Première partie. La secte des Nāth Yogīs
p. 3-4
Texte intégral
1Un ascète hindou tel qu’on l’imagine généralement est un individu solitaire, retiré sur les hauteurs himalayennes ou encore arpentant inlassablement les routes de l’Inde, vêtu de peu, ses quelques possessions tenant dans un petit sac, un bol à aumônes à la main. Il vit de la charité des autres et leur dispense éventuellement sa sagesse.
2Cette image n’est pas fausse, si elle est partielle. Ermites et renonçants font partie de la tradition religieuse indienne depuis des millénaires1, et les principes qui dictent leur démarche supposent le non-attachement, le retrait du monde et la rupture de tous les liens antérieurs. Toutefois, on sait aussi que, dès les temps anciens, les ascètes se réunirent en petits groupes autour de figures charismatiques et constituèrent le noyau d’institutions communautaires2. Ce sont ces communautés de type monastique qui, à mon sens, permirent la pérennité de la tradition du renoncement en la structurant autour de systèmes de valeurs, d’orientations philosophiques ou théologiques divers. Ce sont donc elles qui le plus souvent donnèrent naissance à ce qu’on peut appeler des sectes, ce que je définis, sans m’arrêter aux connotations négatives de ce mot en français, comme un regroupement volontaire d’adeptes partageant une certaine orientation religieuse fondée sur la transmission d’un enseignement, d’une pratique ou d’une croyance exclusive.
3Aujourd’hui, la plupart des ascètes se rattachent à différentes traditions religieuses, des sectes regroupées de la façon la plus générale en shivaïtes et vishnouites et organisées le plus souvent autour de monastères. Ces monastères servent de point d’ancrage, de lieux d’enseignement et souvent d’initiation, de centres de pouvoir spirituel et économique. C’est là que résident les autorités religieuses et là que sont gérées les questions financières.
4Lieux d’inscription identitaire, ces monastères ne sont cependant pas à envisager sur le modèle chrétien, ou même bouddhiste3. Il s’agit de centres ouverts où les ascètes vont et viennent, où parfois le seul à demeure en est le supérieur. S’y tissent les traits fondamentaux de l’ascétisme indien : une imbrication entre une démarche individuelle de mise à l’écart du monde et une structure monastique, un aller et retour entre pérégrination et vie en monastère.
5Les Nāth Yogīs dont il va être question ici offrent un parfait exemple de ce double mouvement, de cette relation fondamentale entre une tradition privilégiant une démarche personnelle d’ascèse et de quête spirituelle et une organisation collective, ancrée sur les monastères, laquelle lui permet de perdurer et de s’adapter aux multiples changements sociohistoriques.
6Mon étude va ainsi porter sur l’aspect institutionnel de cette secte Nāth, sur les formes qu’elle a inventées pour s’organiser, construire une identité, maintenir ensemble des orientations divergentes : quelle est sa réponse particulière à une question qui se pose à toutes les traditions ascétiques indiennes.
Notes de bas de page
1 Depuis le milieu du premier millénaire av. J.-C. selon Patrick Olivelle (2003 : 271) ; en ce qui concerne la théorie brahmanique du renoncement, je renvoie le lecteur à ses nombreux travaux (voir la synthèse et la bibliographie dans l’article de 2003) ainsi que, parmi d’autres, à Bronkhorst, Dumont, Heesterman. Quant aux pratiques contemporaines des ascètes gyrovagues, je renvoie à l’excellent ouvrage de Gross : The Sadhus of India (1992).
2 Comme le dit Olivelle (2003 : 174) : « Even though the ideal of homeless wandering is often maintained as a theological fiction, many of these renouncer groups [...] organized themselves into monastic communities with at least a semi-permanent residence. These communities vied with each other to attract lay members, donors and benefactors, and for political patronage. »
3 Voir Herrou et Krauskopff, La vie monastique dans le miroir de la parenté, et mon article dans ce volume, « Y a-t-il des monastères dans l’hindouisme ? Quelques exemples shivaïtes » (à paraître).
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Itinérance et vie monastique
Ce livre est cité par
- Bouillier, Véronique. (2016) Territoires du religieux dans les mondes indiens. DOI: 10.4000/books.editionsehess.27028
- Matringe, Denis. (2011) Entre charia et coutume. Archives de sciences sociales des religions. DOI: 10.4000/assr.23168
- Trouillet, Pierre-Yves. Lasseur, Maud. (2016) Introduction. Cahiers d'Outre-Mer, LXIX. DOI: 10.4000/com.7928
- Bouillier, Véronique. (2015) Nāth Yogīs’ Encounters with Islam. South Asia Multidisciplinary Academic Journal. DOI: 10.4000/samaj.3878
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