le Purgatoire de J. Le goff, La Naissance du Purgatoire, Paris, 1981, 509 p., en part. p. 450-481 (« Le Triomphe poétique : la Divina Commedia »), et de J. Risset, Dante écrivain ou l’Intelleto d’amore, Paris, 1982, 254 p., en part. p. 143-173. Sur le memento mori, H. W. Janson, The Putto with Death’s Head, dans The Art Bulletin, 19, 1937, p. 423-449, repris dans Sixteen Studies, New York, s.d., p. 1-38.
20 Je me permets de renvoyer à D. Russo, Le corps des saints ermites en Italie centrale aux xive et xv siècles : étude d’iconographie, dans Médiévales, 8, 1985, p. 57-74, en part. p. 58-64.
21 Le processus d’enchaînement formel est le principe même qui fait passer d’un thème iconographique à un autre. Un thème peut être amplifié, c’est-à-dire développé, et il s’annexe les formes et les contours d’autres thèmes voisins ; ou bien au contraire, il peut être réduit (procédé de soustraction) et à terme se résoudre dans une autre configuration. Le premier historien qui ait attiré l’attention sur cette thématique, est E. Panofsky dans un article Imago Pietatis : Ein Beitrag zur Typengeschichte des Schmerzensmann’s und der Maria Mediatrix, dans Festschrift für Max J. Friedländer zum 60. Geburtstage, Leipzig, 1927, p. 261 sq. Depuis, se reporter à S. Ringbom, Icon to Narrative. The Rise of the Dramatic Close Up in Fifteenth Century Devotional Painting, Abo, 1965’, 19832, en part, chapitres I (« The Devotional Image »), III (« From the Man of Sorrows to Deposition ») et IV (« The Man of Sorrows »).
22 C’est précisément dans le cadre d’un regard intime, après 1450, que le type iconographique du pénitent atteint sa signification la plus étendue.
23 Jacopo Passavanti (mort en 1357), Specchio di Vera Penitenza, éd. M. Lenardon, Florence, 1925, prologue (p. 1) : « Secondo che dice il venerabile messer santo [...] Jeronimo » ; et plus loin (p. 8) : « [...] ricorrendo divotamente al dottore sommo messer santo Jeronimo, la cui vita e dottrina sono essemplo e specchio della vera penitenza... ».
24 Sur la tradition du miroir, Sister R. Bradley, Backgrounds of the Title Speculum in Medieval Literature, dans Speculum, 29, 1954, p. 110-115.
25 Je me bornerai ici à souligner que le thème du pénitent qui se bat la poitrine se trouve dans Platon à deux reprises, sous la forme d’une citation d’Homère : « Se frappant la poitrine, il gourmandait son coeur en ces termes... » (Odyssée, XX, 17). Dans le Phédon (94, c, d), puis dans la République (IV, 441, b, d), Platon illustre ainsi le conflit entre l’âme et les passions ou entre les deux parties de l’âme. C’est la base de toute la conception de la psychomachie qui sera reprise par la littérature chrétienne : saint Paul d’abord, puis Jean Scot qui précisera que ce n’est pas seulement l’âme individuelle qui est en jeu, mais celle de l’univers. La psychomachie se donne pour la description imagée du combat des forces du bien contre celles du mal, sur une scène qui est l’univers. D’où cet aspect de savoir encyclopédique que revêt le speculum.
26 Paolo Uccelo, Thébaïde, auj. Florence, Académie. L’on trouvera une excellente reproduction dans H. Damischet L. Tongiorgi Tomasi, Tout l’œuvre peint de Paolo Uccello, Paris, 1972, pl. LII-LIII.
27 Je ne suivrai donc pas dans un dédale d’interprétations forcément contradictoires. H. Friedmann, A Bestiary for Saint Jerome : Animal Symbolism in European Religious Art, Washington, 1980, passim.
28 Carlo Crivelli, Saint Jérôme pénitent, panneau de prédelle, auj. Londres, National Gallery. Le panneau appartient à la Pala Odoni sur laquelle figurent la Vierge à l’Enfant et les saints Jérôme et Sébastien. Les autres compartiments de la prédelle sont (de gauche à droite) : sainte Catherine d’Alexandrie, (le saint Jérôme), la Nativité, le Martyre de saint Sébastien, saint Georges et le dragon. Sur la reconstruction du retable, A. Bovero, L’Opera completa del Crivelli, Milan, 1975, p. 99, n° 152-157.
29 Sur la signification, toujours ambiguë, donnée à chaque animal, M. Lattanzi et M. Mercalli, Il tema del San Girolamo nell’eremo nella cultura veneta tra Quattro e Cinquecento, dans II San Girolamo di Lorenzo Lotto a Castel Sant’Angelo, Rome, 1983, p. 71-106, en part. p. 82-86.
30 Voir, par exemple, les très beaux Canons évangéliques dans l’atelier carolingien de Hautvilliers, sur les frontons desquels on retrouve exactement la même iconographie : la colombe perchée au sommet du temple, sur l’Arbre de Vie (le Christ), est menacée par deux dragons ailés qui craclient des flammes ; ou sur telle autre miniature, le cerf s’abreuvant à la Fontaine de Vie.
31 Sur cette notion de réseau figuratif, et à titre de comparaison, M. Schapiro, Muscipula diaboli : The Symbolism of the Merode Altarpiece, dans The Art Bulletin, 27, 1945, p. 182-187 ; ID., A Note on the Merode Alterpiece, dans The Art Bulletin, 41, 1959, p. 327-328 (trad. fr., Paris, 1982, dans Style, Artiste et Société, p. 147-170).
32 Cela va jusque dans le détail : chaque animal démoniaque est ainsi placé en position inverse de celle du précédent, comme pour évoquer l’impression de désordre qui caractérise l’Enfer. Au contraire, le lion, le cerf et le petit lapin tapi devant la caverne se suivent en droite ligne, à intervalles réguliers. Cela ne relève d’aucun ordre narratif, mais d’une topique.
33 Je rapprocherai les représentations du saint Jérôme pénitent dans le second xve siècle (et leur vogue) de celles de l’Arbor Vitae au xive siècle, également dominantes sur les programmes décoratifs que commandaient les Ordres Mendiants, Dominicains surtout.
34 En 1480, à Florence, dans l’église Ognissanti, Domenico Ghirlandaio peint à fresque pour les Vespucci un très beau Saint Jérôme dans son étude. Le saint est à sa table de travail ; il suspend son labeur et regarde en direction de l’observateur : sur le montant de la table, est accrochée une paire de ciseaux. Cet objet qualifie la tâche qu’il accomplit, celle de la patiente exégèse des Livres Saints.
35 J. Risset, op. cit., p. 143.
36 Sano di Pietro, Saint Jérôme pénitent, prédelle de la Pala de l’Observance, auj. Sienne, Pinacothèque Nationale. D’après les critiques les plus récentes, le panneau, traditionnellement attribué au Maître de l’Observance, serait en fait de Sano lui-même. Pour un résumé des différents arguments, J. Torriti, op. cit., p. 248, p. 251, p. 252 et 256. L’oeuvre de Lorenzo Lotto se trouve aujourd’hui à Paris, Musée du Louvre ; J. Wilde, The Date of Lotto’s St. Jerome in the Louvre, dans The Burlington Magazine, 92, 1950, p. 350-351 ; G. Liberali, Gli inventori delle suppellettili del vescovo Bernardo de’Rossi nell’episcopio di Treviso (1506-1524), dans Lorenzo Lotto. Atti del Convegno Internazionale di Studi per il V Centenario della Nascita (Asolo, 1980), Trévise - Venise, 1981, p. 73-92. On trouvera une reprod. en couleur dans R. Pallucchini et G. Mariani Canova, L’opera completa del Lotto, Milan. 1975, pl. VII.
37 Voir note 12, supra. En ce sens, la caverne est, comme le trône, un attribut de majesté qui sert à mettre en valeur la figure d’autorité ; G. Francastel, Le droit au trône. Un problème de prééminence dans l’art chrétien d’Occident du TV au xiie siècle, Paris, 1973, 388 p.
38 Sur les œuvres de Giovanni Bellini, la caverne est souvent creusée au pied d’une montagne dont on distingue les contreforts ; ainsi, sur le Saint Jérôme pénitent auj. à Londres, National Gallery (vers 1480-1485), et sur celui conservé à Washington, National Gallery (vers 1505). On trouvera une reprod. en couleur de ce dernier dans Y. Bonnefoy et T. Pignatti, Tout l’œuvre peint de Giovanni Bellini, Paris, 1975, pl. XLIII.
39 Sur le panneau de Lorenzo Lotto au Louvre, le moment choisi est, à l’inverse, celui du crépuscule. Libre invention du peintre, ce choix se prête à la mise en œuvre de la palette du coloriste.
40 F. Cavallera, Saint Jérôme, sa vie et son œuvre, 1re partie, 2 vols., Louvain - Paris, 1922, 324 p. et 250 p. Saint Jérôme, avec ses disciples Paule et Eustochium, fonde un monastère double, tout près de la grotte de la Nativité à Bethléem. Sur un certain nombre de Nativités du xve siècle, on le représente en pénitent dans le paysage : ainsi, sur celle de Fra Filippo Lippi datant de 1453, aujourd’hui à Florence, Musée des Offices.
41 Marco Zoppo, Saint Jérôme pénitent, auj. Bologne, Pinacothèque Nationale, 1470-1471. Le panneau appartenait peut-être à la prédelle de la pala peinte pour l’église Saint Jean-Baptiste des Pères Zoccolanti de Pesaro, qui date de 1471 ; L. Armstrong, The Paintings and Drawings of Marco Zoppo, New York, 1976, p. 129-130.
42 Ainsi, le lièvre, emblème traditionnel de la luxure dans les Bestiaires, peut être interprété, de par sa position proche de l’ermitage, comme le rappel du nécessaire éloignement de la cité pour parvenir au salut ; P. Valeriano, Ieroglifici, éd. Venise, Gio. Antonio et Giacomo de Franceschi, 1602, c. 194 ; cité par M. Lattanzi et M. Mercalli, art. cit., p. 84-85, n. 12.
43 Sur le rôle de saint Jérôme pénitent dans l’espace privé du studiolo, M. Baxandall, A Dialogue on Art from the Court of Leonello d’Esté, dans The Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 26, 1963, p. 304-326 ; ID., Guarino, Pisanello and Chrysoloras, dans ibid., 28, 1965, p. 183-204.
44 Pour ce thème inséré dans l’iconographie de saint Jérôme, H. W. Janson, art. cit., p. 429-431.
45 A. Chastel, La Tentation de saint Antoine ou le songe du mélancolique, dans Gazette des Beaux Arts, 4, 1936, p. 47 sq.
46 Francesco del Cossa, L’Automne, Berlin, Musées d’État ; M. Baxandall, Guarino, Pisanello and Chrysoloras, art. cit., p. 188.
47 R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturn and Melancholy. Studies in the History of Naturai Philosophy, Religion and Art, Londres, 1963, p. 309 (trad. fr. Saturne et la Mélancolie, Paris, 1989).
48 Le parallèle est frappant avec ce qui se passe en littérature. Au xiiie siècle, la nouvelle poésie lyrique prend ainsi le relais du dit en expliquant ce qu’il livrait d’un seul bioc ; M. Zink, La subjectivité littéraire, Paris, 1985, 267 p., en part. p. 142 sq.
49 Le pénitent est donc exemplaire.
50 La structure énumérative fonde le genre littéraire du dit ; G. Cerquiglini, Le Clerc et l’écriture : le Voir dit de Guillaume de Machaut et la définition du dit, dans Literatur in der Gesellschaft des Spätmittelalters, éd. H. U. Gumbrecht, Heidelberg, 1980, en part. p. 159-160.
51 Comme allégorie, le miroir de la pénitence se donne pour une description généralisante. J’entends le sujet au sens logique du terme, c’est-à-dire désignant l’objet dont quelque chose est affirmé.
52 Sur l’évolution et le rôle de la prédelle, H. Hager, Die Anfänge des italienischen Altarbildes, Munich, 1962, p. 113 sq. ; J. Gardner, The Louvre Stigmatisation and the Problem of the Narrative Altarpiece, dans Zeitschrift für Kunstgeschichte, 45, 1982, p. 217-247, en part. p. 225 sq.
53 Auj. Avignon, Musée du Petit Palais ; M. Laclotte et E. Mognetti, op. cit., n° 69. Reprod. en couleur dans G. de Loye, E. Mognetti et D. Thiébaut, op. cit., p. 57.
54 Le cadre du retable montre la transition qui s’effectue entre le lourd polyptyque du xive siècle et la pala d’autel à fond uniforme du second xve siècle.
55 M. Davies, National Gallery Catalogue. The Earlier Italian Schools, Londres, 2e éd. 1961, p. 120 ; l’auteur souligne que Jean Colombini est vêtu de l’habit donné aux Jésuates par Martin V (1417-1431).
56 Le thème de l’apparition de la Sainte Trinité à Jérôme résulte d’une interprétation à partir des écrits du saint docteur ; E. Rice, St. Jerome’s Vision of the Trinity : An Iconographical Note, dans The Burlington Magazine, 125, 1983, p. 151-155. Le Pseudo-Jérôme de la Regula Monachorum affirme que Jérôme séjourna souvent parmi les chœurs des anges et qu’il vit la Trinité.
57 C. Gilbert, On Subject and Non-Subject in the Early Italian Renaissance Art, dans The Art Bulletin, 34, 1952, p. 202-216.
58 Auj. Avignon, Musée du Petit Palais.
59 Le thème de la Conversation Sacrée se généralise au xve siècle. R. Goffen, Nostra Conversano in Caelis est : Observations on the Sacra Conversazione in the Trecento, dans The Art Bulletin, 61, 1979, p. 198-222 ; H.B. J. Maginnis, The Trecento Sacra Conversazione, dans ibid., 62, 1980, p. 480-481.
60 M. L. David-Daniel, L’Iconographie des saints Còme et Damien, Paris, 1956, passim.
61 Auj. Londres, National Gallery.
62 Pour d’autres exemples de cette forme de présentation, M. Warnke, Italienische Bildtabernakel bis zum Frühbarock, dans Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, 19, 1968, p. 64 sq.
63 Voir n. 8, supra.
64 Macrobe, Saturnales, d’ap. L’éd. de Lyon, Seb. Gryphius, 1550, p. 19-23.
65 Macrobe distingue cinq sortes de somnium : proprium qui ne concerne que le rêveur, alienum qui concerne autrui, commune qui touche l’un et l’autre, publicum (public), generale (général). Dans le somnium commune, « on songe que l’on fait ou subit quelque chose en même temps que quelqu’un d’autre ».
66 Sur l’importance du Christ de Douleur dans les prédelles du xve siècle, H. W. Van Os, Giovanni di Paolo’s Pizzicaiuoli Altarpiece, dans The Art Bulletin, 53, 1971, p. 80 sq.
67 E. Trimpi, Iohannem Baptistam Hieronymo aequalem et non maiorem : A Prédella for Matteo di Giovanni’s Placidi Altarpiece, dans The Burlington Magazine, 125, 1983, p. 457-466.
68 B. G. Lane, The Development of the Médiéval Devotional figure (Université de Pennsylvanie, Ph. D. 1970), Michigan, 1971, 236 p. + pl., montre bien comment, depuis le xiiie siècle, le choix du thème de la Crucifixion (ou ses variantes) sur les images de dévotion symbolise la volonté de répéter sur l’image le sacrifice vu pendant la messe et d’y associer étroitement le suppliant.
69 Je reprends ici l’expression à R. Barthes L’effet de réel, dans Communications, 11, 1968, repris dans Littérature et Réalité, p. 81-90. Ces effets de réel signifient le réel comme catégorie.
70 Sur les détails du cortile et du marbre, G. Scaglia, Fantasy Architecture of Roma Antica, dans Arte Lombarda, 15, 1970, p. 9-24, en part. p. 17-18, pour l’utilisation par Matteo di Giovanni d’architectures fantaisistes ou imitées des Anciens.
71 Vers 1454, Piero della Francesca avait aussi peint de la même façon un saint Jérôme pénitent avec un dévot, Girolamo Amadi. Le panneau est aujourd’hui conservé à Venise, Galerie de l’Académie.
72 Au xvie siècle, en plein milieu luthérien, on aimait à se représenter comme participant au drame de la Passion, à être un acteur pouvant assumer le rôle du Christ. Dans ce genre d’image, l’Ecce homo sert aussi à l’ostension de soi ; R. Bainton, Durer and Luther as the Man of Sorrow, dans The Art Bulletin, 29, 1947, p. 269 sq.
73 Lorenzo Lotto, Fra Gregorio Belo, auj. New York, Metropolitan Muséum, 1547 ; R. Pallucchini et G. Mariani Canova, op. cit., p. 121, pl. LXII.
74 Ainsi à Sienne, le peintre Sano di Pietro appelle un de ses fils Jérôme et lui fait étudier les lois ; G. Milanesi, Documenti per la storia dell’arte senese, Florence, 1854-1857, 3 vols., vol. 2, p. 388 (d’après la déclaration de Sano en 1481 sur les registres de l’estimo). De même à la fin du siècle, toujours à Sienne, au sein d’un ateiier à structure familiale, Giovanni Benvenuto prénomme son fils Jérôme : l’on possède d’eux plusieurs représentations de saint Jérôme pénitent, dont l’une aujourd’hui à Avignon, Musée du Petit Palais.
75 Lorenzo Lotto Saint Jérôme pénitent, Rome, Château Saint-Ange, 1509 ; voir à présent II San Girolamo di Lorenzo Lotto a Castel S. Angelo, Rome, 1983, 124 p.
76 Sur la spiritualité des cénacles humanistes à Venise, S. Tramontin, La cultura monastica del Quattrocento dal primo Patriarca Lorenzo Giustiniani ai camaldolesi Paolo Giustiniani e Pietro quirini, dans Storia della cultura veneta. Dal primo Quattrocento al Concilio di Trento, ouvr. coll., t. 3, vol. 1, Vicence, 1980, p. 431-457.
77 D. Arasse, Lorenzo Lotto dans ses bizarreries : le peintre et l’iconographie, dans Lorenzo Lotto, op. cit., p. 377 sq.
78 Dans la Légende Dorée et à la suite de Vies bien antérieures, comme le Plerosque Nimirum, Jacques de Voragine raconte le fameux épisode du lion guéri et apprivoisé par Jérôme. C’est de ce récit que vient la représentation du lion comme attribut du saint ; D. Russo, Saint Jérôme en Italie, op. cit., chapitres IV et V. Le lion avait pour fonction de surveiller l’âne du monastère. On retrouve dans la littérature monastique le thème de l’âne qui évoque par analogie le moine et son ascèse ; G. Penco, Il Simbolismo animalesco nella letteratura monastica, dans Studia monastica, 6, 1964, p. 19-20.
79 Vittore Carpaccio, Méditation sur la Passion du Christ, auj. New York, Metropolitan Muséum, v. 1510, et Lamentation sur le Christ mort, Berlin, Musée d’État, v. 1510 ; J. Roudautet G. Perocco, Tout l’oeuvre peint de Carpaccio, Paris, 1981, pl. 49-50.
80 A droite du Christ mort, l’ermite tend son index dans la direction opposée de celle du perroquet, comme pour en mieux souligner la présence.
81 Il n’y a plus aucun ordre dans la disposition du bestiaire. Même le lion représenté par-derrière Jérôme ne se rapporte pas directement à lui. Mon interprétation s’attache à restituer le contexte large de l’image et privilégie donc l’ambiance culturelle plus que le déchiffrement ponctuel. Pour ce type d’analyse, je renvoie à F. Hartt, Carpaccio’s Méditation on the Passion, dans The Art Bulletin, 22, 1940, p. 25-35, où l’auteur s’efforce de donner un sens à tous les éléments de la composition : ainsi lit-il, sur le dossier du trône sur lequel est assis le Christ, l’inscription « Ceci est mon Rédempteur vivant », et le chiffre dix-neuf se rapportant au même chapitre dans le Livre de Job. Tout en suivant son interprétation détaillée, je pense que le sens d’un tableau comme celui de Carpaccio ne peut être appréhendé que dans une série large, regroupant d’autres œuvres d’art visuel, mais aussi des textes littéraires participant d’un même courant de pensée.
82 Dans le paysage, selon son invention propre, le peintre a placé saint Job, un peu plus loin la Vierge soutenue par la Madeleine et saint Jean. Le thème choisi, de même que sur l’œuvre précédente, est emprunté aux Sermones de saint Laurent Giustiniani et aux Dialogues sur l’amour de Dieu du bienheureux Paul Giustiniani qui eurent une influence considérable dans l’ambiance culturelle à Venise autour de 1500.
83 Je rapprocherai cela de l’avertissement que reçoivent dans le roman rabelaisien, au Tiers Livre, les compagnons de Panurge pour rechercher à l’intérieur de l’os la « substantifique moëlle ».
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