La théâtralisation de 1’alchimie de la nature. Les grottes artificielles et la culture scientifique à Florence à la fin du xvie siècle
p. 153-183
Texte intégral
1Au cours de ces dernières années, les grottes italiennes du xvie siècle ont fait l’objet d’études souvent aussi précieuses que stimulantes et variées1. Parmi l’éventail des problèmes soulevés, deux m’intéressent particulièrement qui devraient apparaître profondément corrélatifs : la représentation de la Natura naturans et le rapport aux sciences naturelles. Detlef Heikamp conclut son second article sur la grande grotte de Boboli en ces termes : « Un pessimismo per le forze distruttrici della natura, ma anche un religioso inserimento nei suoi segreti ed anche nelle leggi su cui si basano le sue creazioni si rispecchiano nella Grotta. È il periodo nel quale le scienze naturali prendono un nuovo sviluppo »2. L’idée est suggérée, mais l’auteur en reste là. De même, à l’occasion d’une étude tout à fait intéressante intitulée « Rappresentazione della natura e indagine scientifica nelle grotte cinquecentesche », Cristina Acidini esquisse ou introduit certains aspects de la question, sans pour autant réellement et précisément les affronter3.
2Pourquoi, comment, dans quelle mesure et selon quelles modalités, une telle relation entre un domaine esthétique et un champ épistémologique peut-elle être établie ? Telle serait l’une des orientations que j’ai voulu donner à cette recherche qui, nullement définitive ou systématique, se propose avant tout de percer quelques brèches et de rassembler une part de matériel documentaire. La prudence doit être de mise, notamment en raison du caractère scientifique des textes cités qui ne s’avèrent pas toujours d’un maniement très facile dans le cadre d’une analyse historique sur l’art. Mais l’intérêt et l’enjeu de la démarche résident précisément en ce court-circuitage de disciplines encore trop souvent cloisonnées.
3Le travail ici proposé n’est que l’état partiel et provisoire d’une plus vaste recherche sur le décor des grottes artificielles à Florence, à la fin du xvie siècle, recherche où il est également question des automates et des figures composées4. Nous n’envisagerons présentement que les problèmes ayant trait à la génération des pierres, à la pétrification des corps non minéraux et au thème du déluge ou de l’immersion.
GÉNÉRATION
1) Revêtement des grottes : l’influence de l’Antiquité
4Bien loin d’être, comme sur les murs d’un palais ou d’une villa, un fond neutre sur lequel se détacherait une fresque, une tapisserie ou un tableau, fond qui n’exigerait point une attention particulière, le revêtement des parois constitue une donnée fondamentale pour la décoration des grottes artificielles. Il est le fait d’un choix précis (la substance minérale était généralement appliquée à une maçonnerie), il participe de façon déterminante à la caractérisation rustique et « naturaliste » du lieu et il peut recouvrir partiellement les éléments plastiques (paysages, figures, objets peints ou sculptés) qui sont les composantes traditionnelles du décor, jusqu’à en être indissociable, à s’en faire le corps et la matière.
5Ce premier constat débouche malheureusement sur un ensemble de difficultés qui font obstacle à l’analyse. Les grottes artificielles ayant pour la plupart été détruites, au-delà de quelques exemples plus ou moins bien conservés, nous nous voyons forcés de prendre essentiellement appui sur des documents écrits, mentions rapides ou descriptions plus approfondies. Or ces textes ne sont d’ordinaire prolixes et détaillés qu’à l’égard des images peintes ou sculptées, des automates ou des matériaux riches et remarquables tels que le corail et la nacre. Lorsqu’il s’agit du revêtement d’ensemble, le vocabulaire pèche manifestement par son imprécision et sa généricité.
6Examinant le cas des grottes de la Rome antique, Alberti parle de fragments de pierre ponce autrement appelée écume de travertin : « Antris et criptis assuevere crustam veteres adigere asperam ex industria adpactis minutis glebis ex pumice aut spuma lapidis Tiburtini, quam Ovidius vivum appellat pumicem »5. Ovide décrit en effet l’intérieur de deux grottes : la grotte sacrée de Diane, au livre III des Métamorphoses : « antre forestier, dont l’aménagement ne doit rien à l’art. La nature, par son seul génie, y avait donné l’illusion de l’art, car, avec la pierre ponce vive et le tuf léger, elle avait tracé la courbe d’une voûte naturelle »6. Un même revêtement se retrouve dans la grotte où Hercule et Omphale viennent se reposer, au livre II des Fastes : « Antra subit, tophis laqueataque pumice vivo »7. L’apparence et l’usage de ces deux grottes leur confèrent une position oscillante et ambiguë entre une nature fortuite et un artifice humain, un lieu sauvage et un espace habité. L’évocation littéraire témoigne d’un goût croissant pour les grottes rustiques dans les jardins de la Rome impériale. La pierre ponce (pumex) était-elle employée dans les grottes artificielles ? C’est ce qu’il semble ressortir d’un passage de l’Histoire naturelle : « On appelle bien ainsi les pierres érodées suspendues dans les édifices nommés « musées » [les nymphées] pour imiter artificiellement les grottes »8. Mais, ajoute Pline, les pierres ponces avec lesquelles les femmes se lissent la peau se trouvent, pour les plus appréciées, dans les îles Éoliennes, à Nisyros et à Mélos. « Elles sont bonnes quand elles sont blanches, très légères, aussi spongieuses et sèches que possible, friables et ne donnant pas de sable au frotter »9. Etait-ce cette même qualité, si appréciée des femmes, que l’on utilisait dans les grottes, sous la forme d’écaillés ? Cela n’est point certain et le sed utilisé par Pline tend à nous faire penser qu’il s’agit d’une autre pierre. Déjà, dans le De lapidibus, Théophraste avait insisté sur la diversité des pierres ponces et déclaré qu’il en existait au moins deux catégories : celle formée par une combustion et celle formée par l’écume de la mer10. L’origine volcanique de la pierre ponce est réaffirmée par Vitruve qui ne fait pas état de la seconde espèce, mais remarque que les ponces pompéiennes ont une qualité particulière qui ne se rencontre point en d’autres pierres spongieuses11.
7Une certaine confusion linguistique fut sans doute héritée de l’Antiquité comme il ressort, au milieu du xvie siècle, d’une observation d’Agricola : « La pomice, perche non altramente che la Spogna : è piena di buchi dentro ; fu (come Vitruvio dice) chiamata Spagna »12 ; le terme spogna (ou spugna) recouvrant dès lors des réalités géologiques et minéralogiques bien différentes (roches éruptives/sédimentaires, essentiellement composées de verre volcanique/de calcite). Le pumex vivus d’Ovide n’était peut-être pas de nature volcanique, et devait plutôt s’apparier à ce qu’Alberti appelle plus justement de l’écume de travertin (roche sédimentaire à base de calcite), le travertin de Tivoli étant lui-même « di color bianchiccio molto spugnoso », comme le précise Agostino del Riccio13. Cette ambiguïté eut la vie longue, puisque dans sa monographie consacrée aux Roman Wall and Vault Mosaics, Frank Sear cite la pierre ponce au nombre des matériaux utilisés dans les nymphées antiques, à moins qu’il ne s’agisse de dépôts ou de concrétions calcaires, comme le pense Mariette de Vos sur la base d’exemples conservés à Rome14.
8Cette apparente digression sur le pumex vivus n’est pas gratuite, car cette pierre poreuse, écailleuse et friable, se retrouve dans certaines grottes du Latium, à Tivoli, Bagnaia et Caprarola. De même le « tuf léger » d’Ovide peut-il nous rappeler Vasprone, tuf noir et spongieux qui apparaissait à l’entrée de la grotte de la Villa Gaddi, décrite par Annibale Caro dans une lettre de 153815. La probable (mais partielle) similitude des matériaux résulte simultanément de la disponibilité de ces substances minérales dans la région et d’une volonté imitative et référentielle par rapport à l’Antiquité, connue à travers les textes et quelques exemples de nymphées subsistants16. Le mode d’application de cette rocaille peut lui-même rappeler les décors antiques, lorsqu’elle se trouve divisée par des treillages ou des rangées de coquillages, ou quand elle est associée à de la mosaïque qui dessine des formes variées (figures géométriques, végétaux, animaux, personnages, etc.)17.
9En effet, le développement de la mode des grottes, à Rome, dans la première moitié du xvie siècle, relève au départ d’un goût antiquisant qui se fixe pour modèle le nymphée, le thème de la source et de sa divinité protectrice. Cette grotte à l’antique apparaît comme l’extension de la fontaine rustique où se répète fréquemment le motif humaniste de la nymphe endormie qu’a étudié Elisabeth MacDougall18. Ecrin d’une statue, évocation pastorale, culte humaniste des Muses : cette caractérisation antiquisante de la grotte artificielle dans la Rome de la première moitié du xvie siècle se prolonge donc jusqu’au type de rocaille employé. Mais cette préoccupation humaniste subit bientôt une inflexion qui se traduit par un souci de nouveauté et de diversité dans le choix et la composition des matériaux.
2) Revêtement des grottes ; les spugne
10C’est en ce point qu’intervient une autre forme de spugna, totalement distincte du tuf et de la pierre ponce volcaniques, concrétion calcaire mais d’aspect nullement écailleux et friable. Dès le milieu des années 1520, Giovanni da Udine réalise une fontaine selvatica pour la Villa Madama : « nella concavità d’un fossato circondato da un bosco, facendo cascare con bello artifizio da tartari e pietre di colature d’acqua gocciole e zampilli, che parevano veramente cosa naturale ; e nel più alto di quelle caverne e di que’sassi spugnosi avendo composta una gran testa di leone, a cui facevano ghirlanda intorno fila di capelvenere ed altre erbe artifiziosamente quivi accomodate »19. Ce qui n’est à première vue qu’une fontaine à l’antique du genre des « salvatici fonti che naturalemente sorgono dei boschi », est enrichi de « tartari e pietre di colature d’acqua » d’où s’écoule de l’eau20. La lettre de Claudio Tolomei où sont décrites les fontaines du jardin d’Agabito Bellhuomo à Rome, met encore plus l’accent sur la dialectique art-nature, sur l’ambivalence de ces fontaines qui, paraissant fabriquées « da l’istessa natura, non a caso, ma con maestrevol arte », relèvent aussi bien de la nature artificielle que de l’artifice naturel21. A ces fontaines « arrecan molto d’ornamento, e bellezze queste pietre spognose, che nascono a Tivoli, le quali essendo formate dal’acqua ritornan come lor fatture al servizio de Tacque ; e molto più l’adornano con la lor varietà e vaghezza, ch’esse non havevan ricevuto ornamento da loro »22.
11Aucune description ou évocation de grotte antique ne laisse le témoignage d’un tel revêtement. Lorsque Tolomei parle de « l’ingegnoso artifizio nuovamente ritrovato di far le fonti », outre sa qualification positive parce qu’antiquisante, l’idée de redécouverte concerne l’apparence rustique des fontaines plus que les matériaux utilisés dans ce jardin. Dès lors, il s’agit moins d’une référence au passé que d’une réelle innovation qui va bientôt prendre l’allure d’une investigation dont la nature serait l’objet. Les spugne, écrit vers la fin du siècle Agostino del Riccio, « sono ornamento delle fonti, di qui nasce, che i sig.ri molto adornano i suoi belli Giardini con le spugne »23. Comme il ressort de la lettre de Tolomei, il s’agit de concrétions calcaires autrement appelées tartari ou congelazioni d’acqua, dues à l’écoulement des eaux et aux dépôts des substances minérales qu’elles peuvent contenir. C’est à Florence et dans sa région, mais également à Gênes, que l’on fera de tels matériaux un usage fréquent pour ne pas dire systématique. « Mi par, continue Del Riccio, che molto si sia dilettato a adornar le fonti il Gran Duca Cosimo, cosi il Gran Duca Fran.co, poiché si vede questa bella villa tanto famosa di Pratolino adorna di tante fonti, et con arte mirabile, si veggono congegniate insieme tante spugne que paiono commesse dalla Madre natura »24.
12Les rares grottes et fontaines de Pratolino parvenues jusqu’à nous, celles que nous connaissons à travers les gravures, les dessins ou les descriptions, et les grottes mieux conservées de Castello ou de Boboli, confirment les propos d’Agostino del Riccio qui trouvent un prolongement avec ses propres grottes imaginées pour un jardin royal, où les spugne sont omniprésentes. Dans les grottes de Rome et de sa région, elles proviennent essentiellement de Tivoli ou du lac de Piediluco (Piè di Lupo), près de Terni. Les Génois se fournissent dans les grottes naturelles de la côte ligure, en particulier dans le Finalese, et les Florentins n’ont que l’embarras du choix. Les concrétions calcaires de Castello furent prises non loin de là, sur le Monte Morello. La région de Volterra en offre d’une autre nature, à proximité de ses mines de sel, comme l’illustre l’une des nymphes personnifiant la cité, lors du festin donné pour les noces de Cosimo I : « tutta bianca, e coronata di Salci e d’alberi, con la acconciatura [...] richa di molti ghiacciuoli, che traboccando informa d’acqua [...] se le fermavano su per le veste, ove congelandosi à poco à poco havevano quasi apparentia di bianchissime radici »25.
13Les spugne sont de couleur variable, celles « che si cavano in vai di Marina... pendono in colore alquanto bigiccio, ma altri colori si veggono in loro diversi come bianchi gialli »26. Elles furent employées dans la première salle de la grotte de Buontalenti à Boboli. « Le spugne, che si cavano app.o a Radicofani [...] sono alquanto rossette, et si veggono [...] alli fonti di Pratolino » ; « le spugne bianche, che si trovano nei condotti dell’acque di Siena sono molto belle, et queste ancora sono in gran quantità alle grotte di Pratolino »27. Blanches ou grises, tirant sur le jaune, le rose ou le brun, ces spugne varient également par leur taille, leur forme et leur disposition. Petites ou en plaques, elles recouvrent partiellement les parois ou les piliers de la grotte, comme dans la grotte de Cupidon à Pratolino. Congegniate insieme, elles dessinent un monticule, un monte di spugne semblable à ceux que l’on voyait à Pratolino, dans l’une des niches de la grotte du Déluge ou au centre d’une vasque de marbre rouge dans la grotte de l’Etuve28. Souvent, elles tapissent le fond des niches ou pendent des voûtes sous forme de sta-lactites : on peut ainsi avoir une idée de la voûte de la grotte du Déluge (la plus belle de toutes selon Montaigne), avec celle de la grotte Pavese à Gênes29. Inversement, ce sont des stalagmites de dimensions sensiblement plus importantes, que l’on fait notamment venir de Corse, qui composent l’ornement essentiel de certaines grottes ou FIG. 4 fontaines. Dans celle « de la Spugna » à Pratolino, on voyait « un masso composto di una grandissima spugna, e circondato da altre diverse spugne bianche »-, et une spugna haute de six mètres fut offerte par les Lucquois à Francesco I qui la fit placer près de la Fontaine de Jupiter30. Une autre, enfin, la plus belle selon Del Riccio, d’une blancheur laiteuse et provenant de Hongrie, se serait trouvée au fond de la grotte de Boboli31.

Fig. 1. – Grotte de Cupidon, Pratolino.

Fig. 2. - Grande grotte (3e salle), Boboli.

Fig. 3. - Grotte Pavese, Gênes.

Fig. 4. - Grotte de la Spugna, Pratolino, dessin de Giovanni Guerra.
3) Les spugne et leur rapport à l’eau
14Ces pietre spugnose, écrit Tolomei, « essendo formate da l’acqua ritornan come lor fatture al servizio de l’acque »32. Elles sont en effet constamment associées à l’eau qui les baigne, ruisselle sur leur surface ou tombe goutte à goutte des stalactites. Dans la grotte de la Spugna, « da per tutto esce copia d’acqua, essendo bellissima cosa a vedere la moltitudine degli zampilli, che cadono sopra la spugna di mezzo, che sempre per l’acqua, che innaffia diviene più bella, e più graziosa che mai »33. La première salle de la grande grotte de Boboli est aujourd’hui privée d’eau mais, à l’origine, de multiples jets partaient du sol de la grotte, baignant les parois et leurs spugne sur lesquelles ruisselait encore l’eau qui passait par les fines tubulures insérées dans la végétation minérale. Toute cette eau étant recueillie dans les vasques qui longent les parois34. Ce ruissellement continu entretenait l’aspect brillant de ces concrétions calcaires que nous voyons maintenant quelque peu ternies et desséchées. Dans la grotte-pergola de la Villa Gaddi à Rome, de fines gouttes traversaient la voûte de deux niches avant de passer par des « tartari bianchi di acqua congelata », de sorte qu’on les aurait cru naturellement formés par les dépôts calcaires de l’eau qui suinte (« par che l’acqua gemendo vi sia naturalmente ingrommata »)35.
15Ces gromme ou tartari sont des « colature d’acque petrifícate », des « congelazioni d’acque » que l’on rencontre aussi dans les Apennins, nous apprend Vasari au chapitre V de son Introduction à l’architecture. Aux inventions des Anciens dans le domaine des grottes artificielles, les Modernes ont ajouté, dit-il, des « componi-menti di opera toscana, coperti di colature d’acque petrifícate, che pendono a guisa di radicioni fatti col tempo d’alcune congelazioni d’esse acque »36. Une fois prises où la nature les a produites, on les dispose aux voûtes des grottes à l’aide de tenons de fer et de cuivre, ou d’une autre manière, alors que de petits conduits de plomb soigneusement cachés et percés de trous, laissent s’échapper des gouttes d’eau glissant sur les « colature di questi tartari » qui pendent aux voûtes37.
16Dans l’Antiquité, l’eau participait du décor de la grotte qui faisait souvent office de lieu sacré dédié aux nymphes. De quelques vers de Properce nous pouvons ainsi déduire que les grottes artificielles des jardins de Mécène étaient arrosées par l’eau de la Marcia38. Mais au xvie siècle, l’intervention de l’eau est aussi différente que spécifique de par son association directe aux spugne qui ont elles-mêmes été préalablement engendrées par les eaux. Ce retour à l’origine, au stade du processus formateur de la pierre, est clairement mis en évidence par Caro et Vasari. Certes, nous demeurons dans le cadre de la relation dialectique entre artifice naturel et nature artificielle, mais il y a déplacement de l’imitation, de l’objet à sa genèse. Plus que la nature brute sous l’espèce de revêtements rocailleux et irréguliers, c’est la nature en gestation qui s’y trouve représentée à travers la génération des substances minérales que sont les spugne. Les textes de Caro et de Vasari sont également précieux en raison des termes employés : les spugne sont diversement qualifiées de tartari et de gromme ; il y est donc question d’entartrage, mais aussi de pétrification et de congélation avec les colature d’acque petrifícate et les congelazioni d’acque. Outre les mécanismes physiques de formation ou de transformation, le caractère du mouvement est aussi suggéré par ces coulures, ces suintements, ce goutte à goutte.
17Un glissement semble donc s’opérer au cours du siècle : des premières grottes marquées par un esprit humaniste et antiquisant, nous passons à de nouvelles solutions où commence à se faire jour une préoccupation « naturaliste » qui devient le trait caractéristique et prédominant des grottes florentines du dernier tiers du siècle. Dans le sillage de l’Antiquité, l’artifice pouvait imiter passivement la nature, il arrive maintenant à la refléter dans son devenir et à la concurrencer dans ses effets. Cette attitude typiquement maniériste aboutit, dans le cas des grottes, à une véritable démarche analytique, une investigation dans les mécanismes internes de la nature, une exégèse de ses lois cachées. La grotte maniériste nous invite à pénétrer dans la nature avec ce que cela peut impliquer, à la Renaissance, de mystère et d’étrangeté.
4) Formation des pierres : Antiquité et Moyen-Âge
18Mais le problème que nous posent ces grottes où la terre et l’eau se produisent dans un acte d’union et de métamorphose, doit peut-être d’abord se formuler en termes scientifiques. Il est ainsi pour le moins symptomati-que d’observer que le changement et le développement qui marquent l’art des grottes vers le milieu du siècle, sont globalement contemporains de l’apparition et de l’essor d’une littérature scientifique largement consacrée à l’origine, aux qualités et à l’exploitation des pierres et des métaux. Afin d’aborder ces écrits, et plus particulièrement ceux qui traitent de la génération des pierres, il paraît nécessaire d’examiner rapidement les textes antiques et médiévaux dont se sont inspirés les auteurs de la Renaissance, tout en les critiquant parfois à la lumière de méthodes plus fondées sur l’observation et l’expérience que sur les axiomes aristotéliciens ou alchimiques. Quatre philosophes de la nature doivent ainsi retenir notre attention : Aristote, Théophraste, Avicenne et Albert le Grand.
19Le passage assez bref des Météorologiques où Aristote envisage le problème de la formation des pierres et des métaux, connut une certaine fortune à travers la théorie des exhalaisons qui s’y trouve formulée, théorie qui sera encore d’actualité au début du xviie siècle, dans les écrits de Ferrante Imperato39. Enfermées dans le sol où elles sont comprimées par la sécheresse, les exhalaisons (qui ont pour cause efficiente la chaleur du soleil) subissent un processus de congélation. Sèches et fumeuses, elles donnent des fossiles, autrement dit des pierres, minéraux qui ne sont pas métalliques et fusibles. Humides et vaporeuses, elles sont la cause matérielle des métaux qui sont fusibles ou ductiles.
20Ecrit vers 315 avant J.-C., le traité sur les pierres de Théophraste présente un exposé plus approfondi de la question et se distingue quelque peu du point de vue aristotélicien. Les causes matérielles des pierres et des métaux sont respectivement la terre et l’eau. Dans le cas des métaux, Théophraste procède à une simplification, Aristote parlant d’exhalaisons humides et Platon de « variétés fusibles de l’eau »40. Quant à la terre d’où naissent les pierres, elle devient (mélangée à l’eau) une substance pure et uniforme qui est le produit d’un filtrage (percolatio) ou d’un écoulement formant dépôt (confluxus) : filtrage dans les « veines » souterraines ou dépôt au fond des cavités rocheuses. Cette matière pure et uniforme fait l’objet d’un durcissement et d’une solidification sous l’action du chaud ou du froid, ce qui donne les « fossiles »41.
21Au début du xie siècle, Avicenne renouvelle quelque peu ces données théoriques dans un tout petit traité, De congelatione et conglutinatione lapidum, dont le premier chapitre est consacré à l’origine des pierres. Ces dernières sont faites d’eau et de terre, soit par solidification d’une substance essentiellement liquide (congelatio), soit par entassement et agglutinement de particules solides (la substance liquide participant au fixage et à la cohésion des particules les unes avec les autres), tout ceci intervenant sous l’influence d’une vis mineralis particulière, présente dans les lieux où se forment les pierres42.
22Les idées d’Avicenne sont longuement commentées par Albert le Grand dans le De mineralibus (c. 1250-1260). Albert dérive du philosophe arabe l’hypothèse alchimique d’un mélange de soufre et de vif-argent pour les métaux, tout en remettant à jour la théorie aristotélicienne des exhalaisons (causes efficientes des minéraux, les exhalaisons sèches correspondent au soufre, les exhalaisons humides au vif-argent). Les pierres proviennent soit d’une conglutinatio de particules sèches, soit d’une congelano de substances liquides : la conglutinatio se fait au moyen d’une humidité, d’une humeur visqueuse et onctueuse, qui provoque l’adhésion et le mélange des grains de sable, des poussières ou des petits graviers ; la congelatio s’opère sous l’action d’une sécheresse froide ou chaude, agissant sur la substance liquide qui tombe goutte à goutte, ou s’écoule d’une autre manière43. Après avoir passé en revue et réfuté les thèses d’Empédocle (toutes les pierres sont produites par une chaleur brûlante) et de Démocrite (les pierres ont une âme végétative qui est au principe de leur formation), Albert critique violemment l’opinion de certains alchimistes qui nient l’existence d’un pouvoir minéralisant dans la terre, en affirmant que les pierres n’ont pas de principe particulier à leur origine. Selon lui, la virtus lapidum generativa intervient de deux manières, avec deux instruments : la chaleur ou le froid qui achèvent la consolidation des pierres nées d’une conglutinatio, en faisant évaporer l’humeur adhésive, et qui portent également à terme le processus de solidification par congelatio en rendant compacte la substance liquide. Cette puissance qui détermine et règle la formation des minéraux ne se trouve que dans certains lieux où elle est infuse par des influences astrales adéquates, ces dernières constituant aussi la cause formelle des pierres dont dépendent leurs caractéristiques magnétiques et chimiques, leurs pouvoirs curatifs et magiques44.
23Après Albert le Grand, il semble que la spéculation sur l’origine des pierres ait cessé d’occuper les esprits, alors que devaient prédominer d’une part une réflexion alchimique ne s’intéressant qu’aux métaux et à leurs transmutations, d’autre part une propension toute encyclopédique aux listes de pierres, souvent précieuses ou gravées, dont on recherchait les vertus médicales et les pouvoirs magiques45. Il faut attendre le xvie siècle et la nouvelle impulsion donnée à l’agriculture et à l’exploitation des mines, pour que soit réactivée une telle problématique. C’est en effet dans le cadre d’ouvrages sur l’agriculture ou sur l’extraction et le traitement des minéraux, que se rencontrent des exposés sur la formation des substances minérales, comme nous pouvons l’observer avec Georg Agricola, Bernard Palissy et Giovanni Vittore Soderini. Les traités d’Agricola préparent dans une certaine mesure les encyclopédies sur les minéraux élaborées à la fin du xvie siècle par Aldrovandi, Cesalpino et Mercati, encyclopédies où le problème de l’origine et de la formation des pierres n’est plus central et ne donne pas lieu à des interprétations vraiment nouvelles. Les textes de Soderini et de Palissy méritent quant à eux notre attention en raison de leur rapport étroit à l’art des jardins et des grottes artificielles.
5) Formation des pierres : xvie siècle
24Si d’Agricola est surtout connu le livre richement illustré sur l’exploitation des mines et le traitement des minerais, le De re metallica (1556), c’est le recueil de traités s’engageant avec le De ortu et causis subterraneorum qui doit ici retenir notre attention46. L’édition latine vit le jour à Bâle en 1546 et la traduction italienne fut publiée à Venise dès 1550. Les opinions d’Aristote, de Théophraste, d’Avicenne et d’Albert y sont maintes fois rappelées et confrontées. Agricola poursuit l’analogie biologique d’origine alchimique introduite par Albert qui compare le pouvoir minéralisant à la semence animale ; c’est ainsi que les canaux de la terre « concepono la materia de le cose fossili ; à punto come le matrici de le donne il seme genitale »47. Ce sont les « veines », les « fibres » ou les « commissures » des pierres qui sont les vases et les réceptacles de la matière dont sont faites les substances minérales. Même si toute référence animiste est à exclure, la terre en gestation est donnée à voir comme une sorte d’organisme, avec une circulation interne et des cavités-réceptacles qui sont les conditions physiques (de lieu et de mouvement) de ce processus générateur.
25Après avoir démontré l’impossibilité des thèses aristotéliciennes quant aux pierres formées par les exhalaisons sèches, Agricola donne raison à Théophraste lorsqu’il reconnaît dans une matière pure et uniforme le résultat d’une percolano ou d’un conflexus48. Il reprend ainsi pour lui l’idée d’Avicenne et d’Albert, selon laquelle les pierres s’engendrent à partir d’un mélange de terre et d’eau. Aux deux processus décrits par les philosophes médiévaux, la conglutinatio et la congelano, il fait respectivement correspondre deux états matériels transitifs de ce mélange : le luto ou fango pour une terre baignée d’eau et le sugo pour une eau riche en terre. Le chaud et le froid sont les véritables causes efficientes : « quelle pietre, che l’acqua con humettarle, le dissolve, ci mostrano, che il calore deseccandole le habbia conglutinate e fatte : quelle altre poi al contrario, che co’l calore del fuoco si liquefanno, come sono le selici ; ci accennano essersi per mezzo del freddo unite et generate per che il conglutinarsi et unirsi insieme ; e le sue contrarie qualità, che sono il risolversi, et il liquefarsi, da cause tra se contrarie derivano e nascono. Il calore con cavare l’humore da la materia, la viene à fare dura : il freddo à l’incontro con escluderne per la maggior parte l’aere unisce e stringe fortissimamente questo humore ¡stesso »49.
26Le désaccord avec Albert et Avicenne tient donc au fait que ces derniers ne voient dans le chaud et le froid que des instruments de la vis mineralis infuse dans la matière par les influences célestes, théorie qu’Agrippa réfute, comme d’ailleurs tout ce qui touche de près ou de loin à l’astrologie et à l’alchimie. « Non è ne la materia de le pietre la virtù, che le da la forma, come è nel seme ne ancho è nel luogo altra virtù, che quella de le qualità » ; ce faisant il écarte également la thèse de Démocrite réactivée par Jérôme Cardan dans le De subtilitate, thèse selon laquelle les pierres pourraient naître, croître et vivre par la vertu d’une âme végétative50. Le naturaliste allemand se replie de la sorte sur une position aristotélicienne orthodoxe, reconnaissant dans le chaud et le froid les seules causes actives, dont les variations dépendent de la force des rayons du soleil et de la chaleur présente dans le sous-sol.
27Une troisième cause efficiente consiste en un sugo congelativo qui, en tant que simple cause matérielle, peut servir à la formation des stalactites et des stalagmites. Les sughi, explique-t-il, « per la crassezza loro vengono da le acque distinti »51. Ils sont le produit d’un mélange de « qualche cosa secca con un’altra humida », ou de l’érosion opérée par les eaux sur la terre ou les métaux. Les sughi congelati sont de diverses espèces, ils peuvent contenir du sel ou du nitre, de l’aluminium ou de Vatramento sutorio, du soufre ou du bitume, du vert-de-gris ou de la rouille, substances qui sont pour la plupart qualifiées d’« intermédiaires » (entre les pierres et les métaux) par Albert le Grand52. Il peut également s’agir d’un « sugo atto à diventare pietra », le seul qui nous intéresse directement pour les grottes
28« Il sugo atto à diventare pietra, ò gocciando ne le spelonche da le sue commissure, e fibre, e vene ; prima che cada giù, s’indura e fa pietra ; e restano su attaccate le sue goccie e appese ; f...] ò s’impetrano le sue goccie, stillate e cadute che sono giù à terra come ne le grotte Coricie si vede : ò pure nel’un modo e nel’altro aviene ; come in quella famosa speloncha si vede, che è presso Amberga ; dove per questa via si generano candide colonne : ò pure di diverse colore, come scrive Plinio vedersi in una gran grotta in Phausia Chersonese di Rodi : si veggono ancho colonne per questa via nate in Demoneso isola di Cartaginesi : in una certa spelonca, che la chiamano Polita »53.
29A partir d’une expérience certaine (manifeste dans le De re metallica) et d’une réflexion approfondie sur la base des théories antiques et médiévales, Agricola propose donc cette morphogénèse des stalactites et des stalagmites, en la reliant à une humeur congélative, un « sugo atto à diventare pietra » dont nous aurons à reparler lorsqu’il sera question de la pétrification des corps non minéraux.
30Dans son traité sur l’agriculture composé vers les années 1570 ou 1580, mais demeuré inédit jusqu’en 1811, le florentin Giovanni Vittore Soderini opère une singulière juxtaposition et un curieux mélange des opinions diverses et parfois divergentes formulées avant lui. Le passage est à divers titres intéressant : il est contemporain des grottes qui nous occupent et Soderini est un florentin directement concerné par l’art des jardins54. Son approche du problème, plus accumulative, confuse et de seconde main, que véritablement érudite et critique, laisse à penser que toutes les hypothèses, antiques, médiévales ou modernes, pouvaient encore, à la fin du siècle, être reçues et adoptées, au prix, sans doute, de quelques amalgames et aménagements théoriques.
31Soderini commence avec Aristote : les exhalaisons chaudes et sèches, fumeuses et terrestres, sont à l’origine des pierres, et il faut distinguer les fossiles des métaux (ces derniers sont fusibles ou ductiles). Prises dans le sol, les exhalaisons se congèlent et se convertissent en boue (d’Aristote nous passons à Théophraste par l’intermédiaire d’Agricola) qui, cuisant sous l’effet de la chaleur, deviendra pierre. L’auteur glisse au passage une allusion rapide à la vertu efficiente des corps célestes (Avicenne et Albert) et continue en paraphrasant Agricola sur la génération des choses souterraines. Déclarant que la matière peut s’unir et se rassembler « per un concorso di molti parti insieme e per via di lambiccamento », il se réfère au confluxus et à la percolano dont parle Théophraste. Il résume encore Agricola avec le sugo atto à diventar pietra : à l’origine de la pétrification du bois et des os, et au principe de la genèse des stalactites et autres formations calcaires, « gocciando nelle spelonche delle sue commessure, fibre et vene [de la terre], che caschin giù, s’indurino e faccin sasso ; e restare le sue goccie attaccate su et appese ». Soderini cite ensuite quelques lieux où l’on rencontre quantité de telles formations calcaires (notamment les grottes du Finalese qui fournissent les grottes artificielles génoises) : « tartari generati in questo modo, buoni a far fonti per i giardini e nei cortili dei palazzi villerecci, con grand’ornamento ». Du discours scientifique il glisse de la sorte naturellement à la décoration des fontaines et des grottes, avant de faire une concession toute artificielle à la Contre-Réforme : tout ceci semble fort contradictoire et incertain, aussi l’opinion la plus claire et la plus ferme demeure celle que nous enseigne la Genèse : toutes les pierres apparurent au moment de la Création.
32Bien que n’ayant probablement exercé aucune influence directe sur les grottes italiennes du xvie siècle, manifestement contigus à une réflexion créative sur les grottes artificielles, les écrits de Bernard Palissy doivent être pris en considération et apparaissent à nos yeux extrêmement riches d’informations. Rappelons brièvement que l’« inventeur des rustiques figulines du Roy » conçut plusieurs grottes : certaines furent réalisées comme au château d’Ecouen pour le Connétable Anne de Montmorency, et aux Tuileries pour Catherine de Médicis ; d’autres restèrent sur le papier, telles les grottes de son jardin idéal longuement décrit dans la Recepte veritable55.
33Publié en 1564, ce premier ouvrage est d’abord consacré à des problèmes agricoles : au fumier, aux végétaux et à la nature des pierres. Palissy formule à cette occasion sa théorie de base en matière de sciences naturelles : il y a du sel en toute chose : animaux, arbres, pierres et métaux. Sont réunis sous ce terme générique le sel gemme, le vitriol, l’ammoniac, le tartre, le nitre, l’alun, le salpêtre, le salicor ; sels qui s’apparient aux « corps intermédiaires » et aux sughi congelati. C’est le sel qui est au principe de la congélation des pierres et de la pétrification des os et des coquillages. Ce point de vue n’est vraiment développé que dans les Discours admirables, de la nature des eaux et fonteines, tant naturelles qu’artificielles, des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, du feu et des émaux (Paris, 1580)56.
34Palissy y déclare avoir fouillé les entrailles de la terre et avoir anatomisé sa matrice pendant quarante ans. Le résultat de ses observations et de ses réflexions fut présenté au public sous forme de conférences qu’il donna en 1575 et 1576. Il constitua également « un cabinet auquel j’ay mis plusieurs choses admirables et monstrueuses, que j’ay tirées de la matrice de la terre »57. Retournant au problème de la génération des pierres, il explique qu’elles ont à leur origine un sel dissout dans de l’eau ; étant alors qualifiée d’essencive, de congélative et de germinative, celle-ci est distincte de l’eau commune qui est exhalative, mais elle s’y trouve néanmoins mélangée58. Le sel sert à la cohésion et à la génération : sans lui tout tomberait en poudre, le corps humain et les plantes, comme les pierres et les métaux59. Il est la « tenue et le mastic génératif et conservatif de toutes choses », une matière congélative sans laquelle rien ne serait et qu’il appelle cinquième élément60. Aussi Palissy peut-il écrire, « le commencement et origine de toutes choses naturelles est eau »61. « Comme toutes espèces de plantes, voire toutes choses animées, sont en leur premier essence de matières liquides, semblablement toutes espèces de pierres, métaux et minéraux sont formées de matières liquides »62. Les matières lapidaires « en leur première essence sont liquides, fluides et aqueuses »63.
35Dans le cas de la formation des pierres, le sel est entraîné par les eaux de ruissellement, la pluie traversant le sol où il se trouve en abondance. Puis interviennent la distillation, la décoction et la congélation de cette eau salsitive64. C’est ainsi que les pierres ne croissent pas par action végétative (allusion à la théorie de la vis mineralis), mais par addition congélative65. Les roches « sont augmentez par quelque cheute de pluye qui aurait amené avec soy une matière pierreuse (i.e. salée) [...] la vraye addition des pierres et la plus certaine, est celle qui se fait, ès pierres qui sont encores dans le ventre de la terre. Car tout ainsi que j’ay dit que des métaux, [...] qu’il estoit besoing qu’ils fussent enclos dans lieux humides et aqueux, comme se fait la formation de nature humaine : aussi semblablement les pierres des carrières ne peuvent estre engendrées sinon ès lieux creux et cachez dans la matrice de la terre »66.
36Processus de gestation qu’il a pu lui-même observer sous terre avec les « mesches pendantes ». Déjà dans la Recepte veritable, il parle de grottes qui se trouvent sur les bords de la Loire, où « il y avait un rocher, duquel tomboit de l’eau par petites gouttes, bien lentement : et en distillant, elle se congeloit et se réduisoit en une masse de caillou blanc »67. Cette distillation est encore plus visible avec les stalactites qu’il a pu examiner et récolter par la suite. « Ayant de bien près regardé les natures, j’ay conneu en la forme de plusieurs pierres, qui estoyent faites comme des glaçons qui pendent aux goutières des maisons quand il gèle, que les pierres estoyent faites et engendrées de quelques matières liquides et distilantes comme eau »68. Ainsi, « quand nous fusmes és carrières de Paris [faubourg Saint-Marceau], nous vismes distiller l’eau qui se congeloit en notre présence ». Et, ajoute-t-il, ce sont ces mêmes stalactites que Catherine de Médicis fit apporter de la région de Marseille pour sa grotte des Tuileries, stalactites que l’on voyait en grande quantité dans la très célèbre grotte de Meudon, réalisée par le Primatice pour le cardinal de Lorraine69.
6) La théâtralisation de l’alchimie de la nature
37L’emprunt à la nature est donc manifestement de deux ordres : réutilisation des stalactites et imitation de leur processus formatif. Quant à la théorie du sel congélatif, elle est une version plus impressionniste et imprécise sur le plan théorique, mais non moins pertinente quant à l’observation, de celle du sugo congelato atto à diventar pietra. La symbiose de la terre et de l’eau, la boue solidifiée, les congélations d’eau pétrifiée qui couvrent en partie les murs ruisselants des grottes, l’eau qui s’égoutte des stalactites par la volonté de l’artiste, tout cela fonctionne donc comme une véritable mise en scène de la génération de la nature minérale. En cette « matrice de la terre » que représente la grotte, c’est la natura naturans au coeur de sa gestation qui s’exhibe.
38Le vocabulaire utilisé pour décrire la fabrication naturelle des pierres (congélation, distillation, filtrage, évaporation, cuisson et concoction) ressortit directement au savoir alchimique, lorsqu’il n’en dérive pas comme pour le concept de congélation qui, même s’il apparaît déjà chez Aristote, fut réactivé par Avicenne dans le contexte d’un raisonnement clairement inspiré de thèmes alchimiques (Avicenne était lui-même considéré comme une autorité en ce domaine et le De congelatione fut publié dans le volume IV du Theatrum chimicum). Il est vrai que Palissy, comme Agricola, est ouvertement hostile à l’alchimie car elle cherche, selon lui, à édifier par le destructeur, c’est-à-dire le feu, alors que tout naît de matières liquides70. A l’actif des alchimistes, il retient cependant l’importance qu’ils accordent aux sels : « le sel fait des congélations merveilleuses, les Alchimistes en ont senti quelque chose : car ils se tourmentent fort après ces selz préparez »71. Mais leur ambition est totalement démesurée, dès lors qu’ils « veulent entreprendre une oeuvre [la génération des métaux par transformation et augmentation] qui se fait occultement dans la terre »72. En fait, les vrais alchimistes - ceux qui réussissent vraiment dans leur création - ne sont autres que les artistes, auteurs de ces grottes merveilleuses où ils savent reconstituer la matrice de la terre et l’imitent dans son processus génératif, où ils réalisent ainsi une véritable théâtralisation de l’alchimie de la nature.
39A la suite de ce bref parcours de la littérature scientifique, connue au xvie siècle, sur le problème de l’origine et de la formation des pierres, je crois utile de souligner que mon intention générale, quant à l’intervention de ce type de sources documentaires, n’est point de suggérer que de tels écrits aient pu en une quelconque manière influencer directement l’élaboration de telle ou telle grotte, comme il en serait pour un tableau d’une source mythologique, historique ou littéraire. Je n’entends pas faire l’iconographie para-scientifi-que des grottes. Il s’agit plutôt de voir au sein de quel patrimoine culturel et de quelles conditions épistémiques d’apparition, les grottes maniéristes ne sont diffusées et ont évolué, en développant ce trait caractéristique que l’on a, pour faire bref, qualifié de « naturaliste » (terme qu’il faut, bien sûr, immédiatement relier aux philosophies de la nature qui avaient cours et notamment à l’alchimie). Il serait vain d’imaginer que telle opinion, telle thèse, se soit vue précisément et rigoureusement traduite dans la matière décorative constituante de la grotte. Mais ces débats d’idées, ce qui en ressortait au niveau d’un public moins spécialisé, cette écume des spéculations et des observations scientifiques les plus approfondies et, de façon beaucoup plus générale, le vaste renouveau des savoirs de la nature, ne peuvent pas être étrangers à l’évolution que connaissent les grottes au cours du xvie siècle. Ils en composent le terreau épistémologique et, inversement, les grottes, à l’image des collections de naturalia et de mirabilia, sont le lieu d’expérimentation et de projection de ces préoccupations scientifiques, où affleurent simultanément leur contrepoint mythique et leur revers fantasmatique.
7) Corail
40J’achèverai cette analyse du revêtement des grottes (de certains de ses aspects), en examinant brièvement le cas de trois autres matériaux dont l’usage est très fréquent : le corail, la nacre et les coquillages, matériaux qui apparaissent au centre d’un ensemble de problèmes et semblent de la sorte occuper une fonction synthétique et nodale. Ils sont associés au revêtement fait de concrétions calcaires, ils manifestent un double caractère de préciosité et de meraviglia, ils ressortissent aux questions de pétrification, de fossilisation et de transmutation des éléments que nous envisagerons par la suite.
41Où et comment le corail et la nacre apparaissent-ils dans les grottes artificielles ? Afin d’esquisser cette topologie, nous prendrons les grottes de Pratolino pour exemple. La grotte de Galatée, d’abord, « è tutta di madreperle, con un mare de acqua con varii scogli, coperta di coralli, e di chiocciole marine », et deux nymphes « gettano fuori acqua da certe branche di corallo » (De’ Vieri). Cette association se retrouve dans la grotte voisine dite de la Stufa dont le centre était occupé par un monte di spugne « abbellito di madreperle, di nicchi, e di coralli » (Sgrilli). Le voisinage avec les concrétions calcaires est encore plus sensible dans la grotte de la Spugna dont le grand stalagmite est « circondato da altre diverse spugne bianche, di coralli, e di nicchi marini » (Sgrilli), comme il apparaît dans un dessin de Giovanni Guerra. Dans la figure géante de l’Apennin, la salle de Thétis est « tutta piena di coralli ed altre nobilissime pietre » (Codex Barberini), la statue de la nymphe est elle-même entièrement recouverte de coquillages et la grande vasque octogonale qu’elle domine est décorée de chauves-souris et d’escargots en nacre. Au niveau supérieur aménagé dans le corps du géant, se voyait un « vaso di diaspro intagliato à ruote et nel mezzo un fiore di corallina venuto dal mare rosso, che getta un gorgoglio d’acqua ». Ajoutons que dans ce qui devait être la stanza segreta del Narcisso (automate), sur le côté oriental de la villa, se trouvait une petite fontaine : « la matiera di questa non può essere più preziosa perché è di pietre piccole molto nobili e di madreperle » (Codex Barberini)73.
42La relation de convenientia avec les spugne désigne clairement une parenté. Du grand stalagmite provenant de Corse et installé en 1584 au centre du labyrinthe, dans le parco vecchio de Pratolino, un chroniqueur de l’époque écrit : « il était tout poli par l’eau, de sorte qu’il semblait être de marbre, et en d’autres endroits de sel ou de nacre. Le temps et l’eau l’avaient rendu d’une telle beauté que c’était une merveille »74. Comme le remarque Cristina Acidini, Aldrovandi pense que les coquillages ont la nature des pierres. Mais, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est le corail qui est le plus étroitement associé aux spugne, et ceci en raison de ses modalités de formation. Parlant du sugo atto à diventare pietra qui est la cause matérielle des formations calcaires, Agricola déclare que le corail « di questo sugo si congela »75. Plus loin, dans un passage du traité De la natura delle cose fossili, il reprend : « Or come da un sugo grasso [ou crasso ?], che scorre nel mare, si genera il succino ; e da un sugo salso, che è proprio del mare, si fa l’Halcynio ; cosi da quel sugo, che si converte in pietra, si genera il Corallo »‘, « come le altre pietre ancho ; que di questa maniera di sugo dentro la terra si congelano ; [il corallo] non ha un colore solo »76. Les trois types de corail (rouge, noir et blanc) sont étudiés, et leurs lieux d’origine mentionnés, par Agostino del Riccio dans VIstoria delle pietre (chap. 123).
43La relation spugna-corallo est donc solidaire du thème de la natura naturans, et elle contribue au fait que la grotte montre la nature surprise au coeur de sa gestation. Il s’y joue de même une transfusio elementorum entre l’eau et la terre. La branche de corail est un « arboscello verde e molle, nato sotto l’acqua del mare », qui se transforme en pierre une fois sorti de l’eau. Son origine aquatique est rappelée par l’eau qui jaillit des branches tenues par les nymphes de Galatée.
44Un autre commun dénominateur faisant se conjoindre les spugne, le corail et la nacre, tient à la préciosité et surtout au caractère merveilleux, en partie fondé sur des interprétations mythiques. Le corail proviendrait ainsi du sang pétrifié de la Gorgone vaincue par Persée. Les multiples vertus magiques et apotropaïques qui lui étaient reconnues, en firent une amulette tout à fait prisée au cou ou au poignet des enfants77. Les belles branches de corail (de préférence noir ou blanc) étaient une composante obligée des cabinets de merveilles. Tout ceci est bien connu et les stalactites n’échappent pas à une telle opération de « mythification ». Leurs qualités théâtrales ou scénographiques seront largement exploitées dans certaines grottes artificielles, comme la grotte Pavese à Gênes. Mais l’on imagine plus difficilement qu’ils aient pu être classés parmi les prodiges, comme le signale de façon ironique Agricola, à propos des couleurs du sugo atto à diventare pietra : « per che non sanno le cause e le nature de le cose, il tengono in luogo di prodigio ; e l’hanno gli scrittori de gli prodigii come cose portentose scritte : per che se questo sugo è scorso à qualunche modo bianco, hanno detto essersi veduti i ruscelli di latte scorrere : se è scorso rosso, hanno detto essere fiumi di sanghe : se verde dechinante al biondo, hanno scritto i fiumi di oglio »78.
45En revanche, la pétrification dont fait l’objet le corail relève tout autant de la génération des pierres que de la fossilisation des corps non minéraux (végétaux ou animaux), problème que nous allons maintenant examiner.
PÉTRIFICATION
1) L’image de hasard et de nature. La tache, la coulure et l’origine des arts plastiques
46Lorsque Palissy déclare : « nous voyons aux jaspes, marbres et pierres mixtes, des figures faites par idées estranges », c’est la couleur qui est en jeu79. Enclose dans la masse, elle résulte de la variété des sels congélatifs entraînés par les eaux qui se mélangent après avoir traversé des terrains de nature différente. En se congelant, la matière fait des bosses qui créent autant de sillons et de vallées où s’épandent les coulures polychromes d’eaux salsitives, de sorte qu’elles « feront chascune d’elle une veine de la couleur qu’elles apporteront », et qu’« elles s’entremesleront en tournoyant [...] et ne faudront jamais à faire des figures confuses »80.
47Il s’avère par ailleurs que les quatre grottes projetées pour le jardin idéal de la Recepte véritable, présentent à l’intérieur une surface couverte de plusieurs couleurs d’émail qui, liquéfiées par le moyen d’un feu placé au centre, couleront, se mélangeront et, « en s’entremeslant, feront des figures et idées fort plaisantes »81. La grotte semblera être, par dedans, d’une seule pierre, sans jointure apparente. Sa surface sera si lisse et brillante, « que le lizers et les langrottes qui entreront dedans, se verront comme en un miroir » et « sa parure sera d’une telle beauté, comme si elle estoit d’un jaspe ou porphyre, ou calcidoine bien poli »82. Au sein de ce qu’il appelle le premier cabinet vert, Palissy veut encore placer un rocher « fait de terre cuite, insculpée et esmaillée en façon d’un rocher tortu, bossu et de diverses couleurs estranges », à l’image de ce qu’il est en train de faire pour le Connétable de Montmorency dans la grotte du château d’Ecouen83.
48L’idée d’un rocher ou d’une grotte (qui semblerait de l’intérieur toute d’une pierre) couverts d’émail polychrome, est à la fois, dans sa fabrication, une reproduction du processus naturel de formation des pierres examiné sous l’angle des coulures polychromes et, dans son état final, un déploiement du cabinet de merveilles par inversion métonymique : c’est le lieu plus que ce qu’il contient qui propose au regard les richesses et les curiosités de la nature. Mais elle est aussi une reprise d’une étiologie de l’art diversement affrontée par Alberti dans l’introduction au De statua, par Mantegna avec les nuages peints dans certains tableaux, par Léonard dans ses écrits et par Piero di Cosimo comme le raconte Vasari84. L’interprétation figurative des nuages, des taches colorées, des cendres ou des crachats, s’y donne comme étant à l’origine des arts plastiques et de leur fonction mimétique par rapport à la nature. Depuis l’Antiquité, de nombreux auteurs se sont intéressés aux images fabriquées par la nature. Rappelons le Silène apparaissant dans un marbre de Paros mentionné par Pline, ou les figures changeantes des nuages évoquées par Lucrèce85. Le pouvoir du hasard s’illustre encore avec les mythes liés à la perfection mimétique de la peinture, et c’est en pensant à eux que Cicéron, dans le De divinatione, reconnaît que des pigments jetés aveuglément sur un panneau peuvent fort bien dessiner un visage86.
49Comme l’a montré Janson dans un article sur l’image faite par hasard dans la pensée de la Renaissance, ce n’est qu’avec Alberti que ces phénomènes naturels et leur reproduction sont directement reliés à la création artistique87. Le De statua s’engage de la sorte : « Je pense que les arts de ceux qui se mirent à vouloir exprimer et représenter par leurs oeuvres les effigies et les images des corps créés par la nature, tirèrent leur origine de ceci : ils distinguèrent par hasard dans le tronc des arbres, dans la terre ou en d’autres corps faits de la sorte, des lignes qu’ils purent rendre semblables aux visages produits par la nature, en y apportant de légères modifications »88. Ce qu’Alberti résume en déclarant que les premiers artistes « trouvèrent dans la matière l’aide de similitudes esquissées ».
50Dans le prolongement d’Alberti et de Léonard, au sein d’un traité sur le Disegno publié en 1549, Anton Francesco Doni établit un parallèle entre l’interprétation des taches ou des nuages et la formation des grotesques89. Tout ceci n’est qu’imagination, songe et chimère, mais dépend néanmoins de la dimension fantastique que doit rechercher la peinture en imitant des choses telles que les queues de paon ou de coq qui sont « composti et adorni con tanta varietà di forme di colori, che chi mira fisso vi si vede figurate altre forme d’animali »90. Il est dit plus loin que la nature doit se louer des « forme inumerabili e varie che si veggono de colori delle pietre » où l’on peut distinguer les figures d’animaux de toutes sortes91. L’explication que donne Armenini de l’origine des grotesques nous reconduit encore plus directement au contexte de la grotte puisque, selon lui, les grotesques « si cavassero da quelle toppe, ovvero macchie, che si scuoprono sopra quei muri [des palais ou des villas antiques devenus souterrains], che già erano tutti bianchi, nelle quali macchie considerandovisi sottilmente vi si rappresentano diverse fantasie, e nuove forme di cose stravaganti »92.
51L’icastique et le fantastique semblent ainsi se rejoindre et se confondre dans ce qui serait une interprétation mimétique ou une imitation interprétative, une vision métamorphique ou une élaboration figurative de la matière. De même qu’un Léonard ou un Piero di Cosimo, et de façon connexe relativement au décor des grotesques, Palissy introduit de la sorte le problème des origines de la peinture ou de la sculpture, dans un lieu qui s’y prête sans doute mieux que tout autre. L’origine de l’art s’y replie sur la génération de la matière. Là encore, l’imitation de la nature concerne tout autant ses produits que le processus selon lequel ils sont crées. La grotte est par excellence le lieu où la création artistique s’identifie à une activité démiurgique et cosmique.
2) Naissance et re-création
52Les figures étranges et confuses recomposées artificiellement par Palissy dans la matière même du revêtement des grottes, relèvent d’une double problématique : celle de l’imitation de la formation des pierres et celle de l’émergence du figuratif dans le minéral, selon laquelle la forme (humaine, animale, etc.) naît de la pierre quand elle ne la précède pas. De fait, en ce passage de la matière brute à la figure, il y a lieu de se demander dans quel sens s’effectue la métamorphose : est-ce plus une pétrification ou une dépétrification ?
53Avant de prendre en considération les deux aspects de cette alternative, considérons un choix simultanément et paradoxalement intermédiaire et extrême. L’appartenance de la figure au support minéral, son intégration consubstantielle à la roche sur laquelle elle apparaît, ressort des grottes décrites par Palissy dans sa Recepte et de ce que l’on peut savoir de la grotte des Tuileries construites vers 1570 pour Catherine de Médicis93. Les figures animales modelées et émaillées de Palissy devaient y être rendues entièrement solidaires de la maçonnerie par la vertu de l’émail qui, recouvrant figures et roches artificielles, effaçait toutes les jointures et faisait office de tissu conjonctif, de pellicule homogène participant à la cohésion et à l’unité générale de la structure. Inversement, les poissons étaient « insculpez et esmaillez si près de la nature » que le visiteur pouvait les croire vivants94, d’autant que les jets d’eau animaient la surface des bassins et conféraient un mouvement apparent à leur faune. Palissy semble devoir pousser à son paroxysme le paradoxe ou la dialectique entre l’illusion de la vie et l’intégration dans le minéral, distorsion d’autant plus troublante qu’elle ne relève pas d’une situation transitoire, d’une évolution dans un sens ou dans l’autre, vers le minéral ou l’être animé. Les deux pôles sont symboliquement exhibés dans leur plénitude contradictoire, l’artifice heurte la nature pour mieux s’y résoudre.
54Une forme humaine qui s’extrait d’une gangue minérale pourrait symboliser le combat que livre l’âme, pour échapper à l’esclavage de la matière, ce qui nous reconduirait à une thématique néo-platonicienne et 6, 7 michelangelesque bien connue, mais fort peu adaptée aux grottes, contrairement à l’idée d’une sourde vitalité qui gît au sein de la nature, ce qu’illustrent les figures de Pan servant de piliers dans la grotte de Caprarola. Mais plus intéressantes pour notre propos sont les légendes ovidiennes de la re-création du genre humain et des animaux après le Déluge95. C’est à propos des ébauches de Michel-Ange placées dans les angles de la première salle de la grotte de Boboli, et par référence à leur état transitoire entre la pierre et la figure humaine que, dans les Bellezze délia Città di Firenze publiées en 1591, Francesco Bocchi mentionne le mythe de Deucalion et Pyrrha96. Seuls survivants du Déluge, ils désiraient voir reconstituer le genre humain et ils reçurent cet oracle de Thémis : « Eloignez-vous du temple, voilez votre tête et dénouez la ceinture de vos vêtements ; et, derrière votre dos, lancez à pleines mains les os de votre grand-mère »97. Après avoir compris qu’il s’agissait des pierres qui sont les os de la Terre-Mère, ils obéirent à l’oracle : les pierres, une fois jetées, « commencèrent à perdre leur inflexible dureté, à s’amollir peu à peu et, une fois amollies, à prendre forme [...] on put voir apparaître, bien qu’encore vague, comme une forme humaine, comparable aux ébauches taillées dans le marbre et toute semblable aux statues encore inachevées et brutes [...] C’est ainsi qu’en un court espace de temps, par la volonté des dieux », les pierres prirent la figure d’hommes et de femmes98.
55Cette histoire précède directement, dans les Métamorphoses, celle de la création des animaux par l’action du soleil sur la boue et les marécages qui, en se desséchant après le retrait des eaux, dessinent progressivement des formes destinées à prendre vie, qu’Ovide compare à celles que l’on peut voir dans la glèbe, sur les bords du Nil : « certains [animaux] à peine au début de leur formation, saisis presque à l’heure de leur naissance, certains encore incomplets et dépourvus de leurs organes essentiels ; et, dans le même corps, souvent une moitié est vivante et l’autre moitié n’est qu’informe limon »99.
56Sur les parois de la grotte, la création de cette faune étrange, de cette humanité mystérieuse et parfois inquiétante, ne part pas vraiment de la pierre qui se métamorphoserait en être animé, comme dans les angles mais s’apparie à une élaboration figurative des congélations et de la boue desséchée. Il y aurait en quelque sorte interférence entre les deux mythes ovidiens, pour suggérer ces formes inchoatives qui ramènent l’humain et l’animal à un même principe créateur.

Fig. 5. - Grotte du Jardin Secret, Palais Farnèse, Caprarola.

Fig. 6. - Fontaine du Déluge, Villa Lante, Bagnaia.

Fig. 7. - Villa Lante, Bagnaia.

Fig. 8. - Grande grotte (1re salle), Boboli.
57L’histoire de la création des animaux fait intervenir le soleil comme principe fécondant agissant sur la terre imbibée d’eau. Ce troisième élément joue un rôle non négligeable en la première salle de Boboli dont la paroi d’entrée est très largement ouverte et ne consiste en fait qu’en deux colonnes supportant un entablement rectiligne, qui définissent trois grandes baies rectangulaires surplombées d’une lunette. La lumière pénètre donc abondamment dans la grotte mais, détail encore plus remarquable, la voûte peinte de façon illusionniste avec un ciel nuageux peuplé d’oiseaux, est percée en son milieu par un oculus où s’inscrivait une vasque d’eau qui filtrait les rayons du soleil. Le mélange des quatre éléments - feu (soleil), air (ciel peint), eau et terre - est donc complet, et la grotte se donne réellement comme la matrice de la terre où s’engendrent tant de choses : « Poi che si trova dentro la terra tanta copia e forza di acque, di aere, e di fuoco ; non è meraviglia che vi si generino diverse opere di natura : per che essendovi tutti gli elementi, e tutte le prime qualità ; ne la materia vi manca, ne la causa efficiente » (G. Agricola)100.
58Le mythe cosmique voisine ainsi constamment avec le discours scientifique relatif aux pierres qui naissent de l’action de la chaleur solaire sur une matière fangeuse. Les deux registres semblent réversibles et l’on a l’impression de toujours pouvoir passer de l’un à l’autre. Ajoutons que les reflets changeants de la lumière zénithale devaient être rendus encore plus mobiles en raison des poissons qui se trouvaient dans la vasque. L’effet obtenu était certainement des plus suggestifs, ces reflets pouvaient jouer sur les figures des parois que l’on doit imaginer tout humides et distillantes. A cette interaction et ce mélange des éléments, il faut ajouter les ondulations, les vibrations, les palpitations lumineuses qui donnaient vie et mouvement à ces figures nées de la pierre et de la boue.
3) Pétrification
59Cependant, à en juger par ces spugne ruisselantes (et donc fictivement en état de croissance), par ces moutons, ces chèvres, ces bergers et ces arbres qui se détachent sur un fond de paysage et sont dominés par des arcs, où les figures peintes paraissent de chair et la végétation de bois et de verdure, on est en droit de se demander si ce n’est pas aussi bien une pétrification qui est ici à l’oeuvre. Réellement et illusionnistiquement ouverte de toute part sur l’extérieur, la grotte est simultanément dans un rapport d’anticipation et de retour aux origines relativement à la flore et à la faune qui l’entourent : anticipation, car elle en annoncerait le devenir géologique, retour aux origines parce qu’elle en révélerait l’essence minérale et aquatique. Si ce dernier cas de figure s’inscrit dans la tradition mythique que nous venons de relever, le premier nous ramène aux écrits scientifiques déjà mentionnés.
60Albert le Grand examine le problème de la pétrification du bois, des plantes et des animaux dans un chapitre dédié aux lieux où se forment les pierres. Il déclare ainsi, pêle-mêle, qu’en certains endroits des Pyrénées l’eau de pluie se transforme naturellement en pierre, que des morceaux de bois immergés en certaines eaux peuvent faire de même, que les coraux sont des plantes aquatiques dont la nature est si proche de celle des pierres qu’étant exposées à l’air libre, elles en prennent l’apparence. Il nous apprend que dans la Baltique, près du Lübeck, fut découverte à son époque une branche d’arbre avec un nid d’oiseaux dont les volatiles comme le bois s’étaient pétrifiés. Il mentionne également une source (sans doute en Suède), qui aurait la vertu de métamorphoser rapidement en pierre tout ce qui s’y trouverait plongé, jusqu’au gant de l’empereur Frédéric II. Albert expliquant que ces phénomènes sont dus à la présence d’un pouvoir minéralisant d’origine astrologique, dissout, dans les eaux qui deviennent ainsi susceptibles de pétrifier le bois, les plantes et le corps des animaux101.
61Ces eaux reconnues pour leur vertu pétrifiante se rencontrent en Toscane. Vasari mentionne à ce propos l’Eisa, affluent de l’Arno qui passe à Certaldo, cité dont la représentation allégorique, lors des noces de Ferdinando I, comprenait un enfant qui « ha sotto il braccio un vaso dinotante l’abbondanza de l’acque virtuose, e giovevoli [...] e sonvi di quelle, che in pietra convertono tutto quello che toccano, non isparmiando il legno, e’I ferro : altre trasformano le pietre in nicchi, e cochiglie, e in altre marine voglie, non pure imbiancandole, e iscanalandole, ma dentro votandole, e la carne de la conchiglia, o d’altra simile formandovi »102.

Fig. 9. – Grande grotte (1re salle), Boboli.

Fig. 10. – Grande grotte (1re salle), Boboli.

Fig. 11. - Fontaine de la Palazzina Farnèse, Caprarola.

Fig. 12. - F. Imperato, Dell’historia naturale..., Naples, 1599, livre XXIV.

Fig. 13. - F. Imperato, Dell’historia naturale.... Naples. 1599, livre XXIV, voir

Fig. 14. - Grande grotte (1re salle), Boboli.

Fig. 15. - Grotte de la Villa Médicis, Castello.

Fig. 16. - Crabe pétrifié, dans B. Ceruti et A. Chiocco, Muséum F. Calceolarii..., Vérone, 1622.
62Agricola y reconnaît quant à lui l’effet d’une humeur congélative qui serait à la fois la cause matérielle et la cause efficiente de la pétrification : « il sugo atto à convertirsi in pietra, ò solo, ò misto con acqua, entra per li meati de le piante, ò de gli animali, e oltra che egli è materia, si toglie ancho l’ufficio de la causa efficiente : per che in un modo con quelli corpi s’imbevera, e incorpora, che seco insieme gli muta tutti e converte in pietra : che se questo sugo diventa pietra, ò gocciendo, ò ponendosi dentro un vaso, alhora è egli solamente materia ; come è ancho quella pianta, che per mezzo di lui diventa pietra. Egli si genera questo sugo ; come s’è già detto ; in alcuni luoghi petrosi, e à le volte gocciola e scorre misto con l’acqua per le vene de la terra : onde alcuni fonti, ruscelli, fiumi, e laghi, hanno virtù di convertire e mutare le cose in pietra »103. Cette matière congélative, précise-t-il ailleurs, peut être maigre (elle contient alors une terre avec du sel ou du nitre, ou une substance métallique comme le cuivre ou la rouille, ou un corps mixte tel que l’alun) ou grasse (avec du soufre, du bitume ou de la sandaraque). Sèche, elle est assez dure, mais, baignée d’eau, elle se ramollit ou se liquéfie. Même lorsqu’elle est aussi dure qu’une pierre, elle est aisément reconnaissable parce qu’elle conserve la forme et la nature d’un sugo104.
63Les cheveux et les vêtements des figures qui peuplent les parois de la première salle à Boboli, les poils des chiens et des chèvres, les feuillages et les branches des arbres, tout semble avoir été saisi, enveloppé, pénétré par cette humeur congélative dont l’eau, provenant aussi bien des jets placés dans le sol que des fines tubulures prises dans la décoration, serait porteuse. Dès lors que la grotte est le lieu souterrain, la matrice de la terre où l’on voit se former les pierres, elle est également et logiquement présentée comme le réceptacle d’une eau congélative qui a le pouvoir de tout muer en pierre.
64Après avoir traité de l’eau dotée d’une vertu minéralisante, Albert le Grand considère le phénomène de fossilisation des corps d’animaux enfouis dans la terre. Toujours fidèle à la thèse déjà exprimée par Avicenne, il a recours à l’idée d’un pouvoir minéralisant, d’une force pétrifiante, à l’oeuvre en certains endroits. Mais, détail qui peut nous intéresser, il fait état d’un stade intermédiaire dans la transmutation. Sous l’action des qualités locales, les éléments qui composent le corps des animaux sont changés en l’élément dominant : non pas directement la pierre, mais un mélange d’eau et de terre qui, tout en conservant la forme de l’animal, sera ultérieurement converti en pierre par la vertu minéralisante105. La matière fangeuse solidifiée qui couvre partiellement les corps des êtres animés, hommes ou animaux, dans la grotte de Boboli, pourrait alors aussi bien être interprétée comme un sugo congelativo dont le principe minéralisant serait entretenu par un apport constant venant de l’eau omniprésente, qu’être assimilée à la substance même des corps, en cours de transformation sous l’effet des qualités locales qui la changent en l’élément dominant : terre (nous sommes dans une grotte, lieu qui est censé être souterrain) et eau (ruissellements d’origines variées, reflets sous-marins provenant du plafond).
65Observant de façon détaillée les figures de Piero Mati dans la grotte de Boboli, nous constatons rapidement que nous n’avons pas encore rendu compte des carnations variées de cette population mystérieuse et immobile. Si l’idée de congélation nous a permis d’analyser la boue desséchée et les concrétions calcaires cristallisées en plaques ou en stalactites, c’est à l’autre concept introduit par Avicenne et repris par Albert et Agricola, celui de « conglutinatio », qu’il faut peut-être recourir afin de décrire ces chairs composées de mosaïques. Il en existe au moins quatre types : rouges pour les bergers de la paroi gauche, et les figures féminines du fond et du mur de droite, virant au noir ou au violet dans le cas des personnages dénudés placés à gauche de l’entrée de la seconde salle, blanches nacrées pour les chèvres et les boucs, formées de petits cailloux en gouttelettes pour les bergères du mur gauche, et de petites plaques calcaires pour les inquiétants vieillards barbus du mur de droite. Fragments de terre cuite, cristaux et pâtes de verre, galets ou formations calcaires, toutes ces petites substances minérales sont rassemblées et agglomérées par une malta qui fait office d’humeur visqueuse et onctueuse servant à la réunion et à la cohésion de cette conglutinatio de fragments.
4) Fossiles : pétrification ou naturae ludentis icônes
66De congélation et de « conglutination » il est simultanément question avec l’explication des fossiles (au sens moderne et paléontologique du terme, le mot fossile pouvant, à la Renaissance, désigner toute forme de minéral). Cet aspect est particulièrement manifeste dans la grotte de Castello, avec les amoncellements de poissons et de coquillages sculptés dans le marbre des deux bassins latéraux, mais il est intrinsèquement relié aux problèmes plus généraux que nous venons d’envisager et ceci à divers titres, puisque les fossiles sont au point de rencontre des questions de genèse106, d’origine aquatique et de figurabilité dans les pierres. Preuve en est un passage du De natura fossilium consacré aux formes et figures variées données aux minéraux par la nature. Agricola examine les différentes apparences que présentent les pierres en leur superficie et leur volume, avant de faire état des dessins, des impressions ou des volumes qui se rencontrent à l’intérieur107.
67Il mentionne l’éventail des formes géométriques et cite les pierres qui « rappresentano figure di altre cose », cheveux, oreille, corne, fève, croissant de lune ou tronc d’arbre. « Alcune altre cose fossili dividendosi rappresentano le effigie di qualche altre cosa », telle que des testicules, des membres génitaux d’homme ou de femme, des roues et des os. Nombreuses sont le cose fossili « che, con linee, che tra se discorrono, e spesso di colore variano ; rappresentano effigie di varie cose ; come il leucophtalmo rappresenta un’occhio humano ; [...] l’astroite, effigie di stelle ; la pietra eislebarra, effigie di pesci [...] La gemma pontica rappresenta l’aspetto di monti, et di valli : l’achate, e’I marmo verde, de’ bosci [...] defilimi, eie. »108. Au milieu de ce catalogue, l’auteur remarque que dans certaines pierres « divise per mezzo, ò rotte, si ritrovano conche dentro, come nel conchite di Megara. In alcune si ritrovano lumache, come ne gli sassi de la Francia ». Mais, précise-t-il, ce sont les végétaux ou les insectes pris et enfermés dans le succino transparente qui se laissent le mieux voir. Autant dire que la frontière entre les images faites par la nature et les corps pétrifiés ou les fossiles, est presque imperceptible ; elle l’est totalement lorsque tous ces phénomènes sont analysés à travers le principe A’aemulatio, selon lequel les images des végétaux, des animaux ou des parties du corps humain, peuvent se refléter dans la pierre, sous l’effet d’une nature qui joue à s’imiter elle-même109. Aussi le vecteur temps induit par une approche plus moderne des fossiles, peut-il ajouter à la grotte une épaisseur historique qui n’arrive pas à contredire l’apparente atemporalité de sa théâtralité cosmique.
68Les fossiles faisaient encore l’objet, au xvie siècle, de deux types majeurs d’interprétation qui recouvraient chacun quelques variantes dans l’appréciation ou la formulation. Le premier dérivait de l’hypothèse d’une (ou plusieurs) ancienne(s) immersion(s), idée déjà avancée par certains philosophes grecs du ve siècle, ainsi que par Aristote au livre I des Météorologiques, celui-ci ne la reliant cependant pas au problème des fossiles. Dans un passage aussi long que célèbre où il fait parler Pythagore, Ovide résume en peu de vers cette tradition : « J’ai vu moi-même ce qui était jadis la terre la plus ferme devenu mer ; j’ai vu des terres nées de l’onde, et le sol, loin de la mer, est souvent jonché de coquillages marins. Une ancre antique a été trouvée sur le sommet d’une montagne ; ce qui fut plaine est devenu, par l’effet de l’eau courante, vallée, et une inondation a nivelé une montagne ; jadis marécageux, tel sol, aujourd’hui desséché, n’est plus que sables arides ; tel autre, longtemps altéré, est un marais humide, aux eaux stagnantes »110. Ce point de vue se retrouve dans le passage du De congelatione où Avicenne parle de la formation des montagnes : « ce qui prouve que l’eau a été le principal agent dans la production de ces transformations de la superficie [de la terre] est la présence, en de nombreuses roches, d’empreintes d’animaux aquatiques [...] ces matériaux étaient peut-être à l’origine dans la mer qui couvrait autrefois toute la terre »111.
69A partir du xiiie siècle, cette tentative d’explication scientifique est replacée dans une perspective théologique et chrétienne, l’immersion étant identifiée au Déluge Universel. Tradition que reproduisent Ristoro d’Arezzo dans le De compositione mundi (1282), Boccace avec le De montibus... et le Filocopo, Paolo Veneto dans le De compositione mundi (1498) et encore Jérôme Cardan au milieu du xvie siècle.
70L’autre lecture du phénomène peut être résumée par le concept de vis plastica : une force latente dans la nature, qui sous-tendrait l’élaboration de ces formes venues d’un autre règne. Vis plastica qui peut être le produit et l’instrument d’un lus us naturae : « tavolta vengono fatte imitazioni di animali reali, perché proprio come la natura imita le specie terrestri nel mare, cosi nell’entro terra, non conchiglie viventi ma qualcosa di simile viene prodotto »112. La nature se plaît à s’imiter elle-même et nous en observons, avec étonnement et admiration, les productions ludiques qui apparaissent comme autant de reflets, d’interférences spéculaires réglées par le principe d’aemulatio.
71Cette théorie ludique fut longtemps prédominante, nous le constatons avec le Musaeum metallicum d’Aldrovandi dont la publication posthume par Ambrosini remonte à 1648. Le savant bolonais trouve admirable le beau spectacle de la nature qui joue, tel qu’il apparaît dans les pierres où elle sait dessiner avec précision l’image d’animaux variés, comme si elle avait été tracée par un pinceau113. Par ces images que sont les empreintes fossiles des poissons ou des végétaux, la natura ludens se fait donc artiste ; elle atteint même la perfection de l’art avec les dendrites, où l’on voit d’élégantes frondaisons que le pinceau d’aucun peintre n’aurait su représenter avec plus de justesse et de grâce114.
72Aldrovandi remet directement en cause l’hypothèse d’une pétrification lorsqu’il aborde les lapides cancriformes qui imitent (aemulantur) tout à fait les crabes. « Ce n’étaient pas, comme le pensent beaucoup, des animaux, mais c’est la nature qui les a produites sous cet aspect. Il est certain que la nature n’a pas pu, au cours du temps, transformer en substance minérale les écrevisses de mer, les crabes et les huîtres. Car de telles pierres sont formées de cette manière et façonnées sur place par la nature. Aussi voit-on un crabe, composé d’une matière sableuse, représenté de la sorte avec une couleur grise »115.
73C’est en des termes analogues qu’Aldrovandi présente les véritables images de hasard et de nature que l’on rencontre fréquemment dans le silex et le marbre : produits d’un admirable artifice de la nature, ces icones imitent à la perfection des figures variées, au point de l’emporter sur tout artifice humain116. La description du jardin d’Armide, dans le Jérusalem délivrée, nous donne la formule littéraire de ce qui apparaît donc comme un thème, voire un topos scientifique majeur : « La nature semble avoir voulu, comme à plaisir et par jeu, imiter l’art dont elle est le modèle »117.
74La position d’Aldrovandi n’en est pas moins complexe, dès lors qu’il introduit l’explication opposée en admettant que, dans certains cas, ce sont de véritable coquillages lapifiés que l’on place sous le nom â’ostracites (mais il s’agit sans doute d’une calcification par les sels et l’air marins)118. Néanmoins, tout en faisant brièvement état des diverses thèses connues sur la pétrification des corps non minéraux (Agricola, Albert, etc.), il affronte globalement le problème des coquillages fossilisés dans le chapitre « de lapidescentibus », et ceci pour aboutir à la conclusion inverse119. Furent-ils engendrés sur place ou furent-ils transportés en ces lieux éloignés de la mer ? Les références au Déluge ou à une antique immersion ne lui paraissent par convaincantes, aussi pense-t-il plutôt que la terre « paulatim a Natura formatrice in conchilia convertitur » et que les turbina conchilia naissent sous l’action tourbillonnante d’une exhalaison fumeuse souterraine120.
75Nous avons noté qu’Avicenne se propose de renvoyer la présence d’empreintes d’animaux marins à une antique immersion et qu’Albert décrit le processus de pétrification des corps animaux dans la terre, la boue ou le limon. Deux passages du De mineralibus peuvent encore nous retenir, sans qu’ils soient pour autant, en aucune façon, objectivement reliés par l’auteur à la fossilisation d’une faune marine. Ils concernent tous deux les images faites par la nature.
76Après avoir repris ce que dit Lucrèce des figures qui apparaissent et disparaissent dans les nuages, Albert ajoute : « si ces vapeurs étaient soumises à l’influence d’un lieu où siège une vertu minéralisante, elles dessineraient de nombreuses figures dans les pierres »121. Il « retourne », en quelque sorte, la thèse aristotélicienne d’une pétrification des exhalaisons terrestres (idée qui pourrait apporter un éclairage tout à fait suggestif sur le rapport, chez Mantegna, entre les nuages anthropomorphiques et la sculpture antique). Dans le second passage, il est question des images qui se rencontrent dans le marbre ou les pierres précieuses. La cause en est astrologique : une conjonction astrale puissante, en un endroit du ciel particulièrement favorable à la production de certaines espèces, peut avoir pour conséquence l’impression de la forme de l’espèce concernée, même sur des substances totalement hétérogènes122. L’origine des monstres (tels que les animaux à tête humaine) est ainsi reliée à celle des images naturelles dans les pierres. Réintégrant la thèse de la vis plastica dans le cadre théorique de la vis mineralis définie par Avicenne et Albert pour la formation des pierres, d’autres auteurs imaginèrent de la sorte qu’une vis formativa due à une conjonction astrale particulière, fût susceptible d’engendrer, au sein même de la roche, des formes végétatives inanimées dont on retrouvait les restes ou l’empreinte dans le sol123.
77En des pages célèbres du Codex Leicester, où se manifestent son esprit d’observation et son refus du culte aveugle de l’autorité et de l’écrit, Léonard de Vinci critique vivement ces hypothèses (vis plastica ou vis formativa) : « Se tu volessi dire che tali nicchi si creano o vengono continuamente creati in tali luoghi dalla natura dell’ambiente o dall’influsso dei cieli e degli astri », ce serait là une opinion inacceptable, contredite, comme elle peut l’être, par la variété des espèces, des époques et des états de croissance, par la diversité des états de conservation et le mélange ou l’accumulation de restes d’origines diverses, et par le fait que l’existence végétative et la croissance de ces animaux auraient exigé une nourriture inaccessible dans de telles conditions124. La thèse diluvienne lui apparaît tout aussi inadmissible. Les stratifications fossilifères plaident en faveur d’une immersion longue ou répétée, et non pas unique et aussi brève que celle supposée par le Déluge Universel. En outre, si le Déluge avait transporté ces coquillages loin de leur site originel, ils se seraient mélangés et dispersés au hasard, alors qu’ils apparaissent distribués et regroupés de façon logique et conforme à leurs modes d’existence encore observables sur le littoral.
78De même, le célèbre médecin véronais Girolamo Fracastoro s’intéressa également aux fossiles, sa collection fut par la suite intégrée dans le Musaeum Calceolarium de Vérone, dont le catalogue publié par Ceruti et Chiocco en 1622 comprend aussi ses observations sur la question, recueillies en 1530 par Torello Saraino125. Giancarlo Ligabue essaye vainement de démontrer que Fracastoro fut un disciple de Léonard, ce qui expliquerait la similitude de leurs points de vue quant aux fossiles126. Nonobstant tout le génie que l’on doit reconnaître à Léonard, d’autres esprits scientifiques contemporains pouvaient fort bien arriver aux mêmes conclusions sans avoir directement été influencés par celui-ci. Habitant à proximité d’une des plus riches zones fossilifères d’Italie, le Monte Baldo, Fracastoro avait tout loisir d’aller faire ses observations in situ. Après avoir souligné, contre l’hypothèse diluvienne, que les eaux du Déluge vinrent du ciel et non pas de la mer, et que les fossiles se rencontrent aussi bien en profondeur qu’en surface, Fracastoro écarte l’idée d’une nature qui joue ou qui imite et celle d’un pouvoir génératif dans les roches. Il s’agit donc, comme l’avait déjà pensé Léonard, des résidus de véritables animaux aquatiques (coquillages, crabes, oursins, etc.) ayant vu le jour et vécu dans le lieu où ils ont été retrouvés, zone anciennement immergée mais qui s’est depuis asséchée.
79Dans un passage du Manuscrit F de la Bibliothèque de l’Institut, Léonard se montre plus précis et circonstancié dans sa description du processus de fossilisation. La boue laissée par le retrait ou l’évaporation des eaux contenait des animaux qui s’y trouvèrent noyés ou étouffés ; s’étant durcie, cette boue devint pierre tout en épousant la forme des animaux et des plantes qu’elle enveloppait. Avec le temps, le corps des animaux vint à se consumer et fut remplacé par une humeur, à l’exception des parties les plus dures comme les os et les coquilles, aussi « quasi tutti i nicchi pietrificati tra i sassi dei monti presentavano ancora il loro guscio naturale ». Cette humeur ou « umido vischioso e pietrificante » qu’engendre la nature lorsqu’elle crée des pierres, pétrifie la boue, pénètre et consume les parties les plus tendres, et congèle le reste sans en changer la nature127.
80Un peu moins d’un siècle plus tard, Bernard Palissy aboutit à des conclusions fort proches : « les poissons armez [...] pétrifiez en plusieurs carrières, ont esté engendrez sur le lieu mesme, pendant que les rochers n’estoyent que de l’eau et de la vase, lesquels depuis ont esté pétrifiez avec lesdits poissons, [,..] »128. Et de préciser que certaines coquilles, « par leur vertu salsitive, ont fait atraction d’un sel génératif, qui estant joinct avec celuy de la coquille en quelque lieu aqueux ou humide, l’affinité des dites matières estants jointes à ce corps mixte ont endurcy et pétrifié la masse principalle »129.
81Produits d’une humeur ou d’un sel congélatifs, une fois extraits du cadre interprétatif traditionnel (natura ludens et vis plastica), les fossiles sont soumis aux lois générales de la formation des pierres, avec pour seule particularité une référence obligée à une antique immersion dont la théorie diluvienne ne serait qu’une réduction ou une variante, non moins valide d’un point de vue symbolique et mythique. Or, si nous examinons l’élément déjà cité de la grotte de Castello, ces deux groupes d’animaux aquatiques pétrifiés dans le marbre (poissons de toutes sortes à gauche, coquillages et crustacés à droite), nous devons noter qu’ils sont à divers titres reliés à l’eau ; en raison de leur origine naturelle, de leur présence sur un bassin qui devait recueillir l’eau s’écoulant des tuyaux insérés dans les gueules ou les becs des animaux, et du fait que de multiples jets d’eau partant des parois, du sol ou de la voûte, pouvaient assaillir à chaque instant le spectateur non prévenu. C’est avec cette idée d’humidité, d’immersion ou de déluge, cette omniprésence virtuelle de l’eau comme protagoniste déterminant d’une action où le visiteur est directement engagé, que je voudrais conclure provisoirement cette analyse des grottes artificielles.
IMMERSION
1) Déluge et reflet
82Les revêtements et les décorations examinés sont à la charnière des deux genèses entremêlées de l’homme et de la pierre130. De l’homme par référence aux mythes ovidiens, de la pierre par la mise en scène du processus d’« addition congélative », de l’un dans l’autre en vertu de la fossilisation qui oscille entre l’image de nature et la pétrification des corps vivants. Le tout dépendant de la vertu efficiente de l’eau et étant donné à voir dans cette caverne utérine, ce lieu « humide et aqueux » qu’est la grotte. « Car tout ainsi que j’ay dit des métaux, qu’ils ne peuvent être générez hors la matrice de la terre, et qu’il estoit besoing qu’ils fussent enclos dans lieux humides et aqueux, comme se fait la formation de la nature humaine : aussi semblablement les pierres des carrières ne peuvent estre engendrées sinon ès lieux creux et cachez dans la matrice de la terre [...]131.
83La terre, dans sa double qualité de boue et de sugo congélatif est à la fois agent de destruction et de création. Les figures pétrifiées de la grotte de Buontalenti se prêtent ainsi à une double lecture. Certaines, dont l’incarnat traité en mosaïque n’a pas encore disparu, semblent succomber sous une pluie de boue. D’autres, qui n’offrent plus au regard que la pâleur minérale des congélations, paraissent figées dans l’existence atemporelle d’une matière vivante.
84De même que la re-création post diluviem des hommes et des animaux, la pétrification est ici une métaphore de la création artistique, elle l’est doublement eu égard à la théorie de la vis plastica déjà évoquée comme origine des fossiles. En généralisant quelque peu, nous pourrions être amené à dire que le Déluge est, lui aussi, à l’origine de l’art. L’eau est d’abord à l’origine de toute génération (celle des pierres comme celle des hommes). Le Déluge est le signe emblématique d’une duplication, car c’est à partir de lui que la nature commence à produire des images d’elle-même : d’une part les hommes et les animaux nés des pierres ou de la boue desséchée, selon la légende ovidienne, d’autre part les fossiles. Les figures en gestation dans la terre et les fossiles constituant, nous l’avons vu, l’image de nature par excellence, point de départ de la création artistique comme l’écrit Alberti. Dès lors, la grotte semble résoudre l’apparent antagonisme entre la théorie diluvienne (ou maritime) et celle de la natura ludens comme origine des fossiles, ainsi que celui opposant Narcisse à l’image de nature comme origine de l’art. Produisant des images d’elle-même, se reflétant en elle-même, la nature imite l’art qui la prend pour modèle et c’est à ce titre - réflexif - ainsi qu’à celui - processif - de natura naturans, qu’elle est imitée par l’art dans les grottes artificielles.
85La frontière est donc plus imprécise que jamais entre la science et le mythe ; elle n’est pas moins trouble entre la philosophie et le jeu, si l’on considère que cette thématique diluvienne se voit constamment réactivée par de multiples scherzi d’acqua. En effet, l’intervention permanente de jets d’eau destinés à baigner, à immerger le spectateur non prévenu, ne me semble pas totalement gratuite, le scherzo n’est pas transparent à son effet ludique. Les jardins de la Renaissance sont, pour la plupart, munis de tels jets d’eau, tantôt agressifs, tantôt indiscrets, mais toujours inattendus et souvent impitoyables car sans issue. Ils abondent dans les grottes de Pratolino, comme dans celles décrites par Del Riccio pour son jardin royal (son encyclopédie de grottes, devrait-on dire). « A un sul mouvement - écrit Montaigne à propos de la grotte du Déluge (dénomination récurrente dans les jardins italiens du xvie siècle) -, toute la grotte est pleine d’eau, tous les sieges vous rejallissent l’eau aus fesses ; et, fuiant la grotte, montant contremont les eschaliers du chateau, il sort d’eus en deus degres de cet eschalier, qui veut donner ce plesir, mille filets d’eau qui vous vont baignant jusques au haut du logis »132.
86Agostino del Riccio déconseille cependant ces scherzi d’acqua quand ils risquent de détériorer les peintures murales ou de se faire par trop fastidieux en raison de leur fréquence. Dans les grottes du jardin royal, les jets d’eau sortent du bec ou de la gueule d’un animal, du trident ou du flambeau d’un dieu, ils ruissellent de la voûte ou jaillissent du sol. Souvent, comme à Pratolino, le visiteur est assailli à l’intérieur et à l’extérieur, de sorte qu’il ne peut guère en réchapper : « in un tratto esca fuori della grotta per dieci braccia una grand’acqua, attalché la gente non vorrebbe uscir di tal grotta, ma quando sono stati un poco pensosi, il giardiniere volta un ingegno che dà l’acqua a la grotta per entro, laonde o bisogna o bere o affogare, così tutti rimangono nella trappola et son bagnati et cimati »133.
87La psychanalyse ou l’alchimie pourraient nous livrer les clés interprétatives d’un tel phénomène ; utérus ou athanor, la grotte évoque aussi bien l’existence prénatale dans le ventre de la mère que le bain de la coniunctio au sein du four achimique, avatar de la Mère Nature. La thématique diluvienne se suffit pourtant à elle-même et fait preuve d’une plus grande pertinence symbolique dans le cadre du domaine étudié. Ces jeux d’eau ont pour fonction de saisir et d’insérer le spectateur dans cette vaste mise en scène cosmogonique de la Natura generans. Ils le noient et le font renaître. Ils lui rappellent avec insistance son rapport à la terre et à l’eau, son appartenance à la nature, son intégration dans un cycle continu de destruction et de régénération.
88Selon l’exégèse qu’en donne Porphyre avec le De antro nympharum, la grotte est un antre cosmique dédié aux nymphes qui président aux forces des eaux et sont des âmes portées à la génération134. Inversement, ces scherzi ne projettent-ils pas ou ne laissent-ils pas couler cette même eau qui, à la voûte ou sur les parois, démontre sa vertu minéralisante, son pouvoir de pétrification ? Pris entre le déluge extérieur et l’inondation intérieure, le spectateur est saisi par cette agression qui le fige dans l’hésitation d’un péril dont il ne peut réchapper. Trempé, baigné et immobilisé, il est virtuellement engagé dans le processus qui tend à l’intégrer, à l’identifier à la population minérale qui hante la grotte. Ces êtres étranges qui le fixent n’ont fait que le précéder, lui annoncent une familiarité prochaine135. La décoration illusionniste de la voûte de la première salle, à Boboli, prendrait ici toute sa signification. Les animaux et les êtres grotesques qui semblent nous regarder d’en haut, comme si nous étions engloutis dans une fosse, laissent imaginer que, de spectateurs que nous étions, nous sommes devenus objets de spectacle et qu’il ne nous reste plus qu’à accéder au palcoscenico des parois vivantes et minérales. Dans la grotte, l’homme se trouve privé de sa propre individualité et échappe à l’histoire. L’histoire elle-même s’y fait simple expression de la vie et de la mort, de l’union et de la destruction, comme il advient dans la grande grotte de Boboli.

Fig. 17. - Grotte des Sibylles, Villa d’Esté, Tivoli.

Fig. 18. Grande grotte ( 1re salle), Boboli.

Fig. 19. - GIAMBOLOGNA, Vénus, Grande grotte (3e salle), Boboli.

Fig. 20. - F. Imperato, Dellhistoria naturale. Naples, 1599, livre XXIV.
2) La grotte comme matrice universelle
89Le second espace de cette dernière semble avoir quelque peu résisté à l’analyse. En 1967, Heikamp déchiffre dans les fresques fortement altérées, les figures de Minerve et d’Enée fuyant Troie avec son père. Le groupe en marbre de Vincenzo de’Rossi, parfois identifié comme Hélène et Pâris, représente en fait l’enlèvement d’Hélène par Thésée reconnaissable à sa victime et à son épée (il avait tué la truie sauvage de Crommyon avec l’épée que lui avait laissée Egée)136. L’entremêlement des jambes, la superposition des cuisses d’Hélène et de Thésée y sont une allusion évidente à l’union sexuelle. Si nous complétons l’identification des scènes peintes à fresque par Bernardino Pocetti, nous voyons, au milieu de la voûte, le débarquement d’Hélène en Asie Mineure : Pâris l’aide à sortir du bateau tandis que deux matelots tiennent les amarres. A gauche, sur la retombée de la voûte, est figurée la scène du Jugement de Pâris : le Troyen est à droite et semble tendre la pomme de la Discorde à Vénus qui, dénudée, se trouve placée entre les deux autres déesses. En arrière, Mercure et la Discorde dominent le groupe. Au premier plan et nus, un homme, une femme et son enfant constituent une référence possible à la Vénus genitrix. Sur l’autre retombée de la voûte, Enée s’enfuit de Troie en flammes, avec Anchise sur ses épaules, sous la conduite et la protection de Vénus et de Cupidon qui se distinguent dans le ciel. Plus bas, sur les deux parois latérales, se perçoivent difficilement deux figures féminines où l’on reconnaît Minerve et peut-être Junon, protagonistes concurrents de la guerre de Troie et représentantes des principes antagonistes de guerre et d’union conjugale. Les petites scènes peintes à la voûte laissent apparaître des scènes de bataille et de sac, des héros et des trophées d’armes.
90Cette seconde salle de la grotte est donc dédiée à la guerre de Troie. Le groupe de Vincenzo de’Rossi, sculpté à Rome vers 1558-1559, y fut placé en 1587 afin de compléter l’ensemble de la décoration au prix, sans doute, d’une ambiguïté quant à l’identification du compagnon d’Hélène, ce qui pouvait paraître secondaire aux côtés de la valeur érotique des deux figures. Le lieu correspond dès lors aux péripéties de l’amour et de la guerre : repli d’une vision cosmogonique de la première salle dans l’ordre de l’histoire et de l’existence humaine, cet ensemble de scènes et de figures devient une métaphore du cycle de la vie et de la mort.
91La position et la taille réduite de cette salle en font un lieu intermédiaire, un espace de liaison avec la troisième salle qui se différencie des précédentes par sa préciosité. Tels des dressoirs, les trois niches semblent faire l’étalage des richesses recélées par la nature. Elles sont occupées par de petits monts de cristal de roche, dont l’ancien brillant a été terni par un dépôt calcaire que l’eau ne vient plus raviver. Au cristal de roche s’ajoutent la blancheur nacrée des coquillages et la riche polychromie des mosaïques. Curieusement, nous nous trouvons au plus profond de la grotte, la luminosité y est assez réduite, alors que les fresques des parois et du plafond sont tout à fait aériennes, avec leurs feuillages clairsemés, parmi lesquels s’ébattent de nombreux oiseaux.
92Apparition magique dans cet écrin naturel, la Vénus de Giambologna qui s’était d’abord trouvée dans la chambre des Francesco I, se donne comme l’un des plus grands chefs-d’oeuvre de la sculpture maniériste. Elle répond au type de la Vénus sortant du bain. Parsemée de coquillages, sa base est au centre d’une petite vasque octogonale où des satyres placés aux angles crachent des filets d’eau. L’eau devient, auprès de cette figure, une redondance sur le thème de la génération également suggéré, mais selon un registre plus sexuel et bestial que cosmique, par les satyres. Enfin, à la perfection plastique, à l’idéal esthétique que représente la statue répond la laideur grotesque des médaillons en terre cuite de la frise, expression ludique de la sourde vitalité qui gît au sein de la nature.
93La première salle offre une décoration de nature cosmogonique à travers la génération entrecroisée du minéral, de l’animal et de l’humain. Avec l’amour et la guerre, la seconde met en scène les deux moteurs et les deux limites (origine et fin) de l’existence humaine. La troisième est le réceptacle de la Vénus cosmique : la déesse de l’amour, la source de la vie, la figure mythique de la génération. Comme l’écrit Marcello Fagiolo, « La succession des espaces, du premier faisant office de cône prospectif, au dernier, d’aspect ovoïdal, suggère l’idée de pénétration dans les viscères de la caverne utérine, de la Terre Mère : l’« oeuf » final est à la fois l’épicentre de la fécondation et de la naissance »137. Au sein de cette métaphore de l’univers, de cette « matrice de la terre », de ce « lieu aqueux et humide » qu’est la grotte, Vénus fait elle-même figure de matrice universelle. Là encore, on peut parler d’inversion ou d’ambiguïté métonymiques entre le lieu et ce qu’il contient : la statue ayant pour fonction de désigner la valeur symbolique générale et l’« être profond » de la grotte.
94Opérant une synthèse entre le récit des origines ou plutôt de la re-création (naturelle et artistique) du monde, et la mise en scène de l’amour (en tant que moteur du cycle de la vie et de la mort), Vénus renvoie ce dernier à son fondement cosmique, tandis que, naissant de l’eau avant d’y replonger, elle manifeste la forme la plus achevée du processus de création de la figure humaine, exhibé dans la première salle à travers la même vertu efficiente de l’eau générative. Cette Vénus est simultanément l’origine et la fin, la pulsion primordiale et l’achèvement de l’univers.
Notes de bas de page
1 Voir essentiellement : C. Acidini. Rappresentazione della natura e indagine scientifica nelle grotte cinquecentesche, in Natura e artificio, ouvr. coll. sous la dir. de M. Fagiolo, Rome, 1979, p. 144-153 ; E. Battisti, Per una iconologia degli automi, in L’antirinascimento, Turin, 1962, p. 220-253, p. 444-455 (2e éd., Milan, 1989) ; ID., L’antro dei sette sigilli, in « FMR », 1985, 35, p. 109-120 ; C. CONFORTI, Grotte e ninfei cinquecenteschi a Firenze. Esempi di rappresentazione, in Arte delle grotte. Per la conoscenza e la conservazione delle grotte artificiali, journée d’étude, Florence, 1985, actes sous la dir. de C. Acidini e M. Pozzana, Gênes, 1987 ; ID., Le grotte del manierismo fiorentino : l’immagine, l’uso, i materiali, in Gli Horti Farnesiani sul Palatino, Congrès intern., Rome, à paraître (Claudia Conforti a également consacré deux articles au jardin de Castello) ; D. Heikamp, La grotta grande nel giardino di Boboli, in « Antichità viva », IV, 1965, 4, p. 27-43 ; ID., Pratolino nei suoi giorni splendidi, in « Antichità viva », Vili, 1969, 2, p. 14-34 ; ID., Les merveilles de Pratolino, in « L’oeil », 1969, 171, p. 16-27, p. 74-75 ; ÏD., Agostino del Riccio, « Del giardino di un re », in II giardino storico italiano, colloque intern. Siena-San Quirico d’Orcia, 1978, actes sous la dir. de G. Ragioneri, Florence, 1981, p. 59-124 ; In., La Grotta Grande del Giardino di Boboli, in « FMR », 1985, 35, p. 100-105 ; L. Magnani, Tra magia, scienza e « meraviglia ». Le grotte artificiali dei giardini genovesi nei secoli xvi e xvii, catal. de 1 ‘expos., Gênes, 1984 ; E. Mourlot, « Artifice naturel » ou « nature artificielle » : les grottes médicéennes dans la Florence du xvie siècle, in Ville et campagne dans la littérature italienne de la Renaissance, ouvr. coll., Paris, 1977, p. 303-342 ; A. Rinaldi, La ricerca della « terza natura » : artificialia e naturalia nel giardino toscano del ‘500, in Natura e artificio, op. cit., p. 154-175 ; ID., Grotte domestiche nell’architettura fiorentina del ‘600. Dinastìa e natura nella Grotta di Palazzo Giugni, in Arte delle grotte..., op. cit. Sur les grottes vénètes et en particulier celles du Jardin Giusti à Vérone, cf. M. Azzi Visentini, La grotta nel giardino veneto del ‘500, in Gli Horti Farnesiani..., op. cit. (voir aussi F. Sansovino et G. Martinioni, Venetia citta nobilissima, Venise, 1663, p. 369-370). Pour la grotte du Palais du Te à Mantoue, cf. A. Belluzzi, La grotta di Palazzo Te a Mantova, in Arte delle grotte..., op. cit., (jusque-là attribuée à Giulio Romano, cette grotte remonte en fait au début du xviie siècle). Pour la Lombardie, voir également A. Morandotti, Nuove tracce per il tardo Rinascimento italiano : il ninfeo-museo della Villa Borromeo..., in « Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa », III, vol. XV, 1985, p. 129-186. Spécialiste des fontaines et des grottes de la Renaissance française (cf. infra, note 69), Naomi Miller a publié une monographie sur les grottes artificielles, de l’Antiquité à la fin du xviiie siècle : Heavenly Caves. Reflections on the Garden Grotto, Londres, 1982. Aussi ambitieux que problématique dans son parti pris, cet ouvrage certainement utile est néanmoins trop général et imprécis. Les pages consacrées aux grottes italiennes sont particulièrement faibles. J’ajouterai que dans son étude sur l’Hortus Palatinus d’Heidelberg (« Journal of Garden History », I, 1981, 1-2), Richard Patterson fait état d’un « unpublished seminar paper » de David Wright, placé sous le titre : Natura naturans arte artificis naturata : the Grotto and the Theme of Création in the Garden of the Italian Renaissance Villa (Princeton Univ.). Voir aussi, infra, addendum.
2 D. Heikamp, La Grotta Grande... (1985), op. cit., p. 105.
3 C. Acidini, Rappresentazione della natura..., op. cit. Voir aussi L. Magnani, op. cit., p. 39-44.
4 Cf. Ph. Morel, Osservazioni sugli automi nel loro rapporto alle grotte, alla fine del Rinascimento, in Arte delle grotte..., op. cit. p. 59 sq.
5 « Sur les parois des grottes et des cavernes, les anciens avaient l’habitude d’appliquer un revêtement rendu artificiellement rugueux par le mélange de petits fragments de pierre ponce autrement appelée écume de travertin, ce qu’Ovide appelle de la pierre ponce vive ». L.B. Alberti, De Re Aedificatoria, IX, 4, éd. Milan, 1966, II, p. 804.
6 Ovide, Métamorphoses, III, v. 157-160.
7 ID., Fastes, II, v. 315.
8 Pline L’ancien, Histoire naturelle, XXXVI, 154-155. trad. fr. par R. Bloch, Paris, 1981.
9 Ibid.
10 Théophraste, De lapidibus, III, 19, trad. lat. par F. Wimmer, Paris, 1856 ; trad. angl. par D.E. Eichholz, Oxford, 1965. Les dépôts qui constituent cette schiuma di mare étaient parfois utilisés avec les concrétions calcaires, dans les grottes antiques. Cf. F. Sear, Roman Wall and Vault Mosaics, in « Mittelungen des Deutschen Archaelogischen Instituts », Romisches Abteilung, suplem. 23, Heidelberg, 1977, p. 37, note 316. Cet ouvrage m’a été signalé par Mariette de Vos.
11 Vitruve, De architectura, II, 6, trad. fr. par Cl. Perrault, Paris, 1673.
12 G. Agricola, De natura fossilium, Bâle, 1546, trad. ital. Venise, 1550, p. 272-273. Sur le pumex dans les traités du xvie siècle, cf. C. Gesner, De rerum fossilium, lapidum et gemmarum..., Tiguri, 1565, p. 31 sq. ; A. Cesalpino, De metallicis libri très, Rome, 1596 ; F. Imperato, Dell’historia naturale..., Naples, 1599, XXII, 1-2, p. 584-589 ; U. Aldrovandi, Musaeum metallicum, Bologne, 1648, p. 696 sq. ; M. Mercati, Metallotheca, Rome, 1719, p. 150-152 (pour le pumex spumosus d’origine marine, cf. p. 140-141). Les traités d’Aldrovandi et de Mercati furent élaborés à la fin du xvie siècle.
13 A. Del Riccio, Istoria delle pietre (1597), éd. P. Barocchi, Florence, 1979, chap. 48.
14 F. Sear, op. cit., p. 37 sq. Voir aussi F. Rakab, Ein Grottentriklinium in Pompeji, in « Mitteilungen des Deutschen Archaelogischen Institutes », Romisches Abteilung, LXXI, 1964, p. 189 (référence donnée par M. de Vos). Voir surtout la mise au point récente d’Henri Lavagne (cf. addendum), p. 411-418.
15 Lettre du 13 juillet 1538, adressée à Monsignore Guidiccione, in A. Caro, Lettere familiari, Florence, 1957, lettre 61, rééd. in Fons Sapientiae. Renaissance Garden Fountains, ouvr. coll. sous la dir. d’E. Macdougall, Washington, 1978, p. 109 : « un muro rozzo di certa pietra che a Roma si dice asprone, specie di tufo nero e spugnoso ».
16 Pour la documentation écrite, outre les textes déjà cités, voir les passages mentionnés in P. Grimal, Les jardins romains, 3e éd., Paris, 1984.
17 Cf. F. Sear, op. cit., p. 37. Voir surtout H. Lavagne, op. cit.
18 E. Macdougall, The Sleeping Nymph : Origins of a Humanist Fountain Type, in « The Art Bulletin », LVII, 1975, p. 357-365.
19 G. Vasari, Le vite..., Florence, 1568, in Opere, éd. G. Milanesi, 9 vol., 2e éd. Florence, 1906, VI, p. 556.
20 Ibid., I, p. 140.
21 C. Tolomei, Lettere, Venise, 1550, I, p. 41-43 (lettre du 26 juillet 1543 à G B. Grimaldi), rééd. in Forts Sapientiae..., op. cit., p. 12-14.
22 Ibid., p. 13.
23 A. Del Riccio, Istoria..., op. cit., chap. 102. L’auteur ne fait une telle observation que pour les spugne et nullement pour la pomice (cf. ibid., fol. 110 r-v).
24 Ibid., fol. 40 r-v.
25 P.F. Giambullari, Apparato e feste nelle nozze dello [...] Signor Duca di Firenze..., Florence, 1539, p. 52-53.
26 A. Del Riccio, Istoria..., op. cit., fol. 40v.
27 Ibid.
28 Cf. L. Zangheri, Pratolino. Il giardino delle meraviglie, Florence, 1979,1, p. 118-119.
29 Cf. ibid., p. 114-115 ; et L. Magnani, op. cit.
30 Cit. de B.S. Sgrilli (1742) in L. Zangheri, op. cit., p. 119-120. Ibid., p. 143-144.
31 A. Del Riccio, Istoria..., op. cit., p. 40v-41r. Sur les stalagmites, voir aussi C. Gesner, op. cit., p. 73 sq.
32 C. Tolomei, op. cit., p. 13.
33 B.S. Sgrilli, cit. in L. Zangheri, op. cit., p. 119.
34 Cf. D. Heikamp, La Grotta... (1985), p. 104.
35 A. Caro, op. cit., p. 110 (éd. M. Menghini, Florence, 1968, p. 114).
36 G. Vasari, op. cit., I, p. 141.
37 Ibid., I, p. 140-143. Voir également la description des grottes des Muses et des Piérides dans le second intermède de La Pellegrina : « [due grotte] tutto intorno, intorno di spugne, dalle quali uscendo alcune gocciole d’acqua, ed essendo ricoperte in alcune parte di verde musco, pareva che l’acqua, che naturalmente da esse suole spruzzare, avesse ciò cagionato ». B. De’ Rossi, Descrizione dell’apparato e degli intermedi [...] nelle nozze de’Serenissimo Don Ferdinando Medici..., Florence, 1589, p. 38.
38 Cf. P. Grimal, op. cit., p. 401. La grotte des Specchi, sur le Palatin, devait probablement recevoir de l’eau sur ses parois recouvertes de pumex vivus. Cf. M. De Vos, L’enigma della Sfinge, in Gli Horti Farnesiani..., op. cit.
39 Aristote, Météorologiques, III, 6 (378 a-b), trad. fr. par P. Louis, Paris, 1982. F. Imperato, Dell’istoria naturale, Naples, 1599, XIII, 1, p. 372-373 ; /£>., De fossilibus opusculum, Naples, 1610, p. 10-11.
40 Cf. Platon, Timée, 59 a-b.
41 Cf. Théophraste, op. cit., éd. Wimmer, p. 340-341. Voir l’introduction de D.E. Eichholz à son édition anglaise du De lapidibus (op. cit.). Le mot « fossile » désigne les pierres chez Aristote et Théophraste (i.e. les minéraux non métalliques). Au début du xviie siècle, Imperato place sous ce nom les terres, les pierres, les succi et les métaux (F. Imperato, De fossilibus opusculum, Naples, 1610) ; inversement, le Musaeum metallicum d’Aldrovandi et la Methalloteca de Mercati comprennent l’ensemble des substances minérales.
42 Avicenne, De congelatione et conglutinatione lapidum, in Theatrum Chimicum, IV, Argentorati, 1659, p. 883-887 (il existe une édition latine plus récente par Holmyard et Mandeville, Paris, 1927). Ce traité fut traduit de l’arabe en latin vers 1200.
43 Albert Le Grand, De mineralibus, trad. angl. par D. Wyckoff, Oxford, 1967, I, 1. 2-3. Cet ouvrage connut au moins six éditions latines entre 1476 et 1569.
44 Ibid., I, 1,5-8.
45 Le traité d’Albert est lui-même en partie consacré aux pierres précieuses et aux images qui peuvent y être gravées. Sur les textes antiques et médiévaux traitant des pierres précieuses, de leurs pouvoirs médicaux et magiques, cf. Albert, op. cit., éd. Wyckoff, appendice B, p. 264-271.
46 G. Agricola, De ortu et causis subterraneorum. De natura eorum quae effluunt ex terra. De natura fossilium. De veteribus et novis metallis. Bermanus sive de re metallica dialogus, Bâle, 1546. Ces traités seront cités dans leur traduction italienne (Venise, 1550).
47 G. Agricola, De ortu..., op. cit., p. 38r et p. 40r-v. Jérôme Cardan reprendra, à sa façon, une telle analogie afin de soutenir l’hypothèse d’une âme végétative inhérente aux pierres et responsable de leur formation comme de leur croissance.
48 Ibid., p. 49r-50v.
49 Ibid., p. 58r.
50 Ibid., p. 55v-57v. G. Cardano, De subtilitate, Nurimberg, 1550, trad. fr. par R. Le Blanc, Paris, 1556. « [...] Les matieres métalliques, les metaus, et les pierres vivent. Car les matieres qui ont maturité, acerbité, et vieillesse, elles ont aussi une vie. Aucunes pierres sont trouvées sans maturité d’une couleur petite, et de substance non cuite : mesmement une portion d’icelles est veue pure, l’autre impure, comme on voit aus fruis d’un mesme arbre. Outre plus les veines et instrumens de nutrition y sont, et les meates et petis pertuis, comme nous voions aus pierres, par lesquelles choses nous pouvons cognoistre qu’elles sont nourries non autrement que les plantes, et les os aus animaux : car si elles estoient augmentees par accès et addition, elles n’auroient besoing des veines [...] les vraies pierres souffrent la mort, parquoi elles ont vie. Car ches moi la pierre d’Hercules, dite aimant, en Latin magnes, en peu de tems est perie : et quelque tems attirante vivement le fer, après par succession de tems elle ne l’a plus attiré. Or qu’est-ce autre chose que la vie, sinon l’operatrion de l’ame ? [...] toute opération est du vivant, et en tant qu’il vit [...] entendu que la force et vertu est seulement par acte aus vivons, il est necessaire que les pierres qui ont force aient ame. Tu diras, le filosofe nie ceci. Or ceus qui confessent les pierres estre engendrees on augmentees, nécessairement confessent qu’elles vivent : car telles choses sont communes de la faculté vegetatrice, savoir est, estre engendré, estre nourri, estre augmenté, comme le témoigne Galenus ». (ibid., p. 106 r-v). Cardan poursuit en affirmant que les pierres vivent mais ne sont pas nourries. Quelques pages plus haut, il déclare que l’âme est responsable de l’augmentation, de la nutrition et de la génération. Or, toute chose sur la terre est de nature mixte et composée (des éléments primordiaux), et rien n’est engendré qui ne le soit par l’âme qui, seule, a le pouvoir d’unir, de mêler et de transmuer. Présidant à la génération de tous les corps mixtes et composés, l’âme crée une sorte de continuité caractérisée par une commune vie végétative, entre les pierres, les sucs, les métaux, les plantes, les animaux et les hommes (ibid., p. 104v.). Nonobstant son caractère suggestif, étant donné le peu d’écho que semble avoir eu cette interprétation au XVIe siècle, je n’ai pas cru pertinent de la prendre en considération pour l’analyse des grottes. Sur le point de vue de Cardan et sur les autres, cf. G. Fallopio, De medicatis, aquis, atque de fossilibus tractatus, Venise, 1564, chap. VIII, p. 102-110. Voir aussi U. Aldrovandi. op. cit., p. 437-440.
51 G. Agricola, De ortu..., op. cit., p. 10r et p. 58r. Voir aussi ID., De natura eorum..., op. cit., p. 109v sq.
52 Ibid., p. 98r-v ; ID., De natura fossilium, op. cit., p. 204r.
53 ID, De natura eorum..., op. cit., p. 109v-110r. Voir aussi U. Aldrovandi, op. cit., p. 630.
54 G.V. Soderini, Trattato di agricoltura, Florence. 1811. Soderini (1526-1596) est également l’auteur de traités sur la culture de la vigne (Florence, 1600), des jardins et des potagers (Florence, 1814), ainsi que sur les arbres et les animaux domestiques. L’ensemble fut édité ou réédité par A. Bacchi Della Lega (Bologne, 1902-1903). Pour le passage étudié, cf. ID., I due trattati dell’agricoltura e della coltivazione delle viti. Bologne, 1902, p. 192-193 ; passage cité in Natura e artificio, op. cit., p. 234-235. Signalons que Soderini est aussi l’auteur d’une Breve descrizione della pompa funerale fatta nelle essequie del ser.mo D. Francesco Medici..., Florence, 1587.
55 B. Palissy, Recepte véritable, par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs thrésors. Item, ceux qui n ‘ont jamais eu cognoissance de lettres pourront apprendre une Philosophie nécessaire à tous les habitants de la terre. Item, en ce livre est contenu le dessein d’un jardin autant délectable et d’utile invention, qu’il en fut onques veu. Item, le dessein et ordonnance d’une ville de forteresse, la plus imprenable qu’homme ouyt jamais parler, composé par Maistre Bernard Palissy, ouvrier de terre, et inventeur des rustiques figulines du Roy, et de Monseigneur le duc de Montmorency..., La Rochelle, 1563 (autre éd. en 1564) ; ID., Les oeuvres de Bernard Palissy, éd. Â. France, Paris, 1880, p. 3-157. Palissy réalisa d’autres grottes à Chenonceaux, Reux, Chaulnes et Nesles. Pour les grottes d’Ecouen (achevée vers 1563) et des Tuileries (c. 1565), cf. ID., Architecture et Ordonnance de la Grotte rustique de Monseigneur le Duc de Montmorency..., La Rochelle, 1563, rééd. Paris, 1919 ; et « La revue de l’art », 1987, 78, p. 84-85, où il est démontré que le Devis d’une grotte pour la Royne Mère du Roy (éd. 1880, p. 465-471) est un faux exécuté vers 1860.
56 ID., Les oeuvres..., op. cit. (éd. 1880), p. 161-461.
57 Ibid., p. 164.
58 Ibid., p. 240-255 et p. 266.
59 Ibid., p. 295.
60 Ibid., p. 338 et 446.
61 Ibid., p. 267.
62 Ibid., p. 446.
63 Ibid., p. 435.
64 Ibid., p. 350 et 358.
65 Ibid., p. 319.
66 Ibid., p. 320.
67 ID., Recepte..., op. cit., p. 63.
68 ID., Discours..., op. cit., p. 321.
69 Ibid., p. 324. Sur la grotte de Meudon et sur les grottes en France au xvie siècle, cf. N. Miller, French Renaissance Fountains, New York Univ., Ph. D. 1966, Ann. Arbor, 1968, chap. 7 ; ID., Domain of Illusion : the Grotto in France, in Fons Sapientiae..., op. cit., p. 175-205 ; ID., Heavenly Caves..., op. cit., p. 51 sq. Sur la seule grotte de Meudon, voir P. Ronsard, Chant pastoral sur les nopces de Monseigneur Charles Duc de Lorraine, et Madame Claude Fille II du Roy, Paris, 1559, éd. P.L. Laumonier, IX, Paris, 1937, p. 73 sq. (poème où Ronsard exalte la valeur ésotérique, religieuse et initiatique de la grotte) ; P. Biver, Histoire du Château de Meudon, Paris, 1923, p. 28-35.
70 B. Palissy, Discours... op. cit., p. 240 et 440.
71 ID., Recepte... op. cit., p. 67.
72 ID., Discours... op. cit., p. 258.
73 Pour toutes ces citations, cf. L. Zangheri, op. cit., p. 114 sq.
74 Cit. in D. Heikamp, Les Merveilles..., op. cit., p. 21.
75 G. Agricola, De natura eorum..., op. cit., p. 99v.
76 ID., De natura fossilium, op. cit., p. 246v. Sur le corail, voir également U. Aldrovandi, op. cit., III, 2, p. 284 sq. ; M. Mercati, op. cit., p. 114-121.
77 A. Del Riccio, Istoria..., op. cit., chap. 123. Sur les vertus magiques et les valeurs symboliques du corail, cf. U. Aldrovandi, op. cit., p. 296.
78 G. Agricola, De natura eorum..., op. cit., p. 99v.
79 B. Palissy, Discours... op. cit.. p. 355.
80 Ibid., p. 356.
81 ID., Recepte... op. cit., p. 79.
82 Ibid., p. 80.
83 Ibid., p. 83. Voir aussi, ID., Architecture et Ordonnance..., op. cit.
84 Pour Alberti, voir plus loin. De Mantegna, voir surtout le Martyre de saint Sébastien conservé à Vienne (c. 1460, Kunsthistorisches Muséum) et Minerve chassant les vices du Louvre (1501-1502). G. Vasari, op. cit., IV, p. 134. De façon générale, cf. infra, note 87.
85 Pline L’ancien, op. cit., XXXVI, 5. Lucrèce, De natura rerum, IV, v. 129 sq. Pour d’autres exemples, voir l’article de H. Janson (infra, note 87).
86 Cicéron, De divinatione, I, 13. Sur les histoires de Protogène. Néalce et Apelle, cf. A. Reinach, Textes grecs et latins relatifs à l’histoire de la peinture ancienne. Recueil Milliet, Paris, 1921, rééd. 1985, n° 491 ; E. Kris et O. Kurz, Die Legende vom Kiinstler, Vienne, 1934, p. 53 sq.
87 H.W. Janson, The « Image Made by Chance » in Renaissance Thought, in Essays in Honor of Erwin Panofsky, éd. Millard Meiss, New York, 1961, p. 256-266, repris dans Sixteen Studies, New York, p. 53-69.
88 L.B. Alberti, De statua, éd. C. Grayson, Londres, 1972, p. 120. Comme le rappelle Janson, des troncs suggérant des formes humaines se voient notamment dans la peinture de Piero di Cosimo. Par ailleurs, ce qui n’est chez Alberti qu’un propos théorique, devient, à la fin du xvie siècle et au xviie siècle, une méthode de création artistique avec les peintures sur pierre.
89 Cf. N. Dacos, La découverte de la Domus Aurea et la formation des grotesques à la Renaissance, Londres-Leyde, 1969, p. 125-125. Ph. Morel, Il funzionamento simbolico e la critica delle grottesche nella seconda metà del Cinquecento, in Roma e l’antico nella cultura e l’arte del Cinquecento, actes du IIIe Corso Intern. di Alta Cultura, Rome, 1983, éd. Rome, 1986, p. 149 sq.
90 A.F. Doni, Disegno, Venise, 1549, p. 15 v.
91 Ibid., p. 15 v. C’est ainsi que selon son frère Federico, Taddeo Zuccaro imaginait que les façades de Polidoro da Caravaggio étaient peintes comme les pierres que l’on trouve dans le lit des rivières. Cf. G. Smith, The Casino of Pius IV, Princeton, 1977, chap. 2.
92 G.B. Armenini, De’veri precetti della pittura, Ravenne, 1587, rééd. Pise, 1823, III, p. 216-217.
93 B. Palissy, Récepte..., éd. 1880, p. 78.v(/. Pour la grotte des Tuileries, nous disposons d’un dessin de la collection Destailleur et de mentions comptables (cf. L. Dimier, Bernard Palissy rocailleur, fontenier et décorateur de jardins, in « La gazette des beaux-arts » ; juillet 1934, p. 8-29), ainsi que du résultat des fouilles anciennes et récentes (cf. « Revue de l’art », 75, 1987, avec une hypothèse de restitution p. 41).
94 B. Palissy, Récepte.... p. 84.
95 Cf. E. Panofsky, Le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange, in Essais d’iconologie, Paris, 1967, p. 265.
96 F. Bocchi, Le Bellezze della Città di Firenze, Florence, 1591, p. 132-139.
97 Ovide, Métamorphoses, I, v. 381-384, trad. fr. par J. Chamonard, Paris, 1966, p. 52.
98 Ibid., I, v. 400-413, p. 52-53.
99 Ibid., I, v. 426-429, p. 53. Ce mythe est repris par Torquato Tasso dans ses Dialoghi : « Allora elle [la terre], piena ancora de l’humidità de l’acque, ricevendo i raggi del sole e de la luna e de l’altre stelle, s’ingravidò e cominciò a partorir gli animali, i quali si vedevano uscir dal suo non grembo altramente ch’ora veggiamo spuntar l’api da le spalle d’un bue putrefatto, o come ne l’Egitto, quando il Nilo si ritira dentro il suo letto, si veggono da le fertili campagne nascere varie maniere d’animali ». Cit. in C. Ossola, Autunno del Rinascimento, Florence, 1971, p. 246.
100 G. Agricola, De ortu..., p. 35 v.
101 Albert Le Grand, op. cit., I, 1, 7-8. Voir également J. Cardan, op. cit., p. 71 v-72 r.
102 R. Gualterotti, Descrizione del regale apparato fatto in Firenze per le nozze del [...] Gran Duca di Toscana..., Mantoue, 1589, p. 40-41.
103 G. Agricola, De ortu..., op. cit., p. 58r.
104 Id., De natura fossilium, op. cit., p. 182 r.
105 Albert Le Grand, op. cit., I, 2, 8.
106 Sur la grotte de Castello, voir essentiellement, G. Vasari, op. cit., VI, p. 72 sq. ; L. Châtelet-Lange, The Grotto of the Unicom and the Garden of the Villa di Castello, in « The Art Bulletin », L, 1968, p. 51-68 ; D R. Wright, The Medici Villa at Olma a Castello : its History and Iconography, Princeton, 1976 ; C. Conforti, Il giardino di Castello come immagine del territorio, in La città effimera e l’universo artificiale del giardino, ouvr. coll. sous la direction de M. Fagiolo, Rome, 1980, p. 152-161 ; M. Mastrorocco, Le mutazioni di Proteo, Florence, 1981, p. 60-89.
107 G. Agricola, De natura fossilium, op. cit., p. 177 r sq.
108 Ibid., p. 178v. Voir également F. Imperato, Deli istoria..., op. cit., XXIV, 11, 20-27 ; U. Aldrovandi, op. cit., IV, 55 et 57 FIG. 20 (pour les images que l’on voit dans le silex et le marbre). Dans l’armoire IX de la « Métallothèque » vaticane, Michele Mercati rassemble toutes ces pierres sous le qualificatif d’« idiomorphe » (op. cit., p. 215 sq.).
109 Cf. U. Aldrovandi, op. cil. (voir plus loin). Sur le concept d’aemulatio, cf. M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, 1966, p. 34 sq.
110 Ovide, Métamorphoses, XV, v. 262-269, op. cit., p. 378.
111 Avicenne, op. cit., p. 884-885.
112 G. Fracastoro, cit. in G. Ligabue, Leonardo da Vinci e i fossili, Vicence, 1977, p. 35.
113 U. Aldrovandi, op. cit., p. 101 (voir aussi p. 515).
114 Ibid., p. 443.
115 Ibid., p. 460. Contre toute attente, Aldrovandi soutient une opinion assez proche dans le cas des glossopetrae, en niant leur origine animale (« dentes piscium armatorum et testaceorum ») au profit de leur nature minérale (ibid., p. 601). Sur les glossopetrae, voir M. Mercati, op. cit., p. 331 sq.
116 U. Aldrovandi, op. cit., IV, 55 et 57. Cf. notamment les pages 725, 727 et 753-754.
117 T. Tasso, La Gerusalemme liberata, XVI, 10.
118 U. Aldrovandi, op. cit., p. 462-463.
119 Ibid., IV, 62.
120 Ibid., p. 820.
121 Albert Le Grand, op. cit., II, 3,1.
122 Ibid., II, 3, 2. Voir aussi un passage du Speculum Lapidum de Camillo Leonardi (Venise, 1502), cité dans C. De Bellis, Astri, gemme e arti medico-magiche nello « Speculum Lapidum » di Camillo Leonardi, dans II mago, il cosmo, il teatro degli astri, ouvr. eoli, sous la dir. de G.F. Formichetti, Rome, 1985, p. 90.
123 G. Ligabue, op. cit., p. 12.
124 Leonardo Da Vinci, Codex Leicester, fol. 8 v-10 v, cit. in G. Ligabue, op. cit., p. 53-56.
125 B. Ceruti et Chiocco, Musaeum Frane. Calceolati..., Vérone, 1622, p. 407-409.
126 Cf. G. Ligabue, op. cit., chap. 6.
127 Leonard De Vinci, Manuscrit F, Bibl. de l’Institut, fol. 79-80, cit. in G. Ligabue, op. cit., p. 70-76.
128 B. Palissy, Discours..., op. cit., p. 334.
129 Ibid., p. 335.
130 Cf. E. Battisti, L’antro..., op. cit., p. 120. Voir aussi L. Magnani, op. cit., p. 38.
131 B. Palissy, op. cit., p. 320.
132 M. De Montaigne, Journal de Voyage en Italie, éd. Ch. Dédéyan. Paris, 1946, p. 186.
133 A. Del Riccio, Del giardino di un re, in D. Heikamp op. cit. (1978), p. 107-108.
134 Porphyre, De antro nympharum, trad. J. Trabucco, Paris, 1918, p. 12. Voir aussi P. Buffière, Les légendes d’Homère, Paris. 1956. Le texte de Porphyre fut édité plusieurs fois au cours du xvie siècle.
135 Le développement de cette idée m’a été suggéré par Georges Didi-Huberman.
136 Cf. G. Vasari, op. cit., VII, p. 627 ; H. Utz, The Labor of Hercules and Other Works by Vincenzo de’Rossi, in « The Art Bulletin », LIII, 1971, p. 344 sq. Plus récemment, Heikamp a voulu démontrer que le groupe s’était initialement trouvé dans la première salle, comme il apparaîtrait, selon lui, dans un dessin de la fin du xviiie siècle. Dénuée de fondement, cette hypothèse n’a pas été reprise. Cf. D. Heikamp, The « Grotta Grande » in the Boboli Garden, Florence, in « The Connoisseur », CIC, 1978, 299, p. 38-48. Article fortement critiqué par M. Forlani Conti, Ancora sulla grotta grande di Boboli, in « Prospettiva », 1979, 16, p. 76-78.
137 M. Fagiolo, Natura e artificio, op. cit., p. 140. Addendum : Deux ouvrages collectifs concernant les grottes artificielles florentines ont récemment vu le jour : La fonte delle fonti. Iconologia degli artifizi d’acqua, ouvr. coll. sous la dir. d’A. Vezzosi, Florence, 1985 ; Il concerto di statue, ouvr. coll. sous la dir. d’A. Vezzosi, Florence, 1986 ; Risveglio di un colosso. Il restauro deli Appennino del Giambologna, catal. expos., Florence, 1988. Voir aussi L. Magnani, Il Tempio di Venere. Giardino e villa nella cultura genovese, Gênes, 1987 ; B. Accordi, Conoscenze geologiche di Leonardo. Influssi sul suo ciclo pittorico, in Atti della VII giornata leonardiana, Brescia, octobre 1984, éd. Brescia, 1987, p. 7-28 ; « Revue de l’art », 1987, 78, p. 26-86 (articles sur B. Palissy) ; H. Lavagne, « Operosa antra ». Recherches sur la grotte à Rome de Sylla à Hadrien, Rome, 1988.
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