Annexe
p. 181-198
Texte intégral
HISTOIRE DE L’ÉTABLISSEMENT DES CHEFFERIES DÌÌ
1Cette annexe montrera dans les détails, sur un plan très concret, comment les chefferies se sont établies dans chacun des groupes dialectaux dìì en se développant soit en chaînes par fissions qui ont donné les actuelles chefferies, soit en copiant simplement les voisins.
2Cet examen pourra, dans une deuxième étape, nous éclairer sur les relations des groupes dialectaux dìì entre eux et sur celles des Dìì et de leurs voisins immédiats pour ainsi ancrer ces chefferies dans un contexte plus large en formulant quelques hypothèses sur la façon dont ces groupes ont réagi les uns par rapport aux autres.
3Je précise à la fin, la localisation actuelle des différents villages en énumérant leurs positions respectives le long des routes, où ils sont maintenant presque tous. Les chefferies dìì étaient qualifiées d’« instables » par les administrateurs français (Muller 1996) et nombre d’entre elles ont disparu. Je mentionnerai celles dont on se souvient parce que leurs descendants connaissent encore le lieu d’où ils viennent. Il n’y a aucun doute que plusieurs autres m’ont échappé, les habitants étant simplement connus comme des « parents » établis dans des lignages d’autres villages plutôt que comme membres de chefferies rayées de la carte et attendant, peut-être, de revivre un jour comme villages.
CHEFFERIES MAM BE’
4Nous décrirons les origines des chefferies en commençant par celles des Mam be’. Leur dialecte est maintenant dominant et compris de tous grâce aux écoles de Mbé et du fait que Mbé est chef-lieu d’arrondissement (Mbé n’a rien à voir avec le dialecte, comme nous l’avons souligné, puisque son nom dìì est Mbǝǝ). Une des traditions d’origine mam be’ fait état de six frères qui créèrent chacun leur chefferie. Cette version provient directement du chef, Kúń bàà, de l’arrondissement de Mbé (Mbǝǝ) et fut recueillie par le premier sous-préfet en 1950. Elle est plus ou moins corroborée par celle de l’ancien chef (décédé en 1997) de Mbow qui fait état de cinq chefs seulement dont certains donnèrent leur nom à leur chefferie. La version de Mbé mentionne que le frère aîné était Mbow, le second ’Mạy, le troisième Tagbuŋ, le quatrième Ndiu, le cinquième Luu et le sixième Mbǝǝ-mbǝǝ. Tous donnèrent naissance à des chefferies, soit en choisissant dans le groupe de chacun des frères le plus généreux comme chef ou en se faisant élire par des groupes étrangers mais voisins à qui ils donnèrent du gibier ou en leur faisant des largesses. Selon les versions les plus fiables, Tagbuŋ, au contraire, fut sauvé de la famine par un groupe de Mboum dont ils firent leur lignage cheffal. Ces chefferies eurent des fortunes diverses. Tagbuŋ et Mbow respectivement se scindèrent chacune en deux pour diverses raisons ; Ndiu disparut pour renaître récemment comme quartier de Mbé ; le second Mbow et ’Mạy sont devenus chacun un quartier de Mbé mais ’Mạy planifie de redevenir une chefferie entière à l’intérieur de Mbé en élisant un nouveau chef. Le chefferie de Luu a disparu en tant que village ; les habitants restants sont dispersés dans les villages du nord de Tcholliré et se disent maintenant d’origine mam nà’a. Mbé est aujourd’hui sous-préfecture et n’a pas subi de fission, un fait dont la chefferie se glorifie.
5Une autre origine commune est celle de Waag et de Duza’ qui se disent issus de deux demi-frères de même père. Ils n’ont pas de lien de parenté avec les précédentes chefferies et leur « fraternité » avec elles viendrait du fait qu’ils vivaient simplement tout près les uns des autres et parlaient le même dialecte. Waag émigra à la fin du siècle passé sur le territoire de Ngaoundéré avec un autre village mam be’ sans connexion, Ba ndaa, devenu trop petit et « entré » dans Waag où il est toujours, une partie ayant pourtant émigré plus tard dans le territoire guum près de Sagzee à l’époque des Allemands pour y créer une chefferie indépendante, aussi appelée Ba ndaa, maintenant exsangue. Après son arrivée dans le territoire de Ngaoundéré, au pied de la falaise du même nom, une partie du village se rendit sur le plateau et devint Warag, qui, lui aussi, se scinda en deux, Warag daga, Warag I et Warag idu, Warag II. Cependant ces deux Warag se disent maintenant mgbaŋ parce qu’ils parlent ce dialecte. Waag se scinda également en deux dans les années 1950, donnant Waag daga et Waag idu, deux villages qui sont restés néanmoins côte à côte et qu’une partie de la population travaille à réunifier, sans succès jusqu’ici.
6Les autres villages originels mam be’ ont des histoires individuelles comme celles de Hạạr, de Yạn (Nyan), de Gbẹ’ẹm et de Mbɛŋ. Nous parlons ici de Mam be’ originaux car ils reçurent l’appoint de deux villages étrangers de pêcheurs ɓata établis sur la Bénoué et le Mayo Galké. Le village de pêcheurs de Ze’ed et son village frère de Gub devinrent par voisinage des Mam be’ dont ils empruntèrent la langue pendant qu’ils perdaient la leur (qui était du groupe tchadique) ; ils se replièrent ensuite au sud et escaladèrent les contreforts du plateau pour mettre de la distance entre eux et les Peuls de Rey-Bouba. Très tôt, la chefferie de Guu vee se sépara de Gub et rejoignit Mbé, comme chefferie « entrée » dans Mbé tandis que Gub devint plus tard une chefferie importante qui se scinda en quatre entités indépendantes au tournant du XXe siècle, Gub nug, Gub manon, Gub gabdo appelée à l’époque, et encore aujourd’hui quelquefois, Gub saa ndaa, la plus importante mais presque éteinte aujourd’hui, et une petite chefferie entrée dans Berem, sur le plateau, qui porte simplement le nom de Gub/Berem.
7On voit donc bien que les Mam be’ – et tous les autres groupes dialectaux – ne constituent pas, comme le suggérerait la littérature historique (Hamadjoda et Mohammadou 1979 : 167), un clan mam be’. C’est un groupe dialectal local constitué de composantes ethniques diverses qui était à l’origine entre le Mayo Galké et la Bénoué.
CHEFFERIES MAM NÀ’A
8Ce sont les chefferies les plus nombreuses. Leur berceau d’origine se trouve à l’est et au sud-est de l’aire peuplée par les Dìì. L’origine de plusieurs d’entre elles est un groupe de princes mboum venant de Hb s
, (h
b signifie Mboum + terme d’une localité), un toponyme situé sur le plateau connu encore par son nom mais dont on a oublié la localisation exacte. Après des querelles internes, quelques princes mboum descendirent du plateau et furent bien accueillis par les autochtones dìì ; ils les firent chefs d’un village qu’ils appelèrent Kaa na’a, c’est-à-dire « la mère des villages ». Des chicanes, déjà avant l’arrivée des Peuls, donnèrent lieu à des scissions qui produisirent les villages de Leena et de Yạduu (Nyaduu). Entre 1877 et 1887, Kaa na’a se scinda en Kaa na’a waa « petit Kaa na’a » et Kaa na’a gbọọ « grand Kaa na’a », car ils ne s’entendaient pas sur la route à suivre pour fuir les exigences de Rey-Bouba. Les deux villages se retrouvèrent tout proches sur le territoire de Ngaoundéré mais restèrent séparés. Vers 1910, Kaa na’a waa retourna chez le Rey-Bouba suite à des frictions avec l’administration de Ngaoundéré, pour revenir dans ce territoire en 1945, laissant toutefois une minuscule chefferie, maintenant incluse comme quartier dans la ville de Tcholliré, dite Kaa na’a/Rey.
9Cette version n’est pas partagée par les quelques survivants de Leena qui disent être issus de trois princes dont l’aîné donna Leena, le puîné Nabun et le cadet le village aujourd’hui disparu de Lạ’goy. Un autre prince fit sa chefferie, Yạduu, qui donna Kaa na’a, une histoire, comme nous venons de le voir, partagée seulement partiellement par Kaa na’a et Yạduu. La tradition de Nabun ne parle pas de prince immigrant mais de l’élection d’un homme généreux à l’office de chef. Une partie du village s’enfuit à cause des Peuls, se réfugiant sur le plateau pour y créer un village du même nom.
10Dugọŋ doit son origine à la rencontre d’un prince dìì d’une chefferie non spécifiée qui inonda quelques autochtones de ses largesses, ce qui lui valut d’être choisi comme chef. Harassée par Rey-Bouba, une partie se rendit à Kaa na’a au tournant du siècle. Après une chicane avec leurs hôtes, ils établirent leur propre village juste à côté, non sans que deux princes s’en aillent avec leur suite pour constituer une petite chefferie, Dugọŋ, dans la chefferie guum de Ngawyanga. L’un de ces princes trouva refuge ensuite chez les Mboum Mana pour rentrer finalement à Ngawyanga. Une autre partie de la chefferie restée à Rey se rendit sur le plateau pour fonder Yạssar (Nyassar), dit aussi, par eux, Dugọŋ/Nyassar qui se scinda en deux, Nyassar I (daga) et Nyassar II (idu). Un prince de Nyassar se réfugia à Gangasao mais, mécontent du traitement qui lui fut accordé, il s’en alla créer une petite chefferie à Toumbéré appelée Dugọŋ /Toumbéré.
11Sasaa résulte de la rencontre d’autochtones appelés Ndam avec un prince d’origine oubliée et que les Ndam font chef. Ils sont originaires des contreforts de l’est de la falaise de Ngaoundéré. Le village de Sasaa se scinda en trois : a) Sasaa guu gam, « Sasaa de la colline aux remèdes », aujourd’hui sur le plateau, b) Sasaa gaa daŋ « Sasaa/étranger/bouillie » « il n’y a que de la bouillie pour donner aux visiteurs », c) Sasaa mbǝǝsí, « Sasaa du dernier des Mbéré », car un prince de ce village naquit juste après une défaite, prétendue totale, des Mbéré par les armées de Rey-Bouba dont Sasaa faisait partie, événement qui donna un nouveau nom au village. Ces deux dernières chefferies sont descendues dans la plaine il y a cinquante ans.
12Ndu’um vient d’un homme riche qui faisait du bien au village ; les habitants le nommèrent chef. Plus tard, une partie de ceux-ci, manquant de terres, fonda Ndu’um soo tud, « Ndu’um/chercher/mil. »
13Les deux chefferies de Zabba et de ɓug, à l’extrême nord-est de l’aire de peuplement dìì avant l’arrivée des Peuls, ont émigré en direction sud-ouest au milieu des Paan. ɓug vient de trois frères dont l’un restait toujours à la maison. Comme c’est le devoir d’un chef de demeurer chez lui à ne rien faire, ses frères lui conférèrent l’office. On ignore l’origine de la création de Zabba.
14Sìì est le résultat d’une rencontre entre un groupe de princes dìì non spécifiés et d’autres Dìì qui prennent un des premiers pour chef à cause de ses bons traitements.
15Man a élu comme chef un homme de son groupe qui était plus généreux que les autres. Ce village est double ; il dit être originaire, à cause de son nom, des environs de Mana (le territoire des Mboum situés les plus à l’ouest sur la carte) donc en terre mam be’ (ce mot signifie aussi « ouest »). Le principal village est en effet au sud-ouest du territoire dìì ; il prétend, après sa création, être allé près de Tcholliré et être retourné, sous la pression des Peuls, près d’où il était parti, laissant toutefois en arrière un noyau, maintenant chefferie/quartier à Tcholliré. Ceci est unanimement nié par les autres villages voisins qui affirment que cette chefferie est originaire des environs de Tcholliré et que la plus grande partie a fui avec les autres Mam nà’a et Mam be’ qui se sont établis au sud-ouest du territoire dìì.
16Tu gbạgạ doit son nom au chef qui restait chez lui pendant que les gens de la chefferie allaient dans leurs champs. Les petites antilopes, probablement des céphalopes, venaient près du village et le chef fut nommé « le surveillant des antilopes ». On ne connaît pas l’histoire de la création de la chefferie.
17Kuug ou Kurug fait état de gens sans chefs rencontrant un prince dìì de provenance inconnue qui les persuade de le faire chef en associant leurs « pouvoirs » rituels respectifs.
18Minaga, appelé aussi Binaga ou encore Couga, possède une histoire particulière. Il s’agit de trois frères qui sortent de terre. L’un avait un pot de bière, le second du mil et le troisième des fibres de be’ hag (dont on fait des tresses et des cordes). Le premier fut fait chef, le second circonciseur et autochtone et le troisième, aussi devenu autochtone, fabriqua le masque f.
19Les quelques habitants restants du village disparu de Kabba ainsi que ceux de Lùù disent ignorer l’histoire de la création de leur chefferie.
20La chefferie de Gandi ou Kandi ne m’a pas donné un compte rendu de sa création mais rapporte que, comme le village comportait beaucoup de forgerons, le lamido de Rey-Bouba les fit descendre des contreforts du plateau afin qu’ils soient plus près de lui, un restant demeurant sur le plateau.
21Les gardes du lamido de Rey-Bouba m’ont empêché d’enquêter dans les deux derniers villages des environs de Tcholliré, Tam et Dufẹẹ. Quelques autres chefferies originaires de cet endroit sont montées en entier sur le plateau, fuyant les Peuls. Il s’agit de Gangasao dont les habitants, qui se prétendent des Dìì différents des Mam nà’a – ce que nient les autres Dìì –, disent être venus de la plaine. La chefferie aurait rejoint le gros des Dìì avant de monter sur le plateau. Un groupe de princes, mécontents du partage des esclaves razziés, s’exila pour former la chefferie de Yen waa.
22Baosi, Berem, Gaga et Gengǝn sont des chefferies, aussi montées in corpore directement sur le plateau, dont l’origine est obscure. Nom est issu, selon deux versions, d’un groupe d’autochtones de ce nom ou d’un groupe de princes de Gangasao qui, mécontent des traitements infligés par le chef de ce dernier village, alla créer sa propre chefferie, Nom, qui devint Nom/Gandi parce qu’elle partage la même école primaire que Gandi. Un autre segment alla créer Nom baraŋ.
23Kɛŋ, après s’être créé d’un groupe de princes mam nà’a sans connexion connue et d’habitants des contreforts du plateau, vagabonda avant de descendre s’établir à l’entrée de Sasaa mbǝǝs.
24Deux dernières chefferies montées sur le plateau, Vogzom ou Nakee et ɗawan sont toujours en place, la dernière ayant perdu une partie de ses habitants qui a fait sécession et est redescendue dans la plaine pour fonder un village du même nom. Une autre, Ngaw ziŋ, fut obligée par Rey-Bouba de redescendre mais éclata, les habitants étant aujourd’hui dispersés.
25Ces fuites sur le plateau ont plus ou moins été comblées par des villages parlant aujourd’hui mam nà’a que Rey-Bouba a regroupés le long de la route menant de Guidjiba à Tcholliré, directement dans son propre district. Ces villages, qui se dépeuplent, ont été formés de Dìì de provenances diverses ainsi que de Mboum Mbéré. Ce sont : Maradi, Buguma, Pan, Taparé (récemment disparu), Larki et Waafango.
26Pour terminer, il faut mentionner un important apport étranger – en nombre de chefferies. Pas moins de sept chefferies mam nà’a et leurs avatars ont une origine yọg (nyok), du nom d’une population appelée aussi Lamé par les Dìì, établie à l’est de Tcholliré et qui possède aussi l’institution de la chefferie. Quatre sont originaires d’un groupe de princes de cette ethnie qui créèrent les chefferies de Mbi’ib, de Sọ’ọn, de Yugud, et de Yd. La première, très petite, est aujourd’hui accolée à Yugud ; celle de Sọ’ọn, maintenant un simple quartier de Tcholliré, est vacante, les habitants dispersés. Une partie de Yugud a fait sécession et a créé une chefferie indépendante du même nom près de Sasaa mbǝǝs
après avoir passé plusieurs années à Ngǝsǝg ŋgay, leur chef étant malade et voulant être proche du dispensaire de Mbé. La plupart des habitants le suivirent pour se disperser à sa mort, le noyau principal rejoignant Sasaa mbǝǝs
. Ce sont ces gens de Yugud qui sont mentionnés par Hata (1976 : 288) dans son recensement de Ngǝsǝg ŋgay.
27Un Nyok fut fait chef de Holmbali qui se scinda en deux, une partie restant au pied des contreforts de la falaise, la seconde montant sur le plateau pour se diviser en deux Holmbali et donner ensuite aussi Kubaze I et Kubaze II.
28Homee, dont on connaît seulement les origines nyok, s’est divisé en Homee et Homee galal, tous deux restés au bas du plateau alors qu’une partie est montée sur celui-ci pour donner Homee Alhaji, car il s’y trouve un commerçant qui a fait le pèlerinage à La Mecque, et le gros village de Wame, corruption de Homee.
29La dernière chefferie nyok est celle de Guu hẹẹg qui est double. Le noyau originel est une petite chefferie, maintenant un quartier de Tcholliré, alors que la seconde, plus importante, se trouve sur la route de Mbé à Sasaa.
30Quelques chefferies ont disparu et leurs habitants se sont dispersés. L’une, Zɛg, a éclaté dans les années 1950 et une autre vers la fin du XIXe siècle. Il s’agit de Gandog dont, dit-on, les habitants étaient clairs de peau ce qui leur valut la jalousie du Rey-Bouba qui gardait les jeunes gens dans son palais plus longtemps que de raison. Les habitants désertèrent les uns après les autres et rejoignirent d’autres villages sans jamais se regrouper.
CHEFFERIES GUUM OU V’ ẠNDIB
31Les chefferies guum sont situées en majorité dans la plaine dìì, au sud-ouest, et quelques-unes résident sur le plateau. L’origine de plusieurs chefferies provient d’un groupe dirigé par trois princes de la chefferie mboum de Fu Nzui : les Léré, les Gambuggu et les Kal qui partent à l’aventure et descendent du plateau. Les Léré donnent les Mboum Léré, village resté mboum et voisin immédiat des Dìì au sud (remontés sur le plateau dans les années 1910 ou 1920), les Gambuggu créent le village de Gambuggu ou Njul (qui remonta sur le plateau dès le milieu du XIXe siècle) en se faisant élire par les autochtones locaux et, après scission, celui de Gavee (dit aussi Zoro Yaya) qui donna ensuite, aussi par division, Dǝǝna. Ce dernier village remonta sur le plateau avant de se scinder en deux, une partie y restant, l’autre redescendant plus tard dans la plaine. Un prince de ce dernier village fit sécession dans les années 1920 pour créer le village de Mazadu, minuscule chefferie près de Mbé (à ne pas confondre avec le village de dialecte naan du même nom).
32Gambuggu était aussi demi-frère de trois autres princes : l’un fonda La sii qui se scinda ensuite pour donner Yẹse (Nyesse ou Tibang). Celui-ci subit une autre scission vers 1915, les sécessionnistes devenant le village de Soo, maintenant simple quartier de Mbé, après avoir laissé une partie du village près de Tcholliré. Le second demi-frère créa la chefferie de Mbaŋlaŋ et le troisième le petit village de Gangasao, disparu depuis les années 1950. Cette chefferie n’a rien à voir avec la grande chefferie de Gangasao sur le plateau, même si elle porte le même nom.
33Comme les deux groupes précédents, les Kal descendirent aussi du plateau et rencontrèrent des gens sans chefs qui les élurent comme souverains grâce à leurs bienfaits. Ces princes fondent Ngawyanga, « la colline au cheval » en mboum, aussi appelé dεŋ en dìì qui viendrait de dὲὴ, « se mettre sur la pointe des pieds (pour voir d’où ils sont venus) ». Une autre version précise que le prince fondateur exigea la chefferie en réparation d’un méfait commis par une femme du groupe qui les avait accueillis.
34Un autre noyau de princes s’en alla et l’un d’entre eux se fit proclamer chef à Kalba kerwa qui, après une querelle, se sépara en deux branches, Kalba kerwa et Kalba babba. Ces deux chefferies, tout en se proclamant originaires du même groupe de princes, disent s’être créées en premier, Ngawyanga s’étant séparée plus tard. Une version minoritaire moderne de l’origine de Ngawyanga dit que les fondateurs n’étaient pas des princes mboum mais des chasseurs et guerriers dìì associés au prince mboum de Fu Nzui, ce qui est nié par les plus vieux de Ngawyanga et par les Mboum qui disent que les princes de cette chefferie étaient véritablement mboum (entretiens personnels avec les Mboum de Ganha ; voir aussi Faraut [1981 : 161 ; 167] qui fait plutôt dériver Ngawyanga de Ganha et non de Fu Nzui). Comme Ngawyanga n’a pas renoncé à la chefferie de l’arrondissement de Mbé sous prétexte que les gens de Mbé sont des nouveaux venus et que Ngawyanga est « autochtone » dans la région, on comprend ce souci de se dissocier des Mboum pour étayer des revendications politiques en faveur d’une reconnaissance administrative à la fois proprement locale et exclusivement dìì.
35Les princes de Kal à Ngawyanga étant toujours nombreux, l’un se fait élire chef à Vudniε sẹw fu, une chefferie qui donna ensuite par scission Vudniε mamboum. Un autre de ces princes donna Ngəsəg qui se scinda en Ngəsəg tạd et Ngəsəg Ngay. La famille d’un autre village, nommé Ngəsəg ’maŋ, « nouveau Ngəsəg », se dit d’origine princière de Ngəsəg tạd mais cette origine est démentie véhémentement par les deux autres villages qui disent que ce chef est un roturier qui n’a aucun droit à la chefferie. Ceci semble confirmé car tous les habitants de ce village sont des nouveaux venus, tous les plus vieux étant nés ailleurs.
36D’autres princes mboum, mais ceux-là de Ganha, descendirent aussi du plateau et l’un se fit élire chef de Vạ’. Après diverses péripéties, ce village se scinda et donna Vạ’ zin (Banzugulu ou encore Banjukuri), puis Noo vee et Y kọọ, petite chefferie entrée dans Mbé, et enfin ɓoɓog et Lunda. Une partie de Lunda se réfugia comme chefferie près de Mbé au début du siècle, gardant toujours le même nom, mais s’éteignit en 1995 après être « entrée » dans Mbé.
37Un autre groupe du plateau, appelé wari, vivait avec les Mboum et descendit, après des escarmouches avec Ngaoundéré, se réfugier près de Mgbaŋ sìì d’où ils s’enfuirent pour échapper à Rey-Bouba en se scindant en trois villages : Moo na’a la si’, descendants de deux princes appelés les Wari ndg, Mayo-Alim, descendants de deux autres princes, les Wari soo ma et Fan ba’a, aussi descendants de deux autres princes, tous frères des précédents, les Wari fạạ naŋ, qui emmenèrent tous les forgerons des Wari pour créer leur village aujourd’hui disparu mais dont on voit encore les ruines près du village kolbila de Demsa. Ceci peut sembler singulier si on confronte cette tradition à l’une de celles des Mboum de Ganha. Celle-ci affirme que les habitants originels mboum étaient aussi, comme les Dìì, des gens sans chefs dénommés Wari qui furent fédérés par le prince mboum de Ganha et par les autres princes mboum arrivés plus tard (Faraut 1981 : 162 et informations recueillies personnellement à Ganha). Ces Wari originaux étaient, dit-on, de purs Mboum, comme les princes qui vinrent finalement les gouverner. Cependant, mes informateurs, aussi bien dìì que mboum, n’ont pu me dire si les Wari dìì étaient à l’origine des Mboum ou des Dìì, ou encore un groupe mixte.
38Le village de Loo partit de Mgbaŋ Sìì dans le sillage de Mbé pour se scinder en deux groupes, l’un gardant son nom originel et qui, devenu trop peu peuplé, se joignit, comme petite chefferie, à la partie de Dəəna qui redescendit au bas de la falaise, et l’autre qui, après être resté sur le plateau, en redescendit aussi après avoir changé son nom sur le plateau en Ngaw zum, nom mboum signifiant « la colline de l’arbre zum (caroubier) » mais dont le chef reçoit encore aujourd’hui le titre de l’appellation chef de Loo, Bàa Loo.
39Plusieurs chefferies ont des origines indépendantes et ne sont reliées à aucune autre. Deux de celles-ci, Kun dǝǝ et Guu naa ont des traditions d’origine ne remontant pas plus loin que Mgbaŋ Sìì où elles étaient près de Mbé qu’elles ont suivi dans leur fuite commune pour finir, devenues trop petites, par en constituer deux quartiers. Une autre de ces chefferies mentionnées près de Mbé, à Yạg dg, est Mbizaa qui monta sur le plateau où une partie se sépara pour donner Sola’ qui périclita et rejoignit Mbizaa vers 1950. Ce sont deux chefferies moribondes incluses aujourd’hui dans celle de G
ub gabdo.
40La chefferie de Lenda est issue d’un forgeron mboum léré très riche qui descendit du plateau avec force bœufs. Il abandonna la forge lorsqu’il fut fait chef par des Dìì qui bénéficièrent de ses largesses d’où vient le nom de sa chefferie, « gaspiller/bœufs », líd ndàà en guum.
41Celle de Nduŋ vient du plateau qu’elle a quitté après une querelle avec certains Mboum Mbéré non spécifiés. Cette chefferie se scinda ensuite aussi en deux à cause d’une dispute de chefferie.
42Il reste encore trois chefferies indépendantes récemment disparues, d’abord Mbazii, dont le lignage princier n’avait plus que des filles, et Nyɛ’ ndaa. Ces villages n’ont plus de chefs et il n’y reste presque plus personne. Quelques habitants de cette dernière chefferie ont créé la communauté multiethnique d’orpailleurs de Duru Saka, près des Mboum Mana. On peut y associer Waa vọm « la plate-forme des mouches » ainsi nommée parce que ses chasseurs très habiles construisaient de nombreuses claies pour boucaner la viande de chasse qui attirait les mouches (indiqué sur la carte Moisel de 1912). Cette chefferie fut détruite par les Allemands et deux personnes seulement survécurent : un forgeron et un prince dont un des descendants, résidant à Mbé, les autres étant dispersés, cherche à regrouper ceux-ci pour faire revivre le nom de la chefferie.
43Il faut aussi mentionner le petit village de Vagam, ou Vagamba, dont l’histoire est assez particulière. Il s’agit d’une famille de princes descendants d’un groupe de Peuls nomades djafun venus du Nigeria. Sur le plateau de Poli, leur troupeau fut anéanti par une épizootie ; ils se rapprochèrent de Lunda, se sédentarisèrent et devinrent des Dìì. Il ne reste présentement que le lignage des princes qui vivent à côté de Lunda.
44Une autre petite chefferie, Marr ou Mal, « entrée » dans Ngawyanga, se dit aujourd’hui d’origine peule du Tchad et se serait jointe aux Dìì, puis serait redevenue musulmane au contact des Peuls. Mais les autres chefferies dìì voisines disent toutes qu’elle a toujours été guum et qu’elle s’est repliée au sud depuis les environs de Sagzee.
45Pour terminer, disons encore un mot de ce qui reste du village de Wạ’ situé à la fin du XIXe siècle sur le plateau, à la frontière des territoires de Rey-Bouba et de Ngaoundéré (voir chapitre II). Refusant de payer les tributs exigés par Rey-Bouba, ils furent tous exterminés sauf un lignage d’autochtones qui se sauva à Ngəsəg tạd. Ses succès et son implication dans sa chefferie d’adoption incitèrent le chef de ce village à décerner au membre le plus méritant de ce lignage un titre personnel, celui de Bàa sug duu (Monsieur/rassembler/foule) car il faisait des fêtes importantes lors de ses récoltes, le groupe devenant connu sous le nom de son chef. Il déménagea plus tard à Mbé, chez les parents de sa femme où sa famille grossit. Le chef de Mbé lui renouvela son titre. Plus tard, des princes de Ngǝsǝg tạd vinrent habiter Mbé et, avec Sug duu comme groupe autochtone, créèrent une petite chefferie à l’intérieur de Mbé, avec un des princes dûment enturbanné par le chef de Mbé comme chef de Sug duu.
CHEFFERIES NAAN
46Les chefferies naan sont toutes situées le long de la route entre Ngawyanga et Gamba. Elles étaient sur les premiers contreforts sud du massif de Poli avant de descendre pour rejoindre la route Ngaoundéré-Garoua.
47Mbazəə, No’tọọ, Geeri disent chacune que leur chefferie vient d’un homme naan de leur voisinage qui fut élu chef en vertu de ses largesses.
48Soota prétend descendre d’un homme naan d’un village sans chef mais dont la mère était originaire d’un autre village naan qui possédait l’institution de la chefferie. Ce village, appelé Seŋ va (qui a disparu et n’est ni l’un ni l’autre des deux villages kolbila voisins de même nom), a incité les gens de Soota à le copier et à faire leur chefferie.
49Ganani était une localité où se trouvaient des lignages mboum originaires de Mana (les Mboum les plus occidentaux du plateau de Ngaoundéré) et des lignages naan. Ils accueillirent un lignage princier des Mboum Mana dont ils tirèrent leur chef.
50Lieimbee vient d’un Dowayo marié à une femme naan d’une chefferie non spécifiée. Son fils se rendit chez son oncle maternel et copia la structure de ce village pour faire sa propre chefferie. Celle-ci est récente et daterait, d’après le comput de la longueur du règne des chefs, des années 1950. Une querelle de chefferie donna Wạre, une minuscule chefferie qui remonta dans la montagne et est située aujourd’hui à l’est de Poli.
51Mazadu se créa à la fin du XIXe siècle avec un homme généreux qui est soit un Dìì soit un prince mboum. Personne ne peut préciser son origine exacte et cette indécision est partie intégrante de la version officielle. Un groupe du lignage des circonciseurs de cette chefferie eut des problèmes dans les années 1950 avec certains fonctionnaires de Rey-Bouba et partit créer une pseudo-chefferie près de Mbé. Comme les gens de Mbé classifient tous les Dìì du nord-ouest comme paan, ils nommèrent le village Paan waa, « petit paan », ce qui est une erreur.
CHEFFERIES PAAN
52Trois princes mboum de Mana sont descendus chez les Paan en suivant la chaîne de montagnes. Le premier s’est établi à Gam (Gamba), le second à Koti et le troisième à Dɔgɔba. Ces Paan étaient au pied des montagnes mais montèrent sur les contreforts par crainte des Peuls. Ce sont des chefferies récentes si l’on suit la version de Koti qui spécifie que les gens de ce village choisirent le prince mboum parce qu’il savait le foulfouldé et que cette connaissance servirait dans leurs contacts avec les Peuls qui brutalisaient les gens qui ne comprenaient pas leurs ordres. Une partie de Koti se scinda ensuite et élut comme chef un des hommes riches du village qui n’était pas du lignage cheffal pour donner Koti idu (Koti II ou encore Koti waa, « Koti petit ») le reste se nommant alors Koti daga (Koti I ou encore Koti gbọọ, « Koti grand »). Une partie de Koti waa partit plus au nord pour fonder le village de Lagba.
53Un autre groupe de Paan, situé plus haut sur les contreforts du sud du massif de Poli, reçut aussi un prince mboum de Mana qu’ils élurent chef pour ses bienfaits. Il n’eut pas de fils et son successeur fut choisi parmi les autochtones pour ses largesses. La chefferie prit le nom de Mbuzii, du nom peul pour désigner la race locale de bœufs sans bosse, à cause du grand nombre qu’elle possédait. Plus tard, le village se divisa en deux pour donner Mbuzii II. Dans ce village existait un lignage de descendants d’esclaves du chef de village à qui il avait donné quelques-unes de ses filles en mariage. Ces descendants devinrent nombreux et, vexés de se faire rappeler leurs origines mi-serviles, quittèrent Mbuzii II pour fonder la chefferie de ɓoko.
54Après une querelle, Koti waa donna récemment (années 1950) un village temporaire, Kodwa, qui disparut car ses habitants revinrent au village d’origine.
55Un troisième groupe de Paan – tenu pour tel par le reste des Paan – est celui qui prétend parler un dialecte différent, le sagzèè. Il s’agit du village du même nom, Sagzee, qui voisinait avec un berger peul. Celui-ci faisait paître son troupeau aux alentours et donnait quelquefois des bêtes à ses voisins qui l’élurent chef. Nous reviendrons sur cette particularité. Il fédéra cinq minuscules chefferies qui donnèrent celle de Sagzee, située à l’origine le plus à l’est de l’aire paan, près de la Bénoué, aux environs de ce qui est aujourd’hui le Campement du Buffle Noir. Un autre village, Mɔɔŋ, parle le même dialecte mais on ne connaît pas ses connexions avec Sagzee. D’autres disent qu’il est mam nà’a et relié à bug mais je n’ai jamais réussi à élucider ce mystère. Ce village a donné par corruption le village de Moungba, tout près de Gouna, village qu’il partage avec les gens de Balda qui sont d’un autre groupe dialectal, les Hụụn, que nous verrons plus tard.
56Pour compléter le panorama des chefferies paan, il faut mentionner deux villages dont l’origine est étrangère. Le premier, Wạạni, raconte qu’il était situé à l’extrême ouest des Dìì sur la route qui mène à Yola. Ils se connaissaient et commerçaient ensemble mais n’étaient pas de la même ethnie, bien qu’ils se comprissent un peu. De fil en aiguille, ils se rapprochèrent et copièrent les institutions dìì, parlèrent le paan et oublièrent leur langue dont ils ne savent plus le nom. Certains disent aujourd’hui qu’ils étaient peuls mais cette version est combattue par les tenants de la version d’une origine ethnique inconnue.
57Le second village, Kundini, a pour origine un riche Dowayo qui descendit de sa montagne. Sa famille habitait un toponyme appelé Sissiwa (indiqué sur la carte Moisel) nom encore aujourd’hui employé par les anciens pour désigner Kundini, bien que la localisation ait changé. Il fut rejoint par des fugitifs dìì mam nà’a des villages de Dukee et de Man/Tcholliré qui constituèrent une chefferie vers 1930 en prenant le nom de Kundini. Ce village n’a originellement rien de paan mais est inclus dans ce groupe car il en parle maintenant la langue.
CHEFFERIES HỤỤN
58Ce groupe dialectal se trouvait à l’arrivée des Peuls de Rey-Bouba à Duuri, sur la rive droite de la Bénoué, près de l’actuel barrage électrique de Lagdo, à l’extrémité nord-est du territoire dìì. Plusieurs villages furent détruits ou dispersés pendant les premières guerres peules et il n’en reste plus que trois aujourd’hui qui, après s’être réfugiés à Alhajin Galibou avec les Sagzee, vinrent se placer le long de la route avant Gouna en direction de Garoua. Il s’agit de Gǝzǝg (Guidjiba), Wạn (Buuri) et Balda dont le noyau est aujourd’hui dans la chefferie de Moungba après avoir résidé dans un lieu nommé aussi Balda. Bien des habitants y sont retournés en appelant aujourd’hui ce lieu Balda lori qui veut dire « Balda revenir ». Il y a donc deux Balda, le village principal à Moungba avec le chef et un hameau. Contrairement aux deux autres villages qui ne savent rien de l’histoire de leur création, les Balda disent qu’ils donnèrent la chefferie en récompense à un homme riche et généreux qui vint distribuer des biens aux villageois. D’après Balda, les autres villages les copièrent en voyant leur exemple. Quelques Hụụn étaient plutôt agriculteurs et d’autres plutôt pêcheurs, experts chasseurs d’hippopotames et excellents nageurs mais tous ne l’étaient pas au même degré. Les meilleurs des derniers étaient une partie de Balda.
CHEFFERIES SAAN
59Les chefferies saan sont, à part quelques exceptions, minuscules. La plupart d’entre elles sont entre la route et la face nord-ouest du massif de Poli, mêlées à des établissements duupa. Une partie d’entre elles parlent un dialecte dénommé hadin et sont d’origine duupa. Leur dialecte est maintenant plus proche du dìì que du duupa mais ils se comprennent les uns les autres ; ce sont Haari, Ongba, Zogba, Zimi et Dembare. Ils sont considérés depuis longtemps comme des Dìì et parlent, dit-on, davantage le saan que leur propre dialecte.
60Les chefferies de Selba, Gani, Daba et Kebi sont composées de Naan, tous sortis indépendamment, comme les autres Naan, de la montagne Gani au sud-ouest de Poli mais remontés un peu plus au nord. Ils se disent maintenant Saan car ils parlent ce dialecte.
61Les chefferies de Loubi et de Buni sont d’origine paan et résultent de la fission respectivement de Koti I et de Lagba. Comme le groupe précédent, tous parlent maintenant saan et se définissent comme tels.
62Les villages qui ont donné leur nom au dialecte saan sont les trois dont les habitants, incluant les agriculteurs, fondaient le minerai de fer, sạn, c’est-à-dire Mamtǝǝba, Binsiri et Wasere (Saari ou Sere). Ces trois villages étaient à l’est de la route actuelle lors de l’arrivée des Peuls. Ils se retirèrent vers le massif pour se mettre à distance mais revinrent près de la route lors de sa construction. Le premier s’est créé autour d’un riche étranger, dont on ignore aujourd’hui l’origine, qui faisait du bien aux gens du village qui l’élurent chef ; le second choisit l’homme le plus généreux du village alors que le troisième reçut un Mboum de Mana qui resta un soir près d’eux, devant un feu qu’il avait allumé. Comme il venait de loin et paraissait connaître des choses intéressantes, les gens commencèrent à lui parler par gestes et le prirent pour chef alors que le second village élut l’homme le plus riche de la population pour pouvoir en profiter. Les autres copièrent ces trois villages mais ceci ne va pas sans mal car ces villages sont très petits, environ trente personnes par village, et ils doivent souvent emprunter un autochtone, un circonciseur ou un forgeron pour leur circoncision. Ce sont donc des chefferies imparfaites, en voie de constitution, mais leur fonctionnement est similaire à celui des autres chefferies dìì.
63D’autres Dìì, appelés Dìì guu, « Dìì de la montagne », se trouvent dispersés sur les premiers contreforts du massif de Poli. Je ne les ai jamais visités. Ils parlent naan, paan ou saan mais ils sont souvent mélangés et forment non pas des villages groupés mais se déploient en habitat dispersé sur les pentes. Ils auraient, comme les Saan de la plaine, de minuscules chefferies, ainsi que nous l’avons dit de Wạre, remonté de la plaine il y a quarante ans.
LES DÌÌ ET LEURS VOISINS
64Cependant, les petites chefferies saan se disent et même proclament avec vigueur qu’elles sont dìì depuis longtemps. À l’intérieur du groupe linguistique dìì l’institution de la chefferie est donc relativement récente à l’extrémité nord-ouest du groupe. Les Dìì ont progressé d’ouest en est en pénétrant et repoussant les membres du groupe linguistique Adamawa 6. Cependant, comme nous l’avons dit en introduction, Raymond Boyd, dans une communication personnelle, fait remarquer que « rien dans les faits ne permettrait de distinguer a priori entre une telle pénétration et un double mouvement de contournement par des locuteurs du groupe 6 (repoussant peut-être d’autres locuteurs du groupe 4) sous une pression venue de l’est, soit des Gbaya, soit des Sara. » Les deux hypothèses sont pensables chacune pour soi mais, plus encore, elles le sont aussi simultanément, la pénétration dìì s’effectuant dans le même temps que le contournement par les autres. « Mais, ajoute Boyd, pour les faits de contact, l’attribution du mouvement n’a pas d’importance. »
65Or ce contact nous intéresse ici car, comme nous l’avons vu, les Dìì ont acquis l’institution de la chefferie de princes étrangers, la plupart étant des princes mboum venant, disent-ils, des principautés mboum déjà installées sur leur frontière sud, Ganha, Fu Nzui et Mana. Dans les traditions orales, c’est donc après l’établissement des uns et des autres que se serait transmise cette institution, les Dìì ayant créé leur propre variation de la place de la circoncision et du régicide dans ce schème commun pour modifier la première et récuser le second (Muller 1997). Remarquons que l’apparition de la chefferie dans la région est aussi une variation sur un thème commun : des gens qui se nomment ensuite « autochtones » reçoivent un prince étranger et l’adoptent. Chez les Moundang, c’est un prince guidar qui leur montre la vraie royauté (Adler 1982). Chez les Mboum, en plus d’autres versions radicalement divergentes, ce sont des Mboum « autochtones », les Wari, qui reçoivent des princes migrants mais de la même ethnie. On trouve les deux solutions chez les Dìì où, comme nous l’avons vu, un prince étranger ou un prince dìì peut devenir le chef de gens qui en étaient dépourvus ou, encore, des Dìì sans chef copient ce qu’ils ont vu ailleurs et prennent pour chef l’un d’eux.
66Il est bien difficile de dater ceci et tout ce qu’on peut en dire, c’est que la majorité des Dìì prétendent avoir déjà possédé la chefferie lors de l’arrivée des Peuls à la fin du XVIIIe siècle. Certains villages racontent leur arrivée pacifique et une des explications du nom Dourou viendrait du terme foulfouldé duuri qui signifierait « rester longtemps (ensemble en paix) ». Nous disons la majorité des villages car la version officielle de la chefferie de Sagzee dit, elle, que c’est un berger peul qui fit bénéficier les villageois de ses largesses et qu’ils l’élurent chef. Mais une partie du village ne voulait pas l’écouter et il envoya son fils demander de l’aide au lamido de Yola de l’époque, Sanda, monté sur le trône en 1872 et qui régna jusqu’au tournant du siècle. Celui-ci, selon la version de Sagzee, ne punit pas seulement les rebelles mais ravagea par ignorance toute la contrée, ce qui motiva le repli de Sagzee au flanc de la montagne. Sagzee fut, après cette conquête, chargé par Yola d’administrer nombre de chefferies dìì qui refusèrent de lui obéir (Passarge 1895 : chap. xiv). Si l’histoire du chef peul est exacte, la chefferie de Sagzee serait tardive, mais il peut s’agir d’un chef peul nomade dont l’arrivée est antérieure à la conquête elle-même et le « fils » qui alla demander l’intervention du lamido Sanda, serait un de ses descendants plus lointains car il arrive souvent qu’un descendant soit simplement dit « fils » chez les Dìì. Similairement, quelques chefferies paan et naan disent que l’adoption d’un chef mboum se fit d’autant mieux qu’ils pourraient l’utiliser à atténuer les heurts entre eux et les Peuls parce que ce chef connaissait le foulfouldé. Ceci indiquerait que ces Dìì du nord-ouest – sauf les Hụụn qui sont les migrants dît du nord-est chassés par les Peuls avant les autres Dìì – ont souscrit à l’institution de la chefferie plus tard que les autres, ce que confirme encore le fait que les Dìì prétendent que plusieurs petits villages dits haɗin, d’origine duupa, sont encore en train de se « dììfier ».
67Un autre indice est le suivant : les chefferies mam nà’a, mam be’ et guum expliquent leur création en donnant des fonctions à tous leurs groupes fondateurs – circonciseur et autochtones, ces derniers ayant chacun des fonctions différentes à remplir. On a ici une adéquation qu’on pourrait qualifier d’organique entre mythe et organisation sociale. A l’inverse, les chefferies paan, naan et saan citent leurs lignages fondateurs mais plusieurs n’ont aucune fonction à exercer dans la chefferie bien qu’ils aient été présents dès l’origine, ce qui indique l’emprunt d’une institution qui ne se soucie pas d’intégrer tous les lignages dans un même ensemble de responsabilités partagées.
68Tout ceci suggère que la chefferie s’est diffusée et développée chez les Dìì en suivant simplement l’exemple – mais en modifiant quelques rites (Muller 1993 ; 1997b) – des voisins possédant ou non cette institution qui l’introduisirent par le sud dans le cas des princes mboum et par l’est dans celui des Nyok ou Lamé. Dans le cas des Mboum, bien des villages ont emprunté un seul titre mboum, kpŋ, qui signifie en mboum « majordome » et, en dìì, « distributeur de nourriture » lors des festins organisés par le chef, un de ses devoirs, éminent et toujours rappelé, réminiscent du mythe de création des chefferies. Les chefferies d’origine lamé se sont sociologiquement calquées sur les chefferies dìì mais elles ont peut-être apporté leur contribution à l’idéologie car les notes (Lami 1945 ; Adler 1982 : 383-84) sur les manipulations positives du crâne du chef lamé rappellent celles que font quelques chefferies mam nà’a et mam be’ qui étaient les plus voisines des Lamé. La représentation idéologique du corps du chef dìì s’est aussi raffinée en interaction avec les idées des Moundang voisins sur le même sujet. Nous avons montré au chapitre iv que les masques f
des Dìì et leurs homologues moundang étaient en relation dialectique. Ces masques ont été donnés aux Moundang par les Dìì qui les ont créés, c’est-à-dire des Dìì connaissant les Moundang, nommément les Mam be’, les Mam nà’a et les Hụụn, ce qui montre que les Dìì n’ont pas seulement emprunté aux chefferies voisines mais que chacune a fait de l’autre un créditeur pour fabriquer de la différence.
LOCALISATION ACTUELLE DES DIFFÉRENTS VILLAGES
69Comme presque tous les villages sont maintenant le long des routes, je donnerai simplement leur localisation en en suivant le cours, sans m’occuper ici d’indiquer les tons :
70a) route de Mbé à Sasaa : 1. Mazadu (guum) ; 2. Ngaw zum (guum) ; 3. Gub manon (mam be’) ; 4. Gub nug (mam be’) ; 5. Ngəsəg ŋgay (guum) ; 6. Vudnyɛ’sẹw fu (guum) ; 7. Guu hẹẹg (mam nà’a) ; 8. Homee (mam nà’a) ; 9. Vudnyɛ’ mamboum (guum) ; 10. Tagbuŋ II (mam be’) ; 11. Ngəsəg ’maŋ (guum) ; 12. Sasaa gaa daŋ (mam nà’a) ; 13. Ndu’um soo tud (mam nà’a) ; 14. Yạ duu (mam nà’a) ; 15. Sasaa mbəə s’(mam nà’a) ;
71b) route de la falaise de Ngaoundéré à Mbé :
721. Gub saa ndaa (mam be’) ; 2. Waag I ; 3. Waag II (mam be’) ; 4. Nduŋ II (guum) ; 5. Man (mam nà’a) ; 6. Sìì (mam nà’a) ; 7. Dəəna II (guum) ; 8. Tu gbạgạ (mam nà’a) ; 9. Ndu’um (mam nà’a) ; 10. Hạạr (mam be’) ; 11. Kaa na’a gbọọ ; 12. Kaa na’a waa (mam nà’a) ; 13. Ze’ed (mam be’) ; 14. Dugọŋ (mam nà’a) ; 15. Mbəə [Mbé] (mam be’) ;
73c) route de Mbé à Garoua :
741. Yẹsse (guum) ; 2. Paan waa (naan) ; 3. Moo na’a la si’(guum) ; 4. Fubarka (léproserie mixte) ; 5. Ngəsəg tạd (guum) [la plupart des habitants sont des Lamé, parents des malades de la léproserie] ; 6. Noo vee (guum) ; 7. Ngawyanga (mboum), ɗɛŋ (guum) ; 8. Seŋva (Kolbila) ; 9. Gavee ou Zoro Yaya (guum) ; 10. Demsa I et II (Kolbila) ; 11. Kalba kerwa (guum) ; 12. Soota (naan) ; 13. Lien daa (guum) ; 14. Lieim bee (naan) ; 15. Mazadu (naan) ; 16. Mbazəə (naan) ; 17. Ganani (naan) ; 18. Mayo Alim (guum) ; 19. Nyɛ’ ndaa [ruines] (guum) ; 20. No’tọọ (naan) ; 21. Geeri (naan) ; 22. Koti gbọọ (paan) ; 23. Kalba babba (guum) ; 24. Mbuzii I (paan) ; 25. Boɓog (guum) ; 26. Gam ou Gamba (paan) ; 27. Mbuzii II (paan) ; 28. Kundini (mixte) ; 29. Koti waa (paan) ; 30. Boko (paan) ; 31. Lunda appelée aussi faussement Nigba (guum) ; 32. Vagam (guum) ; 33. Ba ndaa (mam be’) ; 34. Wạạni (paan) ; 35. Mbazii (paan) ; 36. Sag zee (paan) ; 37. Bug (mam nà’a) ; 38. Dogoba (paan) ; 39. Lagba (paan) ; 40. Zabba (mam nà’a) ; 41. Gəzəg ou Guijiba (hụụn) ; 42. Wạn ou Buuri (hụụn) ; 43. Balda lori (hụụn) ; 44. Gouna (Guu naa avec Mɔɔŋ [mam nà’a ou paan + hụụn]) ; 45. Wasere (saan) ; 46. Binsiri (saan) ; 47. Mamtəəba (saan). Les dernières chefferies saan sont entre la montagne et la route ; elles ne sont pas listées ici mais seulement mentionnées dans le texte ;
75d) route de Guijiba à Tcholliré :
761. Mbuguma ; 2. Larki ; 3. Pan ; 4. Waafango ; 5. Maradi ; 6. Taparé (ruines). Ce sont des villages composites établis par Rey-Bouba et qui parlent mam nà’a et aussi, pour quelques-uns, mboum ;
77e) route de Tcholliré à Touboro :
781. Kandi ou Gandi (mam nà’a) ; 2. Nabun ou Labun (mam nà’a) ; 3. Leena (mam nà’a), village dispersé ; 4. Kurug ou Kuug (mam nà’a) ; 5. Kabaa (mam nà’a) ; 6. Tạm (mam nà’a) ; 7. Naga (mam nà’a) ; 8. Minaga ou Binaga ou Couga (mam nà’a) ;
79f) route de Tcholliré à la route Mbé-Sasaa :
801. Dufẹẹ (mam nà’a) ; 2. Dugọŋ (mam nà’a) ; 3. Homee (mam nà’a) ; 4. Dukee (mam nà’a) ; 5. Yugud (mam nà’a) ; 6. Yɛd (mam nà’a) ; 7. Tagbuŋ (mam be’) ; 8. Mbow (mam be’) ; 9. Yạn (mam be’) ; 10. Duza’(mam be’) ; 11. Mbɛŋ (mam be’) ; 12. Vạ’(guum) ; 13. Vạ’zin ou Gbang zugulu ou Banjukuri (guum) ; 14. Gbẹ’ẹm (mam be’) ; 15. Holmbali (mam nà’a) ; 16. Laa sii (guum) ; 17. Mgbaŋraŋ (guum) [ces quatre villages sont aujourd’hui groupés ensemble] ;
81g) route de Djalingo (embranchement avant Ngaoundéré sur la route venant de Mbé) à Ganha. Ces Dìì cohabitent souvent avec des Mboum dont ils parlent aussi la langue. Je donne seulement les villages dìì et pas les villages peuls qui sont nombreux mais je mentionne ici aussi les villages dìì ayant des chefferies (à Ganha) ou une minorité importante dans les villages mboum :
821. Nabun [sur la route de Saltaka] (mam nà’a) ; 2. Dugọŋ/Toumbéré (mam nà’a) ; 3. Gambuggu (guum) ; 4. Nom baraŋ (mam nà’a) ; 5. Sasaa (mam nà’a) ; 6. Gangasao (mam nà’a) ; 7. Mgbaŋ mboum (mboum et mam nà’a) ; 8. Dəəna (guum) ; 9. Baosi (mam nà’a) ; 10. Warag II [Mandoukoum] (mam be’) ; 11. Berem (mam nà’a) ; 12. Nom/Gandi (mam nà’a) ; 13. Warag I (mam be’) ; 14. Gengən (mam nà’a) ; 15. Holmbali (mam nà’a) ; 16. Yen waa (mam nà’a) ; 17. Kubaze I (mam nà’a) ; 18. Dugọŋ/Yạssar II (Nyassar) (mam nà’a) ; 19. Kubaze II (mam nà’a) ; 20. Ganha (mboum, mam nà’a : chefferie de Guu hẹẹg et chefferie de Ngəsəg (guum), deux petites chefferies « entrées » dans Ganha) et sur la route Yen waa-Yạssar ; 21. Gaga (mam nà’a) ; 22. Wame [Homee] (mam nà’a) ; 23. Dugọŋ/Yạssar I (mam nà’a)
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