Chapitre 7. Fondation et transmission d’un monastère personnel : comment assurer sa pérennité ?
p. 155-168
Texte intégral
1Situé en lisière de la petite ville commerçante de Fatehpur, dans la région aride de la Shekhavati, le monastère Nāth est connu dans la région sous le nom d’Amrit1 Ashram ou Amritnāth Ashram, ce qui nous révèle d’emblée la centralité du lien du monastère à son fondateur Amritnāth. D’autre part, bien que le terme d̓’āśram, au sens d’ermitage, ait de tout temps désigné une résidence ascétique, il me semble que dans le contexte contemporain, on emploie plus volontiers maṭh pour les établissement monastiques traditionnels relevant de courants sectaires reconnus, et āśram (ou ashram sous sa forme anglicisée) pour les diverses structures ascétiques et/ou sectaires de gurus autoproclamés ou innovants. Ainsi, le nom même du monastère est révélateur d’une orientation différente de celle que nous avons précédemment envisagée.
2À l’origine de ce monastère se trouve donc un homme, Amritnāth, doté de toutes les qualités que Max Weber attache à la notion de « charisme personnel2 ». Sa légende en fait un individu relativement isolé, à l’écart des institutions, recherchant la solitude, faisant des expériences sur la matière et le corps et pratiquant diverses ascèses. Doué de pouvoirs exceptionnels, d’une « qualité extraquotidienne (peu importe que cette qualité soit réelle, supposée ou prétendue) » (Weber 1996 : 370), il ne cherche pas le monde mais les dévots et les disciples viennent à lui. Ses pouvoirs, son aura, sa réputation, en un mot son charisme, lui attirent la faveur des puissants et une large reconnaissance locale. Considérant son amour de la solitude, c’est en quelque sorte à son corps défendant qu’il accepte la construction d’un embryon de monastère autour de son dernier refuge, pressé par la foule de ceux qui viennent le visiter et espèrent ses bienfaits. Telles sont du moins les grandes lignes de son hagiographie dont nous verrons plus tard les multiples détails. Notons ici simplement qu’à la mort d’Amritnāth, en 1916, le monastère existait à peine, ne comportait que deux pièces destinées à l’administration, Amritnāth étant jusqu’au bout demeuré dans une hutte en paille, quelques disciples seulement auprès de lui, mais avec la visite quotidiennement de milliers de visiteurs cherchant à le voir pour le solliciter.
3Nous disposons là d’une ébauche d’institution, d’une implantation extrêmement fragile reposant uniquement sur le charisme personnel d’Amritnāth et la sanction que ce charisme a reçu de la ferveur populaire. Le problème est de la faire durer.
4La fragilité structurale est une constante du monachisme hindou dans la mesure où hormis quelques grands établissements équivalents à nos pañcāyatī maṭh Nāth, institutionnels ou bénéficiant d’un patronage établi, la plupart des monastères dépendent de facteurs individuels avec pour durée de vie celle des individus qui les ont fondés ou rénovés. C’est également ce que montre Dana W. Sawyer (1998 : 159 et 162) à propos des monastères des Daṇḍī Dasnāmī Sannyāsī de Benares : éphémères, dépendant de leur fondateur, « Dandi monastic complexes originates and develop around charismatic gurus rising with their brotherhood. The guru is the pivot and fondation of the entire monastic structure, maths (monasteries) forming and dissolving as gurus come and go. The effect of guruism (having the living guru at the top of the monastic hierarchy) is a very volatile, ephemeral, and plastic monastic structure. »
5Or les ashrams Nāth dont je vais parler sont des modèles de réussite. Ainsi, l’Amrit Ashram n’a-t-il cessé de prospérer. Son expansion à Fatehpur s’est combinée au développement d’un dense réseau de monastères-filiales pour ancrer la tradition d’Amritnāth à la fois dans la secte Nāth et dans le contexte social de la Shekhavati. Comment cette institutionnalisation s’est-elle produite ? Comment la « routinisation » du charisme s’est-elle opérée ? Ce sont les processus que nous allons maintenant envisager.
Le rôle de l’hagiographie dans le développement du monastère
6Tâche la plus urgente peut-être, il fallut faire vivre la mémoire d’Amritnāth. Ce sera la tâche d’un de ses dévots, Durgāprasād Śarmā Trivedī, originaire d’Amber, qui prit le nom de plume de « Śaṅkar » et rédigea en hindi une première version de la vie et de l’œuvre d’Amritnāth, parue sous le titre de Śrī Amritānurāg en 1932. Une réédition en 1942 sous le titre de Śrī Vilakṣaṇ Avadhūt bénéficia d’une préface d’un savant renommé de Jaipur3, Purohit Harnārāyaṇ Śarmā, un indice de l’influence déjà reconnue à la tradition d’Amritnāth. Republié en 1990 sous les auspices du mahant actuel Narharināth, le livre, augmenté d’une courte notice biographique des successeurs d’Amritnāth, est maintenant l’ouvrage qui fait autorité, la « version officielle » de l’histoire d’Amritnāth, et se constitue de trois parties très différentes. La première, qui nous intéresse davantage ici, présente le récit de la vie d’Amritnāth telle que Durgāprasād l’a recueillie ou telle qu’il l’a vécue lui-même. L’auteur se met en scène, rapporte ce qu’il a vu, fait part au lecteur de ses interrogations personnelles à son guru lors de la mort de son épouse, alors qu’il hésite entre remariage et renoncement. Il mentionne même la mort de son jeune frère six jours après ses noces dont la date avait été déconseillée par Amritnāth. L’épisode qu’il rapporte toutefois avec le plus d’émotion et de regret, celui qui sans doute décida de son entreprise d’écriture, c’est son absence à la mort de son guru. Amritnāth l’avait pourtant mis en garde : alors que Durgāprasād prenait congé de lui pour se rendre sur ses terres à Gudā et toucher ses fermages, Amritnāth le prévint de revenir le voir avant la pleine lune, le 15 du mois d’Āśvin et de ne pas dépasser cette date. Le séjour de Durgāprasād à Gudā se prolongeant, la nuit de la pleine lune, celui-ci vit dans un demi-sommeil Amritnāth assis en lotus dans l’embrasure de la fenêtre et lui souriant. Perturbé par cette vision, il se pressa à Jaipur et apprit la mort d’Amritnāth : « Il en resta comme foudroyé4. »
7La deuxième partie du livre contient les enseignements d’Amritnāth, tels qu’il les aurait directement proférés. Outre un exposé classique du Haṭha Yoga, le message d’Amritnāth se veut simple et fondamental. Il insiste sur la discipline de vie, notamment sur les habitudes alimentaires, et se fait le chantre de ce qu’il appelle Sahaj Yoga ; nous verrons par la suite ce qu’il entend par ce Yoga qu’il qualifie de « simple » (au sens propre de sahaj, naturel, instinctif) et la nouveauté de cet enseignement.
8La troisième partie, directement écrite par Durgāprasād, contient ses propres compositions poétiques, inspīrées, dit-il, par l’énergie d’Amritnāth. Il raconte comment, peu de temps avant la mort de son guru, il lui apporta des poèmes de Kabīr dont Amritnāth lui déclara qu’ils étaient tous l’œuvre de ses disciples et que lui-même, Durgāprasād, pouvait écrire sous l’inspīration de son maître. À sa grande stupéfaction, « il découvrit qu’il était capable d’écrire très rapidement des chants sur les thèmes du yoga, de la bhakti, du détachement, de la prière, du sentiment de dévotion envers l’absolu inqualifié (nirguṇ bhāv)5 ». C’est ce corpus, signé « Śaṅkar » qui constitue la troisième partie du livre.
9L’influence de l’ouvrage de Durgāprasād fut décisive dans la constitution de l’image d’Amritnāth, et la base des récits ultérieurs – notamment d’un livre écrit par l’érudit local, Sāgarmal Śarmā, qui voue sa vie au recueil des traditions populaires du Rajasthan. Ce livre, intitulé Śekhāvāṭī ke Sant, est consacré pour un tiers aux Nāth Yogis, à commencer par Amritnāth et ses gurus. Diffusé largement hors du cercle des dévots, il contribua à la réputation de l’Ashram et de son fondateur.
10Les faits narrés par Durgāprasād, et de préférence les épisodes miraculeux de la vie d’Amritnāth, furent illustrés ensuite, en 1988, par Prabhātnāth, un peintre que j’avais déjà rencontré dans le monastère népalais de Caughera. Sur le même principe qu’il utilisa également pour raconter la vie du Siddha Ratannāth, fondateur mythique de ce monastère, il redouble la narration picturale d’une légende qu’il inscrit à même la toile, qui la commente et s’inspīre directement du Śrī Vilakṣaṇ Avadhūt. Prabhātnāth, aidé d’un assistant (Pārasnāth), peignit plus d’une soixantaine de tableaux dans un style naïf et coloré, situant chaque scène dans un idyllique paysage verdoyant plus proche de son Népal natal que de la désertique Shekhavati [ill. 34-38]. Accrochés dans une galerie ouverte face aux sanctuaires, à l’endroit où se rassemblent les dévots lors des pūjā, ils sont au cœur du monastère, quotidiennement regardés, commentés, appris. Ces mêmes tableaux, dans un développement très contemporain, illustrent le site Internet de l’Ashram conçu par une disciple soucieuse de diffusion internationale.
11Obéissant à ce même désir de toucher les étrangers6, le livre de Durgāprasād vient d’être partiellement édité dans une hésitante traduction anglaise, sous le titre de The biography of Shri 1008 Vilaxan Awadhoot. Assez condensé, il retient surtout les hauts faits et notamment les prouesses alimentaires d’Amritnāth, et donne en reproduction une bonne moitié des tableaux de Prabhātnāth. Détail intéressant, le nom de l’auteur n’est pas mentionné en tant que tel, une seule allusion y est faite dans le cours du texte : « At that time Shri Durga Shankar the writer of Shri Vilaxan Awadhoot book was also sitting with Baba » (p. 36). Ce qui était souvenir personnel de Durgāprasād est devenu vérité officielle, discours établi et partagé par tous.
12Cette construction de la communauté par le souvenir opère aussi au niveau individuel. Aux récits à présent canoniques de Durgāprasād s’ajoutent d’autres événements intimes de certaines familles, des épisodes vécus personnellement que ces familles tentent d’agréger à l’histoire d’Amritnāth. Ce fut le cas lorsque, lors d’une grande fête commémorative en 2002, certaines familles prirent l’initiative de faire représenter par leurs enfants les épisodes célèbres de la vie d’Amritnāth par le biais de courtes saynètes ou de tableaux vivants, y ajoutant certains épisodes ou miracles dont elles avaient bénéficié, renforçant ainsi, par la représentation publique de leur lien avec leur guru, leur propre importance et ajoutant à la mémoire collective leur contribution personnelle. Un autre livre, un recueil de témoignages de dévotion et d’hommages, publié à cette occasion, contribua à ancrer l’expérience de chacun dans le corpus hagiographique commun.
13La dimension relativement contemporaine de la vie d’Amritnāth nous permet d’appréhender plus clairement le processus de standardisation de la mémoire, l’appropriation collective de souvenirs vécus et leur intégration dans le moule hagiographique. En étudiant plus en détail ce qui nous est dit de la vie d’Amritnāth, nous verrons combien celle-ci répond à certains stéréotypes, à un certain modèle de la sainteté, construit dans le cas d’Amritnāth autour de sa fonction de thaumaturge. Le charisme manifeste du saint fondateur a pu être préservé et entretenu par une hagiographie acquérant un statut canonique et contribuant ainsi à la permanence de l’institution fondée autour d’Amritnāth. « Facteur de stabilité7 », ce canon perdure par consensus : « Drawn from the memory of elders who were themselves witness to the life, words and deeds of a charismatic leader, this canon draws its legitimacy partly from actual experience or memory of charisma, and partly from the collective consent of learned religious leaders of the community » (Stietencron 2001 : 16). On retrouve à l’œuvre le processus décrit par Maurice Halbwachs (1976 : 286) : « Il n’est point de pensée religieuse qu’on ne puisse comprendre, comme une idée, et qui ne soit pas faite en même temps d’une série de souvenirs concrets, images d’événements ou de personnes qu’on peut localiser dans l’espace et le temps », et il ajoute : « Les pensées religieuses sont [...] si l’on veut, des idées qui représentent des personnes et des événements uniques. »
L’ancrage dans la tradition Nāth
14Telle que la rapporte l’hagiographie, la jeunesse d’Amritnāth témoigne de ses talents exceptionnels mais fort peu d’une orientation sectaire, ce que compense à sa façon l’iconographie lorsque le peintre représente comme un ascète Nāth l’enfant apparaissant sous une forme divine à son père endormi. Ce n’est qu’à l’âge de trente-six ans qu’il est effectivement initié comme Nāth, à la suite de la rencontre d’un groupe d’ascètes près de Bikaner. Cette initiation illustre bien une constante de la démarche ascétique : l’importance de la quête du guru. Les hagiographies aussi bien que les récits autobiographiques insistent toujours sur ce thème de la recherche d’un maître spirituel, puis de la révélation fulgurante qui naît de la rencontre avec une personnalité hors du commun, avec qui le lien se noue immédiatement. Dans l’adhésion sectaire, beaucoup plus, me semble-t-il, que d’une préférence doctrinaire, il s’agit d’une relation interpersonnelle : on choisit bien moins de devenir Nāth, Dasnāmī ou Rāmānandī que l’on ne rencontre un guru. C’est le cas d’Amritnāth et de son guru Campānāth, dont, d’après l’hagiographie, il perçoit immédiatement la valeur. Il est donc initié comme Nāth, reçoit les anneaux mais paraît peu impliqué dans la vie de la secte. Aucune mention n’est faite d’une dévotion particulière à Gorakhnāth ou même à Śiva, d’une participation à de grands pèlerinages Nāth, d’un rôle quelconque dans la secte. Amritnāth est avant tout un individu isolé et s’il se rattache aux pratiques Nāth, c’est sans doute, comme nous le verrons, dans le domaine de l’alchimie. Néanmoins, initié par Campānāth, il appartient au panth de ce dernier et c’est par ce biais qu’il s’inscrit dans la tradition. Mais cette insistance sur sa légitimité dans la secte est surtout le fait de ses successeurs.
15Campānāth, donc Amritnāth également, sont de panth Mannāthī. Nous avons vu que celui-ci fait partie des listes canonique des douze panth, qu’il est mentionné par Dvivedi et Briggs, ce dernier faisant par ailleurs allusion au lien avec Rājā Raśālū et le Rajasthan. Personnellement, je n’ai rencontré de membres de ce panth que dans la Shekhavati et je pense qu’ils étaient fort peu nombreux avant la multiplication actuelle de la lignée d’Amritnāth.
16Le panth Mannāthī est issu du disciple de Gorakhnāth appelé Mannāth, le nom que prit Rājā Raśālū après son initiation. Sa légende se confond avec celle de son demi-frère, Pūraṇ Bhagat ou Cauraṅgīnāth. D’origine punjabie, elle est fort connue, sous de multiples variantes, jusqu’en Inde du Sud8. Je la résume ici en suivant Sāgarmal Śarmā (2052 VS9 : 20-22) :
Le roi de Syalkot [maintenant au Pakistan], Śaṅkhabhāṭī (Śālī Vāhan) avait deux épouses, l’aînée du nom de Icchārādhe, la cadette appelée Nyunāde (Luṇādhe). La cadette n’avait pas d’enfants et l’aînée avait pour fils Pūraṇmal, un jeune homme de grande beauté. Il se rendit un jour dans le palais de la jeune reine qui, en le voyant, lui fit des avances. Pūraṇmal qui avait fait vœu de célibat lui répondit qu’il la considérait comme sa mère. La reine se mit dans une violente colère [...] Lorsque le roi se rendit dans le palais et la vit aussi agitée, elle lui montra ses griffures et déclara que Pūraṇmal avait essayé de lui faire violence. Le roi sans chercher la vérité fit couper les pieds et les mains de Pūraṇmal et le fit jeter dans un puits. Quelque temps après passèrent Gorakhnāth et son groupe de Yogis. Par la puissance de son yoga, Gorakhnāth savait ce qui s’était passé ; il fit sortir Pūrṇamal du puits, lui rendit ses mains et ses pieds et en fit son disciple.
Plus tard, dans leur itinérance, Gorakhnāth et ses disciples s’approchèrent de Syalkot. Le roi Sankhabhātī, qui avait été si injuste envers Pūraṇmal, s’était laissé aller à son tempérament coléreux et la pluie avait cessé dans son royaume. Le jardin du roi était tout sec. Gorakhnāth envoya Pūraṇmal (Cauraṅgīnāth) demander l’aumône au palais. Voyant l’aspect surnaturel du divin saint, le roi demanda sa bénédiction. Cauraṅgīnāth lui dit : « Roi ! tu as commis une grande injustice envers ton fils. » Le roi répondit que son fils avait commis un grand crime.
Cauraṅgīnāth dit alors : « Roi ! Tes paroles sont fausses. Je suis ton fils Pūraṇmal. J’ai toujours considéré ma mère comme une mère et c’est encore le cas aujourd’hui. Amenez-la devant moi, si le lait sort de son sein et va à ma bouche, vous verrez que j’ai raison ! » C’est ce qui se passa [...].
La vérité éclata. Le roi, dans sa colère, voulut tuer la reine et dit : « Tu as commis une grande injustice, mon beau fils que j’aimais, tu l’as calomnié et il a été cruellement tué. » Mais Cauraṅgīnāth intervint : « Vous êtes aussi coupable, votre âme est sans perfection. Donnez-lui votre pardon. » Entendant cela, la reine dit que toute femme a le grand désir d’avoir un fils, et que pour obtenir un fils aussi beau que Pūraṇmal, elle s’est laissée aller à le séduire. Cauraṅgīnāth lui dit alors : « Mère, va ! Tu auras un fils aussi beau que moi, mais qui aura son propre caractère ! »
Quelque temps après la reine eut un fils. Il était très beau. Il fut nommé Raśālū. Il était très actif. Plus tard Gorakhnāth revint et, par la force de son yoga, pénétra l’âme de Raśālū, détruisit ses mauvais penchants, lui donna sa bénédiction et lui dit qu’il était devenu un Nāth par l’esprit. Rājā Raśālū devint le disciple de Gorakhnāth, abandonna le trône royal, s’adonna à l’ascèse [...].
Tout en marchant, il se rendit dans la Shekhavati. Là, il construisit son ermitage (sthan) dans le village de Ṭāīn près de Bisāū, dans le district de Jhunjhunu. C’est de Ṭāīn que viennent les gurus du panth Mannāthī et que se trouvent leurs tombes10.
17En effet, en lisière du village de Ṭāīn, se trouve un petit monastère paisible, certainement le plus ancien des établissements Nāth de cette tradition, vieux de deux cent cinquante ans dit-on, mais je n’ai pas trouvé d’éléments permettant une datation précise. Les bâtiments dessinent une sorte de croix de saint André ayant pour centre une cour autour de laquelle court une élégante galerie [ill. 33]. Le toit-terrasse, plat, orné à chacun des angles de petites chatri, supporte deux toits curvilignes (à śikhar) en stuc qui s’élèvent au-dessus des deux sanctuaires principaux, les samādhi de Mannāth et de Keśarnāth. Ce dernier, envoyé par le mahant de Fatehpur pour rénover les lieux vers 1950, aurait fait construire le sanctuaire actuel de Mannāth au-dessus de l’ancienne sépulture. On raconte qu’il avait demandé au maçon Chejara11 de faire attention à bien protéger le tombeau et à ce que rien ne tombe dessus ; celui-ci n’en ayant eu cure, Mannāth lui serait alors apparu dans toute sa fureur : le malheureux Chejara en serait mort de frayeur ! On raconte aussi que l’arbre jāl qui pousse dans le jardin daterait de l’époque de Mannāth et aurait la particularité de secréter le jour anniversaire de la mort de Keśarnāth (troisième jour clair du mois de Jeṭh) des fruits particuliers, des petits bonbons de sucre blanc.
18Je n’ai pas pu reconstituer la succession des mahant de Ṭāīn. Probablement les lieux ont-ils été désertés pendant un certain temps. On parle d’un certain Śivnāth qui, il y a deux cent cinquante ans, aurait reçu d’un seigneur local beaucoup de terres (1 500 bighā selon les uns, 5 000 selon les autres). Mais il semble bien que le monastère se soit trouvé réanimé et réinvesti à mesure que l’on insistait dans l’Ashram d’Amritnāth sur le lien qui l’unissait avec la tradition Nāth la plus reconnue.
19La légitimation de la lignée de gurus issue d’Amritnāth passe par la revendication d’une filiation prestigieuse, indispensable lorsqu’il s’agit de perpétuer une fondation nouvelle, d’« institutionnaliser le charisme » du fondateur, un processus courant à l’intérieur des mouvements sectaires12. La « réinvention » de Mannāth a servi ce but.
Assurer la succession
20Selon son hagiographie, Amritnāth aurait eu trois disciples principaux : Santoṣnāth, Kriṣṇanāth et Jyotināth. Ce dernier occupa une place toute particulière auprès de son guru qui, à la fin de sa vie, se reposait sur lui pour tout ce qui concernait l’administration. Lorsque Amritnāth accepta finalement, à la prière de ses dévots, la construction d’un ashram, il en confia la supervision à Jyotināth, refusant totalement d’y être associé. C’est donc Jyotināth qui petit à petit et aux yeux de tous fut considéré comme le successeur d’Amritnāth ; celui-ci, « satisfait de son service, le jugea le plus capable de ses disciples et lui enseigna le pouvoir du Yoga et la connaissance du Soi ». Amritnāth mourut, devant la foule de ses dévots, au jour et à l’heure qu’il avait annoncés ; peu avant, il avait posé la main sur la tête de Jyotināth, lui disant : « Je suis pleinement satisfait de toi, tu obtiendras la paix, à mes côtés tu as ta place divine. » Jyotināth présida à l’ensevelissement de Amritnāth, fit allumer sur sa tombe une lampe qui brille encore de nos jours, et organisa le bhaṇḍārā, le repas cérémoniel, qui, le troisième jour après la mort, marque la fin des rites funéraires des ascètes. Jyotināth fut alors, dit la biographie de Durgāprasād, consacré (abhiṣikt) chef du monastère (Amritāśram ke maṭhādhīś). Tout ne semble cependant pas si simple puisque, après plusieurs années passées à faire édifier le samādhi d’Amritnāth et construire et organiser l’Ashram, c’est seulement dix ans après la mort d’Amritnāth qu’à la prière de ses fidèles disciples, Jyotināth convoqua l’ensemble des Nāth des trente-deux dhūnī13 du panth Mannāthī pour une cérémonie commémorative. « Ceux-ci mirent un terme à leurs anciennes rancœurs, retrouvèrent leur unité et offrirent [à Jyotināth] le châle14 en lui octroyant le titre de pīr. À cette occasion, son disciple Śrī Śubhnāth fut proclamé futur successeur » (p. 297).
21On voit donc que la volonté d’Amritnāth fut insuffisante pour faire l’épargne d’un processus plus complexe et plus long afin que, d’une part, l’existence du monastère soit établie et que, d’autre part, la nomination du supérieur soit entérinée. Jyotināth, disciple préféré d’un maître sans attaches, eut la charge de créer une institution ; celle-ci se constitua autour de la tombe d’Amritnāth. Le trône et la tombe sont, nous y reviendrons, indissolublement liés. Ce fut ensuite la sanction collective des Nāth, réunis en faisant taire leurs divergences (s’agissait-il de jalousies liées à la succession et à des enjeux financiers croissants15 ?) qui signa l’acte de reconnaissance officielle de l’Ashram et de son chef : le don du châle scella l’investiture de Jyotināth et amorça le processus de transmission.
22Pour assurer la continuité de l’institution, Jyotināth prit la précaution de faire officiellement avaliser son disciple Śubhnāth alors âgé de seize ans. Ses successeurs agiront de même mais, nous le verrons, à partir d’une situation bien différente.
Tableau de succession des chefs de monastère
Date de naissance | Investiture | Décès | |
Amritnāth | 1852 | 1916 | |
Jyotināth | 1877 | 1916/1926 | 1954 |
Śubhnāth | 1911 | (1926) 1954 | 1971 |
Hanumānnāth | 1935 | (1963) 1971 | 1982 |
Narharināth | 1952 | 1982 |
23Jyotināth, né en 1877 en Haryana dans une famille de caste paysanne Jāṭ, avait comme Amritnāth choisi le renoncement à l’âge adulte et quitté sa famille pour se mettre en quête d’un maître. Comme dans le cas d’Amritnāth, la rencontre avec son futur guru fut déterminante16 : touché par le charisme de l’ascète, il lui demanda de l’accepter pour disciple et Amritnāth, tout en percevant immédiatement ses qualités, ne cessa pourtant par la suite de le tester et de le former.
24En revanche, les trois successeurs de Jyotināth furent élevés dans l’Ashram. C’est une procédure très fréquente pour une famille de donner un enfant à un monastère, soit que cette famille entretienne une dévotion particulière pour tel guru ou pour tel Ashram, soit qu’on considère l’enfant comme un don reçu de la bénédiction d’un ascète thaumaturge. Souvent la transmission se fait aussi au sein d’une même famille biologique, d’oncle à neveu : le jeune neveu est alors confié au monastère et préparé par son oncle aux fonctions qui l’attendent17.
25Ainsi Śubhnāth : issu de la famille d’Amritnāth, son grand-père était le frère cadet de l’ascète. Amritnāth ayant prévenu le père de Śubhnāth qu’un enfant exceptionnel lui naîtrait, celui-ci considéra l’enfant comme un don du saint et l’amena auprès d’Amritnāth à ses trois ans. Amritnāth jugeant impossible de garder un enfant aussi jeune le laissa dans sa famille jusqu’à l’âge de sept ans. En 1918, Śubhnāth intégra l’Ashram et fut initié par Jyotināth. Il fit ses études au Sanskrit College et seconda son guru jusqu’à ce que, à la mort de celui-ci en 1954, il prenne sa succession.
26Amené à l’Ashram avant même la mort de Jyotināth, le troisième successeur, Hanumānnāth, né en 1935 dans un village près de Laksmangarh, appartenait à une famille très dévouée à l’Ashram qui l’y conduisit à l’âge de trois ans18. Son père demanda alors à Jyotināth de garder l’enfant sous sa protection. Celui-ci le confia à Śubhnāth qui le prit en charge lorsqu’il eut sept ans et le prépara à être son successeur. Pour assurer une transmission sans faille, Śubhnāth en 1963 organisa, comme l’avait fait Jyotināth pour lui, un grand rassemblement de sādhus afin de commémorer la mort de Jyotināth et de faire entériner le choix de Hanumānnāth, alors âgé de 27 ans. Śubhnāth mourut en 1971 et Hanumānnāth lui succéda comme prévu. Comme ses prédécesseurs, il s’occupa de faire construire la tombe de son guru et de former son successeur, Narharināth, le mahant actuel, né dans une famille brahmane d’un village proche de Fatehpur en 1952. Son père étant le purohit de l’Ashram, l’enfant avait coutume de l’accompagner et on dit que c’est lui qui manifesta sa volonté de résider à l’Ashram où il fut accepté à dix ans. Hanumānnāth le prit pour disciple et l’initia lors du grand rassemblement de sādhus de 1963. Hanumānnāth tomba gravement malade et, incapable d’assumer sa charge, fit nommer par acte écrit Narharināth comme son successeur, lui confiant de facto la responsabilité de l’Ashram en février 1982. À sa mort en septembre, l’ensemble des fidèles, des autorités de la ville et la communauté des sādhus investirent Narharināth.
27Le mode de recrutement du prochain chef de monastère va sans doute rester le même : deux jeunes garçons résident aujourd’hui à l’Ashram. L’un vient de recevoir les anneaux et commence à officier pour les rituels, l’autre est encore à l’école. Mais je ne les ai pas vu bénéficier de la rigoureuse formation spirituelle et pratique sur laquelle les hagiographies de leurs prédécesseurs insistent tant !
La « consubstantialité » des chefs de monastère
28La procédure de transmission de la charge de chef de monastère est maintenant établie. La sélection par le mahant d’un jeune disciple qu’il forme et qu’il nomme officiellement pour lui succéder comme uttarādhikārī, le « prochain en charge », est acceptée à la fois par les autorités de la secte et par les disciples laïques. Pour ces disciples, la légitimité du chef de monastère et la continuité de l’institution sont renforcées par la croyance que les quatre mahant successifs participent, en quelque sorte, d’une essence commune. Quoique Amritnāth se soit situé dans une filiation spirituelle prestigieuse, dans un panth ancien qu’il a probablement revitalisé, il est perçu par les dévots comme totalement indépendant, comme un héritier direct de la grâce de Gorakhnāth. À la fois personnage historique et incarnation de l’absolu, on le désigne dans les textes hagiographique sous le terme de Śrī Nāth, une appellation qui se rapporte aussi à Gorakhnāth, et au-delà à Śiva lui-même dont, dans la tradition Nāth, Gorakhnāth est un avatar. Or, outre Amritnāth, tous les chefs de monastère se voient désignés de cette manière et les récits concernant les différents mahant entretiennent la confusion. Derrière la personne du chef de monastère actuel, ses prédécesseurs et surtout Amritnāth sont présents. Un des témoignages de l’hagiographie le dit de façon imagée : celui d’un visiteur doué de pouvoirs exceptionnels, un tāntrik dit-on, qui voyait toujours le mahant qu’il connaissait sous une forme dédoublée : à ses côtés, agissant avec lui comme son ombre, se tenait toujours Amritnāth !
29La transmission de l’autorité d’un chef de monastère au suivant se charge ainsi d’une dimension plus subtile : la transmission d’une essence spirituelle, d’une qualité inhérente à la fonction laissant au second plan les différences individuelles19. Le siège symbolique de cette essence, la marque visible de la permanence, c’est le trône, la gaddī sur laquelle s’installe le chef du monastère : aussi l’officiant va-t-il tous les matins, après avoir rendu hommage successivement aux mahant défunts, s’incliner devant la gaddī, que le mahant en titre y siège ou non.
Le cœur d’un monastère : un trône et une tombe
30Le successeur reconnu, celui qui s’assied sur la gaddī, a la charge de célébrer les rites funéraires de son prédécesseur et guru et de lui faire construire une tombe, un samādhi20. Contrairement au mode de succession royal où il s’agit souvent d’épargner au prince héritier la pollution du contact avec le cadavre du roi défunt et où le maximum de distance est maintenu entre les deux corps du roi21, le corps humain, mortel et le corps de dignité royale, la succession monastique se fonde sur leur confusion. Non seulement le disciple choisi préside aux funérailles de son prédécesseur, mais souvent son intronisation se déroule le jour du banquet funéraire en présence de tous les ascètes.
31À Fatehpur, nous avons vu que le premier acte de tout nouveau mahant est d’ériger le samādhi de son prédécesseur. A l’emplacement même où Amritnāth mourut, ses disciples, Jyotināth en tête, creusèrent une fosse où ils l’enterrèrent assis, en position de méditation selon la tradition. Jyotināth fit ensuite recouvrir la sépulture d’un autel carré de forme assez particulière, nous y reviendrons, l’ensemble surmonté d’un toit pyramidal, à śikhar, en marbre blanc. Ses trois successeurs furent enterrés de la même façon dans trois sanctuaires contigus surmontés de toits identiques. Il est remarquable que ces temples funéraires, ces « samādhi-mandir », soient le cœur même de l’Ashram, son centre à la fois géographique et spirituel, les seuls lieux de culte à l’intérieur du monastère, les seuls autels que viennent adorer les dévots. Bien évidemment, aucune idée d’impureté ne s’y attache, ce sont au contraire des lieux de pouvoir, des lieux où l’on considère que se trouve toujours la śakti – l’énergie – des mahant décédés et surtout celle d’Amritnāth.
32C’est un trait commun aux monastères, surtout s’ils sont shivaïtes22, que les tombes soient dans l’enceinte, intégrées aux monastères, objets de cultes quotidiens, et qu’elles soient aussi révérées lors de l’intronisation d’un nouveau mahant. Cet ancrage des monastères autour de la tombe des fondateurs se manifeste également par le choix de la date anniversaire de leur mort comme fête annuelle. C’est pour le monastère une façon de dire son orientation ultramondaine, de se tourner vers la quête de la libération. Comme le dit Gleen Yocum (1990 : 264) : « Mutt in many ways may be like a temple but temples are not located on gravesites and do not have festivals set by death anniversaries [...] for the mutt is also like a grave. »
33À Fatehpur, dans l’enceinte du monastère, aucun sanctuaire autre que les tombes n’est honoré : peut-être s’agit-il là d’une façon de témoigner encore du statut exceptionnel d’Amritnāth, d’en faire véritablement un saint fondateur, le point de départ d’une tradition renouvelée.
Tradition et innovation
34Le succès de l’enracinement du monastère, l’ancrage réussi de la lignée spirituelle issue d’Amritnāth se conjuguent avec une profonde transformation à la fois dans les valeurs et dans le contexte sociologique de la tradition Nāth. La personnalité d’Amritnāth, son indépendance vis-à-vis des institutions et des normes de la secte et son charisme personnel lui ont permis d’introduire et de propager des idées et des usages nouveaux, que les succès de la fondation institutionnelle ont légitimés. Ces innovations par rapport à la tradition Nāth se sont réalisées en interaction constante avec la société environnante ; un nouveau patronage favorise l’introduction de nouvelles valeurs et à leur tour ces valeurs ouvrent l’Ashram à une population différente.
35Les successeurs d’Amritnāth, moins réfractaires au jeu institutionnel, ont à plusieurs reprises participé aux instances administratives de la Mahāsabhā et patronné la construction de bâtiments ou l’érection de statues dans les principaux centres Nāth. Narharināth par exemple, que nous avons vu participer au pèlerinage de Kadri, a financé de nombreux banquets d’ascètes lors des Kumbh Melā et fait ériger des statues à Pushkar et à Haridvar. Il a même été un temps secrétaire de la Mahāsabhā (poste qu’il a abandonné, dit-il, à cause de sa politisation). L’équilibre complexe à maintenir pour l’Ashram entre singularisation et insertion dans la norme sectaire se trouve facilité par l’évolution générale que reflètent les directives normalisatrices de la Mahāsabhā.
36Cette souplesse et cette adaptabilité caractéristique de l’Ashram de Fatehpur nous apparaîtront de façon étonnante lorsque nous évoquerons dans le chapitre 12 la surenchère des festivités commémoratives qui marquèrent l’anniversaire des cent cinquante ans de la naissance d’Amritnāth. Mais revenons d’abord sur l’origine de l’Ashram, l’hagiographie de son fondateur, et ce qui a fait vivre l’institution : les réseaux de disciples et de dévots laïques.
Notes de bas de page
1 Je choisis la graphie utilisée par l’Ashram lui-même dans ses publications, de préférence à amr̥t (liqueur d’immortalité, élixir).
2 Une définition dans l’Éthique économique des religions (« Sociologie des religions » 1996 : 370) et de nombreuses occurrences dans Économie et Société condensées par H. von Stietencron (2001 : 33) : « [charisma] defined as a « certain quality of individual personality by virtue of which he is set apart from ordinary men and treated as endowed with supernatural, superhuman, or at least specifically exceptional powers or qualities. »
3 Information dont je suis redevable à Monika Horstmann (« The Two Sides of the Coin : Santism and Yoga in Rajasthan », communication orale, Paris 2005).
4 D’après Śrī Vilakṣaṇ Avadhūt : 60-61.
5 (Trivedi 1990 : 59). Selon Monika Horstmann (inédit : 14), « it is not astonishing that it took him a bare twenty minutes to compose a song, for what he wrote was deeply rooted in the regional poetic and religious tradition [...] he followed the special regional mood which did not find it essential to distinguish between doctrinal yoga and doctrinal bhakti. »
6 « It will be more beneficial for the foreigners who are infamiliar by the miracles, preachings and yoga knowledge performed time to time by almighty great saint Shri Amritnath. » (Préface de Β. L. Bhinda à la traduction anglaise de 2002).
7 Voir l’introduction au volume « Charisma and Canon » édité par V. Dalmia, A. Malinar et P. Christof, auquel je dois beaucoup : « The canon could become the stabilizing factor that served to consolidate religious group identity in terms of theology, ritual and moral conduct. » (2001 : 3)
8 Voir chapitre 4, note 21. Pour les versions nord-indiennes, voir Swynnerton (1908), Temple (1885 : vol. 1, 2-65), Briggs (1973 : 184-85), Gill (1986 : 133-152), Digby (2000 : 191-197).
9 VS : abbreviation de Vikram Samvat ou ère Vikram, la plus couramment employée en Inde du Nord. L’ère Vikram commence en 57 ap. J.-C. et célèbre la victoire du roi Vikramaditya d’Ujjain sur les Shakas. La nouvelle année se célèbre généralement le premier jour du mois de Caitra (mars-avril).
10 Cette version très abrégée – telle qu’on la connaît à l’Ashram – ignore les multiples épisodes extraordinaires faisant de la vie de Rājā Raśālū, notamment dans la version que rapporte Richard Temple (1885), un véritable roman picaresque.
11 Caste d’artisans tailleurs et sculpteurs de pierre musulmans. À Fatehpur, le lien de patronage demeure depuis les premières constructions et c’est la même famille Chejara qui continue à œuvrer pour les restaurations et agrandissements du monastère.
12 Rappelons l’article fondateur de Richard Burghart (1978a : 121-139) : « Every genealogy is a record of a strategy in which the sect has reinterpreted its past in order to compete more effectively for the [...] limited resources which are necessary for its survival in the present » (id. : 127).
13 On appelle ces rassemblements solennels de responsables Nāth, battīs dhūnī bhaṇḍārā, « repas des trente-deux feux » : selon le manuel rituel Śrī Nāth Rahasya (2005 : 339), les pīr-mahant y effectuent ensemble pūjā, offrande au feu (havan), répétition de mantra (jāp) et pratiques ascétiques (sādhanā), partagent un repas et reçoivent un vīdāī (un don de départ). Le chiffre trente-deux est-il purement canonique comme semblerait l’indiquer l’autre appellation de la cérémonie, 108 dhūnī bhaṇḍārā ?
14 Le rite d’investiture traditionnel des supérieurs de monastères (voir chapitre 6).
15 Outre des dons du Seigneur de Sikar, un certain Caman Singh offre 52 bighā de terres arables à l’Ashram au moment de la mort d’Amritnāth.
16 Une situation analogue à celle du grand monastère Śankarien de Sringeri : la rencontre avec le Śankarācarya de Sringeri fut à l’origine de la vocation de son successeur, Bharati Tirtha. Ainsi le rapporte Glenn Yocum (1996 : 70) : « This initial meeting, according to Bharati Tirtha’s own report, was crucial : « At the time it struck me that His Holiness was my teacher and my savior. His beaming smile I felt was giving me a message. I thought I got what I wanted [...]. I decided then that he was to be my guru. »
17 C’est le cas par exemple, selon C. Clementin-Ojha (2006 : 555), dans le monastère Nimbārki de Salemabad, où la succession s’est systématiquement faite dans la période récente au sein de familles Gauda Brahmanes « through a system of patronage in which the gift of a son to the monastery played a significant part ». Le supérieur actuel est entré au monastère à l’âge de 11 ans (id. : 552).
18 Il semble que l’enfant soit né infirme d’une jambe. Son père, « a religious minded person [...] came to Jyotinath and requested to take Shri Hanuman Nath under his shelter [...] At some time Shri Amritnath came in the dream of the mother of Shri Hanuman nath. She requested Baba that a legged boy has been presented at the Ashram. But Baba assured her that the boy is not legged but healthy. So by the saying of Baba, the boy became totally cured and the defect of the leg was removed. » (The biography of Shri 1008 Vilaxan Awadhoot : 46)
19 On peut faire un parallèle avec les gurus Sikhs : comme le remarquent Hawley et Juergensmeyer (1988 : 75), tous les gurus du lignage signent leurs poèmes du nom de Nānak, « so Nānak, the guru, is not just a person but a principle ».
20 Critère qui, dans les conflits d’héritage entre les disciples d’un mahant défunt, permet de les départager : voir par exemple les décisions des pañcāyat, relayées ou non par les tribunaux britanniques dans les cas rapportés par Cohn (1964 : 177-178) et Pinch (2004 : 591 : « The senior-most chela received the greatest share [of the mahant’s personal proprerty] but also the responsability of performing the death-rites and erecting a fitting samadhi monument »).
21 Kantorowicz (2000), et le développement par Adrian Meyer (1985) sur « les deux trônes » du roi.
22 Voir par exemple Yocum (1990) à propos de monastères Śaiva Siddhanta : dans le monastère de Thiruvavaduthurai Adheenam, les deux temples publics sont les samādhi du fondateur et de son successeur, considérés comme étant entrés vivant en samādhi (jivansamādhi). Un peu à l’extérieur se trouvent les dix tombes des successeurs auprès desquelles se rend le mahant une fois par semaine.
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