L’accueil des immigrants dans les logements municipaux à Montréal
p. 355-379
Texte intégral
1Dans une étude antérieure (Dansereau et Séguin, 1995) sur la cohabitation dans l’habitation sociale, nous avions repris les différents cas de figure proposés par Véronique de Rudder (1987) pour caractériser les relations interethniques, soit l’absence de relations, les échanges de bon voisinage et les situations conflictuelles. Nous avions alors constaté que la situation la plus fréquemment observée était l’absence de relations ou la prédominance de relations superficielles entre personnes d’origines ethniques ou nationales différentes. Cette observation rejoint en partie le constat de « cohabitation pacifique mais distante » tiré d’une enquête sur les pratiques de sociabilité dans les principaux espaces publics de sept quartiers multiethniques de la région montréalaise (Germain et al. 1995). Elle se rapproche également d’autres études (Dubet 1989 ; Calogirou-Basdevant 1988 ; Benayoun et al. 1987) soulignant que les relations interethniques de voisinage se caractérisent davantage par l’ignorance mutuelle que par le conflit ouvert et que, s’il y a conflits, ceux-ci ne mettent pas toujours en cause des ménages dits « de souche » et des « étrangers ». Les thèmes classiques de tensions entre voisins vont des éléments irritants tels le bruir, les odeurs, la saleté ou les dégradations des espaces communs aux confrontations relatives aux enfants ou adolescents. D’autres problèmes tiennent plutôt à la gestion du logement social et à la conception architecturale des ensembles HLM (Pinson 1992).
2En ce qui concerne plus particulièrement les situations conflictuelles, nous remarquions dans notre étude que c’était dans les ensembles HLM les plus anciens, l’on observe une transformation marquée du profil ethnoculturel des clientèles, les grands logements qui se libèrent étant occupés de plus en plus par des familles nombreuses issues de l’immigration, que les tensions les plus vives avaient tendance à se manifester. Outre des compositions familiales différentes de celles des ménages installés de longue date, les nouveaux arrivants ont aussi des histoires résidentielles et des modes d’habiter qui les singularisent et peuvent les exposer à la stigmatisation et au stéréo-type raciste dans des situations de transition ou de renversement des équilibres.
3Pour remédier aux difficultés de cohabitation, les solutions mises en œuvre dans divers pays passent le plus souvent par des innovations dans les modes de gestion ayant pour objectif l’adoption d’une gestion « adaptée », par le rééquilibrage de la composition sociale des ensembles résidentiels, ou « rapprochée », par la décentralisation des opérations administratives et la sollicitation d’une plus grande participation des habitants à la gestion de leur habitat. Dans cette lignée, des expériences d’accompagnement social individualisé et de parrainage des nouveaux arrivants (Blauw, 1989) laissent entrevoir des possibilités d’amélioration du processus d’insertion des immigrants dans le logement social.
4Un constat de notre étude de 1995 touchait les déficiences du dispositif d’accueil des nouveaux locataires dans les HLM. On relevait l’absence, en pratique, d’un véritable dispositif d’accueil, le manque de préparation des intervenants face aux besoins particuliers des nouveaux locataires d’immigration récente, et le fait que de nombreux malentendus découlaient de cette absence de préparation. Pourtant, l’accueil apparaît comme un moment crucial de transmission d’informations sur les normes et les codes d’usage du nouvel habitat et, en conséquence, la qualité de cet accueil semble être le secret d’une insertion réussie ou à tout le moins non ratée dans le nouveau milieu. C’est en effet le moment où tant les nouveaux arrivants que les habitants en place commencent à se forger des représentations les uns des autres, représentations qui, dans le pire des cas, peuvent déboucher sur la stigmatisation des nouveaux arrivants. Depuis lors, certaines améliorations ont été apportées, dont la mise en place de projets pilotes visant l’accueil et l’intégration des familles immigrantes nouvellement arrivées en HLM dans leur milieu. C’est à l’examen des contenus et des résultats de ces projets pilotes qu’est consacré l’essentiel du texte qui suit.
5Les immigrants1 occupent depuis quelques années une place croissante dans le parc de HLM géré par la Ville de Montréal. Ainsi, ils représentent 40 % des ménages ayant obtenu un logement de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) au cours des dernières années (1999-2001). Pour ce qui est des demandeurs de logements inscrits sur les listes d’attente, la proportion des immigrants atteint 63 % dans le cas des demandes visant des logements destinés aux familles et 86 % lorsqu’il s’agit de logements comptant trois chambres à coucher ou plus. Le poids des familles immigrantes parmi la population logée en HLM ou inscrite sur les listes d’attente s’explique par diverses raisons. En premier lieu, ces familles vivent souvent des situations de surpeuplement et elles consacrent une forte proportion de leurs revenus pour se loger, deux critères qui les rendent éligibles à un logement HLM. Si l’on ajoute à cela la discrimination qui se manifeste dans le parc locatif privé et la pénurie qu’on y observe de logements suffisamment grands pour accueillir des familles nombreuses ou des familles élargies, on comprendra que la demande de leur part pour du logement HLM soit extrêmement forte.
6Il faut souligner que l’insertion de familles immigrantes dans les ensembles HLM ne se fait pas toujours sans difficulté. On note des carences dans la transmission d’informations sur les codes d’habiter qui prévalent dans ces ensembles résidentiels, carences qui se traduisent pat une socialisation déficiente à ces codes et qui conduisent parfois à des phénomènes de stigmatisation des familles immigrantes de la part des habitants installés de longue date. Ces situations ont amené les responsables de l’OMHM à revoir les pratiques d’accueil des nouveaux arrivants et à mettre en place des projets pilotes visant l’insertion des familles immigrantes nouvellement arrivées en HLM dans leur milieu, dans le cadre d’un plan d’action mené par le Bureau des affaires interculturelles de la Ville de Montréal en collaboration avec le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI) du Québec.
Les projets pilotes visant l’accueil et l’intégration des immigrants
7Le Plan d’action visant l’accueil et l’intégration en français des immigrants dans les quartiers de Montréal, dans lequel s’inscrit la série de projets pilotes menés par l’OMHM, a été établi en 1999. Il comporte cinq axes d’intervention : les milieux de vie (dont les HLM), les services municipaux, les équipements et services de sports et loisirs, les maisons de la culture et les bibliothèques. Le Bureau des affaires interculturelles de la Ville de Montréal a fait appel à l’OMHM pour développer des projets dans le domaine de l’habitation sociale.
8Le premier projet, Franc parler, mis en place en 1999-2000, visait à favoriser l’apprentissage du français chez des immigrants locataires de HLM grâce à des sorties avec des résidents francophones du quartier et des ateliers d’usage du français sur le site même des HLM. Ce projet a cependant suscité des résistances de la part d’organismes communautaires locaux déjà engagés dans la francisation des immigrants. Ces organismes comprenaient mal que le MRCI confie aux services municipaux une responsabilité qu’ils assumaient eux-mêmes depuis longtemps, d’autant plus qu’ils se voyaient privés d’une partie des subventions gouvernementales liées aux activités qu’ils offraient. Dès l’année suivante, les choses se précisèrent er le plan d’action fut orienté vers des activités d’intégration en français et le rôle des organismes communautaires du Programme d’accueil et d’établissement des immigrants (PAEI) dans la livraison des cours de français aux immigrants se trouva confirmé. Les activités réalisées par la Ville de Montréal devenaient dès lors complémentaires aux activités de formation assumées par le MRCI et ces organismes.
9Le second projet, Citoyenneté clé en main, entrepris en 2000-2001, ciblait plus particulièrement les familles qui habitaient auparavant des immeubles du marché privé dans des quartiers multiethniques et qui, pour accéder à un logement HLM, se sont retrouvées dans des quartiers à forte majorité francophone, comptant très peu d’immigrants, à cause de la disponibilité plus grande de logements HLM familiaux dans ces derniers. Un dispositif particulier d’accompagnement des familles a été mis en place en vue de favoriser les contacts sociaux avec leur entourage, au sein du HLM et à l’échelle de leur voisinage ou quartier. Les objectifs du projet Citoyenneté clé en main consistaient à fournir aux familles une information approfondie sur leurs droits et devoirs en tant que locataires (contenu de leur bail) de même que sur les modes d’habiter aptes à favoriser une cohabitation harmonieuse à l’intérieur des HLM. On visait également à aider les nouveaux arrivés à se familiariser avec les ressources de leur environnement et à sensibiliser l’entourage des logements sociaux, particulièrement les organisations communautaires, à la nécessité d’ouvrir leurs portes pour faciliter la participation des familles immigrantes aux activités organisées sur le site ou ailleurs dans le quartier. Ce projet a permis, entre autres, que des organismes communautaires puissent donner des cours de français sur le site même des HLM concernés.
10Le troisième projet, Enfin chez nous, qui s’est déroulé en 2000-2001 dans des HLM de quartiers multiethniques visait, lui, à développer un sentiment d’appartenance et à susciter la participation à la vie communautaire des locataires immigrants. L’insistance ici porte sut le repérage de leaders susceptibles de dynamiser les associations de locataires et d’agir comme relais entre les locataires et les organismes du milieu. Comme le précédent, ce projet comporte des activités de rencontre hebdomadaires (cafés rencontres, cuisines collectives, réunions d’information) dans les locaux des HLM et l’organisation de fêtes, d’activités de jardinage et de nettoyage des terrains, des sorties (cabane à sucre, maisons de la culture, Jardin botanique, etc.) ayant pour but de briser l’isolement des personnes concernées.
11Quant au projet le plus récent, Habiter La Mixité, en cours depuis 2001, il comprend, outre le maintien des activités entreprises l’année précédente dans quatre quartiers, l’élaboration d’outils d’information et d’animation (vidéo sur la vie en HLM et fiches d’information sur dix thèmes2 destinés aux locataires, notamment aux nouveaux arrivants. Ces outils ont été produits grâce à la collaboration de deux organismes communautaires, le Regroupement des organismes du Montréal ethnique pour le logement (ROMEL) et Infologis de l’est de l’île de Montréal, et de divers services de l’OMHM ainsi qu’avec la participation de résidents des HLM en ce qui concerne le film vidéo. Ce film met l’accent sur certaines règles de vie en HLM en les insérant dans des scènes de la vie quotidienne et en les soulignant grâce à des dessins humoristiques : la prévention des incendies vient au premier plan, mais on traite aussi de gestion des ordures, de réduction du bruit et de relations entre voisins.

Zones de localisation des HLM visés par les projets d’accompagnement social de l’Office municipal d’habitation de Montréal (2002).
12Nous avons suivi ces projets depuis l’été 2000 en participant aux activités et en ayant régulièrement des échanges avec les responsables des projets, notre rôle étant de fournir aux intervenants un certain feedback et une prise de distance critique dans le cadre d’un processus de recherche-action.
L’adaptation des projets aux situations particulières des quartiers
13Les activités menées dans le cadre des projets pilotes varient en fonction des problématiques qui caractérisent chaque quartier.
Le quartier Ahuntsic
14Dans le quartier Ahuntsic, un quartier de classe moyenne, les HLM Saint-Sulpice et André-Grasset constituent des zones de pauvreté qui contrastent avec le milieu environnant. Il s’agit d’ensembles immobiliers qui comprennent respectivement 149 et 98 logements destinés en bonne partie à des familles. Datant du début des années 1970, ils font partie des plus anciens ensembles HLM gérés par l’OMHM, un organisme créé en 1969. Comme dans beaucoup d’autres cas à Montréal, ces immeubles ont été construits avant que ne se développe le domaine résidentiel avoisinant où ils se trouvent, de telle sorte qu’ils forment aujourd’hui des enclaves faisant figure d’intrus dans le paysage de propriétés et de copropriétés qui les entoure. Leur caractère architectural les isole également du milieu environnant, puisqu’ils se composent de bâtiments de trois étages et de « maisonnettes » formant un plan d’ensemble parcouru d’allées intérieures et relativement fermé sur lui-même. Les relations avec le voisinage des HLM sont pratiquement inexistantes. Plus encore, les locataires de ces ensembles, en majorité immigrants, sont facilement identifiables et même stigmatisés par les autres habitants du quartier, notamment lorsqu’ils fréquentent les quelques commerces du secteur.
15Au fil des années on a vu apparaître épisodiquement des conflits à l’intérieur des HLM et des frictions avec leur voisinage, surtout en ce qui concerne le premier HLM, moins isolé physiquement que le second. L’origine de ces conflits tient souvent à l’usage et à l’appropriation des lieux par les nombreux adolescents habitant les HLM. Ainsi, l’OMHM a pris la décision de fermer le terrain de basket-ball que les jeunes utilisaient jusqu’aux petites heures du matin. Une crise plus importante, survenue à la fin des années 1990, a amené l’éviction de quelques familles dont les jeunes adultes étaient identifiés comme des fauteurs de troubles ; des modifications importantes ont alors été apportées aux immeubles (fermeture du stationnement souterrain, destruction des portiques vitrés liant deux immeubles). Pour sa part, le second HLM n’a pas vraiment connu de crises majeures, bien qu’on y note des signes de délinquance ; ce qui semble affecter davantage les perceptions du voisinage, ce sont les traces de négligence (vieux matelas, détritus, etc.) qui déparent périodiquement les lieux.
16Il est à souligner que les problématiques liées à la forte concentration d’immigrants dans les HLM étudiés et à leur insertion dans le milieu environnant trouvent relativement peu d’échos auprès des organismes communautaires du quartier. C’est ce qui a incité l’OMHM à mettre sur pied le projet Enfin chez nous, suivi d’Habiter La Mixité, afin de dynamiser ce milieu et de tenter de briser l’isolement de plusieurs résidents. Les activités y ont été centrées sur l’organisation de cuisines collectives et de sorties ; la mise sur pied d’une association de locataires dans chacun des HLM est également le fruit de ces projets, qui ont aussi influencé le développement par un groupe de résidentes d’un projet d’initiative communautaire et sociale financé par la Société d’habitation du Québec.
Le quartier Côte-des-Neiges
17Côte-des-Neiges est un quartier multiethnique, devenu au cours des vingt dernières années l’un des principaux lieux d’établissement des nouveaux arrivants. La population immigrante y est desservie par de nombreux organismes communautaires qui s’occupent principalement de la situation des demandeurs d’asile et de l’établissement des immigrants récents (arrivés depuis moins de cinq ans), sur le plan de la formation, de l’emploi, de la santé, des conditions de logement et des loisirs. Ces organismes ont toutefois du mal à rejoindre la population des HLM qui, souvent, ne fait pas partie de leurs clientèles.
18Les HLM touchés par les projets pilotes de l’OMHM se situent dans la partie nord du quartier, principalement le long de la rue Barclay, secteur déjà fortement marqué par l’insécurité et depuis longtemps affecté pat des activités criminelles, principalement le trafic de drogue. Au début des années 1990, des opérations policières ainsi que des acquisitions et rénovations d’immeubles effectuées par la SHDM (Société d’habitation et de développement de Montréal) et l’OMHM ont, entre autres, permis d’améliorer la qualité de vie des résidents et d’accroître leur sentiment de sécurité. Le HLM étudié est formé d’immeubles achetés par l’OMHM et rénovés en 1993, soit six immeubles de petite taille totalisant 80 logements familiaux. Ces immeubles ne sont pas regroupés et s’insèrent parmi d’autres bâtiments du même type, possédés par des propriétaires privés ou par la SHDM, une société paramunicipale qui en confie la gestion à des coopératives ou à des organismes à but non lucratif.
19Le HLM étudié loge un grand nombre de familles comptant plusieurs enfants. Malgré l’animation liée à la présence des enfants, c’est un milieu où l’on retrouve beaucoup d’isolement, notamment parmi les femmes demeurant au foyer pour s’occuper de leur famille. Outre ces difficultés d’ordre social, des problèmes de nature environnementale affectent également les tues de ce secteur. Depuis plusieurs années déjà, la gestion des détritus y pose un problème de taille : malgré l’amélioration apportée par l’installation de bacs pour recueillir les ordures ménagères, il reste que les trottoirs et les terrains séparant les immeubles sont souvent jonchés de détritus balayés par le vent.
20Les locataires du HLM étudié se sont déjà regroupés en association à la fin des années 1990. L’expérience a cependant fait long feu, ce qui a laissé des séquelles parmi les résidents, devenus méfiants à l’égard de toute nouvelle tentative de regroupement et manifestant peu de sentiment d’appartenance à leur milieu de vie. Devant cet état de fait, l’OMHM a voulu travailler à briser l’isolement, à favoriser les relations de voisinage et à animer le milieu, ce qui a mené à la mise sur pied des projets Enfin chez nous, puis Habiter La Mixité. L’objectif principal de ces projets est finalement de créer un milieu de vie plus convivial dans les HLM de ce secteur du quartier Côte-des-Neiges. D’ailleurs, les participants au projet Habiter La Mixité s’affairent depuis un certain temps à la création d’une association de locataires. Les principales activités sont les cuisines collectives, le jardinage, les corvées de nettoyage des terrains et les sorties.
Le quartier Hochelaga-Maisonneuve
21Le quartier Hochelaga-Maisonneuve3 se situe dans la partie sud-est de la ville de Montréal. Outre des revenus inférieurs à la moyenne montréalaise, la très forte proportion de francophones (91 % pour la langue parlée à la maison en 1996) et la faible représentation des immigrants (8 %, comparé à 26 % pour Montréal) distinguent ce quartier de l’ensemble montréalais. Par contre, près de 40 % des immigrants sont arrivés récemment (entre 1991 et 1996), comparativement à 25 % à l’échelle de la ville. Les mêmes statistiques s’appliquent au territoire plus restreint du district électoral Maisonneuve, où se situe le HLM étudié. Cette partie de la ville est donc en voie de recevoir de plus en plus d’immigrants, principalement dans les HLM qui offrent de grands logements pour les familles. La provenance de ces familles est très variée et l’on retrouve parmi elles nombre de personnes originaires de l’Asie du Sud, dont plusieurs (des femmes surtout) n’ont aucune connaissance du français même après quelques années de résidence à Montréal.
22Le HLM Boyce-Viau est un grand ensemble immobilier de 205 logements familiaux, localisé dans le nord-est du quartier, tout près des installations olympiques et d’un complexe cinématographique. Les établissements de loisirs sont presque les seuls à desservir ce secteur mal pourvu en services ou commerces de proximité, ce qui oblige les résidents à se déplacer à l’extérieur pout la plupart de leurs activités courantes.
23Le HLM étudié fait partie des premières vagues de construction de logements publics du début des années 1970 et souffre des problèmes physiques typiques des ensembles immobiliers de cette génération, nécessitant des réparations majeures à court terme. Comme les HLM de même type, il est relativement isolé et fermé sur lui-même. En fait, seule une rangée d’habitations appartenant à des propriétaires privés (petits collectifs ne dépassant pas trois étages) borde cet ensemble du côté ouest. Les frictions avec le voisinage se font donc plus rares qu’ailleurs. Le HLM garde cependant une mauvaise réputation, héritée d’une époque lointaine marquée par certains actes criminels, qui s’est transformée en préjugé tenace malgré les changements survenus depuis.
24Depuis sept ou huit ans, la composition ethnoculturelle du HLM étudié s’est modifiée avec l’arrivée de locataires de diverses cultures qui forment maintenant environ 30 % de la population résidente. Il ne semble pas y avoir de frictions entre ces nouveaux arrivants et les locataires de longue date, mais les liens paraissent pratiquement inexistants. Par ailleurs, la vie associative a déjà été florissante dans ce HLM : c’est grâce à l’association de locataires, en collaboration avec d’autres résidents et une travailleuse sociale du YMCA, que le Centre des jeunes a été créé en 1993. Les jeunes d’origine immigrée n’ont toutefois adhéré plus largement aux activités du centre que depuis cette année. L’association de locataires, elle, a été affectée par les départs de plusieurs membres et pourrait éventuellement se régénérer grâce à un noyau de jeunes adultes intéressés à y participer, mais peu expérimentés dans le domaine et intimidés par la présence de quelques « anciens ».
25L’idée de mettre sur pied le projet Citoyenneté clé en main, suivi d’Habiter La Mixité est liée à l’arrivée d’un nombre croissant d’immigrants dans le HLM étudié, arrivée dont on a voulu atténuer les impacts même si celle-ci ne semble pas avoir causé de grands remous dans ce milieu déjà bien organisé autour du Centre des jeunes. C’est donc davantage à titre préventif que ces projets ont été mis sur pied, afin de favoriser les communications entre résidents de diverses origines. En plus des sorties, les activités qui ont occupé le plus de place dans ces projets ont d’abord été les cuisines collectives, puis les cours de français.
Le quartier Centre-Sud
26Le district électoral Sainte-Marie, où se situe le HLM étudié, compte davantage de francophones que l’ensemble de la ville (87 % contre 57 % pour la langue parlée à la maison en 1996), mais deux fois moins d’immigrants (12 % contre 26 %). Le revenu moyen des ménages y est de 40 % inférieur à la moyenne montréalaise. Même s’il se trouve à la limite est du quartier Centre-Sud4, ce district connaît des pratiques illicites que l’on rencontre plus fréquemment dans les espaces centraux : prostitution, trafic et consommation de drogues, vagabondage, etc. Des gangs de motards et de petits criminels exercent aussi leurs activités dans cet espace.
27Depuis le début des années 1970, plusieurs HLM se sont régulièrement ajoutés au parc immobilier de Sainte-Marie, qui compte environ 400 logements familiaux, généralement dans des immeubles de petite taille intégrés au tissu urbain existant et répartis sur tout le territoire. C’est un HLM de la rue Dufresne qui a servi de lieu de rassemblement pour le projet Citoyenneté clé en main d’abord et Habiter La Mixité ensuite, puisque le principal partenaire de ce projet, la Table de concertation en relations interculturelles (TCRIC), est installé dans l’un de ses bâtiments. Cette Table de concertation a été créée en 1999 dans un contexte de crise qui a forcé plusieurs acteurs des milieux communautaire et institutionnel (entre autres, l’OMHM et le service de police) à se réunir pour identifier des pistes d’action permettant de faire face aux difficultés vécues. En fait, des incidents violents surviennent épisodiquement dans ce secteur, mais dans ce cas-ci, ils concernaient des résidents de HLM originaires de pays de l’Asie du Sud, récemment installés dans le quartier, et d’autres résidents, issus du quartier, ce qui a nécessité des interventions policières. Depuis, le climat s’est apaisé, grâce en partie aux actions entreprises pour favoriser le rapprochement interculturel. C’est dans cette démarche que se sont intégrés les projets successifs de l’OMHM. Au début, les cours de français organisés en collaboration avec la TCRIC ont joué un rôle important de même que les cuisines collectives, les fêtes et les sorties, mais plus récemment c’est la préparation d’une corvée de nettoyage qui a pris le devant de la scène.
L’expérience vécue par les participants aux projets pilotes de l’OMHM
28La participation aux projets pilotes répond à certains motifs ou attentes et produit chez les participants des impacts qui sont liés en partie à la situation et aux caractéristiques particulières des personnes. Dans l’ensemble, les personnes rejointes5 sont très majoritairement des femmes, mères de familles monoparentales dans la moitié des cas. Elles sont d’origines nationales variées : parmi les francophones, il s’agit notamment d’Haïti et du Liban ; quant aux anglophones, elles proviennent principalement du Sri Lanka et du Bangladesh ou encore des Caraïbes. Plusieurs de ces personnes ont une faible maîtrise de la langue française, ce qui ne les a pas empêchées de participer aux activités organisées dans le cadre des projets de l’OMHM dans la mesure où, pour un certain nombre, l’activité principale consistait précisément en des cours de français organisés à leur intention ou, dans d’autres cas, en raison du fait qu’il s’agit de milieux bilingues (à Côte-des-Neiges, en particulier), où l’on passe assez facilement d’une langue à l’autre parmi les intervenants communautaires avec lesquels le groupe est en rapport.
29Les niveaux d’études des participants sont relativement élevés : tous ou presque ont au moins terminé leurs études secondaires (équivalent du lycée français) dans leur pays d’origine ou au Canada. Quelques femmes exerçaient déjà des professions dans leur pays d’origine (enseignante, infirmière, autre). Mais aucune n’a pu exercer sa profession antérieure depuis son arrivée au Québec, principalement à cause d’une connaissance insuffisante de la langue française. Aussi la plupart de ces femmes suivent-elles actuellement des cours de langue pour pouvoir éventuellement accéder au marché de l’emploi. Mais le manque d’argent et de temps constitue un sérieux obstacle dans la poursuite de ces projets d’insertion pour ces femmes qui sont le plus souvent seules à élever leurs enfants. D’autres ont également entrepris des formations professionnelles dans l’optique d’accéder à un emploi, sans effet toutefois sur leur participation au marché du travail jusqu’à maintenant. Au moment de l’enquête aucune des personnes rencontrées n’occupait un emploi. En revanche, certains conjoints avaient un emploi, mais cela dans des occupations de niveau inférieur à celui de leurs qualifications.
30La durée de résidence des personnes à Montréal pourrait avoir une influence sur leur implication dans le projet et sut ce qu’elles ont pu en tirer. Ainsi, une immigration récente pourrait expliquer un manque d’information sur Montréal. En réalité, les personnes interviewées habitent toutes Montréal depuis au moins dix ans. Pourtant leur niveau d’information sur les ressources qu’offre la Ville de Montréal (bibliothèques, maisons de la culture, grands équipements tels le Jardin botanique, le Biodôme, etc.) était très bas et elles ont fort apprécié l’introduction à ces ressources qui leur a été fournie dans le cadre des projets de l’OMHM.
31Quant à la durée de résidence dans le logement HLM, elle varie entre deux et dix ans selon les participants. Pourtant très peu ont développé des liens sociaux forts au sein de leur HLM. Les relations qui dépassent le niveau des salutations polies entre voisins se limitent le plus souvent à un seul autre ménage.
32La participation au projet Habiter la Mixité répond à des motivations, besoins et attentes divers. La catégorie la plus répandue renvoie à l’isolement dans laquelle la personne se trouvait auparavant : plusieurs disent qu’elles ne sortaient pas, n’avaient pratiquement pas de contacts :
J’étais vraiment à l’écart, dans mon logement, je n’avais pas de contacts. [...] On a peur de sortir er, quand on sort, on voit bien qu’il n’y a rien de tordu, il n’y a rien de méchant, il n’y a pas de danger... C’est juste la peur, la peur de prendre contact [...]. Depuis que je sors de chez moi, tous les matins je viens ici, je respire l’air, j’ai plus le temps de me concentrer sur mes affaires mais plutôt de voir ce que je peux offrir aujourd’hui, qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui... (Femme, chef de famille monoparentale, originaire d’Haïti).
Avant, je n’avais pas le goût de sortir... Je ne faisais plus confiance aux gens, même la famille, mes parents... mais maintenant ça a changé, j’ai repris confiance en moi. [...] [Le projet] m’a sortie de ma solitude, c’est le plus important parce qu’avant je faisais de la dépression et tout ça... Maintenant j’aime beaucoup rencontrer des gens (Femme, chef de famille monoparentale, originaire du Liban).
33Sans aller jusqu’à ces situations extrêmes d’isolement, la participation au projet s’est révélée pour la plupart une occasion de sortir et de rencontrer des gens. Toutefois, la dimension de la sociabilité n’est pas seule en cause ; ainsi le fait que les gens soient d’origines culturelles variées est souvent présenté comme une source d’enrichissement, en particulier lorsqu’il s’agit d’activités telles les cuisines collectives qui permettent de se familiariser avec des pratiques culinaires autres. Le rapprochement avec des personnes d’origines diverses est perçu comme une retombée du projet, qu’on ne vit pas en général dans d’autres situations, soit de travail ou de cohabitation dans l’espace urbain.
34Un second type de motivation a trait aux apprentissages et à l’information que l’on peut retirer de la participation au projet. Il y a bien sût l’apprentissage du français dans le cas des personnes qui suivent ou ont suivi des cours de français dans le cadre des différents projets. Il y a aussi l’information sur les activités et les services fournis par divers organismes du quartier qui viennent faire des présentations lors de réunions organisées dans le cadre des projets. De même les visites de divers équipements gérés par la Ville de Montréal (Jardin botanique, Biodôme, maisons de la culture, etc.) figurent parmi les sources d’information mentionnées par les personnes interrogées. Mais c’est également aux apprentissages liés au fait de mener des activités en commun que les personnes interviewées font référence, qu’il s’agisse de démarrer une association de locataires ou d’activités particulières comme le jardinage, le nettoyage des terrains autour du HLM, etc. Ce sont là des occasions de croissance personnelle, qui permettent aux personnes de développer de nouvelles compétences à travers la coopération, le travail d’équipe.
J’ai pensé que ce serait bon, je pourrais apprendre quelque chose, aller de l’avant avec le groupe, apprendre des différentes personnes qu’on rencontre. [...] Cette année on veut aller plus loin, monter une association de locataires ; on se rencontre depuis un an ou deux, on apprend les uns des autres, on peut commencer le projet, coopérer et s’améliorer, non ? (Homme, marié, deux enfants, originaire du Sri Lanka).
35Il n’est guère facile de distinguer les motivations qui ont incité les personnes à participer au projet des retombées ou avantages qu’elles estiment en avoir retirés. En réalité, les motivations au départ sont très peu explicites : les personnes répondent tout simplement à l’invitation de l’intervenante, sans avoir de notion claire de ce qu’elles peuvent attendre du projet. C’est au fur et à mesure de leur participation aux activités engagées à l’enseigne des projets que s’élabore la compréhension des objectifs et des bénéfices qu’elles peuvent en tirer.
Le rôle crucial de l’agente de projet
36Afin de mener à bien sa mission, dont le principal objectif est de favoriser l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants en HLM, l’agente de projet a contacté personnellement les individus, soit pat téléphone soit en faisant du porte à porte. Cette façon de faire lui a permis d’établir un contact personnel avec eux mais aussi de prendre la mesure des difficultés auxquelles elle allait se trouver confrontée. Les plus importantes de ces difficultés sont la barrière de la langue, l’isolement des personnes et la méfiance.
37La méfiance est, semble-t-il, en partie associée aux différences culturelles. Les résidents immigrants d’origines diverses adoptent une certaine réserve les uns à l’égard des autres. Parallèlement, les relations ne s’établissent pas facilement entre les Québécois, dits « de souche », jugés fermés, et les immigrants. Dans ce contexte, l’origine étrangère de l’agente6 a été, semble-t-il, un élément qui a facilité la prise de contact. Quant à la barrière de la langue, il semble clair que l’absence d’une langue commune aux individus partageant un même espace résidentiel tend à creuser les distances et à rendre la communication plus difficile. L’agente de projet maîtrise le français et l’anglais, ce qui facilite les choses sans pour autant que cela soit toujours suffisant. Enfin, l’isolement des personnes est un défi auquel le projet tente de répondre aussi bien pat l’approche adoptée par l’agente de projet, qui mise sur la confiance et le lien personnalisé, que par les activités conviviales auxquelles les participants sont invités à participer.
L’approche personnalisée
38C’est au regard de ces difficultés que l’approche personnalisée prend tout son sens. Il faut aussi ajouter que ces difficultés nourrissent un sentiment d’insécurité explicitement exprimé par certaines des femmes interviewées. Un tel sentiment rend primordial l’établissement d’un lien de confiance entre l’agente et les personnes. Il est clair que la création d’un tel lien n’est possible qu’avec une personne et non pas une institution.
39L’approche personnalisée adoptée par l’agente de projet signifie que cette dernière est allée à la rencontre des individus pour leur proposer de participer à une activité donnée, puis qu’elle les a relancés, gardant le contact dans la mesure du possible. La mobilisation des individus n’est jamais, semble-t-il, acquise définitivement et nécessite un travail de longue haleine. Un premier contact n’est pas suffisant, même lorsqu’une personne a déjà fait le premier pas, en participant à une cuisine collective par exemple ; il faut à nouveau la contacter pour l’informer des activités à venir mais aussi pour l’assurer que sa présence est souhaitée. D’autre part, la méthode d’approche mise en place par l’agente fut à ce point personnalisée que certaines participantes ont pu voir en elle une amie, une confidente.
Question : « Qu’est-ce qui t’a le plus motivée pour participer ? »
Réponse : « Sincèrement, au début, c’est C... qui m’a motivée... C’est pas seulement moi, toutes les femmes qui sont là jusqu’à maintenant... On aime beaucoup C..., dès le début tu peux lui faire confiance, elle t’aide, qu’est-ce que tu peux faire et tout... seulement elle m’a fait sortir, ça c’est très bon pour moi, et moi maintenant j’aime aider les autres comme quand elle m’a aidée : c’est ça. Ma motivation c’était C... ».
Question : « Comment tu décrirais la relation que tu as avec C... ? »
Réponse : « Quand je la vois, franchement, c’est comme une amie très intime, je peux lui parler de tout. Hier elle a parlé avec moi au téléphone à peu près une demi-heure, j’ai très confiance en elle... C’est, comme tu sais, quand tu es noyée et que quelqu’un te sort de l’eau, c’est ça, une sauveuse... J’oublie pas son aide » (Mère de famille d’origine libanaise et vivant seule avec trois enfants).
40L’explication de la motivation de certaines participantes par la seule présence de l’agente de projet souligne certes sa capacité de mobilisation, mais elle révèle aussi la dépendance des personnes et trahit une certaine faiblesse du projet. En effet, faut-il conclure qu’en l’absence d’une relation privilégiée entre l’agente et les individus il n’est guère possible de mobiliser ces derniers ?
La fonction d’intermédiaire
41Outre sa fonction de mobilisation des individus en vue d’une participation aux activités, l’agente de projet entre en contact avec les organismes du milieu afin de mettre en place des activités conjointes. Elle a pour fonction d’organiser et d’animer des activités en collaboration avec les partenaires du moment.
42Un autre de ses rôles a été de proposer des activités en adéquation avec les attentes, ressenties ou clairement exprimées, des résidents. Ainsi, pour certains groupes, plus en attente de rencontre et de partage, la mise en place de cuisines collectives ou plus simplement encore de cafés-rencontres est quelque chose d’amplement satisfaisant. Pour d’autres groupes à la recherche d’échanges sociaux mais aussi d’information ou d’ouverture sur leur environnement, les sorties à thème sont des activités plus aptes à les satisfaite. Cela implique une ouverture d’esprit et une capacité d’adaptation de la part de l’agente. L’agente de projet sert également de relais entre les résidents des HLM et les ressources du milieu. Sa position lui permet de diffuser l’information et de mettre les individus en contact avec des personnes susceptibles de les aider.
43Enfin, à travers la participation aux activités, il a été possible pour l’agente de repérer les personnes réellement motivées et de promouvoir auprès d’elles une action communautaire à plus long terme. L’agente de projet est ici amenée à dépasser sa fonction d’animation ou encore de relais entre les personnes et les institutions. Elle aide à faire émerger les énergies en vue de générer éventuellement des instances capables de prendre le relais de l’action. Chez les résidents, l’idée semble être d’amener les individus à s’organiser au sein de leur HLM afin de leur permettre de s’exprimer et de se prendre en charge jusqu’à un certain point. La recherche de l’énergie se fait aussi en direction des organismes du milieu afin de voir comment ils peuvent prendre en compte dans leur action la dimension de l’intégration des nouveaux arrivants, particulièrement des immigrants, dans la vie de quartier.
44Ces diverses facettes de l’action de l’agente de projet soulèvent un certain nombre de questions relatives à la pérennité du projet. On peut s’interroger sur le développement et éventuellement l’extension territoriale d’une action non formalisée qui, dans sa forme première, repose sur une adaptation au cas par cas. L’absence de formalisation des projets, que l’on peut concevoir comme un facteur d’adaptation de l’action aux besoins des résidents, apparaît aussi comme un frein au développement et à l’extension à d’autres quartiers, sauf si ces projets sont animés par la même personne, ce qui pose par ailleurs la question des limites de la personne à agir simultanément sur un grand nombre de terrains. En effet, ce qui a été possible à une petite échelle, sans autre forme de structure que la conceptualisation personnelle de l’action à mener par l’agente de projet elle-même, ne l’est sans doute pas à une échelle plus vaste.
45Il faut rappeler que l’action poursuivie dans le cadre du projet Habiter la Mixité a donné lieu indirectement à la création d’associations de locataires. L’agente de projet a, semble-t-il, réussi à motiver des participants, leur a donné le goût d’aider les autres. C’est ainsi que certaines femmes montrent, une fois sorties de leur isolement, une réelle motivation, un réel désir à s’investit et à éviter aux autres ce qu’elles ont vécu elles-mêmes. Comme il ressort qu’une approche personnalisée, sur la base du porte à porte, du contact direct et constamment réitéré est essentielle, ces participantes regroupées en associations ne seraient-elles pas parmi les personnes les mieux placées et les plus motivées pour approcher des personnes qui vivent le même repli qu’elles avant leur participation au projet ? Même si l’objectif formel du projet n’est pas la constitution d’associations de locataires afin de mettre en œuvre des activités, il reste que cette issue de l’action pourrait représenter une forme de continuité du projet. Quant à miser sur les organisations communautaires des quartiers pour prendre le relais, il faut tenir compte du degré de convergence entre leurs objectifs et ceux du projet, de leurs perceptions de ce dernier, de leur disponibilité et des modes de collaboration susceptibles de se développer.
La collaboration avec les organismes communautaires locaux7
46La collaboration entre l’agente de projet et le milieu communautaire s’est développée de façon variable selon les organismes er les quartiers visés. Il faut rappeler d’entrée de jeu que la mise en place en 1999 du premier projet, le projet Franc Parler, a suscité le mécontentement de plusieurs organismes communautaires, particulièrement ceux travaillant déjà auprès des immigrants et des réfugiés. Le projet de la Ville était en effet perçu comme un concurrent direct par les organismes communautaires œuvrant auprès des immigrants. D’une part, il apparaissait comme un intrus usurpant plus ou moins leur place er leur financement ; d’autre part, il paraissait peu légitime dans le milieu communautaire en raison du fait qu’il relevait de l’OMHM, une institution rattachée à la Ville de Montréal.
47Toutefois les frictions semblent s’être atténuées avec le temps : au moins trois organismes au service des immigrants et des réfugiés ont jusqu’à maintenant collaboré aux activités de l’un ou l’autre des projets pilotes de l’OMHM. Mais il faut reconnaître que plusieurs des partenaires du projet sont des organismes liés de près ou de loin à l’OMHM ou à la Ville de Montréal : Centre des jeunes, Table de concertation en relations interculturelles, Eco-quartier.
48Les activités menées en collaboration avec des organismes communautaires des différents quartiers sont de divers types. Il s’agit le plus souvent d’activités de loisirs comme des sorties ou des fêtes. Les sorties peuvent être de nature culturelle (théâtre, musique, expositions) et sont, dans ce cas, souvent rendues possibles grâce aux billets obtenus gratuitement par l’entremise de la Ville de Montréal. Les sorties à l’extérieur suscitent aussi la collaboration d’organismes locaux ; il s’agit généralement d’événements qui suivent les traditions agro-touristiques de chaque saison : cueillette de fraises ou de pommes, cabane à sucre, etc. C’est souvent la seule occasion de sortie à l’extérieur de Montréal pour certaines familles immigrantes vivant en HLM. L’organisation de fêtes se fait aussi presque toujours en partenariat avec un organisme local et respecte les traditions de la société réceptrice : Halloween, fête de Noël...
49Les cours de français et les cuisines collectives constituent à peu près les seules activités à se tenir régulièrement dans le cadre du dernier projet, Habirer La Mixité. Le nombre de quartiers concernés s’est toutefois progressivement réduit avec le temps : les cours de français ne se donnent plus que dans un quartier et les cuisines collectives dans deux. D’autres activités récurrentes s’ajoutent durant l’été : les plantations de fleurs et les potagers occupent plusieurs résidents participant au projet, souvent motivés pat la possibilité de gagner les concours organisés par l’OMHM. Par ailleurs, les corvées de nettoyage (ciblant une ou deux rues), menées en collaboration avec un organisme environnemental (Éco-quartier) et certains propriétaires privés, sont en train de constituer une tradition dans le quartier Côte-des-Neiges et seront entreprises sous peu dans le district Sainte-Marie (quartier Centre-Sud).
50Enfin, l’agente de projet invite occasionnellement des représentants d’organismes communautaires ou d’institutions à venir informer les participants au projet sut différents sujets. Réciproquement, des intervenants vont parfois demander à l’animatrice de rassembler des participants pour tenir une réunion d’information. Dans deux des quartiers concernés (Ahuntsic et Côte-des-Neiges), des rencontres rassemblant les locataires, invités par une lettre circulaire, ont aussi été tenues dans le but de former une association ; des agents de relations avec les locataires participent régulièrement à ces rencontres comme représentants de l’OMHM.
51L’intérêt de plusieurs organismes à collaborer avec les projets de l’OMHM réside dans la possibilité de rejoindre une clientèle souvent mal connue des organismes locaux, en particulier les immigrants relativement récents vivant en HLM. Les buts précis de ces organismes sont variés : il peut s’agir d’étendre leurs activités à d’autres groupes de personnes, de faire du rapprochement avec leurs propres membres ou encore de pouvoir éventuellement amener de nouveaux membres d’origine immigrée à fréquenter l’organisme en question. Il importe de préciser que les organismes recrutent fréquemment leur clientèle par le bouche à oreille, ce qui suppose l’existence préalable de réseaux informels permettant à l’information de circuler. Or, les immigrants font peu souvent partie de ces réseaux, encore moins s’ils sont nouvellement arrivés dans un quartier ou s’ils ne parlent pas la langue de la majorité. Le démarchage effectué dans le cadre des projets de l’OMHM a ainsi eu l’avantage de pouvoir rejoindre des personnes souvent laissées de côté par des organismes trop occupés ou ne disposant pas de ressources humaines suffisantes pour approcher directement cette clientèle potentielle. Les activités menées en collaboration avec des organismes communautaires ont donc contribué à faire connaître ces organismes auprès des résidents immigrants en HLM, mais il reste encore un pas à franchir avant que ceux-ci aillent d’eux-mêmes vers ces organismes ou que ces derniers prennent l’habitude de les contacte ! directement. Malgré tout, cette habitude se crée peu à peu.
52Quant aux contacts établis entre l’agente de projet et les organismes communautaires, l’initiative est souvent venue de la première : c’est elle qui s’est adressée à un organisme auquel on l’avait référée ou dont elle avait entendu parler pour mener un type particulier d’activité. Plus rarement, l’initiative est attribuable à des intervenants communautaires désireux de rejoindre spécifiquement une clientèle immigrante vivant en HLM de manière à répondre aux objectifs de leur organisme ou à la recherche de personnes responsables de projets pout organiser conjointement certains types d’activités (loisirs, corvées de nettoyage, etc.). Dans ces cas, le projet Habiter La Mixité devait servir d’intermédiaire ou de « facilitateur » pout mener à bien les objectifs de l’organisme.
53Si l’on reprend, pour terminer, les interrogations concernant la pérennisation de l’action entreprise dans le cadre des projets de l’OMHM, il paraît clair qu’on ne peut compter sur le développement d’un cadre précis de partenariat avec les organisations communautaires impliquées jusqu’ici dans des activités menées conjointement avec les différents projets pilotes. Certains intervenants déplorent à cet égard le caractère ponctuel des collaborations établies jusqu’à maintenant, soit des collaborations ad hoc, qui ne durent que le temps de la préparation d’une activité telles une fête ou une sortie. Peu d’entre eux connaissent en fait la nature et le contenu du projet Habiter la Mixité, même s’ils ont déjà travaillé avec l’agente de projet. Certains intervenants ont aussi relevé les différences entre l’approche d’éducation ou d’intervention ciblée de leur organisme et celle du projet Habiter La Mixité, davantage orientée vers les activités de loisirs, sans objectif sous-jacent de suivi de familles aux prises avec des problèmes psycho-sociaux ou d’aide au cheminement de jeunes en difficulté. Ces différences d’objectifs et d’approches ont, dans certains cas, empêché des intervenants de s’engager plus à fond à l’égard du projet. Ce qui n’empêche pas certains de reconnaître, par ailleurs, que les activités festives, de rencontres conviviales et de partage organisées dans le cadre d’Habiter La Mixité correspondaient exactement à ce dont avaient besoin les immigrants nouvellement arrivés au pays, particulièrement les femmes. Tout compte fait, il semble que ce soit avec les organisations engagées dans des missions d’accueil et d’intégration des immigrants que des partenariats de longue durée puissent être envisagés en raison de la convergence des objectifs de fond des actions menées de part et d’autre.
Conclusion
54L’implication de la Ville de Montréal dans l’accueil et l’intégration des familles immigrantes vivant en HLM, en vertu du Plan d’action visant l’accueil et l’intégration en français des immigrants dans les quartiers de Montréal établi en 1999, a produit des résultats non négligeables. Nous avons constaté que, dans les HLM touchés, des personnes auparavant isolées, voire exclues, ont été amenées à participer à diverses activités qui leur ont permis de développer des liens sociaux er des compétences personnelles (dont l’apprentissage du français pour certaines), une meilleure connaissance des ressources et conséquemment une maîtrise accrue de leur milieu. Dans quelques cas, ces activités vont jusqu’à soutenir un processus d’empowerment qui s’incarne dans la formation d’associations de locataires. Tout cela est le résultat du lien de confiance tissé progressivement entre l’agente du projet et les participants, lien de confiance qui suscite et entretient la mobilisation de ces derniers.
55Toutefois, des interrogations persistent quant à la pérennité des actions entreprises. D’une part, des liens avec les organismes communautaires présents dans les quartiers ont certes été établis, mais ils demeurent peu structurés et ne s’inscrivent pas dans un cadre de partenariat durable qui permettrait à ces organismes de prendre le relais des actions engagées. D’autre part, les projets étudiés demeurent encore exploratoires dans la mesure où l’OMHM ne dispose pas des ressources financières et humaines nécessaires pour les intégrer dans ses pratiques courantes, ce qui les maintient dans une situation de fragilité, à la remorque des subventions gouvernementales.
56Enfin, l’intégration recherchée reste partielle. D’une part, les activités mises en place ne regroupent le plus souvent que des immigrants (exception faite des fêtes et des sorties) et en ce sens les objectifs de sensibilisation de l’entourage en vue de favoriser une meilleure cohabitation dans les milieux de vie ne sont guère atteints. D’autre part, ces activités sont généralement placées à l’enseigne de l’accueil à sens unique, c’est-à-dire de la socialisation et de la transmission d’informations sur les ressources, les usages et les façons de faire du lieu. On assiste peu au développement de formes de réciprocité qui, selon le modèle de l’hospitalité, seraient fondées sur la reconnaissance de la valeur singulière de l’étranger que l’on accueille en lui permettant de se faire valoir.
57À cet égard, le projet d’intégration citoyenne des immigrants qui sous-tend ce type de programme, le souci de combattre leur isolement et d’accroître leur participation aux activités collectives s’apparentent à ce que Michel Wieviorka décrit comme une politique de tolérance qui « considère les cultures comme acceptables tant qu’elles ne posent pas de problèmes... et restent sous le regard des valeurs du groupe dominant » (Ragi et Lagrée 2000 : 18). La reconnaissance des différences culturelles relèverait davantage d’une contrainte qu’il faut traiter au plan de l’individu lorsqu’elle handicape sa participation. Mais alors que l’État fonctionne de plus en plus en partenariat avec le milieu associatif pour administrer services et équipements, le secteur communautaire ethnique n’a pas sa place dans ce modèle d’action publique, du moins en principe. Car, dans les faits, on voit bien l’avantage dont jouissent les communautés culturelles plus anciennes lorsqu’elles sont bien organisées pour faire valoir leurs demandes.
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Notes de bas de page
1 Il faut noter que seules les personnes ayant un statut d’immigrant ou les réfugiés admis sont éligibles ; les réfugiés en attente de statut ne le sont pas. De plus, les demandeurs doivent résider depuis au moins un an à Montréal pour obtenir un logement HLM.
2 Soit l’entretien du logement (3 fiches), la santé et la salubrité des lieux, la sécurité et la prévention (incendie, vol, vandalisme), les droits et responsabilités des locataires, l’intégrité des lieux (réparations et modifications), la conciergerie, la prise en charge et la vie associative.
3 Les quartiers décrits ici sont des quartiers sociologiques qui s’insèrent dans des divisions administratives plus larges, les arrondissements, au nombre de 27 depuis la création de la nouvelle Ville de Montréal en 2001. Ainsi, le quartier Hochelaga-Maisonneuve fait maintenant partie de l’arrondissement Mercier/Hochelaga-Maisonneuve ; sur le plan administratif, cet arrondissement se subdivise en cinq districts électoraux.
4 Ce quartier fait partie, depuis la fusion municipale de 2001, de l’arrondissement Ville-Marie qui inclut le centre ville.
5 Les données présentées ici sont fondées sur des entretiens menés auprès d’une douzaine de participants aux projets ; elles correspondent toutefois en bonne partie aux caractéristiques de l’ensemble de la population rejointe par ces projets.
6 Elle est d’origine grecque.
7 Les commentaires qui suivent sont fondés sur des entretiens menés auprès d’une dizaine d’intervenants œuvrant dans des organismes communautaires ayant collaboré avec le projet Habiter la Mixité.
Auteurs
Université du Québec — INRS Urbanisation, culture et société
Université du Québec - INRS Urbanisation, culture et société
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