Chapitre 5. Filiation naturelle, adoption et fosterage dans un mythe de fondation de Rome
p. 157-172
Texte intégral
1Deux mythes de fondation de Rome circulaient en Italie centrale, depuis le VIe siècle pour l’un, celui d’Énée, depuis le IVe ou le IIIe siècle au moins pour l’autre, celui de Romulus, le roi éponyme1. Ces deux mythes ont été articulés l’un à l’autre en termes chronologiques par recours à l’opérateur intellectuel de la filiation, puisque Romulus a été présenté comme descendant d’Énée. Ils ont été généralement étudiés pour en tirer la trace de conceptions et de réflexions romaines concernant l’alliance, étant donné qu’ils problématisent le choix entre mariage au plus proche et mariage au plus loin, ainsi que l’organisation de l’échange des femmes entre groupes. Le mythe d’Énée fait dépendre la création de la future lignée royale, du peuple et de la cité de Lavinium – d’où naîtront Albe puis Rome – du choix offert à Latinus, roi éponyme du Latium, entre deux types d’alliance pour sa fille Lavinia, l’une nettement exogamique avec un étranger, le Troyen Énée, l’autre fortement endogamique, avec un cousin croisé matrilatéral, Turnus, fils d’une femme nommée dans une version Amita, « Tante paternelle ». Dans le mythe de Romulus, le héros fondateur, après avoir créé, au sens rituel, une cité composée uniquement d’un roi et d’un peuple qui se limite à une unique classe d’âge fonctionnelle (la jeunesse guerrière), prolonge et parfait cette création en instaurant un système d’échange matrimonial (conubium) avec d’autres groupes (c’est l’épisode fameux dit « des Sabines »). Un des épisodes de ce second cycle mythique présente et combine de manière remarquable des éléments concernant la filiation, filiation naturelle et filiation adoptive, et le fosterage : l’épisode d’Acca Larentia, nourrice de Romulus.
2Avant d’envisager ce qu’il peut nous apprendre des formes de l’adoption romaine, deux points doivent être précisés. Le premier porte sur la nature même du système romain de filiation, qu’il faut préalablement caractériser ici à larges traits de manière inévitablement assertive : on constate une évolution, sur plusieurs siècles, dont le point de départ est un système d’unifiliation patrilinéaire qui détermine l’onomastique, le statut personnel, libre ou servile, citoyen ou « pérégrin »(étranger) – et la transmission des biens ; et dans lequel existe un groupe d’unifiliation appelé gens. Ce système présente également une filiation complémentaire matrilinéaire qui fonctionne dans des cas limités, par exemple celui des enfants illégitimes, rattachés pour l’onomastique et le statut personnel au groupe de leur mère. Le point d’aboutissement de l’évolution est un système largement mais non totalement bilatéral, puisque des éléments onomastiques se transmettent du père et de la mère aux enfants, de même que des biens, tandis que le statut reste déterminé par la filiation patrilinéaire. Et au cours de cette évolution, on constate l’affaiblissement et la quasi-disparition de la gens, signalée par un juriste vers 170 apr. J.-C., et l’affirmation d’une catégorie de parenté (à mon sens bien antérieure, dès la fin du IIIe siècle av. J.-C.) qui est une parentèle cognatique augmentée d’un petit nombre d’affins. Il faut aussi indiquer que pendant une période qui a pu durer plusieurs siècles ont donc coexisté, outre la famille nucléaire, le groupe d’unifiliation patrilinéaire, la gens, et la catégorie de parenté bilatérale – la parentèle, avec des fonctions différentes, la parentèle ne s’actualisant concrètement que dans des contextes sociaux circonstanciels (la solidarité judiciaire, par exemple).
3La seconde remarque préliminaire concerne le statut mythique prêté, comme on le fait ici, à des groupes d’énoncés narratifs repérés dans des œuvres littéraires, statut qui a été doublement mis en cause. Au XIXe siècle, il le fut par des philologues qui se sont ingéniés avec beaucoup d’efficacité à dater les attestations littéraires des diverses versions, ce qui est fort utile, et à les hiérarchiser, ce qui est plus périlleux : les plus anciennes versions étaient censées représenter le mythe authentique, qui avait souvent des parallèles indo-européens, les plus récentes étaient dévalorisées comme étant des fabrications d’érudits de la fin de la République et de l’Empire, esthétisantes ou rationalisantes, mais sans grande valeur intrinsèque et sans fonction réellement signifiante dans la société romaine où elles étaient produites. La deuxième attaque contre ces récits d’origine est liée à la remise en cause globale de la validité de la notion même de « mythe » par les anthropologues, tout particulièrement dans le cas de la Grèce chez les hellénistes2. La position adoptée ici est, d’une certaine manière, minimaliste, et laisse de côté les questions de genèse. Elle correspond à celle qui a été exprimée par Mary Beard à propos des caractères communs entre les déclamations romaines et les mythes : « Les mythes sont a medium of debate, ils construisent un monde fictionnel de contes traditionnels pour négocier et renégocier les règles fondamentales de la société romaine » (Beard, 2004), ce qui me paraît particulièrement juste pour les mythes de fondation qui mettent en place les institutions, notions et valeurs essentielles d’une société.
4C’est dans cette perspective que je propose de lire un épisode mythique du cycle de Romulus le fondateur, en le plaçant dans le contexte des règles juridiques et des pratiques sociales concernant la filiation naturelle et adoptive. On partira du dossier textuel, extrêmement mince et souvent analysé : parmi les analyses récentes, deux sont particulièrement significatives, celle de John Scheid, dans ses deux livres de 1975 (p. 352-364) et de 1990 (p. 17-24), et celle de Mary Beard (1989).
5Les deux premiers textes, très proches par leur contenu, constituent, l’un une brève citation, l’autre un résumé d’un ouvrage d’un grand juriste du début du Ier siècle apr. J.-C., « Massurius Sabinus. La citation est due à Aulu-Gelle (milieu du IIe siècle apr. J.-C.) : Massurius Sabinus dit cependant, au premier livre des Memorialia, en prenant pour sources certains historiens, qu’Acca Larentia fut la nourrice de Romulus. “Cette femme, dit-il, perdit par décès un de ses douze fils. À sa place, Romulus se donna lui-même en qualité de fils à Acca et il donna le nom de frères arvales aux autres fils et à lui-même. Depuis ce temps, a subsisté un collège de frères arvales, au nombre de douze, sacerdoce qui a pour insignes la couronne d’épis et les bandelettes blanches”3 »; le résumé l’est à Pline l’Ancien (77 apr. J.-C.) :« Romulus institua en premier lieu des prêtres des terres labourées et se nomma lui-même comme douzième frère, parmi ceux qui étaient nés d’Acca Larentia, sa nourrice4.» Sabinus avait lui-même des sources qu’il devait mentionner expressément mais qui sont pour nous anonymes et indatables. Cet épisode secondaire rattaché au cycle de Romulus le roi fondateur est généralement considéré comme constituant le récit étiologique d’un collège sacerdotal, celui des frères arvales, et il a été étudié à ce titre de manière approfondie par John Scheid (1975, 1990). L’étiologie porte à la fois sur l’instauration de ce collège et sur la désignation de ses membres, effectivement curieuse, puisqu’elle comporte un terme qui relève également du domaine de la parenté, frater, désignant en latin le frère germain, le demi-frère (patrilatéral ou matrilatéral) et le cousin germain parallèle patrilatéral.
6Le troisième texte est dû à Fulgentius, un mythographe du Ve siècle apr. J.-C. :
[Ce que sont les frères arvales]. Acca Laurentina, nourrice de Romulus, avait coutume de sacrifier une fois par an pour ses terres, en compagnie de ses douze fils précédant le sacrifice (?). Puis, étant donné que l’un d’eux était mort, Romulus offre, par reconnaissance envers sa nourrice, de se substituer en lieu et place du défunt ; puis l’habitude se perpétua désormais de célébrer le sacrifice avec douze participants et de dénommer les frères « arvales », comme le rappelle Rutilius Geminus dans ses Livres pontificaux5.
7Il coïncide pour l’essentiel avec les deux précédents, sauf que l’idée d’instauration par le héros fondateur y est moins nette : le sacrifice au bénéfice des champs est effectué par Acca Laurentina et ses douze fils avant que Romulus n’instaure le collège par une adoption.
8Le noyau de cette double étiologie est donc le récit d’une adoption : Romulus devient le douzième fils d’une femme qui a été sa nourrice, Acca La(u)renti(n)a, et lui-même et les onze fils naturels de cette femme forment le premier collège de frères arvales, donc constitué de frères naturels ou adoptifs, qui sont en outre des frères de lait. Il se trouve que cette adoption est « primordiale » dans la logique du mythe : elle a pour protagoniste le roi fondateur, qui est non seulement le fondateur de la cité, mais aussi le fondateur du peuple romain en tant que groupe humain, et qui est aussi l’auteur d’une « loi royale » enjoignant d’élever tous les enfants mâles bien conformés et la première-née des filles6 : la figure mythique de Romulus est aussi celle d’un « héros démographique », pourrait-on dire. Tout en considérant que l’interprétation de ce récit mythique en termes d’étiologie d’un collège sacerdotal est évidemment légitime, je propose de l’envisager aussi comme un mythe d’adoption, c’est-à-dire comme support d’une réflexion romaine sur la filiation adoptive, selon la conception de Mary Beard.
9Dans la version de Sabinus, cette adoption présente cinq caractères :
- C’est une mère nourricière, nutrix, qui devient mère adoptive de son ancien nourrisson. Le personnage d’Acca présente des aspects multiples, qui ont été analysés par les philologues et les historiens de la religion romaine7, et le récit de Massurius ne lui donnait expressément que cette fonction nourricière (le terme nutrix est présent chez Pline et chez Aulu-Gelle), mais cette fonction est sans doute intrinsèquement liée au personnage, puisque son nom même, le « Lallwort » Acca, est lié à une racine indo-européenne signifiant « mère ». (Ce sens de « Acca » pouvait donc être encore compris à Rome.)8 En termes romains, on dirait que Romulus, vis-à-vis d’Acca, passe du statut d’alumnus (« fils nourricier ») à celui de filius, et en termes anthropologiques, qu’il passe du fosterage à l’adoption. La manière dont le récit articule les deux relations doit être précisée : il y a ontinuité entre la parenté nourricière et la parenté adoptive, puisque le héros fondateur passe d’un statut à l’autre, mais il n’y a pas identité. Il faut en effet un acte spécifique qui soit posé par un des deux partenaires de la relation, le « fils ». Néanmoins, l’adoption est présentée comme la suite logique, la récompense, de la parenté nourricière : Fulgentius dit que c’est par reconnaissance (gratia) envers sa nourrice que Romulus prit la place de l’enfant mort.
- C’est le fils adoptif qui joue le rôle actif dans l’adoption, l’initiative vient de Romulus, et Acca est dans une situation passive de réception de ce descendant : Aulu-Gelle écrit expressément que Romulus « se donna lui-même en qualité de fils », et c’est l’expression propre en latin pour désigner l’adoption, (in adoptionem) dare, « donner (en adoption) ».
- C’est une femme qui acquiert le statut d’ascendant adoptif : il n’est question chez Aulu-Gelleque d’une femme (mulier) et il écrit « Romulus se donna… à Acca ». Le lien qui est créé l’est entre un fils et une mère. Comme dans tout le cycle de Romulus, le rôle du père est d’ailleurs problématique ou inexistant. Il y a dans d’autres versions du récit mythique un père nourricier, nommé Faustulus, nom qui fait allusion à l’aspect faste (lat. faustus) de la naissance gémellaire (Dasen, 2005 : 95), mais il est entièrement absent du processus d’adoption dans les trois textes. Il s’agit donc d’une adoption sans père naturel ou adoptif.
- Le quatrième caractère est que l’adoptante est déjà pourvue d’une postérité, d’ailleurs abondante et entièrement masculine : douze fils, puis onze. Et l’adoption joue un rôle de substitut de la filiation naturelle : « à sa place », dit Aulu-Gelle. Dans d’autres versions, le douzième fils est un enfant mort-né9.
- Dernier trait remarquable : dans le récit de Sabinus, c’est Romulus qui, en se donnant comme fils à Acca, fait en outre des onze fils de celle-ci ses « frères » (fratres) ; Pline l’Ancien dit : « il se désigna lui-même comme douzième frère », et Aulu-Gelle : « il donna le nom de frères arvales aux autres fils et à lui-même ». Un point commun : l’acte de Romulus est un acte de parole performatif (appellauit). Chacun des deux auteurs développe un des sens de frater (et on retrouve là l’étiologie du nom du collège) : celui de « membre du collège », fratres aruales, ou le terme de parenté, fratres. Dans le récit de Pline, qui explicite un des deux éléments de l’étiologie, on a donc un personnage, Romulus, qui se donne des frères et se donne lui-même à autrui comme frère.
10Si on confronte à présent les traits remarquables de cette mythique « adoption première » à ce que nous savons des règles et des pratiques effectives à Rome dans ce domaine10, en particulier à l’époque de Sabinus, qui a fixé le récit mythique, on peut relever les points suivants :
111) Le récit de Sabinus place en continuité le nourrissage et l’adoption, alors que dans la société romaine, la parenté nourricière et l’adoption sont des phénomènes bien distincts11 : le premier est une pure situation de fait, qui peut marginalement créer des effets de droits – par exemple, dans le droit de l’affranchissement sous Auguste, le fait d’être frère de lait d’un esclave fournit à un maître une « cause légitime » pour l’affranchir avant l’âge minimum fixé par la loi. Mais il n’y a jamais de formalisation publique au moment de l’instauration de la relation : elle relève d’une décision ou d’un accord privé entre un père et une nourrice, selon qu’elle est esclave ou salariée. Et d’autre part, la parenté nourricière ne modifie pas le statut du nourrisson, l’alumnus : qu’il soit esclave ou de condition libre, il peut être nourri par une nourrice elle-même esclave ou libre sans aucun effet sur son statut personnel. Il n’y avait presque aucune réticence à faire nourrir un enfant libre par une nourrice esclave, et c’était même un cas de figure fréquent. Inversement, un homme libre peut élever un alumnus de condition servile sans que cela change le statut de celui-ci. L’adoption en revanche est un acte juridique très encadré par le droit – qui implique selon ses diverses modalités l’intervention d’organes de la cité, assemblée du peuple, prêtres, magistrats – et qui change radicalement le statut de l’adopté (patricien/plébéien, sui iuris/alieni iuris). On constate qu’il y a presque toujours inégalité sociale dans les relations de fosterage : soit des parents et un enfant libres et une nourrice esclave ou affranchie, soit un homme ou une femme libre élevant un alumnus ou une alumna, souvent de condition servile.
122) Le récit étiologique donne au fils adopté, Romulus, l’initiative dans l’instauration de la filiation adoptive. En droit romain, il y a deux variantes de l’adoption selon le statut de celui qui va devenir enfant adoptif (Kunst, 2005 : 15-21) : s’il est soumis à la puissance paternelle de son père ou de son grand-père paternel, il y a adoption au sens strict (le terme latin fonctionne comme hyperonyme et désigne tantôt le genre, tantôt l’espèce, même dans la langue juridique), et dans ce cas, le rapport juridique est créé par l’initiative des deux patres, détenteurs actuel et futur de la puissance paternelle. En aucun cas il ne peut y avoir initiative ou démarche du futur adopté, dont l’accord n’est pas nécessaire. Si (deuxième cas de figure), le futur adopté est juridiquement autonome, sui iuris, on parle d’adrogatio, et la procédure est beaucoup plus lourde, puisqu’elle fait intervenir le plus important collège sacerdotal de la cité, celui des pontifes, et les comices curiates, une des formations de l’assemblée du peuple. Sous l’Empire, la procédure est devenue écrite, mais il faut encore une décision impériale (en fait, des bureaux). Le futur adopté doit donner son accord (on lui pose une question à laquelle il doit répondre positivement12), mais celui qui tient le rôle principal est le père adoptif : dans la procédure impériale, il est le premier interrogé sur son intention et il est le seul à exprimer une volonté active (uelit), le futur adopté ne manifestant qu’une acceptation passive (patiatur). Le récit étiologique présente donc une situation exactement opposée à la norme juridique.
133) L’ascendant adoptif, dans le récit mythique, est une femme. En droit, l’adoption n’a été accessible aux femmes que tardivement, les juristes donnant pour raison le fait que les femmes ne pouvaient être détentrices de la forme d’autorité détenue par les hommes sur leur descendance, la patria potestas, comme l’enseignent Gaius, vers 170 apr. J.-C., et Dioclétien dans un rescrit de 29113. C’est donc la dissymétrie des rôles sociaux et juridiques de l’homme et de la femme dans la société romaine qui fonda, pendant longtemps, l’incapacité des femmes sur ce point. Tant que l’adrogatio s’est effectuée devant les comices, les femmes en ont été exclues, comme elles l’étaient de toute participation aux assemblées populaires. C’est seulement lorsque l’adrogatio a pu se pratiquer par rescrit du prince que les femmes ont pu y prétendre, comme le montre le rescrit de Dioclétien14, dont la teneur exacte a été discutée – certains commentateurs refusant de croire que cette quasi-adoption par une femme ait pu être autorisée aussi tôt et considérant que le texte a été modifié par les compilateurs byzantins du Code de Justinien pour lui faire dire le contraire de ce que disait Dioclétien, qui aurait donc refusé cette quasi ou pseudo-adoption. Dans cette analyse, c’est seulement au VIe siècle que le droit aurait intégré cette possibilité limitée d’adoption par une femme15. Quoi qu’il en soit, cette évolution favorable aux femmes est postérieure à Massurius Sabinus, a fortiori à ses sources. La formulation du rescrit impérial est intéressante : il rappelle la règle (les femmes ne peuvent pas adopter) et sa motivation (elles sont privées de puissance paternelle) ; il n’accorde d’ailleurs qu’une sorte d’image d’adoption et il justifie l’exception : l’adopté remplacera des fils morts (le récit mythique présentait déjà l’adoption comme permettant de compenser une disparition, comme un substitut de secours face aux accidents démographiques), et l’adoption se fait dans la parentèle : c’est un priuignus, un fils du premier lit du conjoint (ce dernier apparemment décédé, en tout cas absent du dossier) qui est « adopté ». C’est aussi un des caractères de l’adoption romaine : elle porte souvent sur des membres de la parenté consanguine ou par alliance, et atteste une tendance à manipuler volontiers les liens de parenté16. On pourrait dire qu’on privilégiait une relation hiérarchique par rapport aux connexions généalogiques.
14Non seulement il n’y a pas eu, pendant très longtemps, de mère adoptante à Rome, mais il n’y avait même pas de mère adoptive : lorsqu’un homme marié adoptait, il acquérait le statut de pater vis-à-vis de l’adopté, mais son épouse légitime n’acquérait pas de ce fait le satut de mère : elle occupait vis-à-vis de l’adopté la position de nouerca, de « marâtre », comme si elle était une nouvelle épouse par rapport à un enfant d’un lit précédent. Elle ne devenait ni agnate, ni cognate de l’adopté, mais simplement adfinis, « parente par alliance ». Deux textes du juriste Paul (début du IIIe siècle) l’indiquent nettement17. En vertu de la même logique, il n’est pas utile d’être marié pour adopter, comme l’indiquent Paul et Ulpien (même époque)18. L’adoption est longtemps restée une affaire d’homme, et le récit mythique illustre, sur ce point également, une solution diamétralement opposée à celle des règles juridiques romaines.
15Les pratiques sociales étaient d’ailleurs plus complexes. Un passage d’un juriste du troisième quart du IIe siècle apr. J.-C., Ceruidius Scaeuola, nous livre une partie d’un dossier très significatif19. Une femme anonyme avait une alumna (fille nourricière), nommée Sempronia, et voulait lui laisser une partie de sa fortune. Elle rédige un testament dans lequel elle institue héritier son fils, Attius, et le charge de transmettre une partie de ses biens à Sempronia, par deux procédures légales additionnées : désignation de Sempronia comme légataire et fidéicommis confié à Attius. Le legs présuppose que Sempronia ait été affranchie, du vivant de la testatrice ou par son testament. Le point intéressant est la manière dont la mère nourricière désigne son alumna en s’adressant à son fils : « ta sœur Sempronia ». Pour elle, la parenté nourricière équivaut à une adoption. Nous ne savons pas directement ce qu’en pensait le fils, Attius, mais il est probable qu’il n’ait pas été convaincu par cette équivalence (à moins qu’il ne fût mort avant sa mère). La suite du texte montre en effet que la mère a modifié son testament et qu’elle a chargé par fidéicommis un légataire appelé Maevius de gérer et de verser par annuités le revenu des vingt livres d’or. Pour la testatrice anonyme, la relation de nourrissage crée de la parenté, sur le plan affectif mais aussi sur le plan de la succession aux biens (et peut-être aussi du statut, si c’est une petite esclave qu’elle a affranchie).
16D’autres femmes allaient plus loin, et recouraient à une procédure qu’on appelle improprement « adoption testamentaire »20 : elles instituaient sous condition un homme héritier ou légataire. Celui-ci ne recevait tout ou partie du patrimoine que s’il remplissait la condition qui était de prendre le nom de la testatrice. Ceci ne modifiait pas la filiation légale du bénéficiaire ni son statut personnel et n’avait aucun effet durant la vie de la testatrice, mais son décès opérait une modification onomastique chez le bénéficiaire et lui conférait une vocation successorale, soit deux des effets de la filiation adoptive. On en a un exemple illustre, celui du futur empereur Galba, « adopté testamentairement » selon Suétone21 par une femme appelée Livia Ocella. Il faut remarquer que cette procédure a été mise en œuvre par sa nouerca, une seconde épouse de son père, et cela se rapproche de l’adoption dans l’adfinitas, qui est un cas de figure fréquent.
17On a donc là un point sensible de la société romaine : en théorie, l’adoption par une femme est impossible, mais en réalité, on trouve des moyens de s’en approcher au plus près. Et c’est dans le cadre de ces débats que se place le récit étiologique.
184) Le récit mythique pose une autre question : qu’en était-il de l’adoption en présence d’enfants naturels ? Un texte d’Aulu-Gelle22 indique que dans le cas d’une adrogatio, les pontifes examinaient la situation de famille du candidat à la paternité adoptive et privilégiaient le recours à la naissance biologique, concevant donc l’adoption comme un remède à l’absence de descendants naturels. Par raisonnement a fortiori, on peut considérer qu’on refusait à l’époque républicaine l’adrogation à quiconque avait un ou des fils et qu’on la regardait comme une procédure de secours. L’état du droit est peu net à l’époque impériale : le juriste Ulpien23 suggère une enquête dans les cas d’adoption et une décision laissée à l’arbitraire du gouverneur de province, mais n’indique pas de norme générale, et un rescrit de Dioclétien24 refuse à un particulier le droit d’adopter son propre affranchi en indiquant que l’absence d’enfants n’est pas un motif suffisant. Cela nous indique en tout cas que pour le requérant, l’adoption était une mesure de substitution.
19Face à cet état du droit positif, le mythe présente une situation complexe : Acca aune postérité, une postérité masculine, et une postérité nombreuse. Dans la pratique juridique romaine, outre le sexe d’Acca, une telle adoption aurait sans doute posé problème. Mais la situation d’Acca et de Romulus est une situation de substitution : un fils adoptif remplace un fils naturel décédé. Le mythe présente donc une réflexion complexe : l’adoption y est présentée à la fois comme un substitut de la filiation naturelle et comme compatible avec elle : solution contradictoire. La société romaine a opté plutôt pour la première analyse, sans qu’il y ait choix net : la question restait problématique.
205) Dernière caractéristique de l’adoption de Romulus : il se donne lui-même comme frère à autrui et se donne à lui-même des frères. C’est un cas de figure, l’adoptio in fratrem, inconnu du droit romain, qui s’y est toujours refusé – on avait fini par admettre une forme atténuée d’adoption par une femme, mais jamais d’adoption de frère. Un seul texte normatif, un rescrit de Dioclétien25, mentionne cette pratique. À ce propos, la formule latine adoptio in fratrem ne doit donc pas induire en erreur : l’appellation est latine, mais pas la pratique. Ce rescrit correspond à un contentieux successoral complexe, qui a reçu diverses interprétations de la part des juristes modernes (Kunst, 2005 : 191-192 et 248-251). Il suffit d’indiquer qu’un homme, nommé Zizo, certainement citoyen (il s’adresse à la chancellerie impériale pour résoudre un contentieux), mais d’origine non italique d’après son nom (on l’a supposé aussi bien slave que sémite), réclame une partie de la succession de son père. Celui-ci, citoyen romain également, s’était donné un frère de sa propre autorité et avait, dans un deuxième temps, soit institué par testament ce frère adoptif héritier d’une partie de ses biens, soit a conclu en une seule fois une sorte de contrat mixte créant une société entre lui et son « frère adoptif », avec communauté universelle des biens, mais qui, à la différence de la société du droit romain, avait des effets postérieurs à la mort d’un des sociétaires et créait pour le survivant une vocation successorale. Quelle que soit l’analyse de l’acte conclu par le père, qui est de toute manière étranger au droit romain, le fils s’estime lésé, les bureaux impériaux lui donnent raison et à cette occasion formulent une règle générale qui est l’élément le plus significatif : on ne peut pas se donner un frère à soi-même selon le droit romain. Les juristes impériaux qui répondent au requérant affirment même qu’on ne pouvait pas le faire non plus chez les étrangers, ce qui ne signifie certainement pas qu’à leurs yeux aucune ethnie non-romaine ne pratiquait l’affrairement (diverses pratiques d’adelphopoiia en Grèce et dans l’Orient ancien sont au contraire attestées). Ils voulaient plus probablement signifier que même si le père de Zizo et son frère adoptif se trouvaient dans un territoire non-romain pour une raison ou une autre, leur pacte d’affrairement était sans effet sur deux citoyens romains et ne pouvait pas avoir d’effets de droit, en particulier dans le domaine successoral.
21L’interdiction de l’affrairement est également mentionnée dans un ouvrage juridique intitulé par les modernes Liber Syro-Romanus26, manuel de droit romain rédigé en grec au Ve siècle mais connu uniquement par diverses traductions, en syriaque, arménien et arabe. On a là aussi beaucoup discuté pour savoir si le type d’affrairement visé par le Liber était exactement le même que celui que refusait Dioclétien. La justification par le refus de la communauté des femmes et des enfants a beaucoup troublé les commentateurs, dont certains ont reconstitué des pratiques de mariage collectif dans la Syrie ancienne (Nallino, 1936).
22Ce qui reste significatif est le refus par les juristes romains d’une adoption « sans père ». Avec cette théorie de l’impossibilité de l’affrairement, on touche au cœur de la conception romaine de la filiation patrilinéaire. Ce qui la constitue, c’est non seulement une chaîne d’engendrements dans lesquels chacun a successivement un rôle passif puis actif, mais aussi, et peut-être surtout, un élément de volonté et un élément d’autorité : la volonté d’un homme d’avoir des enfants légitimes, qu’ils soient naturels ou adoptifs (le père romain peut ou non accepter l’enfant dont sa femme vient d’accoucher comme son descendant, et s’il adopte, on a vu qu’il doit exprimer solennellement sa volonté), et la soumission des enfants et des descendants des degrés ultérieurs à la patria potestas, l’autorité du pater familias ; éléments qui fondent une relation appelée agnatio. À ce propos, il faut bien distinguer ce que les juristes romains appelaient agnatio et cognatio et ce que les anthropologues appellent « agnat » et « cognat ». Agnatio et cognatio ne sont pas des catégories logiquement symétriques, comme la filiation patrilinéaire et la filiation matrilinéaire. Elles ne sont pas non plus incluses logiquement l’une dans l’autre, avec l’agnatio, la filiation patrilinéaire est incluse comme une espèce dans le genre de la filiation consanguine, cognatio, créée par la succession des engendrements ou des enfantements. En fait, ce sont des catégories en relation d’intersection. Ainsi, si un père émancipe son fils et le donne en adoption à un autre homme, le lien d’agnatio entre eux disparaît, puisque le fils n’est plus sous la potestas du père, mais le lien de cognatio créé par l’engendrement subsiste, avec certains effets juridiques (vocation successorale secondaire, interdits matrimoniaux). La filiation patrilinéaire ne peut exister que dans un rapport hiérarchique, d’où l’impossibilité légale d’adopter, pour les femmes, qui ne peuvent détenir aucune forme de potestas, et l’impossibilité d’adopter in fratrem, à égalité. On ne peut créér ex nihilo de la collatéralité, en droit romain, on ne peut le faire que par la filiation, qui implique une hiérarchie.
23Il faut à présent revenir au point de départ, le récit étiologique de l’institution et de la dénomination du collège des fratres aruales et le juriste Masurius Sabinus qui en a traité. Il l’a fait dans un de ses ouvrages, les Memorialia, dont nous ont été transmis seulement vingt et un fragments, ce qui permet cependant de se représenter approximativement le projet de l’œuvre. Ce n’est pas un traité technique de droit, mais un ouvrage de caractère « antiquaire ». Sabinus y traitait de droit public (des magistratures, par exemple) et de droit sacré, et il citait divers événements dont l’historicité est certaine, mais aussi des épisodes mythiques, en particulier des épisodes du cycle de Romulus, comme l’enlèvement des Sabines27. Sabinus avait évidemment traité de l’adoption dans ses ouvrages proprement juridiques, nous en avons la trace grâce à une citation d’Aulu-Gelle encore28. La question traitée par le juriste est de savoir si un homme libre peut adopter (adopter, et non adroger, ce qui ne ferait pas problème) un affranchi. On voit que la démarche de Sabinus est nettement historique : en consultant les juristes anciens, il constate que dans un état antérieur du droit, un homme pouvait adopter son propre esclave, mais que la norme juridique avait changé, et cet intérêt historique est assez rare chez les juristes romains. On voit aussi qu’il s’intéresse aux cas limites, démarche habituelle chez les juristes romains qui définissent souvent les concepts en recourant à de tels cas : ici, l’adoption de l’affranchi, en partie compatible avec l’institution, et celle de l’esclave, qui, elle, ne l’est pas.
24On voit bien ce qui a pu intéresser Sabinus dans l’épisode mythique d’Acca et de l’adoption de Romulus : le récit présentait des situations d’adoption totalement étrangères à la pensée juridique romaine de son temps, ainsi un candidat à l’adoption prenant l’initiative de l’adoption ou l’adoptio in fratrem, ou encore des hypothèses discutées pour lesquelles il n’y avait pas de norme définitive : l’adoption en présence d’enfants, ou enfin des cas constituant un objet de conflit entre la norme juridique et les pratiques sociales, comme l’adoption par les femmes ou un rapport de nourrissage conduisant à une forme d’adoption.
25On pourrait s’en tenir là et considérer que nous avons seulement la trace des réflexions érudites d’un juriste du début de l’Empire sur une grande institution du droit romain de la filiation. Mais il semble que l’on puisse aller plus loin et faire l’hypothèse d’une réflexion moins idiosyncrasique, peut-être d’une réflexion prolongée dans le temps, sous forme de circulation d’un récit de type mythique. Aulu-Gelle indique que Sabinus mentionnait ses sources, des ouvrages historiques, et Fulgentius cite de son côté un certain Rutilius Geminus, difficile à identifier et à dater (Pizzani, 1969 : 28et96-97 ; Scheid, 1990 : 23). C’est déjà, mais dans une autre direction, l’idée de Mary Beard, pour qui ce récit est un des mythes au moyen desquels les Romains réfléchissaient au statut de leurs prêtres, entre l’humain et le divin.
26Ce qui conduit à faire l’hypothèse d’un mythe moyen de réflexion sur la filiation – la filiation naturelle, la filiation adoptive et la filiation symbolique de l’allaitement (puisque le premier collège arvale cumule les trois types de relation) – c’est d’abord le fait qu’un autre épisode du récit étiologique mettant en scène Romulus et Acca présente cette dernière comme liée à l’instauration d’une autre grande institution juridique romaine en rapport avec la succession des générations et la transmission, à savoir le testament : Acca est la première à bénéficier d’un testament, celui de son mari (dans des versions autres que celles qui la présentent comme épouse de Faustulus le berger), un riche Étrusque nommé Tarutius, et la première à tester pour transmettre ses biens – et dans une des versions, le bénéficiaire de ce testament est Romulus, le héros acteur de la première adoption dans le récit qui nous occupe (dans d’autres, l’héritier est le peuple romain). Et tous ces traits du récit (l’institution d’une femme comme héritière, le recours par un étranger étrusque au testament, la capacité d’une femme à désigner un héritier par testament, l’institution comme héritier d’une persona incerta, comme le peuple romain) sont extrêmement problématiques par rapport au droit positif organisant les pratiques testamentaires (Scialoia, 1905). On aurait donc tendance à croire plutôt que nous sommes en présence, pour citer à nouveau Mary Beard, d’un « de [ces] contes traditionnels » dont l’objet était de « négocier et renégocier les règles fondamentales de la société romaine ».
27La seconde raison pour laquelle on peut considérer plutôt que l’on a affaire à un mythe « medium of debate » est que les relations de filiation et de collatéralité intervenaient comme modèle symbolique dans le récit étiologique, la dénomination et le fonctionnement d’autres sacerdoces collectifs : les Luperci, qui sont censés continuer une bande de jeunes compagnons de Romulus et Rémus, étaient organisés en deux moitiés, et un texte au moins les qualifie de germani Luperci, qui pourrait se traduire par « frères Luperques29 ». D’autre part, nous savons que lorsqu’un augure était élu dans le collège, il était « inauguré » au sens cultuel par un de ses anciens, et que devait s’instaurer entre eux une relation de père et de fils30.
28Quelque position que l’on adopte quant au statut de ce récit, il a du moins le mérite de mettre en lumière certains aspects de la conception romaine de la filiation, que l’on a tenté de présenter rapidement ici.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 On peut s’orienter dans une bibliographie proprement démesurée en partant de Cornell, 1975 (favorable à une plus grande ancienneté de la légende de Romulus) ; Bremmer, 1987 ; Wiseman, 1995 (de tendance hypercritique). L’étude de Meurant, 2004, n’est pas centrée sur la problématique de la filiation adoptive.
2 États de la question : Europe, 2004 ; Leavitt, 2005 ; Csapo, 2005.
3 Aulu-Gelle, Les Nuits attiques, VII, 7, 8 : […] sed Sabinus Masurius in primo memorialium secutus quosdam historiae scriptores Accam Larentiam Romuli nutricem fuisse dicit. « Ea, inquit, mulier ex duodecim filiis maribus unum morte amisit. In illius locum Romulus Accae sese filium dedit seque et ceteros eius filios fratres aruales appellauit. Ex eo tempore collegium mansit fratrum arualium numero duodecim, cuius sacerdotii insigne est spicea corona et albae infulae » (= Masurius Sabinus, Memorialium libri, frg. 1 Bremer).
4 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XVIII, 2, 6 : […] aruorum sacerdotes Romulus in instituit seque duodecimum fratrem appellauit inter illos ab Acca Larentia nutrice sua genitos.
5 Fabius Planciades Fulgentius, Explication des expressions anciennes, 9 (p. 114 Helm) : [Quid sint fratres aruales]. Acca Laurentina Romuli nutrix consueuerat pro agris semel in anno sacrificare cum duodecim filiis suis sacrificium praecedentibus ; unde dum unus mortuus esset, propter nutricis Romulus in uicem defuncti se succedere pollicetur ; unde et ritus processit cum xii iam deinceps sacrificare et arualesdici fratres, sicut Rutilius Geminus in libris pontificalibus memorat. Le sens d’une partie du texte est douteux, voir Scheid J., 1990 : 20.
6 Cette « loi royale » (généralement considérée par la critique moderne comme une coutumière ancienne, attribuée à un des rois pour lui conférer de l’autorité) est connue par Denys d’Halicarnasse, Histoire romaine, II, 15, 2.
7 Parmi une abondante bibliographie, on citera Mommsen, 1879 ; Sabbatucci, 1958 ; Momigliano, 1969 ; Radke, 1972.
8 Voir lat. amma, « maman, nourrice », atta, « grand-père » ; Ernout et Meillet, 1967, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, p. 4, s. u. Acca.
9 Denys d’Halicarnasse, Histoire romaine, I, 79, 10 ; Tzetzès, Commentaire à l’Alexandra de Lycophron, 1232.
10 Les récentes synthèses de Russo Ruggieri, 1990 et 1995, et de Kunst, 2005 (de perspective plus sociologique et historique), permettront de limiter les références aux travaux antérieurs.
11 Fosterage à Rome : Nielsen, 1987 ; Bellemore et Rawson, 1990 ; Nielsen, 1999.
12 Gaius, Institutions, livre I, Digeste, I, 7,2 :« Nous adoptons en recourant aux pouvoirs du prince les personnes qui sont juridiquement autonomes, et cette catégorie d’adoption (species adoptionis) s’appelle l’adrogation (adrogatio), parce que d’une part, on demande (au sens qu’on lui pose une question) (rogatur, id est interrogatur) à celui qui adopte s’il a la volonté (uelit) d’avoir celui qu’il va adopter pour fils légitime, et que d’autre part on demande à celui qui est adopté s’il accepte (patiatur) que l’adoption ait lieu. »
13 Gaius, Institutions, I, 104 :« Quant aux femmes, elles ne peuvent adopter par quelque procédure que ce soit, parce qu’elles n’ont même pas sous leur puissance leurs descendants légitimes naturels » ; Dioclétien et Maximien, Code de Justinien, VIII, 47 (48), 5 :« Il est certain qu’on ne peut être adrogé par une femme, qui n’a même pas ses propres enfants sous sa puissance ».
14 Dioclétien et Maximien, loc. cit. : « Les empereurs Dioclétien Auguste et Maximien Auguste à Syra […]. Étant donné que tu désires recevoir ton beau-fils en lieu et place d’une descendance légitime, pour te consoler de la perte de tes fils (in solacium amissorum tuorum filiorum), nous acquiesçons à ton vœu, dans le respect de la règle que nous avons rapportée, et nous te permettons de l’avoir comme un fils enfanté par toi, sur le modèle exact d’un fils naturel et légitime. »
15 Sur ce débat, simplement résumé ici, voir Kunst, 2005 : 214-231.
16 Kunst., 2005 : 131-149 ; Kunst., 2005 : 131-149 ; priuignus : 145-146.
17 Paul, Commentaire à l’édit, XXXV, Digeste, I, 7,23 :« Et pour cette raison si j’adopte un fils, mon épouse n’est pas par rapport à lui dans la situation d’une mère, et de fait elle ne devient pas son agnate, c’est pourquoi elle ne devient pas non plus sa cognate » ; Ibid., Digeste, 23, 2,14, pr. :« Si un fils adoptif est émancipé, il ne peut épouser la femme qui a été l’épouse de son père adoptif, parce qu’elle est dans une situation de marâtre (nouercae locum habet) ».
18 Paul, Règles, I, Digeste, I, 7, 30 : « Les hommes qui n’ont pas d’épouse légitime peuvent adopter des fils » ; Passages du recueil d’Ulpien, VIII, 6 (milieu du IVe siècle apr. J.-C.) : « Les hommes incapables d’engendrer, ainsi l’impuissant, peuvent adopter par les deux procédures ; le même cas de figure juridique existe pour la situation de célibataire. »
19 Scaeuola, Digeste, livre XX, Digeste, XXXIV, 4, 30, pr. : « Elle avait légué plusieurs biens à sa fille nourricière ; elle lui en ôta certains et demanda que d’autres lui soient remis par son héritier. Elle voulut entre autres qu’on lui donne vingt [livres d’or], dans les termes que voici : “En outre, je lui donne, je lui lègue et je veux qu’on lui donne vingt livres d’or”, et elle ajouta : “Je confie à ta bonne foi, Attius, la mission d’accepter tout d’abord, conformément au sens des devoirs familiaux qui est le tien (pro tua pietate), de diriger et de protéger ta sœur Sempronia (Semproniam sororem tuam), et, si tu considères qu’elle est revenue à un genre de vie convenable, de lui rendre vingt livres d’or à ta mort. En attendant, fournis-lui seulement les revenus de cette somme, c’est-à-dire six pour cent d’intérêts”. »
20 Sur cette pratique sociale, voir Kunst, 2005 : 21 et 116-124.
21 Suétone, Vies des douze Césars. Galba, IV, 1 (début du IIe siècle apr. J. -C.) :« L’empereur Servius Galba […] fut adopté par sa marâtre (nouerca) Livia et prit le surnom d’Ocellaris, en changeant de prénom : il utilisa en effet désormais jusqu’à son accession au pouvoir suprême celui de Lucius au lieu de Servius. »
22 Aulu-Gelle, Nuits attiques, V, 19, 5-6 :« Mais les adrogations ne s’engagent pas à la légère ni sans examen préalable. En effet, les comices que l’on appelle curiates sont accessibles sur décision des pontifes et on examine l’âge de celui qui veut adroger, s’il n’est pas plutôt propre à lui permettre d’engendrer des enfants et si les biens de l’adrogé ne sont pas l’objet d’une tentative de captation dissimulée. »
23 Ulpien, Commentaire à Sabinus, livre XXVI, Digeste, I, 7, 17, 3 :« En outre, il faudra examiner si on ne doit pas permettre à celui qui aura un ou plusieurs descendants légitimes d’en adopter un autre, pour éviter qu’il ne soit porté atteinte aux espérances que ceux qu’il aura engendrés en légitime mariage se seront ménagées par leur obéissance, ou encore que l’adopté ne reçoive moins qu’il ne serait convenable qu’il obtînt. »
24 Dioclétien et Maximien, Code de Justinien, VIII, 47 (48), 3 (286 apr. J.-C.) :« Les empereurs Dioclétien Auguste et Maximien Auguste à Marcianus. Étant donné que tu déclares que celui que tu veux adroger est ton affranchi, et que tu ne fais valoir aucun motif approprié à l’appui de ta requête (à savoir le fait que tu n’as pas de descendants légitimes) (quod non liberos habes), tu comprends que l’autorité du droit est incompatible avec ton vœu. »
25 Dioclétien et Maximien, Code de Justinien, VI, 24, 7 (285 apr. J.-C.) : « Les empereurs Dioclétien Auguste et Maximien Auguste à Zizo. Même chez les étrangers, personne n’aurait pu se donner un frère à soi-même par le moyen de l’adoption. Donc, puisque l’acte que ton père, selon tes dires, a voulu accomplir est nul, le gouverneur de la province aura soin de te faire restituer la part d’héritage que détient, à titre d’héritier institué en tant que frère d’adoption, celui contre qui tu sollicites. »
26 Liber Syro-Romanus, LXXXVI :« Si un homme veut conclure un pacte écrit de fraternité avec un autre homme, dans le but qu’ils soient comme des frères et que tout ce qu’ils possèdent ou acquièrent soit leur propriété commune, la loi le leur interdit et le pacte qu’ils ont conclu l’un avec l’autre n’est pas valide. En effet, ni leurs épouses ne sont en commun, ni leurs enfants ne peuvent l’être. »
27 Mention dans Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XVI, 75.
28 Aulu-Gelle, Les Nuits attiques, V, 19, 11-14 (= Massurius Sabinus, Traité de droit civil, l. II, fr. 60 Bremer) : « Quant à Masurius Sabinus, il a écrit que des affranchis pouvaient être adoptés au sens strict par des hommes de naissance libre devant le préteur, mais il considère que cela n’est jamais permis, ni ne doit l’être, avec l’effet que des individus appartenant à l’ordre des affranchis obtiennent par le détour de l’adoption le statut juridique des hommes de naissance libre. “Autrement, dit-il, si on se conformait à cet ancien état du droit, même un esclave pourrait effectivement être donné en adoption par son maître devant le préteur”. Et il dit que la plupart des auteurs de l’ancien droit ont écrit que cela pouvait se faire. »
29 Cicéron, Pro Caelio, XI, 26 ; contra, Austin, 1960 : 81.
30 Cicéron, Brutus, I, 1, voir Moreau, 1989 : 39.
Auteur
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L'argument de la filiation
Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes
Pierre Bonte, Enric Porqueres i Gené et Jérôme Wilgaux (dir.)
2011