Gens du voyage à Dublin
p. 177-198
Texte intégral
1Un court rappel historique s’impose afin de définir la population itinérante en Irlande. Si on les appelle gens du voyage, « Manouches », « Tsiganes », « Gitans » ou « Romanichels » en français, on trouve en anglais contemporain les mêmes variations qu’il s’agisse des termes « Travellers », « Itinerants », « Tinkers », « Knackers » ou « Tigeens ». Eux-mêmes se définissent comme une population indigène dont la présence sur l’île remonte au moins au xiie siècle, sinon plus tôt encore. Ils ne considèrent pas leurs homologues européens comme appartenant à leur famille et affirment ne partager avec eux qu’un mode de vie et les discriminations qui y sont afférentes. Ils se décrivent aujourd’hui comme le groupe ethnique indigène et nomade le plus important de la population irlandaise, population qui par ailleurs, étant donné l’insularité er la position du pays à l’extrême occident de l’Europe, a conservé jusqu’à récemment une certaine homogénéité1.
2Population de tout temps marginalisée du fait de son nomadisme, elle avait sa place, il y a quelques décennies encore, dans une Irlande très rurale, grâce à ses activités économiques (travail de l’étain, emplois saisonniers dans les fermes et recyclages divers). Seules les représentations dans la littérature de personnages pittoresques, nomades défiant toute structure établie mais respectueux des valeurs de la famille et du clan, offrent une image positive, même si elle était stéréotypée, de la communauté des gens du voyage.
3Comment vit cette population et quelle est sa place au sein de la population majoritaire dans l’Irlande du xxie siècle ? De nombreuses questions se posent quant à la présence de l’altérité, à l’inclusion de ce groupe indigène dans la société contemporaine et aux spécificités qui le caractérisent, tout particulièrement dans une Irlande en pleine mutation économique, celle du Tigre celtique qui privilégie la croissance, souvent au détriment de la politique sociale.
4Cette étude est limitée à l’un des nombreux aspects de la vie de la communauté des gens du voyage : l’accueil et le séjour dans différentes communes. Cela nous semble, en effet, être l’une des composantes fondamentales de l’identité de cette population différenciée des sédentaires par le mode de vie et surtout le mode de logement qu’implique le nomadisme, à ses divers degrés. La question du séjour recouvre celle du logement dans la mesure où le concept d’accueil-séjour-hébergement-logement s’exprime en anglais sous le seul terme « accommodation » qui désigne tous les cas de figure depuis le séjour ponctuel jusqu’à la résidence durable en un lieu. Elle est au cœur des pratiques et des politiques relatives aux gens du voyage, comme nous nous proposons de le montrer, er au cœur aussi d’autres questions, laissées ici en suspens, comme l’accès au système de santé, à l’éducation ou à la vie économique.
5La reconnaissance des Travellers devient officielle avec le Prohibition of Incitement to Hatred Act de1991 qui, pour la première fois, confère au groupe le statut de groupe ethnique. Le recensement de 2002, qui fut le premier à comporter une question relative à l’appartenance ethnique, a permis pour la première fois aux gens du voyage de se définir au sein mais distinctement de la population majoritaire, les groupes de pression ayant cependant souligné les limites des données recueillies. Les gens du voyage ont tout d’abord été inclus dans les premiers recensements irlandais de 1831, 1841 et 1851 sous la rubrique « Tinkers » (ferblantiers, rétameurs). Jusque dans les années 1990, leur dénombrement reposait sur les estimations issues des travaux des rapports parlementaires, et, depuis une dizaine d’années, les communes sont tenues de procéder à un dénombrement annuel des gens du voyage résidant sur leur territoire, dans le cadre des statistiques du ministère de l’Environnement. Toutefois, la fiabilité de ces données est relative dans la mesure où les communes ne tiennent pas de compte précis des entrées et des sotties, ou ne procèdent pas au recensement annuel. Ce sont en fait souvent les groupes de pression locaux qui savent le plus précisément le nombre de familles résidant dans tel ou tel quartier. Compte tenu de ces réserves et d’après les estimations du ministère de l’Environnement, on dénombrerait donc, en 2002, plus de 5 000 familles se disant gens du voyage et vivant dans la République, soit entre 25 000 et 30 000 individus auxquels s’ajoute un millier de familles en Irlande du Nord. En République d’Irlande, cela représente moins d’un pour cent de la population totale du pays2. La moitié de la population des gens du voyage de la République vit dans quatre comtés : Dublin et sa région pour près d’un quart des familles, Galway (11 %), Cork (8 %) et Limerick (7 %). C’est une population jeune puisque la moitié d’entre elle a moins de quinze ans. Sur environ 5 460 familles un peu plus de la moitié sont officiellement sédentaires mais, en réalité, plus d’un millier d’entre elles vivent sur des aires de stationnement qu’elles occupent année après année, ce qui situerait le taux réel de sédentarité plus près de 75 %. La place qu’occupent aujourd’hui les gens du voyage dans la société irlandaise est le fruit de pressions exercées par les associations militantes au niveau local et national.
La nature déviante du nomadisme
6Du point de vue législatif, un chemin important a été parcouru depuis les années 1960, notamment 1963, date de parution du rapport Commission on Itinerancy, première tentative officielle de définition de cette population par Charles Haughey, alors secrétaire parlementaire. Le rapport accorde peu d’importance à la culture et à l’identité de la population itinérante et ses conclusions soulignent la nature déviante du nomadisme. Selon ce rapport, les difficultés d’intégration de cette catégorie de la population sont dues à son absence d’enracinement et la solution préconisée est l’assimilation, laquelle passe nécessairement par la sédentarisation. Vingt ans plus tard, les conclusions d’un autre rapport parlementaire, Report of the Travelling People Review Body, diffèrent peu. On y parle d’intégration sans reconnaissance, soutien ou promotion de l’identité culturelle du groupe.
7Entre 1983 et 1995, le processus de marginalisation de cette population se poursuit dans une Irlande dont les infrastructures économiques et sociales continueront de se développer. Quelques textes législatifs constituent de timides avancées vers une reconnaissance des spécificités du groupe, mais certains sont aussi utilisés à l’encontre de cette communauté. Ce sont principalement :
- la loi de 1988, Housing Act, premier pas vers l’établissement de critères propres aux gens du voyage en matière de logement ;
- la loi de 1991, Prohibition of Incitement to Hatred Act, première référence à l’appartenance à la communauté des gens du voyage comme critère pouvant être à l’origine d’une discrimination, avec la race, la religion, l’ethnie ou la nationalité. S’il s’agit certes du premier texte portant sur la discrimination en Irlande, rares pourtant ont été les plaintes enregistrées sur le critère de l’appartenance à la communauté des gens du voyage ;
- la section 10 de la loi de 1992, Housing Miscellaneous Provisions Act, qui donne aux pouvoirs locaux le droit de déplacer des populations nomades d’un site non autorisé vers une aire officielle située dans un périmètre de cinq miles ;
- la loi de 1993, Road Act, qui a trait au logement des gens du voyage mais ne fait aucune mention directe des besoins spécifiques de cette population. Elle autorise les pouvoirs locaux et les forces de l’ordre à déplacer des campements sous certaines conditions ;
- le rapport du ministère de la Santé, en 1994, Shaping a Healthier Future ; a Strategy for Effective Health-Care in the 1990s, qui comporte un chapitre sur la santé des gens du voyage et recommande la mise en place d’un programme destiné à répondre aux besoins spécifiques de cette communauté ;
- le rapport officiel de 1995 sur l’éducation, Charting our Education Future, qui propose que tous les enfants de familles nomades soient intégrés au système scolaire tout en respectant leur culture spécifique ;
- la loi de 1995, Casual Trading Act, qui vise à contrôler l’activité commerciale sur les marchés et foires, exigeant de tout exposant l’acquittement d’un droit local et non plus national, ce qui entraîne un surcoût ou un encouragement à moins de déplacements pour les populations itinérantes.
Avancées législatives
8Le véritable pas en avant est effectué en 1995, avec le rapport Task Force on the Travelling Community, qui fait un état des lieux précis et complet de la situation des gens du voyage sur l’ensemble du territoire. Tous les aspects de la vie de la communauté y sont abordés, du logement à l’accès aux services de santé en passant par l’éducation. La reconnaissance d’une culture er d’une identité distinctes y est mise en avant. Les recommandations concernant la mise en place de structures d’accueil et de séjour laissent alors augurer un avenir constructif pour l’existence de ce groupe au sein de la population majoritaire.
9À la suite du rapport de 1995, le ministère de l’Environnement publie en 1996 un document qui envisage la création de plus de 3 000 unités d’habitation et la mise sut pied de plans quinquennaux au niveau local.
10Depuis, c’est la loi Housing (Traveller Accommodation) Act de 1998 qui marque l’avancée législative la plus notable en matière de qualité de vie pour les gens du voyage en Irlande. Elle établit un précédent puisqu’elle est à l’origine de la création du secrétariat Traveller Accommodation Unit qui est composé de cinq membres permanents chargés de la préparation, la mise en œuvre et la coordination des travaux des équipes locales. Depuis, le secrétariat a publié de nombreux documents destinés aux élus et en vue de la construction de logements spécifiques pour les gens du voyage (conception des unités d’habitation, respect des normes de sécurité, fonctionnement des processus de consultation, etc.). À l’échelon national, est instauré le comité consultatif National Traveller Accommodation Consultative Committee sous l’égide du ministère de l’Environnement, au sein du secrétariat au Logement et au Renouvellement urbain. Composé de membres d’associations de défense des droits des gens du voyage, de représentants des pouvoirs locaux et de membres du ministère, ce comité est chargé de centraliser les demandes en matière de logement et de rendre compte annuellement des avancées dans ce domaine. À l’échelon local, des comités consultatifs doivent être constitués, dans lesquels siègent des élus, des représentants des services concernés (voirie, aménagement du territoire, etc.) et des gens du voyage ou des associations les représentant. Ils permettent, dès lors et pour la première fois, une représentation officielle de cette partie de la population, dont la participation à la gestion de la commune ou de la région était jusque-là quasi inexistante, à l’exception d’un seul cas, dans l’Ouest du pays, où un conseiller municipal est membre de la communauté des gens du voyage. La loi spécifie les engagements et les conditions de mise en place du plan quinquennal 1999-2003. Elle engage en effet les pouvoirs locaux sur cinq points :
- l’élaboration du projet local, en consultation avec les citoyens concernés ou leurs représentants ;
- la possibilité d’intervention du public dans la préparation du projet ;
- la garantie que les services municipaux du logement mettent effectivement en œuvre les projets ;
- la création de comités locaux dans chaque zone où un projet existe ;
- la modification du plan d’urbanisme local pour y inclure les objectifs définis dans les projets.
11Les projets sont conçus au sein d’une structure locale intitulée Local Traveller Accommodation Programme qui garantit les mécanismes de consultation, l’évaluation des besoins, l’engagement à les pourvoir et enfin la stratégie et les mesures de mise en œuvre. Enfin, les lois Employment Equality Act de 1999 et Equal Status Législation de 2000 dotent le pays d’une législation en matière de lutte contre les discriminations qui contribue à la meilleure défense des droits des gens du voyage. Signalons à titre indicatif que plus de la moitié des cas portés devant le tribunal en 2002 le sont par les gens du voyage sur le critère de la discrimination, notamment dans l’accès à certains commerces, comme les pubs.
Bilan du plan quinquennal
12L’étude de l’accueil et du séjour des gens du voyage dans la région de Dublin qui a pour objectif de mesurer l’impact de la loi de 1998, permet de rendre compte, dans un contexte géographiquement limité mais représentatif, de la mise en place de structures adaptées aux besoins des communautés et d’évaluer les difficultés qui subsistent. L’étude de cas de la région de Dublin, qui comprend quatre circonscriptions administratives, Dublin city, Dun Laoire/Rathdown, Fingal et South Dublin, repose sur des enquêtes et des entretiens réalisés entre 2000 et 2002 sur ces zones, complétées pat l’analyse de deux communes où la question de l’accueil et du séjour est emblématique des problèmes existants et des choix politiques adoptés.
L’encouragement à la sédentarisation
13L’étude repose au départ sur les données officielles publiées par les communes, qui ont un devoir de recensement annuel, quand bien même ces chiffres ne reflètent pas toujours rigoureusement la réalité sur le terrain (voit tableau 1).
14Si l’on compare la prise en charge de l’État dans la région de Dublin, qui regroupe environ un quart de la population totale des Irlandais du voyage, et dans le reste du pays, au cours des trois dernières années, soit depuis 1999, début de la mise en œuvre de la loi de 1998, on s’aperçoit que leurs réalisations respectives diffèrent pour deux types d’habitations : la capitale et sa région concentrent en effet près de la moitié des cités de gens du voyage existant sur le territoire national, et n’offrent en revanche, proportionnellement, que peu d’habitations à loyer modéré standard. Le parc locatif social traditionnel de la capitale étant saturé, il est vraisemblable que les différentes communes dublinoises font davantage porter leurs efforts sur la prise en compte des spécificités du logement des gens du voyage dont la culture est dès lors mieux respectée (espace pour caravanes, vie en groupe en cité, possibilité de nomadisme ponctuel). La région offre ainsi près de la moitié du nombre total national des aires de stationnement prises en charge par les pouvoirs locaux.
15Globalement, à Dublin comme à Cork et Galway et leurs régions respectives, la proportion des lieux de résidence financés par les pouvoirs locaux est de l’ordre de 80 %. Bien que la part de la prise en charge publique ait augmenté depuis 1999, on constate, à Dublin comme ailleurs, d’importantes disparités dans le nombre et le type de lieux d’accueil ainsi financés. Certes, les réalités géographiques jouent un rôle dans les choix opérés, comme dans le cas de Fingal, la moins urbanisée des quatre circonscriptions étudiées où, proportionnellement à la taille de la circonscription, l’on compte un nombre peu élevé de logements pour gens du voyage en habitations à loyer modéré standard implantées en cités. La question de l’espace y étant moins problématique, les aires de stationnement y sont en revanche proportionnellement plus nombreuses qu’ailleurs dans la région. Par ailleurs, dans les quatre zones géographiques, on constate la part croissante du nombre de lieux d’accueil spécifiquement conçus pour les gens du voyage, ce qui, à mi-parcours du plan quinquennal, serait encourageant si ce n’étaient les écarts d’une circonscription à l’autre : moins de 50 % pour Dun Laoire et Fingal ; plus de 74 % pour la capitale. Quant aux aires de stationnement sauvage, elles accueillent une proportion comparable de familles : 10 à 16 % dans les trois zones. A Fingal cependant, où 43,5 % des familles vivaient sur des aires non officielles en 2001, sans doute en raison du caractère rural de la circonscription et d’un développement plus lent qu’ailleurs, l’amélioration est notable à partir de 2002.
TABLEAU 1. – RECENSEMENT DES FAMILLES DE GENS DU VOYAGE PAR TYPE DE LOGEMENT EN 2000, 2001 ET 2002

16La portée du plan quinquennal se mesure également au bilan des travaux engagés (voir le tableau 2 ci-dessous).
TABLEAU 2. – TRAVAUX TERMINES EN 2002, EN COURS FIN 2002 ET PREVUS EN 2003, NOMBRE DE PLACE EN AIRES ET EN CITES DES GENS DU VOYAGE

17Note *3
18Dans la région de Dublin, fin 2001, plus d’une soixantaine de nouvelles unités d’habitations sédentaires avaient été créées pour une dizaine de places sur les aires de stationnement. Un an plus tard, la proportion de places tendues disponibles est mieux partagée entre aires et cités, mais très nettement revue à la baisse. D’ici à la fin 2003, un nombre sensiblement identique de places en cités et en aires sera offert, mais en dépit de ce futur rééquilibrage, le nombre total de places disponibles demeure faible et nettement en deçà des besoins réels, si l’on en juge par le nombre de familles vivant sur des aires de stationnement sauvage.
19Certes, ces données soulignent l’implication des pouvoirs locaux au niveau financier, ainsi que la meilleure prise en compte des besoins de logements permettant un mode de vie semi-nomade et en communauté, puisque, en 2001, la part des logements spécifiques dans la région de Dublin y est plus importante qu’ailleurs – 51 % de logements en cités ou aires pour seulement 30 % en province. A Dublin, l’effort pour offrir un logement adapté aux besoins des gens du voyage se poursuit puisqu’en 2002, 73 % des logements créés ou réaménagés sont spécifiques, contre à peine 40 % dans le reste du pays.
20Pourtant, ces données traduisent aussi une nette préférence pour l’accueil sédentaire au détriment des séjours de courre et moyenne durée. Aucune aire n’a été construite à cet effet ni ne le sera en 2003, la plupart des municipalités refusant de prendre en compte les besoins d’accueil temporaire, alors que sur le reste du territoire, le nombre de places en aires de stationnement de transit reste infime4. Comment expliquer ces choix ? Quelle volonté traduisent-ils ? Ce type d’accueil correspond-il aux vœux de la majorité de la communauté concernée ? La préférence pour tel ou tel type de lieu de séjour ou de logement peut-elle être exprimée par les familles ou les associations les représentant et ce, avant que ne soient prises les décisions au sein des municipalités ?
Avancées dans les quatre circonscriptions de Dublin
21Pour tenter de répondre à ces questions, on peut s’appuyer sur des données publiées par une organisation caritative, Crosscare, qui œuvre depuis plus de vingt ans auprès des populations marginales. Le bilan dressé dans le rapport The Education and Accommodation Needs of Travellers in the Archdiocese of Dublin nous éclaire en effet sur les questions qui demeurent problématiques dans la gestion de l’accueil et du séjour des gens du voyage5. Les éléments ci-dessous reflètent les points de vue successifs des familles de gens du voyage qui ont pris part à l’enquête, des pouvoirs locaux et des associations militantes6. Puis nous nous pencherons sur le fonctionnement des comités consultatifs des quatre circonscriptions étudiées à partir des conclusions publiées par le groupe de soutien national Irish Traveller Movement7.
22Dans l’ensemble, bien que certaines familles se disent satisfaites par la qualité de leur logement, la majorité d’entre elles déplore des conditions de vie en totale contradiction avec les recommandations de la législation.
23Selon les familles, les conditions d’hygiène et de sécurité sont souvent inacceptables sut les aires de stationnement temporaires ou non autorisées. La présence de détritus et de tars est mentionnée ; l’absence de points d’eau et de sanitaires ne contribue pas à la bonne tenue des aires, le plus souvent situées en bordure de grands axes de circulation et donc dangereuses pour les enfants. L’accès aux aires est parfois difficile ou rendu difficile par les municipalités, ce qui pose problème en cas d’urgence. Les sites sont situés, à de rares exceptions près, en marge de la vie urbaine et à bonne distance des lieux de vie sédentaire. Pour ce qui est des logements proposés, il y a trop souvenir inadéquation entre les attentes et la réalité. Les spécificités du mode de vie nomade ne sont pas prises en compte dans les logements municipaux standard. Des espaces pour le recyclage de matériaux, pour accueillir un cheval ou garer une caravane, manquent pour ceux qui ne sont nomades qu’une partie de l’année par exemple. En cités pour gens du voyage, la difficulté de garer la caravane d’enfants adultes ou mariés près de celle des parents va à l’encontre du souhait des familles. De manière générale, les gens du voyage se sentent fortement « encouragés » à accepter ce qu’on leur propose de peur de ne pas avoir d’autre choix en cas de refus. Quand un processus de consultation existe, l’avis et les préférences des futurs occupants ne sont pas assez pris en compte. Selon les familles encore, dans la majorité des cas, les pouvoirs locaux ont un plan d’aménagement prédéterminé et peu d’entre eux sont prêts à y apporter des modifications. Par exemple, la plupart des personnes interrogées souhaitaient pouvoir disposer d’un espace de socialisation, un par site, souhait qui n’est à aucun moment pris en compte, même s’il était convenu que cet espace pourrait servir de salle d’étude pour les enfants scolarisés.
24De leur côté, les pouvoirs locaux estiment que les efforts de médiation qu’ils sont obligés de fournir entre les différents groupes concernés les empêchent de répondre aux besoins de façon plus adéquate. La médiation est en effet nécessaire entre les gens du voyage et les autorités, nationales et régionales, ainsi qu’entre les gens du voyage er les sédentaires qui manifestent une opposition quasi systématique à la présence de caravanes et de leurs occupants. Parfois aussi, la médiation est nécessaire entre les gens du voyage, en cas de conflit ou de relocalisation notamment. Selon les pouvoirs locaux, les aires de stationnement sauvage causent le plus de tort aux gens du voyage en donnant aux sédentaires l’image d’une population au-dessus des lois et des devoirs civiques des autres habitants de la République. La difficulté majeure qui limite les projets de planification semble, pour les autorités, être due au manque d’espace constructible susceptible d’avoisiner les lieux de vie des sédentaires.
25Enfin, les groupes de soutien dénoncent eux aussi le manque d’espace de vie et les standards inférieurs des logements fournis. Là où un effort d’aménagement serait fait pour la population sédentaire, on se contente d’un strict minimum pour le logement des gens du voyage. Par ailleurs, l’utilisation de l’écrit auprès d’adultes, qui le maîtrisent mal, donne lieu à des problèmes quant à l’interprétation des décisions ou la portée de certains documents. L’implication des gens du voyage dans les divers processus de décision, enfin, n’est pas aussi simple qu’il y paraît, d’autant que les structures nouvellement établies doivent, par ailleurs, s’insérer dans des pratiques communales existantes.
Les comités consultatifs locaux
26En ce qui concerne le fonctionnement des comités consultatifs locaux et des mécanismes décisionnels à l’œuvre, on s’aperçoit tout d’abord qu’ils ont été assez longs à mettre en place dans de nombreuses communes du pays8. Ce retard est lié à la virulence des opposants à ce type de consultation, parfois aussi aux enjeux locaux, en particulier l’aménagement de sites urbains. La résistance des résidents est souvent ouvertement exprimée, elle perdure, dans certains cas, après le début des travaux. Celle des élus existe souvent de manière plus insidieuse. Aucune sanction n’est prévue d’ailleurs en cas de non-application de la loi et la portée des comités n’est, dans tous les cas, que consultative. Cela explique sans doute qu’à ce jour l’application du plan quinquennal soit demeurée dans certaines communes très vague9 et que le nombre d’aires de stationnement en construction à l’échelon national ne soit pas plus élevé.
27Dans la région de Dublin, l’évaluation du fonctionnement des comités consultatifs locaux permet de tirer les conclusions suivantes :
- Dans la circonscription de Dublin où la Corporation de Dublin est responsable de la mise en place des comités locaux, le programme est censé ne pas se préoccuper uniquement du logement mais aussi de l’exclusion sociale, de l’éducation et de la formation professionnelle. Pour 323 familles à loger entre 2001 et 2004, la construction de 213 unités d’habitation, de 65 habitations traditionnelles et de 45 places sur aires de stationnement est prévue. Certaines de ces aires seront conçues en place double, deux caravanes par unité, et le partage des aires sera effectué après consultation et avec l’accord des futurs occupants. La Corporation vise à offrir « des conditions de vie adéquates dans de bonnes conditions sanitaires tout en se préoccupant de l’environnement naturel10 ». Pour ce faire, un engagement signé par les futurs occupants et exigé par les pouvoirs locaux est prévu, qui vise à responsabiliser les partenaires. Dans l’ensemble, le comité consultatif s’estime satisfait des avancées, et l’amélioration est notable pour ce qui est de la qualité des logements et des conditions de séjour.
- Nous sommes en 2003, les cinq années arrivent à échéance. Dans la circonscription de Dun Laoire/Rarhdown, on estime à 118 le nombre d’unités d’habitation à créer au cours des cinq années, 57 sur aires de stationnement, 52 en logements standard et 9 en résidences. Un contrat similaire à celui proposé dans la circonscription de Dublin sera établi en vue de la bonne tenue des lieux. Un certain nombre de questions reste en suspens quant aux prévisions en matière de logement. Par exemple, l’estimation des besoins a été calculée suivant le principe selon lequel toutes les familles vivant sur des sires sauvages en bordure de route préféreraient un logement en résidence ou en habitations standard ; ce qui méconnaît le choix du mode de vie nomade de ces familles. Par ailleurs, le nombre de nouvelles familles désirant s’installer dans le comté est estimé à trois par an, ce qui est peu, si l’on en juge par la migration interne et la prédominance économique de la région Est par rapport au reste du pays. Enfin, les besoins en logement des jeunes adultes vivant actuellement avec leurs parents, estimés à une quarantaine, n’ont pas été pris en compte dans les besoins des années à venir. Dans l’ensemble, le comité n’est que relativement satisfait des avancées et, étant donné l’état des sites existants, il semble difficile d’arriver à une situation satisfaisante d’ici à la fin du programme.
- Le programme de la circonscription de South Dublin fait état de 240 unités d’habitation à créer, réparties en 74 places en aires de stationnement et 166 maisons en cités. Le comité n’est pas parvenu à obtenir l’assentiment des nombreux groupes de pression de la région, le programme établi étant loin de prendre en compte l’avis des familles concernées. Il n’est pas assez précis dans la localisation des sites à construire et dans la tenue d’échéances puisque plusieurs chantiers n’étaient pas encore mis en œuvre au moment où ils auraient déjà dû être terminés. Le processus de consultation ne semble pas être respecté et tout ce qui touche aux gens du voyage est perçu comme problématique. Pourtant, le programme de la circonscription est considérable et reconnaît un certain nombre de spécificités en matière de regroupement, d’implantation (aires ou logements en résidence), ou encore en termes d’aires de stationnement de courte durée. Le comité souligne les difficultés quant à l’acceptation des projets par la population sédentaire locale. Le manque de précision au sujet des lieux d’implantation des nombreux sites restant à construire est officiellement justifié par une volonté de mixité sociale qui, idéalement, devrait permettre de concevoir le séjour et le logement des gens du voyage dans le cadre de la planification globale du logement, mais qui se traduit, dans la réalité, par des échéances non tenues. Quand bien même, au terme du plan quinquennal, les objectifs en matière de logement seraient atteints, la spécificité des activités économiques des gens du voyage est négligée, ce qui laisse augurer des problèmes persistants et nombreux pour ce qui est de la cohabitation avec la communauté sédentaire.
- Enfin, dans la circonscription de Fingal, 109 unités de séjour et d’habitation doivent être créées, 61 % d’entre elles en aires de stationnement, 22 % en cités et le reste en habitations standard. Les lieux d’implantation de chaque site sont clairement définis dans le programme qui a également inclus une consultation publique. Celui-ci est relativement complet, si ce n’est pour la prise en compte des aménagements réservés aux activités économiques. Le comité a décidé de ne se préoccuper des besoins en aires de transit que lorsqu’il aura répondu adéquatement aux besoins de séjour et de logement de moyenne et longue durée, c’est-à-dire dans un programme ultérieur, s’il est mis sur pied.
28Comme ces quatre exemples le laissent apparaître, le fonctionnement sur le terrain n’est pas sans difficulté, liées autant au contexte géographique et social qu’à la volonté des représentants et élus locaux. Les questions se posent-elles dans ces mêmes termes à l’échelon de la commune ?
La réalité à l’échelle de la commune
29Plus de quatre ans après la loi de 1998 et l’espoir suscité chez certains, on est certes loin des mouvements de protestation contre les gens du voyage qui eurent lieu dans le centre ville au début des années 1980 et qui seraient aujourd’hui perçus comme incorrects tant la spécificité culturelle des gens du voyage est devenue indiscutable. Cependant, la réalité sur le terrain est loin d’être satisfaisante.
30Les données relatives à la commune de Tallaght, située à la périphérie de la capitale et qui regroupe 40 % des aires de stationnement de Dublin, offrent à cet égard un éclairage significatif. Dans cet ancien village maintenant devenu ville nouvelle et lieu de séjour des gens du voyage depuis plusieurs décennies, la capacité d’accueil est bien inférieure à la demande. L’espace physique y pose moins de problèmes que dans d’autres communes du comté et les aires de stationnement sauvage s’y sont multipliées. En 2001, une trentaine de familles vivait sur une aire de stationnement temporaire dans des conditions d’insalubrité manifestes. Certaines de ces familles y étaient installées depuis plus de vingt ans. La presse nationale dénonçait ces conditions de vie sans pourtant que les représentants locaux ne se mobilisent, alors que la commune abrite l’une des associations militantes les plus actives de la région. Répondre aux besoins demeure à ce jour difficile et les solutions d’urgence se substituent le plus souvent à la mise en œuvre de plans à long terme, tels que la lutte contre la formation de quartiers ghettos.
Conditions sanitaires négligées et discriminatoires
31La question de l’accueil, du séjour et du logement ne se réduit pas au nombre de places offertes dans chaque zone, mais comprend entre autres l’équipement des aires. L’approvisionnement en électricité, l’enlèvement des ordures ménagères, l’accès à des sanitaires, l’équipement contre les risques d’incendie ou encore la conformité aux normes de sécurité sont souvent négligés, y compris sur certaines aires officielles et malgré les progrès importants réalisés ces dernières années. Ainsi, en 2002, les trois quarts des familles séjournant sur des aires officielles n’ont pas accès aux services d’urgence.
32Si les responsables locaux s’accordent pour dire que les progrès ont été considérables au cours des dix dernières années, les études récentes ne permettent pas d’en juger chiffres à l’appui. On peut cependant rappeler brièvement les conditions décrites dans les publications successives d’une association de quartier, à Coolock au nord de la capitale11. En 1994, 60 % des familles n’avaient pas d’électricité, 35 % ne bénéficiaient pas du ramassage des ordures, 19 % seulement avaient accès à des sanitaires et aucune famille ne possédait d’équipement contre le feu. Les familles étaient installées pour les deux tiers depuis plus d’un an et 28 % résidaient sur la commune depuis plus de cinq ans12. En dépit de l’amélioration des conditions de vie, les aires non autorisées et le manque d’équipement sont encore une réalité pour de nombreuses familles. Dans la région de Dublin, plus de deux cents d’entre elles sont ainsi logées année après année. La question de l’accueil et du séjour se pose à Tallaght, à Coolock comme ailleurs dans cette zone de plus en plus urbanisée et qui compte plus d’un tiers de la population du pays. Dans d’autres domaines, comme l’accès aux services médicaux, les progrès sont lents alors que cette population se distingue par un taux de mortalité infantile trois fois plus élevé et une espérance de vie de dix à douze ans plus courte que la moyenne nationale. La carte médicale qui donne accès gratuitement aux soins n’est valable que sur une zone géographique donnée, Health Board Area. En théorie, l’accès aux soins a été amélioré depuis la création, en 2000, d’une section spéciale, Traveller’s Health Unit, dans chaque centre régional. Dans la réalité, ce sont des problèmes de discrimination qui, le plus souvent, empêchent l’accès aux soins. Toutes les familles n’ont pas la carte médicale et plus d’un tiers d’entre elles ne consulte pas dans leur commune de résidence. La presse nationale a souligné les réticences de certains médecins généralistes à recevoir des membres de la communauté des gens du voyage13. Un rapport officiel émanant du comité national sur la santé des gens du voyage, National Travellers Health Advisory Committee, envoyé en décembre 2000 au ministre de la Santé et de l’Enfance, rappelait les besoins spécifiques de cette population. L’impact des recommandations préconisées est encore aujourd’hui difficile à mesurer, dans le domaine de la prévention en particulier. La santé dépend largement du mode de vie et donc en partie du logement et, à ce titre, les structures nationales et locales étudiées ici ont un champ d’action limité puisqu’elles ne traitent que des questions de logement. C’est le milieu associatif qui a souvent la vision la plus globale des questions à traiter et qui parvient à des résultats notables.
La pression du milieu associatif
33On peut affirmer sans démagogie que c’est sous la poussée des groupes de pression que les avancées et réformes récentes ont vu le jour. La représentation locale se structure depuis le début des années 1980 grâce aux actions de groupes de soutien locaux, dont le Dublin Traveller Education and Development Group, qui devient quelques années plus tard un groupe de soutien national baptisé Pavée Point. Lieu de centralisation des informations, centre du patrimoine culturel des gens du voyage mais aussi unité de formation professionnelle qui organise des stages en partenariat avec l’Institut national de formation professionnelle Fàs, Pavee Point travaille avant tout à la reconnaissance de cette communauté en tant que groupe ethnique. Par ailleurs, au cours des années 1980 et 1990, la représentation locale se développe dans tous les comtés et les groupes de soutien dans le pays (75 en 2003), fédérés dans leur action par le collectif Irish Traveller Movement, principal interlocuteur auprès des pouvoirs locaux et acteur médiatique de la défense des droits de la communauté. Citons encore les efforts de The Parish of the Travelling People, dans le domaine de la cohésion culturelle et religieuse.
34Dans la région de Dublin, on dénombre 25 associations ou groupes de soutien, allant de simples groupuscules à des structures plus conséquentes. Au niveau national, si l’on apprécie à sa juste valeur le travail effectué localement par tous ces groupes, il n’est, dans l’immédiat, pas prévu de concevoir une structure qui traiterait de la question des gens du voyage plus globalement. Ainsi, chaque aspect de la question est-il traité au sein du ministère qui en est responsable. Par exemple, en 1998, un groupe de travail Citizen Traveller s’est constitué avec le soutien du ministère de la Justice autour d’un projet national à vocation éducative qui organise, chaque année depuis, une semaine « de prise de conscience » consacrée aux gens du voyage. En 2000, lors de cette semaine où programmes radio et télédiffusés, campagnes publicitaires et fêtes locales contribuaient à la lutte contre la marginalisation, était aussi lancé l’ouvrage collectif Travellers, Citizens of Ireland, pas décisif dans l’affirmation de l’appartenance de cette communauté à l’identité du pays. Les questions d’ordre strictement social ayant trait aux gens du voyage sont quant à elles traitées au sein de programmes tels que Programme for Prosperity and Fairness en 2000 ou National Anti-Poverty Strategy. De ce qui est cohérent au niveau de la République résulte pourtant souvent une action fragmentée au sein des différents ministères.
35En témoigne l’exemple récent de la nouvelle loi Housing Miscellaneous Provisions Act qui a été votée en mars 2002, et à laquelle un amendement a été ajouté peu de temps avant le vote au Parlement et sans consultation avec les associations représentant les gens du voyage. La pratique est emblématique des difficultés qui subsistent en matière de logement et traduit les volontés vraisemblablement contradictoires de la politique nationale : au moment où sont partiellement pris en compte les besoins en logement, le gouvernement cherche à criminaliser les gens du voyage stationnant hors des aires d’accueil officielles. La loi permettrait aux forces de l’ordre de confisquer les caravanes et pourrait aussi entraîner des peines de prison et des amendes. Fin 2002, sa constitutionnalité a été remise en cause au regard de la Constitution irlandaise et de la Convention européenne des Droits de l’homme par plusieurs associations, dont le Conseil des libertés civiles14 et le collectif Irish Traveller Movement qui soulignent les incohérences de la situation actuelle pour un certain nombre de familles : elles ne peuvent espérer obtenir un logement pris en charge par les pouvoirs locaux qu’à condition de résider dans la municipalité auprès de laquelle elles font leur demande, procédure qui n’aboutit au mieux qu’après quatre ans (et peut durer sept ans). Or, si elles y résident légalement, c’est-à-dire sur une aire officielle, en HLM ou en cité, elles ne sont pas prioritaires pour l’attribution d’un autre type de logement ; en cas de résidence illégale, elles deviennent, selon les dispositions récentes, hors la loi et, même si elles ne sont pas relocalisées, elles ne peuvent plus prétendre à un droit au logement social. Le milieu militant, protecteur des droits des minorités et des droits fondamentaux, ayant exprimé son désaccord, est entré en conflit avec le gouvernement, ce qui a entraîné la suppression par le ministère de la Justice du soutien financier de l’État aux associations prenant part à la semaine de prise de conscience précédemment mentionnée. Cet incident montre l’importance de l’autonomie financière pour les associations qui espèrent continuer leur action en toute indépendance. Il souligne aussi la fragilité de leur contre-pouvoir.
36Concernant l’impact du milieu militant, il convient enfin de souligner que l’Irlande, entrée depuis moins de dix ans dans une ère de prospérité économique, apprend à gérer cette nouvelle donne qui modifie sensiblement la composition de sa population. La présence de populations étrangères ne dissipe pas les zones d’ombre déjà existantes quant aux questions d’exclusion, de marginalité, de citoyenneté ou encore de respect de la différence culturelle. Les associations militantes qui traitent en général ces problèmes globalement ont de ce fait un regard nouveau sur des questions anciennes. Les travaux de recherche en matière de discrimination et de racisme, par exemple, s’appuient sur l’expérience des associations menées sur le terrain et visent à établir des parallèles entre les situations de différentes communautés15.
Un avenir qui demeure difficile
37Pour conclure, nous ne pouvons que souligner les questions restant à résoudre à Dublin comme dans le reste du pays, pour qu’à l’avenir la communauté des gens du voyage trouve sa place de manière aussi harmonieuse que possible au sein d’une population majoritaire, devenue elle-même plus composite en raison de l’immigration. En matière d’accueil et de logement, une double question demeure : quels lieux de séjour et quelle prise en charge par les pouvoirs locaux ?
38Pour ce qui est des lieux de séjour à Dublin, la priorité donnée au logement spécifiquement conçu pour les gens du voyage est un signe encourageant de la prise en compte de la particularité de cette communauté, tant dans sa conception de la famille que dans les quelques tentatives d’aménagements qui permettent une activité économique. Pourtant, dans les quatre circonscriptions, l’accent est mis sur la sédentarité, et cela même sur les quelques aires de stationnement qui sont destinées à recevoir des familles pour une courte durée.
39Quant au nombre de sites, il faut rappeler que, selon les études démographiques récentes, la population des gens du voyage croît, qu’elle est composée pour près de la moitié de jeunes de moins de vingt ans et que l’estimation des besoins, toujours établie à partir de l’unité familiale, laisse hors statistiques les adultes vivant seuls. Il faut donc s’attendre à une demande plus forte de logements dans les dix années à venir, demande à laquelle les pouvoirs locaux devront faire face d’une manière ou d’une autre, par la planification ou la gestion des aires de stationnement sauvage. Le nombre d’aires de stationnement officielles demeure insuffisant et pourrait être plus élevé si les efforts et les moyens déployés pour déplacer les groupes en stationnement illégal portaient davantage sur le développement et l’aménagement des sites.
40En ce qui concerne la prise en charge par les pouvoirs locaux, le bilan du plan quinquennal est très variable d’une circonscription à l’autre. Ils ne peuvent offrir, dans le meilleur des cas, qu’un logement et non le choix entre tel ou tel type de logement. L’absence de choix réduit la compatibilité du lieu de résidence avec l’activité économique. Pat ailleurs, la pratique actuelle de l’attribution d’un lieu de séjour ou d’un logement aux seuls résidents de la circonscription est discriminatoire (cette condition n’existe pas dans l’attribution des logements sociaux pour sédentaires), et a pour effet de réduire considérablement la demande et d’exclure toute famille véritablement nomade. Ces choix sont cohérents avec la volonté, au niveau national comme local, de donner la priorité à la sédentarité.
41Il y a, certes, aujourd’hui une reconnaissance des spécificités culturelles de la communauté des gens du voyage, mais l’acceptation de leur présence par le partage de l’espace de vie, de logement comme d’activités économiques, est encore soumise à bien des réserves, voire une opposition plus ou moins ouvertement exprimée. La structure nationale et les comités locaux ont mis à l’ordre du jour les besoins de cette population. Le plan quinquennal a établi la nécessité de gérer la question de l’accueil er du logement et a permis, dans le meilleur des cas, l’interaction entre les intervenants locaux. En 2003, on peut affirmer qu’il n’aura fourni qu’une réponse partielle aux besoins de la communauté et que, sans planification au-delà de 2004, l’amélioration des conditions de vie des gens du voyage n’aura été que relative et ponctuelle.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Notes de bas de page
1 Depuis le milieu des années 1990, un mouvement d’immigration est apparu dans la République du fait principalement de la prospérité économique du pays ; c’est la première fois dans l’histoire démographique de l’Irlande, traditionnellement vivier d’émigrants, qu’un tel phénomène se produit.
2 Le pays compte 3,9 millions d’habitants en 2002 (voir la contribution de Bairbre Ní Chiosâin dans le présent volume). Par ailleurs, on estime à environ 15000 le nombre d’Irlandais du voyage vivant en Grande-Bretagne.
3 Nombre d'unités réaménagées. - Extraits du rapport annuel 2002 du National Traveller Accommodation Consultative Committee
4 Le rapport du Comité consultatif national pour le logement des gens du voyage de 2001 fait état nationalement de 13 places sur des aires de transit.
5 Le manque de logement et la grande précarité étaient identifiés en 1999 comme les deux problèmes majeurs de la société irlandaise, selon les conclusions du programme « Initiatives pour les sans-abri ». Les enquêtes menées pour ce projet révélaient que près de 3 000 adultes étaient sans abri dans les comtés de Dublin, Wicklow et Kildare, soit la région de Dublin au sens large.
6 Il s’agit d’entretiens et de groupes de discussion sur plus d’une vingtaine de sites de la légion de Dublin.
7 Il s’agit du rapport de Kathleen Fahy, A Lost Opportunity ?, Irish Traveller Movement, Dublin, juin 2001.
8 Les conclusions du rapport A Lost Opportunity ? rappellent qu’en 2001 tous les programmes locaux nationaux n’avaient pas encore été officiellement formulés.
9 Sur l’ensemble du territoire, un tiers des programmes demeure imprécis quant aux lieux d’implantation des sites à construire.
10 Voir Rapport Crosscare, p. 40.
11 Voir No Place to Go : Travellers Accommodation in Dublin, 1992, et Still no Place to Go, A survey of Traveller Accommodation in Dublin in 1994.
12 Une étude sur un quartier voisin de Coolock, Clondalkin, révélait que près de la moitié des gens du voyage installés dans cette zone en 1999 y vivait depuis plus de quinze ans. Voir « Travellers’Experience of Accommodation in Clondalkin », Clondalkin Travellers Development Group, 1999.
13 Voir Irish Times, 1er mars 2001, « Illnesses more Common ».
14 L’organisation indépendante Irish Council for Civil Liberties milite en effet, depuis 1976, au nom des minorités contre la mise en place de textes de législation d’urgence qui vont à l’encontre des droits civiques fondamentaux.
15 On peut citer par exemple Racism and Social Change in the Republic of Ireland de Bryan Fanning ou Racism and Anti-Racism in Ireland de Ronit Lentin et Robbie McVeigh.
Auteur
Université Paris IX Dauphine
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