Chapitre 8. L’hagiographie d’Amritnāth : un saint local
p. 169-183
Texte intégral
1Nous avons évoqué l’importance qu’a prise l’hagiographie d’Amritnāth dans la constitution de la communauté de Fatehpur, son rôle fondateur dans la naissance et le développement de l’Ashram. Nous allons maintenant entrer dans les détails de la vie d’Amritnāth, nous interroger, nous étonner même de la sélection forcément opérée par la mémoire du biographe et de l’image qu’il restitue.
2Je l’ai dit, à l’origine de tous les commentaires ou mises en image successives, on trouve le texte de Durgāprasād Trivedī. Mais comme l’écrit Françoise Mallison (2001 : XV), « le saint est fait du regard des autres [...]. C’est une reconnaissance venue de l’extérieur qui fait une hagiographie [...]. Un saint ne l’est jamais pour un seul disciple mais pour une collectivité qui projette ses rêves ou ses fantasmes dans les récits hagiographiques que les auteurs-narrateurs transmettent. La communauté se substituant à l’auteur lui suggère ses désirs et apparaît comme le véritable auteur collectif du récit hagiographique, le rédacteur ne faisant que se conformer à une demande. » De fait, la personne de Durgāprasād s’est effacée devant son texte. La biographie qu’il a voulu écrire a acquis un statut canonique et si j’emploie ici le terme hagiographie, c’est pour signifier qu’il s’agit à la fois du « récit de la vie d’un saint », récit qui ne répugne pas au fantastique, et que ce récit est constitutif d’une tradition, qu’il est figé dans une vérité non contingente.
3Le choix des épisodes effectué par Durgāprasād, l’orientation téléologique de son œuvre – la démonstration du caractère divin d’Amritnāth – fonctionnent totalement en phase avec l’esprit de la communauté. Et les souvenirs personnels ajoutés au corpus établi sont du même ordre, leur registre est le miraculeux. Ainsi la communauté dans son ensemble se reconnaît-elle dans le saint qu’elle a « fabriqué1 » et nous verrons l’importance de cette identification dans sa quête d’identité.
4Un des charmes de ce récit vient de son enracinement local, aussi bien géographique que sociologique. Les lieux qu’arpente Amritnāth, les gens qu’il rencontre sont les mêmes que ceux qui, encore aujourd’hui, sont liés à l’Ashram. Malgré l’accent mis sur les événements prodigieux, une grande quotidienneté, une familiarité se dégage de ces descriptions. Et pourtant, derrière les anecdotes localisées, on voit aussi apparaître en filigrane un canevas classique, une série de topos hagiographiques inscrivant la vie d’Amritnāth dans un corpus commun. Durgāprasād, et les autres disciples avec lui, connaissent ces multiples traditions sectaires et dévotionnelles, ces dizaines d’hagiographies dévotes « préservées dans les sables du Rajasthan » pour paraphraser Callewaert2. Que Durgāprasād apporte à Amritnāth des chants de Kabīr indique le poids des influences qui, au-delà du contexte local, ancrent ce récit dans un vaste courant de littérature hagiographique.
5Je vais résumer les principaux épisodes de la vie d’Amritnāth en m’appuyant avant tout sur le texte de Durgāprasād et sur le résumé qu’en a donné Sagarmal Śarmā, ainsi que sur les peintures du monastère et les récits oraux qui m’ont été faits.
Une jeunesse marquée par des prodiges
6Comme la plupart des hagiographies, celle d’Amritnāth commence avec sa naissance, laquelle préfigure, comme il est de règle dans ce genre de texte, le destin exceptionnel du personnage, destin se révélant à la fois par des signes corporels et par des interventions surnaturelles.
Amritnāth naquit dans un milieu d’agriculteurs de caste Jāṭ, quatrième enfant d’une famille pieuse originaire du village de Bāū3 dans le district de Sikar mais ayant migré à Pilānī4, près de la ville de Bisāū5. C’est dans ce village de Pilānī que, à l’heure favorable, le premier jour clair du mois de caitra de l’année 1909 VS (1852), celui qui fut nommé Yaśrām vint au monde. Il naquit en souriant, il avait l’apparence d’un enfant de un an et toutes ses dents ! Pendant cinq jours, il s’abstint de boire le lait de sa mère6, ce qui inquiéta sa famille. Mais son père Cetarām consulta les astrologues qui lui annoncèrent qu’un être divin s’était incarné en sa maison, qu’un brahmacārī exceptionnel était né. Cetarām eut alors en rêve la vision de son fils sous sa forme divine7, qui lui enseigna la fragilité de la condition humaine [en termes très védantiques]. L’enfant était si précoce que, à l’âge de un an et demi, il partageait les jeux des enfants de six ans et courait plus vite qu’eux. Parfois il restait tranquille, solitaire, perdu en méditation et nul n’osait le déranger. Un sādhu de passage dit même à son père : « Rām a pris naissance dans ta maison ! »
Lorsqu’il eut trois ans, ses parents décidèrent de retourner à Bāū et, accompagnés d’autres gens du village, se mirent en route avec leurs bagages sur des chars à bœufs et des dromadaires. L’enfant, malgré l’inquiétude de ses parents, se mit à marcher en tête et parcourut si vite la distance de 23 kos (50 miles) entre les deux villages qu’il arriva, malgré son jeune âge, trois heures avant tout le monde (une anecdote volontiers mentionnée et abondamment illustrée par les peintures), [ill. 34]
7De sa jeunesse, l’hagiographe retient les épisodes qui illustrent ses capacités exceptionnelles : pouvoirs sur la nature et détachement du monde.
Ainsi il avait une sœur devenue veuve très jeune. Il cultiva la terre pour elle et au moment de la récolte, alors que les voisins estimaient la production à 9 ou 10 maunds (360 ou 400 kg) de paddy, il dit qu’il s’occuperait seul de la moisson et en rassembla plus de 70 maunds (700 kg). Les gens furent très surpris. Une autre fois, alors qu’il devait rapporter de l’eau de très loin comme c’est souvent le cas au Rajasthan, sa jarre pleine se brisa. Il déclara alors que s’il ne pleuvait pas la nuit même sur les champs, son souffle cesserait, il abandonnerait son corps. La nuit même, la pluie tomba en telle abondance que tous furent stupéfaits.
8Il doit ces pouvoirs à ses qualités spirituelles : compassion, simplicité de vie, détachement. Il disait que « les possessions terrestres étaient irréelles, une illusion, qu’il ne faut pas s’attacher aux biens de ce monde mais diminuer besoins et désirs et qu’alors on jouissait du bonheur de vivre ». Lui-même se contentait des nourritures les plus simples, un topos qui revient tout au long de son hagiographie : il se nourrissait essentiellement de petit-lait, de carottes, de radis et de rābṛī (une préparation à base de petit-lait épaissi8), jeûnant parfois plusieurs jours et parfois, au contraire, absorbant d’un coup la nourriture d’une semaine.
9Il avait refusé de se marier mais continuait à vivre dans sa famille ; bien que libéré des passions, l’affection de sa mère le retenait d’adopter totalement la vie ascétique9. Aussi, lorsqu’elle mourut en 1945 VS, alors qu’il avait 36 ans, 9 mois et 14 jours, il se rendit à Haridvar pour y déposer dans le Gange les cendres de sa crémation puis commencer à mener la vie itinérante des sādhus. Sur le chemin il fit montre de ses pouvoirs en récupérant les biens que des voleurs avaient dérobés à ses compagnons.
La vie d’ascète
10Yaśarām parcourut le Rajasthan et le Gujarat à la recherche d’un guru. Dans la province de Bikaner, il rencontra un important groupe de sādhus qui gravitait autour de Motināth, du panth Mannāthī. Celui-ci était très savant et recommanda au nouvel arrivant d’apprendre à lire et écrire. Le futur Amritnāth demanda si l’étude augmenterait sa concentration et Motināth lui répondit que non, que cela ne venait que par la pratique et la patience. Pourquoi alors apprendre à lire et écrire ? demanda Amritnāth10. Cet épisode et ce dédain de l’étude et de l’écrit sont souvent rappelés aujourd’hui à Fatehpur pour exalter au contraire la valeur de la discipline et de la pratique, le respect de la règle et du service.
11Dans le groupe de Motināth se trouvait Campanāth qui fut tout de suite sensible au rayonnement de celui qu’il prit sous sa protection et initia en lui coupant sa mèche de cheveux. Campanāth fut donc le śikhā guru de Amritnāth, il lui donna son nom et lui transmit son panth, Mannāthī. Campanāth résida dans le monastère de Bārvās, puis à Bisāū.
12Amritnāth accéda ensuite rapidement à la seconde phase de l’initiation, le percement des oreilles et la pose des anneaux. Son guru fut Jvālānāth. On raconte que devant Amritnāth, malgré son expérience, ses mains tremblèrent et qu’Amritnāth dut continuer seul l’incision (le fait de s’inciser soi-même les oreilles est rapporté chez d’autres Nāth comme preuve de leurs capacités et de leur courage exceptionnels).
13Il continua ensuite à itinérer dans la Shekhavati11 et la liste des endroits qu’il visita évoque les implantations actuelles des ashrams. Partout il prêchait et rencontrait des villageois qu’il impressionnait par son ascèse et ses miracles. Parfois pourtant, certains se montraient réticents et les récits de ces confrontations témoignent des effets de sa colère.
Ainsi, alors qu’il méditait près de Lakshmangarh, un homme tenta de le distraire. Amritnāth lui enjoignit de le laisser tranquille mais l’homme continua. Amritnāth lança alors un bâton dans sa direction, l’homme s’enfuit mais le bâton le suivit comme un oiseau, [ill. 35] Un autre jour, passant près du poste de police de Fatehpur, il ne répondit pas au policier qui l’interpellait. Ce dernier lui donna un coup ; Amritnāth dit simplement : « śābās », très bien, et le policier devint brusquement fou. Les gens l’emmenèrent alors s’excuser et Amritnāth lui donna à boire du petit-lait. Le policier retrouva son état normal.
14Parfois ce sont les brahmanes qui s’opposèrent à lui.
À Churu, il fut en butte à la méfiance du pandit Jaisā qui lui demanda : « Qu’as-tu de spécial ? Quel miracle peux-tu faire ? » Amritnāth répondit : « Je peux faire des miracles. Pars et prépare ton linceul, voilà mon miracle ! » Au moment où l’homme arriva chez lui, il mourut. Anecdote plus triviale (et seulement orale tant elle dut être jugée peu présentable !), Amritnāth essuya à Lakshmangarh les reproches d’un brahmane qui le critiquait de ne pas s’être lavé les mains, et l’accusait d’être pollué. Le siddha rétorqua alors que la pureté était affaire intérieure et, plaçant sa bouche sur l’ouverture d’une conduite d’eau, il laissa celle-ci traverser son corps et ressortir immédiatement par l’anus ! C’est le seul exemple concret dont on dispose de son mépris des règles socio-religieuses et on peut remarquer que, ici aussi, la leçon passe par la démonstration d’un prodige corporel.
15Les autres ascètes pouvaient se montrer jaloux.
Un jour, un groupe de sādhus l’aborda et lui demanda pour le tester s’il connaissait le mantra du kappar (bol à aumônes). Il répondit qu’il connaissait tous les mantras et tous les Veda et qu’il leur réciterait celui qu’ils voudraient12. Les sādhus, très impressionnés, s’inclinèrent à ses pieds. Mais à Rajpur, dans le district de Bikaner, Hiranāth se montra plus tenace et défia Amritnāth en l’incitant à avaler certaines substances sous prétexte qu’il en tirerait une grande joie. Et Amritnāth en mangea pendant douze jours 6 ser (environ 6 kg). Ces substances étaient siṅgi mohrā et hiṅglu ; les deux premiers termes désigneraient un certain poison végétal13, le troisième est le cinabre14.
16D’autres indications éparses évoquent cet intérêt pour l’alchimie dont on crédite Amritnāth. Plusieurs fois est mentionnée l’absorption de saṅkhiyā15, peut-être de l’arsenic. Mais quels que soient la nature des expériences et leur motivation, l’hagiographie ne retient que le simple exploit physique : ne pas être affecté par des poisons. Dans la version anglaise du texte, cela donne : « All these performances of Baba put Baba equal to God Shiva in the matter of poison digestion » (p. 19). Le sens profond d’une démarche d’ordre alchimique échappe manifestement au rédacteur et à son public, si ce n’est sous la forme d’une mise en garde : Amritnāth prévient son auditoire que toute consommation de ces substances même en très faible quantité rend gravement malade. Quant à l’intervention de Hiranāth, en qui on pourrait peut-être voir un alchimiste avéré se posant en initiateur d’Amritnāth, elle est considérée par l’hagiographe comme purement malveillante.
17Tout au long de l’hagiographie, revient comme un leitmotiv l’étonnement devant le régime alimentaire d’Amritnāth : la consommation de substances dangereuses, on l’a vu, mais surtout la capacité d’absorber des quantités phénoménales16 ou alors de jeûner totalement, témoignent de sa volonté d’expérimenter à partir de son propre corps et de maîtriser ses fonctions biologiques.
Du temps où il se déplaçait souvent, il pouvait marcher 52 kos (environ 160 km) par jour en ne mangeant que deux galettes de millet accompagnées d’une poignée d’herbes. Parfois il ne mangeait que des feuilles de nim (margousier). En revanche, lorsqu’il s’établit à Fatehpur, il mangeait quotidiennement cinq ser (environ cinq kilos) de farine au beurre et quinze litres de lait. Puis pendant trois mois, il prit un kilo de miel mêlé à de l’eau, puis seulement du jus de citron pendant deux mois, puis un litre de lait par heure à nouveau pendant deux mois, et enfin seize litres d’urine de vache quotidiens pendant un mois. Puis il abandonna toute nourriture.
Un jour un médecin lui prescrivit des pilules de jamāl goṭe17 [plante dont la graine possède des qualités purgatives exceptionnelles]. Il prit les deux cents d’un seul coup sans effet [si ce n’est celui de transformer le médecin en dévot !]. Une fois il fit creuser une fosse profonde, la remplir de bois de bel et y mettre le feu. Lorsque ce fut incandescent, il fit poser deux pierres dessus, s’y assit et but huit ser d’eau bouillante.
18D’autres anecdotes témoignent également de sa maîtrise des processus naturels, de ses siddhi, de ses pouvoirs miraculeux mais cette fois-ci tournés vers les autres, de façon démonstrative ou compatissante, ce que représentent volontiers les peintures :
Dans une ferme où les carottes poussaient en abondance, le paysan lui dit d’en manger autant qu’il voulait. Amritnāth en était à finir toutes les carottes de la troisième rangée et le paysan s’inquiéta pour sa récolte. Amritnāth se mit à rire et toutes les carottes repoussèrent immédiatement. À Bāū, dans le district de Sikar, aucune pluie ne tombait et l’on était déjà au mois de Śrāvan (juillet-août) ; les villageois vinrent implorer Amritnāth qui leur dit de repartir labourer leurs champs. Lorsqu’ils y arrivèrent, il pleuvait déjà.
Une autre fois, alors qu’il méditait sous un arbre à Fatehpur, son disciple Santośnāth ramassa un paon mort. Amritnāth le prit et le lança violemment en l’air. La paon s’envola en criant « piau, piau ». [ill. 36 ]
En marchant autour de Bikaner, Amritnāth souffrit de la soif. Voyant un puits, il voulut boire mais on lui dit que l’eau était saumâtre. Il insista et but. L’eau était devenue excellente et personne dans le village ne souffrit plus de la soif.
19Une autre anecdote liée aux habitudes alimentaires du siddha et longuement rapportée témoigne de cette faculté de modifier la matière. Amritnāth insistait beaucoup sur l’hygiène alimentaire et sur les vertus de la consommation du beurre clarifié et du petit-lait (chāch)18. Il guérit de cette manière de nombreux malades.
Un commerçant dévot ayant entendu parler de cette préférence apporta un soir une douzaine de litres de babeurre. Mais Amritnāth crut que c’était du lait et répondit qu’il n’en buvait pas à cette heure-là et qu’il fallait le laisser cailler, qu’il le prendrait le lendemain. Le commerçant dit alors que ce n’était pas du lait mais du petit-lait, mais comme le siddha avait dit que c’était du lait, que ses paroles étaient paroles de vérité, le petit-lait s’était transformé et le lendemain matin on découvrit que c’était devenu un lait caillé très crémeux.
20On rapporte beaucoup de témoignages de guérisons opérées par Amritnāth simplement en faisant consommer à un malade du lait ou de l’eau, ou même n’importe quelle substance au hasard : Raglāl, du bourg de Churu, est soigné de la tuberculose en mangeant du lait caillé, un aveugle en buvant de l’eau et une femme en mâchant de la gomme19. Parfois ses méthodes se révèlent plus brutales :
Un paysan l’implora de guérir son fils fou. Amritnāth lui répondit de le jeter par-dessus la clôture, le paysan hésita mais la mère le fit. L’enfant se redressa et revint vers elle, guéri !
À Lakshmangarh, un orfèvre qui souffrait terriblement d’un œil vint le voir et le supplia de le guérir. Amritnāth se mit à rire et lui dit de prendre un tison dans le feu et de l’appliquer sur son œil, ce que l’homme fit sans hésiter. Immédiatement le tison devint froid, le feu s’éteignit, la douleur disparut et l’homme recouvra la vue.
21Amritnāth ne pouvait supporter la douleur des autres et prenait sur lui leurs tourments : vers la fin de sa vie, un certain Pāgalnāth, paralysé, fut amené devant lui. Amritnāth le bénit et instantanément celui-ci se mit à marcher. Mais, raconte-t-on, le siddha s’allongea et durant quatre ans, jusqu’à sa mort, ne quitta plus jamais et en aucune occasion cette position couchée.
22Sont aussi mentionnés ses pouvoirs d’ubiquité et de seconde vue.
À Fatehpur, alors que, une nuit, son disciple Jyotināth allait chercher de l’eau, Amritnāth lui dit de faire attention car il y avait un serpent près de la jarre.
À Lakshmangarh, alors qu’il résidait au dharmaśālā, Rāmdev Vaiśya vint le voir.
Ce dernier descendait l’escalier après sa visite lorsqu’il vit Amritnāth, qu’il venait de quitter, monter ce même escalier.
23L’hagiographie fait remarquablement peu allusion aux talents spirituels de Amritnāth ni à ses pratiques proprement religieuses. Une seule notation apparaît à propos d’un de ses dévots, Nārāyaṇ Girī, qui cherchait en vain à avoir la vision de la déesse.
Nārāyaṇ Girī lui demanda l’autorisation de partir à Hing Lāj20 rendre hommage à la déesse. « Tu peux y aller, mais si tu as une vraie dévotion, tu auras son darśan ici même. » À minuit, Amritnāth l’appela : « Lève-toi, la Déesse est venue se montrer à toi, incline-toi. » Et Nārāyaṇ Girī, grâce au pouvoir de son guru, eut la vision de la déesse à huit bras, assise sur son lion dans un cercle de lumière21.
24Bien que pendant la plus grande partie de sa vie de renonçant, Amritnāth ait pérégriné dans la Shekhavati, marchant et dormant dans la nature avec quelques disciples choisis, sa réputation ne tarda pas à se répandre. Selon un paradoxe commun à nombre de parcours ascétiques, plus sa pratique se voulait rigoureuse et solitaire, plus l’attrait qu’il exerçait sur les gens de la région grandissait et plus la foule se rassemblait, le suivait, le contemplait et le consultait. Parmi ces dévots, l’hagiographie mentionne de plus en plus fréquemment vers la fin de sa vie la présence de personnages influents, riches ou importants, lesquels eurent une importance particulière, patronnèrent le siddha et son futur ashram. On retrouve tous les noms des grandes familles Marwari de la région.
Souvent Amritnāth allait à Fatehpur et demeurait d’abord dans un abri sous un pipal auprès d’un étang à la lisière sud de la ville, puis dans un terrain de crémation non loin des temples de Dholi Sātī et Rāni Sātī au nord-est de la ville. Près de ce terrain, un des riches marchands de Fatehpur, Jagannāth Siṁhāniyā, avait un pavillon et Amritnāth y résida plusieurs fois. Il y goutait une paix d’esprit particulière et en 1969 VS, à l’âge de soixante ans, il décida d’y rester. C’est là, que sur le sol sablonneux, il adopta pour ne plus la quitter la position yogique allongée. Jagannāth voulut lui faire construire un ashram mais il dut insister beaucoup, appuyé par un autre des notables marchands de la ville, Gorkharām Rāmpratāp Camṛiyā. Ce dernier venait très souvent voir Amritnāth. Il spéculait financièrement, comme il est courant chez les Marwaris. Une fois, alors qu’il était sur le point de perdre 50 lakhs de roupies dans une transaction, il vint demander à Amritnāth de le protéger. Grâce à ce dernier, cette perte lui fut épargnée. Pour prouver sa reconnaissance, il voulut faire construire un bâtiment de quatre chambres avec un pavillon à trois portes ouvrant sur la cour. Swamījī accepta la construction de deux petites pièces mais dit que, lui, resterait sous son auvent de chaume, qu’il détestait les maisons en dur, qu’il n’y habiterait jamais et que la responsabilité en incomberait à Jyotināth. Un emplacement fut choisi, toujours au nord-est en lisière de Fatehpur, à proximité du terrain Camaṛiyā. Les bâtiments et la hutte édifiés, Amritnāth fut transporté, toujours allongé, par ses disciples.
25La nouvelle de cette installation se répandit et les dévots accoururent dont Rāvarājā Mādhosiṁha, le seigneur (thakur) de Sikar. Celui-ci voulait lui faire don d’un village entier mais Amritnāth refusa : « Quel besoin ai-je d’un village alors que je possède la terre entière ? Je ne prendrai que la terre dont j’ai besoin pour prendre place, là où j’irai. La propriété de richesses ou de terres, les sādhus qui se vouent à l’errance n’en ont vraiment pas besoin. » Et il donna en retour au seigneur de Sikar la vraie connaissance. Mādhosiṁha réussit à lui faire accepter, au profit de ses disciples, la donation de 25 bīghā de terres incultes, qui sont maintenant rattachées à l’Ashram et appelées « le bosquet de Nāthji ». [ill. 37]
26De 1969 VS (1912), le cinquième jour de la quinzaine claire du mois de Māgh (janvier-février), jusqu’à sa mort le quinzième jour de la quinzaine claire d’Āśvin (septembre-octobre) 1973 VS (1916), Amritnāth resta couché sur le sol comme il en avait fait le vœu. Il avait annoncé qu’il allait donner du repos à son corps et que même les tâches essentielles, il les ferait en position couchée. Il était servi par ses proches disciples (Jyotināth, Santoṣnāth, Lālnāth et Kr̥ṣṇanāth) et entouré par des centaines de visiteurs. L’hagiographie précise : « Chaque jour une trentaine de malades physiques, psychologiques ou spirituels guérissaient. En quatre ans, quarante cinq mille malades ont été guéris, des centaines de gens ont été libérés de la pauvreté, des moribonds ont été sauvés, des criminels transformés, tous étaient illuminés. »
27Amritnāth, nous l’avons vu, avait annoncé sa mort mais personne, en tout cas pas Durgāprasād et à son grand regret, ne comprit le sens de ses paroles. Le récit qu’il nous en fait tient donc dans ce qu’on lui en a rapporté.
À partir du cinquième jour du mois d’Āśvin, Amritnāth avait arrêté de parler et de manger. Il avait interdit à tous de l’approcher. Puis le quinzième jour, à trois heures, il appela auprès de lui ses disciples les plus chers, [ill. 38] Posant la main sur la tête de Jyotinäth et tenant la main de Kr̥ṣṇanāth, il leur annonça : « Je suis un errant (ramtā hū). Vivez sans crainte dans la voie que je vous ai montrée. Je suis content de vous. Vous aurez auprès de moi une place divine. » Tout de suite après il y eut un craquement, il ferma les yeux, son souffle ralentit puis s’arrêta. De son corps, on vit une flamme s’échapper. Il y eut un brusque coup de tonnerre, l’orage éclata et la pluie se mit à tomber.
Des milliers de dévots accoururent, on fit à son corps les rites prescrits et vers le soir, on l’ensevelit sous la hutte où il vivait. À l’emplacement du samādhi, on installa une lampe qui brûle toujours.
Il avait soixante-quatre ans, six mois et six jours.
Commentaires : une hagiographie de proximité
28J’ai insisté sur l’importance de l’hagiographie d’Amritnāth pour le développement du monastère et l’expansion du réseau déployé autour de lui, tant dans le milieu ascétique que dans celui des laïcs. Ce texte présente par ailleurs un certain nombre de traits remarquables, révélateurs du milieu dont il est issu.
29Que son auteur soit familier d’autres récits biographiques, notamment des Sant22 de la tradition de la bhakti nirguṇ23, c’est une évidence qui ressort par exemple de la comparaison du récit de la vie d’Amritnāth avec le canevas dégagé par David Lorenzen : « The basic pattern of life stories of these nirguṇī saints is quite staight-forward and uniform » (1995 : 185) écrit-il avant de distinguer une série de motifs s’échelonnant de la naissance à la mort et dont il dresse un tableau récapitulatif pour sept des grands saints de la tradition nirguṇī. Évoquons rapidement quelques-uns de ces motifs et nous verrons à quel point ils correspondent à la vie d’Amritnāth :
- The saint has an unusual birth [...].
- The saint display his religious vocation, supernatural power, or outright divinity at a young age.
- He has a life-changing encounter with his first guru.
- He may be either a celibate ascetic or a married person.
- He has a number of encounters, often during his travels [... or with] petitioners who request the saint’s assistance in solving some difficulty or simply wish for his blessing in exchange for him accepting a gift [... or with] the saint’s rivals and opponents.
- How the saint named his successor and/or instructed his followers to carry on the tradition after his death.
- The saint has an unusual death. (Lorenzen 1995 : 187-188).
30L’hagiographie d’Amritnāth semble beaucoup plus inspirée du canevas général des biographies des Sant de la bhakti nirguṇ (même si, nous y reviendrons, la dimension contestatrice en est absente), que des épopées héroïques et féériques narrant les exploits des grandes figures emblématiques de la tradition Nāth. Amritnāth est bien loin de Gopicand, de Ratannāth, de Mannāth son ancêtre dans le panth, ou même pour choisir un modèle plus récent, de Mastnāth (voir chapitre 13) qui vécut au XVIIIe siècle et dont la biographie fut rédigée au début du XXe siècle, elle aussi baignant dans l’épique et le merveilleux : un univers où règne la confrontation entre ascètes thaumaturges et rois hostiles. L’hagiographie d’Amritnāth présente une tout autre saveur : un enracinement dans le quotidien qui ne dispense pas pour autant du miraculeux, une inscription dans un milieu social influençant directement le récit. La comparaison avec la biographie de Baldev (mort en 1947), telle que celle-ci ressort de l’autobiographie de sa disciple Banāsā, présentée et traduite par Monika Horstman (2003), révèle par-delà les différences proprement sectaires la parenté que crée un même univers culturel24.
31Cet univers, c’est d’abord celui de la Shekhavati. L’hagiographie frappe par son inscription géographique, ce qui permet la focalisation autour du personnage d’Amritnāth d’un sentiment d’identité régionale que les dévots sont anxieux de maintenir.
32Né dans la Shekhavati, Amritnāth y a passé toute sa vie, n’en sortant que très brièvement pour une courte période de pérégrination qui ne l’a pas mené plus loin qu’à Haridvar ou au Gujarat. Ses circuits semblent au fil du temps s’être resserrés autour de Fatehpur jusqu’à en faire finalement le point fixe de son réseau. On remarque d’ailleurs que seuls les lieux les plus cités dans l’hagiographie, ceux où le souvenir d’Amritnāth est le plus marquant, deviendront par la suite les sites d’implantation des monastères de ses disciples.
33Il appartient à une famille paysanne de caste Jāṭ. Ses préoccupations, son enseignement, ses métaphores, ses miracles, tout témoigne de la prégnance d’un certain environnement naturel et humain : sécheresse du paysage, déserts buissonnants, eaux saumâtres composent le cadre d’une activité agricole et pastorale vulnérable aux conditions climatiques. La consommation de produits laitiers et de légumes est présentée comme un idéal, à la fois témoignage d’abondance et facteur de bien-être corporel et spirituel.
34L’univers d’Amritnāth se constitue aussi de ces petites villes commerçantes, avec leur population diversifiée, leur administration et surtout leurs marchands, ces Seth qui ont fait la fortune et la réputation de la Shekhavati. Ce sont, dans l’hagiographie, les interlocuteurs privilégiés d’Amritnāth, ceux qui le patronnent, lui offrent une résidence et surtout le sollicitent de multiples façons. Contrairement aux hagiographies classiques des ascètes Nāth, le patronage seigneurial est ici secondaire. Certes, le Ṭhakur de Sikar lui rend visite, s’incline devant lui, devient en quelque sorte son dévot et lui offre ses richesses, mais celles-ci se verront refusées et son intervention25 est tardive : Amritnāth est célèbre quand le Ṭhakur vient l’honorer.
35Autre caractéristique remarquable de cette hagiographie, l’insistance portée sur les miracles, notamment sur les guérisons. Communes à toutes les vies de saints26, l’hagiographie d’Amritnāth leur attache cependant une importance particulière qu’on retrouvera dans les récits concernant ses successeurs et disciples. C’est avant tout, me semble-t-il, un moyen d’insister sur le caractère exceptionnel d’Amritnāth, de démontrer sa nature de siddh puruṣ ou encore divya puruṣ (être parfait, être divin). Parfois à visée purement démonstrative (certains avec colère !), parfois à mettre en relation avec une quête personnelle d’ordre alchimique27, ses exploits sont le plus souvent effectués au bénéfice des disciples, ses interventions miraculeuses étant alors de trois ordres : prédictions, guérisons et succès matériels28. Doit-on associer la réitération du souci qu’a Amritnāth de la santé et du bonheur des autres à l’accent mis sur le « welfare », le bien public, qui caractérise les mouvements religieux contemporains et qui a touché également, nous le verrons, les Nāth ?
36Pour son hagiographe, la sainteté d’Amritnāth se révèle avant tout par ses œuvres. Plus que son enseignement, c’est son comportement qui est exemplaire. D’ailleurs, tout en méprisant l’étude pour elle-même, il se disait plus savant que les pandits, ce qu’ils lui accordaient volontiers : « Vous avez la vraie Connaissance, nous n’avons que l’argumentation. » Car il avait « étudié dans le livre de l’univers ». Il ne présentait donc pas d’exposé doctrinal ou philosophique mais enseignait à tous « sans considération de jāti-pānti29, varṇa-āśrama, haut et bas, honneur et déshonneur, désir et jalousie, richesse » (Śarmā 2052 : 33), témoignant ainsi de son indifférence aux normes sociales, sans ostentation mais de façon pratique. Il devait parfois propager ce message de générosité de façon plus énergique : on m’a raconté qu’un de ses dévots, un prêteur sur gage – activité caractéristique de la communauté marwari locale – avait un fils malade que Amritnāth acceptait de guérir en échange de la remise des dette de ses débiteurs pauvres. Le dévot promit mais n’en fit rien. L’enfant resta muet jusqu’à ce que le créancier reconnaisse sa faute !
37Ce même souci d’ouverture à tous, de rendre accessible à tous la voie du détachement et donc du bonheur le poussa à simplifier ce qu’il enseignait du yoga. « Il se désolait que la voie bénéfique du yoga se perde par manque de pratiquants et perte des textes anciens, il a donc voulu enseigner et simplifier, donner des règles de vie et une pratique accessible à tous » (Śarmā 2052 : 33), ce pourquoi il professait une pratique différente du yoga et affirmait : « Une meilleure alimentation, la chasteté et la concentration sur le souffle, voilà le sahaj yoga (yoga facile), le samādhī. »
38À la même volonté de simplicité se rattache l’attention quasi obsessionnelle portée aux pratiques alimentaires. Tout au long de l’hagiographie reviennent des recommandations diététiques, des maximes qu’on trouve maintenant reprises sur les murs de 1’Ashram : « Lait, yoghourt, ghee, rābṛi, consomme avec amour. Jeûne de temps en temps. Connais l’état de ton corps », ou « Mange orge, millet, riz, pois, pois chiches, sorgho. Fais cuire lentilles, haricots, soja. C’est assurément l’amr̥t », ou encore « Les grains et les fruits sont les aliments fondamentaux. Celui qui mange de la viande, la maladie le dévore ». Il s’agit là de conseils simples et pratiques que même des dévots pris dans les occupations du monde peuvent suivre.
39Nous verrons combien l’hagiographie d’Amritnāth est en adéquation avec ses dévots, et combien elle émane d’eux. Comme le dit McLeod (1994 : 19) des janamsākhī de Guru Nānak : « They do not provide history. What they do provide is rather an interpretation of the Guru’s life, one which reflects the piety of his devout followers [...] and which draws extensively upon a fund of the marvellous and the miraculous. » Le choix et la présentation des éléments de la vie d’Amritnāth résonnent avec ce que des fidèles laïques, pris dans les difficultés et les espoirs d’une vie ordinaire, attendent de leur guru. L’appartenance sectaire de celui-ci, les particularismes des Nāth Yogīs, leur quête sotériologique et même leur pratique du Hatha Yoga sont révisés à la lumière d’autres impératifs.
Notes de bas de page
1 Pour emprunter le titre du livre de Centlivres, Fabre et Zonabend (1998) consacré aux personnages héroïques (La Fabrique des héros). Sur la relation entre saints et héros, voir Mayeur-Jaouen (2002).
2 Éditeur avec Rupert Snell de l’un des livres fondateurs consacrés aux écrits hagiographiques (According to Tradition). Il écrit : « The desert and jungles of Rajasthan are full of life, with a great variety of small insects and numerous large animals. Such too are the manuscript collections in that dry region, preserving scores of small Bhagatmāls and half a dozen huge works of hagiography. » (in Callewaert et Snell 1994 : 87).
3 Un village où se trouve actuellement un important monastère de la tradition d’Amritnāth, certainement inexistant à l’époque.
4 Par ailleurs, agglomération connue maintenant pour être le berceau de la famille Birla.
5 Également le heu d’un monastère important puisqu’il fut dirigé de 1908 à 1915 par Campanāth, le guru d’Amritnāth (voir chapitre 10).
6 Un trait sans doute fréquent mais que l’on retrouve dans l’hagiographie, bien connue en Inde musulmane, du prince yéménite Hâtim : dans son cas, les astrologues « expliquent que cet enfant, destiné à être connu pour sa grande générosité, ne peut boire si, au même moment, d’autres enfants ne sont pas nourris avec lui » (Champion 2001 : 387). Dans le cas d’Amritnāth, le trait annonce sans doute la relation particulière qu’il entretient avec la nourriture, notamment lactée, ce que l’hagiographie développera plus tard.
7 Un tableau du monastère représente Cetarâm allongé dormant sur son lit et surplombé par un yogī idéal entouré d’un halo bleu et d’où émanent des rayons lumineux, une image de Gorakhnāth, à laquelle est identifié ici Amritnāth.
8 Plus précisément, un mélange de farine d’orge, de farine de millet et de babeurre, bouilli et refroidi.
9 Un attachement à la mère qui rappelle celui du mystique bengali Caitanya, lequel « pour ne pas trop s’éloigner de sa mère choisit de s’établir à Puri, car il lui promet de ne jamais l’abandonner » (F. Bhattacharya 2001 : 189).
10 Est-ce un écho d’un épisode tiré des janam-sākhi de Guru Nānak ? Envoyé enfant étudier chez un brahmane, Nānak lui déclare : « These subjects which you have studied are all useless [...]. He then sang a hymn : « Burn your worldly affections, grind [them] and prepare ink ; let [your] mind be as paper of excellent quality ». (McLeod 1994 : 31).
11 L’hagiographe commente : « Aucune région en Inde ne vaut la Shekhavati ; nulle part ailleurs on ne trouve nourriture, eau, air et simplicité de vie comparables. La vie matérielle y est bénéfique aux hommes et en particulier aux sādhus. » (Trivedi 1990 : 11).
12 Ainsi que le dit Snell (1994 : 5-6) : avant de proposer une interprétation innovante, le saint – et son hagiographe – doivent faire la démonstration rassurante d’un rattachement à la tradition : « Hence the commonplace portrayal in hagiographies of the infant bhakta’s enviably precocious command of an entire standard corpus of traditionnal texts, and a complete mastery of its wisdom. »
13 Voir le dictionnaire Br̥hat hindī koś : 1467.
14 Ou sulfure de mercure, voir White (1996 : 6, 66, 194-196) : « Mercury [...] is the presence in the mineral world of the sexual essence of the Absolute [...]. All that remains is for the alchemist to swallow the mercury in question to himself become a second Śiva, an immortal superman (Siddha) » (id. : 6) ; « Cinnabar, mercuric sulfide – composed of mercurail semen and sulfurous uterine blood – is a mineral hierophany of the sexual union of Śiva and the Goddess » (id. : 194).
15 Selon le dictionnaire de McGregor (1993 : 962), un poison végétal (comme le siṅgiyā) ou, peut-être, de l’arsenic ? « In India, red arsenic (est-ce le même ?) is identified with the uterine blood of the Goddess » (White 1996 : 195).
16 C’est aussi un trait qui caractérise Madhva, selon le Sumadhvavijaya : « He eats all the food that is brought to him by six Brahmans [...]. He eats 4000 bananas and drink thirty pitchers of milk [...]. Acyutapreksa [son guru] is astonished that Madhva eats 200 bananas ; Madhva explains that the divine force in his belly is the same that consumes the world at the time of pralaya. » (Zydenbos 1994 : 172-173).
17 jamāl goṭā : « a small cultivated tree, Croton tiglium, and its nut (used as a purgative) » (McGregor 1993 : 359).
18 En accord avec la Yogatattva Upaniṣad 49 (Varenne 1971 : 57) :
Une diète lactée
combinée avec l’usage du beurre clarifié
est recommandée.
19 C’est la femme de Durgāprasād. Elle demande à Amritnāth de la guérir de maux d’estomac et celui-ci propose à son mari de prescrire un remède. Durgâprasâd répète le dernier mot prononcé par Amritnāth.
20 Très ancien centre de pèlerinage maintenant au Pakistan, dédié à la déesse Agni Devī et révéré par les Śaktā pour être le lieu où tomba la calotte crânienne de Sati Devī. Fréquenté également par les musulmans, le temple de Hiṅg Lāj était avant la Partition une des grandes destinations des Nāth Yogīs (voir Briggs 1973 : 105-110).
21 Un parallèle dans la biographie de Sahajānanda (fondateur du mouvement Swaminarayan) : « Sahajānanda’s yogic powers apparently included the capacity to transport others in a state of visionary trance ; the object of the vision is generally that of the « chosen deity » (iṣṭadevatā). » (Schreiner 2001 : 159).
22 Des saints-poètes de la bhakti, notamment maharashtrienne (voir Schomer et McLeod 1987, D. Gold 1987), la bhakti étant ce courant religieux pan-indien qui s’est progressivement imposé à partir des premiers siècles de notre ère et qui prône une voie de salut fondée sur la dévotion envers une nature divine personnalisée. Outre les cultes de temple, la bhakti a inspiré nombre de mouvements sectaires, notamment en Inde du Nord à partir du XVe siècle (voir le volume édité par D. Lorenzen 1995).
23 Je parlerai plus précisément de la relation des Nāth en général, et du monastère de Fatehpur en particulier, avec la bhakti nirguṇ, la dévotion pour un divin non qualifié, sans attributs, dans le chapitre 11.
24 Je souscris à la remarque de Lorenzen (1995 : 184) s’interrogeant sur la similarité que présentent les hagiographies dans leur structure thématique : « I prefer to regard such narrative convergences as stemming from a combination of factors including mutual historical influences among the stories, the gradual forgetting and dropping out of historical specifics, and the shared psychological and ideological needs of the tellers and listeners of the stories. »
25 Appel fut fait une autre fois au Ṭhakur, mais plutôt dans le cadre de ses fonctions administratives, lorsque une partie du terrain alloué par Madho Singh fut usurpée par un certain Ṭhakursidās Hisariyā. Jyotināth fit alors appel au successeur de Madho Singh, Kalyan Singh, pour arbitrer le conflit. Ce dernier entérina la donation antérieure.
26 Voir Granoff (1985 : 391) : « In Hindu India hagiographies and miracles would seem indeed to be closely associated. From philosopher to pious devotee, from reformer to Tantric adept, all are seen to have been capable of and to have performed great miracles. » Voir aussi Tulpule (1994 : 166) à propos de Mahipati, le biographe des saints de la bhakti marathe : « Miracle play a very prominent role in the lives of saints, and saintliness is equated with miracle-making in the eyes of biographers. »
27 Sur laquelle l’hagiographie ne s’étend pas, par incompétence du narrateur ou à cause du silence gardé par Amritnāth sur ce sujet ?
28 Voir un exposé plus détaillé de cette relation entre pouvoirs du guru et dévotion des disciples, étendue aux mahant successifs de l’Ashram, dans mon article (à paraître in « Divines richesses »).
29 Pānti, groupe commensal, qui accepte de s’asseoir en ligne (pānt) pour partager ensemble la nourriture. Les sādhus de sectes différentes peuvent refuser cette commensalité. Le terme peut donc être considéré comme un équivalent structural de caste (jāti) pour les ascètes. Varṇa, couleur, catégorie, caste ; āśrama, stade de la vie.
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