Les noblesses dans la Constitution de l’Italie contemporaine
p. 29-48
Texte intégral
1Il n’y a pas si longtemps, les historiens italiens ont incidemment abordé le thème de la noblesse à l’époque contemporaine en examinant les caractères « traditionnels » de la structure sociale du pays, dont un indice consisterait en certaines persistances aristocratiques, voire « féodales ». Ce n’est que rarement qu’ils se sont attardés sur les différents profils des groupes nobiliaires et sur la nature du clivage entre qui est noble et qui n’est pas noble. En général, ils ont attribué la qualification de noble sur la base de la notoriété publique ou de la mention de quelque titre à côté du nom, ou bien en s’appuyant sur les listes officielles de la noblesse qui, dans le cas italien, ne furent établies que très tard, au XXe siècle, avec des critères que j’examinerai plus loin.
2Je considère en revanche que la définition dudit clivage sur des bases formelles et institutionnelles constitue un pas essentiel pour faire avancer la discussion. Cela vaut pour l’appartenance à un quelconque groupe social, appartenance qui ne peut être déterminée de façon générale ni en discutant chaque cas, en appliquant peut-être à chacun de ces cas des variables de natures diverses. Mais cela est particulièrement vrai dans le cas de la noblesse dont l’existence dans la société contemporaine est liée à des définitions passées, reprises de différentes manières dans les institutions contemporaines. En principe, il est évident que dans les sociétés contemporaines les ordres nobiliaires n’ont aucune importance institutionnelle, puisque la civilisation postrévolutionnaire se définit par le dépassement du système des ordres et donc par la disparition des privilèges institutionnels liés à l’ordre. Il y a lieu de rappeler que, selon de nombreux observateurs, c’est justement la suppression des barrières formelles des ordres qui aurait accentué l’importance des distinctions informelles qui caractérisent la société contemporaine et renforcent des valeurs, des comportements et des marques de standing d’une ascendance nobiliaire dans la société bourgeoise, comme par exemple les bonnes manières, les circuits exclusifs de la sociabilité, la possession de biens que l’on remarque, la vie mure nobilium, le fait même de connaître le passé de sa propre famille, etc. Or, tout cela ne définit pas la noblesse en tant que telle et ne distingue pas non plus spécifiquement l’époque contemporaine. Les conflits autour des marques de standing furent très vifs également dans les sociétés d’ancien régime, peut-être encore plus aigus que dans les sociétés actuelles, si l’on pense aux lois somptuaires, à l’importance de l’étiquette ou au cérémonial, etc. Ce qui distingue les sociétés contemporaines est par contre le fait que les différences de standing n’ont pas d’importance légale et que les stratifications sociales construites sur ces différences ne contribuent plus à définir la distribution formelle du pouvoir et à forger les constitutions politiques.
3S’il est donc évident que dans les sociétés contemporaines le clivage entre nobles et non-nobles devient très ambigu, c’est justement pour cette raison que le legs d’époques antérieures devient important comme instrument de déchiffrement de nouvelles stratifications. C’est pourquoi je considère la difficulté de définir ce clivage dans le cas italien comme une particularité de la société italienne, qui pèse sur son histoire contemporaine.
4C’est donc sur cet aspect que je concentrerai aujourd’hui mon attention. D’abord, je démontrerai l’absence d’une identité institutionnelle de la noblesse dans la Constitution italienne du XIXe siècle ainsi que le peu d’importance que la noblesse, dans sa définition générale, se voit attribuer dans la vie politique, économique et sociale, bien que le pays comporte de nombreuses caractéristiques non modernes. Voilà, à mon avis, un indice de l’unification manquée des élites au cours des époques passées, qui se reflète également sur les événements contemporains. Dans cette perspective, j’aborderai, dans la deuxième partie de mon exposé, les efforts accomplis aux XIXe et XXe siècles pour donner une définition des hiérarchies nobiliaires passées, et soulignerai le rôle joué dans ce domaine par le régime fasciste qui chercha à conférer à la noblesse un profil constitutionnel plus fort que celui qu’elle avait eu pendant la période libérale.
NOBLESSE, MONARCHIE ET SOCIÉTÉ PENDANT LA PÉRIODE LIBÉRALE
5Commençons donc à réfléchir sur l’insignifiance constitutionnelle de la noblesse dans le régime libéral. Quand nous parlons d’une société postrévolutionnaire qui a aboli l’ordre des états, nous savons que nous nous référons surtout au cas français. Or, lorsque l’on considère le cas italien, ce qui frappe à première vue, c’est la réplique intégrale du modèle français. En Italie, nous avons une Constitution et une législation qui ignorent complètement le phénomène nobiliaire. Cela fut déjà souligné de façon efficace par Giorgio Rumi, il y a quelques années : « La situation qui se profile au moment de la fondation du Royaume est complexe, à la limite de l’ambiguïté. » Le jeune royaume « a une attitude singulière à ce sujet ». En effet, l’article 79 du Statut, emprunté, comme une grande partie du texte, aux Constitutions françaises de la Restauration, dit que « les titres de noblesse sont conservés à ceux qui y ont droit. Le roi peut en conférer de nouveaux », mais il n’y a ensuite pas d’autres signaux dans la même Constitution ou dans la législation ultérieure, qui accordent de l’importance à la nouvelle noblesse. Cela ressort non seulement de ce que l’article 24 de la Constitution rend tous les regnicoli (« ceux qui appartiennent au royaume ») égaux devant la loi « quel que soit leur titre ou grade », mais aussi de ce que la qualité nobiliaire n’est pas comprise dans les catégories d’accès au Sénat, que la noblesse n’existe pas dans l’ordre des préséances à la Cour où il n’y a ni corps noble, ni « gardes du corps ». En outre, la condition nobiliaire n’est ni le préalable ni la conséquence des plus hautes reconnaissances que l’Etat confère. Pour souligner la continuité dynastique entre le royaume de Sardaigne et le royaume d’Italie, les ordres chevaleresques des monarchies révolues furent supprimés et leurs biens confisqués. En revanche, on conserva les seuls anciens ordres savoyards, l’ordre suprême de l’Annonciade (Santissima Annunziata) et l’ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare ainsi que les deux plus récents l’ordre militaire de Savoie (1815) et l’ordre civil de Savoie (1831) auxquels s’ajoutèrent peu à peu l’ordre de la Couronne d’Italie (1868), l’ordre chevaleresque du Mérite du travail (1898) et l’ordre colonial de l’Étoile d’Italie (1914). Avec le temps se perd tout lien entre la condition nobiliaire et ces décorations, qui tendent plutôt à récompenser le travail et la production et se retrouvent en effet plus tard dans le régime républicain. Or, il est remarquable que dès le début, et également en ce qui concerne les ordres chevaleresques les plus anciens et les plus prestigieux, le lien avec la condition nobiliaire ait été totalement absent, de sorte que, comme l’écrit Rumi, « Giolitti, Saracco et Zanardelli par exemple, seront “cousins du roi” (sans parler de Benito Mussolini) sans égard pour la condition nobiliaire : fait certainement unique dans les monarchies européennes de l’époque » (Rumi 1988 : 578)1.
6Ce phénomène exige une explication parce que la monarchie unitaire souligne avec emphase, à de très nombreux égards, les éléments de continuité avec le passé, à commencer, comme chacun sait, par le fait de ne pas vouloir apparaître comme une dynastie nouvelle et donc de vouloir conserver le numéral sarde, de sorte que le premier roi d’Italie fut Victor-Emmanuel II et non pas Ier comme certains le réclamaient. Mais, bien d’autres éléments suggèrent une incohérence entre, d’une part, les nombreux aspects de modernité institutionnelle qui caractérisent la Constitution politique et les lois civiles et pénales et, d’autre part, les aspects de conservatisme ou de retard qui, par contre, caractérisent l’économie, les mœurs et la société en général. Nous nous référons à des indices communs et bien connus qui amènent à souligner la persistance, dans le Midi, de rapports sociaux pratiquement « féodaux », le traditionalisme de toutes les classes dirigeantes et de la société dans son ensemble caractérisée par la prééminence absolue d’un secteur agricole peu développé, et partant de valeurs patriarcales diffuses, phénomènes tous longuement discutés par l’historiographie italienne, qui feraient penser à un milieu propice au phénomène nobiliaire.
7Les historiens qui se sont proposé d’évaluer le poids de la noblesse dans la société italienne contemporaine ont fait référence à ce caractère retardataire de la réalité sociale. Mais, ce « traditionalisme » ne trouve pas de confirmation dans les sondages réalisés sur le poids de la composante nobiliaire dans la vie politique, dans l’administration, dans l’armée, dans la production, etc. Une synthèse de ces résultats a été réalisée par Alberto Banti qui a procédé à une confrontation de ces données avec des statistiques similaires établies pour d’autres pays européens. Reprenant certaines études de politologues, il a surtout rappelé que « du point de vue politique, la présence des nobles à la Chambre oscilla entre un maximum de 29,4 % dans la première législature du royaume d’Italie (1861) et un minimum de 22,7 % en 1876, tandis qu’en 1896 le pourcentage était remonté à 25,7. Au gouvernement, par contre, les nobles eurent une importante représentation pendant la période de la droite (43 %), qui s’effondra spectaculairement par la suite, de 1876 à 1903 (16 %), alors que de 1903 à 1913, elle remonta de nouveau légèrement (20,6 %) » (Banti 1994 : 17)2. Il s’agit de pourcentages semblables à ceux de la IIIe République française, bien loin de ceux de l’Allemagne ou de l’Angleterre à la même époque.
8Si nous passons de la politique aux différents secteurs de l’administration publique, nous remarquons d’abord que les nobles en tant que tels ne manifestent aucune vocation pour le service d’État qui, de son côté, ne confère aucun prestige aux grandes familles. Ce n’est pas un hasard si les études sur le haut fonctionnariat n’ont pas accordé d’attention à ce problème, bien que, si l’on parcourt les listes des hauts fonctionnaires – par exemple des préfets –, on puisse relever divers noms titrés (Gustapane 1984)3. En examinant le statut social d’un échantillon de soixante-cinq directeurs généraux et chefs de division du ministère de l’Intérieur entre 1870 et 1899, Nico Randeraad a constaté que « la bureaucratie italienne a eu, par rapport aux bureaucraties française et allemande de la même époque, un caractère fondamentalement bourgeois. L’entourage et la tradition du ministère de l’Intérieur étaient même méfiants vis-à-vis de l’aristocratie » (Randeraad 1989 : 211)4. Une comparaison avec certains pays européens, notamment l’Allemagne, est à cet égard révélatrice et met en relief une véritable particularité nationale. Toujours en termes statistiques, ce n’est que dans le corps diplomatique, traditionnellement plus proche de la Couronne, que « la présence nobiliaire fut appréciable : pendant la période de 1861 à 1915, les diplomates nobles représentèrent 43,2 % du nombre total, avec une pointe de 65 % parmi les diplomates en service à l’étranger ». Si l’on considère ensuite que l’un des éléments qui traditionnellement définissent la noblesse à l’époque moderne est le service militaire, il est frappant que le poids nobiliaire dans les rangs de l’armée « ait même été, comparativement plus réduit : les officiers nobles représentèrent 39,7 % du total en 1863, 35,4 % en 1872 et 33,6 % en 1887 » (Banti 1994 : 18)5. Là aussi, ce sont des pourcentages qui ressemblent au cas français, mais sont incomparables avec les pourcentages allemands ou anglais.
9L’examen des groupes d’entrepreneurs industriels, de la haute finance et des membres des professions libérales aboutirait à des conclusions presque identiques. Les historiens italiens n’ont pas prêté grande attention au rapport entre entreprise industrielle et noblesse. Pour le faire, il faudrait d’abord s’interroger sur le profil social des groupes nobiliaires et noter que dans les régions mêmes – telle la Lombardie – où se concentrait le développement industriel, les différences entre les aristocraties et les élites bourgeoises orientées vers les activités civiles et l’économie agricole au lieu du service de l’État étaient faibles. Il s’agit, dans l’ensemble, de groupes bien présents dans le secteur industriel, particulièrement dans celui du textile, qui leur procure parfois des titres nobiliaires. Toutefois, il est probable que dans le cas des noblesses plus anciennes et « authentiques » même en Lombardie continuait à peser encore tout au long du XIXe siècle l’aversion pour l’activité manufacturière qui les avait caractérisées au cours du siècle précédent6. Nous savons également que, dans d’autres pays européens, l’aristocratie foncière, sans s’engager directement dans l’entreprise industrielle, apporta une contribution substantielle au développement du système financier et bancaire. Bien qu’en Italie aussi certaines élites aristocratiques, par exemple celles de Toscane, eussent des perspectives de ce genre (Coppini 1976, 1988, 1993 ; Moroni 1997 ; Kroll 1999), il est clairement démontré par une très vaste recherche qui a enregistré, pour la période 1853 à 1878, les 3 465 noms des porteurs de paquets d’actions d’une valeur de plus de 10 000 lires et des membres des conseils d’administration des sociétés par actions, que l’initiative financière fut pour l’essentiel de nature bourgeoise et que la contribution des nobles fut réduite (Polsi 1993).
10En ce qui concerne la profession d’avocat, on a relevé que, déjà vers 1800, avait pour ainsi dire complètement disparu le lien, remontant à l’Ancien Régime, entre corporations d’avocats et noblesse, lien pour lequel, dans le passé, « les corporations d’avocats et certains groupes d’avocats, qui provenaient de cercles déterminés de la bourgeoisie patricienne citadine et avaient été cooptés dans cette classe, avaient été considérés comme patriciat ou noblesse de robe ». Dans ce cas aussi, une comparaison internationale est extrêmement révélatrice, si l’on pense au caractère aristocratique de la profession d’avocat en Prusse. « Du point de vue du recrutement social, le barreau n’avait certainement plus la connotation de contrainte “nobiliaire”. À cette époque-là, dans les régions de l’Italie du Nord et du Centre où l’ordre nobiliaire et le patriciat étaient relativement nombreux, seul un dixième des avocats provenait de la noblesse » (Siegrist 1992 : 161)7.
11Je ne crois pas qu’il soit utile de développer plus avant ce type de vérification. Si l’on se limite à mesurer la présence de nobles dans les diverses institutions ou dans les diverses professions, on ne trouvera que la confirmation de la présence peu nombreuse de la noblesse, ce qui contraste avec le profil conservateur de la société italienne dans son ensemble. Ne paraît pas moins résolutive une autre étude récemment développée, celle qui est relative aux formes de la sociabilité. Dans ce cas aussi, l’étude des clubs ou des cercles n’a pas mis en relief de ruptures claires de classe, ni une quelconque suprématie des associations aristocratiques8.
REPRÉSENTATION DE LA NOBLESSE DANS L’ITALIE UNIFIÉE
12Il existe par ailleurs d’autres études qui, bien qu’elles ne soulèvent pas le problème de la définition institutionnelle du phénomène nobiliaire, discutent de sa signification d’une façon que l’on pourrait qualifier d’indirecte, dans la mesure où elles considèrent implicitement un certain nombre de valeurs et de comportements sociaux comme propres à la noblesse, et vérifient ensuite leur diffusion dans les mœurs de l’époque.
13Les historiens de l’époque contemporaine n’ont en général guère de familiarité avec la complexité de l’histoire de la noblesse européenne au Moyen Âge et à l’époque moderne. C’est peut-être un avantage car cela les conduit à adopter certains types idéaux simplifiés hérités de la tradition culturelle, lesquels, même s’ils peuvent être historiquement inexacts, correspondent en de nombreux cas à l’idée générale que la société du XIXe siècle avait des caractères nobiliaires. Il me semble qu’on peut utiliser en ce sens les valeurs synthétiquement énumérées par Jean-Pierre Labatut dans son œuvre sur les noblesses européennes modernes (Labatut 1978) :
I. La naissance et la famille, en tant qu’idée de durée, de continuité du nom et du patrimoine ;
II. L’honneur et le service des armes, plus proche du profil « féodal » et chevaleresque de la noblesse, qui met l’accent sur la fidélité, le sens de la hiérarchie, l’obéissance au souverain, et qui est lié à :
1. L’exercice privilégié de l’autorité et du pouvoir politique, tant au niveau de l’État et de la nation que sur le plan local-territorial, qui à son tour est lié à :
2. La richesse foncière, dans son double aspect économique (qui réserve à la noblesse la grande richesse) et social (qui confère aux nobles l’exercice d’une autorité naturelle, charismatique, sur la communauté locale). On pourrait leur ajouter la distinction qui naît de l’appartenance à une « sociabilité » restreinte et exclusive, laquelle se manifeste dans le contrôle des espaces sociaux, dans la stricte conformité à certaines normes de comportement, dans l’endogamie, etc.
14Maintenant, si l’on considère d’abord les aspects politico-militaires de ce modèle, il faut souligner que ces derniers se développent en liaison avec l’édification d’États absolus, centralisés autour de la prééminence d’une maison régnante. Si l’on exclut le cas de la Pologne – qui, sous tous les aspects, est une exception qui confirme la règle car il conduit à la désagrégation anarchique qui efface la nation de la carte politique de l’Europe –, partout les institutions nobiliaires se développent dialectiquement par rapport à des dynasties fortes. Ce que nous avons remarqué plus haut sur l’inconsistance « statistique » – sur le plan politico-militaire – de la noblesse italienne dans une société traditionnelle sous bien des aspects, ne pourra être compris qu’à la lumière de l’absence totale de tradition dynastique dans toute l’histoire italienne moderne. Avec l’unique exception du royaume de Sardaigne, cela est vrai à des degrés divers pour tous les États pré-unitaires, dans aucun desquels une noblesse ne se « construit » autour de la fidélité à la Couronne, et il est significatif que l’expérience de l’absolutisme éclairé du XVIIIe siècle soit également passée par des tentatives tardives et non réussies de réglementation des ordres nobiliaires. Remarquons à cet égard que le royaume de Sardaigne, qui est le seul à avoir une tradition militaire, est également le seul où les familles nobles fournissent au XIXe siècle une contribution à la carrière militaire dans l’esprit des antiques modèles européens, selon lesquels normalement au moins un membre de la famille reçoit une éducation militaire, comme cela se passe en fait régulièrement dans la noblesse piémontaise et est par contre impensable dans les rangs de la noblesse lombarde, vénitienne ou toscane.
15Il a en effet été observé d’une part que la présence de nobles dans les assemblées parlementaires était en grande partie due à la représentation piémontaise, et d’autre part, que la présence de militaires au Parlement, qui fut assez importante, devait être attribuée en grande partie aux nobles savoyards et à leur esprit de service (Del Negro 1979 : 57-58)9. À cette expérience unique de la noblesse de type classique en Piémont, il y a lieu de rattacher encore d’autres phénomènes en accord avec celle-ci. Comme l’a, entre autres, démontré une étude d’Anthony Cardoza, la sociabilité d’élite, elle aussi, présente à Turin des caractéristiques tout à fait particulières, en ce sens qu’en ce qui concerne les associations exclusives, ce n’est que là qu’on peut enregistrer une dualité entre associations à majorité nobiliaire et associations, également exclusives, de tendance plus « bourgeoise », tandis qu’une étude sur la sociabilité milanaise révèle non seulement l’absence de militaires dans les cercles d’élite, mais aussi le fait que les officiers ne furent pas toujours bien vus à cause de leur origine bourgeoise et de leur provenance non lombarde (Cardoza 1991 ; Meriggi 1989).
16Nous commençons alors à saisir pourquoi les caractères, sous bien des aspects conservateurs, de l’ordre social unitaire n’ont pas renforcé les hiérarchies nobiliaires, et pourquoi, malgré ses orientations conservatrices, la dynastie de Savoie n’a pas su établir de lien avec la tradition nobiliaire de la péninsule, comme si celle-ci provenait d’une histoire diverse et parallèle. Une fois rois d’Italie, les Savoie n’accordèrent même pas d’importance particulière à la continuité dynastique avec le passé sarde, le seul constitutionnellement reconnu, peut-être parce que cela aurait souligné la fragilité de leur rapport, en tant que maison régnante, avec les autres aristocraties, lesquelles dans le meilleur des cas maintinrent la fidélité dynastique dans des limites strictement formelles ; dans certains cas, elles firent preuve de froideur, comme la noblesse bourbonienne, ou d’hostilité ouverte, comme l’aristocratie pontificale, à l’égard du souverain de Savoie qui s’était installé dans les palais du Quirinal, autrefois propriété du Vatican, où se trouve encore de nos jours le siège de la présidence de la République. L’image d’une vie de cour et d’une hiérarchie nobiliaire, privées essentiellement de toute importance constitutionnelle et d’influence sur la vie politique du pays, est donc à attribuer non seulement à l’origine libérale, sur le modèle français, des institutions du nouveau royaume, mais aussi à l’impraticabilité d’une voie monarchique-nobiliaire unitaire.
17Le premier signal important qui émerge de ces constatations concerne donc l’hétérogénéité des préséances nobiliaires dans les divers Etats préunitaires10. Un deuxième élément à signaler avec insistance est cependant l’incertitude de la connotation nobiliaire. Privées de la vocation politico-militaire qui caractérise les noblesses modernes, les aristocraties italiennes partageaient les autres propriétés que la tradition attribue aux élites nobiliaires, telles que la richesse foncière, la traditionnelle disposition pour l’exercice de l’autorité locale (quoique privée de tout hinterland de souveraineté féodale), ou l’importance accordée à la naissance et à la continuité familiale. Or, ces valeurs et comportements purement civils et sans lien avec des formes de privilège d’ordre institutionnellement défini, ne permettent pas de distinguer un groupe nobiliaire et apparaissent plutôt comme des valeurs et des comportements communs aux élites.
18Débattant, il y a quelques décennies, des origines historiques de la bourgeoisie du XIXe siècle et donc de la profondeur de la césure révolutionnaire, les historiens italiens ont repris les termes de la discussion qui avait eu lieu en France sur les origines « bourgeoises » de la Révolution opposant les types idéaux de noblesse féodale et de bourgeoisie capitaliste. La révision de ces deux termes, qui amena à considérer les classes dirigeantes issues de la Révolution française plutôt comme un nouveau groupe de propriétaires terriens, de « notables » – ni « féodaux » ni capitalistes –, sembla convenir au cas italien plus encore qu’au cas français. En effet, « l’abandon de toute opposition schématique entre bourgeoisie et noblesse et le réexamen du problème en termes d’osmose sociale, d’intégration tendancielle de la première dans la seconde et de recomposition de la classe possédante sous la poussée des événements politiques » (Capra 1978 : 23) furent facilités en Italie par le caractère bien moins incisif du processus révolutionnaire qui, non seulement n’entama pas le pouvoir de la noblesse, mais le renforça sous certains aspects dans la mesure du moins où il s’agissait d’une noblesse ayant depuis longtemps perdu – lorsqu’elle les avait jamais eus – privilèges et droits seigneuriaux et présentant déjà en grande partie les traits d’un corps de notables possédants. Tels étaient en fait les patriciens des nombreuses villes italiennes et les personnes décorées des ordres chevaleresques qui, avec les quelques nobles d’extraction féodale, constituèrent ensuite l’élément fondamental de la noblesse italienne11.
19À cette aristocratie civile à base citadine, largement répandue sur le territoire et dépourvue de liens institutionnels avec le pouvoir central – plus proche d’une landed aristocracy ou d’une gentry que d’une nobility – s’adaptent sans nul doute ces valeurs et comportements dans les rapports familiaux et sociaux qui sont aussi une des composantes d’un « modèle nobiliaire » général, comme l’idée d’un leadership naturel et incontesté sur la communauté, basé sur des rapports de paternalisme et de déférence, ou la tendance à conserver intacte dans les mains de la famille la fortune de la maison, et donc à appliquer des stratégies matrimoniales et des comportements testamentaires patrilinéaires et tendanciellement majorataires. À cet égard, je disais plus haut que certains historiens italiens ont accordé à la noblesse une attention indirecte ; en effet, on trouve souvent chez les spécialistes d’histoire sociale la tendance à souligner la fréquente diffusion de valeurs, comportements et mentalités dépourvus de correspondance immédiate avec des modèles de rationalité individualiste et mercantile et relevant donc génériquement de modèles d’ascendance nobiliaire. Un bon exemple en est l’ouvrage de Paolo Macry sur « familles, élites et patrimoines à Naples » au XIXe siècle (Macry 1988). Ce volume est centré sur les comportements patrimoniaux des couches possédantes à Naples, dont Macry considère surtout les dispositions testamentaires, qui s’avèrent inégalitaires, souvent dans le sens majorataire, mais tendant presque toujours à privilégier la ligne masculine (le nom) et, ce faisant, l’unité du patrimoine de famille. Or, il ne fait pas de doute que les institutions du majorat et du fidéicommis, dont Macry signale l’origine « féodale », sont des instruments typiques de reproduction des groupes nobiliaires à l’époque moderne, et c’est pourquoi le fait d’en trouver trace dans l’esprit et dans les comportements testamentaires de la classe possédante napolitaine dans son ensemble, bourgeoisie et couches moyennes citadines comprises, dans une phase historique durant laquelle a disparu toute forme de privilège juridique et est en vigueur le code civil, l’amène à conclure en faveur de la priorité d’intérêts familiaux traditionnels résistant à l’individualisme et qu’il considère de ce fait comme un « résidu de caractère lignager dans la société de marché », emprunté à des modèles nobiliaires (Macry 1988)12.
20Dans ce sens extrêmement élargi, on peut dire que l’ombre de la noblesse s’étend jusqu’à connoter toute la société italienne du XIXe siècle. Mais nous pensons pouvoir également affirmer qu’une telle hégémonie de modèles lignagers est possible du fait de l’absence de distinction nette entre institutions et groupes sociaux spécifiquement nobiliaires, et autres groupes et institutions non nobiliaires. En ce qui concerne l’exemple que je viens de citer, relatif à des comportements testamentaires patrilinéaires et à des stratégies de conservation de l’unité patrimoniale, il est probable que ceux-ci répondent à des logiques familiales et patrimoniales qui ne sont pas d’origine nobiliaire-féodale, même si elles sont partagées par la noblesse féodale. Si le fait de conserver le patrimoine familial en le concentrant sur l’un des héritiers est un comportement typique des nobles, il n’est pas dit que tous ceux qui poursuivent un tel objectif fassent preuve d’esprit aristocratique, comme le savent bien les spécialistes des sociétés paysannes13. Au fond, s’il est vrai que la noblesse de chevalerie voyageait à cheval, tous ceux qui voyageaient à cheval n’étaient pas nobles pour autant.
21D’autre part, il est vrai que quelque chose unit tous ceux qui voyagent à cheval par rapport à ceux qui voyagent en automobile. Nous voulons dire par là que cette espèce d’osmose entre les groupes dirigeants italiens qui s’est formée aux XVIIIe et XIXe siècles, à laquelle contribuent d’une part l’inexistence d’une réelle noblesse de cour, dotée de privilèges, et d’autre part le caractère foncier et traditionnel des secteurs bourgeois, persiste jusqu’à ce que la crise de la terre d’un côté et le développement industriel de l’autre créent de nouvelles fractures dans le corps social. Et cela se produit très tard en Italie, et peut-être pas avant que l’automobile ne supplante le cheval, c’est-à-dire seulement après la Première Guerre mondiale, lorsque le problème de la noblesse se pose d’une nouvelle manière.
22En fait, encore pendant toute l’époque de Giolitti, malgré les intenses transformations économiques et sociales, l’ordre des notables terriens conserve sa position sociale centrale. On a souvent souligné de quelle façon l’Italie, où du reste le libéralisme traditionnel ne sait pas s’organiser en parti politique malgré le défi lancé par le socialisme et les nouvelles organisations de masse, s’est différenciée de l’Allemagne ou de l’Angleterre, où les intérêts agraires menacés par la crise s’organisent en groupes d’intérêt. En Italie, les notables se comportent encore durant cette phase en « classe générale » traditionnelle – ou, si l’on préfère, en groupe central de référence d’une one class society – et ne révèlent pas de clivages substantiels en leur sein14. Cela ne signifie pas que dans cette phase, comme du reste pendant toutes les décennies libérales, il ne soit pas possible de distinguer chez les notables libéraux certaines positions politiques et sociales caractéristiques des représentants de la noblesse. Des tentatives d’organisation des intérêts ruraux, ou d’un parti conservateur libéral, ou encore les premières expériences de l’opposition organisée des catholiques, font souvent référence à des représentants de l’aristocratie terrienne provinciale tendanciellement hostiles à l’État ; c’est cependant justement la fragilité et l’insuccès substantiel de ces tentatives qui obscurcissent d’éventuelles distinctions entre nobles et notables.
23De nouvelles distinctions se dessinent tout au plus après la guerre, durant la période de conflit social plus intense dans les campagnes, qui constitua le préambule du fascisme rural ; mais alors, ce ne furent pas tant les nobles qui adoptèrent des positions plus radicales, que les propriétaires d’origine bourgeoise. Les nobles adoptèrent des positions conservatrices plutôt que réactionnaires, proches du rôle historique dont ils étaient porteurs : le maintien d’une société sans conflits et sans classes, fondée sur des rapports paternalistes.
24Si la noblesse en tant que telle ne joua pas de rôle particulier pour soutenir la réaction violente et modernisatrice du fascisme naissant, le fascisme au pouvoir prêta par contre grande attention à la noblesse. Mais il fut moins question, à notre avis, d’obtenir le consentement et la légitimation des groupes les plus traditionnels de la société que de donner une forte base hiérarchique à l’État totalitaire.
25Cela nous ramène, dans la dernière partie de cet exposé, à l’aspect institutionnel que nous avons signalé depuis le début comme le plus important.
FASCISME, NOBLESSE ET CONSTRUCTION – MANQUÉE – D’UN ÉTAT UNITAIRE
26On a vu que le rapport entre la monarchie de Savoie et les noblesses italiennes existant au moment de l’unification était resté indécis. La formule française, reprise par le statut albertin, de la « reconnaissance » des noblesses existantes n’était pas applicable immédiatement dans le cas italien dans la mesure où s’étaient fondus dans le royaume d’Italie des États qui non seulement avaient des traditions nobiliaires plutôt diverses, comme nous l’avons déjà dit, mais qui n’avaient pas connu auparavant cette phase d’identification institutionnelle précise du phénomène nobiliaire qui caractérise la formation des États modernes. Nous savons que tous les États européens, entre le XVIe et le XVIIIe siècles, avaient connu une dialectique incessante entre les pouvoirs centraux et les groupes nobiliaires, dont l’enjeu était justement la reconnaissance des ordres et des hiérarchies nobiliaires. Cet événement historique que nous pouvons synthétiquement nommer « la formation manquée de l’État moderne » dans la péninsule italienne consiste aussi en cela, en l’absence de processus de codification monarchique des ordres nobiliaires. Ce n’est pas par hasard que l’absolutisme du XVIIIe siècle avait engagé en Italie aussi des processus de ce genre15. Mais ce furent des efforts tardifs, confinés bien souvent à des définitions indirectes et partielles des différentes noblesses, qui au milieu du XIXe siècle ne permettaient pas de « reconnaître » et d’amalgamer dans le nouveau royaume des systèmes bien définis16.
27Pour « aviser le gouvernement en matière de titres nobiliaires, d’armoiries et autres honneurs publics », on créa en 1869 le Conseil héraldique (la Consulta), institution de caractère constitutionnellement très incertain, dont les fonctions n’étaient pas bien définies : il a été observé que parmi les tâches du Conseil « par un irréprochable euphémisme, on évite de mentionner le terme même de noblesse » (Rumi 1988 : 580)17. Après une première phase, pour l’essentiel inactive, l’institution fut reconstituée en 1887, à l’initiative du gouvernement de Francesco Crispi, et dès lors son importance ne fit qu’augmenter avec le temps. Les chiffres que nous avons rapportés plus haut concernant la présence nobiliaire dans certaines institutions se ressentent de cette activité de définition, qui coïncide à son tour avec les tentatives de constitution d’une identité nationale unitaire.
28En quoi consistait le travail du Conseil ? Organe purement consultatif, s’inspirant du « Conseil du sceau des titres » français, il aurait dû effectuer un travail systématique d’information et de documentation de façon à permettre la reconnaissance officielle de la noblesse, dans la ligne de l’œuvre de reconnaissance documentaire qui dans le reste de l’Europe également avait accompagné aux siècles précédents la légitimation monarchique des ordres nobiliaires. Mais, dans ce cas, l’extrême fragmentation des cas jointe à l’insuffisante autorité constitutionnelle de l’organisme de recherche firent que ce travail ressembla davantage à une sorte de recensement, à mi-chemin entre les nombreuses enquêtes cognitives et l’établissement d’un patrimoine documentaire entrepris alors, qui constituèrent tous deux des instruments de connaissance préliminaire du pays et de construction d’une quelconque identité nationale unitaire de celui-ci. Ce n’est pas par hasard qu’en 1892 les représentants des diverses commissions chargées d’examiner le problème héraldique se réunirent lors du cinquième congrès historique italien qui eut lieu à Gênes. L’épisode est dense de suggestions symboliques, non seulement parce qu’il fait apparaître le parallélisme entre l’œuvre du Conseil et la recherche historico-érudite, mais aussi parce qu’il a lieu pendant une phase de fondation de la tradition monumentale de la patrie, tant au sens académico-culturel qu’au sens propre (ce sont les années au cours desquelles on crée les structures du musée du Risorgimento et on élève des monuments aux pères de la patrie)18. Sans parler du fait que dans la même ville de Gênes et la même année fut fondé le parti socialiste italien, sujet antagoniste de l’Italie bourgeoise qui était en train de se construire.
29Nous voulons suggérer par là que la construction d’une noblesse, de même que celle d’un passé historique, appartient au processus de fondation nationale-étatique du nouveau royaume. Mais comme cela se produisit dans de nombreux autres domaines de ce processus, l’oeuvre du Conseil dut aussi payer la difficulté de ramener à l’unité un pays qui n’avait pas été historiquement unifié au cours des siècles précédents. Qui connaît un peu l’histoire de l’Italie contemporaine ou qui suit ses chroniques politiques récentes connaît les conséquences de ce problème : le maintien de fortes distinctions régionales et leur conciliation à travers un incessant labeur de médiation politique qui, sans effectuer de choix par trop drastiques, tend à satisfaire les intérêts de tous. Dans le cas du Conseil héraldique, vu la difficulté de travailler de façon unitaire, on créa en 1887 quatorze commissions héraldiques ayant pour tâche d’établir des listes régionales de la noblesse (Jocteau 1994 : 123)19. Incidemment, à propos de cette référence permanente aux réalités régionales, il faut souligner que celle-ci a des effets persistants sur la culture historiographique nationale même. À mesure que la culture historique académique a affiné ses connaissances et s’est enracinée dans les sources archivistiques, elle a adopté de plus en plus, dans l’évaluation des événements historiques italiens, une perspective régionale de long terme. Malgré mon effort pour assumer un point de vue national, il est probable par exemple que certains jugeront mes présentes considérations sur la noblesse influencées par mon expérience personnelle des archives toscanes, comme il me semble trouver l’empreinte du cas napolitain dans les recherches de Paolo Macry, ou l’empreinte piémontaise dans les études d’Anthony Cardoza.
30Mais ce que l’on n’attend pas des historiens purs fut par contre demandé au Conseil héraldique, qui dut dicter des règles unificatrices. La tâche était très difficile, et au lieu d’arriver à une ratification universelle et objective, le Conseil dut très souvent procéder cas par cas. Comme nous l’avons répété plusieurs fois, il ne s’agissait pas seulement d’harmoniser des traditions nationales très diverses, mais aussi de suppléer le manque de définition historique des ordres nobiliaires entourant les cours. La variété extrême de situations juridiques et effectives pouvait difficilement être attribuée à une hiérarchie unitaire ou à un critère univoque de délimitation d’un ordre nobiliaire. Des familles anciennes et puissantes émergeaient, qui n’avaient pas de titre royal (comme dans l’État de l’Église) ou d’autres qui avaient des titres royaux sans valeur ou de pure fantaisie. Par le biais de transmissions féodales, surtout dans le Midi, les adoptions, les doubles noms, etc., eurent pour résultat l’accroissement de la mobilité des titres et de leur « régénération ». L’une des conséquences historiques les plus apparentes de cette absence de définition fut la grande diffusion et variété du patriciat, c’est-à-dire de la noblesse mineure à base citadine, dont le statut était très proche de la simple « citoyenneté » ou de la simple condition « non plébéienne » et créait une réserve potentiellement illimitée de titres récupérables aux fins d’obtenir une reconnaissance de noblesse.
31Le manque, dans le passé, de pouvoirs étatiques forts aboutit à l’absence, au moment de la construction de la nation moderne, d’un capital social accumulé au cours du temps, doté d’une grande valeur symbolique et consistant en l’existence d’élites légitimées pour guider la nation. Cela explique l’effet ambivalent qui peut être attribué à l’absence de groupes et hiérarchies nobiliaires puissants, qui d’une part facilita la modernisation du pays (du fait qu’il n’y eut aucune résistance significative de la part des ordres nobiliaires, comme ce fut par contre le cas entre autres en Allemagne), et d’autre part rendit l’unification plus difficile puisque celle-ci fut privée des éléments culturels et symboliques que l’expérience absolutiste d’autres États européens transmit au XIXe siècle. Ce n’est pas par hasard que ce soit le Moyen Âge, le Risorgimento et l’Empire romain et non pas l’époque moderne qui aient fourni le plus vaste matériel de rhétorique à la politique de l’Italie contemporaine.
32Sur ce fond, on peut également comprendre la politique pronobiliaire du fascisme, qui ne consistait pas seulement dans la recherche du consensus des élites traditionnelles. Dans le cadre de la construction d’un « régime réactionnaire de masse », il ne faut pas, à mon avis, attribuer une importance particulière à des épisodes de ralliement nobiliaire au fascisme, qui ont cependant bien existé comme le prouve la réconciliation, avec l’État italien, de la « noblesse noire », appellation donnée à la noblesse pontificale dont les titres furent reconnus une première fois en 1924 et ensuite après le concordat de 1929 avec l’Église catholique, ou bien lors de la nomination de représentants de l’aristocratie comme maires des grandes villes italiennes, après que la réforme administrative eut supprimé leur caractère électif.
33Or, puisque nous savons combien le pouvoir social de la haute noblesse en tant que telle avait peu de signification, il faut interpréter le favoritisme accordé par le fascisme à cette noblesse non seulement comme une recherche de consensus dans les rangs des élites traditionnelles mais comme un dessein bien plus ambitieux et significatif consistant à conférer une légitimation historique de l’État unitaire par la construction d’une tradition nobiliaire qui faisait défaut. Le fascisme accordait le plus grand soin à la structure héraldique de l’État. Le premier des nombreux décrets consacrés par le gouvernement fasciste au Conseil héraldique date du 11 février 1923, moins de quatre mois après la marche sur Rome ; d’autres suivirent en 1924, 1925, 1927, 1929, 1930, 1939 et encore en juin 1943, peu avant la chute du régime (Rumi 1988 : 582-583).
34Par cette série de décrets, la noblesse se vit attribuer pour la première fois un statut constitutionnel-légal qui lui manquait jusqu’alors. En 1924, on établit par exemple que personne ne pouvait utiliser de titres nobiliaires à moins d’être inscrit dans les registres du Conseil héraldique, et des pénalités furent prévues pour les contrevenants. En 1926, on supprima la transmission des titres par voie féminine, instrument qui dans le Midi avait facilité l’élargissement du domaine nobiliaire et la « transmigration » de titres même en dehors de la noblesse la plus pure. Comme l’écrit Gian Carlo Jocteau, « il s’agissait d’un tournant drastique dans la législation nobiliaire italienne, par lequel, pour la première fois, fut explicitement nié le principe de la conservation des normes préunitaires comme critère régulateur de la légitimité des titres » (Jocteau 1994). Ce n’est pas par hasard si Mussolini intervint personnellement pour rendre le décret plus restrictif. Le fascisme avait en effet sa propre politique nobiliaire qui influait sur le profil historique même des rangs nobiliaires et se plaçait à côté de la prérogative royale d’anoblissement. Selon Mussolini, la réforme de l’ordre nobiliaire italien de 1929 entendait « concilier le respect des traditions vénérables avec les nécessités de l’Etat unitaire et avec les besoins actuels de l’aristocratie même » (Jocteau 1994)20. Cette « constitutionnalisation » de l’ordre nobiliaire se manifeste également dans la plus grande importance politique accordée au Conseil héraldique et dans l’intégration progressive de ce dernier dans la hiérarchie de l’État et de l’appareil fascistes21. De cette manière, on arriva à établir les listes officielles de la noblesse italienne qui sont aujourd’hui l’unique source officielle pour classer les familles nobles.
35Les anoblissements avaient revêtu peu d’importance pendant la période libérale quand la noblesse était « un honneur héréditaire au prestige particulier mais non accompagné de velléités d’édification en un corps social distinct » (Rumi 1988 : 586). Sous le fascisme, par contre, on constate non seulement que le nombre d’anoblissements des représentants de la classe dirigeante (maires des grandes villes, hommes politiques, industriels, intellectuels influents, etc.) augmente, mais aussi et surtout que la politisation et la constitutionnalisation de l’appareil héraldique, c’est-à-dire de l’activité récognitive, servent à fournir un fondement hiérarchique à l’idéologie élitaire et nationaliste du fascisme.
36Le fascisme fut alors présenté comme l’apogée de l’idée aristocratique et de la mémoire historique. Pour l’historien Pietro Fedele, ex-ministre de l’Éducation nationale et commissaire royal auprès du Conseil héraldique, celui-ci était « la magistrature suprême de l’aristocratie italienne, gardien de son héritage glorieux de mémoires et d’idéaux, promoteur des vertus des hommes nouveaux dont le fascisme a multiplié les énergies morales, en suscitant et en alimentant en eux, outre le sens commun du devoir, la volonté de contribuer de tous leurs efforts aux idéaux les plus hauts et les plus lumineux... » ; le fascisme reconnaissait pleinement la noblesse, « constituant lui-même l’ensemble des vertus les plus nobles et idéales de la lignée italienne, qui s’oppose, de par sa propre nature, au concept d’une égalité stupidement niveleuse de toute hauteur morale ».
37Or, cette fondation d’un ordre aristocratique hiérarchique ne doit pas être considérée trop sérieusement. La politique nobiliaire du fascisme d’une part fit largement usage de l’octroi de titres fantaisistes, vaguement ridicules, en nommant par exemple Gabriele d’Annunzio « prince de Montenevoso » ou Armando Diaz, le général qui avait conclu la Première Guerre mondiale, « duc de la Victoire », et souligna avec emphase un certain baroquisme des titrages et ornements des armoiries... et d’autre part alimenta la « course forcenée à la reconnaissance de la noblesse civique » (Rumi 1988 : 586-589). C’est aussi de cette façon que les pourcentages de la présence nobiliaire dans certains secteurs de l’administration purent être maintenus élevés, voire être gonflés. Mon nom de famille, Romanelli, est assez répandu et n’a rien d’aristocratique : à l’origine, il indiquait quelqu’un qui vient de Rome. Or, quand, en 1938, mon père entra dans la carrière diplomatique, un institut héraldique lui offrit de documenter ses origines patriciennes moyennant le paiement d’une somme considérable. L’éternel affairisme en matière d’anoblissements ne se fondait pas forcément, dans ces cas-là, sur des falsifications manifestes, mais sur l’évaluation bienveillante de titres de citoyenneté dont les archives italiennes ne sont jamais avares22.
38Naturellement, ni les nouveaux anoblissements ni ces « reconnaissances » fascistes de noblesse ne furent toujours appréciés par les groupes nobiliaires traditionnels, et eurent en outre l’effet de renforcer l’identité nobiliaire et la loyauté de corps au sein des groupes nobiliaires les plus anciens. Parmi la noblesse « authentique », beaucoup surent maintenir une certaine distance par rapport au régime fasciste. Et, si la diffusion des titres dans les rangs diplomatiques eut, en quelque sorte, l’effet de confondre les noblesses anciennes et les noblesses récentes, la loyauté envers la Couronne dans les rangs de l’armée, et surtout des corps nobles comme la marine ou la cavalerie, agit comme une dissociation souterraine du régime fasciste. Or, la peu glorieuse dissolution de l’armée italienne au moment de l’armistice fut également l’énième démonstration d’une maigre consistance d’ordre et contribua à priver la Maison royale et la noblesse même de tout appui populaire. Si j’essaie d’imaginer quels peuvent être les noms de nobles italiens les plus connus à l’étranger dans l’après-guerre, me viennent à l’esprit les noms d’un distingué metteur en scène communiste de Milan, Monsieur le duc Luchino Visconti di Modrone, et d’un romancier sicilien, Giuseppe Tomasi, le prince de Lampedusa, personnages très éloignés des institutions publiques.
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Notes de bas de page
1 Le RD 4349 du 19.4.1868, qui régissait « l’ordre pour la priorité entre les diverses charges ou dignités à la cour et dans les fonctions publiques », mettait en première position les chevaliers de l’ordre suprême de la SS. Annunziata, auxquels l’art. 6 réservait le traitement de « nos cousins ». Les chevaliers des ordres de Saint-Maurice et Saint-Lazare, de Savoie et de la Couronne d’Italie venaient après les présidents des Chambres, les ministres, les généraux, les amiraux, les présidents du Conseil d’État, les sénateurs et les députés. Les autres grades des membres des divers ordres (commandeurs et chevaliers) avaient également leur place dans les quatorze rangs prévus.
2 Il s’agit de l’introduction à un fascicule dédié au thème « noblesse » auquel nous nous référerons encore dans les pages qui suivent. Cf. aussi Banti (1996). Plus récemment, même Gian Carlo Jocteau a centré un de ses livres sur ce sujet en partant de l’analyse institutionnelle et quantitative, sur laquelle il offre de nouvelles données (Jocteau 1997).
3 Parmi les soixante-sept préfets dont les biographies sont publiées par l’auteur on trouve six comtes, deux barons, un « noble » et un marquis.
4 Pour souligner le caractère « bourgeois » de la bureaucratie italienne, l’auteur rapporte aussi que plus de la moitié des fonctionnaires n’avaient pas de rentes patrimoniales ni de biens de famille.
5 Cf. aussi Università degli studi di legge 1987.
6 Seraient en outre nécessaires des études sur des familles en particulier ou sur des secteurs de production spécifiques. Voir à ce sujet Angeli (1982) et Levati (1993, 1997a, 19974).
7 Pour une perspective comparée, voir Siegrist (1996).
8 Toutefois dans ce cas aussi des études sur différentes villes sont parvenues à des conclusions diverses. Voir Meriggi (1992), Cardoza (1991), Romanelli (1994), Caglioti (1996).
9 Le thème est repris incidemment par Meriggi (1995), qui discute du rapport constitutionnel entre Couronne, armée et Parlement.
10 C’est pour cela que certaines études récentes, de caractère régional, sont importantes, par exemple Montroni (1996) et Cardoza (1997).
11 Sur le concept de patriciat, voir Berengo (1975, 1994). Quant aux ordres chevaleresques, on a déjà vu que seuls ceux liés à la dynastie de Savoie et au nouveau royaume conféraient des droits de priorité à la Cour. De toute manière, la condition nobiliaire des « chevaliers » restait confiée à la procédure de reconnaissance.
12 Paolo Macry (1988) écrit aussi que « le rapport étroit entre nom et patrimoine prend naissance d’un système féodal qui avait rendu inaliénables les bases territoriales de la seigneurie et devient, avec le temps, stratégie de conservation d’un statut qui dans la grande propriété foncière et dans les palais de famille trouve sa propre identité sociale et la source du revenu » (p. 24). Selon lui, « de semblables hiérarchies et valeurs restent l’apanage classique de la noblesse [...], mais ne manquent pas de se refléter dans les comportements de toute une partie de la bourgeoisie citadine » (p. 14) incluant les « classes moyennes citacitadines» (p. 29).
13 Pour approfondir ce thème il faut examiner les comportements concrets patrimoniaux et fami liaux de chaque individu et groupe social, et pas seulement des nobles. Un bon exemple récent de ce type d’études est celle de Martini (1999). Personnellement, j’ai contribué à de telles recherches (voir Romanelli 1992, 1995 et 1996).
14 L’incapacité des libéraux italiens à s’organiser en parti est une constante de la politique italienne de l’époque, qui a probablement contribué à l’effondrement du régime libéral après la Première Guerre mondiale. Sur les organisations agricoles et sur leur profil politique cf. Malatesta 1989, Banti 1988, Rogari 1994 et 1999.
15 Comme en témoignent la révision des noblesses sardes en 1720, la loi sur la noblesse toscane de 1750, les réformes thérésiennes en Lombardie, celles pontificales de Benedetto XIV, la « dépêche royale » de 1756 dans le royaume de Naples.
16 En parlant de définitions « indirectes » de la noblesse, je pense par exemple aux règles sur l’admission aux casinos des nobles, institutions qui, étant limitées à la noblesse dans une période durant laquelle les Livres d’or n’étaient pas encore complétés, devaient en fait définir le groupe. Pour le cas toscan voir Addobbati (1990-1991). Un autre exemple intéressant est celui déjà cité de la dépêche royale des Bourbons de 1756, laquelle pour réglementer l’admission des cadets dans les régiments provinciaux distinguait trois différents degrés de noblesse et donc imposa des contrôles historiques et documentations d’archives de type nouveau. Voir à ce sujet Montroni (1994 : 62-63).
17 Sur l’activité de la Consulta voir jocteau (1997).
18 Les politiques de la représentation et de la célébration dans les dernières décennies du XIXe siècle ont déjà attiré l’attention de plusieurs historiens. Voir Tobia (1991), Porciani (1977) et Soldani (1978).
19 Sur la « duplicité des circuits » qui adjoint à la Consulta les commissions régionales formées par des « fonctionnaires de l’ordre judiciaire, officiers des Archives d’État, hommes d’études d’histoire et législation nobiliaire, représentants du patriciat local » et qui « deviennent, en fait, héritières et continuatrices des anciens tribunaux héraldiques des États italiens pré-unitaires » voir Rumi (1988 : 581).
20 Souligné par moi.
21 Par exemple en 1930 feront aussi partie du Conseil deux membres du Grand Conseil. Giorgio Rumi voit dans cet épisode « le maximum de compénétration entre haute bureaucratie de l’État et des représentants de la noblesse en tant que tels. En toute hypothèse on peut reconnaître dans l’apparat héraldique objet de nombreuses interventions du Régime, non seulement une occasion de rencontre et de fréquentation entre "grands commis" et titrés (capables d’honorer les premiers et d’associer les seconds) mais aussi et surtout de contrôler le mécanisme de promotion sociale dans la cooptation nobiliaire » (Rumi 1988 : 583).
22 Mais l’achat des titres, camouflé de façons diverses, était une pratique courante. Voir Jocteau (1997 : 40 et suiv., 80).
Auteur
Universita di Roma « La Sapienza »
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