Le lieu virtuel : l’Annonciation au-delà de son espace
p. 65-93
Texte intégral
Le lieu EST la figure
1Si le temps de l’Annonciation produit bien autre chose que le simple moment d’une histoire, alors le lieu ne s’y réduira pas plus à la seule circonscription d’un espace. On pourrait dire, jouant sur les mots, que dans l’Annonciation l’espace s’interloque : manière d’indiquer que le passage du Verbe divin dans l’humanité de Marie diffracte aussi l’idée d’un espace aux quatre sens de l’Écriture sainte. La sémiotique de l’Annonciation, on l’a vu, est une sémiotique des signa translata. Le lieu pictural de l’Annonciation ne saurait être, en conséquence, qu’une topologie du déplacement. Ce qui peut s’énoncer autrement : si la mise en jeu picturale des figures exégétiques permet d’élaborer de tels réseaux temporels - à savoir les subtils réseaux du présent virtuel, du passé commémoré et du futur préfiguré - alors elle exigera aussi d’élaborer le jeu des espaces réalistes à travers quelque chose que l’on pourra nommer un lieu-réseau, un locus translativus. Disons pour faire bref que la topologie doit se constituer ici à l’image - image rhizomatique - de la tropologie.
2Que l’on se reporte donc ante figuram, devant la grande Annonciation peinte par Fra Angelico dans le corridor du couvent de San Marco. Le visiteur - imaginons-le dominicain, puisque cet espace du premier étage correspondait au Quattrocento à un espace de clausura - vient de gravir le haut escalier qui conduit aux cellules et à la bibliothèque. Imaginons-le s’agenouillant chastement « devant la chaste figure de la Vierge », comme dit l’inscription au bas de la fresque. Que signifiera exactement, au point de vue local, cet ante Virginis figuram ? Bref, où est la Vierge sur cette fresque et dans le regard du dominicain ? Nous allons constater que la réponse à cette simple question ne se trouve pas, mais se cherche ; qu’elle se cherche dans une espèce de labyrinthe, et donc ne se trouve jamais tout à fait, vouée pour ainsi dire à une folie du parcours où le regard s’abîme et le sens, indéfiniment, extravague.
3Où est la Vierge ? Comme dans l’Annonciation de Cortone, Fra Angelico a ici disposé son personnage-clef sur la droite de l’image, selon un schéma presque universel dans l’histoire de la peinture, un schéma qui aboutit quelquefois à repousser la Vierge effarouchée « dans son coin », c’est-à-dire contre le cadre, comme si l’écoute du message angélique et la question quomodo tendaient à la repousser hors de l’image1. La solution adoptée par Fra Angelico est ici plus subtile : elle consiste à placer (ou déplacer) la Vierge en même temps vers un bord et vers un centre. Vers un bord, puisque le dispositif du « colloque » repousse l’interlocutrice du message à droite de l’axe central marqué par la colonne. Mais il faut voir aussi que l’image montre deux arcatures seulement d’un édifice structuré par trois espacements de colonnes : on comprend alors que la Vierge occupe le centre de l’espace représenté par Fra Angelico. En d’autres termes, la Vierge a été déplacée sur la droite en tant qu’interlocutrice de l’istoria - et cette position, jointe au geste de soumission, accentue l’humilité d’un être humain visité par un être céleste -, mais elle occupe aussi, virtuellement, le centre du lieu qu’elle habite, comme une reine dispose son trône au centre de son palais. Et, de fait, l’être céleste s’agenouille devant elle, le rapport d’humilité s’inversant à raison du fait que Marie, déjà Mère de Dieu, déjà Regina Coeli, se place au-dessus de tous les anges du ciel2.
4Le « déplacement » de la domuncula (la « petite demeure ») virginale reçoit, dans la fresque d’Angélico, une autre justification : c’est pour faire place à un magnifique jardin verdoyant que l’architecture austère s’est en quelque sorte décalée vers la droite. Regardons ce jardin : c’est une circonscription de l’espace. En ce sens, il constitue un élément accessoire de l’istoria - dont l’élément essentiel reste le « colloque » lui-même -, il nous raconte que la maison de la Vierge fut peut-être bordée par un pré ou un jardin. Et ce jardin, puisqu’il est en fleurs, nous rappellera que la scène se passe au printemps. Persistons dans notre thèse selon laquelle Fra Angélico, malgré tout, renonce sans remords à décrire le où de l’histoire : si Nazareth, ville orientale, n’est en rien dépeinte sur cette fresque, c’est déjà pour la raison exégétique - mais où l’on sentirait tout aussi bien le procédé exemplaire d’un travail du rêve - que la ville de Nazareth est virtualisée dans les simples taches blanches et rouges qui parsèment ce jardin. Et cela suffisait à l’Angelico, peintre exégétique. Albert le Grand, parmi tant d’autres, avait en effet explicité la convenance symbolique du lieu et du temps de l’Annonciation à travers une analyse du mot hébreu nësér - que la Vulgate traduit par flos, la fleur3. Le premier paradoxe de ce jardin peint à fresque, c’est que, loin d’être « contenu » dans l’espace réaliste d’une ville nommée Nazareth, il « contient » au contraire cette ville dans la seule dissémination de ses taches colorées - parce que ces taches y dénotent des fleurs qu’à son tour connotait le nom de Nazareth. L’espace de l’histoire, la ville réelle et sa « couleur locale » ne sont donc pas dépeints ; mais ils sont peints et signifiés, allusivement, dans l’informel réseau de mouchetures blanches et rouges sur un fond vert. Autre façon, évidemment, de produire ce que serait une dite « couleur locale ».
5Or, le jardin de cette fresque ne se contente pas de virtualiser le nom propre d’une ville d’Orient où se serait déroulée l’Annonciation. Il virtualise aussi d’autres jardins, c’est-à-dire d’autres lieux que le lieu de l’histoire. Il suffit de parcourir la série des principaux tableaux d’Annonciation, chez Fra Angélico, pour comprendre le caractère éminemment paradigmatique de ce pré fleuri. Entrer dans la dimension paradigmatique, au sens structural du terme, c’est ici entrer dans le jeu des relations : c’est entrer dans le domaine du figurai. On sait que les trois grandes Annonciations peintes par Fra Angélico pour des retables, des pale d’autels, réservent toutes la zone gauche de l’image - la zone « sinistre » - à un jardin, dont celui de San Marco apparaît de toute évidence comme une reprise, non seulement analogique, mais bien homologique. Ici et là, nous reconnaîtrons donc le même jardin : à la même place, jouant le même rôle dans la représentation. Ce jardin de sinistre - ou en tout cas nostalgique - mémoire, c’est le jardin du Paradis perdu : c’est le lieu de la chute où Adam et Ève ont plongé le genre humain. A Cortone comme dans le retable de Montecarlo, le bord extrême de l’image est marqué par la porte du Paradis : un ange, qui ressemble fort à Gabriel, y chasse le couple honteux. Fra Angélico aurait donc donné, ici, comme un sens de lecture, où ce qui est à gauche (le 25 mars « adamique ») vient se comprendre tout naturellement comme l’origine malheureuse de l’événement incarnationnel et rédempteur (le 25 mars « christique ») que constitue l’Annonciation.
6La bordure qui, à San Marco, sépare le préau voûté d’avec le jardin en fleurs - cette bordure ne fait pas que séparer deux lieux de l’espace : elle sépare aussi deux « lieux du temps ». Bien qu’ayant ici renoncé à toute représentation explicite de l’Adam chassé, Fra Angélico élabore tout de même la surface picturale de façon à suggérer, chez son coreligionnaire, la cogitatio d’un ensemble de rapports où, théologiquement, l’Annonciation ne peut pas ne pas se penser : rapport entre la chute et la promesse de rédemption ; entre l’ange qui chasse Ève du Paradis et l’ange qui s’incline devant une femme « bénie entre toutes les femmes » ; entre le premier et le second Adam - celui à qui vous devez tous vos malheurs et celui à qui vous devrez tout votre bonheur...
7L’équivoque des seuils donne d’ailleurs, au jardin d’Angélico, une existence paradoxale et duplice - mot qui, dans la langue exégétique, abonde et ne suggère aucun jugement péjoratif. Ce jardin est le Paradis afin de nous suggérer le cycle adamique tout entier, du 25 mars de la création au 25 mars de la chute. Il est aussi le Paradis à raison du simple fait que le mot paradisus est donné par toute la tradition chrétienne comme le strict équivalent du mot hortus4. Un jardin, fleuri par surcroît, précisera donc l’idée du printemps perpétuel que fut, comme le disent tous les auteurs, le lieu d’Éden5. Mais en même temps, le jardin qu’exhibent sur leur gauche les Annonciations de Fra Angelico - et de tant d’autres artistes6 - ce jardin n’est pas le Paradis, puisque la zone de l’espace qu’il semble délimiter correspond précisément à la perte du Paradis par l’espèce humaine... Fra Angelico aurait donc peint son jardin verdoyant à la manière de ce qu’on pourrait nommer un lieu flottant, l’Annonciation du Prado, par exemple, ne représente aucune « porte » à franchir et restera tout à fait ambiguë sur l’en-deçà ou l’au-delà - bref la circonscription spatiale - d’un Paradis stricto sensu. La question se pose, d’ailleurs, de savoir s’il peut exister un Paradis stricto sensu : le peintre dominicain qui aurait cherché une réponse dans la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin n’eût trouvé que la démarche « flottante » d’un texte qui promeut le Paradis comme locus hominis, lieu par excellence de l’humain - pour conclure qu’un tel lieu, dans sa réalité d’espace, reste et restera introuvable7.
8Ne cherchons donc pas l’espace même du Paradis dans le jardin de Fra Angelico : contentons-nous ici d’en appréhender le lieu comme éminente fonction figurale, comme invention de rapports. On pourrait néanmoins se demander pourquoi le même peintre a représenté, dans ses retables, les personnages concrets de la Chute, alors qu’à San Marco son jardin de Paradis perdu n’est qu’un lieu pour ainsi dire « silencieux », un lieu vide d’histoire. Bref, si le jardin fleuri ne dépeint pas - figurativement - Adam chassé, peut-on affirmer sans risque qu’il peint - figuralement - le sens du Paradis perdu ? La fonction respective des images suggère à la fois une réponse positive et une explication simple des différences de choix adoptées par l’Angelico pour ses tableaux d’églises et pour ses fresques conventuelles. Une église est faite pour rassembler tous les fidèles, qu’ils soient savants, dévots ou illettrés : un retable, dans une église dominicaine, sera donc immanquablement porté vers la vocation bien connue de prêche, de sermon ; et sa subtilité devra, autant que possible, utiliser les voies de l’explicitation, de la clarté. Au contraire, un couvent est fait pour séparer, pour mettre à part quelques âmes vouées à la méditation et à la science sacrée. La fresque conventuelle n’a donc nul besoin d’expliciter tout ce qu’une pala d’autel raconte plus ou moins clairement aux fidèles : le jardin de San Marco représente donc en puissance tout ce que représentait « en acte » le jardin de Cortone.
9Pour un peintre dévot et subtil comme l’était Fra Angelico, l’avantage de peindre pour ses proches - et doctes -confrères était double : d’une part, l’économie des moyens figuratifs permettait à l’image peinte de s’ouvrir plus aisément à une phénoménologie de la contemplation. D’autre part, le jeu du virtuel permettait à l’artiste de créer de nouveaux réseaux de figures dans ce véritable réseau concret qu’il avait à inventer, à élaborer avec l’assistance de ses disciples : quarante-quatre cellules et deux corridors, soit un grand nombre d’images - une cinquantaine environ, si l’on compte les cellules doubles - à composer, à tresser les unes avec les autres. Et c’est ainsi que le jardin de l’Annonciation, dans le corridor de San Marco, s’ouvre à une authentique surdétermination du sens, surdétermination justifiée et même appelée par le mode exégétique de penser l’Écriture sainte. On s’aperçoit alors que le « lieu » du jardin accède pleinement à la dimension de figure - bref un réseau de sens - dans la mesure même où il fait émerger des relations à l’intérieur du réseau local - bref la relation qu’il entretient avec les images voisines. Lorsque le dominicain de San Marco se tenait ante figuram, devant l’Annonciation du corridor, il ne se tenait pas, en effet, devant une image isolée. Derrière lui étaient d’autres images, et derrière l’image elle-même, d’autres images étaient peintes.

10Le premier trait frappant de ce dispositif, c’est qu’un monde exclusivement minéral fait face, pour ainsi dire, au verdoyant jardin de l’Annonciation : il s’agit de l’image sanglante d’un crucifié, avec saint Dominique agenouillé au pied de la croix. L’effet, simple et puissant, de cette disposition sera que le dominicain s’agenouille devant la Vierge - la prière de Y Ave supposant une génuflexion - non seulement à l’image de l’ange qui se tient en face de lui, mais encore à l’image (et c’est un quasi reflet) du saint qui domine toute sa vie de frère prêcheur. D’autre part, regardant le 25 mars de l’Annonciation, il sera en quelque sorte regardé dans le dos, obliquement, par cet autre 25 mars que représente la crucifixion. Le rapport figurai s’impose donc avec force, et nombre de traits plastiques ou colorés confirmeront, si besoin est, le lien qui noue ces deux images. Par exemple, le Christ penche la tête en direction de saint Dominique, un peu au-delà de lui, et cet au-delà désigne virtuellement l’espace liturgique réel du corridor. Quant à l’encadrement « décoratif », il joue lui aussi le rôle d’un pont entre les deux fresques : c’est une même corniche grise, peinte en trompe-l’œil et à la même hauteur, qui fait la base de l’une et de l’autre image ; enfin, le motif végétal qui entoure la représentation du crucifié reprend exactement la partition colorée, rouge et verte, du jardin que nous questionnons8.
11Ce jardin en effet nous parle de l’incarnation, c’est-à-dire du réseau temporel et symbolique que suppose l’incarnation. Dans ce jardin ont éclos des grappes proliférantes de fleurs blanches et rouges : ces fleurs, dit l’exégèse, sont le Christ. Albert le Grand précise même que l’on doit entendre par là les « fleurs des champs » qui poussent, qui pullulent - dit-il - au printemps. Pourquoi ? Parce que, comme la fleur des champs, Jésus-Christ pullulât de uno, il prolifère dans l’humanité à partir de l’Un, à partir de la divine simplicité9. Cette figure du Christ-fleur est universelle dans l’Occident médiéval10. Son destin racontera donc toute l’histoire du Sauveur :
« Le Christ-fleur (flos Christus) a fleuri dans la nativité, d’où on lit dans Isaïe (XI, 1) : « Une fleur s’élèvera de sa racine ». Il a défleurit dans la Passion, lorsqu’en lui ne furent plus ni aspect ni beauté [...]. Il a refleuri dans la résurrection selon la nature humaine, là même où il avait défleuri. D’où il est dit : « Et ma chair a refleuri » (Psaumes, xxvii, 7) »11.
12Lorsqu’on regarde la Crucifixion de Fra Angelico, avec le jardin constellé de fleurs juste à sa gauche, on peut avoir l’impression que c’est l’image même du martyre de Jésus qui projette ses petites taches d’incarnat sur le pré verdoyant de Y Annonciation. Un exégète médiéval n’eût certainement pas infirmé cette rêverie. Quant à Fra Angelico, c’est bien le même pigment de terra rossa qu’il utilisait pour peindre les taches du sang christique et pour moucheter son fond vert de pointillés écarlates. Il avait d’ailleurs pris grand soin de différencier les emplois de ce rouge lourd et opaque d’avec un autre pigment rouge qui, lui, inclut dans sa texture de minuscules fragments de silicates. Au-delà de l’intensité proprement chromatique, ce dernier pigment confère au rouge une qualité qui ne se voit pas sur les reproductions photographiques, mais s’éprouve avec intensité lorsque nous marchons ante figurant, devant la fresque : c’est la qualité d’éclats qui surgissent et disparaissent, bref, c’est au sens strict l’intangible vertu d’une claritas. On ne s’étonnera pas de voir Fra Angelico - conformément aux spéculations métaphysiques de saint Antonin - utiliser ce rouge « magique » pour colorer ici les ailes de l’ange, ailleurs le corps glorieux du Christ ressuscité...
13Mais, dans le jardin de l’Annonciation, les fleurs sont d’un rouge épais comme du sang. Le Christ a peut-être « défleuri » dans la Passion, comme l’écrivait Albert le Grand ; il n’en reste pas moins que son sang éclabousse la terre pour y faire fleurir une humanité nouvelle, une humanité de l’Imitation christique et de la rédemption du péché. Ainsi, les fleurs rouges qui parsèment ce jardin de printemps tracent-elles comme un chemin en pointillé qui va de la chute - fleurs de l’Éden perdu - à l’incarnation, et de l’incarnation au sacrifice rédempteur : fleurs de martyre. Il n’est d’ailleurs pas rare que l’Annonciation soit donnée comme l’exacte médiation figurative entre la faute de l’homme et le sacrifice du Dieu. Mais c’est surtout le réseau concret des fresques de San Marco qui donnera ici la mesure des relations mises en jeu. Il n’y a en effet, dans toutes les cellules du couvent, que trois autres espaces peints que l’on peut clairement reconnaître comme étant des « jardins ».

Fig. 1. - Fra Angelico et collaborateurs, Crucifixion, Florence, couvent de San Marco (corridor).

Fig. 2. - Giovanni di Paolo (?), Miniature de la Divina Commedia (Paradis, VII). Londres, British Museum.

Fig. 3. - Fra Angelico, Annonciation, Florence, couvent de San Marco (cellule 3).
14Le premier, c’est le jardin de la prière au Mont des Oliviers. Il se trouve représenté à deux cellules de distance de l’Annonciation12, illustrant le texte fameux de saint Luc selon lequel Jésus priait avec tant d’intensité et d’angoisse - angoisse nommée agonie - que « sa sueur devint comme des grosses gouttes de sang qui tombaient à terre »13.
15Le second jardin se trouve indiqué, presque emblématiquement, dans l’Annonciation de la cellule 3. Ici encore, c’est une petite bande d’espace vert qui borde sur sa gauche la scène du colloque angélique. Un autre grand saint de l’Ordre dominicain, Pierre martyr, occupe ce lieu, comme si le jardin n’existait ici que pour désigner la place du martyre. Et, de fait, les « fleurs de sang » que nous avons virtuellement reconnu dans F Annonciation du corridor n’ont même pas besoin d’être représentées ici comme fleurs, puisque l’affleurement de sang du martyre est, lui, déjà présent en son lieu naturel, perlant de la blessure sur la tête du saint. Enfin, le jardin du corridor est repris, cette fois-ci « textuellement », dans la cellule 1 qui le jouxte presque, et où l’Angelico a représenté la scène du Noli me tangere. On ne voit pas, a priori, quel rapport il peut y avoir entre l’Annonciation et la scène du Noli me tangere : les deux histoires n’ont effectivement entre elles qu’un lien très vague - aucune analogie explicite, en tout cas. Or, c’est justement là qu’intervient le travail propre de la figure : lorsqu’un exégète construit un rapport figurai ou prophétique entre deux moments distincts de l’histoire sacrée, il concentre généralement toute son attention sur la substance même des mots, sur la lettre d’un nom, bref sur le pur signifiant ; par exemple, il établira le lien figurai de son choix grâce à une étymologie - même fantaisiste - ou grâce à la glose d’une seule lettre. Fra Angelico a fait ici quelque chose d’approchant : non pas en « traduisant » une exégèse préexistante, mais en produisant dans sa peinture un authentique effet d’exégèse.
16Il y parvient en donnant aux deux jardins des caractères fortement analogues, tels que la palissade de bois, les arbres au fond - et notamment le cyprès -, le pré fleuri au premier plan. Plus encore, il investit la substance même dont ce pré est constitué : la double valeur des verts, les constellations de fleurs blanches et rouges. Nous avons déjà parlé de ces petites fleurs rouges dans le pré du Noli me tangere : elles constituent un déplacement figurai des stigmates du Christ, par le seul jeu d’une scansion colorée14. Mises en rapport avec l’Annonciation du corridor, ces fleurs de printemps nous permettent à présent de boucler une boucle : l’humanité du Christ aura donc fleuri au jour de l’Annonciation, elle se sera répandue sacrificiellement au jour de la Passion ; puis on aura cru l’homme tout à fait mort - c’est l’univers oppressé de la cellule 2, univers de lamentation où quelques stigmata de couleur rouge parsèment déjà un arbuste, à gauche15. Et enfin, le jardin tout entier refleurit, il refleurit même avec son jardinier, puisque Jésus apparaît ici à Madeleine avec une bêche sur l’épaule...
17C’est ici que l’on comprend l’enjeu de toute cette exégèse picturale. Les images de Fra Angelico, en s’appelant l’une l’autre, semblent prévenir leur spectateur : tu ne peux comprendre une image - telle histoire biblique - sans avoir fait le chemin de toutes les autres. La Bible n’est pas une chronique, mais un système où se doit comprendre le destin - la chance de salut - du genre humain. Dans un jardin, le Christ-fleur est né (inventus) ; dans un jardin, il a sué du sang, puis s’est fait arrêter (captus) par ses bourreaux ; puis il a subi la croix et dans un jardin a été enseveli (sepultus)\ enfin, il ressuscite pour toujours, il renaît (inventus) sous les yeux de Marie-Madeleine. Et c’est alors, disent les exégètes, que l’Église est fondée, comme un jardin qui fleurit, ayant « fructifié par la Passion »16. L’humanité peut alors entrer dans les temps apocalyptiques - temps de la fin des temps - et le Christ peut descendre aux limbes pour la racheter, comme dit saint Jean, « par le prix de son sang » (in sanguine) : voilà justement ce que Fra Angelico fait représenter par ses élèves, juste derrière le beau jardin de son Annonciation17.
Qu’est-ce qu’un lieu ?
18Le lieu pictural, on le voit, relève d’un ordre de complexité inouïe. Il ne se contente pas de donner l’espace plausible d’une histoire : il virtualise le labyrinthe entier dont tel espace de telle histoire n’aura constitué qu’une branche infime. L’Annonciation, dans la Bible chrétienne, se situe elle-même entre deux textes au moins - et c’est ce que suggère admirablement la disposition des bandeaux vétéro- et néotestamentaires comme cadres horizontaux, dans l’Armadio degli Argenti. Le lieu pictural de l’Annonciation - et notamment ce jardin, qui ne nous a pas encore tout dit -, un tel lieu sera donc au moins entre deux textes, entre d’autres lieux, d’autres temps. Regarder le jardin d’une Annonciation de Fra Angélico, c’est se tenir devant un locus translativus, un lieu qui n’immobilise ou n’enferme rien, mais au contraire vous fait parcourir un immense chemin mental, entre le Paradis que vous avez perdu et celui que vous voudriez bien regarder, dans le lointain futur de la fin des temps. Le lieu pictural, compris selon sa fonction de figure, c’est donc un moment dans un réseau : il en commémore les tenants, il en prophétise les aboutissants. Mais aussi il le présente - comme son indice - et ainsi, virtuellement, le lieu inclut la totalité du système qui l’inclut structuralement. Tel est son paradoxe, qui ne peut « tenir » - être efficace - que parce qu’il joue en même temps sur différents registres sémiotiques condensés, noués entre eux : un registre topologique (le lieu comme espace matériel) et un registre tropologique (le lieu comme espacement figurai, dialectique mentale du sens scripturaire).
19Pierre Francastel a bien eu raison de voir dans le lieu pictural une élaboration du concret, c’est-à-dire de l’espace réel transformé dans la perception, elle-même transformée dans tout le système des abstractions et des valeurs spécifiques d’une époque. Il notait en particulier, à propos du Quattrocento, combien l’« objectivité » des éléments représentés avait pu servir l’« arbitraire » - bref le caractère conventionnel - de leur mise en réseau18. Ce n’est pas parce que les détails sont réalistes que le lieu pictural, lui, sera « naturel ». Le lieu pictural peut bien se donner comme espace feint - un espace qui fait semblant de n’être pas peint : c’est le fantasme du tableau-fenêtre ouvrant sur le monde - il n’en sera pas moins, et pour toujours, une fiction refermée sur elle-même, sur son propre monde de signes ; c’est-à-dire un lieu qui, à quelque moment, immanquablement, montrera qu’il est peint, qu’il n’est que de la peinture. La grande préoccupation de la peinture, ce n’est pas ce que signifie le monde, c’est ce que signifie la peinture elle-même, et comment elle le signifiera. On pourrait dire, à la limite, que le monde constitue le principal obstacle - au sens d’un obstacle épistémologique - pour regarder la peinture. Obstacle et tentation tout à la fois : nommons cela un écran, l’écran du réalisme. Lorsque nous regardons un tableau « figuratif », nous sommes bien souvent dans une situation analogue à celle du psychanalyste devant le discours de l’hystérique : les signifiés du monde, les scènes nous investissent et nous fascinent par leur extrême visibilité, leur effet de « réalité », leur cohérence dramaturgique. Alors, nous courons le risque d’oublier que nous avons affaire à une matérialité signifiante, dont l’élément fondamental reste et restera, de part en part, la fiction (je ne dis pas le mensonge)19.
20Bien sûr, cette tentation touche particulièrement la peinture du Quattrocento : rien n’est plus facile, avec elle, que de croire « sauver les phénomènes » - bref, sauver le réalisme de l’espace qu’elle représente, alors qu’elle ne représente l’espace que pour le déréaliser (même lorsqu’elle le « rationalise »), l’inféoder à son propre lieu fait de lignes et de couleurs. Comment, ici, sauve-t-on les phénomènes ? En tenant, explicite ou non, le raisonnement suivant : même si le lieu pictural est un concret élaboré, ce qui élabore ce concret, au xve siècle, est une pensée en quête du concret, justement, et dont la perspective semblerait marquer l’enjeu pratique - faire de la peinture une fenêtre ouverte sur le monde perçu, faire de la peinture une histoire naturelle20. Ainsi le concret élaboré retourne-t-il au giron du concret perçu. Mais le problème est bien plus retors, surtout s’agissant de l’Annonciation et de l’histoire sacrée en général : ici, le concret s’élabore dans une pensée du mystère, et l’espace physique dans une pensée métaphysique.
21Quel était donc le statut du lieu, pour un peintre dominicain du Quattrocento ? Les manuels de philosophie et les articles d’encyclopédie nous disent, pour faire vite, que les grands théologiens dominicains du xiiie siècle, Albert le Grand et saint Thomas, ont « accommodé » la science naturelle d’Aristote avec les vérités de la foi chrétienne. Comment, dans ces conditions, Fra Angélico n’aurait-il pas voulu « naturaliser » le mystère de l’incarnation et donc rabattre l’Annonciation sur son istoria, sur son sens littéral et physique ?21. Il est bien vrai que l’Annonciation est une histoire, et que pour un chrétien elle a eu lieu dans le concret d’un où et d’un quand. ; un peintre dominicain se devait donc d’en rendre compte. Saint Thomas insiste d’ailleurs sur le fait que chaque histoire biblique est immédiatement porteuse de sens spirituel22. Il est bien vrai aussi que Fra Angélico a élaboré, dans le corridor de San Marco, un espace de perception en partie illusionniste : en témoignerait par exemple le trompe-l’œil de cette corniche qui semble faire un socle de pierre grise à la fresque. En témoigne surtout la construction perspective de l’image : comme l’a remarqué William Hood, le peintre a intentionnellement rehaussé la ligne d’horizon, de manière à ce que l’espace de l’Annonciation puisse s’appréhender au mieux de sa cohérence perspective, seulement si le spectateur est agenouillé devant l’image, c’est-à-dire dans la position liturgique de l’Ave Maria23.

Fig. 4. - Fra Angelico, Noli me tangere, Florence, couvent de San Marco (cellule 1).

Fig. 5. - Fra Angelico, Annonciation (seconde scène de l’Armadio degli Argenti), Florence, Musée de San Marco.
22Mais un tel procédé, qui joue évidemment sur les conditions du regard, n’en relève pas pour autant d’un souci de l’« illusion de réalité », celui qui voudrait « inclure le spectateur dans l’espace illusionniste »24. Si le spectateur agenouillé était « inclus » dans l’espace de la fresque, il ne pourrait pas voir le pavement comme il le voit ici, son regard étant placé au-dessous ou au ras de la ligne de sol. Il est évident, d’autre part, que si Fra Angélico avait voulu représenter un espace « vraisemblable » du colloque angélique, il n’aurait pas donné à la figure de la Vierge cette bien étrange disproportion par rapport à l’ange et aux colonnes du premier plan, On comprend alors que tout ce travail sur la perspective ne vise aucun effet de « fenêtre ouverte sur le monde ». L’emploi - non rigoureux, d’ailleurs - de l’outil « moderne » par excellence de la représentation picturale, cet emploi ne vise pas un effet de représentation, mais bien un effet de présence, celle-là même du dévot agenouillé. On confondrait donc deux catégories de la pensée dominicaine à croire que Fra Angélico voulut faire coïncider terme à terme la construction de son espace d’istoria avec la mise en place, dans le corridor du couvent, d’un lieu « fécond » sur le cheminement du dévot - un lieu de tropología, un lieu de présence liturgique.
23Mais revenons aux sources doctrinales de ce rapport complexe entre « histoire naturelle » et « histoire sacrée » : là gît peut-être une clef - ou au moins la mesure des difficultés - de toute la question. Qu’en est-il donc de ce fameux mouvement de pensée qui aurait accompli, au Moyen Âge, l’accommodation de la science aristotélicienne et de la pensée théologique ? Qu’en est-il de cette supposée synthèse ou rationalisation « scientifique » - naturaliste - des données de la révélation chrétienne ? Il faut ici partir de la figure dominante de toute cette aventure de la pensée - la figure d’Albert le Grand. Ce n’est pas pour rien qu’Albert le Grand fut nommé le doctor universalis : aucun théologien, avant ou après lui, n’a posé avec tant d’ampleur le problème de l’histoire naturelle face à celui des vérités de la foi. Albert le Grand n’est pas seulement la figure dominante du savoir au xiiie siècle25. Son influence dans les siècles suivants a été considérable. Au Quattrocento, les « albertistes » faisaient école partout en Europe, à Cologne, à Paris, à Padoue ; plus loin encore, à Byzance, le Cardinal Bessarion possédait dans sa bibliothèque les trois parties inédites de la Summa de creaturis26. La Comédie de Dante, qui continuait d’imprégner la culture italienne, avait été elle-même imprégnée d’Albert le Grand plus encore que de Thomas d’Aquin27. A Florence, saint Antonin citait le grand docteur dominicain à longueur de pages, tandis qu’on pouvait lire, dans la bibliothèque de San Marco, les écrits « scientifiques » d’Albert le Grand (sa Physica, son traité sur les pierres) à coté de ses écrits théologiques (notamment son commentaire de l’Annonciation, le Supoer Missus est, autrement appelé Mariale)28.
24Albert le Grand est assurément le fondateur de ce qu’on nomme l’aristotélisme chrétien. Il aura consacré des dizaines de traités à exposer et à commenter chaque aspect de l’œuvre d’Aristote, depuis la logique jusqu’aux Parva naturalia, en passant par la physique, la métaphysique et l’éthique. Si l’on met cette série de volumineux traités en face de l’œuvre théologique proprement dite - œuvre plus ample encore, faisant suivre à la Summa theologiae les commentaires des prophètes, des Évangiles, des Sentences de Pierre Lombard et de toute l’œuvre du Pseudo-Denys -, on comprend l’étendue stupéfiante du savoir mis en jeu29. Le moins qu’on puisse dire de l’œuvre d’Albert le Grand, c’est bien qu’elle se déploie comme une gigantesque encyclopédie. Or, l’exposé de l’aristotélisme occupe presque la moitié de tout cet effort de synthèse.
25Mais comment procède une telle synthèse ? Elle procède de façon déconcertante et se révélera n’être pas, au sens strict du terme, une synthèse. On dirait aujourd’hui qu’elle est un bricolage, ce qui signifie notamment que la structure du savoir albertinien s’invente en se constituant, et au bout du compte n’est plus du tout la même que celle du savoir aristotélicien original. D’une part, ce qu’Albert le Grand nommait « les aristotéliciens » ne désigne absolument pas une école précise de pensée mais, comme l’a bien relevé Pierre Duhem, « toutes les doctrines du Péripatétisme, du Néo-platonisme hellénique et du Néo-platonisme sémitique », bref l’ensemble de la philosophie gréco-arabe et juive du Moyen Âge30. D’autre part, les écrits d’Albert le Grand dénotent une étrange insensibilité à la contradiction, en passent ainsi, abruptement, du détail à sa généralisation, de l’inimitable miracle divin à la douteuse expérience de magie, ou d’un concept à un autre qui le nie : Bruno Nardi a implicitement qualifié cet encyclopédisme extravagant de poétique, en disant qu’il n’y a, après tout, que Dante pour avoir de cette façon embrassé dans un même geste tant de savoirs et tant de notions divergentes31.
26Ce que met en place le fondateur de l’aristotélisme chrétien est donc bien autre chose qu’une restauration de l’aristotélisme en tant que tel. Pour le dire d’un mot qui peut sembler paradoxal, l’aristotélisme d’Albert le Grand se montre de part en part néoplatonicien. Le cas n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel au Moyen Âge. On a même l’impression que la théologie chrétienne n’aura pu intégrer l’aristotélisme - et son « histoire naturelle » -qu’en niant une partie de ses prémisses scientifiques, et en leur substituant une métaphysique de la création fondamentalement inspirée par la pensée néoplatonicienne32. Plus précisément, on voit dans les écrits d’Albert le Grand de très classiques notions aristotéliciennes - l’acte et la puissance, le mouvement, l’essence - traversées par un grand vent de mystiue dionysienne, de lumière suressentielle, de théologie négative ou de symbolisme dissemblable... Et la logique, la physique d’Aristote s’en trouvent alors passablement décontenancées33. Il faudra, on le sait, la rigueur de saint Thomas pour retrouver un usage plus cohérent des concepts aristotéliciens. Mais l’espèce de méthode expérimentale inaugurée par Albert le Grand dans le domaine des disciplines physiques et naturelles domaine où saint Thomas n’a pas l’ampleur de son maître -, cette étrange méthode gardera son prestige jusqu’au cœur du Cinquecento, même si, entre-temps, le paysage de l’aristotélisme en général a pu se modifier34. On pourrait alors faire l’hypothèse que la « faiblesse » philosophique, l’indétermination relative des notions d’Albert le Grand ont pour ainsi dire amplifié la « valeur d’usage » de ces notions dans des champs qui n’étaient pas strictement doctrinaux.
27Il en est ainsi de la notion du lieu. Si un dominicain florentin du Quattrocento s’interrogeait sur la nature ou les pouvoirs du lieu, il pouvait, dans la bibliothèque de San Marco - ou celle de Santa Maria Novella - lire la Physique d’Aristote, traduite et commentée par un grand nombre d’auteurs anonymes ou célèbres, tels saint Thomas et Albert le Grand. La Physique est le premier ouvrage d’Aristote qu’Albert le Grand ait cru devoir commenter, en huit livres, peu avant 1250 ; c’est dire son importance stratégique dans la fondation même de l’aristotélisme chrétien ; il est également significatif que ce commentaire ait été directement suivi par l’ouvrage intitulé De caelo et mundo, puis par un court traité spécialement réservé au problème du lieu, le De natura loci35.
28Les passages difficiles qu’Aristote consacre à la question du lieu, dans le quatrième livre de la Physique, laissent au lecteur une étrange impression : on commence par être rassuré, mais on finit dans la plus noire incertitude - en tout cas dans un certain embarras de la pensée. Aristote, en effet, nous conforte d’emblée sur l’existence du lieu : seul le non-être n’est nulle part, dit-il avec bon sens, seules les chimères du rêve n’ont pas de lieu36. Puis il donne jusqu’à quatre raisons pour ne pas douter de l’existence du lieu ; le seul problème, alors, semblera celui de la définition de son essence37. Mais, progressivement, tout ce schéma va s’inverser : cheminant vers la définition d’une essence, nous en viendrons, par le jeu réglé des apories mises en place, à douter même de l’existence du lieu, pour comprendre finalement que le lieu n’a, selon Aristote, qu’une quasi-existence38.
29Le lieu, dit Aristote, n’est après tout qu’une manière d’être-en-autrui : « Le sens propre du lieu, c’est quand on dit « dans un vase » et en général dans un lieu »39... Si les choses pouvaient résider en elles-mêmes, le lieu n’aurait ni existence, ni essence : il désigne donc un mode de l’altérité. Or, contrairement à Platon, cette altérité ne sera comprise ici que comme une existence relative : le lieu n’existe que par rapport au corps qu’il contient, il lui est assujetti, et en aucun cas il ne l’engendre. Ainsi, « le lieu est comme expulsé du nombre des êtres » ; ni partie, ni même manière d’être de la chose, il ne sera qu’une relation, et encore une relation d’extériorité40. Aristote réfute donc les unes après les autres toutes les théories qui assimilent le lieu à la forme, ou à la matière, ou à l’intervalle entre les corps. Au bout du compte, l’existence du lieu se sera réduite à la peau de chagrin d’une « limite immobile immédiate de l’enveloppe », c’est-à-dire la limite interne du corps enveloppant telle chose qui y prend place41.
30On s’aperçoit, au terme de cette analyse, que la notion aristotélicienne du lieu n’est pensable que du strict point de vue de la physique : pour qu’il y ait un lieu, il faut et il suffit qu’existent deux corps entre lesquels il y a un rapport d’extériorité et d’enveloppement. On pourrait montrer que la thèse d’Aristote s’ordonne également sur la catégorie physique - strictement physique - du mouvement42. Lorsqu’Albert le Grand, dans son commentaire de la Physique, écrit qu’« il faut bien que le lieu soit quelque chose » (oportet aliquid esse locum) -il semble nous prévenir à l’avance que le lieu ne possède une telle existence réduite et relative qu’au seul niveau physique des créatures corporelles43. Le lieu aristotélicien ne pose après tout qu’un problème de circonscription, entre choses contenues et choses contenantes. Mais, dès que nous voulons passer au niveau cosmologique, ou au niveau de l’âme, ou encore au niveau du divin - alors le lieu pensé comme limite corporelle ne suffit plus, exige son dépassement. Toute la tradition chrétienne - c’est une évidence - comprend le lieu du divin comme un au-delà du pur et simple lieu physique : une altérité absolue, puissante, et non pas relative ou aliénée à la chose. C’est ce qu’énonçait une lettre de saint Augustin à Volusien, lettre citée partout, jusque dans la Somme théologique de saint Thomas :
« Le sens de ces hommes [les hérétiques] montre qu’ils sont inaptes à se représenter autre chose que des corps. Aucun de ces corps ne peut être tout entier partout ; car, n’est-ce pas un autre que lui qui se trouve nécessairement ailleurs par ses parties innombrables ? Mais combien différente est la nature de l’âme de celle du corps ! Et combien plus encore la nature de Dieu qui est le créateur de l’âme et du corps ! Lui, il sait qu’il est tout entier partout sans qu’aucun lieu le contienne ; il sait qu’il vient dans un endroit sans s’éloigner de celui où il était ; il sait qu’il s’en va d’un lieu sans quitter celui où il était venu »44.
31Or, « il faut bien que le lieu soit quelque chose », même si son essence échappe au seul ordre de la réalité physique. Et c’est ici que l’aristotélisme d’Albert le Grand va se faire « platonisant », de façon à dépasser le strict point de vue de la circonscription spatiale, vers un point de vue qui pose la question du lieu dans les termes de la métaphysique, mais aussi de la morphogenèse, la genèse des formes. Saint Albert a beau, parfois, railler le Timée, on a l’impression que le texte de Platon travaille en profondeur et prépare les futurs développements albertiniens sur le lieu. Que dit Platon ? Que l’altérité - qui assure, dans l’ordre logique, la séparation et le lien entre les genres - exige d’être pensée dans l’ordre du sensible : cette exigence est celle-là même de la pensée du lieu. Mais elle s’avère d’une difficulté inouïe. Comment pouvons-nous séparer les objets de la place qu’ils occupent, afin de dénuder, pour ainsi dire, l’essence de leur lieu ? La réponse de Platon est admirable :
« [Le lieu] n’est perceptible que grâce à une sorte de raisonnement hybride que n’accompagne point la sensation [de la réalité] : à peine pouvons-nous y croire. C’est lui certes que nous apercevons comme en un rêve, quand nous affirmons que tout être est forcément quelque part, en un certain lieu, occupe une certaine place, et que ce qui n ‘est ni sur la terre, ni quelque part dans le Ciel n’est rien du tout. Mais toutes ces observations [...], nous sommes incapables, du fait de cette sorte d’état de rêve, de les distinguer nettement et de dire ce qui est vrai »45.
32La beauté - et l’ambiguïté - de cet argument, c’est que Platon inverse par avance, terme à terme, tout ce qui aura conduit la pensée aristotélicienne du lieu physique. Ici, le lieu retrouve sa dignité d’être, contre la quasi-existence que lui prêtait Aristote. On sent aussi que le domaine strict de la physique a été dépassé : Platon nous parle d’un ciel où toute « pesanteur » corporelle a cessé de faire loi. Mais en même temps, l’être du lieu ne semble abordable que dans l’exercice du rêve, ou au moins de la rêverie, puisque seuls ces « raisonnements hybrides » - au-delà des sensations de la réalité, mais sensibles pourtant - sont capables d’extraire la chose pour dévoiler son lieu. Bref, penser le lieu ne peut se faire ni dans l’ordre logique, ni dans l’ordre sensible - opposition platonicienne classique -, mais dans le constant paradoxe d’une sub-logique de sensations dénuées d’objets de la réalité. Le lieu va donc jusqu’à obliger Platon à faire trembler son grand édifice dualiste - le modèle intelligible et le monde des Formes, d’une part, la copie sensible et le monde du Devenir, d’autre part : il va jusqu’à l’obliger de penser un énigmatique troisième genre de l’être :
« Nous avions distingué deux sortes d’être. Maintenant, il nous faut en découvrir un troisième genre. En effet, les deux premières sortes suffisaient pour notre exposition antérieure. L ‘une, nous avions supposé que c’était l’espèce du Modèle, espèce intelligible et immuable ; la seconde, copie du Modèle, était sujette à la naissance et visible. Nous n’en avions pas alors distingué une troisième, parce que nous avions estimé que ces deux-là suffisaient. Mais, maintenant, la suite de notre raisonnement semble nous contraindre à tenter de faire concevoir par nos paroles cette troisième espèce, laquelle est difficile et obscure »46.
33Entre l’être et le rêve, l’obscure espèce du lieu portera Platon vers la pensée des origines. « Quelles propriétés faut-il supposer qu’elle a naturellement ? », demande-t-il. Et il répond sans transition : « De toute naissance elle est le support et comme la nourrice »47. Plus loin, il va préciser sa pensée - où plutôt préciser son image - en faisant du lieu le réceptable maternel des figures, ce qui reçoit l’empreinte des formes, et donc n’a soi-même aucune forme ou figure. La catégorie « difficile et obscure » du lieu, dans le Timée, n’est autre qu’une catégorie de l’inchoatio, de la germination des figures, selon un modèle indiciel de l’empreinte. En tant que tel, le lieu « porte-empreinte » de Platon évoque ce qu’on nomme les rêves blancs48, se donnant à la fois comme un principe d’absolue maternité et comme un principe d’absolue dissemblance :
« Car elle est [cette nature du réceptacle] comme un porte-empreinte pour toutes choses [...]. Qu’il suffise de bien se fixer dans l’esprit ces trois genres d’être : ce qui naît, ce en quoi cela naît, et ce à la ressemblance de quoi se développe ce qui naît. Et il convient de comparer le réceptacle à une mère, le modèle à un père, et la nature intermédiaire entre les deux à un enfant. De plus, il faut bien concevoir ceci : l’empreinte devant être très diverse et présenter à l’œil toutes les variétés, ce en quoi se forme cette empreinte serait mal propre à le recevoir, si cela n ‘était pas absolument exempt de toutes les figures que cela doit recevoir de quelque part ailleurs. En effet, si ce réceptacle était semblable à l’une quelconque des figures qui y entrent, et si par hasard il lui arrivait des figures contraires à celle-là ou d’une nature absolument hétérogène, il en prendrait mal la ressemblance, puisqu’il l’offusquerait par son propre aspect. C’est pourquoi il convient que ce qui doit recevoir en soi tous les genres soit lui-même en dehors de toutes les formes »49.
34Comme Platon, Albert le Grand a envisagé le lieu selon un constant déplacement des ordres de réalité : l’ordre physique se déplaçant vers l’ordre biologique, puis cosmologique, puis métaphysique ; et l’ordre métaphysique vers la pensée exégétique des vérités de la foi. Entre physique et exégèse, donc, Albert le Grand aura développé une notion du lieu sur un mode qui était lui-même translativus. Tout l’exigeait : la difficulté intrinsèque du concept aristotélicien, d’une part50 ; et d’autre part l’enjeu théologique de l’entreprise elle-même. Un dominicain du Moyen Âge ne s’interrogeait pas sur le lieu pour simplement savoir ce que signifie « l’eau est dans un vase » - exemple privilégié d’Aristote. Il désirait sans doute aussi comprendre, s’agissant de l’Annonciation, par exemple, ce que signifie « l’Esprit Saint viendra sur toi », où dans quoi le Verbe s’est incarné, ou encore pourquoi le Fils de Dieu a dû, pour venir sauver l’humanité, être « inclus dans l’utérus d’une femme » (utero feminae includitur)51.
35C’est ainsi que le lieu albertinien évoque à plus d’un égard l’idée du réceptable. Contrairement à Aristote - qui n’avait posé l’hypothèse que pour la rejeter ensuite - Albert le Grand retiendra donc l’idée fondamentale d’une vertu causale du lieu : le lieu, dit-il, ne se contente pas d’être extrinsèque aux choses qu’il contient ; il possède lui-même une virtus ¡activa et operativa ; il participe, il « travaille » à produire de l’être (locus igitur ad esse operatur)52. Et Albert s’empresse d’ajouter que cette vertu vient du ciel, que du ciel elle se transmet aux éléments, puis à leurs combinaisons. De cette façon, les pierres produisent dans leur giron toutes ces figures et tous ces fossiles que nous y découvrons ; de cette façon, le lieu en tant qu’il est capable d’une vertu (virtus) sera comparable à une « étoile seconde » (stella secunda), un être du ciel extra-physique et influent sur toute vie53. Albert le Grand avait suivi Aristote pour dire qu’il ne faut pas confondre locus et spatium, le lieu avec l’espace ; il l’avait encore suivi pour affirmer que le lieu n’est strictement réductible ni à la forme, ni à la matière54. Mais il le trahit lorsqu’il exige du lieu une capacité de morphogénèse. Le lieu, donc, ne fait pas que contenir : il est un principe de generatio, de mutatio, voire de transmutatio. Il est un principe de génération dont l’acte -aristotélisme et image divine obligent - sera qualifié ici de paternel :
« Il est prouvé que le lieu est un principe actif d’engendrement, comme on le dit du père. La cause de cela, c’est que toute chose localisée va à son lieu comme la matière va à la forme »55.
36Le lieu serait donc comme le creuset physique de la puissance céleste, paternelle et divine. Un pont a bien été jeté entre le terrestre et la métaphysique, mais il le sera aussi entre cosmologie et embryologie : Albert le Grand raconte le développement de l’âme humaine dans le fœtus comme il raconte la propagation du fiât lux originel dans la madère et les « choses susceptibles de génération ». Dans les deux cas nous retrouvons les idées de fluence et d’influence (fluxus, influxus), dans les deux cas la cause - paternelle, divine, lumineuse - s’écoule dans un réceptacle matériel, maternel : et de cette « infusion » le lieu tire sa puissance d’engendrement56. On sent ici combien toute l’interrogation philosophique sur l’idée de lieu aura pu concerner directement (et nous verrons plus en détail par quelles voies) une pensée théologique de l’Annonciation, une pensée qui cherchait le statut du lieu dans l’acte mystérieux de l’incarnation divine.
37Certes, la question restera complexe, obscure. Les modernes ont reproché au doctor universalis un manque de rigueur qui concerne précisément, quant aux problèmes du lieu et de la génération des formes, l’idée de matière et surtout celle de puissance57. Cette idée, Albert le Grand lui donne une extension formidable qui brouille peut-être, au bout du compte, toute logique conceptuelle ; mais elle ouvre aussi à toutes les audaces d’une pensée associative. Saint Thomas refermera partiellement le concept sur sa rigueur aristotélicienne, mettant pour ainsi dire chaque chose à sa place. Or, l’intérêt de la pensée d’Albert le Grand - et sans doute l’origine de son pouvoir de fascination, du xiiie au xvie siècle - aura été, justement, de diffuser les concepts en tous sens et à tous niveaux de réalités, exhibant la force d’une intuition translativa, plutôt que la rigueur d’une construction doctrinale. Lorsqu’Albert le Grand pose le problème du principe d’individuation - qui n’est pas sans rapport avec celui du lieu -, c’est-à-dire lorsqu’il cherche le critère fondamental qui distingue les êtres entre eux, il passe de la matière à la « matière incorporelle », de la matière incorporelle à ce qu’il nomme l’intellectus possibilis ; puis il revient en arrière, parlant de l’intellect comme d’un « principe matériel » (principium hyleale), disant qu’il se comporte « comme un lieu » (ut locus), ou bien « comme le diaphane » par rapport aux couleurs, voire « comme une image » (ut imago) de l’art humain... Mais cette série de glissements progressifs n’est pas dénuée de sens. On comprend au bout du chemin que tout cela donne la « diffusion » d’un concept-clef, un concept impossible à saisir clairement et qui pourtant organise toute la théologie chrétienne de l’incarnation : c’est le concept de personne ou d’hypostase58. Mais, pour l’appréhender, Albert le Grand aura sans doute plus agi en exégète - voire en poète -qu’en philosophe : il n’aura donné que d’infinis parcours de rapports, comme dans la Bible on passe d’une figure à une autre en tournoyant autour du mystère.
La figure EST le lieu
38Mais revenons aux puissances du lieu pictural proprement dit, revenons au lieu pictural de l’Annonciation, en particulier à ce pré verdoyant du corridor de San Marco où tout - l’architecture, les personnages - semble comme déposé. Ce lieu, on pourrait affirmer en termes albertiniens qu’il existait en face du regard dévot comme un lieu de mémoire du lieu d’incarnation. Devant la fresque d’Angelico, en effet, le dominicain du xve siècle ne faisait pas seulement en pensée le lien entre un espace de l’histoire et un lieu du mystère (mystère de l’engendrement du corps christique), c’est-à-dire le lien entre une réalité physique et son fondement surnaturel. Il faisait aussi un pont entre ces deux ordres de réalité et un troisième, qui était sa propre conscience imaginative et figurale : il se savait, en face de cette fresque, convoqué par un lieu de mémoire. On se rappelle le rôle immense qu’a joué Albert le Grand dans l’élaboration et la diffusion, au Moyen Âge, de l’ars memoriae59. Suivi par Thomas d’Aquin - qui en aura parachevé toute l’élaboration -, il a fait de son ordre religieux la terre d’élection d’un art des figures qui consistait, on le sait, à disposer des images « efficaces » dans des lieux appropriés à leur remémoration. L’art de la mémoire - façon, ici, d’appréhender l’antiquité du temps biblique de l’incarnation - se fondait explicitement sur la thèse magistrale qu’on ne se souvient pas par le temps, mais bien par le lieu :
« Étant donné que le temps de toute chose qu’on doit se remémorer est le temps passé, ce n’est pas le temps qui peut distinguer les choses à se remémorer ; ainsi il ne conduit pas à une chose plutôt qu’à une autre. Le lieu au contraire, surtout s’il est solennel [ou consacré : solemnis], distingue ces choses, puisqu’il n’y a pas qu’un seul lieu pour se les remémorer toutes, et il pousse à cela (movet) en tant qu’il est solennel et rare. En effet, l’âme adhère (inhaeret) plus fortement aux choses solennelles et rares ; et c’est pour cela qu’elles s’impriment (imprimuntur) plus fortement et émeuvent (movent) plus fortement »60.
39Lieu rare, solennel, voire « consacré » par sa fonction liturgique, la fresque d’Angélico est bien un lieu de mémoire. Sa vertu, sa puissance propres tiendront à sa capacité d’engendrer, chez qui la contemple, tout un réseau de figures où pourra se tisser une authentique mémoire dévote du mystère - et du « lieu » - de l’incarnation. Albert le Grand définissait le lieu de mémoire selon trois critères, que nous retrouvons précisément dans l’œuvre du peintre florentin. Le premier, c’est qu’un lieu ne relève pas de la simple « position » - par exemple : la maison de la Vierge était construite dans un jardin -, mais de la « disposition » des lieux et des images » (dispositio locorum et imaginum)61, c’est-à-dire un réseau, par exemple : la maison de la Vierge est à se remémorer comme si elle était construite dans le jardin du Paradis perdu par Eve, dans le jardin de l’agonie et de la résurrection de Jésus-Christ, dans le jardin d’un Paradis retrouvé... Le second critère, consécutif au premier, c’est que le lieu de mémoire n’est pas un lieu naturel : on pourrait dire que « l’âme le construit en elle pour conserver ou réserver l’image » (sibi facit anima ad reservationem imaginis) ; et elle a beau utiliser pour cela des « similitudes », celles-ci n’ont rien à voir avec quelque volonté descriptive que ce soit : car les similitudes ne servent pas ici à décrire, mais bien à transiter, par le jeu des associations, dans le temps62. La preuve de cela - et le troisième critère -, c’est que le lieu de mémoire ne s’attribue pas à un événement particulier ; autrement, dit saint Albert, les images proliféreraient et interféreraient dans l’âme pour y disparaître, « comme les ondes dans l’eau interfèrent entre elles lorsqu’elles sont nombreuses »63.
40Bref, c’est la simplicité même du lieu qui lui permet de faire réceptacle à la richesse des associations mémoratives et figurales. Comment ne pas repenser au jardin de San Marco ? A plus d’un titre, il fonctionne là comme un réceptacle, un lieu d’engendrement. D’abord, il supporte tout un réseau - topologique, tropologique -de figures incarnationnelles. Mais, plus précisément, les figures qu’il virtualise (le Paradis, la « fleur »-Nazareth, le Christ lui-même en tant que fleur) font de lui, si l’on peut dire, le réceptacle des figures du réceptacle du mystère... La formulation semble complexe, et cependant elle désigne, au bout du compte, quelque chose de très simple : elle désigne la Vierge. Et c’est ici qu’il faut comprendre en quoi le lieu ne se contente pas de virtualiser ou même d’engendrer des figures : il faut dire à présent comment la figure est le lieu dans l’ordre d’une mémoire du mystère de l’incarnation.
41Il faut donc encore une fois regarder ce lieu, ce jardin : bien qu’ouvert au regard, c’est un jardin fermé. Une haute palissade en semble défendre l’entrée. Et, tout à côté du point de fuite, la fenêtre de la petite chambre n’exhibera elle aussi qu’une verdure « grillagée », ouverte à la lumière mais fermée au passage physique de tout contact - sauf celui de l’ange ingressus, c’est-à-dire celui du Verbe divin qu’il transmet. La tradition iconographique de ce jardin clos - hortus conclusus - est immense64. Qu’est-ce que l’hortus conclusus ? C’est d’abord une citation biblique ; dans le Cantique des cantiques, le bien-aimé compare son épouse à un paradis fermé, un « jardin bien clos »65. Peu de textes vétérotestamentaires auront été plus commentés que celui-là par l’exégèse chrétienne de tous les temps. La raison en revient sans doute au fait que ce grand poème du corps, allégorisé, permettait aux théologiens de construire la grande préfigure énigmatique et merveilleuse du thème incarnationnel lui-même. C’est exactement ainsi que l’entendait déjà Hippolyte de Rome, dans son commentaire qui constitue le plus ancien témoignage d’une exégèse chrétienne du Cantique : ce qui y est célébré, disait-il, c’est l’amour du Verbe incarné et de l’Église66. Dès avant le milieu du iiie siècle, Origène avait déjà écrit trois commentaires du Cantique, dont le dernier comprenait dix livres en vingt-mille lignes environ : là encore, le « baiser de bouche », sur lequel rêvèrent tant de mystiques, désignait l’acte même de l’incarnation - chair et souffle divin mêlés en Jésus-Christ comme en un seul acte d’amour67.
42Un dominicain du Quattrocento pouvait encore lire ces anciens commentaires d’Origène, dans la traduction qu’en avait laissé saint Jérôme : car ils furent recopiés partout ; on les trouvait notamment à Florence et au couvent de Fiesole où Fra Angelico, on le sait, vécut de nombreuses années68. Mais Origène n’était que le premier maillon d’une chaîne considérable scandée, entre autres, par les noms de Grégoire de Nysse, Maxime le Confesseur (qui fut traduit en latin par Jean Scot Erigène), saint Ambroise, Augustin, Grégoire le Grand69... Celui-ci avait débuté son admirable Expositio in Canticis canticorum sur l’idée qu’on peut atteindre la pensée - la mémoire - du mystère à travers certaines images ou lieux corporels, à condition que ceux-ci soient pour ainsi dire unheimlichen, c’est-à-dire à la fois énigmatiques et familiers : telle est bien la figure au sens paulinien (ou dionysien) du terme, telle est l’allégorie, comme le dit ici Grégoire, à savoir une espèce de machine du sens qui nous fera transiter d’un sein de jeune fille vers l’amour de la divine incarnation :
« Depuis que le genre humain a été expulsé des joies du Paradis, entrant dans l’exil de la vie présente, il a le cœur aveugle (caecum cor) à l’égard de l’intelligence spirituelle. Si la voix divine (vox divina) disait à ce cœur aveugle : « Marche à la suite de Dieu » ou « Aime Dieu », comme on le lui a dit dans la Loi, désormais exilé, refroidi et engourdi dans l’insensibilité, il ne saisirait pas ce qu’il entendrait. Aussi, est-ce par énigmes que le discours divin s’adresse à l’âme engourdie par le froid et que, à partir des réalités qu’elle connaît, il lui inspire secrètement (latenter insinuât) un amour qu’elle ne connaît pas. L’allégorie offre en effet à l’âme éloignée de Dieu comme une machine (quasi quandam machinam) qui la fait s’élever vers Dieu. Par le moyen des énigmes, en reconnaissant dans les mots quelque chose qui lui est familier, elle comprend dans le sens des mots ce qui ne lui est pas familier, et grâce à un langage terrestre, elle est séparée de la terre. [...] De là vient en effet que dans ce livre intitulé Cantique des cantiques sont employés les termes d’un amour qui paraît charnel. [...] Dans ce livre en effet, on prononce le nom des baisers, le nom des seins, le nom des joues, le nom des cuisses [...]. Pourtant, par le fait même qu’il s’abaisse en parole, Dieu nous élève en compréhension : car c’est à partir du langage de cet amour-là que nous apprenons avec quelle force nous devons brûler de l’amour divin »70.
43Le Cantique des cantiques représentait sans doute, dans la Bible lue par les exégètes, le texte où se manifestaient au plus haut point les vertus allégoriques et anagogiques de la figure. Chaque « similitude corporelle », si ténue fût-elle, y était pour ainsi dire propulsée vers un sens mystique, ouvert, abyssal. On ne s’étonnera pas de constater que l’extraordinaire prolifération des exégèses du Cantique, au xiie et au xiiie siècles, s’est exactement identifiée avec la mise au point définitive des principes de l’allégorisme scripturaire71. Au xiie siècle, les commentaires de saint Ambroise et de saint Grégoire furent édités et amplifiés ; Anselme de Laon, Honorius d’Autun, Rupert de Deutz, saint Bernard, Guillaume de Saint-Thierry, Alain de Lille, Thomas Gallus ou Thomas de Cîteaux - tous produisirent au sujet du Cantique des commentaires, dont certains constituaient d’énormes compilations72. Au xiiie siècle, les exégètes dominicains furent légions73. Et même si les gloses d’Albert le Grand et de saint Thomas ont été, depuis, reconnues comme inauthentiques, elles ont joui jusqu’à la Renaissance d’un prestige considérable : prestige dont on retrouve l’écho chez le « maître » de Fiesole, Giovanni Dominici, qui exposa en 1398 les deux premiers chapitres du poème74.
44Lorsqu’un dominicain du Quattrocento se tenait devant le jardin de l’Annonciation, à San Marco, il se tenait donc devant un lieu de mémoire, à comprendre ici comme un réceptacle - ou une « machine » locale -capable de produire en lui tout un réseau de sens, un réseau d’allégories, de tropologies et d’anagogies du mystère. Le dominicain pouvait ainsi regarder ce jardin comme un jardin superlatif, un Jardin des jardins. Il y voyait bien sûr l’hortus conclusus chanté par Salomon en préfiguration de la naissance virginale de Jésus : jardin clos à raison de la virginité de Marie ; jardin fleuri à raison du printemps mystique où se forme le Christ-fleur. Regarder dans ce jardin le jardin du Cantique, c’était déjà méditer sur le mystère de l’incarnation75. Et si l’œil un instant s’arrêtait sur les petites fleurs rouges et blanches du jardin d’Angelico, il pouvait y reconnaître aussi la beauté de l’Épouse, rubea et lactea, rouge et lactescente76 - comme les joues de Marie sur la fresque elle-même.
45Qu’est-ce alors que ce jardin ? C’est un réceptacle de l’incarnation : c’est la figure de Marie. Le lieu, on le voit, ne se contente pas d’être un support des figures ; non seulement il est capable de les engendrer, mais encore, en les engendrant, il s’y identifie tout à fait. Lorsque nous nous demandons où est la Vierge sur la fresque d’Angelico, nous devons donc répondre ceci : elle est à droite comme figure-personnage de l’histoire ; elle est à gauche comme figure-lieu du mystère de l’incarnation, sous l’espèce d’un jardin clos, d’un jardin fleuri. Sa présence traverse ainsi toute la surface de la fresque. Il nous faut dès lors comprendre que lorsque Fra Angelico conviait le dominicain de San Marco à se tenir ante Virginis figuram, il désignait par là son œuvre tout entière comme un lieu mariai - lieu fécond et virginal tout à la fois, lieu ouvert et fermé, énigmatique et familier.
Marie réceptacle du virtuel
46Quand le mystère atteint les lieux, les objets ou les personnages familiers d’une histoire, tous les repères se mettent à vaciller. Lieux, objets et personnages n’auront peut-être rien perdu de leur évidence, de leur simplicité apparente ; mais les rapports, eux, auront définitivement perdu leur assise de signification : le vouloir-dire qui relie objets, lieux et personnages deviendra problématique, ou abyssal, ou aporétique. Telle est l’inquiétante étrangeté des lieux prophétiques dans l’Annonciation. Alors il faudra repenser toute la distribution des rôles, au-delà des deux personnages du dialogue « manifeste ». Disons qu’il y a trois personnages dans cet épisode crucial de l’histoire sainte : il y a d’abord la Trinité qui, son nom l’indique, est elle-même une énigme de l’un et du multiple. Elle agit cependant bien ici comme une seule et même instance, l’instance de la divinité. A ce titre, elle représente sans aucun doute le personnage essentiel de l’Annonciation : c’est elle l’agent de ce qui se passe, l’agent du miracle. C’est le Père qui envoie son Verbe, le Saint-Esprit qui féconde la Vierge, le Fils qui s’incarne en Marie. Or, le trait dominant de ce premier personnage consiste - on s’en rend souvent compte lorsqu’on regarde une Annonciation de Fra Angelico - dans son invisibilité. Il traverse donc l’histoire comme le diaphane traverse les couleurs : comme sa cause essentielle, et en même temps comme son essentielle altérité. Que la Trinité soit tout entière à l’œuvre dans l’Annonciation, et invisiblement, incirconscriptiblement, inénarrablement - voilà qui, en droit, devrait exiger du tableau une « sortie de l’aspect », une véritable mise en jeu de l’invisibilité : donc un travail extrême de la dissemblance.
47Le second personnage, Marie, est bien visible dans l’histoire, semblable à n’importe quelle femme, ou presque - disons : familière. Pourtant, nous venons de voir qu’elle traverse elle aussi le tableau comme une présence dissemblable, qui sait transiter entre l’aspect d’un corps et la surface d’un jardin clos. C’est que le rôle de Marie, dans l’Annonciation - au-delà de son rôle d’allocutaire - consiste à offrir le lieu de l’invisible, le lieu du mystère. Voilà pourquoi un jardin, peint comme surface d’effloraison, comme réceptacle, sait nous dire : je suis la Vierge. On comprend alors que le second personnage de l’Annonciation, sans pour autant relever du monde invisible, s’extrait lui aussi de tout aspect univoque, parce qu’il dialectise le visible et le virtuel, le visible d’une similitude terrestre et le virtuel d’un corps à venir, impensable, surnaturel, destiné à sauver le genre humain de la mort.
48Ce n’est pas un hasard si la liturgie dominicaine de l’Office de la Vierge incluait dans sa célébration l’hymne de l’incirconscriptible corps du Christ : « Celui que la terre, les mers et les airs ne peuvent contenir »77...
49Toute la glorification propre du corps de Marie revenait alors à chanter son « sein » - son utérus - comme lieu de l’incirconscriptible, réceptacle de ce qui n’a pas de limite78. Or, comment concevoir un tel lieu (lieu deux fois celé, dans la chair et dans le mystère) sinon à travers ce « raisonnement hybride » dont parlait Platon, à savoir quelque chose comme un rêve ? Ainsi peut-on dire que la mémoire du mystère exige en droit de tout tableau d’Annonciation une mise en jeu explicite de la rêverie et du fantasme : travail figurai du déplacement - Marie à droite comme personnage, Marie à gauche comme jardin -, travail de toutes les possibles condensations - jardin de Paradis, de naissance, d’agonie et de résurrection en même temps. A cette condition, donc, le tableau lui-même saura se faire réceptacle et lieu prophétique, autre manière de mettre en jeu - dans le visible - le dissemblable.
50Quant au troisième personnage, l’ange Gabriel, il joue à tous niveaux son rôle de messager, d’intercesseur. Il le joue d’abord entre Dieu et Marie : être céleste et resplendissant, il vient visiter l’humble servante du Seigneur. Il condescend à prendre l’humanus aspectus afin, dit-on, de se mieux faire comprendre. Son corps en restera pour toujours équivoque, entre une apparence humaine et la subtilité d’une matière glorieuse : façon, là encore, de mettre en œuvre une dissemblance. Saint Thomas insistait, dans son exégèse de la salutation angélique, sur le fait inouï - inouï dans tout l’histoire sacrée jusque-là - qu’un ange se fût incliné devant une créature terrestre79. Lorsque Gabriel dit à Marie Dominus tecum, il la consacre - il l’exalte, disait Albert le Grand - comme épouse et mère de Dieu : il la situe d’emblée au-dessus de tous les êtres angéliques, lui compris80. Puis, l’ayant exaltée jusqu’à l’empyrée, il se fait l’intercesseur entre elle, la Mère de Dieu, et l’humanité pécheresse, prêtant son apparence corporelle au geste liturgique de l’Ave Maria. Et c’est pourquoi les tableaux d’Annonciation tendent si souvent à mettre en jeu l’ange Gabriel comme un « axe tropologique » du regard dévot.
51Mais le personnage principal de ce grand rêve de peinture - même s’il n’est pas l’essentiel par sa dignité ontologique - restera la Vierge. Pourquoi elle ? Parce que, supérieure à l’ange du point de vue théologique, elle l’emporte sur la Trinité du point de vue imaginaire : elle jouit avant tout de cette visibilité nécessaire aux figures que n’a pas la Trinité comme telle. Le lieu central de l’Annonciation, donc, sera Marie - Marie comme lieu ou réceptacle de l’incarnation, dont le mystère domine tout. Marie comme centre, mais surtout comme centre diffus, comme locus translativus : car en elle l’invisible agite le visible, tel un vent de mystère, celui de la Trinité qui la féconde, celui surtout du corps virtuel qui vient ici l’habiter. Lorsque nous voyons la Vierge disproportionnée de San Marco, aussi grande, assise, que la colonne de sa maison ou que l’ange mi-debout, nous sommes mis en demeure de constater qu’en elle doit naître l’ombilic du rêve. L’exégèse dominicaine du xiiie siècle est d’ailleurs là pour nous confirmer dans cette idée que l’Annonciation, à partir de cette époque, fut pensée avant tout selon la perspective mariologique, la perspective du mystère de la maternité virginale81.
52Est-ce une raison, en regardant le jardin de San Marco, pour affirmer de manière aussi radicale - et fantasmatique - qu’il est la Vierge ? Ne suffirait-il pas de voir dans ce jardin une simple allusion iconographique, un attribut ? Non, car ce serait là édulcorer la dimension proprement fantastique de l’exégèse scripturaire. Nous disons que la figure est le lieu, que Marie est un jardin, en nous appuyant sur un faisceau de deux constatations : la première, c’est que l’hortus conclusus du poème de Salomon désigne exactement, chez de très nombreux auteurs, Marie en personne82. La seconde, plus importante, se réfère au chemin inverse : l’exégèse ne se contente pas de dire « le jardin, c’est (la figure de) Marie » ; elle dit aussi que Marie est elle-même un jardin. Voilà qui n’énonce pas tout à fait la même chose, car à présent les textes vont nous faire voyager dans ce jardin comme on visiterait le corps de Marie, à la dérive vers l’ombilic de ce grand rêve incarnationnel. L’espèce de réciproque entre la figure et le lieu tend aussi à se resserrer au point que surgisse, par-delà toute comparaison, quelque chose comme le corps d’une métaphore enfin réalisée - quelque chose comme une métamorphose. Alors, Marie devient réellement (si l’on peut ainsi nommer cet impossible) le lieu, elle devient ce jardin qui nous fait face.
53Les voies d’une telle métamorphose sont infinies, arachnéennes. On tentera cependant d’en suivre un fil à travers les écrits d’Albert le Grand. Qui s’étonnerait, à présent, de découvrir en notre doctor universalis -fasciné par le mystère des corps, fasciné par la question du lieu - le plus grand docteur mariai du Moyen Âge ?83. Les écrits sur la Vierge qu’on lui attribuait, à tort ou à raison, lièrent définitivement son nom à tout un univers de développements théologico-poétiques sur la maternité divine : ainsi lisait-on encore à la Renaissance, parmi la quinzaine de ses écrits traitant de la Vierge84, sa Biblia Mariana, son grand Mariale, de longs sermons ainsi que cette étrange « encyclopédie » mariale qu’on intitulait le De laudibus Beatae Mariae Virginis.
54Il s’agit d’un texte immense d’environ mille sept cents colonnes in quarto, organisé en douze livres, dont le premier est une explication de la salutation angélique, et le dernier un long développement en sept chapitres sur la Vierge comprise comme hortus conclusus : logique à elle seule éclairante. Entre ces deux chapitres extrêmes, nous aurons parcouru des centaines de pages sur les douze « privilèges » de Marie, sur ses trente-cinq vertus, sur sa beauté tant corporelle que spirituelle, sur ses treize noms propres... Puis, viennent cinq livres - totalisant à eux seuls quatre-vingt un chapitres - consacrés aux figures de Marie, ce par quoi l’on doit imaginer Marie pour appréhender les mystères et les vérités qu’elle porte en elle. Or, toutes ces figures ou presques sont des figures locales85 : au livre VII, Marie est désignée par douze figures célestes - Maria caelum, Maria firmamentum, Maria horizon, Maria lux, Maria nubes... au livre VIII sont recensées les figures terrestres de la Vierge - Maria terra, area, campus... - ; au livre IX, ses figures aquatiques - Maria fons, puteus, flumen... - ; au livre X, nous trouvons un catalogue des « lieux prophétiques », c’est-à-dire de tous les édifices bibliques préfigurant le corps de la Vierge, tels l’arche d’alliance, le trône de Salomon, le temple ou le tabernacle ; le livre XI est consacré aux figures de « remparts » et de navires - Maria castrum, Maria murus, Maria arca Noe... Et sur l’arche de Noé nous revenons, pour conclure, à l’ineffable paradis de Maria hortus.
55On entrera dans ce dernier livre comme dans un vrai jardin. Albert le Grand nous présente d’abord la généralité de ce lieu qu’il nomme un « monde en soi » de pureté (mundus in se... emundans)86. Il nous parle de ses propriétés bienfaisantes, passant du lieu irrigué à quelque chose qui devient progressivement un corps humoral, humide et « distillant » ses vertus dans la plus féconde sérénité87. L’exégète nous explique alors pourquoi Marie est un jardin qui se devait d’être clos : c’est parce qu’elle était fermée aux sens extérieurs - jouant sur les mots, Albert dira que sa bouche (os) était une porte (ostium) - ; parce que le péché ni Satan ne pouvaient l’atteindre ni la « déflorer », comme il dit ; parce qu’elle resta vierge avant comme après la naissance de Jésus-Christ ; et parce qu’enfin toutes ses beautés étaient en dedans d’elle (ut laterent ipsius [ = hortus] interiora pulcherrima)88.
56Nous voici à présent au seuil du jardin : Albert le Grand nous montre la clef qui ferme, mais qui saura ouvrir aussi ce qu’il nomme bien le genitale secretum de la Vierge : cette clef qui ouvre, dit-il, c’est la parole, le verbum-, c’est la parole divine ; c’est aussi le fiât mihi du consentement de la Vierge, cette bouche ouverte sur la mission divine ; et, plus près du quotidien, c’est encore la prédication, cette parole de la foi qui entre dans les cœurs comme une clef ouvre les portes89. Mais l’huis ne cessera de se reclore pour se rouvrir encore, chaque chapitre débutant avec la citation toujours identique du Cantique de Salomon : Hortus conclusus, soror mea, sponsa, etc. (« jardin, clos, ma sœur, mon épouse »)... Ainsi pénétrerons-nous à nouveau dans le fabuleux jardin : Albert le Grand passera en revue chacun de ses « délices », comme il dit - délices pour les yeux, délices surnaturels et au-delà de toute raison (supra naturam, supra rationem), délices de la lumière et de l’ombre, délices des aromates90.
57Enfin notre regard se fera plus précis, et nous comprendrons que ce jardin n’a existé que pour être fécond, ensemencé, « non à partir d’une semence virile, mais à partir d’un souffle mystique (non ex virili semine, sed mystico spiramine)91. Et c’est ainsi, mystiquement, qu’il faudra visiter ce jardin des délices, se pencher sur chaque fleur en laquelle nous pourrons reconnaître une flos-Christus ou une grâce de Marie, à la fois lis blanc et coquelicot rouge, hyacinthe ou violette, fleur dite finalement par Albert le Grand « omnicolore », multiple en toutes ses formes comme en toutes ses vertus92. Trente-trois sortes d’arbres ombrageront encore notre marche, depuis le cèdre du Liban, le palmier et le cyprès - cher à l’Angelico, signifiant la grâce céleste - jusqu’à la myrrhe et cette gutta qu’Albert le Grand nous donne en préfiguration des larmes de Marie devant la souffrance de son enfant crucifié93.
Le concept d’inhabitation
58Avant l’Annonciation, Marie, fille d’Anne et de Joachim, n’était qu’une mortelle plus vertueuse que les autres, un simple personnage de l’histoire que Luc, au début de son récit, présente simplement comme « une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph ». L’événement de l’Annonciation la consacrera comme l’habitation - mot, entre autres, d’Albert le Grand94 - des plus hauts mystères et des plus grands miracles que Dieu ait jamais réalisés depuis la création du monde. Lorsqu’elle prononce le fiât mihi secundum verbum tuum, la bouche de Marie se descelle, ses oreilles s’ouvrent comme un coffre au Verbe sacré, et sa matrice s’emplit tout à coup du corps de Dieu. Elle est ainsi devenue le lieu d’un trésor. Dans la Divine comédie, il suffira d’une seule lettre, u’ (valant pour dove, où) pour comprendre que le lieu, le lieu par excellence désigne ici la Vierge95. C’est pourquoi nous pouvons, dans le livre d’Albert le Grand, parcourir ce jardin comme un immense organisme, un réceptacle dans lequel chaque fleur nous parlera de l’être ou du destin de Marie, chaque senteur nous ramènera au mystère de l’incarnation. Il y a, dit Albert le Grand, des lieux qui reçoivent et qui donnent, mais qui ne savent pas « retenir » ce qu’ils contiennent : c’est le cas d’un aqueduc ou d’un canal ; il y a aussi des lieux qui reçoivent et « retiennent », mais ne savent rien donner, comme un vase, par exemple ; Marie, elle, était receptiva, dativa et retentiva tout ensemble, et c’est pourquoi Salomon la désignait encore lorsqu’il parlait de la « source scellée », la fons signatus du jardin96.
59Ces trois qualités affirment bien l’excellence du lieu compris comme réceptacle, comme virtus factiva et operativa. Mais le lieu n’est tel qu’habité par la puissance divine. Souvenons-nous du jeu des prépositions, dans les paroles de l’ange : « Le Seigneur est avec toi » (tecum) - « Tu as trouvé grâce auprès de Dieu » (apud Deum) - « L’Esprit Saint viendra en toi » (in te). Les commentateurs de saint Luc n’ont pas manqué de mettre ce mouvement « pénétrant » en relation avec le célèbre prologue de saint Jean, qui nous fait passer lui aussi du Verbe « auprès de Dieu » (apud Deum) à un Verbe descendant sur terre, se faisant chair et « habitant parmi nous » (habitavit in nobis)97. Or, sa première « habitation » parmi nous n’est autre que le corps de Marie. Franchissons encore un seuil, en bonne méthode exégétique, et relisons les prophètes : saint Thomas d’Aquin ouvre en effet toute sa Lectura in Ioannem - qui est une réflexion sur le Verbe-principe et le Verbe incarné - avec une vision d’Isaïe :
« Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé ; et toute la terre était remplie de sa majesté, et ce qui était au-dessous de lui remplissait (implebant) le temple »98.
60Comment là encore ne pas penser à l’incarnation du Verbe ? Dieu emplit la Vierge pour que naisse la chair du Christ, comme il a empli la terre pour que naisse la première chair, celle d’Adam. Tout le vocabulaire de l’incarnation - le préfixe in le montre assez - tourne autour de cette idée d’un lieu terrestre empli, rempli par la divinité. Dans l’Annonciation, Marie « reçoit » la parole pour s’en saturer l’esprit - tel sera son don de piété -et pour s’y retrouver enceinte : elle s’emplit d’un mystère spirituel, elle s’emplit d’un corps mystérieux99. Lorsque l’ange communique à Marie le processus surnaturel par quoi elle deviendra mère de Jésus-Christ, il lui dit que la divinité « viendra sur elle » mais aussi « en » elle - superveniet in te. Là encore, préposition et préfixe déplacent le sens : ce qui était dessus te couvrira, et ce qui te couvre viendra en dedans de toi. Tel est donc le miracle du lieu habité. En disant in te, explique Albert le Grand, « l’ange nous fait toucher (tangitur), par ce mode de parole, le lieu (locus) d’une si merveilleuse opération »100.
61Si d’autre part l’ange Gabriel commence son message avec les mots gratia plena, Dominus tecum, c’est encore une fois pour indiquer que la meilleure manière d’être « avec » Dieu ou « auprès » de lui consiste bien sûr à être pleine de lui, à tous les sens que peut prendre ce mot. Et les exégètes ne se sont pas privés de les décliner par le menu. Albert le Grand avait parlé d’une plénitude in summo, consacrant à peu près la moitié de son volumineux Mariale au commentaire de la seule expression gratia plena ; dans sa glose sur saint Luc, il filait la métaphore d’un trésor empli de douze espèces de pierres précieuses101. Thomas d’Aquin, lui, dans sa brève explication de l’Ave Maria, fut contraint de réduire à quatre les grâces reçues, rejaillissantes ou répandues de la Vierge Marie102. Quant à saint Antonin, il aura repris la grande tradition du style « fleuri », si l’on peut dire, en consacrant - sous l’autorité explicite d’Albert le Grand - douze chapitres de sa Somme à la « plénitude » de Marie : plenitudo in mente, plenitudo in ventre, in Christo, in Deo, etc, bref quelque chose comme une « omniplénitude »103.
62La vision d’Isaïe ne se contente pas de préfigurer les modalités de cette plénitude ; elle prophétise aussi le statut exact de ce qui est « couvert » et empli par la divinité. Que dit-elle ? Elle dit : la terre, et elle dit : le temple. Il nous reste donc à comprendre en quoi Maria locus fut une terre, et en quoi elle fut un temple. L’analyse de la théologie de saint Luc montre déjà que le récit de l’Annonciation fait partie intégrante d’une thématique visant à identifier Marie avec la « fille de Sion » de l’Ancien Testament104. Qui est la fille de Sion ? C’est la personnification du peuple élu, du peuple que Dieu choisit de « couvrir ». C’est un peuple, c’est une femme et c’est une terre tout à la fois - un mont de Jérusalem dont Dieu a fait le choix pour établir son « siège », sa « demeure » :
« Il élut la tribu de Juda
La montagne de Sion qu’il aime.
Il bâtit comme les hauteurs son sanctuaire,
Comme la terre qu’il fonda pour toujours »105.
63Telle est donc Marie au moment où l’ange vient la visiter. Le texte de saint Luc donne, dans ce que la Vulgate traduit par Ave, une allusion directe aux expressions vétérotestamentaires de la joie messianique. Ce kairé grec, il faut littéralement le traduire par : « Réjouis-toi ! » - parce qu’il répète tous ces livres prophétiques où l’on entend les réjouissances de la fille de Sion, lorsque Dieu « lève sa sentence » sur l’humanité, lui dit - comme l’ange à Marie - « ne crains pas », et enfin vient « habiter au milieu d’elle »106. Nous sommes là, bien sûr, au plus près du contenu eschatologique de l’Annonciation. Et ce que Dieu restaure, dans cette fin des temps, ne sera rien d’autre que le Paradis, l’hortus conclusus du poème de Salomon : cette terre, autrefois dévastée par le péché, à présent s’ensemence des fleurs de justice et des fleurs de louange... « Yahvé a consolé Sion, chante Isaïe, il a consolé toutes ses ruines, il a fait de son désert un Éden »107. Le corps de Marie nous parle donc d’un lieu revisité par la puissance et la bénédiction divines, depuis la chute originelle. Et la manière dont Dieu revisite la terre, c’est bien sûr de la rendre féconde, de faire du désert un jardin verdoyant...
64Terre vierge, terre féconde, Marie s’élève ainsi à la dignité suprême de constituer la demeure, ici-bas, de Dieu. Lorsqu’un lecteur de la Bible réfléchit à la phrase de Gabriel, « la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre » - il ne peut s’empêcher d’évoquer tous ces passages cruciaux de l’Éxode où l’ombre venait recouvrir le sanctuaire, « et la gloire de Yahvé emplissait la Demeure »108. La « demeure de Dieu » nomme cette partie de terre choisie, circonscrite, érigée en lieu sacré, en lieu fécond : c’est le temple. Parce qu’elle jouit du privilège unique de contenir la puissance du Très-Haut - obombrée par dessus, mais illuminée en-dedans -, Marie consacre son propre corps en temple vivant. Il sera même le temple par excellence, puisqu’il contient la présence « plus-que-réelle » de Jésus-Christ... Poèmes, traités dogmatiques, litanies ou sermons, tous les textes répéteront à satiété que Marie, la nouvelle Sion, se sera elle-même donnée, dans 1 e fiât mihi, comme le nouveau Temple, mais aussi la nouvelle Arche d’alliance - puisqu’elle enferme le Christ-législateur comme l’Arche enfermait les tables de la Loi109 -, le nouveau Tabernacle. Saint Jean, dans l’Apocalypse, verra descendre la Jérusalem céleste parée comme une épouse encore vierge, en entendant clamer une voix sublime : « Voici la demeure de Dieu », la skènè, le tabernacle (la Vulgate traduira : Ecce tabernaculum Dei)... Et ce ne sera là que gloire manifestée de Marie, la mère de Dieu, son réceptacle, sa demeure110.
65La théologie scolastique nomme inhabitatio ce rapport très particulier de la présence divine à un lieu (ou une créature) terrestre : en même temps au-dessus et en-dedans. Le grand développement de saint Antonin sur l’Annonciation commence avec l’exposé des trois mystères fondamentaux qui y coopèrent : mystère de l’incarnation (c’est le mystère principal, puisque le Verbe divin en constitue le sujet même), mystère du contrat de la parole (c’est-à-dire un mariage : contraction est matrimonium) - et enfin mystère de l’inhabitation divine en Marie, conséquence du contrat : « Ainsi Dieu peut-il inhabiter la Vierge » (licet ergo Deus inhabitaret Virginem), écrit Antonin111. « Inhabiter la Vierge », formulation littérale du verbe transitif, signifie que le mystère d’inhabitatio a bien Dieu pour sujet et Marie pour objet direct. Dieu y investit, y surinvestit même le lieu qu’il a choisi : car habitare existe déjà, eût suffi à exprimer l’idée simple d’un quelque chose dedans. Mais inhabitare dira beaucoup plus.
66On peut ici jouer sur l’antithèse du mot français, et dire que dans l’Annonciation la Vierge devient étrangement « inhabitée » : à la fois désertée de toute présence humaine, c’est-à-dire intacte, vierge à jamais - et en même temps transformée, entièrement touchée par la présence du divin. Saint Thomas disait qu’être « inhabité », c’est « toucher Dieu lui-même » (attingit ad ipsum Deum) tandis que Dieu nous touche112. Façon de signifier que la relation de contenu à contenant ne peut plus ici se penser en termes physiques - ou aristotéliciens ; que la substance des trois Personnes de la Trinité définit chez la personne « inhabitée » un mode d’être entièrement original, marqué bien sûr par le surnaturel. C’est le surnaturel de ce qu’on nomme la grâce sanctifiante, dont on sait que Marie fut toute remplie, avant que de recevoir (ce dont vraiment personne d’autre ne pourra se targuer) le trésor des trésors, le corps même du Sauveur. La notion technique l’inhabitatio suppose également - on ne s’en étonnera pas, s’agissant de l’Annonciation - l’idée d’une mission divine, l’espèce de grand trajet descendant par lequel Père, Fils et Saint Esprit seront venus se lover, si l’on peut dire, dans le giron virginal113, l’inhabitatio nomme donc le superlatif, l’au-delà de toute habitation physique : à la fois une habitation métaphysique - celle de la grâce spirituelle - et, s’agissant de la seule Vierge, une habitation « extraphysique », celle du corps christique, qui devait emplir Marie comme le plus ineffable des bienfaits.
67Interrogeant la mission du Saint Esprit - Spiritus Sanctus superveniet in te -, Thomas d’Aquin a soulevé un problème qui pourrait bien être crucial, s’agissant de la représentation picturale du colloque angélique : il se demande si l’inhabitation du Saint Esprit concerne, en quelque manière, le monde visible. « Convient-il au Saint Esprit d’être visiblement envoyé ? » - tel est le titre d’un article qui s’ouvre d’emblée avec l’objection que seule la nature humaine assumée par le Fils correspond à une mission divine « dans et par le visible ». Mais la conclusion argue de la dialectique invisibilia per visibilia, par laquelle l’invisible divinité se donne à entrevoir, dit saint Thomas, seulement « à travers quelques indices » (secundum aliqua indicia)114. On retire alors l’impression très nette que le concept d’indice fournit ici l’opérateur même - discret opérateur - du seul trajet possible entre l’invisible et le visible. Encore une fois, c’est la qualité fondamentalement virtuelle de l’indice qui permet d’ouvrir sa fragile visibilité vers la dimension - que nous nommons visuelle - d’un au-delà du monde visible.
68Mais de quels indices s’agit-il ? Saint Thomas, dans ce texte, ne donne pas vraiment d’exemple115. Moins de deux siècles plus tard, le peintre Fra Angélico disposera, lui, dans ses tableaux d’Annonciation, tout un semis d’indices qui nous ramèneront aux mystères conjugués de l’inhabitation et de l’incarnation : tels sont, dans la seule fresque du corridor, la présence des fleurs rouges dans le pré, la pièce vide du fond, la taille subtilement démesurée de la Vierge. Et l’on pourrait encore - avant de parler d’autres œuvres - avancer ce magnifique indice coloré : Fra Angélico, en face de l’ange aux ailes de claritas, a tout humblement vêtu sa Vierge de noir. Il a voulu réserver l’éclat et la richesse de l’azurite au manteau de la majestueuse Madone des ombres, qui trône un peu plus loin avec l’enfant-roi, dans le corridor occidental. Mais ici, avec une délicatesse infinie, le peintre dispose quand même l’azurite, de ci de là, pour marquer d’improbables rehauts lumineux sur le sombre manteau. Et ainsi l’humilité de l’Annunziata se sera colorée partiellement, en éclats, de subtils indices de gloire.
Trajets du virtuel
69Il y a, dans l’étrangeté azurée de ces replis, toute une géographie virtuelle, une géographie imaginaire du corps et des mille et une splendeurs spirituelles de la Vierge. Par la vertu de ses replis, Maria locus est d’abord le lieu du secret : partout on rend grâce à son don de taciturnité116. Mais ses lèvres closes, comme son manteau replié, donnent l’indice même du trésor qu’elle contient. Maria locus, Marie-réceptacle devient alors Maria thésaurus, trésor empli d’or, d’argent et de toutes les sortes de pierres précieuses dont Albert le Grand dressera pour nous l’imposant catalogue, qui revient à faire le détail de l’universitas virtutum, l’ensemble intégral des vertus de l’âme ; et cet ensemble nous éblouira, car il est, comme sera le jardin, omnicolore117. Mais la grâce principale de ce lieu, on l’a vu, consiste à fournir une demeure pour Dieu. L’excellence de Maria locus se fonde sur l’inhabitation du divin : c’est surtout Maria templum qu’il nous faut à présent visiter.
70Reprenons le trajet proposé par Albert le Grand avant qu’il ne nous ait porté au secret ultime du Paradis retrouvé. Arrêtons-nous donc au temple du dixième livre de cet immense recueil figuratif. Que Marie soit un temple ne surprendra pas le lecteur : l’idée est vieille comme la Genèse - à travers l’Éve « bâtie » par Dieu telle une demeure - et se perpétue, vivace, en pleine Renaissance italienne118. Mais l’intérêt de l’encyclopédie albertinienne tient en ceci que, depuis la vision globale du bâtiment jusqu’au moindre de ses détails, tout manifestera l’être ou les qualités propres de la Vierge, et ce avec une précision stupéfiante. Maria templum, nous y accédons par un escalier dont chaque marche figure déjà l’élévation des grâces virginales ; passer sous le portique nous révélera combien Marie nous domine, nous protège, nous embrasse ; le bénitier à l’entrée, la grande nef matricielle, la chaire, les portes fermées, les portes ouvertes, les hautes « fenêtres cristallines », chaque vase, urne, calice ou même « ampoule » - tout respirera la présence de Marie, selon une indifférence parfaite à la notion d’échelle spatiale119. Ici, tout est grand, tout est replié pourtant. Nous retrouvons, dans le trésor du temple, Maria thésaurus. Le trône, avec ses six marches, sera reconnu comme celui de Salomon, c’est-à-dire qu’il désignera encore la Vierge120. Et Marie sera fermée comme le tabernacle, et Marie sera ouverte comme les portes du ciel121. Au bout du compte, nous aurons parcouru chaque parcelle de ce temple comme si nous avions parcouru chaque vaisseau capillaire d’un même réseau sanguin - si cela était possible.
71Mais au possible l’exégèse n’est pas tenue. C’est à un impossible, au contraire, qu’elle se voue entièrement. Comment, à partir du temple, allons-nous retrouver la voie de la terre sacrée, la voie du Paradis ? Par exemple en nous arrêtant dans la bibliothèque que ne manque pas de posséder - tel un couvent dominicain - ce grand lieu imaginaire de la dévotion mariale. La bibliothèque, dira encore saint Albert, c’est Marie elle-même, car ce qu’elle portait en elle (le corps du Messie) réunissait le tout de l’Ancien et du Nouveau Testament ; car, douée de la science sacrée, elle avait la plus haute et complète connaissance des Écritures ; ainsi, lorsque saint Luc affirme que Marie « conservait en elle toutes ces paroles » (Maria autem conservabat omnia verba haec), il veut dire, selon Albert le Grand, qu’elle conservait le Verbe et toute parole sacrée comme une bibliothèque conserve chaque mot imprimé ou dévotement manuscrit122. Une autre comparaison vient alors, chemin faisant, à l’esprit de l’exégète : l’Écriture sainte et son mystère furent déposés en Marie comme le miel dans le rayon d’un essaim, dans la petite cellula d’une ruche, équivalente à la cellule où le moine se recueille en l’Écriture, équivalente encore à la matrice virginale qui recueillit comme un miel le corps à naître :
« Marie est une cellule, contenant en elle-même, caché (occultatum), le miel céleste, c’est-à-dire le Christ [...]. C’est pourquoi il est dit de lui, dans le Cantique, IV, Il : « Le miel et le lait sont sous ta langue » (sub lingua tua)... Ce qui revient à dire que le Fils de Dieu, en ses deux natures, fut « sous ta chair » (sub carne tua). Ou bien, sub lingua désigne le Verbe du Père. Ou bien, sub lingua désigne ce qui est replié (absconditum) dans l’utérus de la mère »123.
72Chaque livre saint, dans chaque rayonnage de la bibliothèque, s’ouvrira donc comme le réceptacle des figures de l’incarnation, tandis que la Vierge elle-même, recevant l’empreinte et la vérité du Verbe sera comprise comme un livre qui s’ouvre : Maria liber generationis, dira encore saint Antonin au Quattrocento124. Ouvrons donc le livre : chaque page y sera comme le « bloc-note magique » des puissances divines. Chaque mot y sera même susceptible de replier, dans la simple forme ou l’agencement de ses lettres, la totalité d’un mystère. Considérons par exemple la première indication de Marie, dans le récit de saint Luc : Et nomen virginis Maria, « et le nom de cette vierge était Marie »125. Pourquoi Maria ? Les exégètes répondront à l’aide d’une méthode qu’ils qualifient eux-mêmes d’interpretatio et de derivatio. Ils commencent par l’étymologie : « Marie », en hébreu, signifie l’étoile de la mer (stella maris), pour bien préfigurer à quel point la Vierge devait pour toujours guider l’humanité repentante - perdue dans le péché - comme l’étoile de la mer indique au navigateur son chemin dans la tempête. En langue syriaque, ajoute l’exégète, « Marie » signifie également la souveraine ou l’épouse (domina), elle qui sera tout à la fois épouse et mère de Dieu126. Et si Maria ressemble tant au mot myrrha, c’est évidemment pour marquer combien le corps de la Vierge préparait celui du Christ, non seulement à naître, mais encore à mourir dans l’onction sacrée de la myrrthe - la myrrhe amère, amara - déposée sur sa peau127.

Fig. 6. - Paolo di Giovanni fei, Annonciation,
Madone à l’Enfant et Crucifixion, Sienne, Pinacoteca Nazionale.

Fig. 7. - Anonyme siennois, Annonciation dans un M, Sienne, Osservanza, Antiphonaire des Heures diurnes et nocturnes du premier samedi après l’Épi-phanie au Samedi Saint, cod. 6, c. 299v, ca 1460-1470.
73L’exégèse dispose encore d’une méthode infaillible pour déplier le sens d’un mot : cette méthode se nomme litteratio, et Albert le Grand la présente exactement comme la « description » d’une créature sacrée d’après la forme des lettres qui composent son nom. Ainsi Maria recueille-t-elle toutes les qualités virtuelles du M (Mère, Médiatrice), du A (celle qui Adoucit - alleviatrix -, celle qui se fait l’« Arche de tous les trésors »), du R (la Reine, la Règle, celle qui Répare), du I (l’Illuminatrice, mais aussi le javelot - iaculum - lancé contre Satan) et, encore une fois, du A (celle qui nous Aide, se fait notre Avocate auprès de Dieu)128... Le comble de cette exégèse, qui emprunte évidemment sa méthode à la pensée juive, sera enfin d’élaborer une « littération » de Marie d’après l’orthographe hébraïque de son nom. Albert le Grand puis Antonin de Florence ont longuement rêvé sur la première lettre du nom de Marie. « Voyez avec quelle subtilité l’Esprit Saint a nommé la Vierge Maria, ouverte à Dieu mais fermée à l’homme », dit saint Antonin. Puis il explique que la langue hébreuse dispose de deux signes pour notre lettre M : il y a le men, ouvert en bas et fermé en haut, et il y a le mem, fermé en bas et ouvert en haut. C’est bien évidemment ce dernier signe que le subtil Esprit Saint aura choisi, de tout temps, pour faire l’initiale du nom de la Vierge129.
74Que conclure alors de ce jeu des formes et du sens ? Que la lettre du nom de Marie se contourne et se décrit comme le lieu le plus secret de son corps : le mem, ouvert en haut et fermé en bas, n’est rien d’autre que le genitale secretum, la description même des « viscères » de la Vierge, que le Verbe divin a désigné pour sa « réelle habitation » (viscera [...] realis habitatio Christi)130. Bref, la lettre ici dessine le lieu du mystère. La lettre d’un nom devient capable de fournir l’image la plus directe du mystère que porte en elle la créature douée de ce nom, de cette lettre. Le mem de Marie, c’est Marie comme lieu : c’est le jardin clos de son ventre, fermé en bas, ouvert en haut. L’exégèse a toujours déployé des trésors d’ingéniosité pour confondre - interchanger tout au moins - les représentations de mots et les représentations de choses. Le résultat de cette vocation à constamment déplacer aura été la mise en place progressive d’une fabuleuse machine de figurabilité, d’omni-figurabilité, aimerait-on dire. Déjà, saint Ambroise jouait sur les mots pour produire de l’image : aula (la demeure, le palais) résonnait avec aulaeum (le rideau), puis avec olla (l’urne) pour désigner la matrice de la Vierge131. Désormais, Albert le Grand fera jouer le mot utérus avec le mot ortus (barrière) et, bien sûr, avec hortus, le jardin - ce jardin que nous retrouvons enfin, bien qualifié ici par saint Albert de Paradisus voluptatis132.
75Comment alors ne pas supposer qu’une telle pratique - qui jamais n’opposait le discours à la figure - ait pu produire d’immédiates conséquences dans le champ des arts visuels ? La lettre, dans l’art médiéval, ce n’est pas seulement le phylactère que porte tel personnage, ou l’inscription qui court au bas d’une image. Ce peut être, à part entière, un lieu : il suffit pour cela d’évoquer l’inépuisable invention figurative des initiales enluminées. Si le tau de Jésus-Christ traverse explicitement toute la visibilité de l’art chrétien - à commencer par la croix qui le martyrise -, pourquoi le M de Marie, indice de son secret, n’investirait-il pas, lui aussi, l’espace de la FIG. 6 représentation picturale ? On le trouve en effet, quelquefois explicite en face du tau, comme le signe et le lieu tout à la fois de la maternité divine133. La récurrence des encadrements en forme de M, dans les diptyques du Trescento consacrés à la Madone, confirmerait déjà la prégnance de cette forme symbolique134.
76Mais qu’en est-il de l’Annonciation ? Ici, deux schémas se font concurrence et souvent coexistent : ce sont deux manières de penser la notion de symétrie, que suppose le colloque angélique. La première est ternaire ; elle autorise le dispositif à percée centrale ; on peut théologiquement l’investir d’un concept du lieu virginal en tant que réceptacle de la « Trinité tout entière »135. Mais la seconde, binaire, n’est pas moins prégnante : elle consiste à définir le locus de l’Annonciation par deux arcatures qui organisent toute la surface peinte selon le dessin général d’un grand M, pensable - ou, le plus souvent, par la répétition scolaire du schéma, impensé - comme un indice du nom de Marie. Ce dispositif est universel : on le trouve dans toute la peinture siennoise, chez Ambrogio et Pietro Lorenzetti, chez Taddeo di Bartolo ; on le trouve à Florence chez Lorenzo Monaco, Filippo Lippi ; plus tard, on le retrouve, déplacé comme « détail », dans l’omniprésence de fenêtres géminées bien mises en valeur, chez Ghirlandaio ou Pollaiolo, par exemple136. L’utilisation la plus explicite de ce formant pensé comme lettre vient évidemment de la miniature : dans les Annonciations intégrées à l’initiale M, nous pourrons ainsi regarder l’ange en lisant les mots Missus est ; et la Vierge - objet, lieu de la mission -, nous pourrons la regarder comme atteinte par le Verbe au lieu même de son propre nom, Maria. On imagine d’ailleurs sans peine qu’un dévot quelque peu exalté, sortant tout juste d’une lecture d’Albert le Grand, verrait apparaître, dans chaque gâble extrême de chaque polyptyque gothique, les deux jambages majestueux, facilement obsédants, du M de Marie.
77Quant à Fra Angelico, il n’aura pas cessé de jouer, si l’on peut dire, sur les deux tableaux. L’Annonciation du Prado - œuvre de jeunesse - joue certes, de face comme en profondeur, sur un rythme binaire ; mais il n’en sera pas de même avec les œuvres de la maturité. Là, le rythme ternaire - on aimerait dire « trinitaire » - joue régulièrement en profondeur, tandis que la frontalité affirme clairement les deux arcatures du lieu marial. Tel serait l’avantage supplémentaire du cadrage « déplacé » dont nous parlions à propos de l’Annonciation du corridor : restreindre le lieu « intime » de la Vierge à deux arcatures - c’est la limite subtile, le décrochement que marque une verticale tout près de la colonne centrale - et projeter celles-ci à l’avant du tableau, comme un emblème de l’espace réduit à son lieu : lieu signifiant et lieu du mystère tout à la fois137.
Notes de bas de page
1 Cf. L. Réau, Iconographie de l’art chrétien, PUF, Paris, 1955/59, II-2, p. 177. On trouvera des reprod. en couleur de l’Annonciation du corridor de San Marco et de l’Annonciation de Cortone dans A. Berne-Joffroy et U. Baldini, Tout l’œuvre peint de Fra Angelico, Paris, 1973, pl. LII-LIII et XXV.
* Extrait d’une communication présentée en octobre 1986 au colloque de Florence sur l’Annonciation en Toscane (Villa I Tatti/Institut français de Florence).
2 Cf. Albert Le Grand, Mariale, CLI à CLIV, éd. A. Borgnet, Opéra omnia, XXXVII, Vivès, Paris, 1898, p. 220-226. Cet écrit, dont le titre complet est Mariale, sive Quaestiones super Evangelium, Missus est Angélus Gabriel, est aujourd’hui rejeté par la critique comme ouvrage authentique D’albert Le Grand. Mais il était lu comme tel à la Renaissance. - Cf. également Thomas D’aquin, Expositio super salutationem angelicam, II-IV et XI, éd. et trad. an., Le Pater et l’Ave, NEL, Paris, 1967, p. 159-163 et 170-175.
3 Albert Le Grand, Manale, X (ed. cit., p. 25-26). - Cf. en général A. Legendre, « Nazareth », Dictionnaire de la Bible, IV-2, Letouzey et Ané, Paris, 1912, col. 1521-1542.
4 Thomas D’aquin, In Canticum Canticorum expositio, IV, Opera (édition Altera Veneta), I, Occhi, Venise, 1775, p. 465. Ce texte, dont l’attribution est également rejetée aujourd’hui, était lui aussi lu au Quattrocento comme authentique. - Cf., en général, E. Bertaud, « Hortus, hortulus », Dictionnaire de spiritualité, VII-1, Beauchesne. Paris, 1969, col. 766-784.
5 Cf. notamment Thomas D’aquin, Summa theologica, la, 102, 2.
6 Cf. notamment les Annonciations de Giovanni di Paolo (Washington, National Gallery of Art), du Maître de San Miniato (Florence, San Martino a Mensola) ou de Neri di Bicci (Florence, Santa Trinità). Pour une approche générale du thème, cf. E. Guldan, Eva und Maria, Eine Antithese als Bildmotiv, Böhlaus, Graz/Cologne, 1966.
7 Cf. Thomas D’aquin, Summa theologica, Ia, 102, 1.
8 Cet encadrement végétal rouge et vert sera repris dans toute la série des crucifixions peintes dans les cellules 15 à 22 du couvent.
9 Albert le Grand, De incarnatione, II, 1, 6, éd. I. Backes, Opera omnia, XXVI, Aschendorff, Munster, 1958, p. 178. - ID., De laudibus Beatae Mariae Virginis, XII, 4, éd. A. Borgnet, Opera omnia, XXXVI, p. 660-661 (œuvre également inauthentique : elle est une compilation mais, lue et relue comme un grand traité albertinien, elle a abreuvé toute la dévotion mariale du xive et du xve siècle).
10 Cf. E. Bertaud, « Hortus, hortulus », art. cit., col. 769. - On retrouve l’image dans les « sommes figuratives » du xiiie et du xive siècles, telle la grande Summa de exemplis et similitudinibus rerum de Giovanni Di San Gimignano [Giovanni Balbi], III, 85, De Gregori, Venise, 1499, fol. 155 v°-156 r°. - Dante, suivant les sermons de Bernard de Chiaravalle, introduit l’image dans la Divine Comédie (Purgatoire, XXX). Cf. E. Auerbach, « Figurative Texts illustrating certain Passages of Dante’s Comedia », Speculum, XXI, 1964, p. 474-489. Cf. également M. Levi D’ancona, The Garden of the Renaissance, Botanical Symbolism in Italian Painting, Olschki, Florence, 1977, p. 148-149 (citant saint Bernard).
11 Albert Le Grand, De laudibus, XII, 4, 2, (ed. cit., p. 653).
12 Cellule 34.
13 Luc, XXI, 44.
14 A la seule différence que les stigmates du Christ incorporent au rouge des fleurs ce fameux pigment de claritas : façon de dédoubler, en une seule tache de couleur, le statut du corps de Jésus, à la fois martyr et glorieux.
15 On pourrait peut-être rapprocher cet arbuste du daphné (fistula) considéré comme « similitude » de la Passion, à raison des fruits rouges qu’il porte. Cf. Thomas D’aquin, In Canticum canticorum expositio, IV (ed. cit., p. 466).
16 ID., ibid., IV (ed. cit., p. 474). - Tous ces termes reviennent aussi chez saint Bonaventure, Collationes in Evangelium s. Ioannis, XVIII, 62, Opéra omnia, VI, Quaracchi, Florence, 1893, p. 611-612. - Sur les rapports entre jardin et « rédemption de l’espace », cf. T. Comito, The Idea of the Garden in the Renaissance, Rutgers, New Brunswick (New Jersey), 1968, p. 149-187.
17 Cellule 31. Fra Angelico a lui-même disposé ce texte de l’Apocalypse, V, 9 (...et redemisti nos Deo in sanguine tuo) au bas de la Descente aux Limbes peinte pour l’armoire des Vases sacrés.
18 Cf. P. Francastel, La figure et le lieu. L’ordre visuel du Quattrocento, Gallimard, Paris. 1967, p. 53-54 et 144-145.
19 C’est ce qu’en d’autres termes énonce C.S. Peirce lorsqu’il écrit qu’« en contemplant un tableau, il y a un moment où nous perdons conscience qu’il n’est pas la chose, la distinction entre le réel et la copie disparaît [...]. A ce moment, nous contemplons une icône ». C.S. Peirce, Écrits sur le signe, trad. G. Deledalle, Seuil, Paris, 1978, p. 145.
20 Je renvoie, pour une problématisation théorique de la perspective, aux travaux importants de H. Damisch, réunis dans L’origine de la perspective, Flammarion, Paris, 1987.
21 C’est sur une telle hypothèse que se fonde tout le travail de S. Y. Edgerton, « Mensurare temporalia facit geometria spiritualis : Some Fifteenth-Century Italian Notions about Where and When the Annunciation Happened », Studies in Late Medieval and Renaissance Painting in Honor of M. Meiss, New York University Press, 1977, p. 115-130, ainsi que la contribution de W. Hood au colloque de Florence, « The Annunciations at San Marco in Florence », qui tente une « accomodation » semblable de l’espace liturgique et de l’espace naturel (« natural history », « illusionistic space », « credible architecture », « rational pictorial imitation of the visible world »).
22 Cf. Thomas D’aquin, Summa theologica, LA, 1, 10.
23 On pourrait dire également que l’image d’Angelico tient compte du cheminement effectué pour venir à elle, puisqu’elle apparaît au spectateur alors qu’il est en train de gravir l’escalier.
24 Comme le pense W. Hood, « The Annunciations at San Marco », art. cit.
25 Cf. L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science during the First Thirteen Centuries of Our Era, Columbia University Press, New York, 1923 (éd. 1958), II, p. 521-522. - Sur l’oeuvre d’Albert le Grand dans le domaine des sciences naturelles, cf. W.P. Eckert, « Albert der Grosse als Naturwissenschaftler », Angelicum, LVII, 1980, p. 477-495. - Et surtout J.A. Weisheipl (dir.), Albertus Magnus and the Sciences. Commemorative Essays 1980, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Toronto, 1980.
26 Cf. M. Grabmann, L’influsso di Alberto Magno sulla vita intellettuale del Medio Evo, STMD, Rome, 1931. - G. Federici Vescovini, « Su alcune testimonianze dell’influenza di Alberto Magno come “metafisico”, scienzato e “astrologo” nella filosofia padovana del cadere del secolo xiv : Angelo di Fossombrone e Biagio Pelacani di Parma », Albert der Grosse. Seine Zeit, sein Werk, seine Wirkung, De Gruyter. Berlin/New York, 1981, p. 155-176. - S. Wlodek, « Albert le Grand et les albertistes du xve siècle. Le problème des universaux », ibid., p. 193-207. - H.G. Senger, « Albertismus ? Überlegungen zur Via Alberti im 15. Jahrhundert », ibid., p. 217-236.
27 Cf. B. Nardi, « Raffronti fra alcuni luoghi di Alberto Magno e di Dante » (1922), Saggi di filosofia dantesca, La Nuova Italia, Florence, 1967, p. 63-72. - ID., « Il tomismo di Dante e il P. Busnelli S.J. » (1923), ibid.. p. 341-380.
28 Cf. E. Garin, Moyen Âge et Renaissance, trad. C. Carme, Gallimard, Paris, 1969, p. 247. - B.L. Ullman et P.A. Stadter, The Public Library of Renaissance Florence. Niccolo Niccoli, Cosimo de’ Medici and the Library ofSan Marco, Antenore. Padoue, 1972, p. 165, 192, 199-201 et 239-240.
29 Pour une liste détaillée et commentée des écrits authentiques d’Albert le Grand - sans compter, donc, les nombreux traités qui lui étaient attribués au Moyen Âge -, cf. W. Fauser, Die Werke des Albertus Magnus in ihrer Handschriftlichen Überlieferung, Aschendorff, Münster, 1982.
30 P. Duhem, Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, Hermann, Paris, 1913-1939, V, p. 412.
31 Cf. B. Nardi, « Raffronti fra alcuni luoghi di Alberto Magno e di Dante », art. cit., p. 64. - Sur le passage du détail au tout ou du miracle à la magie, cf. L. Thorndike, A History of Magic and Expérimental Science, op. cit., II, p. 535-536 et 548-560.
32 Cf. P. Duhem, Le système du monde, op. cit., V, p. 428-431. - F. Van Steenberghen, La philosophie au xiiie siècle, Publications universitaires, Louvain/Paris, 1966, p. 183 et 303. - ID., « Albert le Grand et l’aristotélisme », Revue internationale de philosophie, XXXIV, 1980, p. 566-574.
33 Cf. notamment A. De Libera, « Théorie des universaux et réalisme logique chez Albert le Grand », Revue des sciences philosophiques et théologiques, LXV, 1981, p. 55-74. - E. Wéber, « Langage et méthode négatifs chez Albert le Grand », ibid., p. 75-99.
34 Sur l’aristotélisme à la Renaissance, cf. E. Garin, « Le tradizioni umanistiche di Aristotele nel secolo xv », Atti e memorie dell’Accademia fiorentina di scienze morali « La Colombaria », II, 1947-1950, p. 55-104. - P.O. Kristeller, La tradizione aristotelica nel Rinascimento, Padoue, 1962. -C.B. Schmitt, Problemi dell’aristotelismo rinascimentale, Bibliopolis, Naples, 1985.
35 Cf. J.A. Weisheipl, « Albert’s Works on Naturai Sciences (libri naturatesi in Probable Chronological Order », Albertus Magnus and the Sciences, op. cit., p. 565-566. Le De natura loci est également appelé (notamment dans l’édition de Borgnet) le De natura locorum.
36 Aristote, Physique, IV, 208a.
37 ID., ibid., IV, 208b.
38 Cf. V. Goldschmidt, « La théorie aristotélicienne du lieu », Mélanges de philosophie grecque offerts à Mgr Diès, Vrin, Paris, 1956, p. 79-80.
39 Aristote, Physique, IV, 210a.
40 Cf. V. Goldschmidt, « La théorie aristotélicienne du lieu », art. cit., p. 84-86.
41 Aristote, Physique, IV, 209a-210a et 211b-212a.
42 Cf. V. Goldschmidt, « La théorie aristotélicienne du lieu », art. cit., p. 89-91.
43 Albert Le Grand, Physica, IV, 1, 1, éd. A. Borgnet, Opera omnia, III, Vivès, Paris, 1890, p. 240. - Cette conclusion peut d’ailleurs se déduire du texte même d’Aristote, dont « le schème dualiste du lieu est d’un usage strictement intramondain et inapplicable au Tout ». V. Goldschmidt, « La théorie aristotélicienne du lieu », art. cit., p. 101.
44 Augustin, Epistolae,137, cité par Thomas D’aquin, Summa theologica, IIIa, 31, 4.
45 Platon, Timée, 52b-c.
46 ID ibid., 58e-49a. Cf. également 52a-b.
47 ID., ibid., 49a.
48 Rêves sans aspect, rêves « porte-empreintes ». Cf. D. Lewin, « Le sommeil, la bouche et l’écran du rêve », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 5, 1972, p. 211-223. - P. Fédida, « L’hypocondrie du rêve », ibid., p. 225-238.
49 Platon, Timée, 50c-e. - Sur l’évolution du concept de lieu dans le Néoplatonisme, cf. S. Sambursky, The Concept of Place in Late Neoplatonism, The Israël Academy of Sciences and Humanities, Jerusalem, 1982.
50 Cf. Albert Le Grand, Physica, IV, 1, 1 (ed. cit., p. 240-241) : Loci natura cognitu difficilis : cum autem volumus tractare de loco, multae nobis incidunt dubitationes... Cf. également IV, 1, 10 (ed. cit., p. 258-261).
51 Thomas D’aquin, Summa theologica, IIIa, 31, 4. - Cf. également IIIa, 32, 4 ; IIIa, 2, 2-3 (l’union du Verbe incarné se fait-elle dans la Personne ? dans l’hypostase ?).
52 Albert Le Grand, De natura loci, I, 1, éd. P. Hossfeld, Opera omnia, V-2, Aschendorff, Munster, 1980, p. 2.
53 ID., ibid., (a caelo sit omnis virtus factiva et operativa...) ; I, 4 (ed. cit., p. 6-8) ; II, 1 (p. 23-24).-ID., Liber mineralium, I, 1,5, trad. angl. D. Wyckoff, Book of Minerals, Clarendon Press, Oxford, 1967. p. 21-23 et 32-35.
54 Albert Le Grand, Physica, IV, 1, 4-5 (ed. cit., p. 246-249) et 9 (p. 256-258).
55 Probatum est, quod locus est generationis principium activum quemadmodum pater. Cuius causa est, quod omne locatum se habet ad locum suum quemadmodum materia ad formam. Albert Le Grand, De natura loci, I, 1 (ed. cit., p. 1).
56 Cf. P. Duhem, Le système du monde, op. cit., V, p. 432-465. - L. Sweeney, « Esseprimum creatum in Albert the Great’s Liber de causis et processu universitatis », The Thomist, XLIV, 1980, p. 599-646 (en particulier p. 609-615). - A. Delorme, « La morphogénèse d’Albert le Grand dans l’embryologie scolastique », Revue thomiste, XXXVI, 1931, p. 352-360. - L. Demaitre et A.A. Travill, « Human Embryology and Development in the Works of Albertus Magnus », Albertus Magnus and the Sciences, op. cit., p. 405-440.
57 Cf. A. Delorme, « La morphogénèse d’Albert le Grand », art. cit., p. 358. - L. Sweeney, « Esseprimum creatum », art. cit., p. 644.
58 Cf. le commentaire de P. Duhem, Le système du monde, op. cit., V, p. 450-465 (qui cependant ne voit pas l’enjeu incarnationnel de toute la question).
59 Cf. F.A. Yates, L’art de la mémoire (1966), trad. D. Arasse, Gallimard, Paris, 1975, p. 73-82. - P. Rossi, Clavis universalis, Arti della memoria e logica combinatoria da Lullo a Leibniz, Il Mulino, Bologne, 1983, p. 36-47.
60 Cum tempus omnis memorabilis sit praeteritum, tempus non distinguit memorabilia et ita non ducit potius in unum quam in alterum. Locus autem praecipue solemnis distinguit per hoc, quod non omnium memorabilium est locus unus, et movet per hoc, quod est solemnis et rarus. Solemnibus enim et raris fortius inhaeret anima, et ideo fortius ei imprimuntur et fortius movent. Albert le Grand, De bono, IV, 2, 479, éd. H. Kühle et al., Opera omnis, XXVIII, Aschendorff, Münster, 1951, p. 250.
61 ID, ibid, IV, 2, 477 (ed. cit., p. 249).
62 ID, ibid, IV, 2, 477 et 479 (ed. cit., p. 250-251).
63 Imagines (...) confringunt se in anima et non manent, sicut undae multae confringunt se in aqua. ID, ibid, IV, 2, 480 (ed. cit., p. 251).
64 On la retrouve notamment dans les Annonciations florentines, chez Lorenzo Monaco (Santa Trinita), Neri di Bicci (Santa Maria Novella), Filippo Lippi (San Lorenzo). - Cf. en général R. Hughes, Heaven and Hell in Western Art, Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1968, p. 47-108.
65 Cantique des cantiques, IV, 12. La Vulgate traduit : Hortus conclusus soror mea, sponsa hortus conclusus...
66 Cf. A. Cabassut, F. Cavallera et M. Olphe-Galliard, « Cantique des cantiques : histoire de l’interprétation spirituelle », Dictionnaire de spiritualité, II-1, Beauchesne, Paris, 1953, col. 94.
67 ID., ibid., col. 95. - Cf. Origène, Homélies sur le Cantique des cantiques, I, 2, éd. et trad. O. Rousseau, Cerf, Paris, 1654, p. 63-64.
68 O. Rousseau, introduction à Origène, Homélies sur le Cantique, op. cit, p. 48.
69 Cf. A. Cabassut, F. Cavallera et M. Olphe-Galliard, « Cantique des cantiques », art. cit, col. 95-101. - Sur saint Augustin, cf. A.M. La Bonnardière, « Le Cantique des cantiques dans l’œuvre de saint Augustin », Revue des études augustiniennes, I, 1955, p. 225-237.
70 Grégoire Le Grand, Commentaire sur le Cantique des cantiques, 1-3, éd. et trad. R. Bélanger, Cerf, Paris, 1984, p. 68-71. -Notons que Grégoire le Grand applique également le terme de machina à la componction qui, elle aussi, élève l’âme vers Dieu (cf. Moralia, I, 48). L’équivalent grec mechanè était utilisé par Ignace d’Antioche pour désigner la croix sur laquelle on « élève » le Christ (cf. Aux Ephésiens, IX. 1).
71 Cf. E. De Bruyne, Études d’esthétique médiévale (1946), Slatkine Reprints, Genève, 1975, III, p. 30-71.
72 Notamment celui de Thomas de Cîteaux, qui occupe deux volumes entiers de la Patrologia Sériés Latina (CCIII et CCIV). - Cf. A Cabassut, F. Cavallera et M. Olphe-Galliard, « Cantique des cantiques », art. cit., col. 101-102. « A partir du xiiie siècle, aucun livre de l’Ancien Testament n’a été plus souvent commenté » (col. 101).
73 ID., ibid., col. 102.
74 ID., ibid., col. 103-104.
75 Cf. notamment le commentaire de Rupert De Deutz, In Cantica canticorum de Incarnatione Domini commentarium, P.L., CLXVIII, col. 896-901. - Cf. également V. Ermoni, « Cantique des cantiques ». Dictionnaire de théologie catholique, II-2, Letouzey et Ané, Paris, 1932, col. 1675-1680.
76 Cf. Honorius D’autun, Expositio in Cantica canticorum, P.L., CLXXII, col. 368.
77 Cité par A. Mortier, La liturgie dominicaine, Desclée de Brouwer, Paris, 1921-1923, I, p. 137.
78 Cf. Thomas D’aquin, Summa theologica, Illa, 31, 4.
79 Cf. Thomas D’aquin, Expositio super salutationem angelicam, 2 et 4 (ed. cit., p. 159 et 163).
80 ID., ibid., 11-13 (ed. cit., p. 170-175). - Albert Le Grand, Mariale, CLI à CLIV (ed. cit., p. 220-226).
81 Cf. M.E. Gössmann, Die Verkündigung an Maria im dogmatischen Verständnis des Mittelalters, Hueber, Munich, 1957, p. 150-170.
82 Cf. notamment E. De Bruyne, Études d’esthétique médiévale, op. cit., III, p. 33, qui cite Honorius d’Autun, Rupert de Deutz, Bauduin de Canterbury, Alain de Lille et Richard de Saint-Victor. - E. Bertaud, « Hortus », art. cit., col. 771-774, qui cite en plus Thomas de Cîteaux, Hugues de Saint-Cher, Denys le Chartreux, Philippe de Harvengt, et bien sûr Albert le Grand et Thomas d’Aquin. - La tradition orientale parle elle aussi de la Vierge comme d’un jardin : cf. T. Strotmann, « Le Saint Esprit et la Théotokos dans la tradition orientale », Études mariales, XXII, 1965, p. 84.
83 M. A. Genevois, Bible mariale et mariologie de saint Albert le Grand, Thèse, Angelicum, Rome, 1934. - M.M. Desmarais, Saint Albert le Grand, docteur de la médiation mariale, Vrin, Paris, 1935. - B. Korosak, Mariologia S. Alberti Magni eiusque Coaequalium. Academia mariana internationalis, Rome, 1954.
84 Sur l’authenticité des écrits mariologiques d’Albert le Grand, cf. B. Korosak, Mariologia S. Alberti Magni, op. cit., p. 1-67.
85 Cf. Albert Le Grand, De laudibus, X, 21 (ed. cit., p. 498-499) : Maria locus.
86 ID, ibid, XII, 1 (ed. cit., p. 625).
87 ID., ibid, XII, 1 (ed. cit, p. 600-636).
88 ID., ibid., XII, 1 (ed. cit., p. 605-607). - Ce thème est repris par Albert Le Grand dans les Sermones de Sanctis, XXXIII, éd. A. Borgnet, Opera omnia, XIII, Vivès, Paris, 1891, p. 544-545. - Et par de nombreux auteurs dominicains, notamment le Pseudo-Thomas D’aquin, In Canticum canticorum expositio, IV (ed. cit., p. 465). - Antonin de Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 5, éd. de Vérone, 1740, Akademische-Druck-u. Verlagsanstalt, Graz, 1959, IV, col. 936-941.
89 Albert Le Grand, De laudibus, XII, 1 (ed. cit., p. 607-608).
90 ID., ibid. XII, 1 (ed. cit, p. 625) et XII, 2-3 (p. 637-652).
91 ID., ibid, XII, 1 (ed. cit.. p. 611).
92 ID., ibid, XII, 4 (ed. cit.. p. 653-675).
93 ID., ibid, XII, 6 (ed. cit., p. 714-818). - Sur le cyprès, cf. également le Pseudo-Thomas D’aquin, In canticum canticorum expositio, IV (ed. cit., p. 466). - Sur les figures « végétales » de Marie dans l’Office dominicain de la Vierge, cf. A. Mortier, La liturgie dominicaine, op. cit., I, p. 138. - Sur le symbolisme végétal de la Vierge en général, cf. M A. Savoie, A « Plantaire » in Honor of the Blessed Virgin Mary Taken from a French Manuscript of the XlVth Century, The Catholic University of America, Washington, 1933.
94 Albert Le Grand, De laudibus, X, 12 (ed. cit., p. 492-493) : Maria habitatio.
95 Dante, Paradiso, VII, 31-33 : u’ la natura, che dal suo fattore/s’èra allungata, uni a sé in persona con l’atto sol del suo etterno amore.
96 Commenté par M.M. Desmarais, Saint Albert le Grand, docteur de la médiation manale, op. cit., p. 90-93.
97 Jean, I, 1 et 14. - Cf. A. Médebielle, « Annonciation », Supplément au Dictionnaire de la Bible, I, Letouzey et Ané, Paris, 1928, col. 262-263.
98 Isaïe, VI, 1. C’est le texte de la Vulgate, telle que la cite saint Thomas ; le texte hébreu dit seulement : « Sa traîne emplissait le sanctuaire ». Cf. Thomas D’aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, trad. M.D. Philippe, Amis des Frères de saint Jean, Versailles, 1978 (2e éd., 1981), I, p. 57-68.
99 Cf. L. Legrand, L’Annonce à Marie (Le, I, 26-38). Une apocalypse aux origines de l’Évangile, Cerf, Paris, 1981, p. 23, 85, etc. H. Barré, « Marie et l’Esprit dans la tradition occidentale jusqu’à saint Thomas », Études mariales, XXII, 1965, p. 95-96 (citant saint Ambroise) et 101 (citant l’homéliaire d’Alain de Farfa : Viscere puellae aura Sancti Spiritus replebantur... Replebantur, inquam, archana viscerum, Sacri Spiritus fecunditate repleta).
100 Albert Le Grand, Enarrationes in Evangelium Lucae, I, 35, éd. A. Borgnet, Opera omnia, XXII, Vivès, Paris, 1894, p. 98.
101 ID., ibid, I, 28 (ed. cit., p. 58-62). - M., Mariale, XXXIII à CLXIV (ed. cit., p. 70-246).
102 Thomas D’aquin, Expositio super salutationem angelicam, 6-9 (ed. cit., p. 164-171).
103 Antonin de Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 16-26 (ed. cit., IV, col. 1008-1120).
104 Cf. R. Laurentin, Structure et théologie de Luc 1-11, Gabalda, Paris, 1957, p. 150-163. - Position discutée par L. Legrand, L’Annonce à Marie, op. cit., p. 273-274.
105 Psaumes, LXXVIII, 67-69. Cf. également ibid., CXXXII, 13-14.
106 Isaïe, XII, 6. - Sophonie, III, 14-17. - Zacharie, II, 14 ; IX, 9, etc.
107 Isaïe, LI, 3. - Cf. également Ezéchiel, XXXVI, 35 ; Osée, XIV, 6-7 ; Isaïe, LXI, 11. - Et le commentaire de A. Robert et R. Tournay, Le Cantique des cantiques, traduction et commentaire, Gabalda, Paris, 1963, p. 179 (sur le Cantique, IV, 12).
108 Exode, XL, 34-35. - Cf. également ibid., XXXIII, 7-11, etc.
109 Cf. le sermon XLII attribué à saint Ambroise (P.L., XVII, col. 689), et cité par H. Lesêtre, « Arche d’alliance ». Dictionnaire de la Bible, I, Letouzey et Ané, Paris, 1894, col. 923. - On sait d’autre part que les litanies nomment souvent la Vierge Foederis area, l’arche d’alliance.
110 Apocalypse, XXI, 2-3. - Cf. R. Laurentin, Structure et théologie de Luc, op. cit., p. 160. -T. Strotmann, « Le Saint Esprit de la Théotokos », art. cit., p. 82-87.
111 Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 8 (ed. cit., IV, col. 958).
112 Thomas D’aquin, Summa theologica, la, 8, 3.
113 ID ibid., la, 43, 1-8 (notamment les articles 1 et 5) et IIIa, 32, 1. - A. Michel « Trinité (mission et habitation des personnes de la) », Dictionnaire de théologie catholique, XV-2, Letouzey et Ané, Paris, 1950, col. 1830-1855. - R. Moretti, « Inhabitation », Dictionnaire de spiritualité, VII, Beauchesne, Paris, 1971, col. 1735-1757.
114 Thomas D’aquin, Summa theologica, la, 43, 7.
115 Il parle certes, dans le sed contra, de la colombe du Saint Esprit. Mais on ne saurait appliquer l’exemple directement à l’Annonciation : la colombe dont parle saint Thomas - et tous les textes évangéliques - ne concerne que le baptême du Christ. Il faudrait alors considérer les innombrables colombes des Annonciations peintes non seulement comme des figurations de l’Esprit Saint, mais encore, et de façon plus orthodoxe, comme des préfigurations du baptême.
116 Cf. notamment Albert Le Grand, De laudibus, IV, 32 (ed. cit., p. 267-268).
117 ID., ibid, IV, 22 (ed. cit., p. 232-237).
118 Cf. H. De Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Aubier, Paris, 1959-1964, IV, p. 41-60. - Antonin De Florence, Summa theologiae, IIIa, 31, 4 (ed. cit., III, col. 1552-1557).
119 Cf. Albert Le Grand, De laudibus, X, 1 ; 7-8 ; 28-31 (arca, thronus, sedes, cathedra, tabernaculum, thalamus, domus, templum...) (ed. cit., p. 523-538, etc.).
120 ID., ibid, X, 8 (ed. cit., p. 456-477). - Sur la Vierge comme trône de Salomon, cf. A.D. Me Kenzie, The Virgin Mary as the Throne of Solomon in Medieval Art, Ph. D.. New York University, 1965.
121 Sur la Vierge comme tabernacle, cf. Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 10 et 14 (ed. cit., IV, col. 974-980 et 998-1008). - On ne peut ici manquer d’évoquer l’art médiéval des Vierges dites « ouvrantes » ; cf. E. Guldan, « Et Verbum caro factum est. Die Darstellung der Inkarnation Christi im Verkündigungsbild », Römische Quartalschrift für christliche Alterumskunde und Kirchengeschichte, LXIII, 1968, p. 145-169. - I.H. Forsyth, The Throne ofWisdom. Wood Sculptures of the Madonna in Romanesque France, Princeton University Press, 1972. - Sur Maria porta coeli, cf. Albert Le Grand, De laudibus, IV, 13 (ed. cit., p. 201). - ID., Mariale, CXLVII (ed. cit., p. 210-211). - Thomas D’aquin, Expositio super salutationem angelicam, 17 (ed. cit., p. 179). - Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 20 (ed. cit., IV, col. 1050-1066). - A propos de la formule Triclinium Trinitatis, écrite au bas de l’Annonciation d’Angelico, cf. D. ARASSE, « Annonciation/Enonciation. Remarques sur un énoncé pictural du Quattrocento », Versus. Quaderni di studi semiotici, n° 37, 1984, p. 10, note ; à quoi il faut ajouter ces deux sources plus directes : Albert Le Grand, De laudibus, III, 9 (ed. cit., p. 152-154) ; Antonin De Florence, Summa theologiae, Illa, 31, 4 (ed. cit., III, col. 1552-1557).
122 Cf. Albert Le Grand, De Laudibus, X, 18 (ed. cit., p. 497). La citation est de Luc, II, 19. - Que Marie contienne le « tout » de l’Écriture apparaît à l’évidence dans un autre écrit albertinien où chaque épisode de la Bible, depuis la Genèse, est présenté comme une figure de la Vierge. Cf. Albert Le Grand, Biblia mariana, éd. A. et E. Borgnet, Vivès, Paris, 1898, p. 365-445.
123 ID., ibid, X, 13 (ed. cit., p. 493).
124 Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 5 (ed. cit., IV, col. 936-940).
125 Luc, I, 27.
126 Albert Le Grand, Manale, XXIX (ed. cit., p. 61-63). - Thomas D’aquin, Catena aurea, Luc, I, Marietti, Turin, 1984, II, p. 13. - Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 14 (ed. cit., IV, col. 999-1001).
127 Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 14 (ed. cit., IV, col. 1001-1002).
128 ID., ibid., IVa, 15, 14 (ed. cit., IV, col. 1002-1008). - Cf. Albert Le Grand, Sermones, XIII, éd. A. Borgnet, Opera omnia, XIII, Vives, Paris, 1891-1892, p. 538. - A. Garreau, Saint Albert le Grand, Aubier-Montaigne, Paris, 1942, p. 75.
129 Antonin De Florence, Summa theologiae, IVa, 15, 22 (ed. cit., IV, col. 1087-1088).
130 ID., ibid., (col. 1088). - Cf. Albert Le Grand, De laudibus, I, 2 (ed. cit., p. 11-17).
131 Cité par H. Barré, « Marie et l’Esprit dans la tradition occidentale », art. cit., p. 95.
132 Albert Le Grand, De laudibus, II, 5 et XII, 1 (ed. cit., p. 113 et 602). - ID., Enarrationes in Evangelium Lucae, I 31, (ed. cit., p. 73-74).
133 Le schéma du diptyque de Paolo di Giovanni Fei se retrouve assez souvent au Trecento. Cf. par exemple le panneau attribué à Cola di Petrucciolo (Madone à l’enfant, San Marino, coll. Comte Dompé di Mondarco) dans E. Guldan, Eva und Maria, op. cit., fig. 146.
134 Cf. notamment pour la peinture siennoise, H.W. Van Os, Marias Demut und Verherrlichung in der sienesischen Malerei 1300-1450, Nederlands Historisch Instituut, Rome, 1969.
135 Cf. D. Arasse, « Annonciation/Énonciation », art. cit., p. 8-12.
136 Les exemples abondent encore dans le livre de G. Prampolini, L’Annunciazione nei pittori primitivi italiani, Hoepli, Milan, 1939.
137 Les paramètres de ce lieu ne se réduisent pas à la seule dimension de l’inhabitatio ici interrogée. Il y manque d’autres trajets et d’autres dimensions, avant tout la dimension de l’inchoatio - ou genèse des formes - et celle de l’incorporano. Je me permets de renvoyer, pour l’intégralité de cette analyse, au livre à paraître : Dissemblance et figuration. Les lieux du mystère dans la peinture du Quattrocento, Flammarion, Paris, 1990.
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