Chapitre 4. Mangalore et les Nāth : un passé lointain
p. 75-98
Texte intégral
1L’importance que revêtent pour les Nāth Yogīs le monastère de Kadri et, au-delà, toute la ville de Mangalore, ne laisse pas d’intriguer. La nomination solennelle du supérieur lors d’un Kumbh Melā, ce titre de rājā, unique dans les annales Nāth, ces six mois de pérégrinations sur un territoire qui paraît avoir été autrefois entièrement sous sa domination... Ces distinctions, ces particularismes amènent immédiatement à s’interroger : pourquoi Kadri ? Quelle place occupait et occupe encore ce lieu dans une tradition Nāth que l’on imagine plus volontiers nord-indienne ?
2Tenter de répondre à ces questions nous entraînera loin dans le passé tout en nous confrontant à des situations complexes, non résolues faisant toujours l’objet de contestations et qui concernent la rivalité entre les différentes sectes religieuses. Kadri se trouve en effet au cœur de polémiques récentes portant sur la lutte entre le brahmanisme et le bouddhisme, et constitue autrement dit un témoignage précieux dans une histoire hautement conjecturale. Quel rôle y ont joué les Nāth ?
Mangalore, la ville et ses temples
3Chef-lieu de district du South Karnataka, Mangalore est aujourd’hui une petite ville paisible et verdoyante. Entourée des deux rivières Gurpur, au nord, et Netravati au sud, ce port autrefois cosmopolite et florissant ne communique plus avec la mer que par un étroit chenal. Toute l’activité portuaire s’est reportée dix kilomètres au nord et plus rien ne laisse deviner la splendeur passée de ce centre du commerce maritime avec les pays du golfe Persique, splendeur illustrée dans le récit romanesque d’Amitav Ghosh (1992 : 241-88) sur les expéditions du marchand Abraham Ben Yiju au XIIe siècle et historiquement attestée par le témoignage d’Ibn Battuta, lequel y relevait la présence de quatre mille marchands musulmans1. Prospère sous la dynastie Alepa (VII-XIVe), la ville passa ensuite sous la domination de Vijayanagar de 1345 à 1563 (le Sud Karnataka était alors divisé en deux gouvernorats, celui de Bārakūru et celui de Maṅgalūru) avant de subir les rivalités et escarmouches entre les Portugais et les Keḷadi Nāyaka. Plusieurs fois attaquée, elle fut finalement occupée par les Portugais au milieu du XVIe siècle. Le témoignage du voyageur italien Pietro Della Valle, qui résida quelques semaines à Mangalore en 1622, nous montre une ville encore imposante, ceinte de remparts, avec un petit fortin servant de résidence au gouverneur, la suzeraineté portugaise ne s’exerçant toutefois que sur une zone très réduite (le cœur de Mangalore) cernée par les royaumes de la reine de Uḷḷāla au sud2 et du roi Keḷadi Veṅkāṭappa Nāyaka (que nous retrouverons dans l’histoire du monastère) au nord. En 1763, Mangalore passait sous la coupe du souverain de Mysore, Haidar Ali. Le traité avec les Portugais de 1770 laissa vite place à des conflits à répétition avec les Britanniques. La victoire de Tipu Sultan lors de la deuxième guerre de Mysore permit d’imposer aux Britanniques l’humiliant traité de Mangalore de 1784. Mais avec la défaite et la mort de Tipu Sultan, l’annexion britannique de Mangalore deviendra effective en 17993.
4Malgré sa gloire passée, la ville est aujourd’hui bien pauvre en vestiges architecturaux. Elle semble par contre avoir hérité de son passé maritime et commerçant cette remarquable pluralité religieuse qui la caractérise. Sans doute même avant celle des hindous, des musulmans et des chrétiens, la ville a-t-elle déjà vu la coexistence de bien d’autres sectes – bouddhistes, shivaïtes, lingayats, jaïns, vishnouites ?
5Plutôt que des monuments, à Mangalore toujours reconstruits, il reste du passé des inscriptions, des statues, et surtout des récits. Bien que d’un statut historique contesté, ces narrations, indatables quant à leur composition et quant aux faits qu’elles sont censées relater, peuvent-elles néanmoins être considérées comme portant la trace d’événements ou l’indice de changements dans l’histoire religieuse ?
6Les récits de fondation de Mangalore s’organisent autour de deux lieux précis, deux ensembles religieux encadrant la ville au sud et au nord. Or, aussi bien les effigies divines que les légendes les concernant rattachent ces deux complexes de temples au plus ancien passé de la ville, et lient ce passé à la tradition Nāth.
7Au sud, non loin de la Netravati, se trouve le temple de Maṅgalādevī, dédié à la déesse « auspicieuse » (maṅgal) dont la ville tirerait son nom. La légende, nous le verrons, attribue à ce temple une origine extrêmement ancienne et suppose une hypothétique reconstruction au Xe siècle par le roi Alepa Kundavarma (la légende ayant acquis un statut d’orthodoxie pour tout ce qui touche à l’histoire religieuse de Mangalore). Le sanctuaire abrite une image (mūrti), stèle irrégulière et massive de pierre noire, une effigie de la déesse ou un śivaliṅga ?
8Maṅgalādevī passe dans certaines légendes pour la parèdre de Mañjunāth dont le grand temple se trouve à l’opposé, à la lisière nord de la ville, au pied d’une colline couronnée par le monastère Nāth Yogī de Kadri. On désigne tout l’ensemble, temple et monastère, sous le nom de Kadri-Mañjunāth, ce qui témoigne de leur connexion même si le temple de Mañjunāth est à présent desservi par des brahmanes vishnouites Mādhva. De plan carré et d’architecture classique kannarese, il fut constamment remanié jusqu’à paraître aujourd’hui récent, bien qu’il soit réputé dater du XIVe siècle et qu’au moins une des statues qu’il contient, un des témoignages les plus anciens de l’art Kannada, soit du Xe siècle. Ces statues, les inscriptions trouvées dans le complexe de Kadri, mais aussi les légendes de fondation et les rituels font de ce temple – sans doute le plus fréquenté de Mangalore - un des grands pôles de la tradition Nāth sud-indienne. Mais ces différents indices pointent aussi des directions très différentes : l’histoire de Mañjunāth, complexe et fragmentaire, a donné lieu à beaucoup plus d’interprétations que d’études approfondies.
9Mon but sera ici de percevoir Mañjunāth à travers le prisme Nāth, en m’appuyant dans un premier temps sur les légendes, puis sur les inscriptions pour saisir l’importance de cet ensemble constitué par le temple et le monastère. Une première légende nous renvoie à la jhuṇḍī et au pèlerinage entamé par les Yogīs à Tryambakeśvar.
Relecture de la légende de Paraśurām : l’apparition de Mañjunāth
10Une tradition ancienne attribue le surgissement de la côte occidentale du Deccan à Paraśurām, Rām à la hache, le sixième avatār de Viṣṇu. Celui-ci aurait, après le meurtre des Kṣatriya (voir infra), obtenu de Varuna le territoire qu’il couvrirait en lançant sa hache vers la mer, faisant alors émerger la frange côtière du Deccan. Mentionnée dans le Mahābhārata et nombre de Purāṇas, cette légende est citée dans plusieurs inscriptions « datant du premier quart du VIe siècle au premier quart du XVIe4 » et aurait, selon Kesavan Veluthat, accompagné la migration de communautés brahmanes5. De nos jours, tout le territoire côtier6 continue à considérer Paraśurām comme sa divinité emblématique, le Karnataka tout particulièrement en raison de l’importance qu’y revêt le corpus mythique de Yellamma-Jamadagni autour du temple de Saundatti dans le district de Belgaum (Nord-Karnataka)7. Car Paraśurām est le fils de ce couple problématique formé par le renonçant brahmane Jamadagni, considéré comme un avatār de Śiva, et son épouse Kṣatriya Yellamma-Reṇukā. La geste violente de ce héros, archétype du brahmane guerrier, fait d’abord de lui un matricide. Il tue sa mère sur l’ordre de son père avant de la ressusciter. Puis, voyant son père tué par le roi Arjuna Karthavira dans ce qui n’est que l’apogée d’une succession de persécutions par les Kṣatriya, il prend les armes et, accomplissant son destin d’avatār, en vingt et une expéditions punitives, purge la terre de l’outrance et de la violence des Kṣatriya.
11L’épisode qui fait de lui le héros de Mangalore, et que les Nāth Yogīs ont interprété à leur façon, se situe après le combat. Paraśurām a rempli son rôle, il a rétabli l’ordre brahmanique. Pourtant, nous dit alors la version des Nāth8 :
Il est pris de remords, il est écrasé sous le poids de la culpabilité et voudrait se libérer de son péché. Il erre de par le monde en compagnie de nombreux ascètes ; l’un d’eux lui conseille d’aller prendre refuge auprès de Gorakhnāth, qui seul pourra lui donner la paix. Paraśurām se rend donc auprès de Gorakhnāth, installé sur le mont Kaulāgaṛh9 et s’incline à ses pieds. Gorakhnāth lui ordonne alors de tendre les bras et, en un clin d’œil, sans que Paraśurām n’en prenne conscience, fait apparaître dans ses mains tendues le pātradevatā, le divin récipient qui est pour les Yogīs à la fois le symbole de leur sampradāy, de leur secte, et la forme quintessencielle, le svarūp de Gorakhnāth. Celui-ci déclare alors à Paraśurām : « Va et honore ce divin pot en un lieu où personne encore n’a pratiqué d’ascèse. » Paraśurām fait le tour de la terre et ne trouve aucun endroit vierge de toute présence méditative antérieure. Désespéré, il revient vers Gorakhnāth qui lui enjoint alors de marcher sans s’arrêter, en direction du sud, jusqu’à ce qu’il trouve une terre qui ne le déçoive pas. Paraśurām se met en marche et arrive enfin au bord de la mer, non loin de l’endroit où se trouve la moderne Mangalore. Là, plein d’angoisse et de tristesse, il se dit qu’il est arrivé au bout du monde et que peut-être, ce qu’a voulu dire Gorakhnāth, c’est qu’il doit s’enfoncer et disparaître dans la mer. Il commence alors à marcher et plus il progresse, plus la mer se retire, jusqu’à laisser apparaître une bande de terre d’une largeur de douze kos10, une terre vide de toute présence antérieure et donc de toute ascèse. Paraśurām y dépose le pātradevatā et se livre à une ascèse des plus rigoureuses. Alors, la brume (ce qui en kannada se dit mañju) qui enveloppait le pot se déchire, et Gorakhnāth se manifeste dans toute sa splendeur. Paraśurām se jette à ses pieds et lui rend hommage en l’appelant « Mañjunāth », seigneur de la brume11. Gorakhnāth lui annonce alors que sa pénitence est accomplie, qu’il aille en paix, et il lui donne sa bénédiction.
12Selon les Nāth, le grand temple de Mañjunāth fut érigé sur le lieu même où Gorakhnāth fit son apparition, émergeant du pātradevatā, et le monastère de Kadri qui le domine contient encore la dūhnī, le feu ascétique auprès duquel Paraśurām pratiqua l’ascèse12. Il s’agit donc d’une terre absolument sainte et marquée dès sa sortie des flots par la suprématie Nāth. Même Viṣṇu, en la personne de son avatār, doit s’incliner devant la toute-puissance shivaïte, du moins est-ce ainsi que les Yogīs veulent voir les choses13. La situation historique dicte-t-elle leur lecture ? Nous serons amenés à nous interroger sur les interprétations qui ont été faites de cet épisode et, plus généralement, du personnage de Paraśurām.
Le Kadalī Mañjunātha Māhātmyaṁ : un māhātmya Nāth
13Il existe d’autres versions de cette fondation légendaire du temple de Mañjunāth qui gomment ou transposent la connection Nāth en faisant directement de Mañjunāth une forme de Śiva, sans passer par le relais de Gorakhnāth.
14C’est le cas dans un māhātmya local, le Kadalī Mañjunātha Māhātmyaṁ, pourtant manifestement écrit sous l’influence du nāthisme. Ce texte en sanskrit a été édité une première fois en 1956, avec une traduction en kannada, par un érudit local, Kadava Shambhu Sharma, sous les auspices de la Yogī Mahāsabhā, puis en 1975 à Bénares en sanskrit, avec une traduction en hindi. La version kannada vient d’être rééditée localement (2003). Selon l’historien S. Nagaraju dans un petit article qui fait bien ressortir les ambiguïtés du texte et de la figure de Mañjunāth14, le « Kadalī Manjunātha Māhātmyaṁ has been edited with the aid of two manuscripts – one on paper and the other on palm-leaf... At the end of the palm-leaf manuscript there is mention of 1652 – Kali saṁvatsara. If 1652 could refer to the Śakya year, the date of the manuscript would be 1730 A.D. » (s.d. : 75). En deux mille six cents versets et soixante chapitres, il exalte la grandeur et l’ancienneté de Kadri. Probablement constitué de différents fragments mis bout à bout, ce texte « with its easily recognizable additions and alterations is a fine indicator of the shifting influence of different religious denominations », ainsi que l’écrit S. Nagaraju dans le résumé et l’analyse de ce texte dont je m’inspire. La première partie, faite des chapitres I à XIII, expose le mythe d’origine de Kadri et exalte Mañjunāth ; la seconde partie (XIV-LX) appartient totalement à la tradition Nāth et se consacre aux principaux Nāth Siddha, aux principaux maîtres de la secte, sans que le rapport avec Kadri soit développé. Nagaraju souligne deux particularités de ce texte, sur lesquelles nous reviendrons : « Traces of Buddhist connection, that either the holy place Kadri or early Nāthapantha had, could be seen persisting in certain passages ». Par ailleurs, à plusieurs reprises, on trouve des eulogies de Viṣṇu ainsi qu’un récit de ses dix avatār. Nous allons donc retrouver Paraśurām !
15Le texte commence par un dialogue entre deux sages, Bhāradvāja et Sumantu, s’interrogeant sur la plus haute divinité qui puisse être révérée sur terre. Évoquant une discussion analogue entre les deux r̥ṣī, Kapila et Bhrgu, ils optent pour Mañjunāth, lequel se manifeste alors dans un cercle de lumière en se présentant comme le suprême brahman et Śiva lui-même. Viṣṇu apparaît à son tour et les sages lui demandent où Mañjunāth peut être honoré. Viṣṇu fait alors le récit de ses dix incarnations, déclarant que lors de son incarnation comme Paraśurām, il avait rendu un culte au dieu Mañjunāth sur « la terre dorée de Kadalī » (suvarṇa Kadalī kṣetra, i.e. Kadri), après l’avoir reprise sur la mer, et fait construire un temple par le divin architecte Viśvakarma. Le texte (chapitre XIII) contient également cette épisode de la déesse que nous aurons à évoquer plus tard : « Alors que Paraśurām vivait sur cette terre sainte, la déesse Vindhyāvāsinī vint s’y installer en tant que Maṅgalādevī. »
16Mañjunāth représente donc dans ce texte, ainsi que dans les versions données par les prêtres Madhva du temple de Mañjunāth la forme même de Śiva en tant qu’absolu. Le lien avec Paraśurām est conservé mais, curieusement, la suite du texte enchaînant immédiatement sur les Neuf Nāth15, aucun lien n’est pourtant établi entre Mañjunāth et Gorakhnāth. Une indication peut-être : celle que ce māhātmya émane des cercles des prêtres de Mañjunāth qui, nous le verrons, tentent de minimiser la relation aux Nāth, de projeter dans le passé une indépendance qui ne s’est que progressivement élaborée entre les deux sanctuaires.
17On trouve une version analogue sur le site Internet de la ville de Mangalore, la version standard de la légende16 : Paraśurām, après le meurtre des Kṣatriya, prie Śiva de lui donner une terre pour faire pénitence. Śiva lui dit que, s’il se rend à Kadali Kshetra, lui, Śiva, se réincarnera en Mañjunāth. Paraśurām jette sa hache dans la mer et fait émerger un lieu propice à son ascèse. Śiva s’y incarne avec Pārvatī.
Le temple de Mañjunāth et son histoire
18Quittant temporairement le domaine du récit, nous allons parcourir le temple et nous trouver confrontés à plusieurs interrogations ayant trait aux divinités mêmes qui y furent honorées.
19Les légendes, la configuration des lieux, la statuaire, les inscriptions, les rites, tout tend à mettre en évidence la force et l’ancienneté du lien entre le temple de Mañjunāth et le monastère Nāth de Kadri. Bien qu’aujourd’hui administrativement autonomes, les deux ensembles ne sont distants que de quelques centaines de mètres : le complexe du temple de Mañjunāth s’étend au pied de la petite colline dominée par le monastère de Kadri et lui est relié. Pourtant la topographie, les aléas de l’histoire et l’urbanisation ont incité le monastère à aménager un accès séparé, de sorte que les portes principales se trouvent maintenant très éloignées l’une de l’autre, et les visiteurs de Mañjunāth, couramment appelé Kadri Mandir, prennent rarement la peine d’emprunter le grand escalier bien raide qui s’élève face à l’entrée du saint des saints et se poursuit par un chemin menant au maṭh.
20On accède, depuis le centre de Mangalore, à ce qui était autrefois le domaine de Mañjunāth par un portique récemment restauré et orné de bas-reliefs de Śiva et Pārvatī. La route traverse ensuite des terrains anciennement propriété du temple, maintenant privatisés et couverts d’habitations ou de boutiques, avant de buter sur la vaste esplanade du temple. On y a construit plusieurs édifices périphériques (abris pour pèlerins et salle de fêtes) et rénové les sanctuaires annexes, notamment ceux de Durgā et Gaṇapati qui abritent un liṅga et une statue probablement fort anciens17. Anciens et très révérés également les neuf bassins qui, au-dessus et au nord du sanctuaire, bénéficient d’une eau toujours abondante.
21Quant au sanctuaire principal, au centre de l’esplanade, il est entouré d’une enceinte ajourée, où le béton a remplacé le bois, bordant une galerie quadrangulaire ombragée par un toit de tuiles. Au centre de la cour ainsi délimitée, le garbhagr̥ha, le cœur du sanctuaire, abrite Mañjunāth sous la forme d’un śivaliṅga svayambhū (« existant par lui-même », spontanément manifesté), une dalle de pierre à demie enfouie dans un petit bassin. On l’a récemment surmonté d’un gopuram peint en blanc. Les statues qui font toute la renommée artistique et historique du temple de Kadri-Mañjunāth sont à présent installées dans les niches aménagées autour de ce garbha-gr̥ha. Premiers éléments historiquement datables du temple, elles sont au cœur d’une controverse impliquant le seul groupe religieux que, curieusement, nous n’avons jamais vu figurer dans le corpus légendaire : les bouddhistes.
Les statues du Xe siècle : bouddhistes ou shivaïtes ?
22Dans une chapelle latérale du côté sud se trouve maintenant placée une statue, haute d’environ 1,50 m, en bronze doré et d’une facture exceptionnelle, représentant une divinité à trois têtes et six bras, assise en padmāsana (« position du lotus ») sur un piédestal spécialement élevé et ouvragé. Les détails des visages, les coiffures en chignon, les ornementations sont particulièrement raffinés. Au-delà de sa qualité artistique remarquable, cette statue, localement décrite comme Brahmā, est particulièrement intéressante par l’inscription que porte son socle. Constituée de neuf versets, cette inscription votive en sanskrit et en caractères grantha comporte une date précise, mentionnant une certaine conjonction planétaire le neuvième mois de l’année 4068 du Kaliyuga (c’est-à-dire 968 ap. J.-C.18). Les cinq premiers versets célèbrent le roi Kundavarma de la dynastie Aḷupa qui, entre autres qualificatifs, est décrit comme « une abeille aux pieds de lotus de celui dont la tête est ornée du croissant de lune », donc un fervent dévot de Śiva. Le dernier verset annonce le motif de cette dédicace : le roi Kundavarma fait procéder à l’installation d’une statue du dieu Lokeśvara dans le vihāra19 du nom de Kadari (kadarikā nāmni vihāre). La statue est donc identifiée et datée, et cette inscription sert de point d’ancrage aux spéculations historiques qui vont se développer.

Statue de Brahmā/Lokeśvara, temple de Kadri-Mañjunāth
23De l’autre côté du sanctuaire central, dans une chapelle latérale du côté nord, deux autres statues en bronze, également remarquables, datent sans doute de la même époque mais ne portent pas d’inscription. La première, qui fait face à l’est, est connue sous le nom de Nārāyaṇa. Le dieu est représenté assis en padmāsana, à quatre bras et une tête. Sa coiffure, très haute, porte en son centre une petite figurine assise. Le travail du bronze est extrêmement fin, notamment dans tous les détails décoratifs, bijoux, ceintures. Face à lui, une autre statue, beaucoup moins ornée, avec un important piédestal comportant trois petits personnages assis, considérée localement comme celle de Vedavyāsa20. Sa facture sobre et puissante, la position des deux mains, la coiffure en petit chignon à boucles serrées évoquent les représentations du Bouddha. Certains lui donnent d’ailleurs ce nom.
24Toujours dans le temple central, mais en arrière du garbha-gr̥ha, trois statues imposantes relevant d’un style et d’une époque différents nous amènent sans conteste au cœur de l’univers Nāth et indiquent le lien de Kadri avec cette tradition : car ce sont trois grandes statues massives, en pierre sombre, de Matsyendranāth, Gorakhnāth et Cauraṅgināth, du moins selon la tradition car elles ne portent pas d’inscriptions. Matsyendra et Cauraṅgināth sont représentés assis en padmāsana, Gorakhnāth est debout ; tous trois portent de larges anneaux d’oreille, et Gorakhnāth un collier de graines de rudrākṣa. Ils ont été datés (sans preuve) du XIVe siècle ; les légendes locales sont prolixes sur Gorakhnāth et Matsyendranāth, je n’en connais en revanche pas localement au sujet de Cauraṅgināth, parfois appelé aussi Śārṅganāth (Saletore 1937 : 18)21.
25L’inscription du roi Kundavarma et le style des statues ont amené certains historiens à conclure à la présence à Kadri d’un ancien site bouddhiste. Outre le terme de vihāra qui s’applique aux monastères bouddhistes, l’iconographie ressort clairement du bouddhisme : les positions des mains et les attributs des deux statues connues comme Brahmā et Nārāyaṇa sont classiquement ceux d’Avalokiteśvara ; Vyāsa, comme on l’a dit, a l’attitude généralement associée au Bouddha ; plusieurs petites représentations du Bouddha sont visibles également sur le chignon, le nimbe et le socle des trois statues. Enfin, le nom de Lokeśvara n’est autre que celui du Bodhisattva Avalokiteśvara dont le culte se diffusa dans tout le monde mahayaniste à partir du IIe siècle ap. J.-C. en tant que « Seigneur de la compassion », « celui qui regarde » (Ava-lok, regarder en bas, observer) et prend soin des êtres. Fortement associé à la royauté, il n’est pas surprenant que ce culte ait été favorisé par le roi Kundavarma22.
26Une autre interrogation porte sur ce nom de Ma Mañjunath donné à la divinité principale du temple, ce liṅga svayambhū en pierre noire gardé dans le garbha gr̥ha23. C’est une des appellations possibles du Bodhisattva Mañjuśri, celui dont « la beauté est charmante ». Connu dans les écoles du Sud comme l’instructeur de tous les Bouddhas, on le retrouve surtout dans le Bouddhisme tantrique, et notamment au Népal où il aurait été à l’origine de l’apparition de la vallée de Kathmandu après avoir permis l’écoulement des eaux qui la recouvraient. « On lui attribue le pouvoir de prendre n’importe quelle forme afin de pouvoir aider les êtres vivants à atteindre le salut » (L. Frédéric 1987 : 720), ce qui le rapproche d’ailleurs de Lokeśvara24 (mais Saletore va un peu loin, me semble-t-il, lorsqu’il présente l’équation Mañjunāth/Lokeśvara comme allant de soi25).
27Pourtant, nous l’avons dit, l’inscription sur le socle de Lokeśvara précise que le roi donateur Kundavarma était un grand dévot du « dieu qui porte le croissant de lune », c’est-à-dire de Śiva. C’est un des arguments principaux de l’autre thèse, la thèse hindoue shivaïte, mise en avant notamment par les historiens plus récents et par les érudits locaux. En effet, il semble exister une polémique entre la première génération d’historiens, tel Β. A. Saletore, partisans d’une forte influence bouddhiste et donc favorables à un Lokeśvara bouddhiste, et la génération suivante représentée par G. Bhat et Κ. V. Ramesh qui en affirment l’hindouité : « There appears to have been much exaggeration about the Kadre hill as a Buddhist centre » (Bhat 1975 : 371). Quant à Ramesh (1970 : 97), il trouve moyen de détailler l’inscription sans même mentionner le terme vihāra ! Mukunda Prabhu26 fait remarquer que le yajñopavita barrant la poitrine des statues du supposé « Lokeśvara » porte un petit ornement qui pourrait être un sifflet comme en portent les Nāth, et que le chignon est typiquement shivaïte ; G. Bhat (2000 : 14) note que les perles du collier de Nārāyana pourraient être des graines de rudrākṣa et que celles-ci sont bien visibles sur la coiffure de Brahmā-Lokeśvara. Tout ceci concourt à accréditer la thèse selon laquelle Lokeśvara n’est autre que Loknāth, une des épithètes de Śiva. C’est notamment l’opinion de Κ. V. Ramesh (1970 : 294) qui ajoute : « This identification of Lokeśvara with Śiva is further supported by an inscription of A. D. 1215 from Mundkuru, Mangalore Taluk, which refers to Śiva as Lokeśvara. » De même selon G. Bhat (1975 : 292) : « This image of Lokeśvara is neither Buddhistic or Jaina as contended by scholars but Śaivite, to be identified with Śiva or Matsyendranātha himself in accordance with the philosophy of Nathism. » Moins affirmatif dans le fascicule qu’il a rédigé sur le temple et où il fait quelque peu le grand écart, après avoir insisté sur les aspects iconographiques bouddhistes et affirmé que « all the places-names called Kadari or Kadarika have been Buddhist centres all over the country », il maintient que « unless proved to the countrary, we may tentatively identify Likesvara (sic) with Śiva or Matsyendranatha himself who had his incarnation in Adinatha according to the mythology of the Natha Pantha. » (Bhat 2000 : 19). Dans la même optique hindouisante, et devant l’impossibilité de trouver d’autre exemple de l’épithète de Mañjunāth appliquée à Śiva27, le terme est expliqué par dérivation linguistique de Matsyendra : « It could also be reasoned out that the name Matsyendranātha took the form Macchi(e)ndranātha which, later, got altered into Manjinātha and then into Manjunātha » (Bhat 1975 : 296). Le Kadalī Mañjunātha Māhātmyaṁ va plus loin encore en voyant dans Mañjunāth « the ultimate Brahman, Śiva and everything in the universe » (Chap. VI in Nagaraju s.d. : 70)28.
Lokeśvara : un dieu de transition
28La clé de ces contradictions se trouve dans la figure de Lokeśvara, ce que je veux démontrer en m’appuyant sur des données népalaises – S. Nagaraju (s.d. : 69) lui-même note que l’image de Lokeśvara « has some stylistic features of the nepalese bronzes » et que « in Nepal particularly, Buddhist and Saiva elements are seen closely associated ». Je vois donc en Lokeśvara une figure de transition, une divinité charnière dont les caractéristiques se sont prêtées admirablement à une fusion du bouddhisme dans le shivaïsme tel que la tradition Nāth l’a incarnée. John Locke (1980 : 288-289), dans ses travaux sur le culte d’Avalokiteśvara-Matsyendranāth dans la vallée de Kathmandu, décrit longuement cette situation qu’illustre bien un mythe rapporté dans une chronique népalaise – la chronique dite « bouddhiste » écrite à la demande du résident anglais D. Wright :
« The fourth Buddha was the son of Amitabha. He was named Lokesvara and given the task of creating the world [...]. He instructed Siva in yoga-jnana which Siva then taught to Parvati one night as they dallied by the sea shore. Parvati fell asleep during the explanation and Lokesvara, in the form of a fish, took the role of listener [...]. When he finished, Siva realized that Parvati was asleep and that someone else had actually been listening and responding. He was angry and threatened to curse the interloper until Lokesvara revealed himself. Siva fell at his feet and begged for forgiveness. From this incident Lokesvara became known as Matsyendranatha – « the Lord of the Fishes ».
29Historiquement, l’étude de John Locke montre bien comment le culte de la divinité connue sous le nom newar de Bunga-dya fut introduit par les bouddhistes du Mahāyāna, sans doute vers le VIIe siècle29, puis transformé sous l’influence dominante du Vajrayāna, et enfin adopté par les hindous à partir de la fin du XIVe siècle, lorsque les Nāth bénéficièrent de patronages royaux. La pérennité de la présence et de l’influence du bouddhisme dans la vallée de Kathmandu explique également l’imbrication contemporaine : la divinité est à la fois Lokeśvara et Matsyendranāth, le culte majoritairement bouddhiste comporte des éléments Nāth, les dévots honorent le dieu sous le nom qu’ils veulent, sans s’interroger sur son identité mixte30. La situation de Kadri fut différente ; il semble — mais les documents manquent — que le bouddhisme ait laissé peu de traces dans la région ; c’est d’ailleurs un des arguments de Κ. V. Ramesh (1970 : 295) pour dénier l’appartenance de Lokeśvara au bouddhisme : « It will otherwise be very difficult to explain away the prevalence of Buddhism at Kadiri alone and during Kundavarma’s reign alone and its absence elsewhere in that region before and after. » Et il affirme (id. : 294) : « The Buddhistic iconographical features in these Kadiri images are to be taken not as evidence for the prevalence of Buddhism in South Kanara but as evidence of the influence of Buddhist iconographical prescriptions on the works of the sculptors who made those images. » Argument quelque peu spécieux : une influence bouddhiste déterminante au point d’influencer les artistes, sans bouddhisme !
30Plusieurs indices incitent donc à accorder à Kadari vihāra la fonction d’institution charnière et à Lokeśvara celle de divinité liminale dont pouvaient se réclamer des groupes religieux successifs et dissemblables. C’est en tout cas la thèse de P. S. Jaini, qui s’intéresse à la « disappearance of Buddhism (and survival of Jainism) » et fonde une bonne part de son argumentation sur le monastère de Kadri. Malgré plusieurs erreurs factuelles31, son argument me paraît convaincant, en particulier le fait que « the doctrine of the heavenly bodhisattvas made Buddhism uniquely vulnerable to the assimilating tendencies of the surrounding Hindu cults » (Jaini 1980 : 88). Si, comme le dit Κ. G. Vasanta Madhava (1985 : 2-4), le bouddhisme perdit son importance dans le Karnataka côtier après le Xe siècle, si les rois de la dynastie Alepa patronnèrent principalement le shivaïsme, et si l’influence Nāth est attestée dès le XIIIe siècle (Saletore 1937), on verra certainement en Kadri un centre religieux où se succédèrent bouddhisme et hindouisme.
Kadri ou Kadalī Van : la « forêt de bananiers », la déesse Mangalādevī et l’ancrage Nāth
31Il est temps de s’intéresser maintenant au nom même de ce lieu et de retrouver les Nāth, non seulement à travers les légendes qui rattachent Kadri et Mangalore au corpus Nāth traditionnel, mais aussi les inscriptions qui nous permettent de dater plus précisément leur arrivée sur la scène religieuse.
32Nous avons vu la première occurrence de ce nom de Kadri dans l’inscription de 968 : kadarikā nāmni vihāre (« dans le vihāra appelé Kadari »). Kadri est rapproché de kadalī, le bananier plantain, rapprochement justifié par l’inscription de 1386 trouvée à Kadri et référant à « Kadaḷiya-Mañjunātha »32. Certes, on peut penser que ce nom n’est qu’un toponyme banal, l’indication d’un lieu planté de bananiers. Cependant, alors que G. Bhat (2000 : 21) affirme, de façon peut-être un peu excessive et sans que l’on sache sur quelles données il se fonde, « it may be recalled that all the place-names called Kadari or Kadarika have been Buddhist centres all over the country », il se trouve qu’en contexte Nāth, le terme est lourd de connotations. Kadalī van, la forêt de bananiers, appelée encore Kadalī rājya, le royaume des bananiers, n’est autre que le Stri rājya ou royaume des femmes, ce royaume de jouissance où Matsyendranāth s’égare, dans une des légendes les plus populaires du nāthisme. Comme David White (1996 : 238) l’a démontré, ce terme se prête à plusieurs niveaux de lecture et il se réfère aussi bien à « a place identified with the sensual life (as in the legend of Matsyendranäth), but also with a grove of yogic realization and immortality ». Riche en métaphores alchimiques – « a Forest of Mercuric Sulfide, identified with bodily immortality » et « a land of death and darkness, identified with the failure to attain superhuman goals » (id. : 239) – ou corporelles – « a forest of women’s thighs [which] can lead to the death of a yogin, but can also constitute a “boat to immortality” » (ibid.) –, Kadalī ou Kadalī Van connaît de multiples localisations, la plus répandue étant 1’Assam (Kamrup), mais aussi Ceylan et, dans notre contexte, les rivages de l’océan Indien, Kerala et Karnataka.
33Le récit que font localement les Nāth de cet épisode du royaume des femmes présente la particularité d’ancrer plus encore le monastère de Kadri dans la configuration légendaire de la ville, d’annexer à la tradition Nāth sa divinité éponyme, au prix de quelques détours33 :
Le royaume des femmes a pour souveraine Pingalā Devï34. Celle-ci prie Hanumān de lui donner un enfant, un garçon, par l’union de leurs deux corps. Auparavant Hanumān donnait un enfant en émettant un son dans l’oreille de la femme qui voulait enfanter, mais elle ne pouvait engendrer que des filles, telle est l’origine du strī rājya, le royaume des femmes35. Hanumān répond à Piṅgala Devī qu’il est lié par son vœu de brahmacārī mais qu’il lui enverra un yogī aussi séduisant que lui. Plus tard il persuade Matsyendranāth d’expérimenter la faculté donnée par le yoga d’entrer dans le corps d’un autre et de prendre le corps d’un roi pour aller trouver Piṅgalā : « Sois le roi de cette reine et réjouis-toi avec elle sous le corps d’un autre. » Tout se passe comme prévu par Hanumān, et Pingalā et Matsyendranāth ont deux enfants, Nemināth et Parśvanāth.
Gorakhnāth découvre ensuite la triste situation dans laquelle son maître, oublieux de lui-même, est tombé et cherche à l’en faire revenir. Par la force de son yoga, il se transforme en femme et rappelle Matsyendranāth à la conscience par le rythme de son tambour qui scande la formule : « Réveille-toi Matsyendra, Gorakh est là. » Matsyendranāth reprend conscience de sa vraie nature et, dans une variante faite pour l’occasion de la légende, il part accompagné de Piṅgalā et de ses deux fils36.
Matsyendra et Piṅgalā, dans leurs pérégrinations, arrivent au bord de la Netravati, à l’endroit où Gorakhnāth les attendait, le menton appuyé sur son bâton de méditation, comme le représente une statue locale. Matsyendra déclare alors à Gorakhnāth : « Nous allons nous libérer du monde, que faire de Piṅgalā ? ». Ils décident de l’installer en un lieu auspicieux et de la transformer en liṅga qui sera honoré sous le nom de Maṅgalā, l’auspicieuse. Et depuis lors, le linga de pierre brute qui est au cœur du sanctuaire de Maṅgalādevī, a vaguement la forme d’un corps de femme.
Matsyendranāth et Gorakhnāth restent tous deux à Kadri en méditation. Pourtant ils déplorent de ne pas avoir de Śivaliṅga et Matsyendra envoie Gorakhnāth à Kaśi (Bénares) pour s’en procurer un dans la ville sainte. Matsyendra reste à Kadri et s’adonne à l’ascèse. Śiva lui apparaît et lui déclare être toujours auprès de lui. Pourquoi, dans ces conditions, a-t-il envoyé son disciple au loin alors qu’un Śivaliṅga se trouve si près, à l’emplacement où lui, Matsyendra, prend son bain tous les jours ? Matsyendra découvre alors dans le bassin un linga svayambhū (spontané, apparu de lui-même), celui qui est maintenant au cœur du temple de Mañjunāth. Il lui rend hommage et lorsque Gorakhnāth revient de Kaśi avec son Śivaliṅga devenu superflu, celui-ci est installé dans un petit bassin à côté37.
34A. Tuluvite (1966 : 41-42) présente une version condensée et « rationalisée » où la reine du Kerala est une dévote zélée de Matsyendranāth : Matsyendranāth, présenté comme le fils né de Pārvatī et qui avait pris la forme d’un poisson, entreprend un pèlerinage qui le mène à Rameshwaran.
Thence he continues his journey from the south to Kerala where one Parimale was reigning as the queen of Kerala. She becomes a disciple of Matsendranatha, in whose honour she puts up a mutt in Kerala [...]. After some time, Gorakhnath invites Matsendranatha and Parimale for a religious exhibition in Nasik. Before starting [...]. Matsendranatha changed the name of Parimale and called her Mangale. On their way they halted at Bolar in Mangalore. Matsendra requested Mangale to stay on at Bolar until his return [...]. Mangale employed her time in instructing the local people on the worship of Shiva [...]. She passed her life in doing good to all and finally closed her virtuous and exemplary life in the same place. The people put up a small temple in her honour which was subsequently enlarged and embellished by one of the Alupa rajahas who also erected a beautiful statue of Mangale in the temple. In remembrance of Mangale, the temple was named Mangaladevi and the country surrounding it Mangale-uru.
35Aujourd’hui le livret du temple de Maṅgalādevī, pompeusement intitulé Shri Mangaladevi Mahatme & Sthala Puranam, rapporte à son tour la légende de façon à intégrer en toute logique la déesse, Paraśurām, les héros Nāth et Kundavarma dans une tentative de reconstitution historico-puranique.
Le texte commence par une évocation inspirée du Devī Māhātmya narrant les victoires de la déesse sur les dévots démoniaques auxquels les dieux accordent bien légèrement leurs faveurs, et notamment sa victoire sur le démon Anda38. Le récit enchaîne sur la légende de Paraśurām ; le lien entre les deux épisodes est opéré par une déclaration de la déesse annonçant que l’emplacement conquis par l’avatār Paraśurām sur Varuna et choisi pour sa pénitence se trouve à l’endroit exact où elle fut victorieuse d’Andāsura ! Après les combats et l’expiation de Paraśurām, la déesse, sous le nom de Maṅgalādevī, apparaît à celui-ci et lui annonce qu’il trouvera un linga, symbole de Śiva Śakti, à la confluence de la Netravati et de la Phalguni. Qu’il y fasse construire un temple avec l’aide de Viśvakarma ! Le troisième épisode se situe du temps du roi Kundavarma, le roi le plus célèbre de la dynastie Alepa. Arrivent du Népal les deux fameux saints, Gorakhnāth et Matsyendranāth. Ils traversent la rivière Netravati au lieu dit Gorakhdaṇḍi et choisissent de s’installer au bord de la rivière. Le roi Kundavarma vient s’incliner devant eux, ils le bénissent et lui demandent terres et patronage. Révélant au roi surpris la présence autrefois d’un temple dédié à Maṅgalādevī, ils lui demandent de faire creuser la terre ; on découvre le linga symbolisant Maṅgalādevī. Le roi fait édifier un sanctuaire. Les deux saints en surveillent la construction39.
36Quels que soient les récits, ils mettent tous en évidence une relation forte entre les Nāth et la déesse éponyme de Mangalore. Les traditions purement Nāth présentent Mangalādevī comme la reine du royaume des femmes, celles émanant plus directement des prêtres brahmanes du temple en font une forme de Durgā tout en reconnaissant l’interprétation Nāth, la question sous-jacente étant plutôt de faire coïncider légende et histoire. L’ancienneté avérée du nom de Mangalore précède de beaucoup et Kundavarma et la tradition Nāth. Comme l’écrit G. Bhat (1975 : 302) : « The name of Mangalapura occurs in the 7th century A. D. in a Tamil epigraph. » Il ajoute : « based on an examination of the sculpture of Devī installed in the temple of Maṅgalādevī and also the representation of Gaṇeśa in the sub shrine of the same temple, we have sufficient ground to believe that the temple must have existed in the 7th or 8th century A. D. » Il voit dans la « beautiful statue » mentionnée par Tuluvite un bas-relief de la déesse en padmāsana. La version du Shri Mangaladevi mahatme, représentée sur les peintures du temple, est plus près de la réalité (du moins d’après les photos prises lorsque l’effigie n’est pas ornée, voir Bhat 1975 : 137c) : une grosse stèle de pierre noire, un liṅga vaguement féminisé par la présence de deux protubérances arrondies.
Hypothèses historiques : changements dans le paysage religieux
37Peut-on voir derrière ces affiliations religieuses contrastées un changement de société ? La conjonction entre ce flou religieux, l’incertitude des appellations et identités divines, et le mythe de Paraśuram est troublante. Le brahmane guerrier, celui qui doit purger la terre de l’outrance des Kṣatriya qui, sous la figure du roi jaloux, ne respectent ni la propriété ni l’état même de brahmane, n’est-il pas l’image même d’une lutte récurrente (les vingt et une fois du mythe de l’avatār) contre ceux qui refusèrent l’orthodoxie brahmanique, à savoir les bouddhistes et les jaïns ? G. Verardi (1996 : 234) s’attache dans cette perspective à dévoiler les confrontations violentes entre brahmanisme et bouddhisme et montre que « the buddhist buildings in Deccan that were replaced by Sivaite temples are numerous » (il cite en note Kadri-Mañjunātha) et que « Sivaism, which was the interpreter of the Brahmanic revanche, will later be metabolized by Vishnuism, destined – thanks to its upper hand in the Deccan – to become the winning ideology of Brahmanism in the whole of India. »
Dans ce contexte : « Once again it is a myth that helps us in understanding past events. In the Mahābhārata, the mirror of Vishnuite neo-orthodoxy, Rāma is depicted as repeatedly slaying the Kshatriyas. He does so a good twenty-one times... The insistence on the struggle against the Kshatriyas in the late-ancient and medieval sources show that it did not take place in an indistinct period projected into a little known past. Besides, Rāma is the characteristic hero and avatāra of the region in which the clash between the Brahmans and Kshatriyas was paradigmatic, tougher and more protracted in time : eastern Uttar Pradesh and Bihar. » (Verardi 1996 : 236-237).
38Peut-on lire la même histoire au Karnataka et faire un rapprochement entre la présence effective d’un lieu bouddhiste et la présence mythique de Paraśurām, à l’instar de ce que note encore Verardi (1996 : 237) pour Bhuvanesvara : « One of the most ancient temples dedicated to Paraśurāmeśvara is the one at Bhuvanesvara, a place that had been controlled by the Jains and Buddhist for a long time » ?
39Cette thèse reste cependant conjecturale en l’absence de tout document qui permette de dater les débuts du culte de Paraśurām. P. Gururaja Bhat (1975 : 334 et 373-376) suppose que ce culte s’est développé sous l’influence du philosophe du Dvaita Vedānta né à Udupi, Madhvācharya (1238-1317), à qui on doit l’essor du vishnouisme dans la région. Plus encore, il remarque que le Sahyādri-Khaṇḍa, le récit de fondation « which is referred to and quoted by the Brahmins in which the story of the creation of this land by Paraśurāma is mentioned, is [...] not more than 300 years old » (Bhat 1975 : 334). Il est certain que, entre le XIVe et le XVIIe siècle, l’influence des brahmanes Mādhva n’a cessé de croître jusqu’à provoquer un conflit violent avec les Nāth de Kadri : selon leur tradition (mais je n’en ai pas les preuves), à la fin du XVIIe siècle, les Mādhva réussirent à s’approprier le temple de Mañjunāth et à le soustraire au contrôle financier des Nāth (moyennant quelques aménagements rituels, nous le verrons).
40Autre élément à prendre en compte dans ce paysage religieux complexe : l’importance des sectes shivaïtes, et notamment des Kālāmukha. L’étude de David Lorenzen met en évidence le grand nombre d’inscriptions les concernant en provenance du Karnataka. Il semble qu’entre le XIe et le XIIIe siècle, les souverains les aient particulièrement bien dotés, notamment dans la région de Mysore. Les inscriptions les présentent comme des brahmanes s’adonnant à l’étude des Veda aussi bien qu’à la pratique du yoga. Certainement plus orthodoxes que les Kāpālika, ils paraissent tout désignés pour une reprise en main brahmanique, si elle a eu lieu, de fiefs bouddhistes ou jaïns. Aucune trace de leur présence n’a été détectée à Mangalore, mais on peut penser qu’ils jouèrent un rôle important dans l’histoire du nāthisme de la région. En témoigne une inscription remontant à 1030 ap. J.-C. et trouvée dans l’État de Mysore (dans le taluk de Nelamangala), étudiée en détails par Β. A. Saletore, et qui associe un prêtre Kālāmukha et une succession de gurus dont les noms se terminent en nāth :
It commemorates the erection of a Siddheśvara temple by the chief minister Vāmanyaya on the occasion of the death of his guru Maunināth (who is also called at the beginning of the record Mauni Bhaṭṭāraka). He entrusted the temple over to the charge of Rupaśiva.
41Ensuite le texte donne la généalogie spirituelle de Vāmanyaya :
At the root of a sacred big tree in Candrapuri, situated by the Western Ocean40, was stationed Ādinātha [...]. His disciple [...] was Chāyādhinātha [...]. An intoxicated bee at his lotus feet was Dvīpanātha, the world renowmed. His disciple, invincible by other disputants, was Mauninātha, in the form of Rudra. (Saletore 1937 : 20-21).
42L’étonnant dans cette inscription, c’est que, dans la liste des quatre gurus Nāth présentée comme la généalogie spirituelle de Maunināth, seul Ādināth appartient à la liste canonique Nāth : aucune mention n’est faite des gurus « historiques » de la secte : Matsyendra et Gorakh. Il est donc difficile de la rattacher aussi nettement que le fait G. Bhat (1975 : 293) aux Nāth Yogīs, a fortiori dans une période aussi ancienne (1030 ap. J.-C.). Je serais plutôt d’accord avec David White pour voir dans ces « Nāth » qui rendent un culte à Śiva Siddheśvara, un de ces nombreux courants shivaïtes qu’il regroupe sous l’appellation de « Siddha tradition ». De cette mouvance ont fait partie les Kālāmukha, mentionnés comme experts en pouvoirs yogiques (siddhi)41, ainsi que cette tradition tantrique kula à propos de laquelle David White rapporte une anecdote d’une résonance toute particulière dans le contexte de Kadri :
[Selon le Kubjikānityāhnikatilaka, un des textes fondateurs de la Transmission Occidentale des écoles tantriques], we are told that Śrīnātha [un autre nom d’Ādināth] – with the aid of three Siddhas named Sun, Moon, and Fire – founded the tantric kula tradition at a site called Candrapurī, located in Koṇkana, in coastal western India. The original core of this new kula, the text continues, was composed of nine Nāths who, originally Buddhist monks, had converted when, through a miracle produced by Śrīnātha, the roof of their monastery had collapsed ! (White 1996 : 73-74).
43On pourrait imaginer, succédant au bouddhisme, une phase intermédiaire durant laquelle se seraient épanouies des sectes shivaïtes tantriques et śaktiques dont certaines se seraient ensuite fondues dans l’ensemble des Nāth Yogīs.
44La première inscription se rattachant indubitablement à la tradition Nāth Yogī pour la région du Karnataka date de 1279 ap. J.-C. (Saletore 1937 : 18-19). Trouvée près du temple de Kalleśvara, dans l’État de Mysore, elle atteste d’un patronage royal sous la forme du don d’un village par un général du roi Hemmaḍi Deva à un Yogī dont la lignée spirituelle comporte huit gurus Nāth, laquelle comprend les noms canoniques de Ādināth, Cauraṅgināth et Gorakhnāth (ainsi qu’un Lonanāth que Saletore assimile à Lokanāth, en septième position). De telles inscriptions se succèdent ensuite (voir G. Bhat 1975 : 293-94) ; notons que dans une inscription de 1372 ap. J.-C. du temple de Koteśvara de Barakuru, les donateurs sont des Nāth (G. Bhat 1975 : 294).
45Qu’en est-il à Kadri ? Antérieurement à l’inscription de 1386 ap. J.-C. déjà mentionnée et faisant référence à Kadaḷiya-Mañjunāth, se trouvent deux petites plaques de cuivre, conservées dans le monastère, qui porteraient la date de 1251 de l’ère Śaka (1329 ap. J.-C.) et la mention sur l’une de « Kadire Mañjunātheśvara » et sur l’autre de « basali Kadre Śrī Mañjunāth42 ». Mais l’inscription la plus explicite de l’influence ancienne des Nāth se trouve sur une dalle de pierre qui est toujours dans l’enceinte du monastère. Datée de 1397 Śakavarṣa (i.e. 1475 ap. J.-C.), elle commémore la donation de terres, dont les limites sont précisées, à Maṅgalanāth Oḍeya, disciple de Candranätha Oḍeya, arasu de Kadariya (arasu étant le terme désignant le roi en langue ṭulu, nous voyons donc déjà à cette époque ancienne ce titre être donné au chef du monastère) par le mahārājā de Bārakuru, Viṭharasa Oḍeya43, pour garder sa famille en bonne santé et stipule que les revenus des terres doivent financer une donation de nourriture et de lampes44.
46Le mauvais état de deux autres inscriptions sur dalles de pierre conservées dans le monastère ne permet de lire que quelques mots. Dans les deux cas, il s’agit d’une donation de terres par Vira Pratapa Vijaya Bhūpati Rāya, l’année Śaka 1345 (1423)45.
47Plus intéressante pour nous la mention faite en 1490 ap. J.-C. d’un incident à Barakuru46. « An inscription states than when Subhuddhinātha-Oḍeya, disciple of Anupamanāth-Oḍeya was being taken to Kadre, perhaps for the paṭṭa (chiefship) or pontificate of that place (arasutanada paṭṭakke), he was deterred from going by the five chiefs of Chauliya-keri and a gift of land was made to the maṭha of Anupamanāth-Oḍeya for the worship of Gorakhnātha » (Bhat 1975 : 294). Doit-on dater de cette époque l’origine de cette cérémonie particulière à Kadri sanctionnant l’investiture du chef de monastère au terme d’un parcours où celui-ci est amené de l’extérieur ?
48On peut donc attester de l’importance de Kadri comme centre régional religieux et de l’ancienneté de son rattachement à la tradition Nāth. Le Karnataka se révèle comme un pôle important, sans doute le plus méridional47, dans la diffusion de cette secte née dans les plaines du Nord. D’ailleurs, on peut voir un signe de l’enracinement de cette présence Nāth au Karnataka, et spécialement au pays Tuḷu, dans la personne de ces bhūta, ces divinités héroïques locales qui portent le nom de Jogī Puruṣa et sont figurées par des statuettes, le plus souvent en bois, de personnages debout ou assis jambes repliées, portant de grands anneaux d’oreille, un chignon, des colliers de rudrākṣa48 Certes, il est impossible de dater l’apparition de ces figures locales, mais l’intégration des Yogīs dans ce panthéon témoigne de leur incontestable ancienneté49.
49Le mythe de Maṅgalādevī montre les Nāth soucieux d’incorporer à leur univers une déesse connue localement et réussir leur greffe. Maṅgalādevī a trouvé une place dans ce corpus légendaire constitutif de l’identité Nāth que constitue l’histoire de Matsyendranāth et du royaume des femmes. La déesse et son territoire ont été intégrés au monde Nāth et aujourd’hui encore, même si le lien avec les Nāth n’est pas reconnu par tous de façon aussi explicite, la présence de Matsyendranāth et Gorakhnāth comme « redécouvreurs » de la déesse et de son temple fait partie des croyances communes des gens de Mangalore.
50La relecture que font les Nāth de la geste de Paraśurām est moins connue, peu diffusée sans doute à l’extérieur de la secte. Ceux-ci cherchent à ancrer la suprématie Nāth sur les Vishnouites par le récit de la soumission de l’avatār de Viṣṇu aux ordres de Gorakhnāth. C’est ce récit qu’ils mettent en scène lors du pèlerinage et du couronnement du rājā. Tous les douze ans, les Nāth Yogīs rejouent avec l’arrivée de la jhuṇḍī un processus de conquête symbolique d’un territoire qui aurait été autrefois sous leur domination.
51Cependant, leur histoire connut des vicissitudes dont on ne sait pratiquement rien mais dont on voit seulement qu’elles amenèrent les Yogīs à perdre le contrôle effectif du temple de Mañjunāth et à se borner à leur monastère.
Notes de bas de page
1 Travels in Asia and Africa, 1325-1354 (ed. Gibb 1939 : 233, cité par Ghosh 1992 : 373).
2 Divorcée de Baṇgarāja, le roi de Banghel, allié des Portugais, elle appela à son aide le Keḷadi Nāyaka, Veṅkāṭappa, aisément victorieux de Baṇgarāja et du gouverneur portugais de Mangalore. Veṅkāṭappa règna de 1586 à 1629. Sur l’histoire ancienne de la région Tuḷu ou du sud Karnataka, voir les ouvrages de Saletore (1936), Ramesh (1970), Bhat (1975), Vasanta Madhava (1985) et Veerathappa (1986).
3 Surendra Rao (2003 : 104) dénonce le discours idéologique qui présente la colonisation comme pacificatrice : « An interesting stereotype which has been smugly accomodated in British writings is the picture of pervading chaos, of a gelatinous polity, a welter of elusive interests and the ruinous impact of the depredations of Hyder and Tippu. » Il met l’accent sur l’instabilité politique et le nombre de révoltes qui ont suivi la conquête britannique (voir les notes 1 et 2 de ce même article de Rao, à propos de l’histoire du Sud Karnataka et de l’absence de travaux publiés sur la période moderne, c’est-à-dire post Vijayanagar).
4 Saletore (1936 : 11-22) consacre le premier chapitre de son livre Ancient Karnāṭaka à cette légende en contexte Tuḷuva, à ses variantes et au contexte historique, notamment la création des « Sapta Koṅkaṇas ». La version la plus complète sur ce plan est celle du Sahyādri-kāṇḍa du Skānda Purāṇa.
5 « The Paraśurāma legend originated in Gujarat, more specifically in the peninsula called Śurpāraka and it is likely that this legend also moved along with the moving people. In other words, the brahman settlements of Kerala constituted the last link of a long chain of migration moving along the westcoast and carrying with them the tradition of Paraśurāma. » (Veluthat 1978 : 4).
6 Voir Vasudeva Rao (2002 : 26) : « According to Puranic tradition [...] the region between the Arabian sea and the Western Ghats stretching from Nasik in Maharashtra to Kanyakumari at the southern end of the peninsula is known as the holy land of Parashurama. » La mention de Nasik, récurrente, est surprenante étant donné son éloignement de la mer : est-ce parce que la région de la Godavari est considérée comme le territoire des Bhārgava, la lignée de Jamadagni ? Quoi qu’il en soit, la référence facilite encore l’insertion de la figure de Paraśurām dans la tradition Nāth.
7 Voir Assayag (1992, notamment les pages 43, 87-92, 102-103 à propos du mythe de Paraśurām). Sur Paraśurām, voir aussi Biardeau (1976 : 185-190, 1981b : II, 239-241) et Babb (2002 : 133-153).
8 Selon les récits oraux qui m’ont été faits et d’après une petite brochure en hindi, rédigée par le rājā yogī de Kadri. Le thème de la pénitence de Paraśurām se rencontre généralement sous une forme différente : il doit patronner un grand sacrifice et offrir la terre qu’il a fait émerger aux brahmanes officiants (Biardeau 1981b : II, 240, Babb 2002 : 141).
9 Selon les Purāṇa, Paraśurām escalade une montagne à partir de laquelle il lance sa hache dans la mer, ou bien se retire sur une montagne après avoir distribué la terre aux brahmanes. Il s’agit le plus souvent du mont Mahendra, parfois de Saṁya ou Siṁha ou Sahya (voir Saletore 1936 : 24-25). Je n’ai pas trouvé de référence à Kaulāgaṛh.
10 Un kos fait environ deux miles, douze kos une quarantaine de kilomètres. Saletore (1936 : 26) précise : « The Grāmapaddhati of Tuḷuva, based to some extent on the Sahyādri-kaṇḍa [...] gives the lenght of the province as one hundred yojanas from Nāsik in the north to Kanyākumārī in the south ; and three yojanas in breadth from the Sahya mountain to the western sea. »
11 Étymologie locale associant kannada (mañju) et sanscrit-hindi (nātha, protecteur, seigneur) ; mañju, dans les étymologies plus sanskritisées, celle de Mañjuśri notamment, signifie « charmant, beau, plaisant » (Monier-Williams 1988 : 774).
12 Voir un parallèle avec les récits de fondation des temples du Kerala étudiés par Tarabout (1990 : 211-232), notamment la présence de ce cycle aquatique, l’eau et l’océan comme lieu d’origine, « scène antique », « simultanément chaos ultime et primordial », ainsi que l’importance du rôle des renonçants dans l’installation des dieux, dans la fondation des temples, là où les dieux ont décidé de se manifester (id. : 223).
13 Sur la relation entre Paraśurām et Śiva, voir Biardeau (1976) et Pinch (2006 : 215) interrogeant la figure de Parshuram « in terms typical of unruly Saiva asceticism » dans le Ramcharitmanas de Tulsidas. Le culte rendu à Śiva est ici transposé sur son avatār Gorakhnāth.
14 Et dont le titre est significatif : « A rare saivo-buddhist work with vaishnavite interpolations », (article non daté paru dans Kannada Studies et pour lequel je remercie Catherine Clementin-Ojha).
15 Au chapitre XIV. Les chapitres XV à XLV sont consacrés à Matsyendranāth, Gorakhnāth et Cauraṅgināth, les chapitres suivants à Kanthaḍināth, Konkananāth, Ananganāth et Jālandharanāth.
16 Il y aurait beaucoup à dire sur les sites Internet, émanant souvent d’offices de tourisme, par lesquels se propagent des versions stéréotypées qui tendent à se reproduire d’un site à l’autre, accréditant l’une ou l’autre des versions d’une même histoire sans jamais en communiquer les sources.
17 Le temple a fait éditer une courte brochure due au Dr Gururaja Bhat, connu par ailleurs pour ses travaux sur l’histoire du Tulunadu (1975). Écrite en kannada, elle comporte aussi une dizaine de pages en anglais et des photos. Selon Bhat (2000 : 20), le śivaliṅga du temple de Durgā pourrait témoigner d’un ancien culte śaktique et « the Durga shrine may be the earliest in Kadri ». Quant à la statue de Gaṇapati, « this sculpture may be ascribed to the 11th C.A.D. if not to an earlier date ».
18 Saletore pousse même la précision jusqu’à donner la date du 13 janvier 968 (1936 : 96). Cette inscription, considérée par les historiens comme la plus importante de l’histoire ancienne du Karnataka, est mentionnée par tous les auteurs et sert même de support à la périodisation, Ramesh voyant avec le roi Kundavarma le début de ce qu’il appelle « the medieval Alupas ». Voir le texte complet dans South Indian Inscriptions, vol. VII, n° 191, repris dans Saletore (1936 : 95) et partiellement dans Nagaraju, Ramesh (1970 : 97) et Bhat (1975 : 32-33).
19 Monastère bouddhiste.
20 Vyāsa ou Vedavyāsa, r̥ṣī à qui est attribué la rédaction du Mahābhārata.
21 Saletore mentionne une inscription de 1279, dans l’État de Mysore, commémorant la donation d’un village à un certain Śiva Yogī et où figurent les noms de huit gurus Nāth, Caturaraginātha (Cauraṅgi) étant le second que Saletore, dans une reconstruction chronologique hasardeuse, date donc de 979 ap. J.-C. (et Gorakhnāth, le troisième, de 1029 ap. J.-C.). Cauraṅgināth figure en troisième place dans nombre de listes des Neuf Nāth (voir Dvivedi (1981 : 29). En revanche, il est absent des listes de Briggs (1973 : 75-77). Connu dans le Nord surtout sous le nom de Pūraṇ Bhagat, il sera évoqué dans le chapitre 10 de ce livre à propos de la légende de son frère Rājā Rasālū, devenu Mannāth, fondateur du panth de ce nom représenté dans la Shekhavati. Sur l’importance de Cauraṅgināth ou Sāraṅgadhara dans les traditions de l’Inde du Sud, notamment Nāyaka, voir Narayana Rao, Schulman et Subrahmanyam (1992 : 125-143), et, dans l’iconographie du temple de Shrisailam, Linrothe (2006 : 99-105).
22 Sur le lien entre Avalokiteśvara et la royauté, voir les récapitulations faites par Locke (1980, notamment p. 410-414), ainsi que Douglas et Bouillier (2003). Sur Avalokiteśvara en général, voir de Mallman (1948).
23 Que le temple soit connu sous le nom de Mañjunāth est attesté dès le XIIe siècle dans une inscription de Pandyamahadevi (Ramesh 1970 : 98).
24 Voir Locke (1980 : 408) : « Two of the most important characteristics of Avalokitesvara were his compassion and his assumption of different forms according to the needs and dispositions of people in various places and various ages », ce qui facilite son absorption de différentes divinités : « New deities brought into a Buddhist environment could be accepted as manifestations of Avalokitesvara. »
25 Saletore (1937 : 18) écrit : « The tradition of the Jogis at Kadri relates to the installation of the Lokeśvara image in the Manjunātha temple... It is maintained that to the three Jogi gurus Gorakhnātha, Matsyendranātha, and Śarṅganātha, the god Mañjunātha (Lokeśvara) appeared in the form of the image in question. »
26 Historien de Mangalore (entretien personnel).
27 Voir Bhat (1975 : 296) : « The association of the name Manjunātha to god Śiva, which is considered to be a unique feature in South Kanara. » Pourtant, en note, il met un bémol en contestant l’assertion de M. Govinda Pai (une des autorités sur l’histoire locale dont je n’ai pu avoir accès aux articles publiés en kannada, notamment un article sur Manjunath de 1950) à propos de l’exclusivité Tuḷu de ce nom : « It may not be entirely true that the name Mañjesvara or Mañjunātha is employed in Tuḷu-nāḍu only as we are made to believe by M. Govinda Pai (Teṅka-nādu, p. 37) for an inscription from Mañjarabād Bekkana-haḷḷi dated A. D. 1413 speaks of the grant made to Mañjinātha. Another epigraph from Kurugoḍu, Bellary, mentions Mañjeśvara. » (id. : 296).
28 Ajoutons la version de Jaini (1980 : 90) qui y voit une expression de la Trimurti. Il mentionne des « local Kannaḍa legends » selon lesquelles, après la pénitence de Paraśurāma, « the members of the divine Trinity, Brahmā, Viṣṇu and Maheśvara, came together and were spontaneously manifested in the form of the Mañjunātha (i.e. the Śiva-liṅga) ». Et il ajoute : « Does this unusual coalescence of the three deities perhaps reflect a confused reference to the three-faced Lokeśvara image ? » Personnellement, je n’ai pas entendu localement cette interprétation.
29 Comme le dit Locke (1980 : 328) : « The cult of Bunga-dya : was entirely Buddhist from its inception [...] however, it is entirely possible that the cult is the result of a metamorphosis of a local animist god, Bunga-dya : into Avalokitesvara by Buddhist monks who settled in the area [...]. It is equally possible that the cult begin with Buddhist monks who settled in Bungamati and propagated the cult of Avalokitesvara to foster the devotion of the Buddhist laity. »
30 Une remarquable inscription, datée de 792 Nepal Samvat (1672 ap. J.-C.), commémorant le don par le roi Srinivas Malla d’une porte et d’un toraṇa [fronton] en or pour le temple du glorieux Lokanātha, commence par la formule suivante : « Praise to that Deity bearing the form of brahman, whom the Sāktas, best of ascetics, call Matsyendranātha and the Bauddhas Lokeśvara » (du moins selon la traduction de Bühler (1880 : 192). Locke (1980 : 307), qui ne connaît pas cette stèle de pierre située à Bungamati, cite néanmoins la relation qui en est faite dans les chroniques modernes et selon laquelle « above the door was a sanskrit inscription which said that the yogis call the deity Matsyendra, the Saktas call him Sakti, the Buddhists call him Lokeśvara and his true form is Brahma. » Sa liste détaillée de tous les documents concernant ce culte montre bien la juxtaposition des dénominations, explicitement glosée une autre fois dans une œuvre poétique en sanskrit et nepali composé vers 1890 : le poète, un prêtre bouddhiste, décrit la fête de Matsyendranāth, puis « he explains that the Vaisnavas call [Matsyendranāth] Visnu, the Saivas call him Siva, the Saktas call him Sakti, some call him Bhaskara, the twice-born call him Brahma, the munis call him Matsyendra, the Buddhists call him Lokeśvara. Everybody invokes him daily as the merciful (karunamaya) Lokeśvara. » (Locke 1980 : 323).
31 Notamment une mystérieuse datation de l’inscription de Kundavarma en 1068 (4168 de Kaliyuga), au lieu de la date de 968 maintes fois mentionnée ailleurs, ce qui l’amène à affirmer la présence de Nāth Yogīs dès cette époque : un fait hautement improbable (malgré les incertitudes de datation de Gorakhnāth), mais qui le serait plus encore au Xe siècle.
32 Les graphies Kad(a)rī et Kad(a)lī se rencontrent également, le l rétroflexe étant préféré en kannada.
33 Voir les recensions de la légende dans Grierson (1885), Temple (1885, vol. 2), Dvivedi (1981 : 49 et 55), Grodzins Gold (1989 et 1992 : 265-301), Digby (2000 : 160-180).
34 Il s’agit d’un emprunt du nom de la fidèle épouse de Bhartr̥hari, un autre héros des récits chantés Nāth ; généralement, la reine est connue sous le nom de Kamalā, mais Piṅgalā permet de mieux jouer sur l’euphonie. Chez Dvivedi, la séductrice de Matsyendranāth est même appelée dès le début Maṅgalā (1981 : 49).
35 Digby (2000 : 161) mentionne également cette intervention d’Hanumān, mais dans des termes un peu différents : « They say that all the time the Son of the wind Hanumān comes there and makes a noise of thunder. A man when he hears that noise cannot remain alive. The women become pregnant when they hear the noise of the thunder. All their children are girls, never boys. »
36 La présence de la reine est une innovation destinée à justifier la suite de l’histoire. En revanche l’épisode qui fait des deux fils des Tirthankara Jains, et cela d’une façon assez peu respectable pour les Jains, est rapportée également par Anne Grodzins Gold (1992 : 291-96). Les fils mendient la nourriture de leurs parents, en bons disciples qu’ils sont. Ils se rendent dans une maison Banya où il leur est répondu qu’il y a une vache morte et qu’il est impossible de donner de la nourriture tant que le cadavre est là. Et les Banya leur demandent de l’enterrer. Les enfants, dans leur innocence, acceptent et reviennent avec de la nourriture ; Matsyendranāth apprend les faits, leur dit qu’ils ont enfreint les règles et leur ôte les emblèmes de leur statut : le sifflet nād, le cordon selī et les anneaux d’oreille kuṇḍal. Il les laisse nus et dit : « À l’avenir vous serez les dieux de ces gens-là ! » Les deux garçons deviennent les deux Tirthankara Nimnāth et Parasnāth. Eliade (1983 : 307) mentionne également les deux fils de Matsyendranāth comme fondateurs de deux sectes jaïna et note que leurs adeptes, « les Nîmnâthi et Pârasnâthî, bien qu’ils se réclament de Gorakhnâth, se comportent comme les jaïna (ils portent un morceau d’étoffe autour de la bouche afin d’éviter de tuer les animalcules invisibles) ».
37 Ce liṅga serait maintenant dans le garbhagr̥ha du temple de Mañjunāth à Dharmasthal (à 70 km de Mangalore). Selon un récit fait à Kadri : « Un jour, arrive à Dharmasthal où ne se trouvent que des temples jaïns, un Yogī qui déclare ne pouvoir accepter de nourriture qu’après avoir eu le darśan de Śiva. Les Jaïns perplexes font appel à leur serviteur, de caste Jogī, qui envisage d’aller enlever le linga de Kadri pour le rapporter. Un voix s’élève dans la nuit alors qu’il tente d’enlever le linga du temple de Mañjunāth, et déclare : « Ce liṅga est udhbo (svayambhu), tu ne peux y toucher mais tu peux emporter le linga qui se trouve dans le bassin à côté, celui que Gorakh a rapporté de Kaśi. » Annapa emporte le liṅga à Dharmasthal et le Yogī s’installe là pour en prendre soin. Depuis, l’ensemble des temples appartient toujours aux Jaïns mais le supérieur rend en privé chez lui hommage à Śiva. » La version mentionnée à Dharmasthal attribue, elle, l’installation du liṅga à un Sannyāsī du XVe siècle du nom de Vadiraja Swamjar, venant du Sode Maṭh de Udupi.
38 Andāsura, une variante locale d’Andhakāsura, l’āsura Andhaka qui dans la mythologie puraṇique classique est plutôt en butte à la colère de Śiva ? Andāsura ne figure pas dans le Devī Māhātmya et le petit texte de Mangalore opère une synthèse d’éléments disparates. Remarquons sa diffusion actuelle sur tous les sites Internet liés à la ville de Mangalore.
39 Encadrant l’entrée du temple, deux grands panneaux peints illustrent la légende, dans le style cher aux chromos [ill. 15 et 16] : « Lingaroopa of Srimangaladevi who appeared before Parashurama who seeked the blessing of Lord Shiva » est-il écrit sur le premier, et « Kundavarma-King of Tulunadu worshipping the renovated goddess Srimangaladevi according to the blessings of Sri Machendranatha & Gorakhshanatha », sur l’autre. Paraśurām est peint au bord d’une mer bleue, sa hache jetée sur le sable, vêtu comme un ascète shivaïte et rendant hommage à un rocher noir, entouré de rayons lumineux, à la fois Śivaliṅga et effigie de Maṅgalādevī, un glissement de la légende de l’apparition de Mañjunāth à Paraśurām qui met en fureur les Yogās !
40 Saletore (1937 : 21) ajoute en note : « Candrapuri said to have been situated on the shore of the western ocean, cannot be identified » et il propose quelques localisations éventuelles sans trancher. G. Bhat fait lui preuve d’une assurance étonnante d’abord en localisant l’inscription à Candrapuri (qui n’est cité que comme lieu où demeure Ādināth), puis en identifiant ensuite Candrapuri à Chadāvara du taluk Honnavara (North Kanara), sans donner ses raisons, et en conclut assez légèrement : « This epigraph clearly testifies to the fact that the Nātha-Pantha was strongly rooted in Chandāvara in the 11th century A.D. » (1975 : 293).
41 Voir Lorenzen à propos des pouvoirs du célèbre maître Bonteyamuni (inscription de Hombal dans le district de Dharwar datée de 1189 ap. J.-C.) ou de ceux de Bhujanga, ācārya de Bijapur (inscription de 1074-1075 ap. J.-C., Lorenzen 1972 : 131 et 156).
42 Selon Anandanāth Jogī, attentif historien du monastère et secrétaire d’une de ses associations ; il a publié un petit livre en kannada en 2003 (le titre translittéré en hindi sur la page de garde est « Nathapanthakshetra Jogimatha ») dont il m’a généreusement et patiemment traduit et expliqué les passages. Son aide fut inappréciable et je le remercie profondément. La photo des deux plaques se trouve au dos de la quatrième de couverture.
43 Personnage important pendant la domination de Vijayanagar, Vitharasa fut gouverneur des deux provinces du Karnataka côtier, Barakuru et Mangaluru-rājya, en même temps, ce qui était tout à fait exceptionnel. Plusieurs inscriptions le mentionnent entre 1465 et 1477 (voir Ramesh 1970 : 180-183).
44 Selon Anandanāth Jogī (2003 : 21). L’inscription figure dans South Indian Inscriptions (vol. VII, n° 194) et est mentionnée par Bhat (1975 : 293).
45 Anandanāth Jogī (2003 : 20-21). Inscription mentionnée aussi dans Ramesh (1970 : 166) : Vijayarāya aurait gouverné cinq ans la province de Mangalore.
46 Voir Bhat (1975 : 293) : « As early as the 12th century A. D. both Bārakūru and Basarūru, the two important towns of Tuḷuva, appeared to have been under the influence of the Nātha-Pantha. » Barakuru, ville côtière à une dizaine de kilomètres au nord de Udupi, et Basaruru, à une vingtaine au nord de Barakuru.
47 En attendant de trouver des signes de présence Nāth au Kerala et au Tamilnadu, ce dont je n’ai pas connaissance.
48 Voir les photographies de Bhat (1975 : plate 324b et 326d).
49 Voir à ce sujet les articles du volume « Coastal Karnataka » publié sous la direction de Upadhyaya et consacré en grande partie au culte des bhūta, en particulier l’article de Chinnappa Gowda (1996 : 277) qui écrit : « It is accepted that the Naatha Pantha has influenced the Bhuta worship of Tulunadu. There are traces of Naatha traditions in the costumes, weapons, ornaments, and the convention of offerings to Puruṣa spirit. » On en voit un autre témoignage à travers le théâtre dansé du groupe ethnique Gauda, le Siddaveeṣa, dans lequel le principal personnage appelé Sannyāsī est plutôt un Yogī ; selon P. Bilimale : « Siddaveesa Sanyaasi’s external detail of dress, movements, style of talk and his caste of character as such [...] resemble the medieval Karnataka’s most popular Paaśupata Sanyaasis of Lakuliiśsa tradition. » Après une étude des chants et la tradition Naathasiddha [i.e. Nāth Yogī], l’auteur conclut (id. : 290) : « We perceive that Naathasiddha and Laakula śaiva traditions meet in the Siddaveeṣa performance [...]. What is preserved in the so-called « folklore » of the Gaudas shed light on the secrets of medieval leftist sects (Taantrika pantha) of Karnataka. »
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