Chapitre Χ. Mwiri : l’assermentation de la parole
p. 161-175
Texte intégral
L’INITIATION AU MWIRI
1Il nous faut maintenant nous intéresser à l’initiation au Mwiri qui constitue une nouvelle étape du parcours rituel du Bwete et dont l’examen va nous donner l’occasion de revenir sur l’importance constitutive de la relation aux femmes et au sexe féminin dans la formation du devin-guérisseur nganga. Le Miviri est une société initiatique masculine très répandue dans les groupes mεmbε et mεryε du Sud Gabon1. Il partage de nombreux traits communs (fonction sociale, rites de passage, mythes) avec d’autres sociétés initiatiques comme le Mongala (groupe kota-kele), le Yasi (Galwa), le Ngil (Fang) ou le Ndjobi (Haut-Ogooué). La fonction première du Miviri est celle d’un classique rite de passage pubertaire : fabriquer des hommes à partir de jeunes garçons. Seule l’initiation peut en effet octroyer la vraie masculinité, plus rituelle que biologique – les garçons non-initiés restant comme des femmes2.
2Mais le Miviri constitue également une étape nécessaire dans le parcours initiatique du Bwete : il faut y être initié pour avoir accès aux secrets les plus importants. Le savoir secret ne peut en effet être divulgué que si l’on est certain que le dépositaire ne le trahira pas. Or, l’initiation au Mwiri a justement pour fonction de garantir ce respect du secret. Il y a donc une complémentarité intime entre Bwete et Mwiri. Peu importe alors l’ordre des initiations. Dans le cadre villageois, un garçon entre traditionnellement dans le Mwiri dès le début de son adolescence, avant de se faire initier au Bwete Disumba quelques années plus tard. En ville, la situation est souvent inversée : un homme se fait initier au Bwete Misɔkɔ pour raison d’infortune, puis sa progression rituelle exige au bout d’un temps qu’il entre dans le Mwiri, s’il ne l’avait déjà fait adolescent. Un nganga ne peut en effet avancer au-delà d’edika et motoba sur le chemin du Bwete sans en passer par le Mwiri. Avaler le silure motoba exige normalement que l’on soit déjà dans le Mwiri, même si certains pères initiateurs acceptent aujourd’hui de passer outre. Mais le Mwiri reste une nécessité absolue pour ouvrir la voie à la dernière étape initiatique du Misɔkɔ, la traversée du Bwete.
3Comme le Disumba mais contrairement au Misɔkɔ, l’initiation au Mwiri se fait par cohorte (au moins trois ou quatre garçons). Dans les nombreux villages où le Mwiri reste un rite de passage obligatoire, c’est l’oncle maternel qui décide que le temps de l’initiation est venu pour ses neveux (vers neuf ou dix ans). Mais il n’est pas rare que de jeunes hommes citadins, voire des adultes, retournent au village se faire initier, tant est tenace l’idéologie selon laquelle on ne peut être un vrai homme sans le Mwiri. Une même cohorte initiatique ne forme de toute façon jamais une classe d’âge. L’initiation, qui laisse clairement apparaître la structure canonique des rites de passage (séparation, liminarité, réagrégation), commence par une phase de réclusion en brousse avant de se poursuivre au village, en privé au corps de garde puis en public dans la cour centrale.
4Les novices (appelés mbuna) sont brutalement séparés de leur village maternel et conduits en forêt jusqu’à l’enclos initiatique nzanga, place rectangulaire enclose par une barrière de feuilles de bananier. Ils doivent alors passer au milieu d’une double rangée d’initiés qui les rouent de coups, tandis que les grondements du Mwiri se font entendre à l’intérieur de l’enclos. Les novices doivent supporter stoïquement cette bastonnade pour prouver qu’ils sont des hommes valeureux – le courage étant l’une des vertus cardinales de la masculinité. Un mbuna peut néanmoins avoir un parrain initiatique (ngonza) qui le protège en prenant sur lui les coups les plus rudes. Les néophytes sont ensuite poussés dans le nziba, étendue boueuse située face à l’enclos, où l’on continue de les frapper. Le nziba représente, d’après le mythe d’origine, la mare aux abords du village où les femmes, par manque de courage, avaient laissé le monstre Mwiri et où les hommes l’avaient ensuite trouvé (voir Mythe 7 infra). Ce bain de boue revient ainsi à jeter les novices en pâture au Mwiri. Bastonnades et nziba mettent donc en scène la mort symbolique des mbuna.
5Boueux et meurtris, les mbuna doivent alors passer leur bras gauche à travers la cloison de feuillage de l’enclos, apeurés par le redoublement des grondements rauques. C’est à ce moment que le Mwiri leur fait les scarifications qui marqueront bien visiblement leur appartenance à la société initiatique. L’opération renvoie à un épisode du mythe d’origine, lorsque la première femme a glissé son bras dans un trou d’eau d’où provenaient de mystérieux grondements, et s’est fait mordre par le monstre. Au cours du rite de passage, il est important que les novices ne voient pas celui qui les « vaccine » de la sorte : la cloison de feuillage les sépare de l’opérateur ; on leur instille un collyre aveuglant et les oblige à fixer le soleil. Ces scarifications (appelées makembe ou makimba) sont situées au poignet et au coude du bras gauche. La marque du poignet consiste en une série de trois traits parallèles parfois dédoublés. La marque du coude ressemble quant à elle à un sexe féminin stylisé3. Tant que ces blessures ne seront pas guéries, le mbuna ne devra pas avoir de relations sexuelles : ce serait rendre aux femmes le pouvoir du Mwiri, dont les hommes avaient réussi à s’emparer à leur seul profit.
6Aussitôt les scarifications faites, les mbuna pénètrent à l’intérieur de l’enclos initiatique, opération qui figure l’engloutissement par le monstre. Jusqu’ici, les néophytes comme tous les profanes avaient seulement entendu le grondement du génie, mais ne l’avaient jamais vu4. En rentrant dans l’enclos, les mbuna peuvent enfin voir le Mwiri en face. Ils s’aperçoivent alors qu’il s’agit en fait d’un simple initié grimé. On leur révèle également que le grondement rauque du génie n’est que la voix travestie d’un homme5. Mais sitôt cette révélation faite, les novices doivent faire le serment solennel de ne jamais divulguer que le Mwiri est homme et non génie. Les aînés peuvent alors leur raconter le mythe d’origine et quelques autres secrets initiatiques.
7Commence ensuite la période de la réclusion et des brimades initiatiques (période qui pouvait durer deux mois mais se réduit souvent aujourd’hui à une semaine). Les novices restent dans l’enclos, y mangent et y dorment à même le sol, encore coupés de toute présence féminine. Outre la poursuite de l’enseignement oral, la réclusion consiste essentiellement en brimades diverses. Les mbuna ont la tête rasée, le corps enduit d’huile de palme et exposé au soleil, ou bien frotté au charbon. On les réveille au milieu de la nuit pour les obliger à danser et chanter. Du sable est glissé dans leur nourriture, de toute façon Spartiate. Les garçons insolents sont brimés plus durement encore. Les aînés aiment d’ailleurs raconter qu’un incorrigible effronté était même souvent assassiné, et l’est encore parfois. Les initiés se contentent alors de dire à sa famille que le Mwiri a définitivement avalé leur fils, contrairement aux autres mbuna qu’il a bien voulu recracher.

Scarifications du Mwiri
8Au bout d’un temps, les mbuna quittent l’enclos de brousse pour s’installer au corps de garde, fermé pour l’occasion par une barrière de feuilles. Les brimades s’infléchissent alors en humiliation publique. Devant le mbandja, les novices sont contraints d’exécuter toutes sortes de danses et de mimes ridicules, face à un public et dans l’hilarité générale. Ils doivent taper interminablement dans leurs mains, sauter à cloche-pied, hocher la tête sans fin, imiter des animaux ou bien un coït. Les profanes, notamment les femmes, sont ainsi mobilisés pour la première fois, à titre de spectateurs d’un spectacle risible. Cette période de brimades se termine par une cérémonie de réagrégation à la communauté villageoise, au cours de laquelle les mbuna badigeonnés de kaolin rouge dansent devant les femmes. Ces rites de passage auront en définitive orchestré la mort symbolique puis la renaissance du novice : avalé par le Mwiri, il est finalement régurgité pour être rendu aux siens. Il a entre-temps subi une transformation irréversible : de garçon, il est devenu un homme.
JUMEAUX, FEMMES, FÉCONDITÉ
9Au Gabon, les jumeaux (mavasa en getsɔgɔ) sont unanimement considérés comme des génies (sauf, peut-être, chez les Fang). Leurs noms sont spécifiques et appartiennent à une liste close de noms appariés. Ils sont réputés posséder des pouvoirs extraordinaires. On fabrique un kaolin des jumeaux (pεmba-a-mavasa), puissant porte-bonheur, en ajoutant au kaolin leur placenta pilé ou même leurs restes corporels. Et lors de leur naissance, le Mwiri lui-même vient sur les lieux de l’accouchement. Il existe ainsi un lien étroit entre Mwiri et gémellité. Les jumeaux n’y sont pas initiés comme de simples mbuna mais à titre de mata, grade supérieur qui leur épargne bastonnades et brimades. Les initiés manifestent à leur égard les signes du plus profond respect : sur le chemin qui mène du corps de garde à l’enclos initiatique, les jumeaux marchent sur des nattes ou sont portés sur les épaules. Ce prestige rejaillit sur leur père qui acquiert lui aussi le grade de mata. Depuis que les hommes se sont emparés du Mwiri, aucune femme ne peut y être initiée. Mais la mère de jumeaux, sans être véritablement initiée, acquiert un statut singulier : le Mwiri peut venir devant elle, elle peut assister à certains rites et lors des manifestations rituelles, elle se place désormais entre le groupe des hommes à l’avant et celui des femmes à l’arrière.
10La gémellité est valorisée parce qu’elle représente le comble de la fécondité féminine, fécondité qui était le pilier fondamental de ces sociétés lignagères et reste aujourd’hui une des valeurs sociales les plus importantes. Et c’est parce qu’il se place également sous le signe de la fécondité féminine que le Mwiri est si intimement lié à la gémellité. Le mythe de découverte du Mwiri met bien en relief ce caractère féminin6.
Mythe 7 (origine du Mwiri)
« Un jour, six femmes vont à la rivière pêcher à la nasse. Elles se nomment Misenzo, Dyambo Timba, Mongo Makita, Mogodi mwa Ngangè, Mogetu one ngongola divoko [la femme qui possède une pomme d’Adam], Mogetu gombola nzanga [la femme qui balaye l’enclos initiatique, associée à la poule]. Elles font un barrage pour dénicher les poissons. Dans un trou d’eau plein de silures, elles entendent un étrange grondement rauque. L’une des femmes y met la main, mais quelque chose la mord. Lorsqu’elle retire le bras, elle a trois marques au poignet. Les femmes prennent alors une branche de diyombu [Aframomum citratum ou giganteum] pour fouiller le trou et réussissent à capturer un monstre qui n’a ni bras ni jambes. C’est le génie Mwiri. Elles le mettent dans leur nasse pour le ramener au village. Mais le monstre pèse trop lourd et perce les nasses. Pendant tout le trajet, il ne fait que gronder et cracher de l’eau. N’ayant plus le courage de le supporter plus longtemps, les femmes abandonnent alors le monstre aux abords du village. Délaissé, le Mwiri appelle les femmes.
Entendant ces étranges cris depuis le corps de garde, les hommes se rendent sur les lieux et voient une grande étendue d’eau : le Mwiri a recraché plein d’eau afin de survivre hors de la rivière [c’est le nziba]. Interloqués, ils se demandent comment capturer la créature. Ils jettent un chiot à l’eau. Mais le Mwiri l’avale. Ils jettent alors successivement un tronc de bananier, une panthère et un pygmée, mais à chaque fois le Mwiri les avale. Ils chauffent finalement un marteau de forge (mutendo) et le jettent à l’eau. Ne pouvant l’avaler, le Mwiri sort de l’eau. Ils en profitent alors pour le capturer et l’installer dans un enclos de feuilles de bananier qui fut le premier enclos initiatique nzanga. Là, il y avait des oiseaux tisserins qui, depuis lors, signalent la présence d’un enclos du Mwiri. Il y avait également les grenouilles dont le coassement a été le premier tambour du Mwiri. Mais sans nourriture, sans eau et sous le soleil, le monstre se meurt bientôt. À l’agonie, il demande aux hommes de perpétuer son existence en imitant sa voix. C’est le début de la société initiatique du Mwiri.
Dans l’enclos, les hommes découvrent Mogetu gombola nzanga [la femme-poule qui balaye le corps de garde] et la sacrifient. De là vient le sacrifice rituel de la poule. Ils sacrifient de même les autres femmes qui avaient découvert avant eux le secret du Mwiri, afin de le garder pour eux seuls. Les hommes ont ainsi pris le Mwiri aux femmes et leur ont donné en échange leur danse Nyεmbε [ou Ndjεmbε, qui est depuis la principale société initiatique féminine]. Depuis lors, les femmes sont condamnées à servir l’homme, à cuisiner pour lui, à faire des enfants et s’en occuper. »
11Ce sont donc les femmes qui ont découvert le Mwiri les premières. Cette association privilégiée entre Mwiri et féminité est confirmée par une série de faits. Le Mwiri est étroitement associé à la gauche, le côté féminin : les scarifications initiatiques sont au bras gauche, et « passer dans la gauche » sert communément à désigner l’initiation7. La scarification du coude représente en outre un sexe féminin stylisé. Le génie est appelé Ma Mwiri (ou lya Mwei), c’est-à-dire « Mère Mwiri ». Et lors des rites de passages, cette Mère Mwiri avale les néophytes par sa gueule comme un crocodile dévorateur, mais les recrache par son sexe pour les remettre au monde. C’est donc le Mwiri lui-même qui incarne le pouvoir procréateur féminin. Le mythe d’origine raconte en effet comment le Mwiri prisonnier dans la nasse expulse tellement d’eau que cela forme bientôt sous lui une mare qui n’est rien d’autre que le nziba des rites de passage. Or, le nziba, c’est le « vagin du Mwiri » et l’inondation est explicitement comparée à la rupture de la poche des eaux avant l’accouchement. L’humidité excessive qui définit le Mwiri représente ainsi le comble de la fécondité : « Le Mwiri, c’est la femme. Le Mwiri était dans l’eau. Et il y a l’eau dans le sexe de la femme. »
12Ce que le mythe d’origine raconte et ce que le rite met en œuvre, c’est alors l’appropriation masculine de ce pouvoir procréateur féminin : les hommes accaparent le pouvoir des femmes et deviennent capables de remettre au monde des enfants mâles pour en faire des hommes, avec l’aide rituelle de la Mère Mwiri mais sans le concours effectif des femmes. Certes, aucun de mes interlocuteurs ne pouvait formuler cela de manière aussi crue. La présence d’une part d’implicite est sans doute une caractéristique fort générale tant du mythe que du rite. Et certainement, lorsque les rapports de genre sont en jeu, ce non-dit joue un rôle d’autant plus décisif. À cet égard, mythe et rite du Mwiri sont une manière particulièrement raffinée de tourner autour du pot : toutes les prémisses sont là, mais tout se passe comme si la conclusion devait rester informulée.
13Cette forme d’évitement est rendue possible par un mécanisme de dissociation. Le mythe présente la découverte féminine comme un événement accidentel : les femmes trouvent le monstre au hasard d’une partie de pêche. Le lien entre Mwiri et féminité semble ainsi n’être que contingent alors qu’il est en réalité consubstantiel. La capacité reproductrice féminine a en effet été préalablement détachée des femmes pour s’incarner dans le monstre Mwiri. Elle est donc présentée comme quelque chose d’extérieur aux femmes. De cette façon, les femmes peuvent ensuite trouver par hasard ce qui leur appartenait en fait déjà8. Elles peuvent alors mettre le monstre dans leur nasse puis l’abandonner aux abords du village, et les hommes peuvent venir s’emparer de ce vagin portatif monstrueux qui inonde tout autour de lui. Cette dépossession opérée par les hommes n’est concevable que si le pouvoir procréateur a été dissocié des femmes pour devenir une chose appropriable9. Grâce à cette dissociation, la captation masculine de la capacité reproductrice féminine disparaît, masquée par le vol masculin d’un monstre découvert fortuitement par les femmes.
ORDALIES : ENCLUME ET POISON
14Au-delà du classique rite de passage pubertaire, le Mwiri est également la société initiatique masculine chargée d’assurer le contrôle de l’ordre social et de punir les transgressions. Un vol, un adultère ou même un mensonge peut en effet entraîner une sanction magique, punition infligée par le génie Mwiri sous forme d’une maladie subite (dont le symptôme majeur est un gonflement du ventre). Et lorsque la justice humaine punit elle-même la transgression, ce sont les initiés du Mwiri qui s’en chargent. Ce sont encore eux qui peuvent accomplir le rituel de réparation après aveux publics du coupable. Cette justice du Mwiri repose essentiellement sur des pratiques de type ordalique permettant d’identifier le coupable.
15L’épreuve de la masse-enclume motεndo est la première de ces ordalies. Le motεndo est un morceau de fer ou une simple pierre que le forgeron utilise soit à demi enterré comme enclume, soit à la main comme marteau. Son utilisation ordalique témoigne d’un lien ancien unissant la forge et le Mwiri10. Lors d’un vol ou d’une dispute envenimée, on peut demander à un aîné du Mwiri de « taper le motendo » (ou « taper le Mwiri ») afin que le génie punisse lui-même le coupable. L’initié applique sur la masse-enclume chauffée au feu un mélange d’herbes pilées et de jus de canne à sucre mâchée par les protagonistes du litige, afin de pouvoir éprouver leur culpabilité ou leur innocence. À l’aide d’une autre masse, il bat l’enclume, tout en invoquant le Mwiri et en lui expliquant l’affaire. Il jette ensuite à l’eau l’enclume ou bien un tronc de bananier qu’il a violemment frappé au sol. Ces opérations rituelles renvoient au mythe de découverte du Mwiri : jeter le motεndo ou un tronc de bananier dans l’eau comme les hommes avaient fait pour dominer le monstre, lui donner le coupable en pâture pour qu’il l’avale. Battre le motεndo chauffé au feu équivaut également à une forge symbolique – ce qui confirme le lien entre Mwiri et forge, le pouvoir ordalique du forgeron étant par ailleurs attesté dans la littérature (Collomb 1981).
16Une fois le motεndo tapé, le coupable ou le parjure tombera automatiquement malade. On dit alors qu’il est coincé dans le Mwiri, que ce dernier l’a attrapé ou même avalé. Les symptômes de ce mal sont un gonflement caractéristique du ventre et des jambes, suivi d’une mort rapide si rien n’est fait à temps. Le rituel de réparation a lieu au milieu du village, devant le corps de garde, après aveux publics du coupable. Le mondonga, orateur et interprète des grondements rauques du Mwiri, se munit de la cloche à manche courbe kendo et invoque le génie pour lui demander de pardonner la faute commise et de recracher le coupable (Gollnhofer & Sillans 1978).
17Parallèlement à cet usage judiciaire du motεndo, il existe un usage plus asocial et moins avouable. Il arrive que quelqu’un aille secrètement voir un initié pour qu’il maudisse un ennemi personnel en tapant expressément le Mwiri afin de le rendre malade ou le tuer. Cet usage proche de l’agression sorcellaire explique pourquoi en français, le Mwiri est souvent appelé le Diable (on dit ainsi « taper le Diable »). Ce genre de pratique ferait alors du Mwiri non plus le garant de l’ordre collectif mais à l’inverse l’instrument d’une vengeance personnelle. C’est pourtant le Mwiri lui-même qui se charge de conjurer la menace introduite par le mésusage du motεndo : l’opérateur et le commanditaire d’un tel acte maléfique s’exposent de leur propre chef à ce que la puissance justicière du Mwiri se retourne contre eux. Paradoxalement, cette punition immanente qui garantit le Mwiri contre ses mésusages affaiblit par contrecoup son rôle régulateur : souvent dans un conflit, aucun des protagonistes ne craint que l’autre ne tape le motεndo, puisque, certain de son bon droit, chacun considère que son adversaire a indûment recouru au Mwiri et que cette attaque personnelle lui retombera dessus ; les deux parties iront donc taper le motεndo et le conflit s’envenimera.
18Le test du poison mbondo constitue la seconde grande épreuve ordalique liée au Mwiri11. Ce poison à strychnine est obtenu par décoction des racines rouges de la liane mbondo (Strychnos icaja). Cette ordalie est fort ancienne, puisque dans sa compilation de 1686, O. Dapper signale déjà sur la côte du Loango « l’épreuve des Bondes » qui sert à détecter l’origine sorcellaire d’une mort suspecte à l’aide d’un poison (repris dans Merlet 1991 : 393). Cette ancienneté se double d’une large diffusion : l’usage ordalique du poison est répandu dans tout le Gabon, et dépasse même le territoire national puisque le poison oraculaire benge des Azande minutieusement décrit par Evans-Pritchard semble bien être encore le mbondo12. On recourt au mbondo pour les affaires les plus graves (meurtre, sorcellerie aggravée, vol important), lorsque le doute quant à l’identité du coupable subsiste après l’épreuve de l’enclume. Le mbondo est en effet réputé plus efficace que le motεndo, et son diagnostic est réputé infaillible13. Mais comme pour le motεndo, le pouvoir ordalique du mbondo est clairement lié au Mwiri : avant l’administration du poison, on tape au sol pour appeler le génie.
19Lorsqu’une affaire exige le recours au poison, tout le village se réunit au matin. Chez les Mitsɔgɔ, la décoction de mbondo est administrée à des poules qui représentent les différentes personnes concernées. Si la poule survit, celui qu’elle représente est innocent. Mais si elle meurt, il est infailliblement coupable. Le fait que la volaille aille mourir aux pieds de la personne renforce encore la culpabilité. Si le coupable s’évertue à nier, on lui administre alors directement la décoction. L’administration directe a l’avantage de cumuler l’établissement de la culpabilité et la punition dans un raccourci imparable : la mort prouve définitivement la culpabilité du suspect14. Chez les Bapunu, on administre toujours le poison aux hommes sans passer par les poules. Mais la dose ne semble pas léthale : le coupable est seulement plongé dans un état de grande confusion ; quant à l’innocent, évacuant rapidement le poison par voie urinaire, il reste indemne de tout symptôme. On raconte que celui qui réchappe ainsi de l’épreuve du poison en tire un pouvoir divinatoire15.
JUREMENT, SECRET, SERMENT
20Outre l’enclume et le poison, il existe une dernière façon de « taper le Mwiri » : il suffit de taper énergiquement sur ses propres scarifications initiatiques, au coude puis au poignet, en proférant avec emphase le jurement consacré « mangɔngɔ ! », « mwiri ! » ou « kiivi ! » Ce geste ponctue abondamment les discours des initiés du Mwiri, c’est-à-dire théoriquement celui de tous les hommes. Quand un homme veut souligner emphatiquement ses paroles, pour en manifester l’importance et la véracité, et y engager sa responsabilité et celle des autres, il claque sur ses scarifications en jurant. Cela indique que les paroles énoncées « pèsent lourd », qu’il ne s’agit plus de bavardages mais de paroles pouvant entraîner des conséquences graves.
21Claque et jurement sont ainsi une manière d’engager à la fois le locuteur et ses interlocuteurs dans leurs paroles et leurs actes. Une redescription linguistique adéquate consisterait à modaliser tous les énoncés par : « je jure sur le Mwiri que... » Le geste tient donc à la fois du serment et de la promesse. Du serment, puisqu’il atteste que ce que l’on dit est vrai. De la promesse, puisque cela implique que les actes évoqués dans les paroles seront effectivement accomplis. En effet, mentir ou ne pas faire ce à quoi l’on s’est engagé, ou même jurer pour des motifs trop futiles ou par colère, signifie s’exposer au châtiment magique du Mwiri. Et c’est pour éviter de tels engagements imprudents et impulsifs que le novice doit attendre jusqu’à un an avant de pouvoir jurer sur ses scarifications : il est encore incapable de contrôler ce pouvoir qui risquerait de se retourner contre lui et de le tuer. En définitive, le geste leste les paroles du poids du Mwiri afin de leur ajouter une force illocutoire décisive et de leur donner une valeur performative16.
22Ce jurement du Mwiri est réputé moins puissant que motεndo ou mbondo. Dans les circonstances les plus graves, jurer sur les scarifications peut être insuffisant ; on ira alors jurer sur le motεndo ; et si cela ne suffit pas, on recourra finalement au poison mbondo. Ces trois opérations rituelles n’ont de toute façon pas exactement les mêmes fonctions : attestation de vérité, promesse et obligation d’agir dans le cas du jurement ; ordalie judiciaire, identification et punition d’un coupable, dans le cas du motεndo et du mbondo. Mais elles tirent identiquement leur puissance du génie du Mwiri et concernent fondamentalement la véridicité, que cela soit celle du locuteur vérace ou de l’ordalie judiciaire.
23En définitive, le modèle de ces paroles jurées évoque une relation de communication idéale où les locuteurs sont responsables et véraces, où les promesses sont honorées et où les actes suivent effectivement les paroles. La pratique donne pourtant une image fort éloignée de ce modèle éthique de la communication : c’est en effet au cours des disputes que les hommes font le plus abondamment usage du jurement du Mwiri. Les situations réelles de jurement sont souvent plus proches de l’invective que du serment solennel. C’est donc paradoxalement lorsque la colère les emporte que les hommes ont recours à un acte illocutoire qui devrait normalement exiger calme et réflexion sous peine de représailles magiques. Le jurement s’infléchit en juron ou en malédiction que l’on pourrait paraphraser : « Que le Mwiri t’avale ! » Il s’agit certes encore d’un énoncé performatif, mais sa signification diffère sensiblement du serment.
24Cette inflexion du serment vers la malédiction était déjà directement visible sur la scarification du coude qui dessine un sexe féminin stylisé. En effet, pour maudire, les femmes tapent ostensiblement sur leur sexe ou leurs fesses. Avec les marques du Mwiri, les hommes se donnent donc les moyens de maudire comme les femmes. Ce lien manifeste entre malédiction et sexe féminin est d’ailleurs pour eux la preuve que le Mwiri est bien le « mauvais côté » : côté gauche des femmes, et du même tenant, côté diabolique de pratiques dangereuses qui peuvent entraîner la mort. De là vient cette profonde ambivalence du Mwiri qui lui vaut ce surnom de « Diable ».
25Les initiés du Bwete qui évoquent ensemble les secrets initiatiques font également un usage abondant du jurement du Mwiri qui garde dans cette situation la valeur performative d’un serment. Le cas le plus typique est le jurement d’un aîné annonçant à un cadet qu’il va lui divulguer d’importants secrets. C’est moins une façon d’attester la vérité de ses propres dires que d’obliger son interlocuteur à ne pas trahir les secrets initiatiques : « Si tu parles, le Mwiri t’avale ! » Ce type d’usage permet de saisir le lien essentiel qui unit Bwete et Mwiri autour des questions du secret, du serment et de la parole rituelle. L’initiation au Mwiri est en effet un préalable nécessaire pour accéder aux secrets les plus profonds du Bwete. Et les aînés savent bien mettre en scène les limites qu’ils doivent s’imposer avec un cadet du Bwete encore profane du Mwiri afin d’attiser sa frustration : « Il faut se faire initier au Mwiri pour connaître les profondeurs du Bwete. Parce que là on est bloqué. [...] Mais une fois initié dans le Mwiri, vous n’êtes pas libre de divulguer ça. Au contraire, c’est pire encore. » Cette frustration se fait même humiliation lorsque le garçon est publiquement assimilé à une femme.
26Si le profane du Mwiri est comme une femme et ne peut accéder aux secrets les plus importants, c’est parce que sa parole n’est pas encore fiable. Rien ne garantit en effet qu’il ne trahira pas, puisqu’il ne risque pas grand-chose : la sanction magique ricocherait du traître vers les aînés qui lui ont révélé ces informations et qui sont, eux, dans le Mwiri. Une fois initié, il ne peut en revanche plus trahir sous peine d’être lui-même avalé par le génie. Être initié au Mwiri signifie donc être pris dans les filets d’une justice magique, d’une sorte de police du secret qui garantit la non-divulgation des informations initiatiques aux profanes. Le Mwiri protège le Bwete.
27Cette caution du secret repose sur un épisode précis du rite de passage du Mwiri : le serment. Immédiatement après l’imposition des scarifications, on révèle aux mbuna que ce n’est pas un crocodile monstrueux qui leur a fait ces marques mais un simple initié. Les novices doivent alors faire aussitôt le serment solennel de ne jamais révéler ce secret aux profanes. S’ils trahissent sa nature humaine, ils mourront punis par le Mwiri. Cette menace de sanction repose donc encore sur le Mwiri, alors même que l’on vient de révéler que le génie n’existe pas. Mais les mbuna comprennent que les initiés se chargeraient eux-mêmes d’exécuter la sanction au nom du Mwiri. La démystification n’annule de toute façon pas la crainte : « Même quand on sait que c’est telle personne qui imite le Mwiri, on a quand même peur. »
28Peu importe, en outre, que ce secret soit largement éventé et que les femmes sachent la vérité malgré leurs dénégations publiques. Le mythe de découverte du Mwiri ne raconte de toute façon pas autre chose : si ce sont les femmes qui les premières ont trouvé le Mwiri, avant que les hommes ne le leur arrachent, alors il est bien évident qu’elles savent depuis le début de quoi il retourne. Personne n’est dupe bien que les deux parties feignent de l’être : « Les femmes connaissent le Mwiri car ce sont elles qui l’ont découvert en premier. Elles font juste semblant de l’ignorer. »17
29L’important réside plutôt dans le lien manifeste qui unit le serment initial, les scarifications, le secret initiatique et le jurement du Mwiri. En effet, le serment initial de ne pas dévoiler la nature humaine du Mwiri est bien ce qui fonde et assure l’interdit générique de divulgation de n’importe quel autre secret sous peine de sanction. L’expérience rituelle marquante des scarifications et du serment forme le prototype fondateur de la règle générale du secret initiatique. Il y a ainsi passage entre un secret particulier (la nature humaine du Mwiri) et le secret initiatique en tant que classe générique indéfinie. C’est pour cela qu’il importe finalement peu que le secret central du Mwiri soit éventé : il vaut moins par son contenu que par le fait qu’il instaure la configuration relationnelle nécessaire au respect de tous les secrets initiatiques, en liant serment, scarifications, jurement et sanction magique.
30Les cicatrices au bras gauche de l’initié sont en effet là pour rappeler ce lien constitutif. Les scarifications sont faites juste avant la révélation du secret et le serment. De plus, parce qu’elles le marquent irrémédiablement, l’initié est obligé de ne pas trahir les secrets. Enfin, c’est en tapant sur ces mêmes scarifications que l’on réitère pour soi et pour les autres l’obligation de la promesse. Les stigmates initiatiques du Mwiri sont donc une promesse inscrite dans la chair, cicatrices qui réactivent un engagement passé. Dans la seconde dissertation de la Généalogie de la morale, F. Nietzsche liait de façon similaire promesse, douleur, marque physique et dette (Nietzsche 1971)18. Ce qui permet de garantir au futur la promesse est cependant moins la pure sensation de douleur et son souvenir cuisant que les conditions rituelles de son imposition, avec sa configuration relationnelle novices-aînés-femmes (les aînés battent et scarifient les novices en faisant croire aux femmes que leurs enfants sont mis à mort). Il est toutefois patent que dans le Mwiri, la douleur joue également un rôle décisif, moins d’ailleurs par les scarifications elles-mêmes que par la bastonnade qui les précède. En tout cas, le Mwiri permet bien de « disposer à l’avance de l’avenir », pour reprendre l’heureuse formule de Nietzsche, puisque par l’entremise des cicatrices et du jurement, sont liés le serment fait le jour du rite de passage et l’assurance de la non-divulgation future des secrets.
31On aboutit finalement à une situation paradoxale : l’initiation au Mwiri articule deux serments qui, sous un certain aspect, sont contradictoires. Le serment initial du rite de passage est un serment de silence : l’initié s’engage à ne pas trahir la nature humaine du Mwiri, c’est-à-dire à taire un secret. Or, ce secret repose sur un mensonge manifeste : on protège le secret de la nature humaine du Mwiri en racontant aux profanes qu’il est un génie. Il s’agit donc de ne pas dire la vérité, non par simple omission, mais bien par le recours délibéré au mensonge. Le serment de silence oblige à dire un mensonge pour taire la vérité. Ce serment initial rend ensuite possible un jurement qui revêt deux formes essentielles. D’une part, il contraint soi et les autres à taire continûment les secrets initiatiques. En cela, il reste un serment de silence. D’autre part, il permet de dire la vérité : obligation de dire le vrai sous peine de sanction, mais aussi, plus positivement, pouvoir de dire une vérité efficace. Il se fait alors serment de vérité.
32L’initiation au Mwiri constitue en définitive une procédure complexe d’assermentation de la parole de l’initié19. Les scarifications du Mwiri et les procédures rituelles qui lui sont associées scellent un lien entre secret et puissance de la parole. Elles permettent en effet d’établir que la parole masculine n’est une parole puissante et fiable, capable d’attester le vrai et de contraindre les autres, que pour autant qu’elle est capable de rétention, quitte à en passer par le mensonge. Dire et taire, vérité et mensonge sont mis en relation : pouvoir dire le vrai suppose de taire le secret en disant un mensonge.
33L’une des énigmes que posent parfois les initiateurs aux novices à leur entrée dans l’enclos initiatique dit :
« Combien de cœurs l’homme possède-t-il ?
– Deux : son cœur et sa pomme d’Adam ! »
34Cette réponse énigmatique renferme l’une des principales raisons d’être du Mwiri. Le cœur est l’instance de la personne d’où proviennent les pensées, les désirs et les volitions20. Il s’agit d’une pulsion psychique plus que de la formation volontaire d’idées : un individu ne peut pas faire autrement que d’avoir ces pensées que son cœur lui envoie. Elles s’imposent à lui avec une telle force qu’il se sent poussé à les exprimer en paroles. C’est là qu’intervient le second cœur : la pomme d’Adam agit comme un filtre, disposé entre le cœur et la bouche, qui retient ces paroles qui ne demandent qu’à sortir. Cette censure permet d’éviter de dire des paroles dangereuses : paroles d’emportement colérique et surtout secrets initiatiques. Le symbolisme de la plume de perroquet confirme cela. La plume rouge que les initiés du Bwete portent toujours au front symbolise la parole. Une aiguille est préalablement insérée dans son tuyau axial afin de pouvoir la ficher. Or, la tige de l’aiguille symbolise la trachée et son chas la pomme d’Adam. Ce montage rituel illustre que, tout comme seul un mince fil peut passer par le chas d’une aiguille, seules des paroles autorisées peuvent franchir le seuil de la pomme d’Adam d’un initié.
35La pomme d’Adam donne donc aux hommes une capacité de rétention verbale, capacité qui fait d’eux les maîtres de leur discours. Et c’est parce que les femmes n’ont pas de pomme d’Adam qu’elles sont censées ne pas pouvoir réfréner leurs bavardages et qu’on ne peut donc leur confier des secrets qu’elles ne sauraient garder. Ou plus exactement, depuis que les hommes se sont emparés du Mwiri féminin, les femmes n’ont plus de pomme d’Adam. En effet, dans le mythe d’origine, les hommes sacrifient les six femmes découvreuses du Mwiri dont l’une s’appelle justement la « femme qui a une pomme d’Adam ».
36On comprend finalement les véritables raisons du lien entre Bwete et Mwiri. On ne peut aller au bout du Bwete sans être un vrai homme, c’est-à-dire sans être initié au Mwiri. L’homme possède une pomme d’Adam, c’est-à-dire une capacité de rétention rituellement mise en forme par le jeu du serment et des scarifications du Mwiri. Il est alors suffisamment fiable pour qu’on lui confie les secrets initiatiques du Bwete. Cette parole assermentée est également une parole forte et efficace, parole qui promet, contraint et dit le vrai. La parole divinatoire du nganga-a-Misɔkɔ est donc elle aussi nécessairement adossée au Mwiri. D’où le fait que le motoba, auxiliaire principal de la divination, n’est donné qu’à ceux qui sont déjà initiés au Mwiri.
37N’importe qui n’est donc pas apte à dire le vrai, promettre, maudire ou jurer. La force illocutoire des paroles exige une autorisation sociale. Chercher cette force illocutoire dans l’énoncé lui-même, c’est supposer à tort un pouvoir magique intrinsèque au verbe et corrélativement une égalité de tous devant la prise de parole – ce dont les performatifs donnent l’illusion, semblant contenir en eux-mêmes le principe de leur efficacité. Toute parole efficace suppose pourtant un porte-parole autorisé : les conditions de félicité de l’acte illocutoire ne sont pas linguistiques mais institutionnelles21. En effet, à travers un dispositif relationnel singulier, le rituel initiatique du Mwiri établit les conditions pragmatiques d’exercice de la parole des initiés masculins. Accomplir avec succès des actes illocutoires comme promesses, serments, jurements ou oracles suppose des conditions rituelles qui elles-mêmes présupposent tout un parcours initiatique.
Notes de bas de page
1 On dit plutôt Mweli chez les Bavove, Mwei chez les Mitsɔgɔ. Son origine ethnique est inconnue. Lorsque du Chaillu explore le sud du pays entre 1855 et 1865, il trouve le Mwiri déjà bien installé parmi les Bapunu et les Mitsɔgɔ.
2 Sur la construction initiatique de la masculinité, cf. Houseman 1984.
3 Les Bapunu lui préfèrent souvent un signe en forme de double V superposé.
4 Outre l’initiation, le Mwiri se fait entendre lors du décès d’un initié, de la naissance ou de la mort de jumeaux, de la prise à la chasse d’une panthère nzεgo ou d’un crocodile ngando (animaux liés au Mwiri pour lesquels il faut organiser une veillée mortuaire).
5 Grâce à l’ingestion de la feuille d’Ancistrocarpus densispinosus qui, irritant les cordes vocales, déforme temporairement la voix.
6 Cf. également la version dans Gollnhofer & Sillans 1981.
7 S’il faut être dans le Mwiri pour être un « homme complet », c’est donc parce que le Mwiri permet la complétion de deux moitiés symétriques : à travers ses scarifications, l’initié masculin englobe la gauche comme la droite, le féminin comme le masculin.
8 Et ce n’est pas un hasard que cela soit au cours d’une partie de pêche à la nasse, activité exclusivement féminine.
9 Pour l’analyse d’une dissociation similaire dans le cas d’objets rituels des aborigènes australiens, cf. Testart 1993.
10 Aujourd’hui quasiment disparue, l’activité traditionnelle de la forge (réduction et fonte) était autrefois largement pratiquée, les vestiges archéologiques attestant sa présence au nord du Gabon dès 500 A.C. (De Maret 1980, Pinçon & Dupré 1997, Clist 1995). La forge garde un rôle symbolique important dans de nombreuses sociétés initiatiques.
11 Je laisse de côté les ordalies secondaires, par l’huile bouillante (il faut attraper sans se brûler un objet métallique trempé dans de l’huile bouillante) et par la sagaie (une sagaie adhère ou non à la pierre sur laquelle on la pose).
12 La description concorde : les Azande des savanes du Sud Soudan vont chercher jusqu’à l’orée de la forêt dense, de l’autre côté de la frontière nord du Congo, une liane rouge à base de strychnine (Evans-Pritchard 1972). En revanche, le benge a un rôle oraculaire (prémonitoire), alors que le mbondo a un rôle ordalique (judiciaire).
13 C’est pourquoi les nganga-a-Misɔkɔ disent que le mbondo est la première consultation, primauté à la fois chronologique et hiérarchique : l’ordalie du poison aurait précédé la divination par le miroir, et est de toute façon réputée plus fiable (car elle ne repose pas sur l’inspiration et la parole humaines).
14 Cette coïncidence – et même inversion – entre l’établissement de la preuve et la punition est une caractéristique générale des ordalies judiciaires.
15 Du Chaillu, qui a assisté à plusieurs reprises à l’ordalie du poison chez les Nkɔmi, mentionne que le devin sans doute mithridatisé peut effectivement boire luimême le poison. Dans un état convulsif, il se met alors à proférer des oracles inintelligibles (repris dans Merlet 1991 : 205-206).
16 Les performatifs constituent une classe spécifique d’actes illocutoires : ceux pour lesquels la valeur illocutoire de l’énonciation est directement manifeste dans l’énoncé lui-même (Austin 1970, Searle 1972, Ducrot 1991).
17 La situation inverse vaut pour les secrets initiatiques du Nyεmbε que les hommes ont, selon le mythe, laissé aux femmes en échange du Mwiri.
18 Sur la douleur dans le rituel, cf. également Houseman 1999.
19 Une autre étape initiatique, appelée wanga obaka, s’inscrit dans ce même registre d’assermentation de la parole. L’initié doit piquer l’arbre obaka (Guibourtia tessmannii) d’un coup de sagaie. Ce rituel doit garantir que la parole de l’initié touchera toujours juste, aussi juste que son coup de sagaie.
20 Le substantif « cœur » (motema) et le verbe « penser » (temangana) sont d’ailleurs formés sur la même racine linguistique.
21 C’est le sens de l’objection de P. Bourdieu à J.L. Austin, lorsqu’il met en question l’autonomie linguistique de la théorie de l’illocutoire (Bourdieu 1982).
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